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Pour les révolutionnaires allemands, la [[Union sacrée (1914)|trahison de 1914]] fut totalement destabilisante. Ils considéraient ce grand parti ouvrier comme un "parlement de la classe ouvrière", et restèrent longtemps focalisés sur la lutte interne. Les révolutionnaires allemands pensaient que le mouvement spontané des masses pourrait "régénérer" la social-démocratie, et ils ne voulaient pas s'en éloigner, ce que [[Rosa Luxemburg|Rosa Luxemburg]] considérait comme [[Sectaire|sectaire]]. Cette aile révolutionnaire se dotait tout juste d'un moyen d'expression propre, mais, également par rejet de la structure rigide du [[SPD|SPD]], se refusait à formaliser une quelconque organisation propre. Les confusions de Luxemburg sur la dialectique classe-parti ou la perspective à avoir face à la guerre, qui apparaissent dans [[Rosa Luxemburg et la Révolution russe|ses polémiques avec Lénine]], y sont pour beaucoup. Même lorsque la gauche du SPD est exclue, les révolutionnaires, unis au sein de la [[Ligue spartakiste|Ligue spartakiste]], décident de rester liés aux vieux caciques ([[Kautsky|Kautsky]], [[Bernstein|Bernstein]]...) qui fondent en 1917 l'[[USPD|USPD]] (Parti social-démocrate indépendant).<br>  
 
Pour les révolutionnaires allemands, la [[Union sacrée (1914)|trahison de 1914]] fut totalement destabilisante. Ils considéraient ce grand parti ouvrier comme un "parlement de la classe ouvrière", et restèrent longtemps focalisés sur la lutte interne. Les révolutionnaires allemands pensaient que le mouvement spontané des masses pourrait "régénérer" la social-démocratie, et ils ne voulaient pas s'en éloigner, ce que [[Rosa Luxemburg|Rosa Luxemburg]] considérait comme [[Sectaire|sectaire]]. Cette aile révolutionnaire se dotait tout juste d'un moyen d'expression propre, mais, également par rejet de la structure rigide du [[SPD|SPD]], se refusait à formaliser une quelconque organisation propre. Les confusions de Luxemburg sur la dialectique classe-parti ou la perspective à avoir face à la guerre, qui apparaissent dans [[Rosa Luxemburg et la Révolution russe|ses polémiques avec Lénine]], y sont pour beaucoup. Même lorsque la gauche du SPD est exclue, les révolutionnaires, unis au sein de la [[Ligue spartakiste|Ligue spartakiste]], décident de rester liés aux vieux caciques ([[Kautsky|Kautsky]], [[Bernstein|Bernstein]]...) qui fondent en 1917 l'[[USPD|USPD]] (Parti social-démocrate indépendant).<br>  
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Pourtant, la lutte de classe a un caractère de plus en plus aigü. Tout au long de 1917 et 1918, les grèves et les mutineries dans l'armée se multiplient, et les révolutionnaires ont déjà une audience potentielle dans l'avant-garde ou ceux qui sont en première ligne : "Liebknecht est l'homme le plus populaire dans les tranchées" (Kautsky). Conséquence : en 1918, les seules organisations visibles et existantes sont les deux partis sociaux-démocrates. La seule organisation semi-clandestine est celle des "délégués révolutionnaires", regroupement de délégués syndicaux d’usine dotés d’une grande audience et opposés à la politique de "paix civile" des dirigeants nationaux des syndicats.<br>
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Pourtant, la lutte de classe a un caractère de plus en plus aigü. Tout au long de 1917 et 1918, les grèves et les mutineries dans l'armée se multiplient, et les révolutionnaires ont déjà une audience potentielle dans l'avant-garde ou ceux qui sont en première ligne&nbsp;: "Liebknecht est l'homme le plus populaire dans les tranchées" (Kautsky). Conséquence&nbsp;: en 1918, les seules organisations visibles et existantes sont les deux partis sociaux-démocrates. La seule organisation semi-clandestine est celle des "délégués révolutionnaires", regroupement de délégués syndicaux d’usine dotés d’une grande audience et opposés à la politique de "paix civile" des dirigeants nationaux des syndicats.<br>  
