Un chapitre inédit du Capital. Résultats du procès de production immédiat

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Présentation par R. Dangeville[modifier le wikicode]

1. Le plus terrible missile[modifier le wikicode]

Pour Marx, la théorie est un acte matériel en même temps qu'un résultat abstrait des conditions sociales générales, dont l'intelligence fournit à l'action un cadre, une voie tracée et un but conscient. Ce n'est jamais qu'un premier pas, mais c'est déjà une conquête finale.

En ce sens, Marx affirmait que le Capital était « certainement le plus terrible missile qui ait encore jamais été lancé à la face des bourgeois (y compris les propriétaires fonciers) ».[1]

Marx a toujours attribué une importance primordiale à la théorie. Dès 1842, il affirmait : « Nous avons la ferme conviction que le véritable danger n'est pas dans les tentatives pratiques, mais dans la réalisation des idées communistes à partir de la théorie. En effet, on peut répondre par des canons aux tentatives pratiques, même si elles sont effectuées en masse. »[2]. Lorsque le socialisme dialectique découvre que la société évolue dans tel sens déterminé, les efforts des révolutionnaires, soutenus par la dynamique historique, prennent un maximum d'efficacité.

C'est dans le Capital précisément que Marx a énoncé « la loi concrète de la société moderne » qui aboutit à la crise générale du capitalisme et à une société supérieure, dont l'instauration s'impose inéluctablement comme tâche au prolétariat : « Il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose comme but momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être. Son but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable, dans sa propre situa­tion historique, comme dans toute l'organisation de la société actuelle. »[3]

En bon disciple de Marx, Lénine écrivit à propos du Congrès d'avril 1906, qui définit les tâches du prolétariat russe dans la révolution : « Le gros défaut de la presque totalité de la presse social-démocrate dans la question du programme en géné­ral et, en particulier, l'insuffisance des débats de notre Congrès de Stockholm, c'est que les considérations pratiques l'emportent sur les théoriques, et les considé­rations politiques sur les économiques. »[4]

Cette orientation de Lénine n'est pas fortuite, mais constante. Il est facile de cons­tater que ce fut un marxiste rigoureux et qu'il subordonna toujours son action aux principes doctrinaux, si l'on confronte son activité au cours historique de la révolution russe, de 1905 à 1917.[5] Bien des léninistes affirment le contraire et rejoignent sur ce point l'opinion bourgeoise la plus commune, pour qui Lénine est une espèce de surhomme qui a su manœuvrer en transgressant toutes les règles pour réussir une révolution dans des conditions qui n'étaient pas celles que Marx et Engels prévoyaient pour un bouleversement socialiste. La révolution russe n'eût pas été possible sans son action exceptionnelle : il n'aurait pas appris le marxisme, et la révolution future d'Europe occidentale n'aurait plus rien à apprendre ni du vieux marxisme, ni du génial Lénine.[6]

Si la révolution socialiste a triomphé dans la Russie de 1917, c'est que Lénine et, avec lui, le parti bolchevik ont su reprendre et manier avec énergie l'arme théorique, forgée par Marx. Dès 1899, en se fondant sur le modèle théorique du Capital, Lénine s'est mis à étudier l'organisation de la société russe en vue d'y découvrir la dialectique de son évolution : c'est sa vaste recherche sur le Développement du capitalisme en Russie (Ed. Soc., 758 p.). C'est encore cette méthode que Lénine, soucieux de voir le parti accomplir ses tâches premières, recommandait aux socialistes en 1906, comme on l'a vu.

« Le communisme est la théorie des conditions sociales et historiques de l'émancipation du prolétariat. L'élaboration de cette théorie a commencé dès la période des premiers mouvements prolétariens, face aux prétentions du système de production bourgeois; elle a pris forme dans la critique de l'économie capitaliste, dans la méthode du matérialisme historique, dans la pratique de la lutte des classes et dans la conscien­ce des bouleversements que manifestera le cours historique jusqu'à la chute du régime capitaliste et au triomphe de la révolution prolétarienne. » [7]

Dès 1899, c'est-à-dire avant même la révolution de 1905, Lénine concevait claire­ment les structures de la société russe et son développement. Il commença aussitôt de mettre en place sur l'échiquier du champ de forces les différentes classes, couches sociales, avec leurs partis et programmes, afin de déterminer leur rayon d'action et de prévoir la nature et le cours ultérieur de la révolution. Par la suite, chaque épisode de la lutte devait préciser le « schéma », en confirmant ou en infirmant - succès ou défaite de l'âpre lutte de classe - la justesse de cette prévision théorique. Au fur et à mesure, les partis, dépassés par l'évolution historique, étaient éliminés et la prévision s'imposait de plus en plus aux masses et à leur conscience. Cet art de la révolution, par sa cohérence logique tout autant que par ses effets pratiques, fit que la théorie devint effectivement une force en s'emparant des masses.

Plus que quiconque, Lénine a appris chez Marx-Engels et a épluché leurs textes, saluant toute publication nouvelle de leurs écrits comme une victoire et un renfor­cement du parti révolutionnaire. Sa lutte incessante contre les révisionnistes témoigne de la plénitude et de l'orthodoxie de son marxisme qui fut le secret de son efficacité pratique.[8]

2. Hommage à Lénine[modifier le wikicode]

C'est avec la victoire de la révolution russe que triompha le marxisme restauré par Lénine et qu'une partie considérable de l'œuvre de Marx, mise sous le boisseau, fit enfin surface[9] : les deux faits - le bouleversement politique, économique et social de l'immense Russie, et l'exhumation de quelques vieux papiers - sont évidemment sans commune mesure, mais un fil solide les relie néanmoins : l'intérêt porté par les bolcheviks aux idées de Marx.

Lénine ne se contentait pas de lire, il voulait connaître : « On ne saurait compren­dre entièrement le Capital de Marx, et notamment le premier chapitre, si l'on n'a pas étudié et compris toute la Logique de Hegel. En conséquence, on peut affirmer que, depuis un demi-siècle, aucun marxiste n'a compris Marx. »[10]

Lénine ne se proposait évidemment pas de décourager un éventuel lecteur du Capital. Pas plus que nous, il n'avait le pouvoir et l'intention de sonder les esprits pour établir ce que cette lecture avait donné pour résultat. Au reste, l'ouvrier apprendra plus du Capital - « la bible de la classe ouvrière », selon l'expression d'Engels - que de n'importe quelle autre lecture, même s'il commence par le second chapitre, puisque « la première partie qui contient l'analyse de la marchandise est d'une intelligence un peu difficile » (Marx).

Ce qui importe vraiment, c'est que Lénine se proposait de chercher, à tout prix, à saisir complètement la pensée de Marx, quitte à recourir à un auteur dont les travaux sur la dialectique et le raisonnement font autorité pour resserrer les fils qui traversent l'œuvre de Marx.

C'est en tout cas l'attitude inverse de celle des « marxistes » modernes, qui n'écrivent que pour rechercher une faille, afin de déformer la pensée de Marx, comme aucun révisionniste d'antan n'eût osé le faire : opposer Marx à lui-même, le mettre en contradiction avec ses propres affirmations et idées, en découpant par exemple son œuvre en écrits de jeunesse et en écrits de maturité.

Dans la Dialectique du Concret[11], Karel Kosik, notant que l'opposition entre le jeune Marx et le Marx de la maturité n'est possible qu'en faisant abstraction des ouvrages qui forment le relais entre les Manuscrits de 1844 et le Capital, entre la « philo­sophie » et l' « économie », estime que le meilleur moyen de combler les « lacunes », c'est de compléter l’œuvre publiée de Marx par ses écrits encore inédits et par ses travaux préparatoires, qui permettent de suivre jusque dans le détail le cheminement de sa pensée.

Roman Rosdolsky défend la même thèse, et commente comme suit l'aphorisme ci-dessous de Lénine : « J'ignore si beaucoup de marxistes ont médité cette phrase de Lénine et s'ils furent nombreux à suivre ce conseil. Quoi qu'il en soit, je pense que, depuis la publication des Fondements, il n'est plus aussi nécessaire d'avoir recours à ce détour aride qu'est l'étude complète de toute la Logique de Hegel pour comprendre le Capital de Marx. En effet, on peut désormais atteindre le même résultat grâce à l'étude de ces manuscrits préparatoires ».[12]

Cependant, Lénine n'eût sans doute pas trouvé dans les travaux préparatoires des Fondements ce qui lui paraissait manquer dans le premier livre du Capital. En effet, il précise que le point difficile en est le chapitre I°, consacré à l'étude de la marchan­dise et la monnaie, dont Marx dit qu'elles sont des formes devant encore se transformer en capital. Or, c'est le VI° Chapitre précisément qui traite en détail de la marchandise devenue capital.

Le fait que ce VI° Chapitre n'ait pas été publié explique le grave malentendu qui a pu surgir : le lecteur peut considérer que la marchandise simple, décrite au début du Capital, subsiste même dans le capitalisme développé, alors qu'elle change complète­ment de caractère. Cette évolution de la marchandise était tout à fait claire pour Marx, et ne prête pas à confusion dans le 1er livre du Capital, dont elle sous-tend l'argumen­tation.[13]

Avec la publication du VI° Chapitre, l'analyse marxiste de la marchandise-capital est explicite,[14] et le circuit de l'étude du capital, qui suit fidèlement le développe­ment historique, est bouclé.

Dans une lettre à Engels du 24.VIII.1867, Marx souligne combien il importe d'analyser correctement la marchandise et de définir clairement le capital en tant que création de plus-value, ce qui est proprement l'objet du VI° Chapitre, avec l'étude de la forme capitaliste développée : « Ce qu'il y a de meilleur dans mon livre, c'est : qu'il met en évidence, dès le premier chapitre, le caractère double du travail, selon qu'il s'exprime en valeur d'usage ou en valeur d'échange, et c'est sur quoi repose toute l'intelligence du texte; qu'il analyse la plus-value, indépendamment de ses formes particulières (profit, intérêt, rente foncière, etc.). C'est au second volume surtout que tout cela apparaîtra. Dans l'économie classique, ces formes particulières sont cons­tam­ment mélangées et confondues avec la forme générale, de sorte qu'il en résulte un fouillis inextricable. »

Tout était donc bien clair pour Marx. Les aléas de la vie et les difficultés de publi­cation et de traduction ont embrouillé les choses, du moins tant qu'on ne disposait pas de l'ensemble des écrits de Marx et d'Engels, publiés ou manuscrits : mais, c'est là plutôt la faute des « marxistes » que de Marx.[15]

3. Petite chronique[modifier le wikicode]

Il nous faut donc évoquer les conditions dans lesquelles fut rédigé le VI° Chapitre et le sort réservé à ce manuscrit : nous nous contenterons de l'essentiel et de ce qui est sûr.

Après avoir achevé en juin 1863 les 23 cahiers de 1472 pages in-quarto, intitulées Critique de l'économie politique, dont Engels tirera, avec le scrupule et l'exactitude dont seul il était capable, le texte du livre II du Capital, et Kautsky le texte du livre IV, connu en France sous le titre de Histoire des doctrines économiques (Éditions Costes), Marx se consacra à l'élaboration du gigantesque matériel en vue de la publication du I° livre, tout en développant parallèlement le canevas (en partie contenu dans les 23 cahiers, en partie réuni en cahiers successifs) du livre III, publié lui aussi, comme on le sait, par Engels.

En 1864, retrouvant la liaison entre théorie et pratique révolutionnaires, Marx est pris par son activité au sein de la I° Internationale, et il lui faudra presque quatre ans avant que le I° livre soit prêt pour l'impression.

C'est entre juin 1863 et décembre 1866 - et plutôt au début de cette période - que se situe la rédaction du présent cahier intitulé : Premier livre. Le procès de production du capital. - Sixième chapitre [16]. Résultats du procès de production immédiat. A la page 1110 du manuscrit de la Critique, Marx a tracé un plan du Livre I° qui permet de situer la place qu'il comptait donner au VI° chapitre :

« Le premier livre sur le procès de production du capital se subdivise comme suit :

1. Introduction. Marchandise. Argent.

2. Transformation de l'argent en capital.

3. La plus-value absolue ...

4. La plus-value relative ...

5. Combinaison de la plus-value relative et de la plus-value absolue. Rapports (proportion) entre travail salarié et plus-value. Soumission formelle et réelle du travail au capital. Productivité du capital. Travail productif et improductif.[17]

6. Reconversion de la plus-value en capital. L'accumulation primitive. La théorie coloniale de Wakefield.

7. Résultats du procès de production.[18] (Le change sous forme de la loi d'appro­priation peut être traité ici ou à la précédente rubrique).

8. Théorie de la plus-value.

9. Théories sur le travail productif et improductif.[19] »

Si le lecteur compare ce plan avec l'ordonnancement des chapitres de la première édition du Livre I du Capital, il notera que le I° chapitre (marchandise et argent) est devenu une introduction, de sorte que les chapitres se réduisent à six. Celui des Résultats du procès de production immédiat aurait alors été à sa place, la sixième. En revanche, les chapitres 8 et 9 ont disparu, tandis que Marx a substitué au chapitre 5 du plan le chapitre relatif aux Nouvelles recherches sur la production de plus-value, et le livre s'achève avec le Procès d'accumulation du capital, le VI° chapitre étant finale­ment écarté.

Il est sans doute oiseux de se demander pourquoi Marx a décidé finalement de ne pas reprendre le VI° chapitre pour lui donner sa place et une forme définitive à la fin du I° livre ou ailleurs. De même, ce serait pure spéculation que se demander si Engels n'en a pas tenu compte, parce que le livre I était désormais publié et n'admet­tait plus d'être complété, ou s'il savait de Marx qu'il fallait l'écarter du plan final du Capital, ou enfin s'il avait l'intention de le faire paraître séparément, ou parmi l'énorme matériel qui restait encore à publier après le livre III du Capital. Ce qui est certain, c'est que le manuscrit est resté dans les tiroirs jusque dans les années 1930[20].

Marx avait noté que l'économie politique bourgeoise avait culminé avec la phase révolutionnaire du mode de production capitaliste, et n'avait cessé de décliner et de dégénérer ensuite, sombrant dans l'économie vulgaire, pure apologétique du capitalis­me. Marx et Engels se sont battus pour rompre le mur du silence qui ne cessa d'entourer le Capital[21] et qui représente l'ultime moyen pour la bourgeoisie de combattre les effets de l’œuvre maîtresse de Marx. De fait, la pensée économique en décadence n'a jamais réussi à réfuter - voire à discuter sérieusement - le contenu de l'économie marx­iste, et la critique ne porte jamais que sur des questions de formes et de plus en plus sur des questions personnelles : elle préfère spéculer sur les intentions subjecti­ves, plutôt que d'aborder la discussion des idées exprimées. Ainsi, parlera-t-on à perte de vue sur le point de savoir si les Manuscrits parisiens de 1844 sont philosophiques ou économiques, sont une œuvre de jeunesse et donc ne sont pas une... œuvre de maturité, et pourquoi ces textes n'ont pas été rédigés pour l'impression, ce qui leur enlèverait une grande partie de leur importance.

Cette introduction au texte intégral du VI° Chapitre a pour but de parer à l'absence de discussion sur le fond, mais plus encore de faciliter au lecteur la compréhension d'un texte qui, faisant partie du Capital, est par définition ardu.[22] Il ne s'agit pas d'une présentation personnelle, mais de parti, non seulement pour ce qui est de l'élaboration, mais encore de la continuité de pensée avec le « parti Marx ».

4. Transition et synthèse[modifier le wikicode]

Formant charnière entre le I° livre (traitant de la production, non des marchandises, mais du capital) et le 2° livre (traitant de la circulation dans toute la société, non des marchandises, mais du capital), le VI° Chapitre rassemble tous les fils qui traversent l'œuvre de Marx pour former une unité significative de l'ensemble. Marx y traite d'un point central, du procès de production immédiat du capital, l'antre, le Saint des Saints, la forge du capitalisme. Il y définit le capital par ce qui le caractérise de manière spécifique et le distingue de toutes les formes - surtout les plus proches - qui, historiquement, le précèdent ou lui succèdent. Bref, par la formule definitio fit per genus maximum et differentiam specilicam, il s'efforce constamment de percer les mystifications du capital : la recherche économique suit un but politique.

Comme l'esclavage et le servage, le capital est production de plus-value, mais il la produit de manière systématique et à une échelle toujours croissante. Comme la production marchande simple, le capital se présente tout entier sous forme de mar­chandise, mais celle-ci a une structure complexe, étant composée d'une fraction de capital variable, de capital constant et de plus-value. En somme, cette production de plus-value est création de capital : la production capitaliste produit et reproduit tout le système (les rapports de production et de classes, les conditions de sa production nouvelle en même temps que ses produits matériels). Il apparaît de la sorte comme son propre fondement, donc éternel, et Marx s'acharne à combattre cette prétention exorbitante et cette mystification qui s'impose aux agents qui sont impliqués dans son procès, les capitalistes aussi bien que les ouvriers.

Après avoir déchiffré, dans la dynamique sociale, la nécessité de l'avènement du capitalisme, dans ses côtés négatifs aussi bien que positifs, Marx met en évidence que le capital développe en son sein les éléments d'une société supérieure. Il montre que cette évolution inéluctable est inscrite dans le cours des choses et naît de lui, avant de se révéler à la conscience des agents et classes du mode de production capitaliste.

5. Les marchandises capitalistes[modifier le wikicode]

La marchandise et l'argent existent bien avant le capital, mais ne survivent pas au capital. Néanmoins, avant le capitalisme, la marchandise n'est pas la forme générale du produit, l'excédent seul étant commercialisé dans les modes de production asiati­que, esclavagiste ou servile. L'argent, simple forme déterminée de la marchandise, ne se transforme en capital qu'au terme d'une longue période historique, et essentiel­lement au moment où la force de travail de l'ouvrier est elle-même devenue une marchandise : avec le salariat ayant atteint une grande ampleur.

Tant que dans l'agriculture, point de naissance du capital, une grande partie du produit est moyen de subsistance et qu'une grande partie de la population laborieuse n'est pas encore salariée, le capital ne jouit pas encore de la domination réelle et com­plète, même s'il a déjà conquis la sphère de la manufacture. Dans les Pages Éparses, citant l'exemple de la France, Marx montre que le système de la parcellisation du sol, en empêchant la formation d'une nombreuse main-d'œuvre disponible pour le capital, empêche le développement de l'industrie et des rapports spécifiquement capitalistes.

L'agriculture peut devenir une branche d'industrie gérée de manière capitaliste, lorsque tous ses produits sont portés sur le marché pour y être vendus, au lieu d'entrer dans la consommation immédiate. Tout cela se vérifie, même si une partie du produit de l'exploitation (les semences, la fumure, etc.) est restituée en nature à la production nouvelle : on en comptabilise la valeur en monnaie comme s'il avait fallu l'acheter.

Dans son évolution, le capital exige que la marchandise soit produite à grande échelle, sur des modèles fixes, avec un produit uniforme, bref une production de masse. Dès lors que la production est étroitement liée aux rapports sociaux de plein capitalisme, le lien immédiat qui existait dans la production marchande simple avec sa valeur d'usage et la satisfaction d'un besoin, devient tout à fait indifférent, contingent et inessentiel.

La marchandise produite dans le plein capitalisme se distingue de la marchandise simple qui fut l'élément initial de la genèse du capital, en ce qu'elle contient une fraction de capital variable (salaire), de capital constant et de plus-value, bien que sa seule source de valeur soit le travail. Étant désormais du capital, la mystification consiste en ce qu'il se présente, dans la circulation, à l'issue du procès de production, sous la même forme que la marchandise simple, produit qui s'achète et se vend pour satisfaire un besoin déterminé. Cette enveloppe masque sa structure interne qui correspond aux rapports de classe.

Dans la production spécifiquement capitaliste, toute marchandise apparaît - du point de vue de sa matière et de sa valeur - comme une fraction du produit total. Ce n'est donc plus une marchandise spécifique, un produit à part. Le résultat du procès capitaliste n'est plus la simple marchandise, mais une masse de marchandises, dont chaque élément comporte une fraction de la valeur avancée ainsi qu'une plus-value. Contrairement à ce que pensent les économistes bourgeois, le capital ne s'estime pas en fonction du patrimoine d'installations fixes et de machines (ce que Marx appelle la valeur des moyens de production), mais de la masse de marchandises produites, le chiffre d'affaires.

Le capitaliste prétendra toujours que son capital correspond au patrimoine d'entreprise sanctionné par un titre de propriété juridique d'une valeur, mettons, de 2 millions. L'économie marxiste affirme, au contraire, que son capital est de 20 mil­lions, son chiffre d'affaires annuel. La différence est de taille. En effet, si l'on admet avec Adam Smith que l'argent est le pouvoir de commandement ou de disposition du travail d'autrui, soit sous forme directe de la force de travail, soit sous la forme du produit du travail, le pouvoir d'un capitaliste est quantitativement décuplé - de 2 à 20 millions[23] - et l'on s'aperçoit que son pouvoir outrepasse la sphère de la production proprement dite. Ce n'est pas tout : comme ce capital se reproduit, sans diminuer - au contraire - d'année en année, ce pouvoir, mettons pour une génération, est de 500 millions pour... 2 millions, si nous multiplions le chiffre d'affaires de 20 millions par 25.

Dans ces conditions, la marchandise - en tant que support de la valeur totale du capital - doit s'exprimer en une masse déterminée, qui permette de la vendre effectivement sur le marché, c'est-à-dire de réaliser la valeur du capital avancé plus celle de la plus-value produite. Marx démontre ici qu'une marchandise (c'est-à-dire une fraction de la masse produite) ne peut se vendre à un prix de marché égal à sa valeur particulière. Le capitaliste fait l'estimation pour toute la masse : il isole, d'une manière ou d'une autre, dans la masse de marchandises la fraction de valeur transférée pour l'élément du capital constant (matières premières, usure des machines, etc.) et il recherche ensuite la différence avec la valeur du produit fini pour obtenir la fraction correspondant au capital variable (frais d'achat de la force de travail) et la fraction correspondant au profit créé dans le procès de production : cette estimation, fort éloignée de la détermination de la valeur, masque tous les gaspillages et les filouteries. Si l'on prend toute la production nationale, quelle part ne s'en va pas en fumée, quels que soient les bons gérants du capital ?

6. Rapports entre les éléments constitutifs de la marchandise-capital[modifier le wikicode]

Dès la Misère de la Philosophie, Marx avait parlé du travailleur ou de l'atelier collectif dans l'entreprise capitaliste, à la différence du travailleur individuel de l'économie parcellaire, artisanale ou paysanne, qui produit la marchandise simple. Dans le VI° Chapitre, il poursuit en parlant de la masse ou bloc de marchandises (mettons, 1 million d'automobiles, pour être moderne) qui représente le capital, sous la forme du produit qui sort annuellement du procès de production.

Comme nous l'avons vu, le capitaliste est incapable de déterminer la valeur exacte de chaque voiture produite, mais en fait une estimation grâce au calcul de moyenne. Ce qui est également essentiel pour la doctrine marxiste, c'est qu'il est tout aussi fastidieux et approximatif de calculer la valeur individuelle du travail de l'ouvrier particulier, dès lors que nous avons affaire à la grande industrie moderne. Ainsi, la réalité moderne dément la théorie de Proudhon et de Lassalle - et du « communisme des conseils » - selon laquelle chaque ouvrier doit toucher le fruit intégral de son travail : même si l'on voulait le faire, ce ne serait qu'une moyenne « injuste », et ce serait faire revivre la loi de la valeur-travail de l'économie mercantile.

C'est pourquoi, Marx qualifie cette théorie de réactionnaire. Le communisme moderne part des conditions mêmes de l'actuel développement économique et historique : d'où l'importance de l'analyse de l'évolution du capitalisme.

Ce que Marx entend démontrer c'est que le capitalisme produit sa propre négation au cours de son développement, et cette évolution antagonique est la source non seulement des crises et guerres violentes qui périodiquement déchirent le capitalisme, mais encore du mode de production socialiste futur. Dans les Fondements, etc., et le Capital, Marx a mis en évidence que le capital se dévalorisait de plus en plus, en dimi­nuant non seulement la valeur de la force de travail, mais encore celle des condi­tions de production en général, et ce, d'une manière inégale, spasmodique, et donc anarchique. Or, la loi fondamentale du capitalisme est celle qu'à énoncée Ricardo : la loi de la valeur-travail, qui permet d'évaluer le coût de toutes les marchandises (force de travail, machines, installations, matières premières, produit, etc.), de mesurer les conditions de la production et de la consommation et de rémunérer les divers agents.

Dans le VI° chapitre, Marx aborde ce même problème, en analysant les contradictions internes de la marchandise, produit du capital. Pour ce faire, il dresse cinq tableaux numériques, où il fait varier l'un des éléments constitutifs du capital-marchandise, afin de déterminer, du point de vue de la valeur, son effet sur les autres éléments ou la marchandise dans son entier.

Pour une même avance de capital et une même plus-value, la valeur de production ou prix de marché peut varier considérablement dans l'industrie - et plus encore dans l'agriculture - sans qu'il en résulte nécessairement une modification du taux de la plus-value, c'est-à-dire de l'intérêt du capitaliste.

Comme dans les exemples de Marx les fractions en shilling, pence et tiers de pence, compliquent la démonstration, nous avons dressé un tableau synthétique où tout est ramené à des nombres décimaux : si les chiffres changent, les rapports, à l'intérieur de chaque exemple et d'un exemple à l'autre sont les mêmes.

Les deux exemples de la manufacture de toile figurent dans les colonnes horizontales 1 et 2. Dans la première, les avances de capital sont de 1000 pour le capital cons­tant, et de 250 pour le capital variable et la plus-value (ces deux derniers élé­ments forment ce que Marx appelle la « valeur additionnelle », c'est-à-dire la valeur ajoutée dans le procès de travail, désignée dans notre tableau par la lettre V.). Le capital total est de 1500. Le taux de plus-value est de 1 (ou 100 %), la composition organique ou taux de productivité est de 4. Pour ces avances, nous supposons que la toile produite soit de 30 mètres, et le prix du mètre en sera de 50. Marx subdivise la masse globale (30 mètres) en les différentes fractions du capital : le capital constant représente 20 mètres, le capital variable 5 mètres et la plus-value 5 mètres également : la valeur ajoutée, somme des deux dernières, est donc de 10 mètres. L'autre partie du tableau reproduit les données pour l'unité de mar­chandise et permet une claire vision de la structure complexe de la marchandise et de ses évolutions et contradictions internes.

Cet exemple numérique correspond au premier donné par Marx en I-B. L'exemple suivant de Marx figure sous C-II, à la troisième ligne de notre tableau.

Nous n'entendons pas, évidemment, substituer notre tableau aux exemples numériques de Marx. Il permet simplement une première vision d'ensemble et nous évite d'entrer dans le détail des exemples que l'on trouve dans le texte. Nous pouvons donc aller directement à la conclusion[24] :

1. si le prix des marchandises change, le taux et la masse de plus-value peuvent rester constants. C'est ce qui ressort des exemples des deux premières lignes de notre tableau : le progrès de la technique capitaliste a fait tomber le prix de la toile de 50 à 40, cependant les ouvriers reçoivent le même salaire et les capitalistes le même profit : l'avantage social est indiscutable, et c'est ce qui justifie la supériorité historique du mode de production capitaliste par rapport aux modes antérieurs. Comme on le verra, Marx n'est pas du tout « ennuyé » par les côtés positifs du capitalisme, au contraire.

Variation des éléments

constitutifs de la marchandise-capital dans les exemples traités par Marx dans la première partie du VI° chapitre

Référence aux exemples de MarxBI & CIBIICIICIIICIIIa
Capital constant (c)10004300120010001250
Capital variable (v)250250250200250
Plus-value (p)250250350300375
Valeur ajoutée (V) soit : p + v500500600500625
Capital total (C) soit : c + v15004800180015001875
Taux de plus-value soit p/v en %100100140150150
Composition organique (produc­tivité) : c/v417,24,855
Quantité de produit (q)30120363037,5
Prix de l’unité (u) soit : C/q5040505050
Capital constant par unité (c/u)20107.5242025
Capital variable par unité v/u56,25545
Plus-value par unité p/u56,25767,5
Valeur ajoutée par unité V/u1012,5121012,5

2. si le prix des marchandises reste constant, le taux et la masse de plus-value peuvent changer. Les quatre cas des lignes I, III, IV et V confirment cette loi. Le prix de l'unité y est toujours de 50, mais dans le second cas (ligne III), la masse de plus-value est montée de 250 à 350 et son taux de 100 à 140 %, tandis que la productivité passe de 4 à 4,8 : s'il y a avantage pour le capitaliste, il n'y en a pas pour la société. Il a été obtenu en prolongeant la durée de travail de 20 %, comme cela se passe dans la phase initiale du capitalisme avec la soumission formelle du travail au capital : ceci implique que l'on tienne compte de ce que Marx a développé ailleurs[25]. Dans le cas de la ligne IV, au lieu d'augmenter la journée de travail, le salaire ouvrier est diminué, si bien que la plus-value passe de 250 à 300, et la productivité de 4 à 5. Là encore, aucun avantage ni pour la société, ni pour la classe ouvrière, et de nouveau soumis­sion formelle du travail au capital.

A la dernière ligne, le prix de marché et du salaire sont constants, mais la produc­ti­vité passe, pour des raisons techniques, de 4 à 5 : la masse de plus-value atteint sa valeur maxima avec 375, ainsi que la valeur ajoutée avec 625. Nous avons affaire à la soumission réelle du travail au capital, avec développement du machinisme et de la grande industrie. Historiquement, la productivité du travail augmente alors de plus en plus, et dépasse même celle de la ligne II, celle du seul exemple où le prix des marchandises a sensiblement diminué, cette fois, du fait du capitalisme pleinement développé et techniquement avancé[26]. Cela nous amène à la dernière loi :

3. le mode de production capitaliste tend à augmenter sans cesse la productivité du travail. Il accroît donc constamment la masse des moyens de production trans­formés en produit pour un même travail additionnel, qui se répartit sur une quantité toujours plus grande de marchandises, de sorte que le prix de la marchandise baisse de plus en plus.

Le prix de la marchandise évolue en rapport inverse du nombre total de marchan­dises produites : plus ce nombre augmente, plus le prix de chaque marchandise dimi­nue. C'est l'opposition fondamentale entre le développement de la valeur d'échange et celui de la valeur d'usage, qui aboutit à la dévalorisation générale de tous les éléments du capital, force de travail y comprise.

Pour déduire que le capital crée lui-même les conditions de l'abolition de la valeur, et donc du capital, du salariat et des classes, Marx se place dans la vision la plus optimiste du développement capitaliste (qui, en fait, crée de nombreux obstacles à cette tendance, notamment dans l'agriculture, où du fait de la rente, le produit se vend généralement au-dessus de sa valeur, comme le développe le livre III du Capital)[27].

Dans le Capital, Marx n'a pas voulu démontrer aux bourgeois qu'il eût su mieux qu'eux gérer le capital, ni répondre à la question absurde « qu'est-ce que le capi­tal ? », mais il y démontre que le capitalisme naît, vit et meurt (de mort violente), et, mieux encore, qu'il renferme dans son sein une société supérieure en contradiction directe avec lui.

La définition la plus ramassée et la plus dialectique que nous connaissions de l'œuvre centrale de Marx est la suivante : le Capital n'est pas la biologie, mais la nécrologie du capitalisme.

C'est en bonne logique que Marx termine cette première partie du VI° Chapitre en polémiquant avec Proudhon qui a une vision tout à fait erronée de la société socialiste et ne comprend pas qu'il est impossible aux travailleurs de reconquérir la totalité du fruit de leur travail par de simples augmentations de leur rémunération (salaire) : il s'agit bien d'abolir le capital aussi bien que son corollaire le salariat.[28]

7. La production capitaliste comme création de plus-value[modifier le wikicode]

Dans la seconde rubrique, Marx définit positivement le capital. Comme on le sait, les marchandises et l'argent existent dans l'histoire, bien avant qu'on puisse parler de production et de société capitalistes. Cependant, le capital moderne revêt toujours les formes élémentaires de la marchandise et de l'argent. Le capitaliste moderne est pos­ses­seur de marchandises et d'argent, bien que cette figure sociale lui soit antérieure. Mais, l'essentiel n'est pas là. En effet, ce qu'il importe de définir, ce sont les con­di­tions sociales spécifiques qui transforment la marchandise et l'argent en capital, et donc aussi leur possesseur en capitaliste.

Pour qu'une somme d'argent - capital potentiel - puisse devenir du capital réel, il faut un rapport social lui permettant de s'accroître, la somme d'argent devenant un fluens (dans les Fondements, etc., Marx dira procès, ou mouvement faisant perdre à l'argent (valeur) sa forme figée pour le faire entrer dans le procès de production, et son augmentation une fluxion.[29]

A la différence des formes simples de la production marchande (par exemple, l'artisanat individuel ou familial qui, pour se procurer ses objets de consommation, procède d'abord au troc, puis à l'échange monétaire entre équivalents), le capital se définit donc par le fait que si, avant le procès, le capital est une somme égale à x, cet x tend à devenir et devient du capital en se transformant en x + Δx, l'augmentation étant représentée par la lettre grecque Δ.

Le phénomène de x qui devient x + Δx n'existe pas seulement dans la forme historique capitaliste, mais encore dans d'autres formes historiques antérieures, telles que l'esclavage et le servage. Mais, Marx prend bien soin de préciser qu'il n'existe pas là où l'on échange uniquement des équivalents, c'est-à-dire dans la sphère de la production marchande simple, dont procède précisément le mode de production spécifiquement capitaliste.

Sur ce point, la mystification est la plus totale. En effet, comme le capital conti­nue de revêtir la forme de la marchandise et de l'argent, les économistes bourgeois attribuent au capital et au salariat les lois de la production marchande simple, et no­tam­ment le principe de l'échange d'équivalents alors que le capital se définit à l'inver­se par l'échange de non-équivalents. Marx explique que le capitalisme reprend donc les conceptions juridiques et idéologiques propres à la petite production marchande et les reporte sans plus de façon sur un mode de production différent : le capitalisme. Ce qui permet ce quiproquo, c'est le rapport entre acheteur et vendeur dans la sphère de la circulation, ce rapport restant formellement le même dans les deux cas.

Toute la superstructure idéologique et juridique du capitalisme développé n'est donc qu'un reflet de conditions de production dépassées. En effet, dès lors que la force de travail est devenue, à une vaste échelle, une marchandise, en étant salariée, la production marchande simple aboutit nécessairement au capitalisme et est elle-même détruite par la production capitaliste, qui élimine la production individuelle autonome et l'échange entre possesseurs ayant produit eux-mêmes leur marchandise, c'est-à-dire l'échange d'équivalents entre les producteurs. Désormais, quoique le capitalisme le maintienne et le glorifie, l'échange entre équivalents n'est plus qu'un vernis super­ficiel, masquant la réalité profonde des choses, qui ne se déroule pas dans le procès d'échange (circulation), mais dans le procès de production, où Marx nous entraîne pour définir le capital, de manière spécifique et fondamentale, comme création de plus-value.

Une mystification fatale pour le prolétariat est celle de Staline, qui affirme - à l'oppo­sé de Marx - que la production marchande ne conduit pas nécessairement au capitalisme[30], et que le socialisme continue de produire des marchandises : « Les kolkhoz n'acceptent pas aujourd'hui d'autres relations économiques avec la ville que celles intervenant dans les échanges par achat et vente de marchandises [conformé­ment à la théorie marxiste, ce sont les classes qui dictent au « dictateur »]. Aussi la production marchande et les échanges sont-ils chez nous, à l'heure actuelle, une nécessité pareille à celle d'il y a trente ans, par exemple, époque à laquelle Lénine proclamait la nécessité de développer par tous les moyens les échanges. »[31]

L'échange grâce auquel l'argent devient capital ne peut porter sur des marchandises, mais sur son contraire. la force de travail vivante. Le travail est la seule valeur d'usage contre laquelle l'argent, capital virtuel, peut s'échanger pour qu'il y ait conservation et augmentation de la valeur d'échange, plus-value. En effet, l'échange du capital et de la force de travail est essentiellement inégal : ce que l'ouvrier vend au capitaliste, c'est la valeur d'usage de sa force de travail, qui produira une valeur d'échan­ge bien supérieure à celle que l'ouvrier touche pour salaire. Dans le VI° cha­pitre, Marx appelle donc la force de travail capacité de travail[32].

La mystification est d'autant plus aisée ici qu'il y a plusieurs échanges que l'on peut confondre. En effet, l'ouvrier échange, selon le principe de l'équivalence, sa force de travail contre les moyens de subsistance nécessaires à la produire et à la reproduire, et cet échange qui se produit dans la sphère de la circulation marchande est aussitôt glorifié par les apologistes du capital pour montrer que l'ouvrier est libre de choisir, d'acheter et de consommer ses moyens de subsistance. Mais, cet échange de capital variable contre les moyens de subsistance, même s'il noue le rapport capitaliste, n'a rien à voir avec l'échange fondamental qui a lieu dans le procès de production, où l'ouvrier fournit au capitaliste la contrepartie de son salaire en produisant des marchandises en excédent, c'est-à-dire une valeur plus grande.

8. Procès de travail capitaliste comme valeur d'usage[modifier le wikicode]

La force de travail de l'ouvrier ne crée et ne multiplie pas seulement la valeur, mais elle transforme encore dans le procès de travail réel les éléments objectifs et sub­jectifs du capital avancé en des produits qualitativement et quantitativement nou­veaux. C'est elle qui change les moyens de production en éléments matériels de sa propre activité, les faisant passer de leur forme primitive de valeurs d'usage (matières premières à transformer et instruments à utiliser) en la forme nouvelle des produits du travail, ayant une autre valeur d'usage. Elle effectue une véritable transformation physico-chimique des matériaux introduits dans le procès de production. En ce sens, le procès de production est valeur d'usage.

Il convient ici de distinguer toutes les différences spécifiques parmi les éléments qui forment le procès de production et qui, dans l'optique bourgeoise, sont identiques du point de vue de la valeur d'échange - sauf pour ce qui est de la quantité - tous ayant été achetés avec l'argent du capitaliste.

En ce qui concerne le capital constant, on peut dire qu'il est la propriété absolue du capitaliste qui l'a acheté à sa valeur de marché. (Cependant, sa valeur monétaire ou marchande n'aurait jamais pu avoir d'effet comme capital, sans l'intervention d'un autre facteur, le travail vivant.) En ce qui concerne l'autre fraction, c'est l'argent avancé pour payer les ouvriers, la force de travail. C'est là qu'intervient la différence spécifique. L'emploi de cette seconde fraction du capital avancé consiste justement dans le procès de travail, celui-ci étant la fonction de l'ouvrier et non du capitaliste. Bref, les fractions de capital dans lesquelles le capitaliste a investi son argent opèrent de façon toute différente.

Le procès ne pourrait s'effectuer sans la fusion de ces deux valeurs d'usage,[33] et c'est à cause d'elle et d'elle seule que le résultat est plus grand que le capital avancé. Or, Marx démontre que la force vivante du travail est le seul facteur actif de cette fusion, la valeur créée ne provenant que du facteur variable. Par ailleurs, on se contente le plus souvent d'admettre que la valeur du capital constant utilisé ou usé dans le cycle de production se transmet sans plus à la masse des marchandises produites. Or, dit Marx, dans le procès de production, le travail vivant fait de l'instrument et de la matière le corps de son âme et les éveille d'entre les morts. Sans l'activité du travail vivant, les moyens de production objectifs se détérioreraient et fini­raient par se corrompre. Par exemple, grâce à son travail de tissage, l'ouvrier con­serve l'utilité du coton et de la broche qui constitueront le fil. De la sorte, le capitaliste obtient gratuitement le surtravail, ainsi que la conservation de la valeur des matières premières et des instruments. En ajoutant une valeur nouvelle à l'ancienne, le travail conserve et éternise le capital. En s'appropriant le travail présent, le capitaliste détient déjà une assignation sur le travail futur.[34]

L'analyse du procès de production, source véritable du capitalisme, révèle que les éléments objectifs de la valeur du capital dont l'un existe sous forme de matière première et l'autre sous celle de l'instrument ne sont plus séparés de l'ouvrier ou travail vivant du fait qu'ils sont la propriété du capital. De même, ils ne représentent plus des valeurs d'échange, mais de simples valeurs d'usage, de simples éléments de production pour l'ouvrier en activité.

Or, dit Marx, l'existence du capital et du travail salarié repose sur cette séparation. Sa conclusion est évidente : contrairement aux économistes bourgeois, qui affirment que l'achat des moyens objectifs de production assure la propriété de tout le produit au capitaliste, Marx met en évidence que le travail vivant, bien qu'acheté par le capitaliste, n'appartient pas à celui-ci, mais est et reste la fonction et le lot de l'ouvrier qui produit gratuitement l'ensemble des rapports de production. La réponse de Marx aux économistes et apologistes du capital est donc claire : expropriation des expro­pria­teurs capitalistes, et retour aux producteurs des moyens de production et du produit.

Marx tire ses déductions de l'analyse scrupuleuse de l'ensemble du mode de pro­duction capitaliste, et démontre que la production, même avec le machinisme et les procédés techniques les plus évolués, peut se poursuivre sans les capitalistes. En effet, l'acte fondamental de la production est l’œuvre du travail.

Si le capital domine cependant le travail vivant, c'est du fait de rapports sociaux déterminés de subordination qui, dans le capitalisme spécifique, se nouent, non pas dans le procès de production, mais dans un procès préalable et non essentiel, le procès de circulation marchande, avec l'achat-vente des conditions objectives et subjectives de la production.

Grâce à l'analyse scientifique et objective du mécanisme et de la dynamique du système capitaliste, Marx situe exactement où la révolution ouvrière devra porter le fer pour transformer le système social tout entier. Et de fait, il s'agit d'extirper tout le système de distribution et d'échange capitaliste, soit la sphère de la circulation où se nouent les rapports spécifiques d'exploitation, grâce au principe de l'équivalence dans l'échange des marchandises, avec le système monétaire et l'aliénation de la force de travail (salariat). Marx montre que dans le procès de production le capital lui-même abandonne sa valeur d'échange pour opérer seulement en fonction de la valeur d'usage. Salaire, marchandise, échanges privés, argent sont autant de formes revêtues par le capital dans la circulation.

Aussi la sphère de la circulation exprime-t-elle le plus nettement, dans le capitalisme développé, les limitations historiques du mode de production capitaliste. D'ores et déjà, il révèle qu'au fur et à mesure de son développement le capital est de plus en plus asocial et parasitaire : les statistiques les plus récentes elles-mêmes le prouvent et confirment l'analyse de Marx d'il y a plus de cent ans. En effet, depuis environ 10 ans aux États-Unis, et quelque deux ans en France, les frais de circulation dépassent les frais de production dans les marchandises produites par le système capitaliste. Cela signifie que la société actuelle dépense plus d'activité et d'énergie à réaliser les mar­chandises qu'à les produire, et que les revenus des improductifs dépassent en nombre et en volume ceux des classes productives.[35]

9. Procès de circulation et procès de valeur d'échange[modifier le wikicode]

Marx aborde ici la question de l'antagonisme fondamental entre le mode de circu­la­tion, de distribution ou d'appropriation privé (c'est-à-dire individuel, de groupes, d'associations anonymes ou de coopératives, bref de classe, à l'exclusion du reste de la population) et le mode de production réel, qui socialise de plus en plus les forces productives.

