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Malgré tout, l’organisation de Lénine aura permis que, malgré la répression et la dispersion, subsiste un corps de militants dévoués, animés par une claire [[Conscience_de_classe|conscience de classe]], d’où va sortir l’instrument de la révolution d’octobre. Dès 1914, des militants bolchéviks commencèrent à développer dans les masses, par la presse et la parole, leur agitation contre la guerre. Un rapport de la police mentionne :
 
Malgré tout, l’organisation de Lénine aura permis que, malgré la répression et la dispersion, subsiste un corps de militants dévoués, animés par une claire [[Conscience_de_classe|conscience de classe]], d’où va sortir l’instrument de la révolution d’octobre. Dès 1914, des militants bolchéviks commencèrent à développer dans les masses, par la presse et la parole, leur agitation contre la guerre. Un rapport de la police mentionne :
 
<blockquote>''«&nbsp;Les partisans de Lénine, qui mènent en Russie la grande majorité des organisations social-démocrates clandestines, ont mis en circulation depuis le début de la guerre, dans leurs principaux centres (savoir&nbsp;: Pétrograd, Moscou, Kharkov, Kiev, Toula, Kostroma, le gouvernement de Vladimir, Samara), une quantité considérable de tracts révolutionnaires, réclamant la fin des hostilités, le renversement du pouvoir actuel et la proclamation de la république&nbsp;; en outre, cette activité a eu pour résultat sensible l'organisation par les ouvriers de grèves et de désordres.&nbsp;&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Les partisans de Lénine, qui mènent en Russie la grande majorité des organisations social-démocrates clandestines, ont mis en circulation depuis le début de la guerre, dans leurs principaux centres (savoir&nbsp;: Pétrograd, Moscou, Kharkov, Kiev, Toula, Kostroma, le gouvernement de Vladimir, Samara), une quantité considérable de tracts révolutionnaires, réclamant la fin des hostilités, le renversement du pouvoir actuel et la proclamation de la république&nbsp;; en outre, cette activité a eu pour résultat sensible l'organisation par les ouvriers de grèves et de désordres.&nbsp;&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr03.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''</blockquote>  
En février 1915, une conférence des groupes bolcheviques émigrés réunie à Berne et à laquelle participent de nouveaux venus de Russie, [[Boukharine|Boukharine]] et [[Piatakov|Piatakov]], se prononce pour la «&nbsp;transformation en guerre civile de la guerre impérialiste ».
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En février 1915, une conférence des groupes bolcheviques émigrés réunie à Berne et à laquelle participent de nouveaux venus de Russie, [[Boukharine|Boukharine]] et [[Piatakov|Piatakov]], se prononce pour la «&nbsp;transformation en guerre civile de la guerre impérialiste&nbsp;».
    
Dans le désarroi de la guerre, les lignes bougent et se redéfinissent. Certains rompent avec les menchéviks ([[Antonov-Ovseenko|Antonov-Ovseenko]], [[Tchitchérine|Tchitchérine]], [[Moïsseï_Ouritsky|Ouritsky]], [[Kollontaï|Kollontaï]]...) et des cadres communs se forment entre des groupes de militants d'horizons différents. Par exemple le groupe de [[Nache_Slovo|''Nache Slovo'']] (dominé par [[Trotsky|Trotsky]]), qui fut une plaque tournante de l'internationalisme en Europe. Lénine avait des désaccords avec eux, certains mineurs ([[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme]], [[Etats-Unis_d'Europe|Etats-Unis d'Europe]]...), le principal étant la nécessaire rupture avec l'[[Internationale_ouvrière|Internationale]] des [[Social-chauvins|social-chauvins]]. Mais ce qui empêche surtout le rapprochement est la méfiance née des querelles passées.
 
