| Avec la [[Crise_actuelle|période de crise]] ouverte en 2009 et la multiplication des licenciements, des situations de reprise d'usines en autogestion arrivent plus souvent et font à nouveau émerger la question du contrôle ouvrier et de l'autogestion.<ref>https://npa2009.org/node/37129</ref> | | Avec la [[Crise_actuelle|période de crise]] ouverte en 2009 et la multiplication des licenciements, des situations de reprise d'usines en autogestion arrivent plus souvent et font à nouveau émerger la question du contrôle ouvrier et de l'autogestion.<ref>https://npa2009.org/node/37129</ref> |
| Globalement, il est probable que la réduction du [[Temps de travail|temps de travail]], nécessaire pour le bien-être des travailleur·ses et pour disposer de temps de délibération collective implique une réduction de la [[rentabilité]] des entreprises. Le socialisme moderne repose de toute façon sur des moyens de production industriels largement assez développés pour pouvoir se le permettre. | | Globalement, il est probable que la réduction du [[Temps de travail|temps de travail]], nécessaire pour le bien-être des travailleur·ses et pour disposer de temps de délibération collective implique une réduction de la [[rentabilité]] des entreprises. Le socialisme moderne repose de toute façon sur des moyens de production industriels largement assez développés pour pouvoir se le permettre. |
| L'idée que les ouvriers / employés dirigent directement leurs entreprises peut apparaître en contradiction avec l'utilisation de spécialistes (techniciens, ingénieurs, comptables...). Cette contradiction n'apparaît pas si l'on conçoit ces spécialistes comme faisant partie du collectif de travailleurs, mais elle apparaît nettement en revanche s'ils sont sociologiquement (petit-)bourgeois et coupés de la masse, et (ce qui est souvent lié) s'ils font partie de la chaîne de commandement patronale. Il y a parfois superposition de fonctions techniques et managériales, certaines techniques pouvant d'ailleurs être intimement liées aux formes capitalistes de production ([[taylorisme]]...). | | L'idée que les ouvriers / employés dirigent directement leurs entreprises peut apparaître en contradiction avec l'utilisation de spécialistes (techniciens, ingénieurs, comptables...). Cette contradiction n'apparaît pas si l'on conçoit ces spécialistes comme faisant partie du collectif de travailleurs, mais elle apparaît nettement en revanche s'ils sont sociologiquement (petit-)bourgeois et coupés de la masse, et (ce qui est souvent lié) s'ils font partie de la chaîne de commandement patronale. Il y a parfois superposition de fonctions techniques et managériales, certaines techniques pouvant d'ailleurs être intimement liées aux formes capitalistes de production ([[taylorisme]]...). |
− | Pendant la révolution russe de 1917, ce problème s'est posé de façon aigüe. En effet la direction bolchévique autour de Lénine appelait les ouvriers à ne pas rejeter les spécialistes, y compris parfois à ne pas rejeter l'ancien patron et à l'accepter désormais comme directeur. La justification était que la formation technique et intellectuelle des ouvriers était insuffisante pour remplacer ces spécialistes. Certains observateurs relèvent l'ampleur du problème social que pose cette orientation : | + | [[Friedrich Engels|Engels]] espérait que le parti allemand recruterait assez de techniciens et autre intellectuels pour administrer l'économie :<blockquote>« Afin de prendre possession et de mettre en marche les moyens de production, nous avons besoin de personnes ayant une formation technique, et en masse. Nous ne les avons pas et jusqu'à présent, nous avons même été plutôt heureux d'avoir été largement épargnés par les personnes "instruites". Maintenant, les choses sont différentes. Maintenant, nous sommes assez forts pour supporter n'importe quelle quantité de racailles instruites et pour les digérer, et je prévois qu'au cours des huit ou dix prochaines années, nous recruterons suffisamment de jeunes techniciens, médecins, avocats et maîtres d'école pour nous permettre d'administrer les usines et les grands domaines au nom de la nation par des camarades du Parti. Alors, notre arrivée au pouvoir sera tout à fait naturelle et s'installera