A ce point du texte, Marx démontre que si le procès de production est également procès de valorisation[36], c'est de par sa connexion avec l'acte de l'achat-vente de la force de travail dans la sphère de la circulation marchande, connexion qui n'est pas naturelle ni nécessaire, mais transitoire et créée par la société. Dans ce chapitre, Marx n'explique pas en détail comment l'échange entre capitalistes et ouvriers sur le marché se prolonge dans le procès de production par la circulation - ou distribution - des ouvriers et instruments au sein des branches productives, puis dans la circulation des produits de consommation aussi bien que de production : il se borne à étudier le point de départ fondamental de toute cette circulation et distribution propres au capitalisme : le marché du travail qui est, aux yeux de Marx, le marché principal.

C'est le rapport social, noué dans la sphère de la circulation et appuyé par tout l'écrasant ordre social, politique, juridique, administratif et commercial de la société, soit par la majeure partie des activités des individus d'une société de capitalisme déve­loppe, c'est ce rapport social qui contraint l'ouvrier à produire la plus-value pour le capital, la valeur d'usage de sa force de travail créant une quantité de produits plus grande que celle qu'il touche comme salaire, pour sa valeur d'échange. Cependant, le capitaliste n'y voit pas la source de sa richesse. Pour lui, propriétaire absolu des moyens de production objectifs, le capital par excellence est le coton ou la machine, bref des objets. Il identifie absolument valeur d'échange à valeur d'usage, de sorte que le capital apparaît inscrit dans la nature même des choses qu'il possède, et ce, en dépit du fait que le travail soit la source de toute valeur et de toute richesse. Dans ces conditions, les moyens de production objectifs, du point de vue capitaliste, ont pour seule fonction d'absorber la plus grande quantité de travail vivant possible. La force de travail qui valorise le capital, c'est-à-dire en conserve la valeur et lui ajoute une plus-value, apparaît comme force du capital. La domination de classe des capitalistes sur les travailleurs se fonde sur le procès d'aliénation du travail de l'ouvrier « libre ». Toute la production - et toutes les structures de la société - opèrent non pas pour produire le plus grand nombre de valeurs d'usage possible, mais pour obtenir la plus grande production possible de plus-value.

Pour que le capital puisse se valoriser, il faut donc deux sphères absolument différentes dans le procès d'ensemble.

La première est celle de la circulation des marchandises qui s'effectue sur le marché. Dans cette sphère d'échange pur, il y a non seulement l'achat de tout ce qui constitue le capital constant et la vente finale du produit, mais encore l'aliénation du travail vivant : la vente et l'achat de la force de travail qui s'échange contre un salaire en monnaie. Le travail y est traité comme une marchandise quelconque et est payé au cours en vigueur sur le marché du travail.

La seconde sphère, absolument indépendante quoique conditionnée par la première, représente la consommation par le capital de la force de travail achetée : c'est le procès de production.

Marx établit d'ores et déjà que si l'ouvrier ne vendait pas sa force de travail pour pouvoir vivre, la richesse matérielle ne pourrait pas se transformer en capital ni s'accumuler en quantités croissantes. C'est par rapport au travail salarié que tous les objets représentant les conditions objectives du travail deviennent du capital. Sans salariat, pas de production de plus-value. Partout où il y a salariat, monnaie et mar­chandise, il y a donc plus-value et capitalisme, même si ce pays s'appelle l'U.R.S.S.

Une fois effectué l'échange entre capital variable et force de travail, l'unique prémisse indispensable à la valorisation du capital est fournie. L'auto-valorisation du capital, c'est, une fois les choses démystifiées, la valorisation grâce au seul effet du travail, c'est-à-dire le procès de consommation réel de la force de travail dans l'acte de production.

Dans la sphère de circulation, capitaliste et ouvrier opèrent comme tous les pos­ses­seurs de marchandises. L'opération respecte le code bourgeois et le principe mercantile de l'échange d'équivalents. Une seule chose distingue l'ouvrier des autres ven­deurs du marché : la nature spécifique de sa marchandise pour ce qui est de sa valeur d'usage. Si l'ouvrier est amené à offrir sur le marché cette marchandise originale, c'est qu'il n'est propriétaire d'aucune autre marchandise ou bien.

Marx met ici en évidence un point cardinal non seulement économique, mais encore politique et social, à savoir que le véritable prolétariat révolutionnaire est celui qui ne possède rien et dont la force de travail n'a pas de valeur.[37]

Déjà dans les conditions actuelles, la force de travail est, de par elle-même, sans valeur, ni ne sert à rien, si elle ne trouve pas les conditions objectives de son travail dans les mains d'une série de capitalistes auprès desquels l'ouvrier doit aller les chercher, et que Marx appelle tout simplement capitalistes n° 1, 2 et 3, selon qu'ils possèdent l'argent, les moyens de production ou les moyens de subsistance.

Dans la réalité, le phénomène peut se compliquer autant qu'on voudra, mais en substance les capitalistes n° 1, 2 et 3 dans leur ensemble (classe) sont les possesseurs exclusifs (monopolistes) de l'argent, des moyens de production et de subsistance.

Marx va encore plus loin, il définit simplement le capitaliste comme la personnification du capital, et cette puissance étrangère - à l'ouvrier, il la décrit comme un « fétiche », doué de volonté et d'une âme exploiteuses. En somme, dans sa formule géniale, ce sont ces marchandises, animées par le démon capitaliste, qui s'incarnent dans le capitaliste, jouent le rôle d'acheteuses de personnes humaines et font du salarié moderne un esclave qui se vend lui-même.

Cette analyse abstraite du capital n'a rien de « philosophique », elle est parfaitement économique et scientifique. Elle souligne que le rapport social objectif est déter­minant et dépasse les considérations juridiques du titre de propriété. Au reste, dans ce contexte, Marx n'utilise jamais le terme de « bourgeois » au sens de l'individu qui est propriétaire dans la société civile. En résumé, « le travail appartient à l'ouvrier pour ce qui est de la peine et de l'effort, et au capitaliste pour ce qui est de la substance créatrice de richesses toujours plus grandes » c'est-à-dire des richesses accumulées.

10. Fonctions du capitaliste[modifier le wikicode]

Après la définition du capital par une analyse « statique », Marx reprend l'analyse « cinétique », historique, afin d'élucider certains points particuliers : la fonction du capitaliste dans le procès de production d'ensemble, par quoi les économistes bourgeois justifient le revenu capitaliste du profit ainsi que le système capitaliste tout entier et à tout jamais.

Le capitaliste « fonctionne », d'une part, dans le procès de circulation grâce au­quel le procès de travail devient procès de valorisation, d'autre part, dans le procès de produc­tion qu'il dirige et surveille.

Marx est catégorique en ce qui concerne le procès de circulation. le capitaliste y joue, certes, un rôle « économique » en choisissant de manière adéquate les valeurs d'échange et d'usage, mais, dit-il, on introduirait « la pire confusion si l'on considérait le temps consacré par le capitaliste à la circulation comme du temps créant de la valeur ou de la plus-value ».[38] De toute façon, « le capital, en tant que tel, n'a pas de temps de travail en dehors de son temps de production... Les frais de circulation représentent une déduction sur les valeurs produites. Si ces fonctions diminuent les faux frais et ajoutent quelque chose à la production, ce n'est pas en créant des valeurs, mais en réduisant les déductions à opérer sur les valeurs produites. Si elles remplissaient à fond leur rôle, elles ne représenteraient jamais que le minimum possi­ble des faux frais de production. »[39]

En ce qui concerne le procès de production, le capitaliste, comme tel, n'y travaille pas, car telle est la fonction du travail vivant qui est salarié. En effet, « le temps du capitaliste est du temps superflu, temps de non-travail, temps non créateur de valeur, bien que ce soit le capital qui réalise la valeur produite ».[40] Si le capitaliste y travaille néanmoins, « il ne crée pas de plus-value parce qu'il travaille en tant que capitaliste, mais parce que, mise à part sa qualité de capitaliste, il travaille lui aussi. Cette partie de la plus-value n'est donc plus du tout de la plus-value, mais son contraire : un équivalent pour du travail accompli. »[41]

De fait, pour devenir capitaliste, le chef hiérarchique doit posséder un certain volume de moyens objectifs de production et d'ouvriers, afin d'avoir du temps libre pour exercer les fonctions du capital. Certes, aujourd'hui encore, il y a des artisans en voie de se transformer en capitalistes, mais c'est un phénomène secondaire à l'échelle de la production actuelle. Cependant, il entretient l'idée du travail utile des capitalistes.

Quoi qu'il en soit, Marx montre qu'avec l'évolution de l'économie capitaliste, la séparation entre profit d'entreprise et salaire d'administrateur devient de plus en plus nette et empêche les apologistes du capital de justifier tant soit peu le profit par ce travail. Pour preuve, Marx cite, d'une part, les coopératives des ouvriers où toutes les fonctions sont assumées par des travailleurs et, d'autre part, les sociétés par actions où des salariés remplissent les fonctions de direction et d'administration. Et de conclure : « le capitaliste disparaît du procès de production comme superflu ».[42]

C'est ce que Marx développe dans l'analyse relative à la soumission réelle du travail au capital, stade auquel le capital « perd tous ses caractères individuels » (p. 219), la contrainte n'étant plus extérieure au procès du travail, comme dans la sou­mis­sion formelle, mais objective, au sein du mécanisme lui-même : les machines elles-mêmes dictent un rythme intensif au travail vivant.

En somme, Marx a déjà réglé la question du rôle du capitaliste dans le procès de circulation et de production, en attribuant au seul travail vivant la faculté de produire un excédent, de la plus-value.

11. Soumission formelle du travail au capital[modifier le wikicode]

Cependant, Marx observe que si le capitaliste n'est pas un travailleur productif dans ses fonctions spécifiques au sein du procès de circulation au sens où il créerait de la plus-value, il n'en reste pas moins qu'à l'échelle historique, la classe capitaliste a été une « classe productive par excellence ». C'est ce que Marx explique dans la partie consacrée à la soumission formelle du travail au capital : c'est en s'assujettissant les ouvriers - par une action qui va bien au-delà de l'étroite sphère de production - que le capital obtient d'eux une augmentation des forces productives. Bref, par rapport au féodalisme, le capitalisme constitue un progrès considérable, et le Manifesteaffirme que : « la bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire ». De fait, Marx soutient, pour un temps, le représentant de l'économie politique classique révolutionnaire, Ricardo, et va jusqu'à le défendre : « A juste titre, Ricardo considère, pour son époque du moins, que la production capitaliste EST LA PLUS AVANTA­GEUSE pour la production de richesses. Il veut la production pour la production, et en cela il a raison. S'il voulait prétendre - comme le font certains de ses adversaires sentimentaux - que la production, en tant que telle, ne peut être le but, cela reviendrait à oublier que la formule « la production pour la production » signifie simplement développement de toutes les forces productives humaines, posé comme son propre but. Si l'on oppose à un tel but le bien-être de l'individu, comme l'a fait Sismondi, on prétend que le développement de l'espèce doit être arrêté pour assurer le bien-être de l'individu, que par exemple, il ne faut jamais faire la guerre, parce que ce serait tuer des individus. On ne comprend pas alors que le développement des capacités de l'espèce humaine, bien qu'elle se fasse d'abord au détriment de la majorité des individus et de classes entières, BRISERA FINALEMENT CET ANTAGONISME et se confondra avec le développement de l'individu. En somme, le développement supérieur des individus ne se conquiert qu'au travers d'un procès historique dans lequel les individus sont continuellement sacrifiés. »[43]

Même si le temps de travail consacré à faire circuler les marchandises ne crée jamais de valeurs, mais se déduit des valeurs produites, par rapport à la production marchande simple, où le producteur perdait une partie considérable de son temps à marchander, le capitalisme diminue, sans aucun doute, le temps de circulation des marchandises de manière draconienne. Cependant, parvenu à un certain stade de son évolution, le capital, par rapport aux forces productives développées alors, tend à augmenter de plus en plus le temps de circulation aux dépens du temps de production : le capitalisme doit alors céder la place à un mode de production plus avantageux pour l'humanité.

D'autre part, si le temps consacré par le capitaliste à la production est du travail qui ne produit pas de plus-value, il a cependant un effet économique. Deux simples exemples : lorsqu'un capitaliste surveille et stimule l'ouvrier : « Vas-y, fainéant ! », son langage est un acte économique, « productif », non parce qu'il crée de la valeur ou de la plus-value, mais parce qu'il oblige autrui à en créer davantage, simplement parce que le capitaliste lui fait sentir que chaque minute perdue lui enlève une fraction de son profit.[44]

De même, un capitaliste, qui concentre une centaine d'ouvriers dans un seul atelier, fait que ces ouvriers pris ensemble vont produire davantage que lorsqu'ils étaient séparés; pourtant ce n'est pas le capitaliste qui produit la plus-value, mais bien les ouvriers.

En résumé, le capital est plus productif que la production marchande simple, parce que, ayant séparé de force les producteurs de leurs moyens de production lors du procès dit d'accumulation primitive, il peut contraindre les travailleurs à lui céder gratuitement - sans équivalent - une partie de leur travail. En d'autres termes, dans le régime capitaliste, au procès de production immédiat s'ajoute le procès de valori­sation, qui est conditionné par la sphère de la circulation et les rapports de domina­tion capitalistes dans la société politique et la vie privée. Et Marx précise que c'est là une forme générale de toutes les phases d'évolution de la société capitaliste. C'est dire que les structures idéologiques ou politiques ne sont pas un simple reflet de l'écono­mie, mais bien plutôt son prolongement complexe dans des sphères d'activité (politique, militaire, administratif, religieux, éducatif, juridique), servant à maintenir et à perpétuer la domination bourgeoise dans tous les domaines. C'est en ce sens que la violence ou l'État est un agent économique (Engels).[45]

Ce qui distingue donc la production spécifiquement capitaliste de la production marchande simple, c'est que cette dernière est, en théorie, un système fondé sur le seul procès de production immédiat, sans qu'il y ait contradiction avec les autres institutions sociales. En effet, le procès de production immédiat enchaîne rapports physiques et opérations matérielles pour transformer les moyens de production en produits, sans considérer les intermédiaires constitués par les institutions sociales et les rapports de classe. Une société de production marchande simple, si elle avait jamais existé de par elle-même[46] ou ailleurs que dans les utopies petites-bourgeoises de Proudhon, Lassalle ou du communisme de conseil moderne, serait un enchaîne­ment de rapports sociaux calqués strictement sur le procès matériel de travail, chaque ouvrier, proportionnellement à sa capacité ou sa force de travail, mettant à la disposition de la société la quantité requise de matières premières et d'instruments, sans devoir en partager la disposition avec personne : il toucherait l'intégralité des fruits de son travail.

Or, cette union est abolie et brisée définitivement par la société capitaliste : la violence et le pouvoir politique y sont aussi une puissance économique. A ce point du Vle chapitre, il faut tenir compte non seulement du rôle de la violence dans l'accu­mulation primitive du capital, mais encore de toutes les luttes et révolutions politiques qui ont permis à la bourgeoisie de s'emparer des rênes du pouvoir dans la société et d'imposer sa domination au travail. Même s'il ne décrit que le procès de production capitaliste dans le VI° Chapitre, toute l'analyse de Marx désigne ses études et ouvrages « politiques ».

Dans sa phase initiale, le capitalisme reprend le procès de production tel qu'il le trouve, c'est-à-dire avec les techniques et procédés développés par la société pré­capitaliste. Le capital impose simplement une domination formelle à l'ouvrier au sein du procès de production, domination formelle, au sens où elle est encore extérieure au procès de production, et non encore produite par celui-ci, comme cela est le cas dans la domination réelle. La domination formelle implique la rupture de l'unité entre producteur et moyens de production, autrement dit l'expropriation des artisans et paysans parcellaires. Cette unité, le capital ne la rétablira que dans le procès de production réel, mais à ses conditions et à son profit.

Marx note à ce propos que la force productive isolée (individuelle) du travail est désormais impuissante, non seulement lorsqu'elle ne trouve pas les conditions objectives de production, mais encore lorsqu'elle n'est pas associée à de nombreuses autres forces de travail vivantes et soutenue par la science qui se développe dans tous les secteurs de la société (de nombreuses découvertes viennent de la guerre, ou bien de Chine et d'Arabie, et certaines se font en regardant une marmite ou en se prélassant sous un pommier).

12. Travail productif et improductif[modifier le wikicode]

Marx procède à la façon d'un bulldozer : il commence par la critique générale du capitalisme et ébranle d'un coup de boutoir l'édifice tout entier, puis il continue dans le détail, le rouleau compresseur écrasant au fur et à mesure ce qui reste encore debout. La tâche de Marx est déjà très avancée lorsqu'il aborde la question du travail productif et improductif : il ne s'agit plus que de classifier les différents travaux effec­tués dans la société. Tout serait simple, sans les mystifications de l'apologétique bourgeoise.

Marx nous entraîne en plein dans l'histoire et la dialectique : il n'entend nullement nous apprendre quels métiers - les « productifs » seront maintenus dans la société future - ce serait utopique et réactionnaire. Il démontrerait, bien plutôt, comment la société capitaliste elle-même est de moins en moins productive et de plus en plus improductive, d'après ses propres critères d'appréciation.[47]

Marx commence par le travail productif et improductif tel qu'il est défini dans la production marchande simple, qui est, en théorie, procès de production immédiat : est productif tout travail qui se réalise dans un produit, une marchandise. Dans un sens encore plus large, quiconque aura fabriqué un objet, même s'il n'est pas destiné à l'échange, fait un travail productif.

Dans le mode de production capitaliste, il faut considérer comme improductif tout travail qui ne sert pas à augmenter la masse de plus-value, et, en substance, de capital. L'ouvrier doit donc être considéré comme productif ou improductif en fonction du travail qu'il effectue : tout travail créant de la plus-value, c'est-à-dire valorisant le capital, sera vraiment productif.

Mais, la mentalité bourgeoise ne reconnaît pas ce principe, dont les économistes classiques étaient pourtant bien proches : considérant comme naturels et éternels la forme capitaliste et le travail salarié, elle finit par appeler productif et utile tout travail qui trouve à s'employer, car sinon il ne serait pas payé.

Dans le texte, Marx dit que toutes les activités, depuis celle du roi à celle de la prostituée (nous dirions aujourd'hui du président des États-Unis au dernier parasite) sont, en fin de compte, salariées, et donc considérées comme productives d'une manière ou d'une autre. De fait, la société américaine, par exemple - ne demande pas à un individu s'il collabore à la production de certaines marchandises socialement utiles, mais s'il a un « job ». Pourvu qu'il réussisse à faire entrer de l'argent dans son bilan personnel, nul ne lui demandera, si son activité ou le temps pendant lequel il est occupé contribue à la production de quelque chose.

Dans l'Anti-Dühring (1878), Marx et Engels affirment qu'avec le capitalisme développé, « la bourgeoisie s'avère comme une classe superflue : toutes ses fonctions sociales sont maintenant remplies par des employés rémunérés. » (Éditions Soc., p. 323). La mystification est désormais à son comble : exploités et exploiteurs sont tous des travailleurs salariés[48], comme s'il n'y avait plus de profiteurs (on pratique, bien sûr, pour ceux-là, la politique des « hauts salaires »). Qui plus est, tous les salariés, quels qu'ils soient, sont utiles et indispensables, et ce, bien que le capital développe davantage les travailleurs improductifs, vivant de la plus-value, que les ouvriers productifs, vivant vraiment d'un salaire créateur de la plus-value. Toutes les « va­leurs » sont désormais renversées : plus on travaille durement et productivement, plus le salaire est bas.

La mystification s'opère en reprenant les critères de la société marchande sim­ple, et en rejetant ceux de l'économie bourgeoise classique. Si l'on considère comme productifs même ceux dont la tâche consiste à manger la plus-value créée par d'autres ou à maintenir les obstacles à la production en s'agitant dans la sphère de la circulation pour réaliser tant bien que mal les marchandises produites, on peut qualifier pour toujours les capitalistes de « classe productive par excellence ».

Pour le vieux Malthus, l'ouvrier productif est celui qui augmente directement la richesse de son patron. Aujourd'hui encore, le marxisme définit comme travail pro­ductif celui qui produit de la plus-value, du moins tant que nous sommes en société capitaliste.

La confusion règne sur ce point plus encore qu'il y a un siècle ou deux, du fait que le système capitaliste devient de plus en plus improductif et parasitaire et se justifie de moins en moins à l'échelle de l'humanité.

13. Produit brut et produit net[modifier le wikicode]

Sur ce point aussi, l'évolution est considérable entre l'économie classique d'antan et l'économie vulgaire d'aujourd'hui. Il est normal qu'au début du capitalisme, les économistes prêchent les vertus de l'épargne et prônent les mesures les plus efficaces pour obtenir le rendement le plus fort. Et Marx de citer Ricardo. Puisque le but de la production capitaliste (et donc du travail productif) n'est pas l'existence des produc­teurs, mais la production de plus-value, tout travail nécessaire (salaire) qui ne produit pas de surtravail est superflu et sans valeur pour la production capitaliste. Toute production (produit brut) qui ne sert qu'à l'entretien de l'ouvrier, c'est-à-dire ne con­tient pas de surtravail, est aussi superflu que l'ouvrier lui-même. En d'autres termes, il ne faut que le nombre d'hommes qui, dans la société, est susceptible de créer du profit au capital. C'est tout le problème des pays sous-développés où le capital est incapable de procurer du travail rentable aux grandes masses.

En somme, le but de la production capitaliste est le produit net, dont la forme concrète est le surproduit réalisé en plus-value. Aujourd'hui, la mystification sur ce point ne porte pas sur le contenu, mais sur les termes : l'équivoque naît de la définition du produit. Le produit brut est le résultat d'ensemble de la production d'une entreprise ou d'une nation entière. Or, les bourgeois classiques ne distinguent que deux parties dans le produit brut : le capital total avancé dans la production, le profit réalisé dans celle-ci, que chaque entreprise a coutume d'appeler son revenu net.

Les marxistes ont toujours divisé le produit brut en trois, en distinguant le capital constant et le capital variable, à quoi s'ajoute la plus-value.

Si le produit net est assimilé au revenu net, alors son rapport au produit brut va en diminuant, et nous obtenons la loi marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit.[49]

Aujourd'hui, on feint d'admettre la division marxiste du produit brut en trois parties, afin de brouiller les distinctions de classe. Dans ce but, on admet l'existence de la partie constante du produit brut, mais on cherche à confondre - surtout à des fins politiques - la plus-value et les salaires. On en arrive ainsi, à l'Est, à la « propriété des moyens de production du peuple », et à l'Ouest, à la moderne politique des revenus.

On maintient la plus-value pour la part (croissante) à réinvestir dans la production nouvelle, et l'on prétend éliminer le « profit » en ne versant plus que des « salaires ». Ce qui, entreprise par entreprise, se définit comme valeur ajoutée par le travail au cours de la production, est considéré comme le patrimoine commun de la classe des entrepreneurs et de la classe travailleuse, et on en déduit, par exemple, le revenu par tête d'habitant, sans se demander quelle partie de la population appartient à la classe dominante et quelle autre à la classe exploitée.

Le socialisme n'est plus alors un mode de production et de distribution nouveau, mais un capitalisme à peine retouché par la prétendue élimination des revenus découlant d'un titre de propriété (en fait de quelques revenus d'actionnaires dans les monopoles de l'industrie).

La clé de voûte de la courbe du développement capitaliste est la composition organique du capital. c'est-à-dire le rapport entre sa partie constante et sa partie variable. Avec les progrès techniques, la productivité du travail augmente et du même coup ce rapport. La mystification capitaliste cherche à faire croire que la masse de travail objectivé dans le capital constant n'est pas la base de la domination capitaliste sur la classe ouvrière, mais un patrimoine commun... puisqu'il participe à créer les revenus de tous et profite à toute la nation.[50]

14. La mystification du capital[modifier le wikicode]

Il est évident, même aux yeux du simple bon sens, que toutes les forces produc­ti­ves appartiennent au travail, et donc à la classe qui travaille. Mais toute l'organisation de la présente société et le poids des idées traditionnelles dont elle est infestée, conduisent à faire croire que les forces productives sont une propriété inhérente au capital. De la sorte, le caractère social moderne du travail humain, avec son rende­ment fabuleux, on l'attribue, non à la puissance collective du travail humain, mais à celle du capital. Le capital s'octroie le mérite de diminuer historiquement le prix des objets manufacturés produits par le travail associé, afin de se déclarer maître pour toujours de ce qui a été accumulé. Par ce mensonge et par bien d'autres, il veut faire oublier que, par rapport aux régimes antiques, il a provoqué un renchérissement des moyens de subsistance vitaux et transformé la majeure partie de l'humanité en une masse d'affamés. Pendant ce temps, la petite minorité des peuples privilégiés et de leurs classes supérieures elles-mêmes vit sous la menace effrayante de guerres, de crises catastrophiques, d'inflation et de pénurie générale.

Les mystifications du capital ne sont pas de purs et simples mensonges, mais représentent toute l'organisation sociale actuelle qui est dépassée et inadéquate par rapport aux forces de production sociales développées Par le prolétariat moderne, Marx ne combat donc pas pour dévoiler la vérité, mais pour abattre tout l'ordre aliéné et mystificateur qui prévaut actuellement dans la société.

Dans les Fondements, Marx écrit : « Si l'ouvrier découvre que les produits du travail sont les siens, s'il condamne sa séparation d'avec ses conditions de travail et juge qu'on lui impose une situation intolérable, il aura acquis une immense conscien­ce, qui découle d'ailleurs du mode de production reposant sur le capital » (tome I, p. 426-427).

Cette claire conscience ne découle pas de la propagande d'idées vraies (les mystifications ont une certaine réalité), mais de l'évolution du champ des forces sociales. L'ouvrier ne se soumet au futur sort d'esclave ou lutte pour la future condition de maître que parce qu'il choisit, qu'il le veuille ou non, le présent en fonction de l'avenir : il façonne son présent dans la perspective de l'avenir. Mais l'avenir se déter­mine déjà dans l'immédiat.[51] En effet, la dialectique du mouvement immédiat des choses transforme dès à présent le futur, soit en dévalorisant le futur de l'esclave comme situation intolérable, soit en valorisant le futur de l'esclave comme situation tolérable, selon la crise ou la « prospérité » du capitalisme.

15. Le capital produit et reproduit l'ensemble des rapports capitalistes[modifier le wikicode]

Du point de vue immédiat, les entreprises capitalistes produisent des marchandises, dont la valeur d'échange réalisée sur le marché est propriété exclusive du capi­tal individuel (entreprise ou son propriétaire). Mais dans sa définition des caractères spécifiques de la forme, capitaliste, Marx a établi que le but de celle-ci n'est pas la valeur d'échange des produits vendus et encore moins leur valeur d'usage, mais la marge bénéficiaire que l'on appelle plus-value. C'est pourquoi, le capital est beaucoup plus qu'une masse de marchandises et d'argent, c'est une valeur qui se valorise, une valeur qui engendre plus de la valeur, du capital qui se reproduit.

Marx va encore plus loin : le phénomène social le plus significatif est que la classe capitaliste - surtout à ses débuts - ne consomme qu'une petite partie de la plus-value, destinant le reste à l'investissement de capital additionnel. Ainsi le procès d'accumu­lation est immanent au procès capitaliste de production. Il implique la création de nouveaux salariés (femmes, enfants, couches de la population occupées précédemment dans l'agriculture familiale, etc.) : le capital produit à une échelle toujours plus large les travailleurs salariés productifs.

Enfin : « Le procès de valorisation du capital a essentiellement pour but de produire des capitalistes et des travailleurs salariés. C'est ce que l'économie politique oublie complètement, car elle ne retient que les choses produites. » Or, la reproduc­tion de ce rapport des classes est « un résultat plus important de ce procès que n'en sont les produits matériels ».[52]

Traduit en termes sociaux et politiques, cela signifie qu'il est impossible au capitalisme, tant qu'il n'est pas abattu par les forces enserrées dans ses contradictions internes, d'être autre chose que lui-même, de se « réformer », étant condamné par sa nature même a se reproduire continuellement et à une échelle quantitative toujours plus vaste, avec les caractères et les rapports entre « personnes », c'est-à-dire entre les classes, qui le caractérisent de son point de départ à son point d'arrivée.

Marx montre que des rapports d'une fixité complète se nouent entre les individus dans la sphère de la circulation et que le procès de valorisation de la production capitaliste les produit et les reproduit sans cesse. Cependant, le procès de production réel crée bien davantage, malgré les entraves que représentent toute l'organisation et l'ordre de la société bourgeoise : une création sans cesse nouvelle à une échelle crois­sante, soit pour le capital une continuelle surproduction : « L'inadéquation crois­sante du développement productif de la société aux conditions de production actuelles se manifeste au travers de contradictions tranchantes, de crises et de convulsions. Les destructions violentes de capital dues non pas à des conditions extérieures, mais à celles de sa propre conservation, telle est la forme la plus frappante de l'avertissement qui lui est donné de céder la place à un mode de production supérieure, et de disparaître. »[53]

La faculté du travail humain de créer des quantités plus grandes et des qualités nouvelles ne saurait être toujours contenue et stérilisée : le travail fera voler en éclats les chaînes qui l'enserrent.

I. Les marchandises comme produit du Capital[modifier le wikicode]

Dans ce chapitre, nous examinerons trois points :

1º Les marchandises, comme produits du capital et de la production capitaliste.

2º La production capitaliste est création de plus-value, et enfin

3º elle est production et reproduction de l'ensemble du rapport, par quoi le procès de production immédiat obtient son caractère spécifiquement capitaliste.

Dans la rédaction ultime, celle pour l'impression, le premier de ces trois points est à placer à la fin, et non au début, parce qu'il représente le passage au Livre II, le procès de circulation du capital. Cependant, pour plus de commodité, nous commencerons par ce premier point.[54]

A. Caractéristiques générales[modifier le wikicode]

La forme la plus élémentaire de la richesse bourgeoise - la marchandise - constitue le point de départ de notre livre et la condition préalable à la formation du capital. Or, désormais, les marchandises apparaissent, en outre, comme le produit du capital. En bouclant de la sorte le circuit, notre analyse suit donc étroitement le développement historique du capital.

L'une des conditions de genèse du capital l'échange de marchandises - le commerce - se développe à partir de niveaux de production certes différents, mais ayant en commun le fait que la production capitaliste, ou bien n'y existe pas du tout, ou bien n'y surgit que d'une manière tout à fait sporadique. Par ailleurs, l'échange mercantile développé et la marchandise comme forme sociale, universelle et nécessaire du produit, ne peuvent être que le résultat du mode de production capitaliste.

Si nous considérons les sociétés de production capitaliste développée, nous voyons que la marchandise y surgit constamment comme condition d'existence et pré­supposition élémentaire du capital en même temps que comme résultat immédiat du mode de production capitaliste.

La marchandise et la monnaie sont donc, l'une et l'autre, des présuppositions élémentaires du capital, mais elles ne deviennent du capital que dans des conditions déterminées. En effet, le capital ne peut se former que sur la base de la circulation des marchandises (ce qui implique la circulation monétaire), donc à un niveau de développement assez important du commerce. A l'inverse, la production et la circu­lation de marchandises n'ont nullement pour condition d'existence le mode de production capitaliste; en effet, « on les trouve aussi dans les formations sociales pré­bourgeoises », comme nous l'avons déjà expliqué[55]. D'un côté elles sont la présupposition historique, du mode de production capitaliste; de l'autre côté, - c'est seule­ment sur la base de la production capitaliste que la marchandise devient la forme universelle, tout produit devant désormais adopter la forme de marchandise. Dès lors, la vente et l'achat ne portent plus seulement sur l'excédent, mais encore sur la substance même de la production, les différentes conditions de production elles-mêmes devenant en général des marchandises, qui passent de la circulation dans le procès de production.

C'est pourquoi, nous pouvons dire, d'une part, que la marchandise est la condition préalable à la genèse du capital et, d'autre part, qu'elle est essentiellement le produit et le résultat du procès de production capitaliste, lorsqu'elle est devenue forme générale et élémentaire du produit. Aux stades antérieurs de la production, une partie des produits seulement revêt la forme de marchandise. En revanche, le produit du capital est nécessairement marchandise (cf. Sismondi)[56]. C'est pourquoi, à mesure que se développe la production capitaliste, c'est-à-dire le capital, on constate aussi que se réalisent les lois générales que nous avons dégagées à propos de la marchandise, par exemple celles qui régissent la valeur dans la forme développée de la circulation monétaire.

On observe alors que les catégories économiques existant déjà aux époques précapitalistes de production acquièrent, sur la base du mode de production capita­liste, un caractère historique nouveau et spécifique.

L'argent - simple figure métamorphosée de la marchandise - ne devient capital qu'à partir du moment où la capacité de travail de l'ouvrier est transformée en mar­chandise. C'est ce qui implique que le commerce ait conquis une sphère où il n'apparaissait que sporadiquement, voire en était exclu. Autrement dit, la population laborieuse ne doit plus faire partie des conditions objectives du travail, ou se présenter sur le marché en producteur de marchandise : au lieu de vendre le produit de son travail, elle doit vendre son travail, ou mieux sa capacité de travail. C'est alors seulement que la production, dans toute son ampleur, en profondeur comme exten­sion, devient production de marchandise. En conclusion, la marchandise ne devient forme élémentaire générale de la richesse que sur la base de la production capitaliste.

Par exemple, tant que le capital ne domine pas encore l'agriculture, on continue de produire une grande partie des denrées comme simples moyens de subsistance, et non comme marchandises. De même, une importante fraction de la population laborieuse reste non salariée et la plupart des conditions de travail ne sont pas encore du capital[57].

Tout cela implique que la division du travail développée - telle qu'elle apparaît par hasard au sein de la société - et la division du travail capitaliste au sein de l'atelier s'engendrent et se conditionnent réciproquement. En effet, la marchandise - forme déterminée du produit - et donc l'aliénation du produit comme forme nécessaire de l'appropriation supposent une division du travail social pleinement développée. Or, c'est seulement sur la base de la production capitaliste - et donc aussi de la division du travail capitaliste au sein de l'atelier - que tout produit revêt nécessairement la forme mercantile, et que tous les producteurs sont nécessairement des producteurs de marchandises. C'est donc seulement sur la base de la production capitaliste, que la valeur d'usage est en général médiatisée par la valeur d'échange.

Les trois points suivants sont décisifs :

1. Ce n'est que la production capitaliste qui fait de la marchandise la forme générale de tous les produits.

2. La production de marchandises conduit nécessairement à la production capitaliste, dès lors que l'ouvrier cesse de faire partie des conditions de production objec­tives (esclavage, servage) ou que la communauté naturelle primitive (Inde) cesse d'être la base sociale; bref, dès lors que la force de travail elle-même devient en général marchandise.

3. La production capitaliste détruit la base de la production marchande, la production individuelle autonome et l'échange entre possesseurs de marchandises, c'est-à-dire l'échange entre équivalents. L'échange purement formel entre capital et force de travail devient la règle générale.

A ce point, il est parfaitement indifférent de déterminer la forme sous laquelle les conditions de production entrent dans le procès de travail. Peu importe si elles ne transmettent que progressivement leur valeur au produit, telle une fraction du capital constant, entre autres les machines, ou bien si elles s'y dissolvent physiquement, comme la matière première; ou enfin si une partie du produit est de nouveau utilisée directement par le producteur lui-même comme moyen de travail, telle la semence dans l'agriculture, ou bien s'il doit vendre pour en reconvertir l'argent en moyen de travail. Tous les moyens de travail produits - outre qu'ils servent de valeurs d'usage dans le procès de production - opèrent maintenant aussi comme élément du procès de valorisation. Si on ne les convertit pas en argent véritable, du moins les estime-t-on en monnaie de compte et les tient-on pour des valeurs d'échange; bref, on calcule très exactement l'élément de valeur qu'ils ajoutent au produit, sous une forme ou sous une autre.

Par exemple, dans la mesure où la production capitaliste, se fixant à la campagne, transforme l'agriculture en branche d'industrie exploitée de manière capitaliste et produisant pour le marché des articles destinés à la vente, et non à la consommation directe, on calcule ses dépenses et on traite en marchandise - et donc en argent - chacun de ses articles (peu importe d'ailleurs qu'il soit acheté au producteur par un tiers ou par lui-même); bref, dans la mesure où la marchandise est traitée comme une valeur autonome, elle est argent.

Dès lors qu'ils sont vendus comme marchandises - et sans cette vente, ils ne se­raient même plus des produits - le blé, le foin, le bétail, les diverses semences, etc. entrent dans la production comme marchandises, et donc aussi comme argent. Tout comme les produits, les conditions de production qui sont d'ailleurs produites elles aussi, deviennent des marchandises, et le procès de valorisation implique qu'elles soient calculées comme des grandeurs monétaires, sous la forme autonome de valeurs d'échange.

Constamment, le procès de production immédiat est dès lors union indissoluble entre procès de travail et procès de valorisation, tout comme le produit est unité de valeur d'échange et de valeur d'usage, autrement dit marchandise.

Mais, il y a plus que ce changement formel : à mesure que les fermiers achètent ce dont ils ont besoin - et que se développe donc le commerce des semences, des engrais, du bétail, etc. - ils vendent eux-mêmes plus de produits de leur travail. C'est ainsi que, pour chacun de ces fermiers, les conditions de production passent effecti­ve­ment de la circulation dans le procès de production, et la circulation devient toujours davantage présupposition de sa production, les conditions de celle-ci apparaissant de plus en plus comme des marchandises, réellement achetées ou achetables. De toute façon, ces articles et moyens de travail sont pour eux des marchandises, et forment donc aussi des éléments de valeur de leur capital. Même lorsqu'ils les remettent en nature dans leur propre production, les fermiers les calculent comme s'ils les avaient vendus à eux-mêmes. Tout cela se développe au fur et à mesure que le mode de production capitaliste gagne l'agriculture, et que celle-ci est gérée comme une fabrique.

En tant que forme universelle et nécessaire du produit et détermination spécifique au mode de production capitaliste, la marchandise se manifeste de façon tangible dans la production à grande échelle qui s'instaure au cours du développement capitaliste : le produit devient toujours plus unilatéral et massif, ce qui lui imprime des traits sociaux étroitement dépendants de la nature des rapports sociaux existants, en même temps qu'un caractère contingent, inessentiel et indifférent vis-à-vis de sa valeur d'usage et de la satisfaction du besoin des producteurs.

La valeur d'échange de ce produit de masse doit être réalisée. Il lui faut donc par­courir le cycle des métamorphoses de toute marchandise, non seulement parce que le producteur doit, de toute nécessité, disposer de ses moyens de subsistance pour pro­duire en tant que capitaliste, mais encore parce que le procès de production doit continuer et se renouveler : il tombe donc dans la sphère du commerce. Celui qui l'achète n'est pas le consommateur immédiat, mais le marchand dont la fonction spé­ci­fique est de réaliser la métamorphose des marchandises (Sismondi.) Enfin, le produit se mue en marchandise, et donc en valeur d'échange, à mesure qu'au sein de la production capitaliste, les branches productives se multiplient et se diversifient, en même temps que la sphère d'échangeabilité du produit[58].

La marchandise, à l'issue de la production capitaliste, diffère de celle qui en a été l'élément et la présupposition au départ. De fait, nous sommes partis de la marchan­dise particulière, article autonome matérialisant une certaine quantité de temps de travail, et donc une valeur d'échange de grandeur donnée. Or, à présent, la marchan­dise a d'autres caractéristiques :

1. Abstraction faite de sa valeur d'usage, elle renferme une quantité déterminée de travail socialement nécessaire. Mais, alors qu'il importe peu - et en fait il est com­plètement indifférent - de connaître l'origine du travail objectivé dans la marchandise tout court, il faut que la marchandise, produit du capital renferme pour partie du travail payé, et pour partie du travail non payé. (Nous avons déjà vu que cette expression n'est pas tout à fait correcte, puisque le travail en tant que tel ne se vend ni ne s'achète directement.) Mais, une somme de travail s'est objectivée dans la mar­chan­dise. Abstraction faite du capital constant pour lequel est payé un équivalent, une partie de ce travail objectivé est échangée contre son équivalent en salaire, une autre est appropriée sans équivalent par le capitaliste. Toutes deux sont objectivées et constituent des fractions de valeur de la marchandise. C'est donc pour plus de brièveté seulement que nous parlons de travail payé et de travail non payé.

2. Chacune de ces marchandises n'est pas seulement une partie matérielle du produit total du capital, mais une partie aliquote du lot (fr.) produit. Il ne s'agit plus d'une marchandise particulière et simple, d'un produit existant à lui tout seul devant nous; le procès n'a plus pour résultat de simples marchandises particulières, mais une masse de marchandises dans laquelle se sont reproduites la valeur du capital avancé + la plus-value (surtravail approprié), dont chacune contient et la valeur du capital et celle de la plus-value produite.

Le travail utilisé pour chacune des marchandises en particulier ne peut plus être déterminé, sinon par un calcul de moyenne; bref, par une estimation idéelle. On évalue d'abord la fraction du capital constant qui n'entre dans la valeur du produit total que pour autant qu'il est usé, puis les conditions de production consommées collectivement, et enfin le travail directement social et moyen d'une foule d'ouvriers coopérant dans la production. Bref, c'est un travail dont on calcule la valeur par péréquation, car on ne peut plus calculer le travail dépensé pour chaque marchandise en particulier. On l'estime donc idéellement, comme partie aliquote de la valeur totale; et, dans la détermination du prix de la marchandise, ce n'est plus qu'une partie idéale du produit total dans lequel se reproduit le capital.

3. En tant que produit du capital, la marchandise porte la valeur totale du capital + la plus-value, contrairement à la marchandise autonome, considérée à l'origine. Cette marchandise est une métamorphose du capital qui vient de se valoriser, et elle se révèle dans le volume et les dimensions de la vente, qui va s'effectuer en vue de réaliser la valeur originelle et la plus-value produite, ce qui ne s'obtient pas en vendant à leur valeur chacune des marchandises ou une partie d'entre elles.