Dans le désarroi de la guerre, les lignes bougent et se redéfinissent. Certains rompent avec les menchéviks ([[Antonov-Ovseenko|Antonov-Ovseenko]], [[Tchitchérine|Tchitchérine]], [[Moïsseï_Ouritsky|Ouritsky]], [[Kollontaï|Kollontaï]]...) et des cadres communs se forment entre des groupes de militants d'horizons différents. Par exemple le groupe de [[Nache_Slovo|''Nache Slovo'']] (dominé par [[Trotsky|Trotsky]]), qui fut une plaque tournante de l'internationalisme en Europe. Lénine avait des désaccords avec eux, certains mineurs ([[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme]], [[Etats-Unis_d'Europe|Etats-Unis d'Europe]]...), le principal étant la nécessaire rupture avec l'[[Internationale_ouvrière|Internationale]] des [[Social-chauvins|social-chauvins]]. Mais ce qui empêche surtout le rapprochement est la méfiance née des querelles passées.
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Les tous premiers jours les socialistes de toute tendance ne réalisent pas immédiatement ce qui est en train de se passer. Le bolchevik [[Alexandre_Chliapnikov|Chliapnikov]] (membre du [[Comité_central|comité central]] du parti) pense qu'il s'agit là plus d'une [[Émeute|émeute]] de la faim que d'une révolution en marche. Mais sur le plan pratique, les militants bolchéviks étaient plus résolus. Les ouvriers bolcheviks, aussitôt après l'insurrection, avaient pris sur eux l'initiative de la lutte pour la [[Journée_de_huit_heures|journée de huit heures]]; les menchéviks déclaraient prématurée cette revendication. Les bolcheviks dirigeaient les arrestations de fonctionnaires tsaristes, les menchéviks s'opposaient aux "excès". Les bolcheviks entreprirent énergiquement de créer une [[Garde_rouge_(Russie)|milice ouvrière]], les menchéviks enrayaient l'armement des ouvriers, ne désirant pas se brouiller avec la bourgeoisie.
 
Les tous premiers jours les socialistes de toute tendance ne réalisent pas immédiatement ce qui est en train de se passer. Le bolchevik [[Alexandre_Chliapnikov|Chliapnikov]] (membre du [[Comité_central|comité central]] du parti) pense qu'il s'agit là plus d'une [[Émeute|émeute]] de la faim que d'une révolution en marche. Mais sur le plan pratique, les militants bolchéviks étaient plus résolus. Les ouvriers bolcheviks, aussitôt après l'insurrection, avaient pris sur eux l'initiative de la lutte pour la [[Journée_de_huit_heures|journée de huit heures]]; les menchéviks déclaraient prématurée cette revendication. Les bolcheviks dirigeaient les arrestations de fonctionnaires tsaristes, les menchéviks s'opposaient aux "excès". Les bolcheviks entreprirent énergiquement de créer une [[Garde_rouge_(Russie)|milice ouvrière]], les menchéviks enrayaient l'armement des ouvriers, ne désirant pas se brouiller avec la bourgeoisie.
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Le 27 février, le [[soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] se forme au même moment que le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] bourgeois. Les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|socialistes-révolutionnaires]], qui sont majoritaires dans les [[Soviets|soviets]] qui se forment, font confiance au gouvernement provisoire, et soutiennent l'effort de guerre au nom de la défense de la patrie démocratique.
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Le 27 février, le [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]] se forme au même moment que le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] bourgeois. Les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|socialistes-révolutionnaires]], qui sont majoritaires dans les [[Soviets|soviets]] qui se forment, font confiance au gouvernement provisoire, et soutiennent l'effort de guerre au nom de la défense de la patrie démocratique.
    