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Sur le plan international, le [[Parti bolchévik|Parti bolchévik]] a été quasiment le seul à s'opposer à la guerre. Avec l'autorité morale qu'il acquiert ensuite du fait de la [[Révolution d'Octobre|Révolution d'Octobre]], il est le leader du courant révolutionnaire du [[Socialisme|socialisme]], qui sera baptisé [[Communiste|communiste]]. La toute nouvelle [[Internationale communiste|Internationale communiste]] va alors se fixer comme priorité d'étendre la révolution à l'Europe occidentale. En particulier, pendant 5 ans elle va travailler à reconstruire un parti ouvrier révolutionnaire en Allemagne.<br>
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Sur le plan international, le [[Parti bolchévik|Parti bolchévik]] a été quasiment le seul à s'opposer à la guerre. Avec l'autorité morale qu'il acquiert ensuite du fait de la [[Révolution d'Octobre|Révolution d'Octobre]], il est le leader du courant révolutionnaire du [[Socialisme|socialisme]], qui sera baptisé [[Communiste|communiste]]. La toute nouvelle [[Internationale communiste|Internationale communiste]] va alors se fixer comme priorité d'étendre la révolution à l'Europe occidentale. En particulier, pendant 5 ans elle va travailler à reconstruire un parti ouvrier révolutionnaire en Allemagne.<br>  
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=== Novembre 1918&nbsp;: révolution prolétarienne et fin de la guerre<br> ===
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=== Novembre 1918&nbsp;: révolution prolétarienne et fin de la guerre<br> ===
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L'éruption révolutionnaire spontanée du prolétariat allemand se produit en novembre 1918. Le 6 novembre, les marins basés à Kiel refusent d'aller à un nouveau massacre décidé par l'état-major, et envoient des émissaires dans toute l'Allemagne pour appeler à leur secours la classe ouvrière. Les jours suivants, l’Allemagne se couvre de conseils d’ouvriers et de soldats qui commencent à se substituer aux organismes de l’[[État bourgeois|État bourgeois]] allemand. Le 9 novembre, la révolution atteint Berlin. Sa puissance est telle que le Kaiser s'enfuit sans combattre. Karl Liebknecht salue à Berlin la "révolution socialiste" et le 11 novembre, l’état-major allemand doit signer l’armistice.  
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L'éruption révolutionnaire spontanée du prolétariat allemand se produit en novembre 1918. Le 6 novembre, les marins basés à Kiel refusent d'aller à un nouveau massacre décidé par l'état-major, et envoient des émissaires dans toute l'Allemagne pour appeler à leur secours la classe ouvrière. Les jours suivants, l’Allemagne se couvre de conseils d’ouvriers et de soldats qui commencent à se substituer aux organismes de l’[[État bourgeois|État bourgeois]] allemand. Le 9 novembre, la révolution atteint Berlin et le Kaiser s'enfuit sans combattre. Tous les socialistes, y-compris la social-démocratie majoritaire, salue la "révolution socialiste" et le 11 novembre, l’état-major allemand doit signer l’armistice.<br>
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=== Social-démocratie hégémonique ===
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=== Social-démocratie hégémonique ===
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Mais concrètement, c’est une façade rouge, indispensable pour qui veut être entendu des masses, qui a été jetée sur un appareil d’Etat intact, celui des bourgeois prussiens et de leur état major. Au-dessus du vieil appareil d’Etat, des ministères maintenus tels quels, est dressé à la hâte une direction de six sociaux-démocrates (3 SPD et 3 USPD) baptisés "commissaires du peuple". Ce gouvernement proclame dès le 12 novembre des mesures importantes&nbsp;: instauration (formelle) des libertés démocratiques élémentaires, début de législation du travail (promesse de la journée de huit heures, conventions collectives, allocations chômage...), que le patronat entérine dès le 15 en signant un accord avec les syndicats sur ces points. C’est que la bourgeoisie risque de tout perdre&nbsp;: elle a parfaitement conscience du caractère profondément socialiste de la révolution allemande (que d’ailleurs tous proclament, y compris les "majoritaires"), ce qui est attesté par la floraison des conseils d'ouvriers et de soldats, organes mêmes du pouvoir ouvrier.  