B. Rapports entre les éléments constitutifs de la marchandise-capital[modifier le wikicode]

Nous avons déjà vu que la marchandise doit avoir un double mode d'existence pour pouvoir passer dans la circulation. Il ne suffit pas qu'elle se présente à l'acheteur comme article ayant certaines propriétés utiles pour la consommation individuelle ou productive, c'est-à-dire comme valeur d'usage déterminée; sa valeur d'échange doit recevoir une forme autonome qui se distingue de sa valeur d'usage, ne serait-ce qu'idéellement. Bref, elle doit représenter l'unité aussi bien que la dualité de la valeur d'usage et de la valeur d'échange. Comme pure existence du temps de travail social objectivé, sa valeur d'échange revêt une forme autonome, indépendamment de la valeur d'usage, dans le prix, qui est l'expression de la valeur d'échange en tant que telle, c'est-à-dire dans l'argent, ou plus précisément dans la monnaie de compte.

En fait, certaines marchandises ne cessent d'exister d'un point de vue particulier. Par exemple, les chemins de fer, les grands travaux immobiliers, qui ont une telle continuité et une telle ampleur que tout le produit du capital avancé se manifeste dans une seule marchandise. Faut-il pour autant leur appliquer la loi valable pour la marchandise particulière et autonome, à savoir que son prix n'est rien d'autre que sa valeur exprimée en argent, la valeur totale du capital + la plus-value s'exprimant directement dans la marchandise particulière en monnaie de compte ? Dans ces con­di­tions, le prix de cette marchandise ne se déterminerait pas autrement que celui de la marchandise particulière d'antan, simplement parce que le produit total du capital se présente dans la réalité comme une seule marchandise. Il est inutile de s'attarder davantage sur cette question.

Cependant, la plupart des marchandises sont de nature discrète, discontinue (du reste, même les marchandises continues peuvent être traitées idéellement comme des quantités discrètes). En d'autres termes, si on les considère comme masse d'un article déterminé, elles sont divisibles selon les mesures qu'on applique communément à leur valeur d'usage : par exemple a boisseaux de blé, b quintaux de café, c aunes (ou mètres) de toile, x douzaines de couteaux, l'unité de mesure étant la marchandise elle-même.

Examinons tout d'abord le produit total du capital qui, quelles que soient sa dimension et sa nature discrète ou continue, peut toujours être considéré comme une seule marchandise, comme une seule valeur d'usage, dont la valeur d'échange apparaît elle aussi dans un prix exprimant la valeur totale du produit tout entier.

En analysant le procès de valorisation, nous. avons vu qu'une partie du capital constant avancé (installations, machines, etc.) ne transmet au produit que la portion déterminée de valeur qu'elle perd en opérant comme moyen de travail dans le procès de travail; que cette partie n'entre jamais matériellement, sous sa forme propre de valeur d'usage, dans le produit; qu'elle continue de servir dans le procès de travail, pour une longue période, à la production de marchandises, et que la portion de valeur cédée au produit pendant sa période de fabrication s'évalue d'après le rapport de cette période à toute la période d'utilisation du moyen de travail, c'est-à-dire à la période au cours de laquelle toute sa valeur est consommée et transmise au produit. Par exemple, lorsque le capital constant avancé sert pendant dix ans, il suffit d'un calcul de moyenne pour déterminer qu'en une année il a transmis ou ajouté un dixième de sa valeur au produit. Après qu'une masse donnée de produits ait été rejetée du procès de production, une portion du capital constant continue donc à servir de moyen de travail et à y représenter une valeur déterminable d'après un calcul de moyenne, puisqu'elle n'est pas entrée dans la valeur de la masse des produits fabriqués. Sa valeur totale n'est donc déterminante que pour la valeur de la masse de produits à la fabrication desquels elle a contribué : on déduit de la valeur totale la valeur transmise en un laps de temps donné, comme partie aliquote de cette dernière, c'est dire qu'on évalue le rapport entre la période d'utilisation donnée et la période totale où elle fonctionne et transmet au produit la totalité de sa valeur. Pour ce qui est de la partie dont la valeur n'est pas encore entrée dans la masse des marchandises déjà produites, on peut la négliger dans ces calculs, ou l'estimer comme nulle par rapport à la masse produite. Ou bien, et cela revient au même pour notre démonstration, on peut admettre, pour simplifier, que tout le capital - y compris sa partie constante,- qui passe intégralement dans le produit au bout d'une longue période - se résout entièrement dans le produit du capital total considéré.

En conséquence, si nous admettons que le produit total correspond à 1.200 mètres de toile de lin, le capital avancé de 100 livres sterling (£), dont 80 représentent le capital constant, et 20 le capital variable, et que l'ouvrier travaille la moitié de la journée pour lui et l'autre moitié gratuitement pour le capitaliste, le taux de plus-value étant de 100 %, la plus-value produite sera de 20 £ et la valeur totale des 1.200 mètres de 120, dont 80 ajoutés par le capital constant et 40 par le travail vivant additionnel (dont la moitié équivaut au salaire ouvrier, et l'autre moitié représente le surtravail ou plus-value).[59]

Étant donné qu'à l'exception du travail additionnel, les éléments de la production capitaliste entrent dans le procès de production comme marchandises, c'est-à-dire avec leur prix, on a déjà la valeur - sous forme de prix - de ce qu'apporte le capital constant dans l'exemple ci-dessus, 80 £ pour le lin, les machines, etc. En revanche, pour ce qui est du travail additionnel, le salaire est déterminé par les moyens de subsistance nécessaires à l'ouvrier, soit 20 £, tandis que le surtravail est égal au travail payé, si bien qu'il doit s'exprimer dans un prix de 40 £ puisque la valeur dans laquelle se manifeste le travail additionnel dépend de sa quantité, et non de sa rétribution. En conséquence, le prix total des 1.200 mètres de toile, produits par 100 £ de capital, s'élève à 120 £.

Dès lors, comment détermine-t-on la valeur de chacune des marchandises, mettons d'un mètre de toile ? Évidemment, en divisant le prix total de tout le produit par le nombre de parties aliquotes - en lesquelles - selon l'unité de mesure adoptée - le produit se subdivise, autrement dit, en divisant le prix total du produit par le nombre d'unités de mesure contenues dans la masse de sa valeur d'usage, soit dans notre exemple : 120 ₤ / 1 200 mètres, ce qui nous donne le prix de 2 sh. par mètre de toile. Ce mètre peut lui-même se diviser encore en de nouvelles parties aliquotes, le demi-mètre par exemple, auquel nous pouvons également fixer un prix. En bref, on détermine le prix de chacune des marchandises en prenant dans le calcul sa valeur d'usage comme aliquote du produit total, et son prix comme aliquote correspondante de la valeur totale produite par le capital.

Cependant, on a déjà vu qu'en raison d'une plus ou moins grande productivité (force productive du travail), un même temps de travail peut s'exprimer en des quantités très diverses de produits, autrement dit : une valeur d'échange de même grandeur peut se manifester en des quantités très variables de valeurs d'usage. Dans l'exemple que nous avons choisi[60], le capital constant - lin, machines, etc. - de 80 £ était mis en mouvement par le travail représenté par 40 £; si la productivité du travail de tissage quadruple, on aura quatre fois plus de matière première ouvrée, soit 320 £ de lin : le nombre de mètres quadruplera, et passera de 1.200 à 4.800. Or, le travail additionnel de tissage sera - avant comme après - de 40 £, puisque sa quantité ne varie pas. En conclusion, le prix total des 4 800 mètres est maintenant de 360 £, et le prix du mètre 360 ₤ / 4 800 mètres = 1 ½ sh. (ou 18 pence) au lieu de 2 sh. (ou 24 pence). Son prix a donc diminué du quart, puisque le capital constant inclus dans le mètre a absorbé un quart de travail additionnel en moins dans sa transformation en toile. En d'autres termes, la même quantité de travail de tissage s'est répartie sur une quantité supérieure de produits.

Mais, pour notre démonstration, il vaut mieux choisir un exemple où la somme de capital avancé reste la même, tandis que la productivité du travail, à la suite de conditions purement naturelles - par exemple une saison plus ou moins propice - s'exprime en des quantités très variables d'une même valeur d'usage, mettons de blé[61]. Admettons que pour produire ce blé, la quantité de travail dépensé par acre de terrain s'exprime en 7 £, dont 4 £ pour le travail additionnel et 3 £ pour le travail déjà objectivé dans le capital constant. Des 4 £ de travail additionnel, 2 sont du salaire et 2 du surtravail, soit un taux de 100 %. Cependant, la récolte va changer, en raison de conditions naturelles.

Nombre total des boisseaux :Prix de vente d'un boisseau :Valeur

ou prix du produit total :

Si le fermier obtient5il peut vendre chacun à28 sh.7
Si le fermier obtient4 ½il peut vendre chacun à31 sh.env.7
Si le fermier obtient4il peut vendre chacun à35 sh.7 £
Si le fermier obtient3 ½il peut vendre chacun à40 sh.7 £
Si le fermier obtient3il peut vendre chacun à46 sh.8 d.7 £
Si le fermier obtient2 ½il peut vendre chacun à56 sh.7 £
Si le fermier obtient2il peut vendre chacun à70 sh.7 £

La valeur ou prix du produit total, obtenu par un capital de 5 £ avancé pour un acre, reste ici toujours invariable, soit 7 £. puisque la somme avancée en travail objectivé ou en travail additionnel vivant reste constante, quoiqu'un même travail s'exprime en des quantités très diverses de boisseaux. En conséquence, le boisseau, aliquote du produit total, a, à chaque fois, un prix différent.

Mais, cette variation du prix de chaque marchandise produite avec un même capital n'a absolument aucun effet sur le taux de la plus-value, c'est-à-dire le rapport entre plus-value et capital variable, ou la proportion selon laquelle l'ensemble de la journée de travail se divise en travail payé et non payé. La valeur totale en laquelle s'exprime le travail additionnel est identique, parce que, avant comme après, une même quantité de travail vivant s'ajoute au capital constant : le rapport entre plus-value et salaire (ou entre partie payée et non payée du travail) reste constant, quand bien même le mètre coûte 2 sh., au lieu de 1 ½ par suite de l'augmentation de la productivité du travail. Ce qui a changé pour chacun des mètres, c'est la quantité totale du travail de tissage qui s'y ajoute. En revanche, le rapport selon lequel cette quantité totale - petite ou grande - se divise en travail payé et non payé, reste le même pour chacune des parties aliquotes de la quantité contenue dans le mètre.

De même, dans le second cas (diminution de la productivité du travail en sorte que le travail additionnel se répartit sur un nombre moindre de boisseaux, une quantité de travail additionnel plus grande entrant dans chaque boisseau), l'augmenta­tion du prix du boisseau ne pourrait absolument rien changer au rapport dans lequel la quantité grande (ou petite) de travail absorbée dans chaque boisseau se divise en travail payé et non payé. Ainsi, il n'y aurait pas non plus de changement pour la plus-value totale produite par le capital, ni pour la partie aliquote de la plus-value contenue dans la valeur de chaque boisseau relativement à la valeur additionnelle.

Si, dans notre exemple, un travail vivant plus considérable s'ajoute à une quantité déterminée de moyens de travail, c'est dans le même rapport que s'ajoutent travail payé et travail non payé; si ce travail additionnel vivant est moindre, et ce, tout autant pour le travail payé que pour le travail non payé, le rapport entre ceux-ci reste inchangé.

Si nous faisons abstraction des diverses actions perturbatrices, dont l'examen n'a pas d'intérêt pour ce que nous recherchons ici, le mode de production capitaliste a pour tendance et résultat d'augmenter sans cesse la productivité du travail. C'est dire qu'il accroît constamment la masse des moyens de production transformés en produit par un même travail additionnel qui se répartit donc sur une masse toujours plus grande, de sorte que diminue le prix de chaque marchandise ou des marchandises en général.

Mais, ce meilleur marché n'implique en soi aucun changement, ni dans la masse de plus-value produite par un même capital variable, ni dans la proportion où le travail additionnel contenu dans chacune des marchandises se répartit en temps de tra­vail payé et non payé, ni dans le taux de plus-value réalisé dans chacune des marchan­dises.

Lorsqu'une quantité donnée de lin, de broches, etc. absorbe moins de travail de tissage pour transformer un mètre de lin, il n'en résulte aucun changement dans le rapport où le travail de tissage, plus ou moins grand, se divise en travail payé et non payé. La quantité absolue de travail vivant nouveau qui s'ajoute à une quantité déterminée de travail déjà objectivé ne change absolument rien au rapport où cette quantité, plus ou moins grande et variable pour chaque marchandise, se divise en travail payé et non payé.

En dépit de la variation du prix des marchandises a la suite d'une productivité accrue du travail, en dépit d'une baisse de prix et d'un meilleur marché des marchan­dises, le rapport entre travail payé et non payé, ainsi que le taux de plus-value réalisé par le capital, peuvent donc rester constants.

Par ailleurs, si la productivité variait dans le travail ajouté non pas aux moyens du travail, mais au travail créant les moyens de travail, dont en conséquence le prix aug­menterait ou baisserait, il est tout aussi clair que la variation de prix corrélative des marchandises ne modifierait pas la répartition du travail additionnel en travail payé et non payé.

A l'inverse, une variation du prix des marchandises n'exclut pas une parité constante du taux de plus-value, ni une même répartition du travail additionnel en travail payé et non payé. A son tour, un même prix des marchandises n'exclut pas une variation du taux de la plus-value, ni une division nouvelle du travail additionnel en travail payé et non payé.

Afin de simplifier, nous admettrons que, dans la branche d'industrie envisagée, il n'y ait aucune variation dans la productivité du travail total, et pour reprendre notre exemple, dans la productivité du travail de tissage ou du travail qui produit le lin, les broches, etc. : 80 £ sont avancées en capital constant, et 20 en capital variable, ces 20 £ représentent 20 jours de travail de 20 tisseurs. Dans notre hypothèse, ils pro­dui­saient 40 £ et travaillaient une demi-journée pour eux et une demi-journée pour le capitaliste.

Mais, à présent, nous supposons, en outre, que la journée de travail passe de 10 à 12 h., le surtravail augmentant de 2 h. par ouvrier. La journée totale de travail aurait donc augmenté d'un cinquième, de 10 à 12 h. Mais, comme 10 : 12 équivaut à 16 2/3 : 20, les 16 2/3 tisserands suffisent désormais à mettre en mouvement le même capital constant de 80 £, c'est-à-dire à produire les 1.200 mètres de toile. En effet, 16 2/3 ouvriers travaillant 12 h. font 200 h., tout comme 20 ouvriers travaillant 10 h. Cepen­dant, si nous conservons les 20 ouvriers, nous aurons 240 h. de travail additionnel, au lieu de 200. Comme la valeur de 200 heures quotidiennes s'expri­maient en 40 £ par semaine, ces 240 heures quotidiennes s'expriment en 48 £ par semaine.

Néanmoins, comme la force productive du travail, etc. est restée la même et que, pour ces 40 £, il y a 80 £ de capital constant, nous aurons, pour 48 £, un capital constant de 96. Le capital avancé s'élèvera donc à 116 £, et la valeur des marchan­dises produites à 144 £. Comme 120 £ représentent 1.200 mètres de toile, 128 £ en valent 1.280. Le mètre coûterait donc : 128 ₤ / 1 280 mètres = 1/10 soit 2 sh.

Le prix d'un mètre de toile resterait donc inchangé, parce que, avant comme après, il a coûté la même quantité totale de travail, sous forme de travail additionnel aussi bien que sous forme de travail objectivé dans les moyens de travail. Cependant, la plus-value contenue dans chaque mètre de lin a augmenté.

Nous avions précédemment 20 £ de plus-value pour 1 200 mètres, c'est-à-dire par mètre : 20 ₤ / 1 200 mètres = 2 /120 = 1/60 soit ⅓ de sh. ou 4 d. Or, nous avons à présent 28 £ pour 1 200, soit 5 ⅓ d. par mètre, puisque 5 ⅓ d. x 1 280 = 28 £, soit la somme de plus-value contenue dans les 1 280 mètres de toile. Les 8 £ supplémentaires de plus-value représentent à leur tour 80 mètres de toile (à 2 sh. le mètre), et, de fait, le nombre de mètres est passé de 1 200 à 1 280.

Dans ce cas, le prix des marchandises, ainsi que la force de travail et le capital avancé en salaires, restent identiques. Cependant, la masse de plus-value passe de 20 à 28 £, augmentant de 8 soit de 2 1/2 ou 5/2 de 10 £, puisque 8 X 5/2 = 40/2 = 20, soit de 40 %. Pour ce qui est du taux de plus-value, il passe de 100 à 140 %.

Ces maudits chiffres pourront être recalculés plus tard, voire rectifiés. Pour l'heure, il nous suffit de savoir qu'à prix de marchandises constants, la plus-value augmente, lorsqu'un même capital variable met en mouvement plus de travail et produit donc non seulement plus de marchandises au même prix, mais encore plus de marchandises contenant plus de travail non payé.

On trouvera le calcul exact dans le tableau suivant. Mais, auparavant, encore ceci : si, à l'origine, 20v = 20 journées de travail de 10 h. (étant des journées ouvrables de la semaine, on les multipliera par 6, ce qui ne change rien à l'affaire) et la journée de travail = 10 h., le travail total sera de 200 h.

Si la journée de 10 h. passe à 12 h. (et le surtravail de 5 h. à 7 h.), le travail total des 20 journées sera de 240 h.

Si le travail de 200 h. représente 40 £, 240 en représenteront 48. Si 200 h. transforment un capital constant de 80 £, 240 h. en transformeront un de 96 £

Si, enfin, 200 h. de travail produisent 1 200 mètres de toile, 240 h. en produiront 1 440.

Et voici le tableau ci-après (le prochain tableau).

A la suite de l'augmentation de la plus-value absolue, c'est-à-dire de la prolongation de la journée de travail, son rapport au sein de la quantité totale de travail est passé de 5 sur 5 à 7 sur 5, soit de 100 % à 140 %, et ce rapport est le même dans chacun des mètres. Cependant, la masse totale de la plus-value produite est déterminée par le nombre des ouvriers utilisés pour obtenir ce taux plus élevé. Si leur nombre diminuait par suite de la prolongation de la journée de travail, la même quantité de travail étant effectuée par moins d'ouvriers, on aurait le même accroissement du taux - mais non de la masse absolue - de la plus-value.

Supposons, à l'inverse, que la journée de travail reste la même, soit 10 h., et qu'à la suite d'un accroissement de la productivité du travail, non pas dans le capital constant servant au travail de tissage, ni dans ce travail lui-même, mais dans d'autres branches d'industrie dont les produits entrent dans le salaire, le travail nécessaire passe de 5 à 4 h., si bien que les ouvriers font à présent 6 h. - au lieu de 5 - pour le capitaliste, et 4 - au lieu de 5 - pour eux­ mêmes : le rapport entre surtravail et travail nécessaire, qui était de 5 sur 5, soit 100 %, est à présent de 6 sur 4, soit 150 %.

cvpValeur du produit totalTaux de plus-valueMasse de plus-valueMètresPrix du mètreQuantité de travail de lissage par mètreSur-travailTaux de plus-value
C I80 £20 £20 £120 £100 %20 £1.2002 sh.8 d.4 d.4/4 = 100 %
C II96 £20 £28 £144 £140 %28 £1 4402 sh.8 d.4 2/3 d.4 / 3 soit : 140 %
7 / 5 = le nombre d'heures passe de 5 à 7.

Comme on emploie, après comme avant, 20 ouvriers à raison de 10 h., ce qui donne 200 h., pour mettre en mouvement un même capital constant de 80 £, la valeur du produit total est toujours de 120 £, le nombre de mètres de 1 200, et le prix du mètre de 2 sh., puisque absolument rien n'a changé dans les prix de production. Le produit total (d'après la valeur) de 1 ouvrier était de 2 £ et de 20 ouvriers de 20 £. Mais, si à raison de 5 h. par jour, on a 20 £ pour la semaine, à raison de 4 h. on aura 16 £, avec quoi les ouvriers achètent maintenant la même masse de moyens de subsistance qu'auparavant. Chacun des 20 ouvriers qui ne font plus que 4 h. de travail nécessaire, touchera 16 £, au lieu des 20 précédentes.

Le capital variable de 20 £ est tombé à 16, mais il continue de mettre en mouve­ment la même quantité absolue de travail. Or, cette quantité se répartit autrement à présent. Auparavant, la moitié était payée, et l'autre moitié non payée. Maintenant, les 2/5 sont payés, et les 3/5 non payés. Au lieu du rapport 5 sur 5, nous avons celui de 6 sur 4, et le taux de plus-value passe de 100 à 150 %, soit une augmentation de 50 %.

Par mètre, nous avons 3 1/5 d. de travail de tissage payé, et 4 4/5 d. non payé, ce qui donne (24/5) / (16/5) ou 24/16 , comme ci-dessus, Nous obtenons donc le tableau C III ci-après (un peu plus bas).

On notera que la masse de plus-value n'est que de 24 £, au lieu de 28 dans le tableau II. Mais, si, dans le tableau III, le capital variable avait été de 20 comme dans le tableau III a, la quantité totale de travail utilisée aurait augmenté du quart, c'est-à-dire dans le rapport où 20 est supérieur à 16. Nous avons à présent une augmentation non seulement de la quantité totale de travail utilise, mais encore du rapport entre surtravail et travail nécessaire.

Étant donné qu'à ce nouveau taux, 16 £ de travail vivant produisent 40, 20 en produisent 50, dont 30 de plus-value. Si 40 correspondent à 200 h., 50 £ correspondent à 250 h. Et si 200 h. transforment 80, 250 h. en transformeront 100. Enfin, si 200 h. produisent 1 200 mètres, 250 h. en produisent 1 500. Nous obtenons donc le tableau C Illa ci-contre :

Il convient en général de noter qu'à la suite de la baisse de salaire due à l'augmen­tation de la force productive, il faut un capital variable moindre pour une même quantité de travail - c'est-à-dire une même quantité de travail pour un profit supérieur du capital - puisque la partie payée y diminue par rapport à la partie non payée. En revanche, si le capitaliste continue de dépenser la même masse de capital variable, il gagne de deux côtés à la fois, puisque non seulement il retire d'une même quantité totale de travail un taux supérieur de plus-value, mais encore qu'il exploite à ce taux accru une quantité supérieure de travail, alors que la somme de son capital variable n'a pas augmenté.

cvpValeur du produit totalTaux de plus-valueMasse de plus-valueMètresPrix du mètreQuantité de travail de lissage par mètreSur-travailTaux de plus-value
C I80 £16 £24 £120 £150 %24 £1.2002 sh.8 d.4 4/5 d.(4 4/5) / (3 1/5)

soit 24 / 16

soit 150 %

C I100 £20 £30 £150 £150 %30 £1.5002 sh.8 d.4 1/5 d.150 %

C. Détermination du prix de la marchandise-capital[modifier le wikicode]

Nous avons donc constaté que :

1. si le prix des marchandises change, le taux et la masse de plus-value peuvent rester constants, et

2. si le prix des marchandises reste constant, le taux et la masse de plus-value peuvent varier.

Lors de l'analyse de la production de plus-value[62], nous avons vu que les prix des marchandises en général n'ont un effet sur la plus-value que dans la mesure où ils entrent dans les frais de production de la force de travail et en affectent la valeur. Cet effet peut d'ailleurs être paralysé à court terme par des influences contraires.

Ces deux lois valent en général pour toutes les marchandises, et donc aussi pour celles qui n'entrent ni directement ni indirectement dans la reproduction de la force de travail, c'est-à-dire celles dont le meilleur marché ou l'enchérissement ne modifient pas la valeur de la force de travail.

Voici ce qui résulte du point 2 (cf. les tableaux III et IIIa) : bien que les prix des marchandises et la force productive du travail vivant utilisé directement dans la branche de production qui fournit ces marchandises, restent constants, le taux et la masse de plus-value peuvent augmenter. (On pourrait aussi bien affirmer l'inverse, à savoir qu'ils peuvent baisser, soit parce que la journée de travail totale diminue, soit parce que, du fait de l'enchérissement d'autres marchandises, le temps de travail nécessaire augmente, alors que la journée de travail reste la même.)

C'est le cas, lorsque des capitaux variables de grandeur donnée utilisent des quan­tités très INÉGALES de travail d'une productivité donnée (les prix des marchan­dises restant les mêmes tant que la force productive du travail ne varie pas), ou que des capitaux variables de grandeur diverse utilisent des quantités ÉGALES de travail d'une productivité donnée.

Bref, un capital variable d'une grandeur de valeur donnée ne met pas toujours en mouvement la même quantité de travail vivant; et si nous considérons comme un simple symbole les quantités de travail qu'il met en mouvement, ce symbole est de grandeur variable.

Cette observation relative au tableau II et la loi 2, montre que nous avons affaire désormais à une marchandise différente de celle dont nous sommes partis au début de ce livre, car c'est à présent un produit ou partie aliquote du capital - support d'un capital qui se valorise et contient donc une aliquote de plus-value créée par le capital.

(Lorsque nous parlons ici de prix des marchandises, nous supposons toujours que le prix total de la masse de marchandises produites par le capital est égal à la valeur totale de cette masse, autrement dit : le prix de l'aliquote de chacune d'elles est égal à l'aliquote de la valeur totale. En général, le prix n'est donc rien d'autre ici que l'expression monétaire de la valeur. Dans notre analyse, il n'a jamais été question jusqu'ici de valeurs qui diffèrent des prix.)

En tant que produit et, en fait, partie élémentaire du capital qui se reproduit et s'élargit, la marchandise diffère de la marchandise particulière et autonome dont nous sommes partis lors de l'analyse de la genèse du capital. Abstraction faite des considé­rations sur les points relatifs à la détermination du prix, cette marchandise diffère en ce sens encore : même si elle est vendue à son prix, le capitaliste n'en a pas réalisé pour autant la valeur du capital avancé pour sa production, ni la plus-value créée par lui. Qui plus est, comme simple porteur du capital, non seulement substan­tiel­lement comme partie de la valeur d'usage formant le capital, mais encore comme support de la valeur composant le capital, le capitaliste peut vendre des marchandises au prix correspondant à leur valeur particulière, tout en les vendant au-dessous de leur valeur en tant que produits du capital et parties du produit total qui forme désormais le capital en procès de valorisation.

Dans l'exemple ci-dessus, un capital de 100 £ se reproduisait en 1200 mètres de toile, dont le prix s'élevait à 120 £. Après tout ce que nous venons de dire, nous avons 80c, 20v et 20p. Nous pouvons présenter les choses comme si les 80 £ de capital cons­­tant s'exprimaient en 800 m. de toile, soit les deux tiers du produit total, les 20 £ de capital variable ou salaires en 200 m., soit un sixième du produit total, et les 20 £ de plus-value en 200 m.; soit encore un sixième du produit total.

Si ce sont, par exemple, 800 mètres - et non 1 mètre - qui sont vendus à leur prix de 80 £, tandis que les autres parties s'avèrent invendables, seuls les quatre cinquiè­mes de la valeur du capital primitif de 100 £ seraient reproduits. Comme porteur du capital total, c'est-à-dire comme seul produit actuel du capital total de 100 £, les 800 m. eussent été vendus (d'un tiers) au-dessous de leur valeur. En effet, la valeur du produit total est de 120 £, et 80 £ ne représentent que les deux tiers du produit total, si bien que la quantité de valeur manquante est de 40 £, soit le tiers du produit.

De même, on peut concevoir que ces 800 mètres, pris en eux-mêmes, eussent pu se vendre au-dessus de leur valeur : cependant, ils eussent été vendus à leur valeur en tant que représentants et porteurs de tout le capital, s'ils avaient été vendus, par exem­ple, à 90 £, tandis que les autres 400 mètres ne l'eussent été qu'à 30 £. Néanmoins, nous voulons faire ici tout à fait abstraction de la vente de certaines portions de la masse de marchandises au-dessus ou au-dessous de leur valeur, puis­qu'en général, nous supposons que les marchandises sont vendues à leur valeur.

A l'instar des marchandises autonomes, les produits du capital doivent être vendus à leur valeur; qui plus est, ils doivent l'être à leur valeur (prix) en tant que porteur du capital avancé pour leur production, et donc en tant que partie aliquote du produit total du capital.

Si, de ce produit total de 1 200 mètres valant 120 on vend à peine 800 mètres, ceux-ci ne devront pas représenter l'aliquote des deux tiers de la valeur totale, mais l'entière valeur, soit 120 £, et non 80. C'est dire qu'il ne faut pas vendre le mètre 80/800 = 8/80 = 4/40 = 2/20 soit 2 sh., mais 120/800 = 12/80 = 3/20 soit 3 sh.

Or, dès lors qu'elle est vendue à 3 sh. au lieu de 2, chaque marchandise est vendue 50 % trop cher.

En tant que partie aliquote de toute la valeur produite, chaque marchandise doit être vendue par le capitaliste à son prix, comme partie aliquote du produit total vendu, et non comme marchandise autonome, c'est-à-dire non seulement comme la 1 / 2000° partie du produit total, mais encore comme complément des 1 199 autres, soit à son prix multiplié par son dénominateur comme partie aliquote.

Il s'ensuit directement qu'avec le développement de la production capitaliste et la baisse de prix des marchandises au fur et à mesure que leur masse s'accroît, il faut qu'augmente le nombre de marchandises devant être vendues, c'est dire que la pro­duc­tion capitaliste exige que le marché soit en continuelle expansion. Cependant, il vaut mieux traiter de cette question dans le prochain livre.

Dans ces conditions, il se peut qu'un capitaliste réussisse à vendre, par exemple, 1.200 mètres à 2 sh., mais il ne saurait écouler 1 300 mètres au même prix. Or, ces derniers 100 mètres exigent peut-être des modifications dans la composition du capi­tal constant, etc., de sorte que l'on pourrait obtenir ce prix pour une production supplé­mentaire de 1 200 mètres par exemple, mais non pour celle de 100 mètres.

En conséquence, la marchandise, produit du capital, diffère de la marchandise particulière qui s'analyse d'une manière simple. Or, à mesure que progresse le procès de production et de circulation capitaliste, cette différence se creuse toujours davanta­ge et affecte de plus en plus la détermination réelle du prix des marchandises, etc.

Mais, il y a encore un point qu'il convient de mettre particulièrement en évidence ici. On a vu au chapitre II, 3 de ce Premier Livre[63] que, d'une part, les diverses frac­tions de valeur du produit du capital - capital constant, capital variable, et plus-value - se retrouvent au sein de chaque marchandise particulière comme aliquotes de tout le produit et pour ce qui est de la valeur d'usage aussi bien que de la valeur d'échange; et que, d'autre part, on peut diviser le produit total en certaines portions, quotités de la valeur d'usage produite, de l'article, dont une partie ne représente que la valeur du capital constant, l'autre celle du capital variable, et la troisième enfin celle de la plus-value. Nous avons déjà mis en évidence que ces deux choses étaient certes identiques en substance, mais se contredisaient dans leur mode d'expression.

En effet, dans notre dernier cas, les diverses marchandises particulières formant par exemple le lot nº 1, qui reproduit la valeur du capital constant, ne représentaient que le travail objectivé avant le procès de production. Par exemple, les 800 mètres valant 80 £, soit la valeur du capital constant avancé, ne représenteraient que la valeur du coton, de l'huile, du charbon, de l'outillage, etc. consommés, et donc pas la moin­dre parcelle de valeur du travail additionnel de tissage. Et pourtant du point de vue de leur valeur d'usage, chaque mètre de toile contient, outre le lin, etc. une quantité déterminée de travail de tissage, qui justement lui a donné la forme de la toile. De même, dans son prix de 2 sh., on trouve 16 d. pour la reproduction du capital constant consommé (usé), 4 d. pour le salaire, et 4 d. pour le travail non payé, cristallisé en lui.

Cette contradiction flagrante, restant inexpliquée comme on le verra plus loin, provoque des erreurs fondamentales. En effet, si l'on ne considère que le prix de chacune des marchandises, cette contradiction entraîne, à première vue déjà, la même confusion que celle relevée plus haut, à savoir que chaque marchandise ou portion déterminée du produit total peut être vendue à son prix, bien qu'elle le soit l'étant au-dessous ou au-dessus. De même, elle peut être vendue au-dessus de son prix, bien qu'elle le soit au-dessous. Proudhon fournit un exemple de cette confusion.[64]

En conclusion : dans l'exemple ci-dessus mentionné, le prix du mètre ne se déter­mine pas isolément, mais comme partie aliquote du produit total.

Ce que nous venons d'exposer sur la détermination du prix, nous l'avons expliqué ailleurs déjà.[65] Il conviendrait sans doute d'introduire Ici certains des points développés alors.

Au début de ce livre, nous avons considéré la marchandise simple et autonome, en tant que résultat et produit directs d'une quantité déterminée de travail.

Maintenant qu'elle est résultat et produit du capital, elle change de forme (et plus tard elle change réellement dans les prix de production). En effet, la masse produite de valeurs d'usage représente une quantité de travail égale à la valeur du capital constant, contenu et consommé dans le capital (la somme de travail objectivé, transmise au produit) + la somme de travail échangée contre le capital variable, dont une partie remplace la valeur du capital variable, et l'autre forme la plus-value. Si l'on exprime le temps de travail contenu dans le capital en termes monétaires - soit 100 £, dont 40 de capital variable, et un taux de plus-value de 50 % - la masse totale du travail contenu dans le produit s'exprimerait en 120 £. Mais, pour que la marchandise puisse circuler, sa valeur d'échange doit se traduire en prix. Si le produit total n'est pas un objet unique et continu (par exemple, une maison, où tout le capital se reproduit en une seule marchandise), le capitaliste doit calculer le prix de chaque marchan­dise, en évaluant la valeur d'échange de chacune d'elles en monnaie de compte.

Selon la productivité variable du travail, la valeur totale de 120 £ se répartit sur un nombre plus ou moins grand de marchandises. Le prix de chacune d'entre elles sera donc en rapport inverse du nombre total de marchandises : selon le nombre, il représentera, par pièce, une partie aliquote plus ou moins grande des 120 £.

Si le produit total est, par exemple, de 60 tonnes de charbon valant 120 £, une tonne vaudra 2 £; si le produit est de 75 tonnes, une tonne vaudra 1 £ 12 sh; s'il est de 240 tonnes, une tonne vaudra 1/2 £. Le prix de chaque marchandise est donc égal au prix total du produit divisé par le nombre total des produits, ceux-ci étant calculés d'après les diverses mesures existantes sur la base de la valeur d'usage du produit.

En conséquence, si le prix de chacune des marchandises à part est égal au prix total de la masse des marchandises (nombre de tonnes) produites par le capital de 100 £ divisé par le nombre total de marchandises (ici des tonnes), à son tour le prix total de la masse de produits sera égal au prix de chaque marchandise multiplié par le nombre total de marchandises produites. Si la masse-, et donc aussi le nombre, des marchandises produites augmente avec une productivité accrue, le prix de chacune d'elles va baisser. A l'inverse, si la productivité diminuait, l'un des facteurs - le prix -monterait, et l'autre facteur - le nombre - baisserait. Tant que la somme de travail dépensée reste constante, elle s'exprime dans un même prix total de 120 £, quelle que puisse être la portion de travail entrant dans chacune des marchandises, dont la masse varie en fonction de la productivité du travail.

Si la fraction de prix - partie aliquote de la valeur totale - de chaque produit dimi­nue par suite du plus grand nombre de produits, c'est-à-dire de la productivité accrue du travail, la portion de plus-value par produit diminue également, de même que la partie aliquote du prix total dans laquelle s'exprime la plus-value de 20 £. Cependant, ni le rapport entre la fraction de prix exprimant la plus-value dans chacune des marchandises, ni la fraction de prix représentant le salaire ou travail payé n'en est changé pour autant.

L'analyse du procès de production capitaliste a montré qu'abstraction faite de l'allongement de la journée de travail, la force de travail tendait à devenir meilleur marché du fait de la diminution de prix des marchandises entrant dans la consommation de l'ouvrier et déterminant la valeur de sa force de travail; autrement dit, la partie payée du travail diminue, tandis que la partie non payée s'accroît, et ce, même si la durée de la journée de travail demeure constante.

Dans le premier cas, le prix de chaque marchandise était dans le même rapport que la partie aliquote de la valeur totale qu'il représentait, bref dans le rapport où il participait au prix total, donc aussi à la plus-value. Or, à présent, malgré la baisse de prix du produit, la fraction de prix représentant la plus-value augmente. Et ce, simplement parce que, dans le prix total du produit, la plus-value occupe une marge proportionnellement plus grande, parce que la productivité a augmenté. L'accroisse­ment de la force productive du travail (sa diminution aurait les conséquences inverses) fait qu'une même quantité de travail et une même valeur de 120 £ s'expri­ment en une masse plus grande de produits et que baisse le prix de chaque marchan­dise. Or, cette même cause provoque une dégradation de la force de travail. C'est ce qui explique, en outre, que la portion de prix formant la plus-value augmente, bien que diminuent le prix de chaque marchandise ainsi que la quantité de travail qu'elle contient, et donc sa valeur. En d'autres termes, dans une somme moindre de travail contenue dans chaque marchandise, on trouve une quantité de travail non payée supérieure à celle de l'époque où le travail était moins productif, la masse des produits moindre, et le prix de chaque marchandise plus élevé. Dans le prix total de 120 £, donc aussi dans chacune de ses parties aliquotes, on trouve à présent plus de travail non payé.

De tels puzzles mettent Proudhon dans la confusion du fait qu'il ne voit que le prix de chaque marchandise autonome et particulière, et ne considère pas la marchan­dise en tant que produit de tout le capital, donc le rapport dans lequel le prix total se divise en ses portions respectives de prix.

« Il est impossible que l'intérêt du capital [ce terme n'exprime qu'une partie seulement de la plus-value] s'ajoutant dans le commerce au salaire de l'ouvrier pour composer le prix de la marchandise, l'ouvrier puisse racheter ce qu'il a produit lui-même. Vivre en travaillant est un principe qui, sous le régime de l'intérêt, implique contradiction. » (Cf. Gratuité du Crédit. Discussion entre M. Fr. Bastiat et M. Proudhon, Paris, 1850, p. 105).

Tout cela est très bien; mais, pour rendre la chose claire, admettons que le travail­leur - l' « ouvrier » de M. Proudhon - soit la classe ouvrière tout entière. L'argent qu'elle touche pour la semaine afin d'acheter ses moyens de subsistances, etc. est dépensé pour une masse déterminée de marchandises. Que l'on considère chacune d'entre elles ou toutes ensemble, leur prix contient une partie correspondant au salaire et une autre à la plus-value (dont l'intérêt de Proudhon n'est qu'une fraction, le plus souvent la plus petite). Dès lors, comment la classe ouvrière, avec sa recette de la semaine, c'est-à-dire son seul salaire, pourrait-elle acheter une masse de marchandises qui, en plus du salaire, contient une plus-value ?

Comme le salaire que toute la classe touche pour la semaine recouvre exactement la somme hebdoma­daire des moyens de subsistance, il est clair comme le jour que les ouvriers ne peuvent pas acheter les moyens de subsistance nécessaires avec la somme d'argent qu'ils obtiennent. En effet, cette somme est égale au salaire hebdomadaire, au prix hebdomadaire payé pour leur travail, tandis que le prix des moyens de subsis­tance nécessaires par semaine est égal au prix hebdomadaire du travail contenu en eux PLUS le prix que représente le surtravail non payé.

En conséquence, « il est impossible... que l'ouvrier puisse racheter ce qu'il a lui-même produit ». Dans ces conditions, vivre en travaillant implique « contradiction ». Proudhon a tout à fait raison, pour ce qui est de l'apparence.

Mais si, au lieu de considérer la marchandise en soi, il la considérait comme un produit du capital, il trouverait que le produit hebdomadaire se décompose : en une fraction, dont le prix est égal au salaire, au capital variable dépensé au cours de la semaine (et ce prix ne contient pas de plus-value), et en une autre fraction, dont le prix représente uniquement de la plus-value, etc.

Bien que le prix de la marchandise renferme tout cela, l'ouvrier ne rachète que la première fraction (et dès lors il importe peu qu'en la rachetant, il soit possible - ou il arrive, effectivement - qu'il se fasse voler par l'épicier, etc.).

Telles sont en général les paradoxes économiques apparemment profonds et inextricables de monsieur Proudhon. En réalité, celui-ci formule comme loi des phé­no­mènes la confusion que créent dans son esprit les phénomènes économiques.

Mais, sa formule est encore plus plate, car il pos­tule que le véritable prix de la marchandise correspond au prix du salaire ou quantité de travail payé qu'elle contient, la plus-value, l'intérêt, etc. n'étant qu'une majoration arbitraire du prix véritable.

Pire encore est la critique que l'économie vulgaire formule à l'endroit de Prou­dhon. Ainsi, monsieur Forcade (citer ici le passage[66]) lui fait observer, d'une part, que ce qu'il affirme prouve trop, puisqu'il dit que la classe ouvrière ne peut absolument pas vivre avec ce qu'elle touche, et que, d'autre part, il ne pousse pas assez loin le paradoxe, puisque le prix, des marchandises achetées par l'ouvrier comprend, outre le salaire et l'intérêt, etc., les matières premières, etc. (bref, le prix des éléments consti­tutifs du capital constant).

C'est parfaitement exact, Forcade ! Mais, ensuite ? Après avoir montré qu'en fait les choses sont encore plus complexes que dans l'exposé de Proudhon, il trouve moyen lui, Forcade, de ne pas même les poser dans l'ampleur que leur avait donnée Proudhon. C'est dire qu'il ne résout rien du tout. En effet, il se dérobe aussitôt, au moyen de quelques phrases creuses.

En fait, ce qu'il y a de bon dans la manière de Proudhon, c'est qu'il exprime ouver­tement, et en insistant lourdement, la confusion qui règne dans les phénomènes économiques - et ce, en opposition aux économistes vulgaires qui s'efforcent de les masquer et sont incapables de les comprendre. Il met ainsi en évidence la médiocrité théorique des économistes vulgaires. Monsieur W. Thucydides Roscher, par exemple, qualifie l'ouvrage de Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ? de « confus » et « mysti­fi­ca­teur ». Il ne fait qu'exprimer par là le sentiment d'impuissance de l'économie vul­gai­re face à cette confusion. En effet, elle se révèle incapable de saisir les contradic­tions de la production capitaliste, ne serait-ce que dans la forme abstruse, superficielle et sophiste que lui oppose Proudhon. Il ne lui reste donc plus qu'à qualifier les affir­mations de Proudhon de sophismes (qu'elle est bien incapable de surmonter théo­ri­quement), et à en appeler au bon sens « commun » des hommes pour montrer que les choses marchent tout de même. Belle démonstration pour de soi-disant « théori­ciens » !

Nota Bene. - Tout ce passage sur Proudhon serait peut-être mieux à sa place au chapitre III du Livre 2, ou même plus loin.