La direction bolchévique est assurée par un « bureau russe du comité central » composé de [[Chliapnikov|Chliapnikov]], [[Viatcheslav_Mikhaïlovitch_Molotov|Molotov]] et [[Zaloutsky|Zaloutsky]]. Elle n’a pas de ligne claire, mais maintient une politique indépendante de la bourgeoisie. La [[Pravda|''Pravda'']] dénonce le ''«&nbsp;gouvernement de capitalistes et de propriétaires fonciers&nbsp;»'', en réclamant un vrai ''«&nbsp;gouvernement révolutionnaire provisoire&nbsp;»'' et en appelant le soviet à convoquer une assemblée constituante afin d’instaurer ''« une république démocratique »''. (Cependant [[Viatcheslav_Molotov|Molotov]] est mis en minorité au comité de Pétrograd quand il propose de qualifier de «&nbsp;contre-révolutionnaire&nbsp;» le gouvernement provisoire) Les bolchéviks pensaient être fidèles à la ligne qui les avait opposé aux menchéviks dans les débats depuis 1905. Le 10 mars, la [[Pravda|''Pravda'']] appelle à transformer la guerre impérialiste en une guerre civile qui libérera les peuples du joug des classes dominantes.
 
La direction bolchévique est assurée par un « bureau russe du comité central » composé de [[Chliapnikov|Chliapnikov]], [[Viatcheslav_Mikhaïlovitch_Molotov|Molotov]] et [[Zaloutsky|Zaloutsky]]. Elle n’a pas de ligne claire, mais maintient une politique indépendante de la bourgeoisie. La [[Pravda|''Pravda'']] dénonce le ''«&nbsp;gouvernement de capitalistes et de propriétaires fonciers&nbsp;»'', en réclamant un vrai ''«&nbsp;gouvernement révolutionnaire provisoire&nbsp;»'' et en appelant le soviet à convoquer une assemblée constituante afin d’instaurer ''« une république démocratique »''. (Cependant [[Viatcheslav_Molotov|Molotov]] est mis en minorité au comité de Pétrograd quand il propose de qualifier de «&nbsp;contre-révolutionnaire&nbsp;» le gouvernement provisoire) Les bolchéviks pensaient être fidèles à la ligne qui les avait opposé aux menchéviks dans les débats depuis 1905. Le 10 mars, la [[Pravda|''Pravda'']] appelle à transformer la guerre impérialiste en une guerre civile qui libérera les peuples du joug des classes dominantes.
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Mais la ligne change le 12 mars lorsque [[Kamenev|Kamenev]] et [[Staline|Staline]] reviennent de leur exil en Sibérie et prennent la direction. La ''[[Pravda|Pravda]]'' du 15 mars écrit que les bolcheviks soutiendront résolument le gouvernement provisoire ''«&nbsp;dans la mesure où il lutte contre la réaction ou la contre-révolution&nbsp;»''. Une formule floue que raillera [[Lénine|Lénine]]. [[Kamenev|Kamenev]] rédige plusieurs articles ouvertement défensistes, écrivant notamment ''«&nbsp;un peuple libre répond aux balles par des balles&nbsp;»''. Selon [[Chliapnikov|Chliapnikov]], ce revirement est accueilli avec jubilation au gouvernement provisoire et à la direction du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]], tandis qu’une opposition de gauche se lève au sein du parti, notamment dans son bastion ouvrier de la capitale, le [[district_de_Vyborg|district de Vyborg]], dont le comité ''« demande même l’exclusion du parti de Staline et de Kamenev »''.
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Mais la ligne change le 12 mars lorsque [[Kamenev|Kamenev]] et [[Staline|Staline]] reviennent de leur exil en Sibérie et prennent la direction. La ''[[Pravda|Pravda]]'' du 15 mars écrit que les bolcheviks soutiendront résolument le gouvernement provisoire ''«&nbsp;dans la mesure où il lutte contre la réaction ou la contre-révolution&nbsp;»''. Une formule floue que raillera [[Lénine|Lénine]]. [[Kamenev|Kamenev]] rédige plusieurs articles ouvertement défensistes, écrivant notamment ''«&nbsp;un peuple libre répond aux balles par des balles&nbsp;»''. Selon [[Chliapnikov|Chliapnikov]], ce revirement est accueilli avec jubilation au gouvernement provisoire et à la direction du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet]], tandis qu’une opposition de gauche se lève au sein du parti, notamment dans son bastion ouvrier de la capitale, le [[District_de_Vyborg|district de Vyborg]], dont le comité ''« demande même l’exclusion du parti de Staline et de Kamenev »''.
    