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Mais concrètement, c’est une façade rouge qui a été jetée sur un appareil d’[[État|État]] intact, celui des bourgeois prussiens et de leur état major. Une direction de six sociaux-démocrates (3 SPD et 3 USPD) baptisés "commissaires du peuple" se met en place, au dessus des ministères maintenus tels quels. Ce gouvernement proclame dès le 12 novembre des mesures importantes&nbsp;: instauration (formelle) des libertés démocratiques élémentaires, début de législation du travail (promesse de la journée de huit heures, [[Conventions collectives|conventions collectives]], [[Chômage|allocations chômage]]...), que le patronat entérine dès le 15 en signant un accord avec les [[Syndicats|syndicats]] sur ces points. C’est que la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] risque de tout perdre&nbsp;: et elle en a conscience.  
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Mais l’existence des conseils en soi ne suffit pas. Aucun parti n'a le poids pour réclamer "tout le pouvoir aux conseils", et les dirigeants sociaux-démocrates - sur lesquels la bourgeoisie allemande place ses espoirs – est libre de ravaler les conseils au rang d’auxiliaires. Ebert, qui préside le nouveau gouvernement, pousse pour que les conseils soient des organes consultatifs, de cogestion, dans les entreprises, les villes, et dans l’armée, passant même un accord secret avec l’état-major sur cette question.  
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Mais l’existence des conseils en soi ne suffit pas. Aucun parti n'a le poids pour réclamer "tout le pouvoir aux conseils", et les dirigeants sociaux-démocrates - sur lesquels la bourgeoisie allemande place ses espoirs – est libre de ravaler les conseils au rang d’auxiliaires. Ebert, qui préside le nouveau gouvernement, pousse pour que les conseils soient des organes consultatifs, passant même un accord secret avec l’état-major à propos des conseils dans l'armée.  
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Mais pour y parvenir, il faut ériger un autre organisme de pouvoir&nbsp;: le gouvernement provisoire convoque des élections à une Assemblée Constituante pour le 16 février 1919. Les conseils d’ouvriers et de soldats doivent, eux, tenir leur congrès à Berlin le 16 décembre 1918. Et c'est exactement dans les termes cités "Assemblée nationale ou gouvernement des conseils" qu'est formulé le deuxième point de l'ordre du jour de ce congrès. C'est, comme l'écrit Rosa Luxembourg au même moment dans Die Rote Fahne (organe des spartakistes), "la question cardinale de la révolution". Toute la puissance de la social-démocratie est mobilisée contre le pouvoir des conseils. "Les masses ne sont pas mûres", affirment les chefs sociaux-démocrates et leur organe central, le Vorwärts. Pour eux, la dictature du prolétariat n’amènerait qu’une catastrophe (ce discours sur la non-maturité des masses est servi, on le sait, sur une toute autre échelle, dès la moindre grève, par les appareils pour refuser d’appeler au combat). A cela, Rosa Luxembourg répond avec justesse et ironie (Die Rote Fahne, 3 décembre 1918)&nbsp;: "Ce sont seulement les combats de la révolution qui amèneront le prolétariat à une pleine maturité, à tous les sens du terme. Le commencement de la révolution fut le signe que ce processus de maturation commençait. Il se poursuivra rapidement et le Vorwärtz dispose d’un bon étalon auquel il pourra mesurer l’accession du prolétariat à la pleine maturité. Le jour où ses rédacteurs s’envoleront de leurs sièges, et avec eux messieurs Scheidemann, Ebert, David et consorts, pour rejoindre le Hohenzollern ou Ludendorff là où ils sont, ce jour-là, la pleine maturité sera acquise".  