La difficulté soulevée au chapitre 1° se trouve du même coup résolue. Si les marchandises formant le produit du capital sont vendues au prix déterminé par leur valeur, autrement dit, si toute la classe des capitalistes vend les marchandises à leur valeur, chacun d'eux réalise une plus-value, c'est-à-dire vend une fraction de la marchandise qui ne lui a rien coûté et qu'il n'a pas payée. Le profit empoché par les capitalistes ne provient donc pas de ce que l'un escroque l'autre - l'un soufflant à l'autre la portion de plus-value qui lui revient. Ce profit, les capitalistes le font en vendant leurs marchandises à leur valeur, et non au-dessus. Cette hypothèse - à savoir que les marchandises sont vendues au prix correspondant à leur valeur - constitue aussi la base des analyses du livre suivant.

Le résultat direct du procès de production immédiat du capital - son produit - ce sont les marchandises, dont le prix n'inclut pas seulement le remplacement de la valeur du capital avancé et consommé durant leur production, mais encore le sur­travail matérialisé et objectivé comme plus-value pendant cette même production.

En tant que marchandise, le produit du capital doit entrer dans le procès de transformation non seulement de sa substance, mais encore de sa forme (ce que nous avons appelé les métamorphoses de la marchandise). Les transformations formelles - conversion des marchandises en argent, et reconversion de l'argent en marchandises - se déroulent dans la circulation des marchandises en tant que telles (ce que nous avons appelé la « circulation simple »).

Mais, ces marchandises portent à présent du capital; elles sont du capital valorisé, fécond en plus-value. Comme telles, leur circulation - devenue à présent aussi procès de reproduction du capital - revêt des caractéristiques que l'analyse abstraite de la circulation marchande ignore. Nous devons donc considérer désormais la circulation des marchandises comme procès de circulation du capital. Ce sera l'objet du prochain livre.[67]

II. La production capitaliste comme production de plus-value[modifier le wikicode]

Tant que le capital apparaît seulement sous ses formes élémentaires - marchandise ou argent - le capitaliste fait figure, comme nous l'avons déjà vu, de possesseur de marchandises ou d'argent. Mais, il ne s'ensuit pas pour autant que les possesseurs de marchandises ou d'argent soient, comme tels, des capitalistes. Comme tels, les marchandises ou l'argent ne sont pas davantage du capital - ils ne se transforment en capital que dans des conditions données, celles-là même qui font du possesseur de marchandises ou d'argent un capitaliste.

Bref, à l'origine, le capital apparaît comme argent qui doit encore se transformer en capital, ou mieux : comme capital en puissance.

Les économistes se trompent lorsque, d'une part, ils identifient ces formes élémentaires en tant que telles - marchandises ou argent - avec le capital et que, d'autre part, ils proclament capital ce qui n'est que son mode d'existence comme valeur d'usage, les moyens de travail.

Dans sa forme première, pour ainsi dire provisoire, d'argent (point de départ de la genèse du capital), le capital n'est encore que de l'argent, c'est-à-dire une somme de valeurs d'échange sous sa forme autonome, son expression monétaire. Mais, voilà, cet argent doit se valoriser, la valeur d'échange devant servir à créer davantage de valeurs d'échange. La somme de valeurs doit croître, autrement dit. la valeur existante ne doit pas seulement se conserver, mais encore produire un incrément-valeur ou plus-value. La valeur existante - somme d'argent donnée - apparaît donc comme fluens, et l'incrément comme fluxio.

Nous reviendrons sur l'expression monétaire autonome du capital, lorsque nous traiterons de son procès de circulation[68]. Ne devant pour l'heure nous occuper que de l'argent, point de départ du procès de production immédiat, il nous suffit de faire observer que le capital existe jusqu'ici seulement comme somme donnée de valeurs = A (argent), d'où toute trace de valeur d'usage a disparu, pour ne laisser subsister que sa forme monétaire. La grandeur de cette somme de valeurs trouve sa limite dans le montant ou la quantité de la somme d'argent devant se transformer en capital : cette somme de valeurs ne devient donc du capital que parce que sa grandeur augmente et peut varier, étant d'emblée un fluens engendrant une fluxio.

En soi - par définition - cette somme d'argent n'est capital que si on l'utilise ou la dépense en vue de l'augmenter. Ce qui, pour la somme existante de valeurs ou d'argent, est destination - tendance et impulsion intérieures - devient but et intention pour le capitaliste qui possède cette somme d'argent et assume cette fonction d'augmenter le capital.

A l'origine, le capital - ou ce qui doit devenir du capital - revêt la forme toute simple de la valeur - ou de l'argent - dans laquelle il est fait abstraction de toute relation avec la valeur, d'usage, puisque celle-ci y disparaît. De même, la définition que nous venons de donner du capital - création de valeur plus grande - fait abstraction de toutes les interférences perturbatrices et des rapports déroutants avec le procès de production réel (production de marchandises, etc.) si bien que nous y découvrons, sous une forme abstraite tout aussi simple, la spécificité du procès de production capitaliste.

Si le capital initial est une somme de valeurs égale à x, le but de cet x, en devenant du capital, est de se transformer en x + Dx, c'est-à-dire, en une somme d'argent ou de valeurs, qui non seulement correspond à la somme de valeurs initiale mais encore profite d'un excédent. Autrement dit, il se mue en une grandeur monétaire à laquelle s'ajoute une plus-value. La production de plus-value (qui implique la conservation de la valeur avancée au début) devient dès lors le but déterminant, l'intérêt moteur et le résultat final du procès de production capitaliste, ce par quoi la valeur initiale se transforme en capital.

Le mode ou procédé employé dans la pratique pour transformer x en x + Dx ne change rien au but et au résultat du processus. Si x peut être transforme en x + Dx même sans qu'il y ait procès de production capitaliste, il ne saurait l'être ni dans les conditions d'une société dont les membres concurrents se font face uniquement comme possesseurs de marchandises et n'entrent qu'à ce titre en contact mutuel (ce qui exclut l'esclavagisme, etc.); ni dans l'hypothèse où le produit social est créé comme marchandise (ce qui exclut toutes les formes où les producteurs immédiats ont pour but principal la valeur d'usage et convertissent, tout au plus, l'excédent du produit en marchandise).

Ce but du procès - transformation de x en x + Dx - indique aussi quelle est la voie que doit suivre notre recherche. Il s'agit d'exprimer la fonction d'une grandeur variable, ou la mutation en une grandeur variable qui s'opère au cours du procès : au début, la somme d'argent donnée x est une grandeur constante, son Incrément étant égal à zéro, au cours du procès, elle doit se transformer en une grandeur nouvelle, renfermant un élément variable. Il nous faut donc découvrir cet élément et, en même temps, montrer comment nous obtenons une variable à partir d'une grandeur initialement constante.

Comme nous le verrons lors de l'analyse du procès de production réel, étant donné qu'une partie de x se retransforme en une grandeur constante, à savoir en moyens de travail et qu'une partie seulement de la valeur de x doit avoir la forme de valeurs d'usage déterminées, et non de monnaie [ce qui ne modifie en rien la grandeur de valeur constante, ni en général cette partie pour autant qu'elle est valeur d'échange], x se présente dans ce procès, comme c (grandeur constante) + v (grandeur variable), soit : c + v. A présent la différence sera : [D(c + v)] = [c + (v + Dv)] et, comme c = 0, nous obtenons [v + Dv]. Ce qui apparaît à l'origine comme Dx est donc en réalité Dv. Le rapport entre cet incrément de la grandeur initiale x et la partie de x, dont il est réellement l'incrément, devra être (puisque Dv = Dv, Dx étant égal à Dv) :

Dx/v = Dv /v

qui est la formule du taux de plus-value.

Comme le capital total C est égal à c + v (c étant constant et v variable), C peut être considéré comme fonction de v : si v augmente de Dv, C devient C'. Nous aurons donc :

  1. C = c + v;
  2. C' = c + (v + Dv). En soustrayant la première équation de la seconde, on obtient la différence C' - C, c'est-à-dire l'incrément de C, soit DC. Il s'ensuit :
  3. C' - C = c + v + Dv - c - v. Et comme C' - C représente la grandeur dont C a varié (DC), c'est-à-dire l'incrément de C, soit à C, nous aurons :
  4. DC = Dv.

En d'autres termes, l'incrément du capital total correspond à l'incrément de la partie variable du capital, de sorte que DC (ou la variation de la partie constante du capital) est égal à zéro, et il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte.

La proportion dans laquelle v a augmenté est Dv/v (taux de plus-value). La proportion dans laquelle C a augmenté est Dv /C = Dc/(c+v) (taux de profit).

La fonction véritable spécifique du capital en tant que tel est donc de produire une plus-value, or – comme il apparaîtra ultérieurement - ce n'est rien d'autre que produire du surtravail et s'approprier du travail non payé au sein du procès de production réel, le surtravail se présentant et se matérialisant en la plus-value.

Il en résulte, par ailleurs, que, pour transformer x en capital, c'est-à-dire en x + Dx, il faut que la valeur ou somme d'argent x se convertisse en facteurs du procès de production et - avant tout - en facteurs du procès de travail réel. Dans certaines branches d'industrie, il arrive qu'une partie des moyens de production - objet du travail - n'ait pas de valeur, n'étant pas une marchandise bien qu'ayant une valeur d'usage. Dans ce cas, une partie seulement de x se convertit en moyens de production. Si l'on considère la conversion de x, c'est-à-dire l'achat par x de marchandises destinées au procès de production, la valeur de l'objet de travail - qui n'est rien d'autre que les moyens de production achetés - est alors égale à zéro. Nous considérons, bien sûr, la question sous sa forme achevée, l'objet du travail étant marchandise. Lorsque ce n'est pas le cas, ce facteur - pour ce qui est de la valeur - se pose par définition comme égal à zéro, ceci pour rectifier le calcul.

Tout comme la marchandise est unité immédiate de valeur d'usage et de valeur d'échange, le procès de production des marchandises est unité immédiate du procès de travail et du procès de valorisation. De même, si les marchandises, unités immédiates de valeur d'usage et d'échange, sortent du procès de travail comme résultat (produit), elles y entrent, comme éléments constitutifs. Bref, il ne peut rien sortir d'un procès de production qui n'y soit entré sous forme de conditions de production.

A. Effet de la valeur d'usage sur le procès de production[modifier le wikicode]

La conversion de la somme d'argent anticipée en facteurs du procès de production en vue de sa valorisation et de sa transformation en capital s'effectue comme acte de la circulation des marchandises et du procès d'échange : elle se résout en une série d'achats. C'est donc un acte qui se déroule encore en dehors du procès de production immédiat. Il ne fait que l'amorcer, bien qu'il en soit la présupposition indispensable. En effet, si, au lieu du procès de production immédiat, nous considérons la totalité et la continuité de la production capitaliste, cette conversion de l'argent en facteurs du procès de production - achat de moyens de production et de capacités de travail - constitue elle-même une phase immanente du procès d'ensemble.

Au sein du procès de production immédiat, le capital - tout comme la marchandise simple - revêt la double forme de valeur d'usage et de valeur d'échange. Mais, ces deux formes ont à présent des déterminations plus complexes, bien différentes de celles de la marchandise simple et autonome.

Considérons tout d'abord la valeur d'usage. Pour définir la notion de marchandise, il importe peu, comme nous l'avons vu, de connaître son contenu particulier et sa destination exacte. Il suffit que l'article devant être marchandise - autrement dit, le support de la valeur d'échange - satisfasse un quelconque besoin social en ayant la propriété utile correspondante. Voilà tout (Fr.).

Or, il ne saurait en être de même pour la valeur d'usage des marchandises qui opèrent au sein du procès de production. De par la nature même du procès de travail, les moyens de production se scindent d'abord en objets de travail et en moyens de travail, ou plus exactement, en matières premières d'une part, et en instruments, matières auxiliaires, etc. d'autre part. Ce sont là des spécifications formelles de la valeur d'usage qui découlent de la nature même du ,procès de travail. C'est donc pour les moyens de production que la valeur d'usage est le plus étroitement déterminée : la forme spécifique de la valeur d'usage devient dès lors essentielle pour le développement du rapport économique, de la catégorie économique.

Les valeurs d'usage, après leur entrée dans le procès de travail, se scindent en deux éléments rigoureusement distincts - voire opposés - sur le plan conceptuel (exactement comme c'est le cas des moyens de production matériels, ainsi que nous l'avons vu ci-dessous) : d'une part, en moyens matériels de production, conditions objectives de la production, et d'autre part en la capacité de travail vivante, la force de travail créatrice ou condition subjective de la production. Il s'agit là encore d'une détermination formelle du capital, considéré sous l'angle de la valeur d'usage au sein du procès de production immédiat.

Dans la marchandise simple, un travail utile déterminé - le filage ou le tissage - est incorporé et objectivé dans le filé ou la toile. La forme utile du produit est la seule trace laissée par le travail utile; cette trace peut même disparaître, lorsque le produit a une forme naturelle, par exemple celle du bétail ou du blé.

Dans cette marchandise, la valeur d'usage n'a de présence réelle que pour autant qu'elle existait comme produit dans le procès de travail. En fait, la marchandise particulière est un article fini, qui a derrière lui son procès de genèse, au cours duquel du travail utile particulier s'est objectivé et incorporé en lui. Or, si la marchandise naît dans le procès de production, elle en est constamment rejetée sous forme de produit, qui n'apparaît plus que comme un élément du procès.

A présent, une partie de la valeur d'usage sous laquelle le capital apparaît au sein du procès de production, c'est la force de travail vivante, qui plus est, c'est la capacité de travail tout à fait spécifique et adaptée à la valeur d'usage particulière des moyens de production, la force de travail active, faculté de travail qui opère utilement et change les moyens de production en éléments (moments) matériels de son activité, en transformant la forme primitive de leur valeur d'usage en la forme nouvelle du produit. Ainsi, les valeurs d'usage elles-mêmes subissent, au sein du processus de travail, une authentique métamorphose de nature mécanique, chimique ou physique.

Dans la marchandise, la valeur d'usage n'est rien d'autre qu'un objet donné, ayant telle ou telle propriété. A présent, dans le procès de travail, elle est transformation en une valeur d'usage nouvelle (produit) des objets (valeurs d'usage) qui ont servi au travail vivant, en activité créatrice, de matière première et de moyens de travail.

En conséquence, le capital revêt, en tant que valeur d'usage, les formes suivantes dans le procès de travail : il se différencie, mais se complète aussi, pour ce qui est des moyens de production; il se divise, selon la nature et les exigences du procès de travail, en conditions matérielles (moyens de travail) et en conditions subjectives du travail (capacité de travail s'activant utilement, bref, le travail lui-même); mais si l'on considère l'ensemble du procès, la valeur d'usage du capital apparaît comme procès productif de valeurs d'usage, dans lequel, selon leur spécificité propre, les moyens de production opèrent comme moyens de production de la capacité de travail utile et spécifique, qui, en œuvrant convenablement, s'adapte à leur nature. En d'autres termes, l'ensemble du procès de travail en tant que tel apparaît, du fait de l'interaction vivante de ses éléments objectifs et subjectifs, comme la forme complète de la valeur d'usage, c'est-à-dire comme la forme réelle du capital dans le procès de production.

Sous son aspect réel, c'est-à-dire créateur de valeurs d'usage nouvelles grâce au travail utile qui les façonne d'une manière déterminée, le procès de production du capital est avant tout procès de travail réel. En tant que tels, ses éléments et ses moments constitutifs sont, par définition, ceux-là mêmes du procès de travail en général, de tout procès de travail, quels que soient le niveau du développement économique et le mode de production sur la base duquel il se déroule.

La forme réelle, qui est celle des valeurs d'usage objectives, composant le capital - son substrat matériel -, revêt nécessairement la forme des moyens, de production, c'est-à-dire de l'instrument et de l'objet du travail, qui servent à créer de nouveaux produits. En outre, avant même qu'elles ne soient actionnées selon leur destination particulière dans le procès de travail, ces valeurs d'usage se trouvent déjà sur le marché, dans le procès de circulation, sous forme de marchandises, et sont donc la propriété du capitaliste qui les détient. Enfin, pour autant qu'il se manifeste dans les conditions objectives du travail, le capital, conformément à sa valeur d'usage, est formé des moyens de production, matières premières, matières auxiliaires, etc., et des moyens de travail, outillage, installations, machines, etc. De tout cela on veut conclure que virtuellement tous les moyens de production - pour autant qu'ils fonctionnent en tant que tels - sont du capital réel, si bien que le capital devient un élément indispensable du procès de travail humain en général, indépendamment de toute forme historique, autrement dit quelque chose d'éternel, déterminé par la nature même du travail humain.

De la même façon, le procès de production capitaliste étant en général procès de travail, on en déduit que, dans toutes les formes sociales, le procès de travail est nécessairement de nature capitaliste. De la sorte, le capital est considéré comme une chose jouant, en tant que telle, un rôle objectif bien déterminé dans le procès productif. On conclut, avec la même logique, que la monnaie étant de l'or, l'or en tant que tel est de la monnaie, et que le travail salarié étant du travail, tout travail est forcément du travail salarié. On conclut à l'identité en retenant ce qui est identique et en écartant ce qui est différent dans les procès de production : c'est démontrer l'identité en faisant abstraction des différences spécifiques. Dans ce chapitre, nous reviendrons plus en détail sur ce point d'importance décisive. Pour l'heure, nous observons simplement ceci :

Le capitaliste détient la propriété des marchandises qu'il a achetées pour les consommer comme moyens de production dans le procès de production ou de travail. C'est tout bonnement son argent converti en marchandises, un mode d'existence de son capital au même titre - sinon davantage - que l'argent, puisque, à un degré plus intense, elles assument la forme où elles fonctionnent réellement comme capital, c'est-à-dire comme moyens de production et de valorisation de la valeur, afin d'obtenir un incrément. Ces moyens de production sont donc du capital.

Avec l'autre partie de la somme d'argent avancée, le capitaliste achète, en outre, la capacité de travail des ouvriers, ou, comme nous l'avons montré au chapitre IV[69], ce qui apparaît comme du travail vivant. Ce dernier lui appartient donc au même titre que les conditions objectives du procès de travail, encore qu'il y ait ici une différence spécifique : le travail réel est ce que l'ouvrier fournit effectivement au capitaliste en échange de la partie du capital convertie en salaire (prix d'achat du travail). L'ouvrier fournit sa force vitale, il réalise ses capacités productives, en un mouvement qui est le sien, et non celui du capitaliste.

Du point de vue personnel et réel, le travail est la fonction de l'ouvrier, et non du capitaliste. Du point de vue de l'échange, l'ouvrier représente pour le capitaliste ce que celui-ci en obtient, et non ce qu'il est dans le procès d'échange en face du capitaliste. Il s'ensuit qu'au sein du procès de travail les conditions objectives du travail s'opposent, en tant que capital (et, dans cette mesure, comme existence du capitaliste) à la condition subjective du travail, au travail lui-même, ou mieux, à l'ouvrier qui travaille. Du fait de cette opposition, le capitaliste aussi bien que l'ouvrier considèrent les moyens de production comme forme d'existence même du capital, capital au sens éminent du terme, et le travail comme simple élément en lequel se convertit le capital avancé. C'est pourquoi, le moyen de production apparaît, en puissance, comme le mode d'existence spécifique, même en dehors du procès de production.

Tout cela, comme nous le verrons, découle aussi bien de la nature générale du procès de valorisation capitaliste (du rôle qu'y jouent les moyens de production qui sucent et absorbent le travail vivant) que du développement du mode de production spécifiquement capitaliste, la machinerie, etc. devenant le maître véritable du travail vivant. C'est pourquoi, on trouve, à la base du procès de production capitaliste, cette fusion indissoluble entre les valeurs d'usage, dans lesquelles le capital apparaît sous la forme des moyens de production et d'objets déterminés comme capital, alors qu'il s'agit d'un rapport de production spécifique au sein duquel le produit apparaît en soi et pour soi comme une marchandise à ceux-là mêmes qui y sont engagés. C'est l'une des bases sur laquelle s'appuie le fétichisme en économie politique.

De la circulation, les moyens de production passent dans le procès de travail, en tant que marchandises bien déterminées, par exemple coton, charbon, broches; ils y entrent sous la forme des valeurs d'usage qu'ils avaient pendant qu'ils circulaient comme marchandises. Après leur entrée dans le procès de travail, ils fonctionnent avec les propriétés correspondant à leur valeur d'usage et inhérentes à leur matière : le coton en tant que coton, etc.

Il n'en est pas de même pour la partie du capital que nous appelons variable, qui ne se convertit réellement en partie variable du capital qu'en s'échangeant contre la capacité de travail. Sous sa forme réelle - l'argent - cette partie du capital dépensée par le capitaliste pour acheter la capacité de travail ne représente rien d'autre que les moyens de subsistance qui se trouvent sur le marché (ou y arrivent à divers intervalles) et sont destinés à la consommation individuelle de l'ouvrier. L'argent n'est qu'une métamorphose de ces moyens de subsistance : à peine l'a-t-il touché, que l'ouvrier le reconvertit en moyens de subsistance. Cette reconversion, tout comme la consommation de ces marchandises à titre de valeurs d'usage, est un procès qui n'a aucun rapport direct avec le procès de production immédiat - plus exactement avec le procès de travail - et se déroule en dehors de celui-ci.

L'une des parties du capital - et, grâce à elle, le capital tout entier - se transforme en une grandeur variable, non pas du fait de l'argent, grandeur de valeur constante, ou des moyens de subsistance en lesquels il peut se représenter et qui sont également des valeurs constantes, mais de l'échange d'un élément - la faculté de travail vivante - qui crée de la valeur et, en tant que tel, peut être plus ou moins grand et s'exprimer comme grandeur variable : en toute occurrence, cet élément entre, comme facteur. dans le procès de production, et représente une grandeur fluide, en devenir, et donc une grandeur aux limites variables, et nullement une grandeur devenue fixe.

Dans la réalité, on peut certes inclure ou englober dans le procès de travail la consommation des moyens de subsistance par l'ouvrier, à l'instar de celle des matières instrumentales (Fr.) par les machines. L'ouvrier n'est plus considéré alors que comme un instrument acheté par le capital et ayant besoin, pour opérer dans le procès de production, de consommer et de s'adjoindre comme matières instrumentales une portion déterminée de moyens de subsistance : l'angle varie, selon le degré plus ou moins grand de brutalité dans l'exploitation subie par les ouvriers, mais par définition - comme nous le verrons plus loin, au paragraphe 3 traitant de la reproduction de l'ensemble du rapport[70] - les conditions capitalistes ne déterminent pas cette question aussi strictement.

En général, l'ouvrier consomme ses moyens de subsistance au cours de l'interruption du procès de travail immédiat, alors que la machine consomme les siens pendant qu'elle fonctionne (comme l'animal ?). Cependant, si l'on considère l'ensemble de la classe ouvrière, une partie de ces moyens de subsistance est consommée par les membres de la famille qui ne travaillent plus ou pas encore. (En fait, pour ce qui est des matières instrumentales (Fr.) et de leur consommation, il y a la même différence entre l'ouvrier et la machine qu'entre l'animal et la machine. Mais, il n'en est pas nécessairement ainsi, et cela ne dérive pas du concept même de capital.)

Quoi qu'il en soit, dès lors qu'elle revêt sa forme réelle de moyens de subsistance entrant dans la consommation de l'ouvrier, la portion de capital dépensée en salaire apparaît formellement comme n'appartenant plus au capitaliste, mais à l'ouvrier. La valeur d'usage de cette marchandise - moyens de subsistance - a donc avant l'entrée dans le procès de production, une forme tout à fait différente de celle qu'elle revêt au sein de ce procès, à savoir celle de la force de travail en activité, celle du travail vivant lui-même.

C'est ce qui distingue de manière spécifique cette partie du capital de celle qui a la forme des moyens de production, et c'est ce qui explique aussi que, sur la base du mode de production capitaliste, les moyens de production apparaissent, au sens éminent du terme, comme du capital en soi et pour soi, à la différence des moyens de subsistance et en opposition à eux. Cette illusion provient tout simplement - mais nous en dirons davantage plus loin[71] - de ce que la forme de la valeur d'usage revêtue par le capital à la fin du procès de production, est celle du produit, puisque celui-ci existe aussi bien sous la forme des moyens de production que sous celle des moyens de subsistance, tous deux se présentant au même titre comme capital, et par conséquent en opposition à la force de travail vivante.

B. Effet de la valeur d'échange sur le procès de production[modifier le wikicode]

Nous en arrivons ainsi au procès de valorisation.

Du point de vue de la valeur d'échange, il nous faut distinguer ici encore entre marchandise et capital impliqué dans le procès de valorisation. La valeur d'échange du capital qui entre dans le procès de production est en réalité moindre que la valeur d'échange du capital jeté sur le marché ou avancé. En effet, la seule valeur qui passe dans le procès de production, c'est celle des marchandises qui y opèrent comme moyens de production - la valeur de la partie constante du capital. En effet, à la place de la valeur de la partie variable du capital, nous avons, dans le procès de production, le travail impliqué dans l'acte de valorisation, le travail qui se réalise constamment comme valeur et crée de nouvelles valeurs par-delà les anciennes.

Considérons tout d'abord comment se conserve l'ancienne valeur - celle de la partie constante. La valeur des moyens de production qui entrent dans le procès, ne doit pas dépasser le niveau indispensable; bref, les marchandises dont ils se composent - par exemple, les installations, les machines, etc. - ne doivent matérialiser que le temps de travail nécessaire à leur production. C'est l'affaire du capitaliste de s'assurer, lors de l'acte de l'achat, que les matières premières, les machines, etc. possèdent - en tant que valeurs d'usage - la qualité moyenne pour fabriquer le produit, et qu'elles fonctionnent normalement (pour ce qui est, par exemple, de la qualité de la matière première) sans opposer d'obstacles exceptionnels au travail, au facteur vivant. Enfin, il doit veiller à ce que les machines utilisées, etc., ne transmettent pas aux marchandises produites une usure supérieure à la moyenne. Telles doivent être les préoccupations du capitaliste.

Cependant, pour ce qui touche la conservation de la valeur du capital constant, il y a quelque chose de plus : dans les limites du possible, il doit être consommé productivement et ne pas être gaspillé, sinon le produit fini pourrait contenir une portion de travail matérialisé supérieure à ce qui est socialement nécessaire. Or, cela dépend en partie des ouvriers eux-mêmes : c'est ici que commencent donc le contrôle et la surveillance du capitaliste (qui atteint son but, en imposant le travail à la tâche[72] et en opérant des retenues sur le salaire). En outre, le travail doit s'effectuer à un rythme régulier et approprié, les moyens de production se transformer en produits suivant un processus rationnel, et la valeur d'usage recherchée sortir effectivement du procès de production sous une forme réussie. Le capitaliste affirme ici encore son contrôle et sa discipline.

Enfin, le procès de production ne doit être ni perturbé ni interrompu. A la fin du cycle, il doit aboutir effectivement au produit, dans les délais (laps de temps) dictés par la nature même du procès de travail et par ses conditions objectives. Ce résultat est assuré en partie par la continuité du travail (qui est une caractéristique de la production capitaliste), mais en partie aussi par des circonstances extérieures et incontrôlables.[73]

Tout procès de production implique un tel risque pour les valeurs qui y entrent, mais c'est là un risque auquel elles sont soumises même en dehors du procès de production et qui est propre à tout procès de production, et pas seulement à celui du capital. (Le capital se précautionne contre ce risque, en s'associant. Le producteur immédiat qui travaille avec ses moyens de production à lui est soumis au même risque. Donc, il n'y a là rien qui soit particulier au procès de production capitaliste. Si, dans la production capitaliste, ce risque frappe le capitaliste, c'est uniquement parce qu'il a usurpé la propriété des moyens de production.)

Considérons à présent le facteur vivant du procès de valorisation. Il lui faut : 1° conserver la valeur du capital variable, c'est-à-dire la remplacer ou la reproduire, en ajoutant aux moyens de production une quantité de travail égale à la valeur du capital variable ou salaire; 2° créer un incrément de valeur, une plus-value, en matérialisant dans le produit une quantité de travail supérieure à celle que contient le salaire, bref un quantum de travail additionnel.

En ce qui concerne le travail vivant, la valeur d'usage du capital variable avancé (marchandises qui le composent) et a une tout autre forme que celle du capital variable impliqué dans le procès de travail. Ce changement correspond à la différence entre la valeur d'échange du capital avancé et la forme de la valeur d'échange du capital dans le procès de valorisation. Alors que les moyens de production (capital constant) entrent dans le procès en conservant la forme de valeur d'usage qu'ils avaient auparavant, les valeurs d'usage finies dont se composait le capital variable sont remplacées dans le procès de production par le facteur vivant du travail réel, force de travail qui se valorise dans de nouvelles valeurs d'usage. Comme on le sait, la valeur des moyens de production (capital constant) entre comme tel dans le procès de valorisation, tandis que la valeur du capital variable n'y entre pas du tout, puisque s'y substitue l'activité créatrice de valeur, l'activité du facteur vivant qui se manifeste comme procès de valorisation.

Pour que le temps de travail de l'ouvrier crée de la valeur en rapport avec sa durée, il doit être du temps de travail socialement nécessaire. Il faut pour cela que l'ouvrier exécute, en un temps donné, la quantité de travail utile correspondant à la norme sociale : le capitaliste l'obligera donc à fournir un travail qui atteigne au moins le degré moyen d'intensité socialement normale. Il s'efforcera par tous les moyens de l'augmenter au-delà de ce minimum et d'extorquer, en un temps donné, le maximum de travail, car toute intensité de travail supérieure au niveau moyen lui procure une plus-value.

Au demeurant, il cherchera, dans toute la mesure du possible, à prolonger le procès de travail au-delà des limites dans lesquelles le travail remplace la valeur du capital variable, le salaire. A intensité égale du procès de travail, il s'efforcera, autant que possible, d'accroître sa durée. A égalité de durée, il en augmentera le plus possible l'intensité. Bref, le capitaliste force l'ouvrier à donner à son travail un degré d'intensité normal et, si possible, supérieur, et à prolonger s'il le peut son procès de travail au-delà du temps nécessaire pour remplacer le salaire.

C. Facteurs objectifs du procès de travail et de valorisation[modifier le wikicode]

Ces particularités du procès capitaliste de valorisation ne sont pas sans entraîner, dans le procès de production, certains changements de la forme réelle du capital, de sa forme de valeur d'usage. Premièrement, les moyens de production doivent être disponibles en une quantité assez grande pour absorber, non seulement le travail nécessaire, mais encore le surtravail. Deuxièmement, l'intensité et l'extension du procès de travail réel s'en trouvent modifiées.

Les moyens de production utilisés par l'ouvrier sont certes la propriété du capitaliste et, comme nous l'avons déjà montré, ils s'opposent, en tant que capital, au travail, qui est l'expression même de la vie de l'ouvrier. Mais, il n'en reste pas moins que c'est l'ouvrier qui les utilise dans son travail. Dans le procès réel, il use des moyens de travail comme d'un support de son travail, et de l'objet du travail comme d'une matière dans laquelle son travail se manifeste. Ce faisant, il transforme les moyens de production en la forme appropriée du produit.

Mais, tout change, lorsqu'on examine le procès de valorisation. Ici, ce n'est pas l'ouvrier qui utilise les moyens de production, mais les moyens de production qui utilisent l'ouvrier. Ce n'est pas le travail vivant qui se réalise dans le travail matériel comme en son organe objectif, mais le travail matériel qui se conserve et s’accroît, en absorbant du travail vivant, si bien qu'il devient valeur créant de la valeur, capital en mouvement.

Les moyens de production n'ont plus pour fonction que d'aspirer en eux la plus grande quantité possible de travail vivant, et le travail vivant n'est plus qu'un moyen de valoriser les valeurs existantes, autrement dit, de les capitaliser. Pour cette raison encore, les moyens de production apparaissent éminemment au travail vivant comme l'existence même du capital, et, à ce stade, comme domination du travail passé et mort sur le travail présent et vivant. C'est justement parce qu'il crée de la valeur, que le travail vivant est constamment incorporé au procès de valorisation objectivé.

En tant qu'effort et dépense de force vitale, le travail est activité personnelle de l'ouvrier, mais, en tant qu'il crée de la valeur, lorsqu'il est engagé dans le procès de son objectivation, le travail de l'ouvrier, sitôt entré dans le procès de production, est lui-même un mode d'existence de la valeur-capital, partie intégrante de celle-ci. Cette force qui conserve la valeur tout en en créant une nouvelle, est donc la force même du capital, et son procès apparaît comme procès d'auto-valorisation du capital, et plus encore d'appauvrissement de l'ouvrier, qui est bien celui qui crée la valeur, mais valeur étrangère à lui-même.

Sur la base de la production capitaliste, cette propriété du travail objectivé de se transformer en capital, c'est-à-dire de transformer les moyens de production en moyens de commander et d'exploiter le travail vivant, semble être inhérente aux moyens de production en soi et pour soi (puisque, sur cette base, le lien est potentiel) et inséparable d'eux, cette propriété leur revenant parce qu'ils sont des objets, des valeurs d'usage. Les moyens de production apparaissent donc, en soi et pour soi, comme capital, parce que le capital - autrement dit, un rapport de production déterminé dans lequel, au sein de la production, les possesseurs des moyens de production apparaissent réifiés face aux facultés vivantes du travail - apparaît comme une chose. Déjà, la valeur était apparue comme propriété d'une chose, et la détermination économique de la chose en tant que marchandise comme sa qualité intrinsèque. De même, la forme sociale revêtue par le travail dans l'argent était apparue comme propriété d'une chose.

2º La domination du capitaliste sur les ouvriers n'est en fait que la domination sur l'ouvrier des conditions de travail devenues autonomes face à l'ouvrier (Parmi celles-ci se trouvent, non seulement les conditions objectives du procès de production, c'est-à-dire les moyens de production, mais encore les conditions matérielles de la conservation et de l'efficacité de la force de travail, c'est-à-dire les moyens de subsistance). Ce rapport, il est vrai, ne se réalise que dans le procès de production réel, qui est, comme nous l'avons vu, essentiellement procès de production de plus-value (ce qui implique la conservation de l'ancienne valeur) ou procès d'auto-valorisation du capital avancé.

Dans la circulation, le capitaliste et l'ouvrier ne se font face que comme vendeurs de marchandises.

Mais, en raison de la nature spécifiquement bipolaire des marchandises qu'ils se vendent mutuellement[74], l'ouvrier entre nécessairement dans le procès de production comme partie intégrante de la valeur d'usage, du mode d'existence réel et de l'existence-valeur du capital, leur rapport ne se réalise donc qu'à l'intérieur du procès de production, le capitaliste potentiel (qui a acheté du travail) ne devenant réellement capitaliste que quand l'ouvrier (salarié potentiel par la vente de sa capacité de travail) passe réellement sous le commandement du capital dans le procès de production.

Les fonctions exercées par le capitaliste ne sont rien de plus que les fonctions, exécutées avec conscience et volonté, du capital - valeur qui se valorise en absorbant du travail vivant. Le capitaliste fonctionne uniquement comme personnification du capital, capital-personne, de la même manière que l'ouvrier n'est que le travail personnifié, travail qui appartient à l'ouvrier pour ce qui est de la peine et de l'effort, et au capitaliste pour ce qui est de la substance créatrice de richesses toujours plus grandes; bref, l'ouvrier se manifeste comme élément incorporé au capital dans le procès de production, comme son facteur vivant, variable.

La domination du capitaliste sur l'ouvrier est, en conséquence, domination de la chose sur l'homme, du travail mort sur le travail vivant, du produit sur le producteur, car les marchandises, qui deviennent des moyens de domination (en fait uniquement sur l'ouvrier) ne sont elles-mêmes que les résultats du procès de production, ses produits.

Au niveau de la production matérielle, du véritable procès de la vie sociale - qui n'est autre que le procès de production - nous trouvons le même rapport qu'au niveau de l'idéologie, dans la religion : le sujet est transformé en objet, et vice versa.

Du point de vue historique, cette inversion représente une phase de transition qui est nécessaire pour contraindre la majeure partie de l'humanité à produire la richesse pour soi, en développant inexorablement les forces productives du travail social, qui seules peuvent constituer la base matérielle d'une libre société humaine. Il est nécessaire de passer par cette forme antagonique, tout comme de donner tout d'abord aux forces spirituelles de l'homme la forme religieuse, en les érigeant en puissances autonomes face à lui.

Tel est le procès de l'aliénation du travail. D'emblée, l'ouvrier s'élève cependant au-dessus du capitaliste, qui est plongé dans un procès d'aliénation où il trouve sa satisfaction absolue, tandis que l'ouvrier, en en étant la victime, est dès l'abord dans une situation de rébellion contre une aliénation qu'il éprouve comme esclavage.

Le procès de production étant par définition procès de travail réel, le capitaliste - surveillant et directeur de ce procès - trouve une fonction à développer dans la production réelle, où son activité assume effectivement un contenu multiple et spécifique.

Le procès de travail lui-même n'est toutefois que le moyen du procès de valorisation, tout comme la valeur d'usage du produit n'est que le support de sa valeur d'échange. L'auto-valorisation du capital, création de plus-value est donc l'âme, le but et l'obsession du capitaliste, l'impulsion et le contenu absolus de son action; en fait, il ne s'agit que de l'instinct et de la finalité rationalisés du thésauriseur - contenu foncièrement mesquin et abstrait - qui, sous un autre angle certes, nous montre, à un pôle, le capitaliste tout autant asservi au capital que l'ouvrier, au pôle opposé.

D. Unité du procès de travail et du procès de valorisation[modifier le wikicode]

Dans le rapport originel, l'aspirant capitaliste achète le travail (ou mieux, la force de travail : cf. le chap. IV[75]) de l'ouvrier, afin de capitaliser une valeur monétaire, et l'ouvrier vend la faculté de disposer de sa force de travail, de son travail, afin de pouvoir vivre. C'est là le prélude et la condition nécessaires du procès de production réel, dans lequel le possesseur de marchandises devient capitaliste, capital personnifié, et l'ouvrier, simple personnification du travail pour le capital.

Ce premier rapport, où tous deux se font apparemment face comme possesseurs de marchandises, est à la fois la prémisse et le résultat, c'est-à-dire le produit, du procès de production capitaliste, comme nous allons le voir plus loin.[76] Mais, par la suite, il faut distinguer ces deux actes, le premier faisant partie de la circulation, le second ne se développant, sur la base du premier, que dans le procès de production réel.

Le procès de production est unité immédiate du procès de travail et du procès de valorisation, tout comme son résultat immédiat - la marchandise - est unité immédiate de la valeur d'usage et de la valeur d'échange. Cependant, le procès de travail n'est que le moyen du procès de valorisation, celui-ci, comme tel, étant essentiellement production de plus-value, c'est-à-dire objectivation de travail non payé. C'est ce qui caractérise de manière spécifique le procès de production capitaliste, dans son ensemble.

Même si nous considérons le procès de production sous deux angles différents, à savoir comme procès de travail, comme procès de valorisation, il n'en reste pas moins que nous avons affaire à un procès de travail unique et indivisible. On ne travaille pas doublement[77] : une fois, pour créer un produit utile, valeur d'usage, en transformant les moyens de production en produits; une autre fois, pour créer de la valeur et de la plus-value, en valorisant la valeur.

On n'ajoute du travail que sous sa forme, son mode et son existence déterminés, concrets et spécifiques d'activité utile qui transforme les moyens de production en un produit déterminé, par exemple, les broches et coton en fil. C'est tout simplement le travail de filage, etc. qui s'ajoute et, en s'ajoutant, produit au fur et à mesure du fil en quantité plus grande. Ce travail réel crée de la valeur, s'il possède un degré normal bien déterminé d'intensité (en d'autres termes, il n'est payant que dans la mesure où il atteint ce degré), et si ce travail réel, d'intensité donnée, se matérialise dans le produit en quantités déterminées, mesurées par le temps.

Si le procès de travail cessait au point où la quantité de travail ajouté sous forme de filage, etc. est égale a celle du travail contenu dans le salaire, il n'y aurait pas de production de plus-value. En effet, la plus-value apparaît aussi dans un surproduit, en l'occurrence la quantité de fil qui excède la somme de valeurs correspondant au salaire.

Le procès de travail apparaît comme procès de valorisation, du fait que le travail concret ajouté au cours de ce procès correspond - pour ce qui est de son intensité - à une somme déterminée de travail socialement nécessaire ou quantité déterminée de travail social moyen, cette somme devant contenir, outre la masse formée par le salaire, un quantum additionnel. On quantifie le travail concret particulier en le ramenant à du travail moyen socialement nécessaire. Or, ce calcul tient, compte de l'élément réel, à savoir : l'intensité normale du travail (le fait que, pour produire une quantité déterminée de produits, on utilise seulement du temps de travail socialement nécessaire); la prolongation du procès de travail au-delà de la durée nécessaire au remplacement de la valeur du capital variable.

De ce qui précède, il ressort que la notion de « travail objectivé » ainsi que l'opposition du capital, comme travail objectivé, au travail vivant, peuvent susciter de graves malentendus.[78]

J'ai montré ailleurs[79] que la réduction de la marchandise au « travail » est restée jusqu'ici ambiguë et incomplète chez tous les économistes. Il ne suffit pas de réduire la marchandise au « travail », mais au travail sous sa double forme : d'une part, de travail concret, tel qu'il se présente dans la valeur d'usage des marchandises; d'autre part, de travail socialement nécessaire, tel qu'il est calculé dans la valeur d'échange.

Dans le premier cas, tout dépend de sa valeur d'usage particulière, de sa nature spécifique, qui imprime au produit sa marque particulière, et en fait une valeur d'usage concrète, un article différent des autres.

Dans le second cas, on fait complètement abstraction de l'utilité particulière du travail, de sa nature concrète et de ses propriétés déterminées, pour ne calculer que l'élément créateur de valeur, la marchandise n'en étant que la matérialisation. Comme tel, c'est du travail général, indifférencié, socialement nécessaire, parfaitement neutre à l'égard de tout contenu particulier. C'est pourquoi, il trouve son expression autonome dans l'argent, le prix de la marchandise, expressions communes à toutes les marchandises et distinguables uniquement par la quantité.

Du premier point de vue, tout dépend de la valeur d'usage particulière de la marchandise, de son existence matérielle; du second, de l'argent, soit sous forme sonnante et trébuchante, soit sous forme de monnaie de compte, exprimée simplement dans le prix de la marchandise. Là, il s'agit uniquement de la qualité du travail; ici, uniquement de sa quantité. Là, la diversité du travail concret se manifeste dans la division du travail; ici, dans son expression monétaire indifférenciée. Or, cette différence frappe l’œil au sein du procès de production, où elle se manifeste d'une manière active. ce n'est plus nous qui la faisons, elle se fait elle-même dans le procès de production.