Le 29&nbsp;mars s’ouvre à Pétrograd la première conférence nationale bolchévique depuis la révolution, divisée entre la droite défensiste et la gauche révolutionnaire (animée par [[Chliapnikov|Chliapnikov]] et [[Kollontaï|Kollontaï]]). Pour cette dernière, ''« la révolution russe ne peut obtenir un maximum de libertés démocratiques et de réformes sociales que si elle devient le point de départ d’un mouvement révolutionnaire du prolétariat occidental »'', pour cela ''« il faut préparer la lutte contre le gouvernement provisoire »'', le soviet étant ''« un embryon de pouvoir révolutionnaire »'' et la ''« garde rouge ouvrière »'' un outil central afin de l’imposer. Mais la droite l'emporte, et envisage le 1<sup>er</sup> avril la réunification de tous les [[POSDR|social-démocrates]] que leur propose&nbsp;[[Tséretelli|Tséretelli]] au nom du Comité d'organisation.
 
Le 29&nbsp;mars s’ouvre à Pétrograd la première conférence nationale bolchévique depuis la révolution, divisée entre la droite défensiste et la gauche révolutionnaire (animée par [[Chliapnikov|Chliapnikov]] et [[Kollontaï|Kollontaï]]). Pour cette dernière, ''« la révolution russe ne peut obtenir un maximum de libertés démocratiques et de réformes sociales que si elle devient le point de départ d’un mouvement révolutionnaire du prolétariat occidental »'', pour cela ''« il faut préparer la lutte contre le gouvernement provisoire »'', le soviet étant ''« un embryon de pouvoir révolutionnaire »'' et la ''« garde rouge ouvrière »'' un outil central afin de l’imposer. Mais la droite l'emporte, et envisage le 1<sup>er</sup> avril la réunification de tous les [[POSDR|social-démocrates]] que leur propose&nbsp;[[Tséretelli|Tséretelli]] au nom du Comité d'organisation.
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Alors que les militants de base du parti expliquaient patiemment le point de vue de Lénine aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, Lénine parvint à reprendre en main le parti au cours des mois suivants. De février à juillet, la taille du parti bolchevik passa de 24.000 à 240.000 membres.
 
Alors que les militants de base du parti expliquaient patiemment le point de vue de Lénine aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, Lénine parvint à reprendre en main le parti au cours des mois suivants. De février à juillet, la taille du parti bolchevik passa de 24.000 à 240.000 membres.
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Fin avril, début juin, le rapport de force commence à évoluer rapidement en faveur des bolchéviks. L'influence des bolchéviks augmenta plus rapidement dans les [[Comités_d'usines|comités d'usines]] et les soviets des quartiers ouvriers. Les questions posées par lutte de classe, plus concrètes et vitales pour les ouvriers, permettaient aux bolchéviks de faire des démonstrations face aux réformistes. Fin avril, les les bolcheviks se trouvèrent majoritaires dans les soviets du quartier de Vyborg, de Vassilievsyk-Ostrov, du rayon de Narva. Le 3 juin en parallèle, la conférence des [[Comités_d'usines|comités de fabriques et d'usines]] de Pétrograd adoptait, à une majorité également écrasante, une résolution disant que le pays ne saurait être sauvé que par le pouvoir des soviets.
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Fin avril, début juin, le rapport de force commence à évoluer rapidement en faveur des bolchéviks. L'influence des bolchéviks augmenta plus rapidement dans les [[Comités_d'usines|comités d'usines]] et les soviets des quartiers ouvriers. Les questions posées par lutte de classe, plus concrètes et vitales pour les ouvriers, permettaient aux bolchéviks de faire des démonstrations face aux réformistes. Fin avril, les les bolcheviks se trouvèrent majoritaires dans les soviets du [[quartier_de_Vyborg|quartier de Vyborg]], de Vassilievsyk-Ostrov, du rayon de Narva. Le 3 juin en parallèle, la conférence des [[Comités_d'usines|comités de fabriques et d'usines]] de Pétrograd adoptait, à une majorité également écrasante, une résolution disant que le pays ne saurait être sauvé que par le pouvoir des soviets. [[Volodarski|Volodarski]] disait en juillet : ''«&nbsp;Dans les usines, nous jouissons d'une influence formidable, illimitée. Le travail du parti est rempli principalement par les ouvriers eux-mêmes. L'organisation a monté d'en bas et c'est pourquoi nous avons toutes raisons de penser'''qu'elle ne se disloquera pas. »''
    