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Mais pour y parvenir, il faut ériger un autre organisme de pouvoir&nbsp;: le gouvernement provisoire convoque des élections à une Assemblée Constituante pour le 16 février 1919. Les conseils d’ouvriers et de soldats doivent, eux, tenir leur congrès à Berlin le 16 décembre 1918. Et c'est exactement dans les termes cités "Assemblée nationale ou gouvernement des conseils" qu'est formulé le deuxième point de l'ordre du jour de ce congrès. C'est, comme l'écrit Rosa Luxembourg au même moment dans Die Rote Fahne, "la question cardinale de la révolution". Toute la puissance de la social-démocratie est mobilisée contre le pouvoir des conseils. "Les masses ne sont pas mûres", affirment les chefs sociaux-démocrates et leur organe central, le Vorwärts. Pour eux, la dictature du prolétariat n’amènerait qu’une catastrophe . A cela, Rosa Luxembourg répond avec justesse et ironie&nbsp;:  
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<blockquote>"Ce sont seulement les combats de la révolution qui amèneront le prolétariat à une pleine maturité, à tous les sens du terme. Le commencement de la révolution fut le signe que ce processus de maturation commençait. Il se poursuivra rapidement et le Vorwärtz dispose d’un bon étalon auquel il pourra mesurer l’accession du prolétariat à la pleine maturité. Le jour où ses rédacteurs s’envoleront de leurs sièges, et avec eux messieurs Scheidemann, Ebert, David et consorts, pour rejoindre le Hohenzollern ou Ludendorff là où ils sont, ce jour-là, la pleine maturité sera acquise"<ref>[[Die Rote Fahne]], 3 décembre 1918</ref>. </blockquote>
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Le SPD affirme que ce sera la tâche de l’Assemblée constituante que de réaliser le socialisme en votant les lois ad hoc, et face au mouvement du prolétariat pour son propre pouvoir, il oppose la "[[Démocratie|démocratie]]". Rosa Luxembourg fustigera cette vision "pacifique" et "démocratique" du passage au socialisme:
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<blockquote>"Et si la classe capitaliste constate qu’elle se trouve en minorité, elle déclarera avec un soupir, en tant que parti parlementaire discipliné&nbsp;: "Rien à faire&nbsp;! Nous voyons que nous sommes battus aux voix, soit&nbsp;! Nous en convenons et nous transmettons aux travailleurs tous nos domaines, nos usines, nos mines, tous nos coffre-forts ignifugé et tous nos beaux profits"(…) Ces messieurs les junkers et capitalistes ne se tiennent tranquilles qu’aussi longtemps que le gouvernement révolutionnaire se contente de poser un léger maquillage esthétique sur le régime du salariat&nbsp;; ils ne sont gentils qu’aussi longtemps que le nerf vital, l’artère de la domination de classe de la bourgeoisie, le profit, restent intacts. Si le profit est pris à la gorge, si la propriété privée est offerte au couteau du sacrifice, alors c’en sera fini de la bonhomie"<ref>[[Die Rote Fahne]], 20 novembre 1918</ref>. </blockquote>
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Aussi justes que sonnent les mots de Rosa Luxembourg, "l’argument" décisif est le poids d'organisation de la social-démocratie. Plus l’on s’élève dans les degrés formés par la centralisation des conseils ouvriers, plus celle-ci est majoritaire. Pour cela, elle piétine d’ailleurs sans remords la démocratie ouvrière, imposant des représentations "paritaires" quand elle est ultra minoritaire. Du coup, au congrès des Conseils, les quatre cinquièmes des délégués sont contrôlés par la social-démocratie, contre cent aux indépendants (et parmi eux une moitié pour l’aile gauche des délégués révolutionnaires, une dizaine de spartakistes). Le congrès rejette les résolutions sur le pouvoir des Conseils, refuse d’entendre les délégations exigeant qu’ils prennent position en ce sens, représentant des dizaines de milliers de manifestants réunis à l’initiative des spartakistes. Le Congrès donne les pleins pouvoir au gouvernement Ebert-Scheidemann et avance les élections à la constituante au 19 janvier. Par contre, il adopte une résolution abolissant les grades dans l’armée, y donnant le pouvoir dans aux conseils, l’élection des officiers, bref, de mise à mort de l’Etat-major. Majoritaire dans le congrès, la social-démocratie ne peut maîtriser ses propres troupes sur cette question. Mais tout se concentrait sur la question du gouvernement, y compris quand il serait question plus tard de savoir qui appliquerait cette résolution. Et le congrès des Conseils est sur ce point central une victoire incontestable pour la social-démocratie allemande. <br>