La différence entre travail objectivé et travail vivant devient manifeste dans le procès de travail réel. Les moyens de production - le coton, la broche, par exemple - sont des produits, des valeurs d'usage dans lesquelles sont incorporés certains travaux utiles et concrets tels que la construction de machines, la culture du coton. En revanche, le travail de filage apparaît dans le procès, non seulement comme travail spécifiquement différent des travaux contenus dans les moyens de production, mais encore comme travail vivant, travail en voie de réalisation, qui pousse constamment hors de lui son produit, en opposition aux travaux déjà objectivés dans leurs produits particuliers. A ce niveau encore, il y a antagonisme entre l'existence déjà matérialisée du capital, d'une part, et le travail vivant qui est avant tout dépense vitale de l'ouvrier, d'autre part. Au reste, dans le procès de travail, le travail objectivé se manifeste comme l'élément objectif pour la réalisation du travail vivant.

Mais, les choses sont toutes différentes, si l'on considère le procès de valorisation, la création de valeurs nouvelles.

Ici, le travail contenu dans les moyens de production est une somme déterminée de travail social général et s'exprime donc en une certaine grandeur de valeurs ou somme d'argent (en fait, dans le prix de ces moyens de production). Le travail ajouté est donc une certaine quantité additionnelle de travail social général et s'exprime en une grandeur de valeur ou somme d'argent additionnelle.

Ainsi, le travail, déjà contenu dans les moyens de production, est le même que le travail qui s'ajoute nouvellement. La seule différence, c'est que l'un est objectivé dans des valeurs d'usage, et l'autre engagé dans le procès de cette objectivation; l'un est du travail passé, l'autre présent; l'un est du travail mort, l'autre vivant; l'un est du travail objectivé au passé, l'autre s'objective au présent.

Dans la mesure où le travail passé est substitué au travail vivant, il se valorise, devient lui-même procès, fluens produisant une fluxio. Cette absorption de travail vivant additionnel est le procès de son autovalorisation, sa métamorphose en capital, valeur se valorisant elle-même, sa transformation de grandeur de valeur constante en grandeur de valeur variable et en procès.

Toutefois, ce travail additionnel ne peut s'ajouter que sous forme de travail concret. Il ne s'ajoute donc aux moyens de production que sous la forme spécifique d'une valeur d'usage particulière, tout comme la valeur au sein de ces moyens de production ne se conserve que s'ils sont consommés comme moyens de travail par le travail concret. Néanmoins, la valeur existante - le travail objectivé dans les moyens de production - ne s'accroît pas seulement au-delà de sa propre quantité, mais encore au-delà de la quantité de travail objectivé dans le capital variable, et ce uniquement en absorbant du travail vivant qui s'objective comme travail social général dans l'argent.

C'est donc en ce sens - à savoir celui du procès de valorisation qui représente le but véritable de la production capitaliste - que le capital, travail objectivé (accumulé, préexistant, ou comme en voudra l'appeler) s'oppose au travail vivant (immédiat, etc.), et il se trouve que les économistes eux-mêmes les opposent. Cependant, ici tout devient, pour eux, contradictoire et ambigu, parce qu'ils n'ont pas analysé correctement la marchandise à partir du travail sous sa double forme, ce qui est le cas de Ricardo lui-même.

C'est donc bien par le moyen du procès initial de l'échange entre le capitaliste et l'ouvrier, comme possesseurs de marchandises, que le facteur vivant, la force de travail, entre dans le procès de production comme élément du procès réel du capital. Mais, c'est seulement dans le procès de production que le travail objectivé devient du capital, en suçant du travail vivant. C'est uniquement ainsi que le travail se transforme en capital.[80]

E. Les produits du procès de production capitaliste[modifier le wikicode]

Le procès de production capitaliste est unité du procès de travail et du procès de valorisation. Pour que l'argent devienne capital, il faut le convertir d'abord en les marchandises qui constituent les facteurs du procès de travail, autrement dit, il faut acheter 1º la capacité de travail, 2º les objets sans lesquels la capacité de travail ne pourrait être consommée, c'est-à-dire travailler.

Au sein du procès de travail, ces objets ont pour seule signification d'opérer comme moyens de réalisation du travail, valeurs d'usage du travail : par rapport au travail vivant, ils sont matière et moyen; par rapport au produit, ils sont moyens de production, et pour autant qu'ils sont eux-mêmes déjà des produits, ils sont des moyens de créer un produit nouveau. Mais, ces objets ne jouent pas ce rôle dans le procès de travail, parce que le capitaliste les a achetés ou parce qu'ils sont la forme modifiée de son argent, mais, au contraire, il les achète parce qu'ils jouent ce rôle dans le procès de travail.

Par exemple, pour le procès de filage comme tel, il est parfaitement indifférent que le coton et la broche représentent l'argent du capitaliste, donc du capital, que l'argent avancé soit, par destination, du capital. C'est seulement entre les mains du fileur qu'ils deviennent matière et moyens de travail, et ils le deviennent parce que l'ouvrier file, et non parce qu'il a devant lui du coton appartenant à un autre individu, parce qu'il travaille à l'aide d'une broche appartenant à ce même autre individu, en vue de produire du filé qui appartiendra,' encore et toujours, à cet autre individu.

Les marchandises ne deviennent pas du capital, parce qu'elles sont utilisées ou consommées productivement dans le procès de travail; elle ne deviennent de ce fait que des éléments du procès de travail. Pour autant que le capitaliste achète les éléments matériels du procès de travail, ils représentent certes son capital, mais cela vaut aussi pour le travail, qui représente lui aussi son capital, puisqu'il appartient à l'acheteur de la force de travail, au même titre que les conditions objectives qu'il a achetées. Ce qui lui appartient, ce ne sont pas seulement les divers éléments, mais l'ensemble du procès de travail. Le capital qui, auparavant, existait sous la forme monétaire, existe à présent sous la forme du procès de travail. Cependant, le caractère général de ce dernier ne change pas du fait que le capital s'en soit emparé, de sorte que l'ouvrier travaille pour le capitaliste, au lieu de travailler pour lui-même.

De même que l'or et l'argent ne sont pas monnaie par nature, parce que la monnaie prend, entre autres, la forme de l'or et de l'argent, de même la matière et le moyen de travail ne sont pas capital par nature parce que la monnaie, pour se transformer en capital, se convertit en les facteurs du procès de travail, c'est-à-dire prend nécessairement aussi la forme de la matière et des moyens de travail.

Les économistes modernes se gaussent de la naïveté des partisans du Système monétaire qui, à la question : « Qu'est-ce que la monnaie ? » répondent : « L'or et l'argent sont la monnaie »; mais eux-mêmes ne rougissent pas de répondre à la question : « Qu'est-ce que le capital ? », que le capital est du coton. Or, n'est-ce pas exactement ce qu'ils affirment, lorsqu'ils écrivent que la matière et le moyen de travail, les moyens de production ou les produits utilisés pour une production nouvelle, bref, les conditions objectives du travail, sont par nature du capital, pour autant et parce qu'ils servent de valeurs d'usage dans le procès de travail du fait de leurs propriétés matérielles ? Tout logiquement d'autres ajoutent ensuite, Le capital, c'est du pain et de la viande. En effet, si le capitaliste achète avec l'argent la force de travail, cet argent ne représente en fait que du pain, de la viande, bref, les moyens d'existence de l'ouvrier.[81]

Un siège à quatre pieds recouvert de velours représente, dans certaines circonstances, un trône; mais, ce siège, objet qui sert à s'asseoir, n'est pas pour autant un trône, de. par la nature de sa valeur d'usage. Le facteur essentiel du procès de travail, c'est l'ouvrier lui-même, et, dans le procès de production antique, ce travailleur était l'esclave. Mais, il ne s'ensuit pas que le travailleur soit, par nature, un esclave (comme Aristote était enclin à le penser), pas plus que la broche et le coton ne sont par nature du capital, parce que, de nos jours, ils sont consommés dans le procès de travail par le travailleur salarié.

Il est absurde de prendre un rapport social de production déterminé qui se manifeste dans des choses, pour la propriété naturelle et objective de ces choses.

Or, on trouve cette absurdité en bonne place dans tous les manuels d'économie politique; souvent même dès la première page, on y lit que les éléments du procès de production, ramenés à leur forme la plus générale, sont la terre, le capital et le travail.[82] On pourrait tout aussi bien dire qu'ils sont la propriété foncière, les couteaux, les ciseaux, les broches, le coton, le blé, bref, les matières et les moyens du travail et... le travail salarié.

On énumère sans suite les éléments du procès auxquels on ajoute les caractères sociaux spécifiques qu'ils obtiennent à un stade déterminé de l'évolution historique, et on y amalgame un élément qui appartient au procès de travail en tant que rapport éternel de l'homme et de la nature en général, abstraction faite de toutes les formes sociales déterminées. En confondant l'appropriation du procès de travail par le capital avec le procès de travail lui-même, l'économiste transforme en capital les éléments matériels du procès de travail, parce que le capital, entre autres choses, se change, lui aussi, en éléments matériels. Cette illusion découle de la nature même du procès de production lui-même. Nous la trouvons déjà chez les économistes classiques, du moins tant qu'ils considèrent le procès de production capitaliste sous l'angle exclusif du procès de travail, car, par la suite, ils rectifient leur erreur. Quoi qu'il en soit, c'est une méthode fort commode pour démontrer l'éternité du mode de production capitaliste ou pour faire du capital un élément naturel immuable de la production humaine en général, le travail étant, de toute éternité, une condition naturelle de l'existence humaine.

Le procès de travail n'est rien d'autre que le travail lui-même, considéré au moment de son activité créatrice. Les éléments généraux du procès de production sont, dans cette logique, indépendants de tout développement social particulier : les moyens et la matière du travail, composés en partie par le produit de travaux antérieurs, jouent leur rôle dans tous les procès de travail, en tout temps et en toute circonstance. Il suffit donc que je leur applique l'étiquette de capital, persuadé que semper aliquid haeret [il en restera toujours quelque chose] pour démontrer que l'existence du capital est une loi éternelle de la nature de la production humaine. Par exemple, que le Kirghize qui, au moyen d'un couteau dérobé aux Russes, coupe des joncs pour en faire un canot, est un capitaliste au même titre que monsieur de Rothschild. je pourrais tout aussi bien démontrer que les Grecs et les Romains communiaient sous les deux espèces, lors qu'ils buvaient du vin et mangeaient du pain, ou que les Turcs s'aspergent quotidiennement d'eau bénite catholique, parce qu'ils ne laissent pas passer un jour sans se laver.

Ce radotage, fade et prétentieux, est débité sur un mode sentencieux, non seulement par Fr. Bastiat, les petits traités d'économie politique de la Society for the Advancement of Useful Knowledge ou les manuels puérils de la mère Martineau, mais encore par des économistes sérieux. Ce faisant, au lieu de prouver, comme on en a manifestement l'intention, la nécessité naturelle et éternelle du capital, on en vient, au contraire, à nier sa nécessité, même pour une seule phase historique déterminée du procès social de production. En effet, si l'on nous affirme que le capital n'est rien d'autre que le moyen et la matière du travail ou que les éléments matériels du procès de travail sont par nature du capital, nous sommes en droit de rétorquer que l'on a donc besoin du capital, mais non des capitalistes, ou que le capital n'est qu'un nom inventé pour abuser les masses.[83]

L'incapacité de saisir le procès de travail en lui-même aussi bien qu'en tant qu'élément du procès de production capitaliste apparaît de manière encore plus frappante chez monsieur F. Wayland, par exemple, qui raconte que la matière première est du capital devenant Produit par son ouvraison. Ainsi, le cuir est le produit du tanneur, et le capital du cordonnier. Matière première et produit sont, tous deux, des déterminations concernant une chose en rapport avec le procès de travail, mais, en soi et pour soi, ils n'ont rien à voir avec leur destination de capital, bien que l'un et l'autre représentent du capital, lorsque le capitaliste a accaparé le procès de travail.[84]

Monsieur Proudhon a mis en valeur ce fait avec sa « profondeur » de pensée habituelle : « Pourquoi le concept de produit se transforme-t-il soudainement en concept de capital ? Par l'idée de la valeur. Cela signifie que, pour devenir capital, le produit doit passer par une authentique évaluation de valeur, doit être acheté ou vendu, son prix doit être débattu et avoir été fixé par une espèce de convention légale. Cette peau qui vient de la boucherie est un produit du boucher. Cette peau est-elle achetée par le tanneur ? Aussitôt celui-ci porte la peau, ou sa valeur, à son fonds d'exploitation. Grâce au travail du tanneur, ce capital redevient produit. »[85]

Monsieur Proudhon se distingue par l'apparat de fausse métaphysique grâce auquel il fait d'abord passer les notions élémentaires les plus banales comme capital dans son « fonds d'exploitation », puis il les vend au public comme riche « produit ». Se demander comment le produit se transforme en capital est déjà absurde, mais y répondre l'est plus encore. En réalité, monsieur Proudhon nous raconte simplement deux faits plutôt connus : d'une part, on travaille parfois des matières premières qui sont des produits, d'autre part, les produits sont aussi des marchandises, c'est-à-dire ont une valeur qui doit, avant de se réaliser, subir l'épreuve du feu de la discussion entre l'acheteur et le vendeur. Ce même « philosophe » observe : « La différence pour la société entre capital et produit n'existe pas. Cette différence est toute subjective aux individus. » La forme sociale réelle, il l'appelle « subjective », et son abstraction subjective, il l'appelle « société ».

L'économiste, ne considérant le procès de production que sous l'angle du procès de travail, déclare que le capital est une simple chose, matière première, instrument, etc., mais il lui revient bientôt que le procès de production est aussi procès de valorisation et que, par rapport à ce dernier, ces choses doivent être considérées uniquement comme valeur : « Un même capital existe tantôt sous la forme d'une somme d'argent, tantôt sous celle de la matière première, de l'instrument, d'une marchandise finie. En réalité, ces choses ne sont pas le capital; il se trouve dans la valeur qu'elles ont. »[86]

Lorsque cette valeur « permanente et impérissable se multiplie, elle se détache de la marchandise qui l'a créée, telle une qualité métaphysique et insubstantielle, mais reste toujours en possession du même cultivateur » (c'est-à-dire du capitaliste) : ce qui vient à peine d'être appelé une chose est à présent une « idée commerciale ».[87]

Le produit spécifique du procès de production capitaliste n'est ni un simple produit (valeur d'usage), ni une simple marchandise, c'est-à-dire un produit ayant une valeur d'échange; c'est la plus-value, autrement dit, des marchandises ayant une valeur d'échange plus grande, et représentant un travail supérieur à celui qui a été avancé sous forme de monnaie ou de marchandise. Le procès de travail n'apparaît au capital que comme moyen, et le procès de valorisation ou la production de plus-value comme but. Dès que l'économiste s'en souvient, il déclare que le capital est une richesse utilisée dans la production pour « faire du profit ».[88]

F. Procès de circulation et procès de production[modifier le wikicode]

a) Vente et achat de la force de travail sur le marché[modifier le wikicode]

Nous avons vu que la transformation de l'argent en capital s'articule en deux procès autonomes, qui appartiennent à deux sphères absolument différentes et séparées l'une de l'autre. Le premier correspond à la sphère de la circulation des marchandises, et se déroule donc sur le marché : c'est l'achat-vente de la force de travail; le second, c'est la consommation de la capacité de travail achetée, autrement dit : le procès de production.

Dans le premier procès, le capitaliste et l'ouvrier se font face uniquement comme possesseur d'argent et possesseur de marchandise. Leur transaction - comme celle de tous les acheteurs et vendeurs - est un échange d'équivalents. Dans le second l'ouvrier opère, pour un temps, comme élément vivant du capital : la catégorie de l'échange en est tout à fait exclue. En effet, avant même que ce procès ne commence, le capitaliste s'est approprié par l'achat tous les facteurs matériels et personnels de la production. Cependant, bien qu'existant indépendamment l'un de l'autre, ces deux procès se conditionnent réciproquement : le premier introduit le second, et celui-ci accomplit le premier.

Dans le premier procès - l'achat et la vente de la capacité de travail -, le capitaliste et l'ouvrier se manifestent uniquement comme acheteur et vendeur de marchandises. Ce qui distingue cependant l'ouvrier des autres vendeurs de marchandises, c'est la nature particulière, la valeur d'usage spécifique, de la marchandise qu'il vend. Mais, la valeur d'usage particulière des marchandises ne change en rien la forme économique déterminée de la transaction, ni le fait que l'acheteur représente l'argent, et le vendeur la marchandise.[89] Il suffit donc d'isoler le premier procès, et de ne considérer que son caractère formel, pour démontrer que le rapport entre le capitaliste et l'ouvrier ne se distingue en rien de celui des possesseurs de marchandises qui échangent entre eux, à leur profit réciproque, argent et marchandise au moyen d'un libre contrat. Ce simple tour de passe-passe n'a rien de sorcier, et pourtant il représente tout l'arsenal de la sagesse de l'économie vulgaire.

Nous avons vu que le capitaliste doit convertir son argent, non seulement en force de travail, mais encore en les facteurs objectifs du procès de travail, les moyens de production. Mais, si nous considérons, d'une part, l'ensemble du capital, c'est-à-dire tous les acheteurs de force de travail et, d'autre part, l'ensemble des vendeurs de force de travail, c'est-à-dire tous les ouvriers, nous constatons que l'ouvrier ne vend pas n'importe quelle marchandise : encore et toujours, il est obligé de vendre sa propre capacité de travail (qui devient ainsi une marchandise). En effet, en face de lui, il trouve à titre de propriété d'autrui toutes les conditions de production, les moyens de production aussi bien que les moyens de subsistance et l'argent. Bref, toute la richesse objective s'oppose à l'ouvrier comme propriété des possesseurs de ces marchandises.

Cela implique que l'ouvrier travaille en étant dépouillé de toute propriété, les conditions de son travail lui faisant face comme propriété d'autrui. Que le capitaliste nº 1 possède l'argent et achète les moyens de production au capitaliste nº 2, tandis que l'ouvrier, avec l'argent reçu du capitaliste nº 1, achète les moyens de subsistance au capitaliste nº 3, ne change rien à ce que nous venons de dire, puisque tous ensemble les capitalistes nº 1, 2 et 3 sont les propriétaires exclusifs de l'argent, des moyens de production et des moyens de subsistance.

L'homme ne peut vivre que s'il produit des moyens de subsistance, mais il ne peut les produire que s'il détient des moyens de production, conditions matérielles du travail. Il est facile de comprendre que si l'ouvrier est dépouillé des moyens de production, il l'est aussi des moyens de subsistance, de même qu'inversement, s'il est privé des moyens de subsistance, il ne peut créer ses moyens de production.

Ce qui d'emblée, dans le premier procès - avant même la transformation réelle de l'argent ou de la marchandise en capital - imprime aux conditions de travail le caractère de capital, ce n'est pas la nature de l'argent, des marchandises ou des valeurs d'usage matérielles en tant que moyens de subsistance et moyens de production; c'est le fait que cet argent et ces marchandises, ces moyens de production et ces moyens de subsistance se dressent comme des puissances autonomes, personnifiées par leurs propriétaires en face de la capacité de travail, dépouillée de toute richesse matérielle; le fait que les conditions matérielles, indispensables à la réalisation du travail, soient étrangères (entfremdet) à l'ouvrier et, qui plus est, apparaissent comme des fétiches doués d'une volonté et d'une âme propres; le fait enfin, que des marchandises figurent comme acheteuses de personnes.

En réalité, l'acheteur de la capacité de travail n'est que la personnification du travail objectivé, dont une fraction est cédée à l'ouvrier sous forme de moyens de subsistance pour que la force vivante du travail s'incorpore à l'autre fraction, et qu'au moyen de cette incorporation, le capital se conserve tout entier et croisse même au-delà de sa masse initiale.

Ce n'est pas l'ouvrier qui acquiert les moyens de subsistance et de production, ce sont les moyens de subsistance qui achètent l'ouvrier, afin d'incorporer sa force de travail aux moyens de production.

Les moyens de subsistance sont la forme matérielle particulière d'un capital qui existe en face de l'ouvrier, avant que celui-ci ne les acquière par la vente de sa capacité de travail. Ainsi, lorsque commence le procès de production, la force de travail est déjà vendue, et les moyens de subsistance sont déjà passés - de jure du moins - dans le fonds de consommation de l'ouvrier. Comme on le voit, ces moyens de subsistance ne constituent pas un élément de procès de travail. Celui-ci - outre l'activité de la force de travail - n'exige rien d'autre que la matière et les moyens de travail.

Il est vrai que l'ouvrier doit conserver sa capacité de travail en consommant les moyens de subsistance, mais cette consommation privée - qui est en même temps reproduction de la force de travail - est extérieure au procès de production des marchandises. Dans la production capitaliste, il est possible que tout le temps disponible du travailleur soit absorbé par le capital, la consommation des moyens de subsistance n'étant pratiquement qu'une simple incidence du procès de travail, à l'instar de la consommation de charbon par les machines à vapeur, de l'huile par les rouages mécaniques ou du foin par le cheval, ou à l'instar de la consommation privée de l'esclave. C'est en ce sens que Ricardo, par exemple (cf. ci-dessus note p. 153), range non seulement les matières premières, les instruments, etc., mais encore « la nourriture et l'habillement » parmi les objets qui donnent une « efficacité au travail », et servent donc de « capital » dans le procès de travail.

Quoi qu'il en soit, dans la pratique, le travailleur libre consomme les moyens de subsistance en les achetant comme marchandises. Lorsqu'ils passent dans ses mains - donc à plus forte raison lorsqu'il les consomme - ils ont cessé d'être du capital. Ce ne sont donc pas des éléments matériels inhérents au procès de production immédiat du capital, bien qu'ils représentent la forme d'existence matérielle du capital variable, qui apparaît sur le marché, au sein de la sphère de circulation, comme acheteur de la force de travail.[90]

Lorsqu'un capitaliste, disposant de 500 thalers, en transforme 400 en moyens de production et en dépense 100 pour acheter des forces de travail, ces dernières représentent son capital variable. Avec ces 100 thalers, les ouvriers achètent à leur tour les moyens de subsistance, soit au même capitaliste, soit à d'autres. Ces 100 thalers ne sont donc que la forme monétaire des moyens de subsistance qui forment la substance du capital variable. Toutefois, au sein du procès de production immédiat, le capital variable n'existe plus sous la forme d'argent, ou de marchandise, mais sous celle du travail vivant que le capitaliste s'est approprié en achetant la force de travail sur le marché. C'est seulement grâce à cette transformation du capital variable en travail que la somme de valeurs avancée soit en argent, soit en marchandises, se métamorphose réellement en capital. Bien que l'achat-vente de la force de travail soit la condition de la transformation d'une partie du capital en capital variable, il forme un procès distinct et indépendant du procès de production immédiat qu'il précède. Il n'en constitue pas moins le fondement absolu et un élément du procès de production capitaliste si nous considérons celui-ci dans sa totalité, et pas seulement à l'instant de la production immédiate de marchandises.

C'est seulement parce que l'ouvrier, pour pouvoir vivre, vend sa force de travail, que la richesse matérielle se transforme en capital. C'est donc seulement face au travail salarié que se changent en capital les objets. représentant les conditions objectives du travail, autrement dit, les moyens de production et les choses représentant les conditions matérielles de la conservation de l'ouvrier : les moyens de subsistance.

Cependant, le capital, pas plus que l'argent, n'est un objet. Dans l'un et l'autre, des rapports de production sociaux déterminés entre individus apparaissent comme des rapports se nouant entre objets et individus. Autrement dit, des rapports sociaux déterminés semblent être des propriétés sociales naturelles des objets. Sans salariat, dès lors que les individus se font face comme des personnes libres, pas de production de plus-value, et sans celle-ci, pas de production capitaliste, donc ni capital ni capitaliste ! Capital et travail salarié (comme nous appelons le travail de l'ouvrier qui vend lui-même sa capacité de travail) expriment deux facteurs d'un seul et même rapport.

L'argent ne peut devenir du capital sans s'échanger au préalable contre la force de travail que l'ouvrier vend comme une marchandise; d'autre part, le travail ne peut être salarié qu'à partir du moment où les propres conditions objectives de l'ouvrier se dressent en face de lui comme des forces autonomes, propriété d'autrui, valeur existant pour soi et ramenant tout à elle, bref, du capital. En conséquence, si du point de vue de sa matière, c'est-à-dire de sa valeur d'usage, le capital se réduit aux conditions objectives du travail, du point de vue formel, celles-ci doivent s'opposer au travail comme des puissances étrangères et autonomes, comme valeur - travail objectivé - qui traite le travail vivant comme un simple moyen pour se conserver et s'accroître elle-même. Le travail salarié - le salariat - est donc une forme sociale nécessaire du travail pour la production capitaliste, tout comme le capital - valeur concentrée en puissance - est la forme sociale nécessaire que doivent assumer les conditions objectives du travail pour que le travail soit salarié.

Il s'ensuit que le travail salarié est la condition nécessaire de la formation du capital et demeure toujours la prémisse nécessaire de la production capitaliste. C'est pourquoi, même si le premier procès - échange de l'argent contre de la force de travail, ou achat de la force de travail - n'entre pas, en tant que tel, dans le procès de production immédiat, il entre en revanche dans la production d'ensemble du rapport.[91]

Comme nous l'avons vu, ce premier procès - achat et vente de la force de travail - implique que les moyens de production et de subsistance se soient rendus autonomes face au travail pur et simple, en étant personnifiés par les acheteurs qui nouent contrat avec les ouvriers en tant que vendeurs. De ce procès inhérent à la sphère de circulation, c'est-à-dire au marché, nous passons maintenant au procès de production immédiat qui est, avant tout, procès de travail.

b) La force de travail dans le procès de production immédiat[modifier le wikicode]

Dans le procès de travail, l'ouvrier comme tel entre avec les moyens de production en un rapport normal et actif, déterminé simplement par la nature et le but du travail. Il les approprie et les traite en simples moyens et matières du travail, si bien qu'ils cessent d'exister à part, tournés qu'ils étaient sur eux-mêmes et doués d'une âme propre, bref, ils ne sont plus séparés du travail. A présent, le travail est rétabli dans son union avec les conditions objectives qui sont la simple matière et les organes de son activité créatrice. La peau que l'ouvrier tanne, il la traite comme simple objet de son activité productive, et non comme capital[92] : il ne tanne pas la peau du capitaliste.[93]

Pour autant que le procès de production n'est que procès de travail, l'ouvrier y consomme les moyens de production comme de simples aliments du travail; en revanche, pour autant qu'il est aussi procès de valorisation, le capitaliste y consomme la force de travail de l'ouvrier, en s'appropriant le travail vivant comme sang vital du capital. La matière première et l'objet du travail en général ne servent qu'à absorber le travail d'autrui, l'instrument de travail faisant office de conducteur, de véhicule dans ce procès d'absorption. En incorporant à ses éléments matériels la force de travail vivante, le capital devient un monstre animé, et se met à agir « comme s'il était possédé par l'amour ».

Comme on le sait, le travail ne crée de la valeur que s'il revêt une forme utile bien déterminée, de même que chaque forme utile particulière exige un travail, des matières et des moyens d'une valeur d'usage spécifique (fileur, coton, broches, etc.). C'est pourquoi, le travail ne peut être absorbé que si le capital possède la forme de moyens de production spécifiques, correspondant aux procès de travail déterminés. Ce n'est que sous cette forme qu'il peut effectivement absorber du travail vivant.

C'est pourquoi, aux yeux du capitaliste, de l'ouvrier et de l'économiste (qui ne peut concevoir de procès de travail en dehors de l'appropriation capitaliste), les éléments matériels du procès de travail se présentent comme du capital, de par leurs propriétés matérielles. C'est pourquoi, l'économiste est incapable de distinguer entre l'existence matérielle de ces simples facteurs du procès de travail et la propriété, sociale qui s'y amalgame, et en fait du capital. Il en est incapable, parce que, dans la réalité, c'est un seul et même procès de travail - auquel les moyens de production, de par leurs propriétés matérielles, servent de simples aliments du travail - qui transforme ces moyens de production en simples moyens d'absorption du travail.

Dans le procès de travail considéré en soi, l'ouvrier utilise les moyens de production; dans le procès de travail, qui est en même temps procès de production capitaliste, les moyens de production emploient l'ouvrier, en sorte que le travail n'est plus qu'un moyen grâce auquel une somme donnée de valeurs, soit une masse déterminée de travail objectivé, absorbe du travail vivant, en vue de se conserver et de s'accroître. Le procès de travail est donc procès d'auto-valorisation du travail objectivé grâce au travail vivant.[94]

Le capital utilise donc l'ouvrier, et non l'ouvrier le capital : seuls les objets qui emploient l'ouvrier et ont donc une existence, une volonté et, une conscience personnifiées dans le capitaliste, sont du capital.[95]

Pour autant que le procès de travail est le simple moyen et la forme réelle du procès de valorisation, bref, pour autant qu'il consiste à objectiver dans les marchandises - outre le travail matérialisé dans le salaire - un surcroît de travail non payé, plus-value, c'est-à-dire pour autant qu'il est procès de production de la plus-value, le point de départ de tout ce procès est l'échange de travail objectivé contre du travail vivant, ou plus exactement l'échange d'un travail objectivé moindre contre un travail vivant plus important.

Dans le procès d'échange, une somme d'argent représentant une marchandise (ou travail objectivé) s'échange contre une quantité égale de travail objectivé dans la capacité vivante du travail : conformément à la loi de la valeur qui règle l'échange des marchandises, on y échange des équivalents, quantités égales de travail objectivé, même si l'une est objectivée dans une chose et l'autre dans une personne en chair et en os. Mais cet échange n'est que l'amorce du procès de production, au sein duquel, en réalité, s'échange plus de travail sous une forme vivante qu'il n'en a été dépensé sous forme objectivée.

L'économie politique classique a eu le grand mérite de concevoir tout le procès de production comme un procès se déroulant entre le travail objectivé et le travail vivant, le travail vivant étant opposé au capital, simple travail objectivé, c'est-à-dire valeur qui se valorise elle-même grâce au travail vivant.

Son seul défaut, c'est : de n'avoir pas su montrer comment cet échange d'une quantité plus grande de travail vivant contre une quantité moindre de travail objectivé ne contredit pas la loi de l'échange de marchandises, autrement dit, la détermination de la valeur des marchandises par le temps de travail; et, en conséquence, d'avoir identifié purement et simplement l'échange d'une quantité déterminée de travail objectivé contre la force de travail dans le procès de circulation avec l'absorption de travail vivant dans le procès de production par le travail objectivé sous forme de moyens de production, d'où confusion entre le procès d'échange du capital variable contre la force de travail et le procès d'absorption du travail vivant par le capital constant dans le procès de production.

Ces erreurs s'expliquent par l'emprise qu'exerce le capital sur les économistes. De fait, l'échange d'une quantité moindre de travail objectivé contre une quantité plus grande de travail vivant apparaît comme un seul et unique procès, sans aucun intermédiaire aux yeux du capitaliste : ne paie-t-il pas le travail qu'après sa valorisation ?

Ainsi donc, lorsque l'économiste moderne oppose au travail vivant le capital, travail objectivé, il n'entend pas par travail objectivé les produits du travail ayant une valeur d'usage et incarnant certains travaux utiles, mais les produits en tant que matérialisation d'une quantité déterminée de travail social général, donc de valeur (argent) qui se valorise elle-même en s'appropriant le travail vivant d'autrui.

Cette appropriation s'effectue sur le marché au moyen de l'échange entre capital variable et force de travail, mais ne s'accomplit vraiment que dans le procès de production réel.[96]

Au début, la subordination du procès de travail au capital ne change rien au mode de production réel, elle se traduit pratiquement en ceci : l'ouvrier passe sous le commandement, la direction et la surveillance du capitaliste, bien sûr, uniquement pour ce qui est de son travail qui appartient au capital.[97]

D'abord, le capitaliste veille à ce que l'ouvrier ne perde pas son temps, que chaque heure de son travail fournisse le produit d'une heure de travail et qu'il n'emploie que du temps de travail moyen nécessaire pour fabriquer le produit. Dès lors que le rapport capitaliste domine la production et que l'ouvrier et le capitaliste reviennent constamment sur le marché, l'un comme vendeur et l'autre comme acheteur, le procès de travail dans son ensemble devient continu, au lieu d'être interrompu comme lorsque le travailleur, en tant que producteur autonome de marchandises, dépend de la vente de ses marchandises à la clientèle particulière. En effet, le minimum de capital doit être désormais assez grand pour occuper en permanence l'ouvrier et pour attendre la vente des marchandises.[98]

Ensuite, le capitaliste oblige les ouvriers à prolonger le plus possible la durée de leur journée au-delà du temps de travail nécessaire à la reproduction de leur salaire, puisque c'est précisément cet excédent de travail qui lui procure une plus-value.[99]

De même que la valeur d'usage n'intéresse le possesseur de marchandises que parce qu'elle est le support de leur valeur d'échange, de même le procès de travail n'intéresse le capitaliste que parce qu'il est le support et le moyen du procès de valorisation. Pour lui, dans le procès de production, du fait qu'il est procès de valorisation, les moyens de production continuent d'être de simples valeurs monétaires, indifférentes à la forme matérielle et à la valeur d'usage spécifique sous lesquelles ils se présentent. Exactement de la même manière, le travail n'y est pas considéré comme une activité productive ayant une valeur d'usage particulière, mais comme une substance créatrice de valeurs, comme un travail social général qui s'objective et dont le seul élément est la quantité.

Ainsi, chaque branche particulière de la production n'est pour le capital qu'une sphère de placement de son argent pour en tirer plus d'argent, pour conserver la valeur existante et l'accroître, ou pour s'approprier du surtravail[100]. Or, dans chaque branche particulière de la production, le procès de travail, donc aussi les facteurs de celui-ci, sont différents. Les bottes ne se fabriquent pas avec les broches, le coton et les fileurs !

Toutefois, le placement de capitaux dans telle ou telle branche de production, les quantités dans lesquelles le capital de la société se répartit entre les diverses branches de la production et enfin les proportions dans lesquelles il migre d'une branche à l'autre, tout cela est déterminé par les besoins changeants de la société pour les produits de ces branches particulières, c'est-à-dire par la valeur d'usage des marchandises qui y sont produites : même si l'on ne paie que la valeur d'échange d'une marchandise, on ne l'achète que pour sa valeur d'usage. Étant donné que le produit immédiat du procès de production est la marchandise, le capitaliste ne peut réaliser son capital qui, à la fin de ce procès, existe sous forme de marchandises (donc aussi la plus-value y renfermée), que s'il trouve des acquéreurs pour ses marchandises.

Le capital en soi et pour soi est indifférent à la spécificité de chaque branche particulière de la production : seule la difficulté plus ou moins grande de vente des marchandises de telle ou telle branche détermine où, comment et dans quelle mesure il se place dans une branche donnée de la production ou en émigre, bref modifie sa distribution entre les diverses branches productives.

Dans la pratique, cette mobilité du capital se heurte à des obstacles, dont nous n'avons pas à analyser ici le détail. Mais, comme nous le verrons par la suite, d'une part, le capital crée des moyens pour les surmonter, pour autant qu'ils naissent directement de son rapport de production; d'autre part, avec le développement de son propre mode de production, il élimine tous les obstacles légaux ou extra-économiques entravant la liberté de se mouvoir dans les diverses branches de production et, en premier lieu, il renverse et brise toutes les barrières juridiques ou traditionnelles, qui l'empêchent d'acheter à sa guise telle ou telle sorte de force de travail, ou de s'approprier tel ou tel genre de travail.

En outre, bien que la force de travail possède une forme spécifique dans chaque branche de production (ainsi l'art de filer, de ressemeler, de forger) et que, pour chaque branche particulière de production, il faille donc une force de travail étroitement spécialisée, une force de travail particularisée, cette mobilité du capital implique, qu'il soit lui-même indifférent à la nature particulière du procès de travail qu'il s'approprie. Qui plus est, le capital exige une même fluidité ou mobilité du travail, c'est-à-dire de la capacité d'application de la force de travail par l'ouvrier.

Nous verrons que le mode de production capitaliste crée lui-même des obstacles économiques qui s'opposent à sa tendance propre[101]. Cependant, il élimine tous les obstacles légaux et extra-économiques à cette variabilité.[102]

Si le capital - valeur qui se valorise elle-même - est indifférent à la forme matérielle particulière qu'il revêt dans le procès de travail - soit comme machine à vapeur, soit comme tas de fumier ou soie - l'ouvrier ne l'est pas moins au contenu particulier de son travail.

Au reste, son travail appartient au capital et n'est que la valeur d'usage de la marchandise vendue par l'ouvrier à seule fin de se procurer de l'argent et, avec cet argent, des moyens de subsistance. Changer de travail ne le préoccupe que dans la mesure où toute espèce particulière de travail exige une formation différente de la force de travail. Son indifférence au contenu particulier du travail ne lui procure donc pas l'aptitude de changer sur commande ses capacités de travail. Cependant, il prouve son indifférence lorsqu'il lance ceux qui prennent la relève - la génération montante - d'une branche d'activité à l'autre, selon les impératifs du marché. De fait, plus est développée la production capitaliste d'un pays, plus grande est la mobilité exigée de la capacité de travail. Plus l'ouvrier est indifférent au contenu particulier de son travail, plus est fluide et intense la migration du capital d'une branche de production à l'autre.

L'axiome de l'économie politique classique est la mobilité de la force de travail et la fluidité du capital. C'est exact pour autant que le mode de production capitaliste y tend impitoyablement, en dépit de tous les obstacles qu'il crée lui-même pour la plupart. De toute façon, pour exposer les lois de l'économie politique dans leur pureté, il faut faire abstraction de ces obstacles, comme en mécanique pure on néglige les frictions secondaires qui, dans chaque cas particulier, doivent être écartées pour que la loi s'applique.[103]

Bien que le capitaliste et l'ouvrier n'aient sur le marché d'autres rapports que ceux d'acheteur (argent) et de vendeur (force de travail-marchandise), ce rapport prend d'emblée une tonalité particulière en raison du contenu spécifique de l'objet de ce commerce. Cela est d'autant plus manifeste que, comme l'exige le mode de production capitaliste, les deux parties apparaissent toujours à nouveau sur le marché, en ayant chacun sa même caractéristique en opposition à l'autre.

Au contraire, dans le rapport ordinaire des possesseurs de marchandises sur le marché, chaque possesseur de marchandises apparaît alternativement comme vendeur et acheteur. Ce qui y distingue les deux possesseurs de marchandises, en tant que vendeur et acheteur, s'efface sans cesse, puisqu'ils jouent alternativement tous deux le même rôle l'un en face de l'autre dans la sphère de la circulation.

Certes, l'ouvrier devient à son tour acheteur, après qu'il ait vendu sa capacité de travail et l'ait transformé en argent, tandis que les capitalistes lui font face comme de simples vendeurs de marchandises. Mais, entre ses mains, l'argent est un pur moyen de circulation. Sur le marché où s'échangent les marchandises, l'ouvrier se distingue du propriétaire de marchandises, qui est toujours vendeur, en ce que lui-même est toujours acheteur, comme le sont tous les autres possesseurs d'argent. En revanche, sur le marché du travail, l'argent fait toujours face à l'ouvrier sous forme de capital, le possesseur de cet argent étant du capital personnifié, le capitaliste; de même, l'ouvrier y fait toujours face au possesseur de l'argent comme simple personnification de la capacité de travail, donc du travail, bref comme ouvrier.[104]

Sur le marché, on ne trouve donc pas face à face un simple vendeur et un simple acheteur, mais un capitaliste et un ouvrier qui s'opposent comme vendeur et acheteur, dès la sphère de circulation. Leur rapport de capitaliste et d'ouvrier conditionne en effet leur rapport d'acheteur et de vendeur. Ce rapport ne découle pas simplement de la nature de la marchandise elle-même, comme chez les autres vendeurs de marchandises qui produisent pour leurs propres besoins, en créant un produit déterminé sous forme de marchandise afin de s'approprier, par l'acte de vente, les produits d'autrui. Nous n'avons plus affaire à la division sociale du travail dont chaque branche est autonome, le cordonnier, par exemple, vendant des chaussures et achetant du cuir et du pain, mais à une division des éléments d'un procès de production qui en réalité forment un tout, mais dont l'autonomie est poussée jusqu'à l'antagonisme et la personnification respective. Ainsi donc, l'argent, forme universelle du travail objectivé, devient acheteur de la force de travail, source vivante de la valeur d'échange, et partant aussi de la richesse, du point de vue de la valeur d'échange (argent) et de la valeur d'usage (moyens de subsistance et moyens de production), la richesse réelle se manifeste en une personne face à la possibilité de la richesse, autrement dit, de la capacité de travail, qui est une autre personne.

Comme la plus-value est le produit spécifique du procès de production, le produit de celle-ci n'est pas seulement la marchandise, mais encore le capital. Comme on le sait, le travail se transforme en capital dans le procès de production. L'activité de la force de travail, c'est-à-dire du travail, s'objective dans le procès de production et devient ainsi de la valeur; mais, étant donné qu'avant même d'avoir commencé, le travail a déjà cessé d'appartenir à l'ouvrier, ce qui s'objective c'est, à ses yeux, du travail d'autrui, du capital, c'est-à-dire une valeur qui, étant autonome, s'oppose à la force de travail. Le produit appartient au capitaliste et, vis-à-vis de l'ouvrier, représente du capital tout autant que les éléments du procès de production.

Au reste, la valeur existante (argent) ne devient véritablement capital que du moment où : elle se valorise dans le procès de production où l'activité de la capacité de travail, le travail, agit comme une énergie qui s'incorpore à lui et devient sa propriété, et elle se distingue, en tant que plus-value, de la valeur avancée, ce qui est encore le résultat de l'objectivation de surtravail.

c) Le procès de production comme procès d'auto-valorisation du capital[modifier le wikicode]

Dans le procès de production, le travail devient du travail objectivé en opposition à la force de travail vivante et, du fait même de l'absorption et de l'appropriation du travail, la valeur avancée devient valeur en procès, - c'est-à-dire une valeur qui crée de la plus-value distincte d'elle. C'est uniquement parce que le travail se transforme en capital durant le procès de production, que la somme de valeurs avancée - capital purement potentiel - se réalise comme capital réel.[105]

(...)[106] c'est-à-dire dans la production, on obtient en retour une valeur supérieure à la somme des valeurs avancées par le capitaliste. La production de marchandises est simple moyen d'atteindre ce but, tout comme en général le procès de travail apparaît uniquement comme moyen du procès de valorisation au sens de création de plus-value, et non comme précédemment de création de valeurs.

Ce résultat s'obtient dans la mesure où le travail vivant que l'ouvrier doit exécuter, et qui s'objective donc dans le produit de son activité, est plus grand que le travail contenu dans le capital variable ou salaire, en d'autres termes, que le travail nécessaire à la reproduction de la force de travail.

La valeur avancée ne devenant capital que par la création de plus-value, la genèse du capital, tout comme le procès de production capitaliste, repose essentiellement sur les deux éléments suivants :

l'achat et la vente de la capacité de travail. Autrement dit, un acte qui se déroule dans la sphère de circulation, mais qui, du point de vue de l'ensemble du procès de production capitaliste, n'est pas seulement l'un de ses éléments et sa prémisse, mais encore son résultat constant. Cet achat-vente de la force de travail implique déjà que les conditions objectives du travail - moyens de subsistance et de production - soient séparées de la force vivante du travail, devenue l'unique propriété dont l'ouvrier dispose, et donc l'unique marchandise qu'il peut offrir à l'acheteur éventuel.