Toutes les élections partielles aux soviets leur donnaient la victoire, et la section ouvrière du Soviet de Pétrograd gagna une majorité bolchévique. Mais dans les séances communes avec les soldats, les bolcheviks étaient encore écrasés par les délégués [[Parti_SR|SR]]. La&nbsp;[[Pravda|''Pravda'']]&nbsp;réclamait avec insistance de nouvelles élections&nbsp;: ''«&nbsp;Les 500 000 ouvriers de Pétrograd ont au Soviet quatre fois moins de délégués que les 150 000 hommes de la garnison.&nbsp;»''
 
Toutes les élections partielles aux soviets leur donnaient la victoire, et la section ouvrière du Soviet de Pétrograd gagna une majorité bolchévique. Mais dans les séances communes avec les soldats, les bolcheviks étaient encore écrasés par les délégués [[Parti_SR|SR]]. La&nbsp;[[Pravda|''Pravda'']]&nbsp;réclamait avec insistance de nouvelles élections&nbsp;: ''«&nbsp;Les 500 000 ouvriers de Pétrograd ont au Soviet quatre fois moins de délégués que les 150 000 hommes de la garnison.&nbsp;»''
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<blockquote>«&nbsp;Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique. En première place se tenaient les ouvriers de Piter [Petrograd], prolétaires héréditairement, qui avaient détaché un effectif d'agitateurs et d'organisateurs d'une trempe exceptionnellement révolutionnaire, d'une haute culture politique, indépendants dans la pensée, dans la parole, dans l'action.</blockquote> <blockquote>Tourneurs, serruriers, forgerons, moniteurs des corporations et des usines avaient déjà autour d'eux leurs écoles, leurs élèves, futurs constructeurs de la République des Soviets. Les matelots de la Baltique, les plus proches compagnons d'armes des ouvriers de Piter, provenant pour une bonne part de ceux-ci, envoyèrent des brigades d'agitateurs qui conquéraient de haute lutte les régiments arriérés, les chefs-lieux de district, les cantons de moujiks. La formule généralisatrice lancée au cirque Moderne par un des leaders révolutionnaires prenait forme et corps dans des centaines de têtes réfléchies et ébranlait ensuite tout le pays. [...] Les usines conjointement avec les régiments envoyaient des délégués au front. Les tranchées se liaient avec les ouvriers et les paysans du plus proche arrière-front. [...] Les usines et les régiments de Petrograd et de Moscou frappaient avec de plus en plus d'insistance aux portes de bois du village. Se cotisant, les ouvriers envoyaient des délégués dans les provinces d'où ils étaient originaires. [...] Le bolchévisme conquérait le pays. Les bolcheviks devenaient une force irrésistible&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 1, Ed. du Seuil, p. 390-392.</ref>.</blockquote>  
 