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La social-démocratie majoritaire, répétons-le, se pare du drapeau du socialisme. Aussi affirme-t-elle que ce sera la tâche de l’Assemblée constituante que de le réaliser en votant les lois ad hoc. Elle oppose – et ce ne sera pas la dernière fois dans l’Histoire – la "ligne de la démocratie", dont l’Assemblée parlementaire constituante définirait ultérieurement en quelque sorte le contenu, au mouvement du prolétariat pour son propre pouvoir. Rosa Luxembourg fustigera cette vision "pacifique" et "démocratique" du passage au socialisme: " Et si la classe capitaliste constate qu’elle se trouve en minorité, elle déclarera avec un soupir, en tant que parti parlementaire discipliné&nbsp;: "Rien à faire&nbsp;! Nous voyons que nous sommes battus aux voix, soit&nbsp;! Nous en convenons et nous transmettons aux travailleurs tous nos domaines, nos usines, nos mines, tous nos coffre-forts ignifugé et tous nos beaux profits"(…) Ces messieurs les junkers et capitalistes ne se tiennent tranquilles qu’aussi longtemps que le gouvernement révolutionnaire se contente de poser un léger maquillage esthétique sur le régime du salariat&nbsp;; ils ne sont gentils qu’aussi longtemps que le nerf vital, l’artère de la domination de classe de la bourgeoisie, le profit, restent intacts. Si le profit est pris à la gorge, si la propriété privée est offerte au couteau du sacrifice, alors c’en sera fini de la bonhomie". (Die Rote Fahne, 20 novembre 1918) Aussi justes que sonnent les mots de Rosa Luxembourg, "l’argument" décisif est le poids d'organisation de la social-démocratie. Plus l’on s’élève dans les degrés formés par la centralisation des conseils ouvriers, plus celle-ci est majoritaire. Pour cela, elle piétine d’ailleurs sans remords la démocratie ouvrière, imposant des représentations "paritaires" quand elle est ultra minoritaire. Du coup, au congrès des Conseils, les quatre cinquièmes des délégués sont contrôlés par la social-démocratie, contre cent aux indépendants (et parmi eux une moitié pour l’aile gauche des délégués révolutionnaires, une dizaine de spartakistes). Le congrès rejette les résolutions sur le pouvoir des Conseils, refuse d’entendre les délégations exigeant qu’ils prennent position en ce sens, représentant des dizaines de milliers de manifestants réunis à l’initiative des spartakistes. Le Congrès donne les pleins pouvoir au gouvernement Ebert-Scheidemann et avance les élections à la constituante au 19 janvier. Par contre, il adopte une résolution abolissant les grades dans l’armée, y donnant le pouvoir dans aux conseils, l’élection des officiers, bref, de mise à mort de l’Etat-major. Majoritaire dans le congrès, la social-démocratie ne peut maîtriser ses propres troupes sur cette question. Mais tout se concentrait sur la question du gouvernement, y compris quand il serait question plus tard de savoir qui appliquerait cette résolution. Et le congrès des Conseils est sur ce point central une victoire incontestable pour la social-démocratie allemande. <br>  
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=== Fondation du Parti Communiste&nbsp;: l’infantilisme révolutionnaire <br> ===
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=== Fondation du Parti Communiste&nbsp;: l’infantilisme révolutionnaire <br>  ===
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Les révolutionnaires finissent par rompre avec l'USPD fin 1918 et tiennent le congrès de fondation du Parti Communiste (KPD) à partir du 29 décembre, essentiellement avec les militants spartakistes – au moment même où les ministres indépendants démissionnent du gouvernement provisoire. Une profonde divergence stratégique apparaît entre les dirigeants expérimentés (Luxembourg, Zetkin, Lévi, Mehring) et les autres délégués.