Cette séparation est si radicale que les conditions objectives du travail apparaissent en face de l'ouvrier comme des personnes autonomes, le capitaliste, leur propriétaire, les personnifiant en opposition à l'ouvrier, simple possesseur de la capacité de travail. Cette séparation et cette autonomie sont une condition préalable à l'achat et la vente de la force de travail et à l'incorporation du travail vivant au travail mort comme moyen de conservation et d'accroissement de ce dernier, comme moyen de son auto-valorisation. Sans cet échange du capital variable contre la force de travail, il n'y aurait pas auto-valorisation du capital total, ni formation de capital en général : les moyens de production et de subsistance ne le transformeraient pas en capital.

le véritable procès de production. Ce second élément représente le procès réel de consommation de la force de travail achetée par le possesseur de marchandises et d'argent.

Dans le procès de production réel, les conditions objectives du travail - matière et moyens du travail - servent à objectiver non seulement le travail vivant, mais encore un travail excédant celui que contenait le capital variable. Elles servent donc de moyen d'absorption et de l'extorsion du sur travail qui s'exprime dans la plus-value (et le surproduit).

Considérons maintenant les deux éléments suivants : l'échange de la force de travail contre le capital variable; le procès de production proprement dit (où le travail vivant est incorporé comme agent au capital).

L'ensemble apparaît comme un procès où : une quantité moindre de travail objectivé s'échange contre une quantité supérieure, du fait que le capitaliste reçoit du travail vivant en échange du salaire qu'il verse; les formes objectives que le capital revêt immédiatement dans le procès de travail, les moyens de production (donc encore du travail objectivé) sont des moyens d'extorsion et d'absorption de travail vivant.

L'ensemble forme donc un procès qui se déroule entre le travail vivant et le travail objectivé, ce procès ne transformant pas seulement le travail vivant en travail objectivé, mais encore le travail objectivé en capital. En conséquence, c'est un procès ne produisant pas seulement des marchandises, mais encore de la plus-value, donc du capital.[107]

Les moyens de production se présentent ici non seulement comme des moyens de réaliser le travail, mais encore - au même titre - comme des moyens d'exploiter le travail d'autrui.[108]

A propos de la valeur (argent) qui matérialise le travail social moyen, on peut observer, en outre, qu'un travail de filage, par exemple, peut se situer au-dessus ou au-dessous de la moyenne du travail social. Autrement dit, telle quantité de travail de filage peut être égale, supérieure ou inférieure à une même quantité de travail social moyen ou au temps de travail de même grandeur (durée) objectivé, par exemple, dans une certaine quantité d'or. Mais, si le travail de filage est effectué avec le degré d'intensité normal de sa sphère, par exemple, si le travail utilisé dans le filé produit en une heure est égal à la quantité normale de filé produite en moyenne par une heure de travail de filage dans les conditions sociales existantes, le travail objectivé dans le filé sera le travail social moyen, et, comme tel, il a un rapport quantitatif déterminé avec le travail social, moyen et général, qui sert de mesure : il peut en représenter une quantité égale, moindre ou supérieure, et exprimer donc, lui aussi, une quantité déterminée de travail social moyen.

G. Les deux phases historiques du développement économique de la production capitaliste[109][modifier le wikicode]

a) Soumission formelle du travail au capital[modifier le wikicode]

Le procès de travail devient simple moyen de valorisation et d'auto-valorisation du capital, simple moyen de production de la plus-value : non seulement il est subordonné au capital, mais c'est son procès à lui. Le capitaliste y entre comme dirigeant et chef. Il s'agit donc d'emblée pour lui d'un procès d'exploitation du travail d'autrui. C'est ce que j'appelle la soumission formelle du travail au capital. C'est une forme que l'on retrouve en général dans tout procès de production capitaliste. De même, elle peut coexister comme forme particulière au sein du mode de production capitaliste pleinement développé, alors que l'inverse n'est pas forcément vrai.

Le procès de production est désormais procès du capital lui-même, procès qui s'effectue sous la direction du capitaliste au moyen des éléments du procès de travail, en lesquels l'argent est converti dans le seul but de faire plus d'argent avec cet argent.

Lorsque le paysan, jusque-là indépendant et travaillant pour lui-même, devient journalier et produit pour un fermier; lorsque l'ordre hiérarchique, propre au mode de production féodal des corporations, fait place au simple antagonisme du capitaliste faisant travailler pour lui l'artisan devenu salarié; lorsque l'ancien esclavagiste emploie comme salariés ceux qui étaient naguère ses esclaves, etc., il apparaît que ces procès de production, si diversement structurés du point de vue économique et social. sont transformés en procès de production du capital. C'est alors que se manifestent les changements que nous avons analysés précédemment[110].

Le paysan, naguère indépendant, passe, comme facteur du procès de production, sous la dépendance du capitaliste, qui le dirige et le surveille. Son emploi même dépend d'un contrat qu'il doit, en tant que possesseur de marchandise - sa force de travail - conclure au préalable avec le capitaliste, possesseur d'argent. L'esclave cesse d'être un instrument de production appartenant à son patron. Le rapport du maître et du compagnon disparaît. L'artisan qui était maître de métier vis-à-vis du compagnon, n'est plus maintenant en face de lui qu'un possesseur de capital, tandis que son vis-à-vis n'est plus qu'un vendeur de travail.

Avant le procès de production, ils se font tous face comme possesseurs de marchandises n'ayant entre eux qu'un rapport purement monétaire. Au sein du procès de production, ce sont les fonctionnaires qui en personnifient les divers facteurs, le capitaliste le « capital », et le producteur immédiat le « travail », leur rapport étant déterminé par le travail devenu simple facteur du capital qui se valorise lui-même.

Le capitaliste veille à ce que le travail ait le degré normal de qualité et d'intensité; il prolonge autant que possible la durée du procès de travail, la plus-value produite augmentant en proportion. La continuité du travail augmente, lorsque les producteurs qui dépendaient des clients privés n'ont. plus à vendre leurs produits eux-mêmes et trouvent dans le capitaliste un trésorier-payeur durable.

Il se produit ici également une mystification inhérente au rapport capitaliste : la force de travail qui conserve la valeur, apparaît comme la force d'auto-conservation du capital, et la force de travail créatrice de valeur comme force d'auto-valorisation du capital; bref, il apparaît que le travail objectivé utilise le travail vivant.

Néanmoins, tous ces changements n'affectent pas d'emblée le contenu et les procédés techniques réels du procès de travail et de production. Au contraire, il est normal que le capital se soumette le procès de travail tel qu'il existe, c'est-à-dire sur la base des procès de travail développés par les différents modes de production archaïques.

Le capital se soumet donc un procès de travail préexistant et déterminé; par exemple, le travail artisanal ou la petite agriculture paysanne autonome. Les seules transformations que l'on puisse enregistrer dans le procès de travail traditionnel, soumis au commandement du capital, ce sont les conséquences progressives de la soumission, désormais réalisée par le capital, des procès donnés et traditionnels du travail.

Le contenu du procès réel de travail et la technique en vigueur ne changent pas non plus du fait que l'intensité et la durée du travail augmentent, et que le travail s'ordonne et se déroule de manière plus suivie sous l’œil intéressé du capitaliste. Ils sont bien plutôt en contraste frappant avec le mode de production spécifiquement capitaliste (travail à une grande échelle, etc.), celui-ci se développant à mesure qu'augmente la production capitaliste, qui révolutionne progressivement la technique du travail et le mode d'existence réel de l'ensemble du procès de travail en même temps que les rapports entre les divers agents de la production.

C'est justement par opposition au mode de production capitaliste pleinement développé que nous appelons soumission formelle du travail au capital, la subordination au capital d'un mode de travail tel qu'il était développé avant que n'ait surgi le rapport capitaliste.

Les deux formes ont en commun que le capital est un rapport coercitif visant à extorquer du surtravail, tout d'abord en prolongeant simplement la durée du temps de travail, la contrainte ne reposant plus sur un rapport personnel de domination et de dépendance, mais uniquement sur les différentes fonctions économiques. En fait, le mode de production spécifiquement capitaliste connaît encore d'autres modes d'extorsion de plus-value, mais, sur la base d'un mode de production préexistant, c'est-à-dire d'un mode donné de la force productive du travail, et du mode de travail correspondant au développement de cette force productive, la plus-value ne peut être extorquée qu'en prolongeant la durée du temps de travail, sous forme de la plus-value absolue.[111] La soumission formelle du travail au capital ne connaît donc que cette seule forme de production de plus-value.

Les éléments généraux du procès de travail tels que nous les avons exposés au chapitre II (3° section)[112] - par exemple, la division des conditions objectives du travail en matière et moyens de production en opposition à l'activité vivante de l'ouvrier - sont indépendants de chacun des caractères spécifiquement historiques et sociaux du procès de production, et sont donc valables pour toutes les formes possibles de développement du procès de travail. Ce sont, en fait, les conditions naturelles, invariables, du travail humain, comme on le constate d'une manière frappante au simple fait qu'elles existent même pour les hommes travaillant indépendamment les uns des autres en un rapport d'échange, non pas avec la société, mais avec la nature, tel Robinson. Ce sont donc les déterminations absolues du travail humain en général, sitôt qu'il s'est dégagé de son caractère purement animal.

Ce en quoi le procès de travail soumis formellement au capital se distingue d'emblée - et se distinguera toujours plus - même s'il s'exerce sur la base de l'ancien mode de travail traditionnel, c'est l'échelle à laquelle il opère, c'est-à-dire, d'une part, le volume des moyens de production avancés, d'autre part, le nombre des ouvriers commandés par un même employeur. Ce qui, sur la base du mode de production des corporations apparaît comme montant maximum des compagnons employés par un maître ne constitue même pas le strict minimum pour le rapport capitaliste. Un tel minimum donnerait à la rigueur un rapport capitaliste purement nominal, puisque le capitaliste n'emploierait pas assez d'ouvriers pour que la plus-value produite assure un revenu suffisant à sa consommation privée et à son fonds d'accumulation, de manière à le dispenser d'un travail immédiat et lui permettre d'apparaître comme simple capitaliste, surveillant et dirigeant le procès, fonctionnaire, doué de volonté et de conscience, du capital engagé dans son procès d'auto-valorisation.

Cet élargissement de l'échelle productive constitue la base réelle sur laquelle le mode de production spécifiquement capitaliste se développe, dès lors qu'il trouve des conditions historiques favorables, par exemple au XlV° siècle, cependant qu'il surgit de manière sporadique, sans dominer la société entière, au sein de formations sociales plus anciennes.

La soumission formelle du travail au capital s'observe le mieux dans les conditions où le capital existe déjà dans certaines fonctions subordonnées, sans dominer et déterminer encore toute la forme sociale, comme c'est le cas lorsqu'il achète directement le travail en s'appropriant le procès de production immédiat. En Inde, par exemple, le capital usuraire avance au producteur immédiat des matières premières et des instruments de travail, en nature ou sous forme monétaire : les gigantesques profits qu'il retire et, en général, les intérêts - de quelque montant qu'ils soient - qu'il arrache aux producteurs immédiats ne sont rien d'autre que de la plus-value. En effet, son argent se transforme en capital du fait qu'il extorque du travail non payé - du surtravail - au producteur immédiat. Toutefois, il ne s'immisce pas dans le procès de production en tant que tel, celui-ci fonctionnant toujours en dehors de lui, selon le mode traditionnel. De fait, le capital usuraire se développe, lorsque le mode de production traditionnel s'étiole; qui plus est, il est le moyen de l'étioler et de le faire végéter dans les conditions les plus défavorables. Ce n'est toutefois pas encore la soumission formelle du travail au capital.

Un autre exemple, c'est celui du capital marchand, qui passe commande à un certain nombre de producteurs immédiats, puis collecte leurs produits et les revend, en avançant parfois la matière première ou l'argent, etc. C'est à partir de cette forme que s'est développé un élément important du rapport capitaliste moderne. Çà, et là, il assure aujourd'hui encore la transition au rapport capitaliste proprement dit. Là aussi nous n'avons pas encore de soumission formelle du travail au. capital. En effet, le producteur immédiat continue à la fois de vendre sa marchandise et d'utiliser son propre travail. Cependant, la transition y a déjà atteint un stade plus avancé que dans le rapport du capital usuraire.

A l'occasion nous reviendrons plus tard sur ces deux formes qui se retrouvent au sein du mode de production capitaliste développé où elles assurent la transition de branches d'activité secondaires non encore pleinement capitalistes.

b) Soumission réelle du travail au capital, ou le mode de production spécifiquement capitaliste[modifier le wikicode]

Au chapitre III[113], nous avons exposé en détail qu'avec la production de plus-value relative, toute la forme réelle du mode de production se modifie, de sorte que nous avons affaire au mode de production spécifiquement capitaliste (du point de vue technologique aussi)[114]. C'est sur cette base - et à partir d'elle seulement - que se développent des rapports de production conformes au procès capitaliste de production entre les divers agents de la production, notamment entre capitalistes et salariés.

En se développant, les forces de production de la société, ou forces productives du travail, se socialisent et deviennent directement sociales (collectives), grâce à la coopération, la division du travail au sein de l'atelier, l'emploi du machinisme et, en général, les transformations que subit le procès de production grâce à l'emploi conscient des sciences naturelles, de la mécanique, de la chimie, etc. appliquées à des fins technologiques déterminées, et grâce à tout ce qui se rattache au travail effectué à une grande échelle, etc. (Seul ce travail socialisé est en mesure d'appliquer les produits généraux du développement humain - par exemple les mathématiques - au procès de production immédiat, le développement de ces sciences étant à son tour déterminé par le niveau atteint par le procès de production matériel.)

Tout ce développement de la force productive du travail socialisé, de même que l'application au procès de production immédiat de la science, ce produit général du développement social, s'opposent au travail plus ou moins isolé et dispersé de l'individu particulier, et ce, d'autant que tout se présente directement comme force productive du capital, et non comme force productive du travail, que ce soit celle du travailleur isolé, des travailleurs associés dans le procès de production, ou même d'une force productive du travail qui s'identifierait au capital.

Cette mystification, propre au rapport capitaliste en général, va se développer désormais beaucoup plus que ce ne pouvait être le cas dans la simple soumission formelle du travail au capital. Au reste, c'est à ce niveau seulement que la signification historique de la production capitaliste apparaît d'une manière frappante (spécifique), précisément au travers des transformations subies par le procès de production immédiat et du développement des forces productives sociales du travail.

Dans lé même chapitre III, nous avons démontré que, non seulement dans les « idées », mais encore dans la « réalité », le caractère social (socialité) du travail se dresse en face de l'ouvrier comme un élément étranger et, qui plus est, hostile et antagonique, lorsqu'il est objectivé et personnifié dans le capital.

Si la production de la plus-value absolue correspond à la soumission formelle du travail au capital, celle de plus-value relative correspond à la soumission réelle du travail au capital.

Si l'on considère à part chacune des formes de plus-value., absolue et relative, celle de la plus-value absolue précède toujours celle de la plus-value relative. Mais à ces deux formes de plus-value correspondent deux formes distinctes de soumission du travail au capital ou deux formes distinctes de production capitaliste, dont la première ouvre toujours la voie à la seconde, bien que cette dernière, qui est la plus développée des deux, puisse ensuite constituer à son tour la, base pour l'introduction de la première dans de nouvelles branches de production.

c) Remarques complémentaires sur la soumission formelle du travail au capital[modifier le wikicode]

Avant de poursuivre l'analyse de la soumission réelle du travail au capital, voici quelques notes complémentaires extraites de mes cahiers.

J'appelle soumission formelle du travail au capital la forme qui repose sur la plus-value absolue, parce qu'elle ne se distingue que formellement des modes de production antérieurs sur la base desquels elle surgit spontanément (ou est introduite), soit que le producteur immédiat continue d'être son propre employeur, soit qu'il doive fournir du surtravail à autrui. Tout ce qui change, c'est la contrainte exercée ou méthode employée pour extorquer le surtravail. Ce qui est essentiel dans la soumission formelle, c'est :

le rapport purement monétaire entre celui qui s'approprie le surtravail et celui qui le fournit. La subordination découle du contenu spécifique de la vente, et ne lui est pas antérieure, comme dans le cas où le producteur est dans un rapport autre que monétaire (c'est-à-dire un rapport de possesseur de marchandise à possesseur de marchandise) vis-à-vis de l'exploiteur de son travail, en raison d'une contrainte politique, par exemple. C'est uniquement parce qu'il détient les conditions du travail que le vendeur place l'acheteur sous sa dépendance économique : ce n'est plus un rapport politique et social fixe qui assujettit le travail au capital.

le fait que les conditions objectives du travail (moyens de production) et les conditions subjectives de travail (moyens de subsistance) font face à l'ouvrier comme capital et sont monopolisées par l'acheteur de la force de travail, ce point implique d'ailleurs le premier rapport, car sinon l'ouvrier n'aurait pas besoin de vendre sa force de travail. C'est pourquoi, plus est radicale l'opposition entre le producteur et les conditions de travail devenues propriété d'autrui, plus est élaboré, formellement, le rapport du capital et du travail salarié, et donc plus achevée la soumission formelle du travail au capital, en tant que condition et prémisse de la soumission réelle.

Pour commencer, il n'existe aucune innovation dans le mode de production lui-même : le procès de travail se déroule exactement de la même manière qu'autrefois, hormis qu'il est maintenant subordonné au capital. Néanmoins, comme nous l'avons déjà montré, il se développe dans le procès de production :

un rapport économique de domination et de subordination, du fait que le capitaliste consomme désormais la force de travail, donc la surveille et la dirige.

une grande continuité et une intensité accrue du travail, ainsi qu'une plus forte économie dans l'emploi des conditions de travail, car tout est mis en œuvre pour que le produit ne renferme que du temps de travail socialement nécessaire (et, si possible, moins), en ce qui concerne non seulement le travail vivant employé à sa production, mais encore le travail objectivé (moyens de production) utilisé, dont la valeur entre dans le produit, et donc dans la création de valeur.

Dans la soumission formelle du travail au capital, la contrainte exercée pour produire du surtravail - donc l'obligation de créer des besoins en même temps que les moyens de les satisfaire, grâce à une production excédant les besoins du travailleur, et de créer du temps libre en vue d'un développement distinct de la production matérielle - ne diffère que par la forme de celle des modes de production antérieurs. Toutefois, cette forme qui accroît la continuité et l'intensité du travail, donc la production, favorise une diversification des modes de travail et de rémunération. Enfin, elle réduit la relation du possesseur des conditions de travail et de l'ouvrier à un pur rapport d'achat et de vente, ou rapport monétaire, en éliminant des rapports d'exploitation tous les vestiges et imbrications de nature patriarcale, politique et même religieuse.

Certes, ce rapport de production lui-même crée un nouveau système de domination et de subordination, qui, à son tour, se manifeste, entre autres, sous une forme politique. Tant que la production capitaliste ne dépasse pas le niveau du rapport formel, il subsiste de nombreux petits capitalistes, dont la formation et l'activité différent à peine de celles des travailleurs.

Ce qui caractérise le rapport de domination formelle, même s'il n'affecte pas le procès de production lui-même, se constate le mieux là ou les travaux agricoles et domestiques, effectués uniquement pour la satisfaction des besoins familiaux, sont transformés en branches d'activité autonomes de type capitaliste.

La différence entre le travail soumis formellement au capital et ce qu'il était dans les modes de production antérieurs se manifeste de plus en plus clairement à mesure que croît le volume du capital employé par chaque capitaliste, et donc le nombre des ouvriers qu'il emploie en même temps. C'est seulement avec un minimum donné de capital que le capitaliste cesse d'être lui-même ouvrier et se réserve uniquement à la direction du procès de travail et au commerce des marchandises produites. Aussi la soumission réelle du travail au capital - le mode de production capitaliste proprement dit - ne se développe-t-elle qu'à partir du moment où des capitaux d'un volume déterminé se soumettent la production, soit que le marchand devienne capitaliste industriel, soit que des capitalistes industriels plus importants se soient formés sur la base de la soumission formelle[115].

Lorsque ce rapport de domination et de subordination se substitue à l'esclavage, au servage, au vasselage, et aux systèmes de subordination patriarcaux, etc., sa forme seule se modifie - il devient plus libre, parce qu'il est désormais de nature objective, étant purement économique et volontaire en apparence seulement (cf. la note précédente).

Par ailleurs, dans le procès de production, ce rapport de domination et de subordination prend la place de la traditionnelle autonomie des paysans se suffisant à eux-mêmes, des fermiers qui payaient simplement une rente en nature à l'État ou au propriétaire foncier, et des artisans libres de l'industrie domestique à la campagne ou des corporations dans les villes. Dans tous ces cas, les producteurs perdent leur autonomie, l'instauration du mode de production capitaliste ayant pour résultat un régime de domination et de subordination au sein du procès de production.

Enfin, le rapport entre le capitaliste et le salarié se substitue à celui du maître de corporation et de ses compagnons et apprentis, cette transition s'effectuant en partie lorsque les manufactures naissent dans les villes. Le rapport des corporations médiévales, qui s'était développé sous une forme analogue, mais à une échelle plus réduite à Athènes et à Rome, eut une importance décisive en Europe pour la formation des capitalistes, d'une part, et d'une classe de travailleurs libres, d'autre part; mais c'était une forme limitée, non encore adéquate au rapport entre le capital et le salariat. En effet, on y trouve encore le rapport entre vendeur et acheteur, mais déjà un salaire est payé, et le maître, les compagnons et les apprentis se font face en tant que personnes libres. La base technologique de ce rapport est constituée par l'atelier artisanal, dont le facteur décisif de production est l'art plus ou moins grand dans le maniement de l'instrument de travail.

Ce qui détermine ici le résultat du travail, c'est donc le travail personnel et indépendant, c'est-à-dire sa formation professionnelle, qui suppose un temps d'apprentissage plus ou moins long. Le maître-artisan se trouve en possession des conditions de production de la matière première et de l'outil (qui peut aussi appartenir au compagnon), de sorte que le produit lui revient : en ce sens, il serait capitaliste. Mais, il n'est pas maître, parce que capitaliste. Il est d'abord lui-même artisan, ce qui implique qu'il soit maître dans son métier.

Au sein du procès de production, il figure comme artisan - au même titre que ses compagnons, et il initie ses apprentis aux secrets du métier. Il a visa-vis d'eux le même rapport qu'un professeur vis-à-vis de ses élèves. Son rapport avec les apprentis et les compagnons n'est donc pas celui d'un capitaliste, mais d'un maître de métier, qui, en tant que tel, occupe un rang plus élevé dans la hiérarchie corporative, selon sa maîtrise dans le métier. Il s'ensuit que son capital est entravé, dans sa substance aussi bien que dans sa grandeur de valeur, et n'a pas encore la liberté de mouvement du capital en tant que tel. Ce n'est pas encore une certaine quantité de travail objectivé, valeur par excellence, qui peut assumer - et assume - indifféremment telle ou telle forme de conditions de travail, selon qu'elle s'échange contre telle ou telle forme de travail vivant en vue de s'approprier du surtravail.

Ce n'est qu'après avoir gravi les échelons prescrits, de l'apprentissage au compagnonnage, et exécuté une œuvre de maître, que l'artisan pourra, dans sa branche déterminée de travail, son métier à lui, transformer son argent en conditions objectives de travail ou en salaires pour ses compagnons et apprentis. C'est uniquement dans son métier à lui, dans son propre atelier, qu'il peut convertir son argent en capital, non seulement comme moyen de son propre travail, mais encore comme moyen d'exploiter le travail d'autrui. Bref, son capital est lié a une forme déterminée de valeur d'usage, et n'apparaît donc pas comme capital face aux travailleurs.

Les méthodes de travail utilisées ne sont pas seulement prescrites par la tradition, mais encore par les règles corporatives, et s'imposent donc à lui comme une nécessité. En ce sens aussi, ce n'est pas la valeur d'échange, mais la valeur d'usage qui représente le but final. Il ne revient pas à l'artisan de fixer la qualité de son travail : tout le corps. de métier veille à ce qu'une qualité déterminée soit fournie. Enfin, le prix du travail dépend aussi peu de sa volonté que la méthode du travail.

En outre, les limitations qui empêchent son pécule d'opérer comme capital, se manifestent en ce que la corporation impose une limite maximum à la valeur de son capital et au nombre de compagnons employés, puisque la corporation doit assurer à tous les maîtres-artisans une quote-part des gains du métier.

Il y a, enfin, les rapports liant entre eux les maîtres, qui appartiennent à une même corporation. En effet, chaque maître en tant que tel est membre d'une corporation qui possède certaines conditions collectives de la production (liens de jurande, etc.), certains droits politiques (participation à l'administration de la cité, etc.).

Exception faite des travaux qu'il exécute pour les marchands, l'artisan travaille sur commande, c'est-à-dire pour la valeur d'usage immédiate : d'où la fixation du nombre des maîtres. Il s'ensuit qu'il ne se présente pas en simple commerçant face à ses ouvriers.

Quant au marchand, il ne peut pas davantage transformer son argent en capital productif. C'est tout juste s'il peut « commanditer » (verlegen) des marchandises, car il n'a pas le droit de les produire lui-même.

Vivre selon son rang, c'est ne pas rechercher la valeur d'échange en soi, l'enrichissement, ni se fixer comme but et résultat l'exploitation du-travail d'autrui.

Ce qui est décisif, c'est l'instrument. Dans de nombreuses sphères d'activité (par exemple, dans le corps des tailleurs), les clients fournissent eux-mêmes la matière première à l'artisan. La loi qui prévaut ici, c'est le maintien de la production dans les limites tracées à l'avance par la consommation. Ce n'est pas du tout le capital qui fixe ces limites.

Dans le rapport capitaliste, de telles limites disparaissent, en même temps que les entraves politico-sociales qui empêchent encore ici le capital de se mouvoir; bref il ne s'agit pas encore du capital.

La transformation purement formelle de l'atelier artisanal en atelier capitaliste où subsiste, au début, le même procès technologique, correspond à l'élimination de toutes ces entraves, par quoi se modifie aussi le rapport de domination et de subordination existant. Le maître n'est plus capitaliste parce que maître, il est maître parce que capitaliste. Sa production n'est plus limitée par les entraves imposées à son capital. Il peut échanger à volonté son capital (argent) contre toute espèce de travail, et donc de condition de travail. Il peut cesser d'être lui-même artisan. A elle toute seule, l'extension subite du commerce, et donc de la demande de marchandises par le corps des marchands, eût pu suffire à pousser l'atelier artisanal au-delà de ses limites et à le transformer formellement en atelier capitaliste.

Il est évident que l'ouvrier travaille avec plus de continuité pour le capitaliste, que l'artisan pour ses clients occasionnels : son travail n'est pas limité par les besoins fortuits d'acheteurs particuliers, mais seulement par les besoins d'exploitation du capital qui l'emploie. Par rapport au travail de l'esclave, celui de l'ouvrier libre est plus productif, parce que plus intense. L'esclave ne travaille que sous l'empire de la crainte, et ce n'est pas son existence même qui est en jeu, puisque celle-ci lui est garantie, même si elle ne lui appartient pas. L'ouvrier libre, en revanche, est poussé par ses besoins. La conscience (ou mieux l'idée) d'être uniquement déterminé par lui-même, d'être libre, ainsi que le sentiment (sens) de la responsabilité qui s'y rattache, font de lui un travailleur bien meilleur, parce que, à l'instar de tout vendeur de marchandise, il est responsable de la marchandise qu'il fournit et tenu de la fournir à une certaine qualité, au risque d'être évincé par les autres vendeurs de la même marchandise.

La continuité du rapport de l'esclave et de l'esclavagiste était assurée par la contrainte subie directement par l'esclave. En revanche, l'ouvrier libre est obligé d'assurer lui-même la continuité de son rapport, car son existence et celle de sa famille dépendent du renouvellement continu de la vente de sa force de travail au capitaliste.

Pour l'esclave, le minimum de salaire est une grandeur constante, indépendamment de son travail. Pour l'ouvrier libre, la valeur de sa force de travail et le salaire moyen correspondant ne sont pas déterminés à l'avance, indépendamment de son travail, ni maintenus dans les limites fixes de ses besoins purement physiologiques. Certes, pour l'ensemble de la classe, la moyenne en est plus ou moins constante, comme il en est de la valeur de n'importe quelle marchandise. Mais, elle n'apparaît pas sous une réalité aussi immédiate à chaque ouvrier en particulier, dont le salaire se tient au-dessus ou au-dessous de ce minimum. Comme on le sait, le prix du travail est tantôt au-dessous, tantôt au-dessus, de la valeur de la force de travail.

Il existe en outre (dans des limites étroites) une marge de jeu pour l'individualité de l'ouvrier, d'où des différences de salaire, aussi bien dans les diverses branches d'activité qu'à l'intérieur de chacune d'elles, selon le zèle, l'adresse, la force, etc., de l'ouvrier, ces différences étant en partie déterminées par le rendement de son travail. En somme, le montant de son salaire apparaît alternativement à l'ouvrier comme le résultat de son travail et comme le fruit de ses qualités individuelles. C'est ce que le système du salaire aux pièces développe plus que tout autre. Bien qu'il ne change en rien le rapport général entre capital et travail, entre surtravail et travail nécessaire, comme nous l'avons vu[116], il exprime cependant différemment ce rapport pour chaque ouvrier à part, du fait qu'il mesure le rendement de chacun. Chez l'esclave, une force ou une habileté particulière peut accroître son prix d’achat, mais cela ne le concerne pas. Ce n'est pas le cas de l'ouvrier libre, qui est propriétaire de sa force de travail.

En outre, la valeur plus grande de sa force de travail est payée à l'ouvrier lui-même, pour qui elle s'exprime en un salaire plus élevé. Il règne donc une grande diversité de salaires, selon qu'un travail particulier exige ou non une capacité de travail supérieure au coût de production moyen. C'est ce qui, d'une part, ouvre une marge de jeu aux diversités individuelles, et, d'autre part, aiguillonne le développement des forces de travail personnelles. Certes, dans son ensemble, le travail est formé, à peu de chose près, de travail non spécialisé, si bien que la masse des salaires est déterminée par la valeur de la force de travail simple, mais les individus peuvent, grâce à leur énergie et leur talent particuliers, s'élever aux sphères supérieures d'activité.[117] De même, il est théoriquement possible qu'un ouvrier devienne capitaliste et exploiteur du travail d'autrui.

L'esclave appartient à un patron bien déterminé, tandis que l'ouvrier doit certes se vendre au capital, mais non à tel ou tel capitaliste. Il peut donc, dans une branche donnée, choisir celui à qui il veut se vendre, et changer de patron.

Toutes ces conditions nouvelles rendent l'activité de l'ouvrier libre plus intense, plus continue, plus mobile et plus capable que celle de l'esclave, sans parler de ce qu'elles lui permettent une action historique d'une tout autre envergure.

L'esclave reçoit les moyens de subsistance nécessaires à son entretien en nature, sous une forme fixe tant pour ce qui concerne la quantité que la qualité, bref, en valeurs d'usage. L'ouvrier libre les reçoit en monnaie, en valeur d'échange, forme sociale abstraite de la richesse. Même si le salaire n'est que la forme en or ou en argent, en cuivre ou en papier, des moyens de subsistance, en lesquels il se résout toujours en fin de compte, l'argent n'étant ici qu'un simple moyen de circulation, forme purement fugitive de la valeur d'échange, il n'en reste pas moins que, dans l'idée de l'ouvrier, le but et le résultat de son travail sont toujours de la richesse abstraite, valeur d'échange, et non telle valeur d'usage limitée par la tradition et la localité.

L'ouvrier transforme lui-même son argent en les valeurs d'usage, marchandises, de son choix : comme possesseur d'argent et acheteur, il se trouve vis-à-vis des vendeurs de marchandises dans le même rapport que tous les autres acheteurs. Certes, ses conditions d'existence - outre le montant de son salaire - l'obligent à dépenser son argent dans le cercle relativement étroit des moyens de subsistance. Cependant celui-ci peut évoluer. Par exemple, les journaux font aujourd'hui partie des moyens de subsistance nécessaires de l'ouvrier anglais. Il peut faire des économies et amasser un petit pécule, ou bien dilapider son salaire en buvant, etc. Quoi qu'il en soit, il se comporte en agent libre et doit s'en tirer tout seul : il est lui-même responsable de la manière dont il dépense son salaire. Il apprend à se dominer lui-même, contrairement à l'esclave, qui a besoin de son maître.

Tout cela ne vaut, cependant, qu'en égard à la transformation du serf ou de l'esclave en salarié libre. Les conditions capitalistes apparaissent alors comme une promotion dans la hiérarchie sociale. C'est l'inverse, pour le paysan indépendant ou l'artisan que l'on transforme en salarié. Quelle différence entre la fière et libre paysannerie anglaise dont parle Shakespeare, et les journaliers agricoles anglais !

Le seul but du travail d'un salarié étant l'argent de son salaire, soit une certaine quantité de valeurs d'échange d'où toute particularité de la valeur d'usage est effacée, il est tout à fait indifférent au contenu de son travail, donc au type particulier de son activité, alors que dans le système des corporations et des castes, le travail était toujours professionnel, métier; pour l'esclave, comme pour la bête de somme, c'était un type d'activité déterminé, imposé et légué par la tradition, une manière donnée d'exprimer sa force de travail. En fait, la division du travail tend à rendre le travail tout à fait unilatéral; cependant l'ouvrier est, en principe sensible à toute variation de sa force de travail et de son activité, qui lui laisse entrevoir un salaire meilleur (comme le prouve l'excédent de la population campagnarde qui émigre constamment vers les villes). Si l'ouvrier évolué est plus ou moins inapte à changer d'activité, il considère néanmoins que cette éventualité subsiste pour la génération montante des ouvriers, qui est disponible pour un transfert ou redistribution dans les branches nouvelles ou en expansion.

En Amérique du Nord, où le salariat s'est développé sans être gêné par les vestiges et réminiscences de l'ancien ordre corporatif, etc., on observe la mobilité la plus forte des ouvriers, l'indifférence la plus complète à l'égard du contenu particulier du travail et une incessante migration d'une branche d'industrie à l'autre. Tous les auteurs américains mettent en évidence les différences entre le travail salarié libre du Nord et le travail esclavagiste du Sud. Le contraste est frappant entre la mobilité du travail salarié et la monotonie et le traditionalisme du travail des esclaves, qui ne change pas suivant les conditions de production, mais au contraire exige que la production s'adapte au mode de travail qui une fois introduit se répète inlassablement (cf. Cairnes)[118].

Sur la base de cette forme de production capitaliste, on assiste à une continuelle création de modes de travail nouveaux avec une mobilité correspondante, autrement dit à une diversification des valeurs d'usage et un développement réel de la valeur d'échange, bref à une division du travail croissante dans l'ensemble de la société. On en trouve le début dans le libre atelier de l'artisan des corporations du Moyen Age, là où le producteur n'est pas bloqué dans son développement par la sclérose des diverses branches d'activité.

Après ces remarques complémentaires sur la soumission formelle du travail au capital, nous en arrivons à la

d) Soumission réelle du travail au capital[modifier le wikicode]

Ce qui subsiste ici, c'est l'élément caractéristique de la soumission formelle, à savoir l'assujettissement direct du procès de travail au capital, quels que soient les procédés techniques utilisés. En outre, de cette base émerge un mode de production spécifique en ce qui concerne non seulement la technologie, mais encore la nature et les conditions réelles du procès de travail étant nouvelles. C'est le mode de production capitaliste. C'est alors seulement que se vérifie la soumission réelle du travail au capital. « Agriculture de subsistance... transformée en agriculture vouée au commerce; amendement des terres nationales... en fonction de cette transformation. »[119] La soumission réelle du travail au capital se développe dans toutes les formes qui produisent de la plus-value relative, à la différence de la plus-value absolue.

La soumission réelle du travail au capital s'accompagne d'une révolution complète (qui se poursuit et se renouvelle constamment. cf. le Manifeste communiste[120]) du mode de production, de la productivité du travail et des rapports entre capitalistes et ouvriers.[121]

La soumission réelle du travail au capital va de pair avec les transformations du procès de production que nous venons de mentionner : développement des forces de la production sociale du travail et grâce au travail à une grande échelle, application de la science et du machinisme à la production immédiate. D'une part, le mode de production capitaliste - qui à présent apparaît véritablement comme un mode de production sui generis - donne à la production matérielle une forme différente; d'autre part, cette modification de la forme matérielle constitue la base pour le développement des rapports capitalistes, qui exigent donc un niveau déterminé d'évolution des forces productives pour trouver leur forme adéquate.

Nous avons déjà vu qu'un minimum déterminé et toujours croissant de capital dans les mains de tout capitaliste est la prémisse aussi bien que le résultat constant du mode de production spécifiquement capitaliste. Le capitaliste doit être propriétaire ou détenteur des moyens de production à une échelle sociale : leur valeur n'a désormais plus aucune proportion avec ce que peut produire un individu ou sa famille. Ce minimum de capital est d'autant plus élevé dans une branche de production que celle-ci est exploitée d'une manière plus capitaliste et que la productivité sociale du travail y est développée. A mesure que le capital voit augmenter sa valeur et qu'il prend des dimensions sociales, il perd tous ses caractères individuels.

La productivité du travail, la masse de production, de population et de surpopulation que détermine ce mode de production, créent sans cesse - grâce au capital et au travail devenus disponibles - de nouvelles branches d'industrie, où le capital peut se remettre à travailler sur une échelle plus modeste et à reparcourir les divers stades de développement jusqu'à ce qu'elles fonctionnent, elles aussi, à une échelle sociale : ce procès est constant.

C'est ainsi que la production capitaliste tend à conquérir toutes les branches d'industrie où elle ne domine pas encore et où ne règne qu'une soumission formelle. Dès qu'elle s'est emparée de l'agriculture, de l'industrie extractive, des principales branches textiles, etc., elle gagne les secteurs où sa soumission est purement formelle, voire où subsistent encore des travailleurs indépendants[122].

En traitant du machinisme, nous avons déjà observé que l'introduction de machines dans un secteur entraîne leur utilisation dans les autres compartiments de ce secteur ainsi que dans les secteurs plus éloignés. Par exemple, les machines à filer ouvrent la voie aux machines à tisser, comme la filature mécanique dans l'industrie cotonnière conduit à la filature mécanique dans les industries de la laine, du lin, de la soie, etc. L'emploi croissant de machines dans les mines de charbon, les manufactures cotonnières, etc., finit par développer la production en grand dans l'industrie de construction des machines.

Abstraction faite de l'accroissement des moyens de communication qu'exige ce mode de production à une grande échelle, ce n'est qu'avec l'introduction du machinisme dans l'industrie de la construction des machines - c'est-à-dire des prime motors cycliques - qu'il fut possible de développer non seulement les chemins de fer, mais encore les bateaux à vapeur, ce qui à son tour bouleversa toute la construction navale.

Dans les secteurs qu'elle n'a pas encore conquis, la grande industrie crée une surpopulation relative ou y jette des masses humaines suffisantes pour transformer en grande industrie l'artisanat ou les Petits ateliers formellement capitalistes. A ce propos, la jérémiade d'un tory :

« Dans le bon vieux temps, quand vivre et laisser vivre était la devise universelle, chacun se contentait d'une seule occupation. Dans l'activité cotonnière, il y avait les tisserands, les fileurs, les blanchisseurs, les teinturiers et plusieurs autres métiers indépendants, qui vivaient tous des profits de leur industrie respective, tous étant satisfaits et heureux, comme il est normal. Cependant, au fur et à mesure que le commerce s'est étendu, le capitaliste s'est emparé d'abord de l'une, puis de l'autre branche, jusqu'au jour où tout le monde fut évincé et jeté sur le marché du travail, pour y trouver tant bien que mal un gagne-pain. Ainsi, bien qu'aucune loi n'assure aux capitalistes le droit d'être fileurs, manufacturiers ou teinturiers, l'évolution les a investis d'un monopole universel... Ils sont devenus hommes à tout faire et, comme le pays vit de l'industrie, il est à craindre qu'ils ne soient maîtres en rien. »[123]

Le résultat matériel de la production - outre le développement des forces de production sociale du travail - est l'augmentation de la masse des produits, la multiplication et la diversification des branches et rameaux de la production, par quoi seulement la valeur d'échange se développe en même temps que les sphères d'activité dans lesquelles les produits se réalisent comme valeurs d'échange.

Il y a production pour la production, production comme fin en soi, dès que le travail est soumis formellement au capital, que le but immédiat de la production est de produire le plus possible de plus-value et que la valeur d'échange du produit devient le but décisif. Mais, cette tendance inhérente au rapport capitaliste ne se réalise d'une manière adéquate et ne devient technologiquement aussi une condition nécessaire qu'à partir du moment où est développé le mode de production spécifiquement capitaliste, autrement dit, la soumission réelle du travail au capital.

Ayant déjà traité largement cette question, nous pouvons être bref ici. Cette production n'est pas entravée par des limitations fixées au préalable et déterminées par les besoins. C'est en quoi elle se distingue des modes de production antérieurs, si l'on veut, son côté positif. Son caractère antagonique impose cependant à la production des limites qu'elle cherche constamment à surmonter : d'où les crises, la surproduction, etc. Ce qui fait son caractère négatif ou antagonique, c'est qu'elle s'effectue en contraste avec les producteurs et sans égard pour eux, ceux-ci n'étant que de simples moyens de produire, tandis que, devenue une fin en soi, la richesse matérielle se développe en opposition à l'homme et à ses dépens. La productivité du travail signifie le maximum de produits avec le minimum de travail, autrement dit, des marchandises le meilleur marché possible. Dans le mode de production capitaliste, cela devient une loi, indépendamment de la volonté du capitaliste. En pratique, cette loi en implique une autre : les besoins ne déterminent pas le niveau de la production, mais, au contraire, la masse des produits est fixée par le niveau toujours croissant, prescrit par le mode de production. Or, le but de celui-ci, c'est que chaque produit contienne le plus de travail non payé possible, ce qui ne peut se réaliser qu'en produisant pour la production. Cette loi se traduit en outre par le fait que, d'une part, le capitaliste produisant à une échelle trop réduite incorpore aux produits une quantité de travail excédant la moyenne sociale (c'est ici que s'applique de manière adéquate la loi de la valeur, qui ne se développe complètement que sur la base du mode de production capitaliste); d'autre part, le capitaliste individuel tend à briser cette loi ou à la tourner à son avantage, en s'efforçant d'abaisser la valeur de chaque marchandise au-dessous de la valeur déterminée socialement.