<blockquote>«&nbsp;Des mois de vie politique fébrile avaient créé d'innombrables cadres de la base, avaient éduqué des centaines et des milliers d'autodidactes qui s'étaient habitués à observer la politique d'en bas et non d'en haut et qui, par conséquent, appréciaient les faits et les gens avec une justesse non toujours accessible aux orateurs du genre académique. En première place se tenaient les ouvriers de Piter [Petrograd], prolétaires héréditairement, qui avaient détaché un effectif d'agitateurs et d'organisateurs d'une trempe exceptionnellement révolutionnaire, d'une haute culture politique, indépendants dans la pensée, dans la parole, dans l'action.</blockquote> <blockquote>Tourneurs, serruriers, forgerons, moniteurs des corporations et des usines avaient déjà autour d'eux leurs écoles, leurs élèves, futurs constructeurs de la République des Soviets. Les matelots de la Baltique, les plus proches compagnons d'armes des ouvriers de Piter, provenant pour une bonne part de ceux-ci, envoyèrent des brigades d'agitateurs qui conquéraient de haute lutte les régiments arriérés, les chefs-lieux de district, les cantons de moujiks. La formule généralisatrice lancée au cirque Moderne par un des leaders révolutionnaires prenait forme et corps dans des centaines de têtes réfléchies et ébranlait ensuite tout le pays. [...] Les usines conjointement avec les régiments envoyaient des délégués au front. Les tranchées se liaient avec les ouvriers et les paysans du plus proche arrière-front. [...] Les usines et les régiments de Petrograd et de Moscou frappaient avec de plus en plus d'insistance aux portes de bois du village. Se cotisant, les ouvriers envoyaient des délégués dans les provinces d'où ils étaient originaires. [...] Le bolchévisme conquérait le pays. Les bolcheviks devenaient une force irrésistible&nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 1, Ed. du Seuil, p. 390-392.</ref>.</blockquote>  
 
Voilà donc quel était le parti qui prit le pouvoir. Et voilà qui tord le cou à tous les discours qui font de l’insurrection d’octobre un coup d’Etat&nbsp;!
 
Voilà donc quel était le parti qui prit le pouvoir. Et voilà qui tord le cou à tous les discours qui font de l’insurrection d’octobre un coup d’Etat&nbsp;!
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=== Crise sur la question du nouveau gouvernement ===
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[[Lénine|Lénine]] était hostile aux autres socialistes en qui il n'avait aucune confiance. Etant donné les refus des autres forces socialistes pendant le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]], le premier gouvernement, [[Soviet_des_commissaires_du_peuple|''Soviet des commissaires du peuple'']] (Sovnarkom), est composé uniquement de bolchéviks.
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Aussitôt après le congrès, le [[Comité_central_bolchévik|Comité central bolchévik]] du 29 octobre accepte de négocier, mais les chefs [[Mencheviks|mencheviks]] et [[Socialistes-révolutionnaires|SR]] exigent un gouvernement sans [[Lénine|Lénine]] ni [[Trotsky|Trotsky]], incluant des [[SR_de_droite|SR de droite]] et des [[Troudoviks|troudoviks]], et qui serait responsable, non devant les [[soviets|soviets]], mais devant « les larges masses de la démocratie révolutionnaire&nbsp;». En parallèle ils ne montrent pas d'empressement à lutter contre les premières tentatives de Blancs contre-révolutionnaires. Lénine est pour rompre le dialogue, mais la tension monte avec toute une partie de dirigeants bolchéviks ([[Kamenev|Kamenev]], [[Zinoviev|Zinoviev]], [[Lozovski|Lozovski]], [[Riazanov|Riazanov]]...) qui votent contre leur parti dans l'[[Comité_exécutif_central_panrusse|exécutif soviétique]], certains allant jusqu'à démissionner.
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Mais l'opposition est condamnée par l'écrasante majorité des militants bolchéviks, et il apparaît assez vite clair que les [[mencheviks|mencheviks]] et les dirigeants [[Parti_SR|SR]] n'ont jamais eu l'intention d'une collaboration honnête avec les bolchéviks sur la base du programme décidé par le [[Deuxième_congrès_des_soviets|Congrès des soviets]]. Il n'y aura finalement pas de scission, et les démissionnaires reprendront leurs postes, sauf [[Lozovski|Lozovski]] qui sera finalement exclu et fondera un éphémère « Parti socialiste ouvrier&nbsp;».
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En revanche il n'y aura pas de crise dans les rangs du parti sur le problème de l'[[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], où la majorité [[SR_de_droite|SR de droite]] désavoue la révolution. [[Boukharine|Boukharine]] proposera l'invalidation des députés de droite et la proclamation d'une Convention révolutionnaire, et le bureau de la fraction bolchevique manifestera quelque hésitation. Mais [[Lénine|Lénine]] imposera sans peine son point de vue : le Congrès des soviets est plus légitime que la Constituante. Celle-ci sera alors dissoute par les [[Garde_rouge_(Russie)|gardes rouges]] le 19 janvier 1918.
    
