Un nouveau massacre (1938)

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🔍 Voir aussi : Huit Ministres.

En février de l’année dernière, à l’époque du second procès de Moscou (Piatakov-Radek), qui était censé corriger la mauvaise impression produite par le premier (Zinoviev-Kamenev), j’écrivis dans la presse : « Staline ressemble à un homme qui essaie d’apaiser sa soif en buvant de l’eau salée. Il sera obligé d’organiser de nouvelles impostures judiciaires, les unes après les autres. »

Le troisième procès de Moscou a été préparé sur une période plus longue et, on peut le penser, de façon plus minutieuse que les précédents. La préparation internationale s’est poursuivie pendant les dernières semaines devant les yeux du monde entier. Le fameux article de Staline (14 février) sur la révolution internationale, qui a frappé beaucoup de monde par sa soudaineté, avait pour objectif de créer dans les rangs de la classe ouvrière une atmosphère plus favorable au futur procès. Staline voulait dire aux travailleurs que, s’il exterminait toute la génération révolutionnaire, il le faisait exclusivement dans l’intérêt de la révolution internationale. Cet article n’avait pas d’autre signification.

La mort de mon fils, Léon Sedov, qui continue d’être entourée de mystère, doit être considérée, jusqu’à preuve du contraire, comme le deuxième acte de la préparation du procès : il fallait à tout prix imposer le silence à cet accusateur informé et courageux. Le troisième acte de la préparation a été la tentative de MM. Lombardo Toledano, Laborde et autres agents mexicains de Staline de me réduire au silence à la veille du troisième procès comme le gouvernement norvégien l’a fait après le premier procès (août 1936). Tels sont les ingrédients essentiels de cette préparation !

Cette fois encore, l’acte d’accusation contre les vingt-et-un inculpés n’est publié que quatre jours avant l’ouverture du procès, afin de surprendre l’opinion publique et d’empêcher que les réfutations soient faites à temps à l’étranger.

Le procès actuel surpasse celui de Radek-Piatakov par I'importance des accusés et se rapproche de celui de Zinoviev-Kamenev. Parmi les accusés ne figurent pas moins de sept anciens membres du Comité Central, dont Krestinsky, Boukharine, Rykov, anciens membres du bureau politique, c’est-à-dire I' institution qui constitue en réalité le pouvoir suprême de l’État soviétique.

Après la mort de Lénine, Rykov a été le chef officiel du gouvernement, pendant plus de cinq ans. Depuis 1918, Boukharine était rédacteur en chef de l’organe central du Parti, la Pravda, et, depuis 1926, chef officiel de l’Internationale communiste ; ensuite, après sa disgrâce, il devint rédacteur en chef des Isvestia. Rakovsky était chef du gouvernement ukrainien, puis nommé ambassadeur à Londres et à Paris. Krestinsky, prédécesseur de Staline au poste de secrétaire du comité central du parti, été ensuite ambassadeur à Berlin pendant plusieurs années. Pendant presque les dix dernières années, Iagoda est resté à la tête du G.P.U. en tant qu’homme de confiance de Staline et a préparé entièrement le procès Zinoviev-Kamenev. Dans la liste des accusés ne figurent pas moins de six anciens membres du gouvernement central.

Des neuf personnes qui furent membres du bureau politique du temps de Lénine, et étaient donc, de ce fait, les véritables maîtres du destin de l’U.R.S.S., une seule n'a pas encore été accusée, Staline. Tous les autres ont été déclarés agents d’une puissance étrangère et, qui plus est, les crimes dont ils sont accusés remontent à 1928 et même 1918. L’émigration russe blanche a plus d’une fois accusé Lénine, moi-même, ainsi que tous les autres dirigeants bolcheviks, d’avoir fait la Révolution d’Octobre sur ordre de l’état-major allemand. Staline essaie aujourd’hui de confirmer cette accusation.

Selon leurs tendances politiques, ceux des accusés que je connais se répartissent en trois groupes :

a) Boukharine et Rykov, anciens dirigeants de l’opposition de droite ; le troisième chef de ce groupe, Tomsky, ancien président du conseil des syndicats, a été conduit au suicide l’an dernier par les persécutions. Depuis 1923, l’opposition de droite s’est trouvée engagée dans une lutte sans merci avec l’opposition de gauche, dite trotskyste. C’est la main dans la main avec Staline, que Rykov, Boukharine et Tomsky ont mené toute la campagne de destruction de l’Opposition de gauche.

b) Le second groupe est composé de ceux qui ont effectivement appartenu, pendant un certain temps, à l’opposition de gauche. C’est le cas de Krestinsky et Rosengolz, qui sont pourtant passés à Staline dès 1927, et de Rakovsky qui a regagné le camp gouvernemental il y a quatre ans.

c) Le troisième groupe comprend des gens qui ont été des staliniens actifs ou sont au contraire des spécialistes apolitiques.

Le nom du professeur Pletnev jette une lumière particulière sur l’ensemble du procès. L’année dernière, il a été arrêté sous l’accusation de crime sexuel. Toute la presse soviétique en a parlé ouvertement. Aujourd’hui, Pletnev est impliqué dans un procès... de l’opposition politique. De deux choses l’une : ou bien les accusations de crime sexuel n’ont été portées contre lui que pour l’amener à faire les « aveux » nécessaires ; ou bien Pletnev est effectivement coupable de pratiques sadiques mais espère obtenir son pardon par des « aveux » dirigés contre I'opposition. Nous aurons peut-être l’occasion de vérifier ces hypothèses au cours du procès.

Comment Staline a-t-il pu en venir à cette nouvelle provocation contre l’opinion publique internationale ? La réponse à cette question bien naturelle comporte quatre éléments : 1) Staline méprise l’opinion publique ; 2) Il ne lit pas la presse étrangère ; 3) Les agents du Comintern dans tous les pays ne lui rapportent que ses « victoires » sur l’opinion publique ; 4) Les gens informés n’osent pas révéler la vérité à Staline. C’est ainsi qu’il est inconsciemment devenu la victime de sa propre politique. Il est obligé de boire de l’eau salée pour apaiser sa soif.