Toutes ces formes de production (de plus-value relative), outre qu'elles abaissent sans cesse le minimum de capital nécessaire à la production, ont en commun que les conditions collectives du travail de nombreux ouvriers directement associés permettent de réaliser des économies par rapport aux conditions de la production effectuée à une échelle plus modeste et avec des producteurs parcellaires dispersés, car l'efficacité des conditions de production collectives est plus que proportionnelle à l'accroissement de leur masse et de leur valeur : leur utilisation collective et simultanée fait diminuer d'autant plus leur valeur relative (en ce qui concerne le produit) que leur masse augmente en valeur absolue.

H. Travail productif et improductif[modifier le wikicode]

Avant de continuer l'analyse de la forme nouvelle que revêt le capital résultant du mode de production capitaliste, faisons brièvement quelques remarques sur cette question.

Comme le but immédiat et le produit spécifique de la production capitaliste sont la plus-value, seul est productif le travail ou le prestataire de force de travail, qui produit directement de la plus-value. Le seul travail qui soit productif, c'est donc celui qui est consommé directement dans le procès de production en vue de valoriser le capital.

Du simple point de vue du procès de travail en général, est productif le travail qui se réalise en un produit ou, mieux, une marchandise. Du point de vue de la production capitaliste, il faut ajouter : est productif le travail qui valorise directement le capital ou produit de la plus-value, c'est-à-dire le travail qui se réalise, sans aucun équivalent pour l'ouvrier qui l'exécute, en une plus-value représentée par un surproduit, donc en un incrément additionnel de marchandises pour celui qui monopolise les moyens de travail, le capitaliste. En somme, seul est productif le travail qui pose le capital variable - et partant le capital total - comme C + DC = C + Dv, autrement dit, le travail utilisé directement par le capital comme agent de son auto-valorisation, comme moyen pour produire de la plus-value.

Le procès de travail capitaliste ne supprime pas les caractéristiques générales du procès de travail : il crée un produit et une marchandise. En ce sens, est productif le travail qui s'objective en marchandises, (unités de la valeur d'usage et de la valeur d'échange). Cependant, le procès de travail n'est que simple moyen de valoriser du capital. En conséquence, est productif le travail qui se manifeste dans la marchandise : si nous considérons une marchandise particulière, le travail qui s'exprime dans l'une de ses quotités représentant du travail non payé, ou, si nous considérons le produit total, le travail qui s'exprime dans l'une des quotités de la masse totale de marchandises représentant du travail non payé; bref, en un produit qui ne coûte rien au capitaliste.

Est productif l'ouvrier qui effectue un travail productif, le travail productif étant celui qui engendre directement de la plus-value, c'est-à-dire qui-valorise le capital.

Il faut toute l'étroitesse d'esprit du bourgeois, qui tient la forme capitaliste pour la forme absolue de la production, et donc pour sa forme naturelle, pour confondre ce qui est travail productif et ouvrier productif du point de vue du capital avec ce qui est travail productif en général, de sorte qu'il se satisfait de cette tautologie : est productif tout travail qui produit en général, c'est-à-dire qui aboutit à un produit ou valeur d'usage quelconque, voire à un résultat quel qu'il soit.

Seul est productif l'ouvrier dont le procès de travail correspond au procès productif de consommation de la force de travail - du porteur de ce travail - par le capital ou le capitaliste.

Il en résulte directement deux choses :

Avec le développement de la soumission réelle du travail au capital ou mode de production spécifiquement capitaliste, le véritable agent du procès de travail total n'est plus le travailleur individuel, mais une force de travail se combinant toujours plus socialement. Dans ces conditions, les nombreuses forces de travail, qui coopèrent et forment la machine productive totale, participent de la manière la plus diverse au procès immédiat de création des marchandises ou, mieux, des produits - les uns travaillant intellectuellement, les autres manuellement, les uns comme directeur, ingénieur, technicien ou comme surveillant, les autres, enfin, comme ouvrier manuel, voire simple auxiliaire. Un nombre croissant de fonctions de la force de travail prennent le caractère immédiat de travail productif, ceux qui les exécutent étant des ouvriers productifs directement exploités par le capital et soumis à son procès de production et de valorisation.

Si l'on considère le travailleur collectif qui forme l'atelier, son activité combinée s'exprime matériellement et directement dans un produit global, c'est-à-dire une masse totale de marchandises. Dès lors, il est parfaitement indifférent de déterminer si la fonction du travailleur individuel - simple maillon du travailleur collectif – consiste plus ou moins en travail manuel simple. L'activité de cette force de travail globale est directement consommée de manière productive par le capital dans le procès d'autovalorisation du capital : elle produit donc immédiatement de la plus-value ou mieux, comme nous le verrons par la suite, elle se transforme directement elle-même en capital.

Les éléments consécutifs de la définition du travail productif se déduisent directement du procès de production capitaliste. En premier lieu, vis-à-vis du capital ou du capitaliste, le possesseur de la capacité de travail apparaît comme vendeur de celle-ci et - ainsi que nous l'avons déjà dit en utilisant une expression irrationnelle[124] - comme vendeur direct de travail vivant, et non de marchandise objective : ouvrier salarié. Telle est la première condition préalable. En second lieu, sitôt qu'elle est introduite par ce procès préliminaire qui fait partie de la circulation, sa force de travail est directement incorporée comme facteur vivant au procès de production du capital et en devient même l'une de ses parties constitutives, la partie variable, qui non seulement conserve et reproduit les valeurs du capital avancé, mais encore les augmente et, en créant la plus-value, les transforme en valeur qui se valorise, en capital. Au cours du procès de production, cette force de travail, grandeur fluide de valeur, se matérialise directement dans des objets.

a) Formes de transition et services[modifier le wikicode]

La première condition peut se passer de la seconde : un travailleur peut être salarié, sans qu'il remplisse la seconde condition : tout travailleur productif est salarié, mais il ne s'ensuit pas que tout salarié soit un travailleur productif.

Toutes les fois que le travail est acheté pour être employé comme valeur d'usage, à titre de service - et non pas comme facteur vivant, échangé contre le capital variable, en vue d'être incorporé au procès de production capitaliste - il n'est pas productif, et le salarié qui l'exécute n'est pas un travailleur productif. Dans ce cas, en effet, le travail est consommé pour sa valeur d'usage, et ne pose donc pas de valeurs d'échange. N'étant pas consommé de manière productive, c'est du travail improductif. Le capitaliste ne lui fait pas face comme capitaliste qui représente du capital, puisqu'il échange son argent, sous forme de revenu et non de capital, contre du travail. Cette consommation de force de travail ne pose pas A - M - A', mais seulement M - A - M (où la marchandise est du travail ou un service) : l'argent opère ici comme moyen de circulation, et non comme capital.

Les marchandises que le capitaliste achète en raison de leur valeur d'usage pour sa consommation privée ne sont pas employées productivement et ne deviennent pas des facteurs du capital. Il en est de même des services qu'il achète volontairement ou par la force des choses (services fournis par l'État, etc.). Ce ne sont pas des travaux productifs, et ceux qui les effectuent ne sont pas des travailleurs productifs.

Plus la production en général devient production de marchandises, plus chacun doit et veut devenir mercantile, en faisant de l'argent, soit avec son produit, soit avec ses services (si son produit ne peut avoir que cette forme, en raison de ses propriétés naturelles). Faire de l'argent devient alors le but ultime de toute espèce d'activité. (Voir Aristote.[125])

Dans la production capitaliste, la règle absolue devient, d'une part, la production des articles sous forme de marchandise et, d'autre part, le travail sous forme salariée. Un grand nombre de fonctions et activités, qui, parées d'une auréole et considérées comme fin en soi, étaient naguère exercées gratuitement ou rémunérées de manière indirecte (en Angleterre par exemple, les professions libérales, médecins, avocats, etc., ne pouvaient pas ou ne peuvent encore intenter une action en justice pour se faire payer) se transforment directement en travail salarié, si divers que soient leur contenu, ou bien tombent sous le coup des lois réglant le prix du salaire, pour ce qui est de l'estimation de leur valeur et du prix des différentes prestations, depuis celle de la putain à celle du roi. Cette question n'est pas à traiter ici, mais dans le chapitre consacré au travail salarié et au salaire.

Avec le développement de la production capitaliste, tous les services se transforment en travail salarié et tous ceux qui les exercent en travailleurs salariés, si bien qu'ils acquièrent ce caractère en commun avec les travailleurs productifs. C'est ce qui incite certains à confondre ces deux catégories, d'autant que le salaire est un phénomène et une création caractérisant la production capitaliste. En outre, cela fournit l'occasion aux apologistes du capital de transformer le travailleur productif, sous prétexte qu'il est salarié, en un travailleur qui échange simplement ses services (c'est-à-dire son travail comme valeur d'usage) contre de l'argent. C'est passer un peu commodément sur ce qui caractérise de manière fondamentale le travailleur productif et la production capitaliste : la production de plus-value et le procès d'auto-valorisation du capital qui s'incorpore le travail vivant comme simple agent. Le soldat est un salarié, s'il est mercenaire, mais il n'est pas pour autant un travailleur productif.

Voici deux autres sources d'erreur :

Dans le système capitaliste, un certain nombre de travaux produisant des marchandises continuent d'être effectués de la même manière que dans les modes de production antérieurs, où le rapport capital-salariat n'existait pas encore, de sorte qu'il n'est pas possible de leur appliquer la notion de travail productif et improductif correspondant au capitalisme. Toutefois, même s'ils ne sont pas encore soumis véritablement aux rapports dominants, ils le sont idéellement : par exemple, le travailleur qui est son propre employeur, est aussi son propre salarié, tandis que ses propres moyens de production lui font face comme capital... dans son esprit. De telles anomalies offrent un terrain bienvenu aux discussions oiseuses et à l'ergotage sur le travail productif et improductif.

Certains travaux improductifs peuvent incidemment se rattacher au procès de production et leur prix entrer même dans celui des marchandises, l'argent dépensé pour eux formant une partie du capital avancé. Il peut donc sembler que ces travaux s'échangent directement contre du capital, et non contre du revenu.

Considérons tout de suite le dernier cas, les impôts, le prix des services de gouvernement, etc. Il s'agit là de faux frais de production, d'une forme contingente - et nullement déterminée, immanente et nécessaire - du procès de production capitaliste. Si, par exemple, tous les impôts indirects étaient changés en impôts directs, il faudrait les payer avant comme après, mais ils n'apparaîtraient plus comme une avance de capital, mais comme une dépense de revenu. Leur caractère contingent, indifférent et fortuit pour le procès de production capitaliste se voit dans le simple fait qu'ils peuvent aussi facilement changer de forme. Par contre, si le travail productif changeait de forme, il n'y aurait plus de revenu du capital, ni même de capital tout court.

D'autres cas, ce sont les procès, les actes contractuels, etc., bref, tout ce qui, ayant trait aux stipulations entre possesseurs de marchandises dans l'acte d'achat ou de vente, n'a rien à voir avec le rapport du capital et du travail. Même si les fonctionnaires deviennent des salariés en régime capitaliste, ils ne deviennent pas pour autant des travailleurs productifs.

Le travail productif n'est qu'une expression ramassée pour désigner l'ensemble du rapport et la manière dont l'ouvrier et le travail se présentent dans le procès de production capitaliste. Par travail productif, nous entendons donc un travail socialement déterminé, qui implique un rapport bien précis entre vendeur et acheteur de travail. Ainsi, le travail productif s'échange directement contre l'argent-capital, un argent qui en soi est du capital, ayant pour destination de fonctionner comme tel et de faire face comme tel à la force de travail. Seul est donc productif le travail qui, pour l'ouvrier, reproduit uniquement la valeur, déterminée au préalable, de sa force de travail et valorise le capital par une activité créatrice de valeurs et posant en face de l'ouvrier des valeurs produites en tant que capital. Le rapport spécifique entre travail objectivé et travail vivant qui fait du premier le capital, fait du second le travail productif.

Le produit spécifique du procès de production capitaliste - la plus-value - est créé uniquement par l'échange avec le travail productif. Ce qui en constitue la valeur d'usage spécifique pour le capital, ce n'est pas l'utilité particulière du travail ou du produit dans lequel il s'objective, mais la faculté du travail de créer, la valeur d'échange (plus-value).

Le procès de production capitaliste ne crée pas simplement des marchandises, il absorbe du travail non payé et transforme les moyens de production en moyens d'absorber du travail non payé.[126]

De ce qui précède, il ressort que le travail productif n'implique nullement qu'il ait un contenu précis, une utilité particulière, une valeur d'usage déterminée en laquelle il se matérialise. C'est ce qui explique qu'un travail de même contenu puisse être ou productif ou improductif.

Par exemple, Milton, l'auteur du Paradis perdu, est un travailleur improductif, alors qu'un écrivain qui fournit à son éditeur un travail de fabrication (Fabrikarbeit) est un travailleur productif. Milton a produit son poème comme un ver à soie produit la soie, en exprimant sa nature par cette activité, En vendant plus tard son produit pour la somme de 5 £, il fut, dans cette mesure, un marchand. En revanche, le littérateur prolétaire de Leipzig qui, sur commande de son éditeur, produit des livres, par exemple des manuels d'économie politique, se rapproche du travailleur productif dans la mesure où sa production est soumise au capital et n'existe qu'en vue de sa valorisation.

Une cantatrice qui chante comme l'oiseau, est un travailleur improductif; dans la mesure où elle vend son chant pour de l'argent, elle est une salariée et une marchande. Mais, cette même cantatrice devient un travailleur productif, lorsqu'elle est engagée par un entrepreneur pour chanter et faire de l'argent, puisqu'elle produit directement du capital. Un enseignant qui fait classe n'est pas un travailleur productif; mais, il devient productif s'il est engagé avec d'autres comme salarié pour valoriser, avec son travail, l'argent de l'entrepreneur d'un établissement qui monnaie le savoir.[127] En fait, la plupart de ces travaux sont à peine soumis formellement au capital : ce sont des formes de transition.[128]

En somme, les travaux qui ne peuvent être utilisés que comme service, du fait que leurs produits sont inséparables de leur prestataire, de sorte qu'ils ne peuvent devenir des marchandises autonomes (ce qui ne les empêche pas, au reste, d'être exploités d'une manière directement capitaliste), représentent une masse dérisoire par rapport à celle de la production capitaliste. Aussi peut-on les écarter ici, pour en remettre l'examen au chapitre sur le travail salarié, sous la rubrique du travail salarié qui n'est pas, pour cela, travail productif.

Un même travail (par exemple, celui d'un jardinier, d'un tailleur) peut être exécuté par un même ouvrier pour le compte d'un capitaliste ou d'un usager immédiat. Dans les deux cas, il est salarié ou loué à la journée, mais, s'il travaille pour le capitaliste, c'est un travailleur productif, puisqu'il produit du capital, tandis que s'il travaille pour un usager direct, c'est un improductif. En effet, dans le premier cas, son travail représente un élément du procès d'auto-valorisation du capital, dans le second, non.

Une grande partie du produit annuel qui est consommé comme revenu et ne retourne plus dans la production comme moyen de production, se compose de produits (valeurs d'usage) les plus néfastes, satisfaisant les envies et caprices les plus malsains. Quoi qu'il en soit, leur contenu est tout à fait indifférent, pour déterminer le travail productif. (Il est évident cependant que si une partie disproportionnée était ainsi consommée, aux dépens des moyens de production et de subsistance qui entrent dans la reproduction, soit des marchandises, soit de la force de travail, le développement de la richesse en subirait un coup d'arrêt.) Cette sorte de travail productif crée des valeurs d'usage, se cristallise en des produits destinés uniquement à la consommation improductive et dépourvus en eux-mêmes de toute valeur d'usage pour le procès de reproduction.

Ils ne pourraient acquérir d'utilité qu'en s'échangeant contre des valeurs d'usage destinées à la reproduction. Mais, ce serait là un simple déplacement, puisqu'ils doivent forcément être consommés quelque part de manière non reproductive. Certains de ces articles pourraient, à la rigueur, fonctionner de nouveau comme capital, mais c'est là un problème a approfondir au chapitre [Section] III du livre Il sur le procès de reproduction.

Par anticipation, voici quelques remarques à ce sujet : l'économie politique courante est incapable de dire quoi que ce soit de sensé - même du point de vue capitaliste - sur les limites de la production de luxe. Cependant, la question devient très simple, si l'on analyse correctement les éléments du procès de reproduction. Du point de vue capitaliste, le luxe devient condamnable dès lors que le procès de reproduction - ou son progrès exigé par la simple progression naturelle de la population - trouve un frein dans l'application disproportionnée de travail productif à la création d'articles qui ne servent pas à la reproduction, de sorte qu'il y a reproduction insuffisante des moyens de subsistance et des moyens de production nécessaires. Au reste, le luxe est une nécessité absolue pour un mode de production qui, créant la richesse pour les non-producteurs, doit lui donner des formes ne permettant son appropriation que par ceux qui sont des jouisseurs.

Pour l'ouvrier, ce travail productif est, comme tout autre, l'unique moyen dont il dispose pour reproduire ses moyens de subsistance nécessaires. Pour son capitaliste, qui est indifférent à la nature de la valeur, d'usage et au caractère du travail concret utilisé, il n'est qu'un moyen de battre monnaie (Fr.) et de produire la plus-value.

Les raisons qui induisent à définir le travail productif et improductif d'après leur contenu matériel, sont de trois ordres :

la conception fétichiste, propre au mode de production capitaliste et inhérente à sa nature même, selon laquelle les déterminations économiques - la forme de marchandise ou de travail productif - sont une propriété qui revient en soi et pour soi aux agents matériels de ces concepts ou déterminations formelles.

le fait de considérer le procès de travail en tant que tel, de sorte, qu'un travail n'est productif que s'il aboutit à un produit matériel, puisqu'il n'est de richesse que matérielle.

le fait que si l'on considère les éléments réels du procès de reproduction réel, il y a une grande différence, dans la production de richesse, entre le travail servant à créer des articles reproductibles et le travail effectuant de purs et simples articles de luxe.

A présent, voici un exemple : peu m'importe que j'achète un pantalon prêt à porter ou que je fasse venir un tailleur à la maison et lui paie son service (c'est-à-dire le travail de tailleur) : si je m'adresse au marchand, c'est qu'il le vend moins cher. Pour moi, dans les deux cas, je ne convertis pas mon argent en capital, mais en une valeur d'usage correspondant à mon besoin et à ma consommation personnels. L'ouvrier tailleur me rend le même service, qu'il travaille chez le marchand de vêtements ou chez moi. Mais, l'ouvrier, s'il travaille chez le marchand de vêtements, rend un autre « service » au capitaliste, en ce qu'il travaille douze heures en n'étant payé que pour six, c'est-à-dire en travaillant six heures gratuitement pour lui. Que cela ait lieu dans la confection d'un pantalon ne fait que masquer la véritable transaction. Aussi le marchand de vêtements cherche-t-il, dès que possible, à convertir de nouveau les pantalons en argent, qui est une forme d'où a disparu la spécificité du travail de tailleur, le service rendu s'exprimant alors clairement dans le fait que d'un thaler il en est sorti deux.

En général, le mot service exprime simplement la valeur d'usage particulière du travail utile comme activité, et non comme objet. Do ut facias, facio ut facias, facio ut des, do ut des[129] sont ici autant de formules tout à fait indifférentes d'un même rapport, alors que dans la production capitaliste le do ut facias[130] exprime un rapport tout à fait spécifique entre la richesse matérielle et le travail vivant. Étant donné que dans l'achat de services, le rapport spécifique du travail et du capital s'est entièrement effacé, voire n'existe pas, les Say, Bastiat et consorts en font leur formule favorite pour exprimer le rapport entre capital et travail.[131]

L'ouvrier lui-même achète des services avec son argent, ce qui est une façon de le dépenser, mais non de le convertir en capital. Nul n'achète des. « prestations de service », juridiques ou médicales, comme moyen de transformer son argent en capital. De nombreux services font partie des frais de consommation de marchandises : par exemple, le service de la cuisinière.

b) Définitions du travail productif[modifier le wikicode]

Pour distinguer le travail productif du travail improductif, il suffit de déterminer si le travail s'échange contre de l'argent proprement dit ou contre de l'argent-capital. Par exemple, si j'achète une marchandise chez un travailleur indépendant ou un artisan qui est son propre employeur, il n'y a pas lieu de parler de travail productif, puisque l'argent ne s'échange pas directement contre du travail, mais contre une marchandise.

La production immatérielle, effectuée pour l'échange, fournit aussi des marchandises, et deux cas sont possibles :

les marchandises qui en résultent, ont une existence distincte du producteur et, dans l'intervalle entre production et consommation, elles peuvent circuler comme n'importe quelle autre marchandise. Ainsi, les livres, tableaux et autres objets d'art peuvent se détacher de l'artiste qui les a créés. Cependant, la production capitaliste ne peut s'appliquer ici que dans une mesure très limitée. Ces personnes, si elles n'emploient pas d'apprentis ou de compagnons (comme les sculpteurs), travaillent le plus souvent pour un marchand-capitaliste, par exemple un éditeur. C'est là une forme de transition vers le mode de production capitaliste simplement formel. Même si dans ces formes de transition l'exploitation du travail atteint son maximum, cela ne change rien à sa définition.

le produit est inséparable de l'acte producteur[132]. Là aussi le mode de production capitaliste ne joue que dans des limites étroites et, selon la nature de la chose, dans quelques rares sphères (je veux le médecin, et non son garçon de courses). Par exemple, dans les établissements d'enseignement, les maîtres peuvent être de purs salariés pour l'entrepreneur de la fabrique scolaire.

Tout cela n'est pas à considérer, lorsqu'on examine l'ensemble de la production capitaliste.

« Est productif le travailleur qui augmente de manière directe la richesse de son patron. »[133]

La différence entre travail productif et improductif est essentielle pour l'accumulation, car seul l'échange contre le travail productif permet une retransformation de plus-value en capital.

Étant donné qu'il représente le capital productif, engagé dans son procès de valorisation, le capitaliste remplit une fonction productive, qui consiste à diriger et à exploiter le travail productif. Contrairement à ceux qui l'aident à manger la plus-value mais sans être dans le même rapport immédiat et actif avec la production, sa classe est, apparaît comme la classe productive par excellence. (Comme dirigeant (Lenker) du procès de travail, le capitaliste peut effectuer du travail productif, en ce sens que son travail étant intégré au procès de travail total, s'incarne dans le produit.)

Nous ne considérons ici le capital qu'au sein du procès de production immédiat et ce n'est que plus tard que nous rechercherons quelles sont les autres fonctions du capital et quels sont les agents dont il se sert pour les exécuter.

La définition du travail productif (et donc aussi de son contraire, le travail improductif) se base sur le fait que la production capitaliste est production de plus-value, et que le travail qui s'y emploie produit de la plus-value.

I. Produit brut et produit net[modifier le wikicode]

(Ce chapitre serait peut-être mieux à sa place dans le livre III, chap. 3.)[134]

Comme le but de la production capitaliste (donc du travail productif) est la production de plus-value, et non l'existence des producteurs, tout travail nécessaire non productif de surtravail est superflu et sans valeur pour la production capitaliste. Cela reste vrai pour une nation capitaliste. Tout produit brut qui ne reproduit que l'ouvrier, c'est-à-dire ne crée pas de produit net (surproduit) est aussi superflu que l'ouvrier lui-même. Ainsi, des ouvriers nécessaires pour la création dé produit net à un certain stade de développement de la production, peuvent devenir superflus à un niveau plus avancé, de sorte que la production n'en a plus besoin. C'est dire qu'il ne faut que le nombre d'hommes profitables au capital.

« Peu importe à un capitaliste privé qu'il emploie 100 ou 1000 ouvriers pour un capital de 20 000 £, pourvu que, dans tous les cas, ses profits ne tombent point au-dessous de ses 2 000 £ de profit courant. » Mais, l'intérêt d'une nation n'est-il pas le même ? En effet, « qu'importe qu'une nation compte dix ou douze millions d'hommes, pourvu que son revenu net et réel, ses fermages et profits, soient les mêmes... Si cinq millions d'hommes pouvaient produire la nourriture et l'habillement pour dix millions, la nourriture et l'habillement de ces cinq millions constitueraient le revenu net. Le pays retirerait-il quelque avantage si, pour produire ce même revenu net, il lui fallait sept millions d'hommes, autrement dit s'il fallait sept millions d'hommes pour produire la nourriture et l'habillement pour douze millions ? Le revenu net serait toujours la nourriture et l'habillement pour cinq millions d'hommes ». Cf. Ricardo, édit. F.S. Constancio, 1818, vol. 2, pp. 221-223.

L'école philanthropique elle-même ne trouve rien a redire à cette thèse de Ricardo. En effet, ne vaut-il pas mieux que, sur dix millions d'hommes, il n'y en ait que cinq plutôt que sept, soit 50 % au lieu de 58 3/4 %, qui mènent la triste vie de simples machines à produire ?

« Dans un royaume moderne, à quoi servirait une province entière ainsi partagée (entre de petits fermiers qui subviennent à leurs propres besoins, comme aux premiers temps de la Rome antique), même si elle était bien cultivée, si ce n'est au simple but de créer des hommes, chose en soi tout à fait dépourvue d'intérêt. » Cf. A. Young, Political Arithmetic etc.; Londres, 1774, p. 47.

Comme la production capitaliste est essentiellement production de plus-value, son but est le produit net, c'est-à-dire la forme du surproduit que revêt la plus-value.

Tout cela contraste, par exemple, avec l'idée typique aux modes de production archaïques, selon laquelle les magistrats de la cité prohibent les inventions pour ne pas priver les travailleurs de leur gagne-pain, le travailleur en tant que tel y étant considéré comme fin en soi et son métier comme privilège, à la conservation et à la défense de quoi tout l'ordre ancien était intéressé. Tout cela contraste aussi avec l'idée, plus ou moins nationaliste, du protectionnisme (en opposition au libre-échange), selon laquelle la nation doit protéger contre la concurrence étrangère les industries qui sont une source d'existence pour le grand nombre. Tout cela contraste, enfin, avec le point de vue d'Adam Smith, selon lequel les placements de capitaux dans l'agriculture sont plus « productifs », parce qu'un même capital y emploie plus de bras.

Ce sont là, pour le mode de production capitaliste développé, des conceptions surannées, irréelles et erronées : un produit brut élevé (pour ce qui concerne la partie variable du capital) par rapport à un faible produit net est synonyme d'une force productive réduite du travail, et donc du capital.

Toutes sortes d'idées confuses se rattachent traditionnellement à la différence entre produit brut et produit net. La plupart remontent à la Physiocratie (cf. livre IV)[135] et en partie à Adam Smith, qui çà et là persiste à confondre production capitaliste avec production au service des producteurs immédiats[136].

Un capitaliste qui envoie de l'argent à l'étranger pour y toucher un intérêt de 10 %, alors que dans sa patrie il pourrait occuper quantité de bras en surnombre, mérite, du point de vue capitaliste, les palmes bourgeoises, parce que ce vertueux citoyen applique la loi, selon laquelle, dans l'arène du marché mondial comme au sein d'une société donnée, le capital se répartit conformément au taux de profit obtenu dans les diverses branches de la production : de la sorte il les égalise et proportionne la production. (Peu importe que l'argent soit prêté, par exemple, au tsar de Russie pour une guerre contre la Turquie, notre capitaliste suit tout simplement la loi immanente du capital, donc sa morale : produire autant de plus-value que possible. Mais, tout cela n'a pas sa place dans l'analyse du procès de production immédiat).

Enfin, on a souvent tendance à opposer la production capitaliste à celle qui ne l'est pas encore : par exemple, l'agriculture de subsistance qui occupe un grand nombre de bras, et l'agriculture pour le commerce, qui jette sur le marché un bien plus grand produit, et permet d'extorquer dans les manufactures un produit net à ceux qui étaient naguère occupés dans l'agriculture. Mais, cette opposition n'est pas significative au sein du mode de production spécifiquement capitaliste.

Bref, comme nous l'avons vu, la production capitaliste a pour loi : d'augmenter le capital constant, aussi bien que la plus-value et le produit net, aux dépens du capital variable; d'augmenter le produit net par rapport à la partie du produit qui remplace le capital, c'est-à-dire le salaire.

Mais, voilà que l'on confond ces deux choses. Si l'on appelle produit brut l'ensemble du produit, celui-ci augmente par rapport au produit net dans la production capitaliste; si l'on appelle produit net la partie du produit qui se résout en salaire + produit net, celle-ci augmente par rapport au produit brut. C'est seulement dans l'agriculture (du fait de la transformation de la terre arable en pâturage, etc.) que le produit net augmente souvent aux dépens du produit lourd (masse totale des produits) en raison des particularités de la rente. Mais cela n'entre pas dans le thème que nous traitons ici.

Au reste, la théorie du produit net qui exprime le but suprême et la fin dernière de la production capitaliste, n'est que l'expression brutale, mais juste, du fait que la valorisation du capital - donc la création de plus-value - s'effectue sans égard aucun pour, l'ouvrier et représente l'âme motrice de la production capitaliste.

L'idéal suprême de la production capitaliste est - en même temps qu'elle augmente de manière relative le produit net - de diminuer autant que possible le nombre de ceux qui vivent du salaire, et d'augmenter le plus possible le nombre de ceux qui vivent du produit net.

J. Mystification du capital, etc.[modifier le wikicode]

A l'instar de ce qui se passe dans l'argent où le caractère général du travail créateur de valeur apparaît comme la propriété d'une chose, toutes les forces de production sociales du travail se présentent comme forces productives et propriétés immanentes du capital, du fait qu'au sein du procès de production le travail vivant est déjà incorporé au capital. C'est ce qui apparaît d'autant plus que :

Si c'est à l'ouvrier particulier qu'appartient le travail qui est manifestation et effort de sa force de travail (car ne paie-t-il pas avec cela ce qu'il reçoit du capitaliste), c'est au capitaliste qu'appartient le travail qu'il objective dans un produit, sans parler de ce qu'en outre toute la combinaison sociale, au sein de laquelle les forces de travail particulières opèrent comme tel ou tel organe de l'ensemble de la force de travail constituant l'atelier, n'appartient pas aux ouvriers, mais leur fait face et s'impose à eux comme arrangement capitaliste;

ces forces de production sociales du travail ou forces productives du travail social ne se développent historiquement qu'avec le mode de production spécifiquement capitaliste, ce qui les fait apparaître comme immanentes au système capitaliste et inséparables de lui;

avec le développement du mode de production capitaliste, les conditions objectives du travail changent de forme par suite de leur dimension croissante et des économies effectuées dans leur emploi (sans parler de ce que les instruments de travail changent complètement de forme avec le machinisme, etc.). Elles se développent avec la concentration des moyens de production, qui représentent la richesse sociale, en un mot avec l'ampleur et l'efficacité croissantes des conditions de production du travail socialement combiné. Non seulement la combinaison du travail, mais encore le caractère social des conditions de travail - parmi lesquelles il faut compter entre autres, la forme qu'elles acquièrent dans la machinerie et le capital fixe quel qu'il soit - semblent être absolument autonomes et distincts des ouvriers, un mode d'existence du capital; ainsi, il semble qu'il soit arrangé par le capitaliste, indépendamment des ouvriers. Mais plus encore que le caractère social de leur propre travail, le caractère des conditions de production, devenues collectives, apparaissent comme capitalistes, indépendamment des ouvriers.

Au point 3, il faut ajouter les observations suivantes, qui anticipent en partie sur ce qui va suivre :

Le profit - à la différence de la plus-value[137] - peut croître si l'on économise des conditions collectives de travail, soit que l'on utilise mieux les bâtiments, le chauffage, l'éclairage, etc., soit que la valeur du prime motor (source d'énergie) ne croisse pas dans la même mesure que sa puissance, sans parler des économies que l'on peut réaliser, en pesant sur le prix des matières premières, en réutilisant les déchets, en aménageant les dépenses de gestion, en stockant rationnellement les marchandises produites en masse, etc. Le meilleur marché relatif du capital constant, malgré l'augmentation absolue de sa valeur, est dû au fait que les moyens de production - moyens et matière du travail - sont utilisés collectivement, ce qui a pour prémisse absolue la coopération d'ouvriers tenus ensemble. Tout cela n'est que l'expression objective du caractère social du travail, et de la force productive sociale qui en résulte. Ainsi, la forme particulière de ces conditions - la machinerie, par exemple - ne pourrait s'appliquer, si le travail ne se faisait pas en association. Néanmoins, pour l'ouvrier qui s'affaire au milieu d'elles, ces conditions paraissent être données, indépendantes de lui, en tant que formes du capital.

De même, les économies réalisées sur les conditions de travail (et l'augmentation consécutive du profit ainsi que la baisse de prix des marchandises) apparaissent comme distinctes du surtravail de l'ouvrier, comme l'œuvre et le fait du capitaliste, qui opère comme personnification du caractère social du travail et de l'atelier collectif.

La science, produit intellectuel général du développement de la société paraît, elle aussi, directement incorporée au capital, et son application au procès de production matériel indépendante du savoir et de la capacité de l'ouvrier individuel - le développement général de la société, étant exploité par le capital grâce au travail et agissant sur le travail comme force productive du capital, apparaît comme le développement même du capital, et ce d'autant plus que, pour le plus grand nombre, la capacité de travail est vidée parallèlement de sa substance.

Le capitaliste ne détient, de pouvoir que pour autant qu'il personnifie le capital : dans la comptabilité italienne, il apparaît toujours comme double figure; il est ainsi le débiteur de son propre capital.

Dans la soumission formelle, la productivité du travail est assurée, tout d'abord, purement et simplement par ce que l'ouvrier est contraint d'effectuer du surtravail. Cette contrainte est commune aux modes de production qui se sont succédé jusqu'ici, à cela près qu'avec le capitalisme elle s'exerce en un sens plus favorable à la production.

Même dans le rapport purement formel - valable en général pour toute la production capitaliste, puisque celle-ci conserve, même dans son plein développement, les caractéristiques de son mode peu évolué - les moyens de production, conditions matérielles du travail, ne sont pas soumis au travailleur, mais c'est lui qui leur est soumis : c'est le capital qui emploie le travail. Dans cette simplicité, ce rapport met en relief la personnification des objets et la réification des personnes.

Mais le rapport devient plus complexe et apparemment plus mystérieux, lorsque, avec le développement du mode de production spécifiquement capitaliste, ce ne sont plus seulement les objets - ces produits du travail, en tant que valeurs d'usage et valeurs d'échange - qui, face à l'ouvrier, se dressent sur leurs pieds comme « capital », mais encore les formes sociales du travail qui se présentent comme formes de développement du capital, si bien que les forces productives, ainsi développées, du travail social apparaissent comme forces productives du capital : en tant que telles, elles sont « capitalisées », en face du travail. En fait, l'unité collective se trouve dans la coopération, l'association, la division du travail, l'utilisation des forces naturelles, des sciences et des produits du travail sous forme des machines. Tout cela s'oppose à l'ouvrier individuel comme quelque chose qui lui est étranger et existe au préalable sous forme matérielle, qui plus est, il lui semble qu'il n'y ait contribué en rien, ou même que tout cela existe en dépit de ce qu'il fait.

Bref, toutes les choses deviennent indépendantes de lui, simples modes d'existence des moyens de travail, qui le dominent en tant qu'objets. L'intelligence et la volonté de l'atelier collectif semblent incarnées dans ses représentants - le capitaliste ou ses sous-fifres - dans la mesure où les ouvriers sont associés dans l'atelier et où les fonctions du capital incarnées dans le capitaliste s'opposent à eux.

Les formes sociales du travail des ouvriers individuels - aussi bien subjectivement qu'objectivement - ou, en d'autres termes, la forme de leur propre travail social, sont des rapports établis d'après un mode tout à fait indépendants d'eux : en étant soumis au capital, les ouvriers deviennent des éléments de ces formations sociales, qui se dressent en face d'eux comme formes du capital lui-même, comme si elles lui appartenaient - à la différence de la capacité de travail des ouvriers - et comme si elles découlaient du capital et s'y incorporaient aussitôt.

Tout cela prend des formes d'autant plus réelles que, d'une part, la capacité du travail elle-même est modifiée par ces formes au point qu'elle devient impuissante lorsqu'elle en est séparée, autrement dit que sa force productive autonome est brisée lorsqu'elle ne se trouve plus dans le rapport capitaliste; et que d'autre part, la machinerie se développe, si bien que les conditions de travail en arrivent, même du point de vue technologique, à dominer le travail en même temps qu'elles le remplacent, l'oppriment et le rendent superflu dans les formes où il est autonome.

Dans ce procès, les caractères sociaux du travail apparaissent aux ouvriers comme s'ils étaient capitalisés en face d'eux : dans la machinerie, par exemple, les produits visibles du travail apparaissent comme dominant le travail. Il en va naturellement de même pour les forces de la nature et la science (ce produit du développement historique général dans sa quintessence abstraite), qui font face à l'ouvrier comme puissances du capital, en se détachant effectivement de l'art et du savoir de l'ouvrier individuel. Bien qu'elles soient, à leur source, le produit du travail, elles apparaissent comme étant incorporées au capital, à peine l'ouvrier entre-t-il dans le procès de travail. Le capitaliste qui emploie une machine, n'a pas besoin de la comprendre (cf. Ure)[138]; pourtant la science réalisée dans la machine, apparaît comme capital face aux ouvriers. De fait, toutes ces applications - fondées sur le travail associé - de la science, des forces de la nature et des produits du travail en grande série apparaissent uniquement comme moyens d'exploitation du travail et d'appropriation du surtravail, et donc comme forces appartenant en soi au capital. Naturellement, le capital utilise tous ces moyens dans le seul but d'exploiter le travail, mais, pour ce faire, il doit les appliquer à la production. C'est ainsi que le développement des forces productives sociales du travail et les conditions de ce développement apparaissent comme l'œuvre du capital, et l'ouvrier se trouve, face à tout cela, en un rapport non seulement passif, mais antagonique.

Le capital, puisqu'il se compose de marchandises, est lui aussi double :

Valeur d'échange (argent), mais également valeur, qui se valorise pour créer de la valeur et, augmenter la valeur, et qui s'incorpore un incrément de valeur. Tout cela se ramène à l'échange d'une, somme donnée de travail objectivé contre une somme plus grande de travail vivant.

Valeur d'usage, et ici le capital se conforme à la nature du procès de travail. Mais c'est justement ici qu'il n'est pas seulement matière et moyen de travail auxquels le travail appartient et s'incorpore, mais encore combinaisons sociales du travail et développement correspondant du moyen de travail. Seule la production capitaliste développe sur une grande échelle les conditions, aussi bien objectives que subjectives, du procès de travail, en les arrachant aux travailleurs autonomes, mais elle les développe comme puissances étrangères à l'ouvrier qui travaille sous leur domination.

Le capital devient ainsi un être tout à fait mystérieux.

Les conditions de travail s'amoncellent comme forces sociales face à l'ouvrier, et c'est sous cette forme qu'elles sont capitalisées.

Le capital apparaît donc comme productif :

parce qu'il contraint l'ouvrier à effectuer du surtravail. Or si le travail est productif, c'est précisément du fait qu'il effectue du surtravail, du fait de la différence qui se réalise entre la valeur de la capacité de travail et celle de sa valorisation;

parce qu'il personnifie et représente, sous forme objectivée, les « forces de la production sociale du travail » ou forces productives du travail social.

Nous avons déjà vu que la loi de la production capitaliste - la création de plus-value, etc. - s'impose comme contrainte que les capitalistes exercent les uns sur les autres ainsi que sur les ouvriers, bref c'est une loi du capital qui opère contre tous les deux.

La force, de nature sociale, du travail ne se développe pas dans le procès de valorisation en tant que tel, mais dans le procès de travail réel. C'est pourquoi, elle apparaît comme une propriété inhérente au capital en tant que chose, comme sa valeur d'usage. Le travail productif (de valeur) continue de faire face au capital comme travail des ouvriers individuels, quelles que soient les combinaisons sociales dans lesquelles ces ouvriers entrent dans le procès de production. Tandis que le capital s'oppose, comme force sociale du travail, aux ouvriers, le travail productif, lui, se manifeste toujours face au capital comme travail des ouvriers individuels.

En analysant le procès d'accumulation, nous avons vu que c'est comme force immanente du capital qu'apparaît l'élément grâce auquel le travail passé - sous forme de forces productives et de conditions de production déjà produites - accroît la reproduction, sous l'angle aussi bien de la valeur d'usage que de la valeur d'échange, dont la masse de valeur est conservée par une quantité déterminée de travail vivant, tout comme la masse de valeurs d'usage est de nouveau produite. En effet, le travail objectivé opère toujours en se capitalisant face à l'ouvrier.

« Le capital c'est la puissance démocratique, philanthropique et égalitaire par excellence. » Cf. Fr. Bastiat, Gratuité du crédit etc., Paris, 1850.

« Le capital accumulé cultive la terre et emploie aussi le travail. » Cf. A. Smith, l.c., vol. V, chap. 2, édit. Buchanan, 1814, vol. III, p. 309.

« Le capital est... une force collective. » Cf. John Wade, History of the Middle and Working Classes etc., 3° édit., Londres, 1835, p. 162.

« Le capital n'est qu'un autre nom pour la civilisation. » Ibid., p. 104.

« La classe des capitalistes, considérée en bloc se trouve dans une position normale, en ce que son bien-être suit la marche du progrès social. » CL Cherbuliez, Riche ou Pauvre, p. 75. « Le capitaliste est l'homme social par excellence, il représente la civilisation. » Ibid., p. 76.

Affirmation sans voiles :

« La force productive du capital n'est rien d'autre que la quantité de forces productives réelles que le capitaliste peut commander grâce à son capital. » J. St. Mill, Essays on Some Unsettled Questions of Political Economy, Londres, 1844, p. 91.

« L'accumulation du capital, ou les moyens d'employer du travail... doivent, dans tous les cas, dépendre des forces productives du travail. » Cf. Ricardo, Principles, etc., 3° édit, 1821, p. 92.

Son commentateur observe à ce propos :

« Cela revient à dire que les forces productives du travail obtiennent la petite fraction du produit qui va à ceux qui l'ont créé avec le travail de leurs mains. » Cf. Observations on Certain Verbal Disputes in Political Economy, Londres, 1821, p. 71.

Destutt de Tracy exprime de manière naïve que le travail se transforme constamment en capital :

« Ceux qui vivent des profits [les capitalistes industrieux] alimentent tous les autres, et eux seuls augmentent la fortune publique et créent tous nos moyens de jouissance. Cela doit être, puisque le travail est la source de toute richesse, et puisque eux seuls donnent une direction utile au travail actuel, en faisant un usage utile du travail accumulé. » Cf. Traité d'économie politique, p. 242.

Comme le travail est la source de toute richesse... le capital accroît toute richesse :

« Nos facultés sont notre seule richesse originaire, notre travail produit toutes les autres, et tout travail bien dirigé est productif. » Ibid., p. 243.