== Evolutions et postérité ==
 
== Evolutions et postérité ==
    
=== Le parti au pouvoir ===
 
=== Le parti au pouvoir ===
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Les gouvernements bourgeois du monde entier se demandent si le pouvoir bolchévik sera assez fort. Lénine répond&nbsp; : ''«&nbsp;La bourgeoisie ne reconnaît qu'un Etat est fort que lorsqu'il peut, usant de toute la puissance de l'appareil gouvernemental, faire marcher les masses comme l'entendent les gouvernements bourgeois. Notre conception de la force est différente. Ce qui fait la force d'un Etat, selon nous, c'est la conscience des masses. L'Etat est fort quand les masses savent tout, peuvent juger de tout et font tout sciemment&nbsp;»''
    
Le parti victorieux enregistre, au lendemain d’octobre, des adhésions en masse. En mars 1919, le parti compte 250 000 militants, dont 52% d’[[Ouvriers|ouvriers]], 15% de [[Paysannerie|paysans]], 18% d’employés, 14% d’[[Intellectuels|intellectuels]] (étant inclus dans cette dernière catégorie tous ceux qui ont reçu une éducation secondaire). 27% de ces militants sont, à ce moment, dans l’[[Armée_rouge|Armée rouge]], au combat. C’est un parti jeune&nbsp;: la moitié de ses effectifs a moins de 30 ans. A ce moment, le parti est encore de bonne qualité. Mais ses effectifs vont rapidement exploser, pour atteindre 730 000 membres en mars 1921. Parmi tous ces membres, nombreux sont les arrivistes, attirés moins par le combat bolchévik que par l’ «&nbsp;obséquiosité devant le pouvoir du jour<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 2, ''op. cit.'', p. 210.</ref>&nbsp;», pour reprendre une expression de Trotsky. En 1922, 97% des militants bolchéviks ont rejoint le parti après octobre 17. La purge de 1923, la première de l’histoire du parti, l’ampute de 180 000 membres – Trotsky s’en félicite au nom de la lutte contre l’arrivisme.
 
Le parti victorieux enregistre, au lendemain d’octobre, des adhésions en masse. En mars 1919, le parti compte 250 000 militants, dont 52% d’[[Ouvriers|ouvriers]], 15% de [[Paysannerie|paysans]], 18% d’employés, 14% d’[[Intellectuels|intellectuels]] (étant inclus dans cette dernière catégorie tous ceux qui ont reçu une éducation secondaire). 27% de ces militants sont, à ce moment, dans l’[[Armée_rouge|Armée rouge]], au combat. C’est un parti jeune&nbsp;: la moitié de ses effectifs a moins de 30 ans. A ce moment, le parti est encore de bonne qualité. Mais ses effectifs vont rapidement exploser, pour atteindre 730 000 membres en mars 1921. Parmi tous ces membres, nombreux sont les arrivistes, attirés moins par le combat bolchévik que par l’ «&nbsp;obséquiosité devant le pouvoir du jour<ref>Léon Trotsky, ''Histoire de la révolution russe'', t. 2, ''op. cit.'', p. 210.</ref>&nbsp;», pour reprendre une expression de Trotsky. En 1922, 97% des militants bolchéviks ont rejoint le parti après octobre 17. La purge de 1923, la première de l’histoire du parti, l’ampute de 180 000 membres – Trotsky s’en félicite au nom de la lutte contre l’arrivisme.

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