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Et les communistes&nbsp;? Ils finissent par rompre avec la social-démocratie "indépendante" à la fin de 1918 et tiennent le congrès de fondation du Parti Communiste (spartakiste) à partir du 29 décembre, avec les militants spartakistes pour l'essentiel – au moment même où les ministres indépendants démissionnent du gouvernement provisoire. Fait notable, les dirigeants expérimentés de l'aile révolutionnaire de la social-démocratie (Luxembourg, Zetkin, Lévi, Mehring) se heurtent de plein fouet à la centaine de délégués de ce congrès de fondation. Alors que Rosa Luxembourg les appelle à prendre la mesure de la situation, à comprendre qu’il ne suffit pas de se prendre pour le parti révolutionnaire, d’exiger le renversement du gouvernement en place pour résoudre les problèmes politiques, elle est confrontée à l’impatience des militants, qui "négligent, souligne Luxembourg, le sérieux, le calme et la réflexion nécessaire". Le congrès décide ainsi de ne pas participer aux élections à l’Assemblée constituante, certains envisageant même que le PC puisse proclamer un gouvernement révolutionnaire à Berlin dans les jours à venir. Plus largement, en réaction à l’avilissement parlementaire de la vieille social-démocratie, c’est l’utilisation même des élections et de la tribune parlementaire qui est rejetée. Le problème est que cette position ignore totalement la mentalité des masses ouvrières allemandes. Rosa Luxembourg aura beau interpeller là-dessus les congressistes, mettant l’accent sur la conquête de la majorité dans les masses dans toute l’Allemagne et pas seulement à Berlin, décrivant la marche vers le pouvoir comme un chemin long, les délégués du congrès de fondation ne veulent rien entendre. La décision prise, de ne pas participer aux élections, concourt d’emblée à l’isolement du parti communiste de larges couches populaires auxquelles il renonce de facto à s’adresser, et ce à un moment où la presse bourgeoise et social-démocrate lance des appels au meurtre contre les spartakistes "sanglants" et "dictatoriaux". Pire encore, le congrès refuse le principe de militer dans les vieux syndicats. Déjà, dans les jours et semaines précédentes, les militants communistes ont plus d’une fois refusées de siéger dans les conseils ouvriers en présence de sociaux-démocrates "majoritaires", des "socialistes des généraux" qu’ils sont. D’un sain rejet de la vieille social-démocratie pourrie, "cadavre puant" (Rosa Luxembourg) les communistes en question arrivent à une position de capitulation totale, livrant en fait la classe ouvrière à la direction des sociaux-démocrates, tant dans les conseils que dans les syndicats (ceux-ci regroupent 10 millions de travailleurs au sortir de la guerre&nbsp;!) Dans l’immédiat, cette position leur vaut de se couper des "délégués révolutionnaires", toujours membres du parti indépendant, et qui eux refusent de s’isoler de la majorité du prolétariat allemand. A peine née, le Parti est ainsi affaibli politiquement comme numériquement par ses positions gauchistes – quand bien même celles-ci sont finalement imputables à ce qu’est devenue la social-démocratie allemande et au dégoût qu’elle provoque. Cette inexpérience, son manque d’homogénéité politique, produit aussi du refus obstiné d’organiser une fraction révolutionnaire centralisée dès 1914 au moins, va se révéler particulièrement dramatique dès janvier 1919.  
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Alors que Rosa Luxembourg les appelle à prendre la mesure de la situation, à comprendre qu’il ne suffit pas de se prendre pour le parti révolutionnaire, d’exiger le renversement du gouvernement en place pour résoudre les problèmes politiques, elle est confrontée à l’impatience des militants, qui "négligent, souligne Luxembourg, le sérieux, le calme et la réflexion nécessaire". Le congrès décide ainsi de ne pas participer aux élections à l’Assemblée constituante, certains envisageant même que le PC puisse proclamer un gouvernement révolutionnaire à Berlin dans les jours à venir. Plus largement, en réaction à l’avilissement parlementaire de la vieille social-démocratie, c’est l’utilisation même des élections et de la tribune parlementaire qui est rejetée. Le problème est que cette position ignore totalement la mentalité des masses ouvrières allemandes. Rosa Luxembourg aura beau interpeller là-dessus les congressistes, mettant l’accent sur la conquête de la majorité dans les masses dans toute l’Allemagne et pas seulement à Berlin, décrivant la marche vers le pouvoir comme un chemin long, les délégués du congrès de fondation ne veulent rien entendre. La décision prise, de ne pas participer aux élections, concourt d’emblée à l’isolement du parti communiste de larges couches populaires auxquelles il renonce de facto à s’adresser, et ce à un moment où la presse bourgeoise et social-démocrate lance des appels au meurtre contre les spartakistes "sanglants" et "dictatoriaux". Pire encore, le congrès refuse le principe de militer dans les vieux syndicats. Déjà, dans les jours et semaines précédentes, les militants communistes ont plus d’une fois refusées de siéger dans les conseils ouvriers en présence de sociaux-démocrates "majoritaires", des "socialistes des généraux" qu’ils sont. D’un sain rejet de la vieille social-démocratie pourrie, "cadavre puant" (Rosa Luxembourg) les communistes en question arrivent à une position de capitulation totale, livrant en fait la classe ouvrière à la direction des sociaux-démocrates, tant dans les conseils que dans les syndicats (ceux-ci regroupent 10 millions de travailleurs au sortir de la guerre&nbsp;!) Dans l’immédiat, cette position leur vaut de se couper des "délégués révolutionnaires", toujours membres du parti indépendant, et qui eux refusent de s’isoler de la majorité du prolétariat allemand. A peine née, le Parti est ainsi affaibli politiquement comme numériquement par ses positions gauchistes – quand bien même celles-ci sont finalement imputables à ce qu’est devenue la social-démocratie allemande et au dégoût qu’elle provoque. Cette inexpérience, son manque d’homogénéité politique, produit aussi du refus obstiné d’organiser une fraction révolutionnaire centralisée dès 1914 au moins, va se révéler particulièrement dramatique dès janvier 1919.  