rapidement - en comparaison, si en revanche, une guerre nous amène au pouvoir prématurément, les techniciens seront nos principaux ennemis; ils nous tromperont et nous trahiront partout où ils le pourront et nous devrons user de terreur contre eux, mais nous serons tout de même trompés. C'est ce qui arrivait ''toujours'', à petite échelle, aux révolutionnaires français; même dans l'administration ordinaire, ils devaient laisser les postes subalternes, où le vrai travail est fait, aux mains de vieux réactionnaires qui obstruaient et paralysaient tout. »<ref>[[:en:Letter to August Bebel, October 24, 1891|Letter to August Bebel, October 24, 1891]]</ref></blockquote>Pendant la révolution russe de 1917, ce problème s'est posé de façon aigüe. En effet la direction bolchévique autour de Lénine appelait les ouvriers à ne pas rejeter les spécialistes, y compris parfois à ne pas rejeter l'ancien patron et à l'accepter désormais comme directeur. La justification était que la formation technique et intellectuelle des ouvriers était insuffisante pour remplacer ces spécialistes. Certains observateurs relèvent l'ampleur du problème social que pose cette orientation : |
| « Si le monde capitaliste est bien celui du fétichisme intégral où les relations d'homme à homme disparaissent derrière des rapports de choses, il se fait précisément que dans le moment où les masses laborieuses s'insurgent contre ce monde, elles transpercent l'écran tabou des choses pour s'en prendre directement aux hommes qu'elles avaient respectés jusque-là au nom du fétiche sacro-saint de la propriété privée ». Le spécialiste, le directeur ou le capitaliste apparaissent alors aux ouvriers, quelles que soient leurs relations techniques ou personnelles avec l'entreprise, comme l'incarnation de l'exploitation, comme les ennemis, comme ceux qu'il faut à tout prix expulser de leur vie. Demander aux ouvriers à ce moment là d'avoir une attitude plus équilibrée, de ne voir dans l'ancien patron que le nouveau « directeur technique », l’« indispensable spécialiste », « revient en quelque sorte — à l'heure où ils viennent soudain de prendre conscience de leur rôle historique et de leur puissance sociale, d'affirmer leur autonomie, à l'heure où ils ont enfin confiance en eux-mêmes, en leurs propres forces — à exiger des ouvriers qu'ils confessent leur incompétence, leur faiblesse, leur insuffisance en un domaine qui leur est sensible au plus haut degré car il embrasse leur vie quotidienne depuis l'enfance, celui de la production. »<ref>Didier L. Limon, « Lénine et le contrôle ouvrier », dans le N° 4, déc. 1967, d'Autogestion (publ. orig. dans les N° 4 et 5, avril et mai 1946, de La Revue Internationale].</ref> | | « Si le monde capitaliste est bien celui du fétichisme intégral où les relations d'homme à homme disparaissent derrière des rapports de choses, il se fait précisément que dans le moment où les masses laborieuses s'insurgent contre ce monde, elles transpercent l'écran tabou des choses pour s'en prendre directement aux hommes qu'elles avaient respectés jusque-là au nom du fétiche sacro-saint de la propriété privée ». Le spécialiste, le directeur ou le capitaliste apparaissent alors aux ouvriers, quelles que soient leurs relations techniques ou personnelles avec l'entreprise, comme l'incarnation de l'exploitation, comme les ennemis, comme ceux qu'il faut à tout prix expulser de leur vie. Demander aux ouvriers à ce moment là d'avoir une attitude plus équilibrée, de ne voir dans l'ancien patron que le nouveau « directeur technique », l’« indispensable spécialiste », « revient en quelque sorte — à l'heure où ils viennent soudain de prendre conscience de leur rôle historique et de leur puissance sociale, d'affirmer leur autonomie, à l'heure où ils ont enfin confiance en eux-mêmes, en leurs propres forces — à exiger des ouvriers qu'ils confessent leur incompétence, leur faiblesse, leur insuffisance en un domaine qui leur est sensible au plus haut degré car il embrasse leur vie quotidienne depuis l'enfance, celui de la production. »<ref>Didier L. Limon, « Lénine et le contrôle ouvrier », dans le N° 4, déc. 1967, d'Autogestion (publ. orig. dans les N° 4 et 5, avril et mai 1946, de La Revue Internationale].</ref> |