    
=== Janvier 1919&nbsp;: la social-démocratie se fait le boucher du prolétariat allemand  ===
 
=== Janvier 1919&nbsp;: la social-démocratie se fait le boucher du prolétariat allemand  ===
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L’échec de la révolution allemande de 1923 marque un tournant décisif. En 1924, la bourgeoisie allemande stabilisera la situation, grâce aux capitaux américains (plan Dawes), mais surtout l'échec du Parti Communiste. Avec cet échec, la révolution russe est durablement isolée. Cet isolement va donner une impulsion aux forces les plus réactionnaires au sein de l’Etat et du Parti en Russie, derrière l’appareil et son chef, Staline&nbsp;; contre les forces révolutionnaires du Parti qui précisément ont commencé de s’organiser dans l’opposition de gauche que dirigera Trotsky. A partir de 1924 va s’ouvrir, sur la base de la stabilisation de la situation internationale, la lutte contre le "trotskysme", au nom d’une "théorie" inventée par Staline début 1924&nbsp;: "le socialisme en un seul pays". Le développement du stalinisme, cancer bureaucratique de la révolution d’octobre, va se traduire dans toute l’internationale par la soumission jusqu’à les briser des différents partis communistes, au nom de la "bolchevisation". Cette interdiction faite aux partis communistes de s’éduquer, d’apprendre des leçons des expériences révolutionnaires passées va produire désastre sur désastre, de l’échec de la révolution chinoise de 1927 à … la prise du pouvoir par Hitler en 1933 dans laquelle le PC allemand stalinisé aura une responsabilité écrasante. <br>  
 
L’échec de la révolution allemande de 1923 marque un tournant décisif. En 1924, la bourgeoisie allemande stabilisera la situation, grâce aux capitaux américains (plan Dawes), mais surtout l'échec du Parti Communiste. Avec cet échec, la révolution russe est durablement isolée. Cet isolement va donner une impulsion aux forces les plus réactionnaires au sein de l’Etat et du Parti en Russie, derrière l’appareil et son chef, Staline&nbsp;; contre les forces révolutionnaires du Parti qui précisément ont commencé de s’organiser dans l’opposition de gauche que dirigera Trotsky. A partir de 1924 va s’ouvrir, sur la base de la stabilisation de la situation internationale, la lutte contre le "trotskysme", au nom d’une "théorie" inventée par Staline début 1924&nbsp;: "le socialisme en un seul pays". Le développement du stalinisme, cancer bureaucratique de la révolution d’octobre, va se traduire dans toute l’internationale par la soumission jusqu’à les briser des différents partis communistes, au nom de la "bolchevisation". Cette interdiction faite aux partis communistes de s’éduquer, d’apprendre des leçons des expériences révolutionnaires passées va produire désastre sur désastre, de l’échec de la révolution chinoise de 1927 à … la prise du pouvoir par Hitler en 1933 dans laquelle le PC allemand stalinisé aura une responsabilité écrasante. <br>  
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== Leçons  ==
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Ce discours sur la non-maturité des masses est servi, on le sait, sur une toute autre échelle, dès la moindre grève, par les appareils pour refuser d’appeler au combat.
    
== Notes et sources<br>  ==
 
== Notes et sources<br>  ==

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