Nos facultés sont la seule source de notre richesse, c'est pourquoi... la force de travail n'est pas une richesse. Le travail produit toutes les autres richesses, - cela revient à dire qu'il produit les richesses pour tous, sauf pour lui-même; le travail n'est pas lui-même richesse, mais seulement son produit. Tout travail bien dirigé est productif, autrement dit : tout travail est productif, tout travail est bien dirigé, s'il donne un profit au capitaliste.

Les esprits se sont faits à ce point à cette constante transposition des forces de la production sociale du travail en propriété matérielle du capital qu'ils s'imaginent que les avantages du machinisme, de l'application de la science, des inventions, etc. ont nécessairement une forme aliénée; bref, tout est conçu comme devenant propriété du capital.

Au fond de tout cela, on trouve : la forme spécifique que revêtent les choses sur la base de la production capitaliste, et donc aussi dans la conscience des individus impliqués dans ce mode de production; le fait historique que, pour la première fois et à la différence de ce qui se passe dans les modes de production antérieurs, ce développement s'effectue en vertu de la production capitaliste, si bien que le caractère antagonique de ce développement apparaît comme lui étant immanent.

III. La production capitaliste est production et reproduction du rapport de production spécifiquement capitaliste[modifier le wikicode]

Le produit de la production capitaliste n'est pas seulement la plus-value, c'est le capital.

Comme nous l'avons vu, le capital est A - M - A', valeur qui se valorise elle-même, valeur qui engendre plus de valeur.

Même après sa transformation en facteurs du procès de travail - en moyens de production, capital constant, et en capacités de travail en lesquelles se change le capital variable - la somme d'argent ou de valeur avancée n'est que du capital en soi et en puissance, mais elle l'était plus encore avant cette transformation. Ce n'est qu'au sein du procès de production, lorsque réellement le travail vivant est incorporé aux éléments matériels du capital et que le travail additionnel est réellement absorbé, que non seulement ce travail, mais encore la somme de valeur avancée devient, de capital possible, de capital par destination, du capital réel et agissant.

Que se passe-t-il au cours du procès d'ensemble ? L'ouvrier vend la disposition de sa capacité de travail en échange d'une certaine valeur, déterminée par la valeur de sa force de travail, pour s'assurer les moyens de subsistance nécessaires. Quel en est, pour lui, le résultat ? Simplement et purement (Fr.), la reproduction de sa force de travail. En échange, que donne-t-il ? L'activité qui conserve, crée et augmente la valeur : son travail. Abstraction faite de l'usure de sa force de travail, il sort du procès comme il y est entré, simple force de travail subjective qui doit reparcourir le même cycle pour se conserver.

Le capital, en revanche, ne sort pas du procès comme il y est entré : c'est seulement dans ce procès qu'il se transforme en véritable capital, en valeur qui se valorise. Le produit global qui en est issu, est à présent la forme d'existence du capital réalisé : en tant que tel, il fait face de nouveau à l'ouvrier comme propriété du capitaliste, comme puissance autonome, bien qu'il ait été créé par le travail.

Ce procès ne reproduit donc pas seulement le capital, mais encore le produit. Au début, les conditions de production font face à l'ouvrier comme capital dans la mesure où il les trouve objectivées à l'avance en face de lui : à présent, c'est le propre produit de son travail qu'il trouve devant lui, en tant que conditions de production transformées en capital. Ce qui était prémisse est devenu maintenant résultat du procès de production.

Dire que le procès de production crée le capital n'est qu'une autre façon de dire qu'il crée la plus-value. Mais ce n'est pas tout.

La plus-value est reconvertie en capital additionnel et se manifeste donc comme création de capital nouveau ou de capital élargi. Le capital ne se réalise pas seulement, il crée encore du capital. Le procès d'accumulation est donc immanent au procès de production capitaliste : il implique la création de nouveaux ouvriers salariés, de nouveaux moyens de réalisation et d'augmentation du capital existant, soit que le capital s'assujettisse des couches de population qui jusque-là lui échappaient encore, par exemple les femmes et les enfants, soit qu'il se soumette un nombre accru de travailleurs à la suite de l'augmentation naturelle de population.

A y regarder de plus près, on s'aperçoit que le capital règle, selon les exigences de son exploitation, la production des forces de travail et des masses humaines exploitées. Le capital ne produit donc pas seulement le capital, mais encore une masse croissante d'ouvriers, substance grâce à laquelle seule il peut opérer comme capital additionnel. Le travail ne produit donc pas seulement - en opposition à lui-même et à une échelle sans cesse élargie - les conditions de travail sous forme de capital, le capital produit, sur une échelle toujours élargie, les travailleurs salariés productifs dont il a besoin. Le travail produit ses propres conditions de production comme capital, et le capital produit le travail, sous forme salariée comme moyen de le réaliser comme capital.

La production capitaliste n'est pas seulement reproduction du rapport, elle en est la reproduction à une échelle toujours plus large. Dans la mesure même où, avec le mode de production capitaliste, se développe la force de production sociale du travail, la richesse accumulée en face de l'ouvrier augmente et le domine en tant que capital : le monde de la richesse gonfle devant l'ouvrier comme un monde qui lui est étranger et qui le domine, à mesure qu'augmentent pour lui pauvreté, gêne et dépendance. Son dénuement accompagne cette pléthore, tandis qu'augmente encore la masse de ce vivant moyen de production du capital qu'est le prolétariat ouvrier.

La croissance du capital va donc de pair avec l'augmentation du prolétariat : ce sont deux produits jaillissant aux pâles opposés d'un seul et même procès.

Le rapport est non seulement reproduit, mais il produit encore sur une échelle toujours plus massive, en créant toujours plus d'ouvriers en s'assujettissant des branches de production sans cesse nouvelles. Tandis qu'il se reproduit - comme nous l'avons souligné, lors de la description du mode de production spécifiquement capitaliste - dans des conditions toujours plus favorables à l'un de ses pôles, celui des capitalistes, il se reproduit dans des conditions toujours plus défavorables à l'autre, celui des ouvriers salariés.

Sous l'angle de la continuité du procès de production, le salaire n'est que la partie du produit qui, après avoir été créée par l'ouvrier, se transforme en moyens de subsistance autrement dit, en moyens de conservation et d'accroissement de la capacité de travail nécessaires au capital pour son auto-valorisation et son procès vital. Cette conservation et cet accroissement de la force de travail - résultat du procès - se manifestent donc simplement comme reproduction et élargissement des conditions de reproduction et d'accumulation appartenant au capital (voir le Yankee).

Ainsi s'évanouit jusqu'à l'apparence qui subsistait encore en surface, à savoir que capitaliste et ouvrier se font, face comme possesseurs de marchandises, égaux en droit, dans la circulation, sur le marché et qu'à l'instar de tous les autres possesseurs de marchandises, la seule chose qui les distingue, c'est le contenu matériel de leurs marchandises, la valeur d'usage particulière des marchandises qu'ils se vendent l'un à l'autre. En d'autres termes, cette forme originelle du rapport ne subsiste plus que comme pur reflet du rapport capitaliste sous-jacent.

Ici, il faut distinguer deux moments : la reproduction du rapport lui-même à une échelle toujours plus large, telle qu'elle résulte du procès de production capitaliste, et la forme qu'elle revêt historiquement lors de sa naissance, et qu'elle revêt sans cesse de nouveau à la surface de la société capitaliste développée.

En ce qui concerne le procès introductif, qui se déroule au sein de la circulation, c'est la vente et l'achat de la force de travail. Le procès de production capitaliste n'est pas seulement transformation en capital de la valeur ou de la marchandise que le capitaliste jette sur le marché ou remet dans le procès de travail : ces produits transformés ne sont pas ses produits, mais ceux de l'ouvrier. Le capitaliste vend constamment, contre du travail, une partie de ce produit - les moyens de subsistance nécessaires à la conservation et à l'accroissement de la force de travail, et il lui en prête constamment une autre - les conditions objectives du travail – comme moyens d'auto-valorisation du capital, comme capital. Ainsi, tandis que l'ouvrier reproduit ses produits comme capital, le capitaliste reproduit l'ouvrier comme salarié, c'est-à-dire comme vendeur de son propre travail. Le rapport entre simples vendeurs de marchandises impliquerait qu'ils échangent leurs propres travaux incorporés dans des valeurs d'usage différentes. L'achat-vente de la force de travail, comme résultat constant de la production capitaliste implique, au contraire, que l'ouvrier rachète constamment une fraction de son propre produit, en échange de son travail vivant.

C'est ainsi que s'évanouit l'apparence du simple rapport entre possesseurs de marchandises : l'acte constant d'achat-vente de la force de travail et la perpétuelle confrontation de la marchandise produite par l'ouvrier et de lui-même comme acheteur de sa capacité de travail et comme capital variable ne sont que des formes qui médiatisent son assujettissement au capital, le travail vivant n'étant qu'un simple moyen de conservation et d'accroissement du travail objectivé, devenu autonome en face de lui.

La forme de médiation inhérente au mode de production capitaliste sert donc à perpétuer le rapport entre le capital qui achète le travail, et l'ouvrier qui le vend; mais, elle ne se distingue que formellement des autres modes plus ou moins directs d'asservissement et d'appropriation du travail par les possesseurs des conditions de la production. Elle masque sous le simple rapport monétaire, la transaction véritable et la dépendance perpétuée grâce à la médiation de l'acte vente-achat qui se renouvelle constamment. Ce rapport reproduit sans cesse, non seulement les conditions de ce trafic, mais encore ses résultats, à savoir ce que l'un achète et ce que l'autre vend. Le perpétuel renouvellement de ce rapport d'achat-vente ne fait que médiatiser la continuité du rapport spécifique de dépendance, en lui donnant l'apparence mystificatrice d'une transaction, d'un contrat entre possesseurs de marchandises dotés de droits égaux et pareillement libres l'un en face de l'autre. Ainsi, le rapport initial devient lui-même un moment immanent de la domination du travail vivant par le travail objectivé qui s'est instaurée avec la production capitaliste.

Se trompent donc aussi bien :

-ceux qui considèrent le travail salarié, la vente du travail au capital, bref le salariat, comme extérieurs à la production capitaliste, alors que le travail salarié est une forme de médiation essentielle et continuellement reproduite par le rapport de production capitaliste, que,

-ceux qui voient dans le rapport superficiel de l'achat-vente, dans cette formalité essentielle, dans ce reflet du rapport capitaliste, sa substance elle-même, et en conséquence prétendent subordonner le rapport entre ouvriers et capitalistes au rapport général entre possesseurs de marchandises, pour en faire l'apologie et effacer ses différences spécifiques.

Les prémisses de la formation du rapport capitaliste en général surgissent à un niveau historique déterminé de la production sociale. Il faut qu'au sein du mode de production antérieur, les moyens de production et de circulation, voire les besoins, soient développés au point qu'ils tendent à dépasser les antiques rapports de production et à les transformer en rapports capitalistes. Au demeurant, il suffit qu'ils permettent une soumission formelle du travail au capital. Sur la base de ce nouveau rapport, il se développe un mode de production spécifiquement différent qui, d'une part, crée de nouvelles forces productives matérielles et, d'autre part, se développe sur ce fondement pour créer de nouvelles conditions réelles. Il s'agit d'une révolution économique complète : d'une part, le capital commence par produire les conditions réelles de la domination du capital sur le travail, puis elle les parfait et leur donne une forme adéquate; d'autre part, pour ce qui est des forces productives du travail, des conditions de production et des rapports de circulation développés par lui en opposition aux ouvriers, il crée les conditions réelles d'un mode de production nouveau qui, en abolissant la forme antagonique du capitalisme, jette les bases matérielles d'une nouvelle vie sociale, d'une forme nouvelle de société.

Notre conception diffère fondamentalement de celle des économistes qui, enferrés dans le système capitaliste, voient certes comment on produit dans le rapport capitaliste, mais non comment ce rapport lui-même est produit et crée en même temps les conditions matérielles de sa dissolution, supprimant du même coup sa justification historique, en tant que forme nécessaire du développement économique et de la production de la richesse sociale.

Tout au contraire, nous avons vu non seulement comment le capital produit, mais encore comment il est lui-même produit, et comment il sort du procès de production essentiellement différent de ce qu'il était en y entrant. En effet, d'une part, il transforme le mode de production précédent; d'autre part, cette transformation ainsi qu'un niveau donné du développement des forces productives matérielles forment la base et la condition préalable de sa propre révolution.

Résultat du procès de production immédiat[modifier le wikicode]

Ce qui en résulte ce ne sont pas seulement les conditions objectives du procès de production, mais encore son caractère spécifiquement social : les rapports sociaux, et donc la position sociale des agents de la production, les uns à l'égard des autres. De fait, les rapports de production sont eux-mêmes produits, et sont le résultat sans cesse renouvelé du procès[139].

Texte formant la transition entre les deux premières rubriques et la troisième, si l'ordre des rubriques est inversé[140][modifier le wikicode]

Nous avons vu que la production capitaliste est création de plus-value et, en tant que telle (avec l'accumulation), elle est production de capital en même temps que production et reproduction de l'ensemble du rapport capitaliste à une échelle plus étendue (élargie). Cependant, la plus-value n'est produite que comme partie de la valeur des marchandises et, comme telle, se représente dans une quantité donnée de marchandises (surproduit). Ce n'est qu'en produisant des marchandises, que le capital produit de la plus-value et se reproduit lui-même. C'est donc de la marchandise, son produit immédiat, que nous devons nous occuper une nouvelle fois.

Or, comme nous l'avons vu, les marchandises sont des résultats incomplets, pour ce qui est de leur forme (et leur détermination économique). Avant de pouvoir fonctionner de nouveau comme richesse sous forme d'argent ou de valeur d'usage, elles doivent subir diverses métamorphoses, et rentrer dans le procès d'échange qui leur permet de revêtir la forme adéquate.

Il faut donc maintenant analyser plus en détail la marchandise telle qu'elle résulte directement du procès de production capitaliste et telle qu'elle se présente au cours des procès successifs qu'elle doit parcourir. (Les marchandises sont les éléments ainsi que les résultats de la production capitaliste, la forme sous laquelle le capital réapparaît à la fin du procès productif.)

Nous partons de la marchandise, forme spécifiquement sociale du produit, parce qu'elle est la base et la condition préalable de la production capitaliste. Considérons l'un de ces produits et recherchons ce qui le détermine comme marchandise et lui donne ce cachet. Avant le système capitaliste, une grande partie de la production n'est pas produite en tant que marchandise; qui plus est, une grande partie des produits qui entrent dans le procès de production, ne sont pas des marchandises. La transformation des produits en marchandises n'a lieu qu'en des points isolés et ne s'effectue que pour l'excédent de la production ou à quelques rares branches de celle-ci (produits manufacturés). Si les produits n'entrent pas dans leur totalité dans le procès en tant qu'articles de commerce, ils n'en sortent pas non plus en tant que tels dans toute leur extension[141].

Cependant, la circulation des marchandises et de l'argent - commerce - doit avoir atteint un certain niveau de développement pour servir de présupposition et de point de départ au capital et au mode de production capitaliste. C'est pour autant qu'elle représente cette présupposition que nous analyserons la marchandise et partirons d'elle comme de l'élément le plus simple de la production capitaliste. Mais, d'autre part, la marchandise est le produit, le résultat de cette production : ce qui apparaît au début comme l'un de ses éléments, en représente ensuite son produit le plus spécifique. En fait, ce n'est que sur la base de la production capitaliste, que le produit prend la forme générale de la marchandise, et plus la production capitaliste se développe, plus tous les composants de ce procès deviennent des marchandises[142].

Pages éparses[modifier le wikicode]

Vente de la force de travail et syndicats[modifier le wikicode]

Lorsque le travail[143] commence vraiment, il a déjà cessé d'appartenir à l'ouvrier, celui-ci ne peut donc plus le vendre. En effet, la marchandise spécifique qu'est la force de travail a ceci de particulier : c'est à la conclusion du contrat entre l'acheteur et le vendeur de cette marchandise, qu'elle passe réellement dans les mains de l'acheteur, sous forme de valeur d'usage. Or, la valeur d'échange de cette marchandise - comme celle de toutes les autres - est fixée avant qu'elle n'entre dans la circulation, bien qu'elle soit vendue comme capacité, force, et qu'il faille un certain temps pour qu'elle produise. Sa valeur d'échange existe donc dans la sphère de circulation avant sa vente, alors que sa valeur d'usage n'existe qu'une fois sa force dépensée dans le procès de production.

Son aliénation et sa manifestation réelle en tant que valeur d'usage sont donc dissociées dans le temps. Il en est comme d'une maison, dont on m'a cédé l'usage pour un mois. Ce n'est qu'après avoir habité un mois la maison que je tiens sa valeur d'usage. De même, la valeur d'usage de la force de travail ne m'est fournie qu'après qu'elle aura travaillé pour moi.

Pour les valeurs d'usage de marchandises dont l'aliénation formelle par la vente est séparée dans le temps de la cession réelle de la valeur d'usage au vendeur, l'argent du vendeur agit d'abord comme moyen de paiement, ainsi que nous l'avons déjà vu[144]. La force de travail est vendue pour un jour, une semaine, etc., mais elle ne m'est payée qu'après qu'elle aura été consommée pendant un jour, une semaine, etc. Dans tous les pays où le rapport capitaliste est développé, la force de travail est payée après seulement qu'elle aura fonctionné. Partout l'ouvrier avance l'usage de sa marchandise au capitaliste, et attend jusqu'à ce qu'elle soit consommée par l'acheteur. Il lui fait donc crédit jusqu'à ce qu'il obtienne paiement de sa valeur d'usage.

On constate, aux temps de crise et même lors d'une banqueroute, que ce perpétuel crédit de l'ouvrier au capitaliste - crédit qui résulte de la nature particulière de la valeur d'usage vendue - n'est pas une simple vue de l'esprit[145].

Néanmoins, que l'argent fonctionne comme moyen d'achat ou comme moyen de paiement, l'échange des marchandises ne change pas pour autant de caractère. Le prix de la force de travail est fixé contractuellement lors de son achat, même si elle ne se réalise que plus tard. Cette forme de paiement ne modifie en rien le fait que ce prix porte sur la valeur de la force de travail, et non du produit ou du travail (qui de toute façon n'est jamais comme tel une marchandise).

Comme on l'a vu, la valeur d'échange de la force de travail est payée en même temps que le prix des moyens de subsistance nécessaires, étant données les habitudes de chaque société, afin que l'ouvrier exerce en général sa capacité de travail avec le degré adéquat de force, de santé et de vitalité, et perpétue sa race[146].

L'homme se distingue de toutes les autres espèces animales par ce que ses besoins n'ont pas de limites et sont parfaitement extensibles : nul autre animal ne peut comprimer ses besoins de manière aussi extraordinaire, et limiter ses conditions de vie à un tel minimum. Bref, il n'est pas d'animal ayant autant de disposition à l'irlan­disation. Dans la valeur de la force de travail, il n'y a pas à considérer ce minimum physiologique d'existence.

Le prix de la force de travail - comme celui de n'importe quelle autre marchandise - peut monter au-dessus ou descendre au-dessous de sa valeur, autrement dit s'écarter, dans l'un ou l'autre sens, du prix qui est l'expression monétaire de la valeur. Le niveau des besoins vitaux, dont la somme totale représente la valeur de la force de travail, peut augmenter ou diminuer. Cependant, l'analyse de ces oscillations n'a pas sa place ici, mais dans l'étude du salaire[147].

Dans la suite de notre étude, nous verrons que, pour l'analyse du capital, il est parfaitement indifférent que l'on présuppose un niveau bas ou élevé des besoins des ouvriers. D'ailleurs, en théorie comme en pratique, on part de la valeur de la force de travail comme d'une grandeur donnée. Par exemple, si un individu fortuné veut con­ver­tir son argent en capital - en capital d'exploitation d'une fabrique de coton, mettons -, il s'informera tout d'abord du niveau moyen des salaires de la localité où il a l'inten­tion de s'établir. Il sait que le salaire - tout comme le prix du coton - s'écarte sans cesse de la moyenne, mais que ces oscillations finissent par se compenser. Dans l'éta­blis­sement de ses comptes, il prend donc le salaire comme une grandeur donnée de valeur.

Par ailleurs, la valeur de la force de travail constitue la base rationnelle et déclarée des syndicats, dont il importe de ne pas sous-estimer l'importance pour la classe ouvrière. Les syndicats ont pour but d'empêcher que le niveau des salaires ne descende au-dessous du montant payé traditionnellement dans les diverses branches d'industrie, et que le prix de la force de travail ne tombe au-dessous de sa valeur. Ils savent, certes, que si le rapport entre l'offre et la demande change, le prix de marché change aussi. Mais, d'une part, un tel changement est loin d'être le simple fait unilatéral de l'acheteur, dans notre cas du capitaliste; d'autre part, il existe une grande différence entre, d'une part, le montant du salaire déterminé par l'offre et la demande (c'est-à-dire le montant résultant de l'opération « honnête » de l'échange de marchan­dises, lorsque acheteur et vendeur traitent sur un pied d'égalité) et, d'autre part, le montant du salaire que le vendeur - l'ouvrier - est bien forcé d'accepter, lorsque le capitaliste traite avec chaque ouvrier pris isolément et lui impose un bas salaire, en exploitant la détresse exceptionnelle de l'ouvrier isolé, indépendamment du rapport général de l'offre et de la demande.

En conséquence, les ouvriers se coalisent afin de se placer en quelque sorte sur un pied d'égalité avec les capitalistes pour le contrat de vente de leur travail. Telle est la raison (la base logique) des syndicats[148]. Ce qu'ils recherchent, c'est d'éviter que, sous la pression directe d'une détresse qui lui est particulière, l'ouvrier ne soit contraint à se satisfaire d'un salaire inférieur à celui qui était fixé auparavant par l'offre et la demande dans la branche d'activité déterminée[149], de sorte que la valeur de la force de travail tombe au-dessous de son niveau traditionnel dans cette industrie. Remarquons que cette valeur de la force de travail « représente pour l'ouvrier lui-même le mini­mum de salaire, et pour le capitaliste le salaire uniforme et égal pour tous les ouvriers de l'entreprise »[150].

Les syndicats ne permettent donc jamais à leurs membres de travailler au-dessous de ce minimum de salaire[151]. Ce sont des sociétés de sécurité créées par les ouvriers eux-mêmes.

L'exemple suivant montre comment ces organisations formées par les ouvriers eux-mêmes s'y prennent pour défendre la valeur de la force de travail. Dans toutes les entreprises de Londres, il existe ce qu'on appelle des « sweaters ». Un sweater, « c'est quelqu'un qui se charge de fournir à un premier entrepreneur une certaine quantité de travail au salaire habituel en le faisant exécuter par d'autres à un prix moindre », de sorte que la différence - son profit - est pris sur la sueur des ouvriers qui en fait exécutent l'ouvrage »[152] . Ce profit ne représente rien d'autre que la différence entre la valeur de la force de travail payée par l'entrepreneur et le prix inférieur à la valeur de la force de travail payée aux ouvriers par l'intermédiaire qui fait suer ceux qui travaillent[153].

Notons en passant qu'il est caractéristique...

Cette forme de salaire aux pièces est utilisée, par exemple, dans les poteries anglaises, pour engager, sur la base d'un faible salaire aux pièces, de jeunes apprentis (de 13 ans), qui se surmènent, précisément au cours de leur période de croissance, « pour le plus grand profit de leur patron ». Telle est l'une des causes - admise offi­ciel­lement - de la dégénérescence de la population ouvrière des poteries[154].

Dans les branches d'industrie où l'on vient tout juste d'introduire le travail aux pièces, on assiste à une augmentation du salaire ouvrier à la suite de l'intensité accrue du travail. Mais, sitôt qu'elle atteint un certain montant, cette augmentation devient une raison pour les patrons de diminuer les salaires, parce qu'ils les tiennent pour plus élevés qu'il ne le faut à l'ouvrier. C'est pourquoi, il importe de dénoncer le travail aux pièces comme un moyen direct d'abaisser les salaires[155].

Il est clair que le mode de paiement du salaire ne change en rien la nature de celui-ci. Cependant, un tel mode de paiement peut favoriser plus que tel autre le développement du procès de production capitaliste (au reste, certaines techniques de travail impliquent tel mode de paiement)[156].

Les différences individuelles de salaire (plus fortes dans le système du salaire aux pièces que dans celui du salaire au temps) ne sont, bien sûr, que des déviations du niveau normal de salaire. Mais, à moins que certaines circonstances n'en paralysent l'effet, le salaire aux pièces tend à baisser ce niveau lui-même.

Comme prix global du travail quotidien moyen, le salaire contredit la notion de valeur. En effet, tout prix doit pouvoir être réduit à une valeur, puisque le prix - comme tel - n'est que l'expression monétaire de la valeur. Que les prix actuels se situent au-dessus ou au-dessous du prix correspondant à leur valeur ne change rien au fait qu'ils sont une expression quantitativement incongrue de la valeur de la marchan­dise, même si, dans le cas supposé, le prix est quantitativement trop élevé ou trop bas. En effet dans le cas du prix du travail, l'incongruité est d'ordre qualitatif.

La valeur d'une marchandise étant égale au travail nécessaire qu'elle renferme, la valeur d'une journée de travail - effectuée dans les conditions adéquates de production et avec le degré social moyen, habituel, d'intensité et d'adresse - est égale à la journée de travail contenue dans la marchandise, ce qui est une absurdité et ne détermine absolument rien.

La valeur du travail - c'est-à-dire le prix du travail qualitativement dépouillé de son expression monétaire - est donc une forme irrationnelle; en fait, c'est simplement une autre forme, inversée, de la valeur de la force de travail. (Le prix, non réductible à la valeur - que ce soit directement ou par une série d'intermédiaires - exprime n'im­porte quel échange, purement contingent, d'un article quelconque contre de l'argent. C'est ainsi que des choses qui, par nature, ne sont pas des marchandises et sont donc hors du commerce des hommes, peuvent être transformées en marchandises, dès lors qu'on les échange contre de l'argent. D'où la liaison entre vénalité, corruption et argent. Étant une marchandise métamorphosée, l'argent ne révèle pas d'où il provient, ce qui a été transformé en lui : conscience, virginité ou patates ?)

Comme expression immédiate du rapport de valeur, le salaire aux pièces est tout aussi irrationnel que le salaire au temps, forme la plus directe du salaire. Il y a, par exemple, dans une marchandise (abstraction faite du capital constant qu'elle renferme) une heure de travail objectivé, soit 6 d. L'ouvrier obtient 3 d., autrement dit, pour l'ouvrier, la valeur d'une marchandise n'est pas déterminée par la valeur mesurée par le temps de travail qu'elle renferme. En fait, son salaire aux pièces n'exprime donc directement aucun rapport de valeur.

Comme on le voit, la valeur de cette marchandise n'est pas mesurée par le temps de travail qu'elle renferme. A l'inverse, c'est cette marchandise qui mesure le temps de travail nécessaire, effectué par l'ouvrier. En conséquence, le salaire touché par l'ouvrier est du travail au temps, puisque cette marchandise est uniquement appelée à mesurer le temps pour lequel l'ouvrier reçoit le salaire et à garantir qu'il a utilisé uniquement du temps de travail nécessaire, bref, que le travail a été exécuté avec l'intensité voulue et, de plus, possède (en tant que valeur d'usage) la qualité requise. Le salaire aux pièces n'est donc rien d'autre qu'une forme déterminée du salaire au temps qui, lui, n'est qu'une autre forme de la valeur de la force de travail ou du prix respectif de la force de travail, soit qu'il corresponde quantitativement à cette valeur, soit qu'il s'en écarte.

Si le salaire aux pièces tend à laisser une grande marge de jeu à l'individualité des ouvriers, et donc à élever au-dessus du niveau général le salaire de quelques-uns d'entre eux, il pousse tout autant à abaisser au-dessous de ce niveau le salaire des autres ouvriers, diminuant ce niveau en général sous l'aiguillon de la concurrence ten­due à l'extrême parmi les travailleurs.

Si l'intensité du travail - les autres facteurs restant les mêmes - se mesure d'après la masse du produit fourni par l'ouvrier en un temps donné, il faut - pour avoir une idée du salaire au temps des différents pays, par exemple le salaire d'une journée de travail d'une longueur donnée - comparer ce salaire à ce qu'il représente lorsqu'il est exprimé en salaire aux pièces. C'est ainsi seulement qu'on obtiendra le véritable rap­port entre travail nécessaire et surtravail, ou entre salaire et plus-value.

On constate alors que le salaire aux pièces est souvent plus élevé dans les pays pauvres, et le salaire apparent au temps plus élevé dans les pays riches. De fait, l'ouvrier exige, dans les pays pauvres, une plus grande partie de la journée de travail pour reproduire son salaire : le taux de plus-value est donc plus petit, et le salaire relatif plus élevé. Le prix réel du travail y est donc supérieur.

Si l'on considère différentes nations, abstraction faite de la productivité due à chacun des ouvriers, l'intensité varie tout autant que la durée du temps de travail. La journée de travail nationale plus intense est égale à la journée de travail moins intense plus x. Si l'on prend pour étalon de la journée internationale de travail celle des pays producteurs d'or et d'argent, la très intense journée de travail anglaise de 12 heures s'exprime en plus d'or que celle moins intense d'Espagne, c'est dire qu'elle est plus élevée que la journée de travail moyenne, réalisée en or et en argent.

Si l'on considère une journée de travail totale de grandeur donnée, un salaire national plus élevé n'implique donc pas, dans la pratique, que le prix du travail ou d'une quantité donnée de travail soit plus élevé, pour ce qui est non seulement de la valeur d'usage, mais encore de la valeur d'échange, et donc aussi de son expression monétaire. (En effet, en supposant donnée la valeur de l'or et de l'argent, une expres­sion monétaire supérieure exprime toujours plus de valeur, et vice versa.)

Si l'on considère au même moment les salaires en monnaie des ouvriers des diffé­rentes nations, on supposera toujours donnée la valeur de l'or et de l'argent, puisqu'un changement de cette valeur touche au même moment les diverses nations : il n'y a donc aucun changement dans leur rapport réciproque.

Lorsque nous avons une durée plus grande de travail, de même qu'une intensité accrue - ce qui, au niveau international, revient au même - le salaire peut donc être plus élevé dans un pays que dans un autre, mais il peut néanmoins représenter :

une partie moindre de la journée totale (autrement dit, il peut être relativement plus bas);

un prix moindre du travail. Si, par exemple, l'ouvrier obtient par jour 3 sh. pour 12 h., cela représente moins qu'un salaire quotidien de 2 ½sh. pour 11 h. En effet, cette heure de plus-value renferme une usure bien plus grande, donc une reproduction plus rapide, de la force de travail. La différence serait encore plus considérable, si c'était 2 ½ sh. pour 10 h., et 3 pour 12 h.[157]

  1. Cf. K. Marx à J. Ph. Becker, le 17 avril 1867. Et pour qu'il n'y ait pas de doute sur l'efficacité de ce missile : sur le plan théorique, le Capital porte à la bourgeoisie « un coup dont elle ne se relèvera jamais. » Cf. K. Marx à K. Klings, 4 octobre 1864, in : Lettres sur « le Capital », présentées et annotées par G. Badia, Paris, Ed. Soc., 1964, p. 144.
  2. Cf. K. Marx, le Communisme et la « Gazette générale » d'Augsbourg, in : Gazette rhénane, 16 octobre 1842.
  3. Cf. Marx-Engels, la Sainte Famille, 1845, Ed. Costes, tome 2, pp. 61-62, et Ed. Soc., p. 48. Dans son acception la plus haute, le déterminisme ne nie pas la liberté, ni la volonté et son efficacité, ni la « création » (si l'on traduit ce mot par Schaffung, travail, production, son caractère ex nihilo s'estompe) : « La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées. » cf. Marx-Engels, Anti-Dühring, Ed. Soc., p. 146. L'œuvre de Marx et d'Engels formant un tout, une question posée sur le plan « philoso­phi­que » peut recevoir sa réponse dans l' « économie », le Capital par exemple. Au fur et à mesure, la réponse est plus élaborée, et les solutions étayées.
  4. Cf. Lénine, Œuvres, tome 13, p. 309 : Programme agraire de la social-démocratie dans la première révolution russe de 1905-1907. Souligné par nous.
  5. « Rien n'est plus dangereux que de vouloir amoindrir en temps de révolution la portée des mots d'ordre tactique strictement conformes aux principes... L'élaboration de décisions tactiques correctes a une importance énorme pour un parti qui veut diriger le prolétariat dans un esprit rigoureusement marxiste, et non pas simplement se laisser remorquer par les événements ». Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905, in : Œuvres, tome 9, pp. 13-14. La seule analyse systématique que nous connaissions du rapport entre l'action de Lénine et toutes les phases successives de la révolution, de la fin du XIX° siècle à 1917 est celle publiée par Programma Comunista de 1954 à 1961 : Russia e Rivoluzione nella teoria marxista, etc.
  6. C'est ce qu'implique, par exemple, la théorie du passage au socialisme en France par des voies pacifiques. Les principaux événements théorisés par Marx-Engels et Lénine - les révolutions de 1848, la Commune de Paris, 1905 et 1917 - seraient alors « dépassés » et la révolution violente deviendrait une anormalité, une sorte de particularisme du sous-développement, voire de l'asiatisme.
  7. C'est la première des thèses de la fraction communiste abstentionniste d'Italie, mai 1920, in : Fil du Temps, nº 8. Cette fraction a fondé en janvier 1921 à Livourne le Parti communiste d'Italie, conformément aux méthodes léninistes, et collabora à la rédaction des thèses sur le Parti de l'Internationale communiste (notamment pour la 21° condition).
  8. Lénine se range lui-même parmi les « marxistes dogmatiques » et rejette la « liberté de critique » du marxisme, cf. Que faire ? chap. 1°: Dogmatisme et « liberté de critique », in :Œuvres, tome 5, p. 358-380.
  9. Le VI° chapitre inédit du Capital de Marx, qui fait l'objet de ce volume, fait partie de ce lot. Il fut publié pour la première fois dans Arkhiv Marksa i Engelsa, vol. II (VII), sous le titre : Erstes Buch. Der Produktionsprozess des Kapitals. Sechstes Kapitel. Resultate des unmittelbaren Produktionsprozesses, avec en regard la traduction russe, Moscou, 1933, pp. 4-266.
  10. Cf. Lénine, Aus dem philosophischen Nachlass, Berlin, 1961, p. 240, et, en français, Cahiers Philosophiques, Ed. Soc., p. 149.
  11. Cf. Karel Kosik, la Dialectique du Concret, Ed. Fr. Maspero, BS 15, Paris, 1970, 171 p.
  12. Cf. En partant du « Capital », Roman Rosdolsky : la Signification du « Capital » pour la recherche marxiste contemporaine, p. 253, Ed. Anthropos, Paris, 1968.
  13. Engels suppose comme admise cette distinction entre marchandise-capital et marchandise simple. « En conséquence, on voit clairement pourquoi Marx, au début du livre I°, part de la simple production marchande qui est pour lui la condition historique préalable pour en venir ensuite, en partant de cette base, au capital; on voit pourquoi il part précisément de la marchandise simple et non pas directement de la marchandise déjà modifiée, Par le capitalisme qui n'en est, du point de vue conceptuel et historique, que la forme seconde. » Cf. Préface au Capital, livre III°, Ed. Soc., vol. VI, pp. 17-18.
  14. Marx dit expressément à la fin de ce qui devait être le VI°chapitre. « Ainsi se trouve résolue la difficulté soulevée au chapitre I° ». (p. 83).
  15. Une grande partie de la polémique portant sur l'opposition entre les écrits philosophiques et économiques de Marx repose sur des questions de forme ou de traduction. La traduction française notamment a éliminé systématiquement tout le jargon non seulement philosophique, mais encore dialectique du Capital, en provoquant la colère d'Engels : « Hier, j'ai lu, en français, le chapitre sur la législation des fabriques. Sauf tout le respect que j'ai pour l'art avec lequel on a transformé ce chapitre en un français élégant, cela me fait mal au cœur pour ce beau chapitre. Sa vigueur, sa sève et sa vie s'en sont allées au diable. On paie la possibilité qu'a l' « écrivain moyen » de s'exprimer avec une certaine élégance, par une castration de la langue. Donner la vie à des idées en français moderne, cette camisole de force, devient de plus en plus impossible. Ne serait-ce que le renversement de la construction des phrases, rendu presque partout nécessaire par cette logique formelle pédante, ôte à l'exposé tout ce qu'il a de frappant et de vivant. Je considérerais comme une grosse faute que de prendre comme base pour la traduction anglaise le vêtement français. » Engels à Marx, le 29.X.1873, cf., Lettres sur le Capital », p. 273. Cf. infra, p. 163 note.
  16. Il serait plus exact de parler de Sixième section, puisque c'est à cette subdivision que correspond le texte. Cependant, nous avons gardé la traduction de Sixième chapitre, parce que le texte est déjà connu, en France et à l'étranger, sous ce nom.
  17. Marx a regroupé ces rubriques dans le VI° chapitre.
  18. C'est l'objet proprement dit du présent manuscrit.
  19. Ce chapitre est traité dans le livre IV du Capital (Histoire des Doctrines Économiques). Trad. J. Molitor, Ed. Costes, 8 vol., cf. vol. 2, pp. 5-215).
  20. Dans Économies et Sociétés, Cahiers de l'I.S.E.A., Série Études de Marxologie, n° 6, juin 1967, p. 128-175, Maximilien Rubel a publié une première traduction (environ le tiers) de ce VI° Chapitre, puis il en a donné de très larges extraits (environ les deux tiers) dans Karl Marx, Économie II, de la collection La Pléiade, pp. 365-472. Plus récemment, Bruno Maffi a publié une traduction italienne du VI° chapitre, sans y inclure les Pages Eparses, cf. Marx. Il Capitale : Libro 1, capitolo VI inedito, La Nuova Italia, Firenze, 1969, XXVIII-131 p. Actuellement, une édition allemande est sous presse en République Fédérale.
  21. Pour rompre le mur du silence, Marx et Engels allèrent jusqu'à imaginer « d'attaquer le livre d'un point de vue bourgeois pour lancer la discussion », cf. lettres du 11.IX, 12.IX, 11.X et 18.X.1867, in : Lettres sur « le Capital ». Correspondance Marx-Engels, présentée et annotée par Gilbert Badia, Paris, Ed. Soc., pp. 182-187.
  22. Marx a encouragé la rédaction d'abrégés ou de résumés du Capital, non seulement pour faciliter l'accès à un sujet difficile, mais pour donner au lecteur un premier schéma de l'œuvre.
  23. C'est pourquoi Engels démontrait que les capitalistes ne voudront jamais céder leurs entreprises aux ouvriers, de manière pacifique, en leur vendant les usines à leur valeur de patrimoine.
  24. Pour des raisons techniques, le tableau a été inversé lors de son édition HTML. Il faudra donc comprendre "lignes" là où l'auteur écrit "colonnes" et réciproquement dans le passage qui suit. (N.R.)
  25. Ici, pp. 98-99 et au livre I°du Capital, 5° section, chap. XVI sur la plus-value absolue et la plus-value relative, Ed. Soc., II, pp. 183-191. Ces deux notions ont un caractère historique : la plus-value absolue s'obtient au stade où le capital ne domine que formellement le travail, en augmentant le nombre d'ouvriers salariés au détriment de l'agriculture, en prolongeant la journée de travail; la plus-value relative s'obtient au stade de la domination réelle par l'augmentation de la productivité technique.
  26. Au chapitre XV du I° livre du Capital, Marx développe un autre cas sur l'augmentation de la productivité générale qui fait diminuer le coût de la vie au point qu'il en résulte un avantage pour le prolétariat même si son salaire reste constant, quoique la masse et le taux de plus-value puissent augmenter considérablement.
  27. Cf. le Capital, troisième livre, vol. VIII des Ed. Soc., p. 146. Cf. également le Marxisme et la question agraire (suite) dans la revue ronéotypée Fil du Temps, nº 6, pp. 137-139, Jacques Angot, B.P. 24 Paris-19e.
  28. Dans la rédaction définitive, cette partie eût formé la conclusion du VI° chapitre, et donc du Livre I°.
  29. En mathématique, le fluente désigne une fonction variable (intégrale), et la fluxion la différentielle d'une fonction.
  30. Cf. J. Staline, les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., Ed. Soc, 1952, p. 15.
  31. Ibid., pp. 17-18. Dans la Russie de Lénine, il était question de dictature du prolétariat et d'un secteur capitaliste de l'économie. D'ailleurs, il est normal qu'un secteur de production non socialiste subsiste alors, puisque la dictature du prolétariat est un état où l'économie est encore antagonique, le prolétariat, en tant que classe dirigeante, luttant contre les survivances de l'écono­mie pré-socialiste. Au fur et à mesure de la dégénérescence de l'internationale communiste, le but n'était plus, comme au début, la dictature du prolétariat à l'échelle internationale, mais la construction accélérée de l'économie russe; l'économie capitaliste, loin de régresser, s'épanouit alors, étant la meilleure pour accumuler et développer les forces productives, en vue d'accroître la production à un rythme élevé. Staline, certes, essaie de tergiverser, et s'il reconnaît qu'il y a production marchande en Russie, il prétend néanmoins que le salariat n'y existe pas, parce qu'il est absurde de croire que « la classe ouvrière, possédant les moyens de production, se salarie elle-même et se vend à elle-même sa force de travail ». En fait, les ouvriers russes ne se salarient pas eux-mêmes et vendent leur force de travail à autrui. En théorie, la personne de cet autrui - capitaliste qui détient l'argent, achète la force de travail, vend les produits, dirige le procès de production et le surveille - n'est pas détermi­nante pour définir le rapport salariat-capital. Peu importe que les capitalistes nº 1, 2 et 3 soient l'État, la direction devenue autonome des usines, l'association des entreprises anonymes, les sovkhoz ou kholkoz qui détiennent les moyens de subsistance, etc. : l'essentiel dans la définition du salariat, c'est qu'il y a production de plus-value accumulée sous forme monétaire et de marchan­dises, par une force de travail qui ne peut survivre qu'en vendant sa marchandise-travail. Cf. p. 164. Par ailleurs, Staline pense pouvoir faire de la loi de la valeur marchande un instrument commode pour mesurer la production et les besoins : c'est tourner le dos au marxisme, qui voit dans la marchandise, le salariat, la monnaie et la valeur d'échange des réalités qui ne sont pas susceptibles d'être manipulées, mais qui, au contraire, dominent les hommes. Cf. le Dialogue avec Staline, in : Programme communiste, nº 8, 1959, 55 p.
  32. Arbeitsvermögen peut se traduire par faculté, capacité ou puissance possible du travail, et ce en un double sens : 1º le travail, étant séparé des conditions objectives de production, pure force de travail vivante et « subjective », n'a pas la certitude, mais seulement la possibilité de produire : pour que cette possibilité se réalise, le capitaliste doit « donner » du travail à l'ouvrier; 2º la force de travail est potentielle, parce que d'une part elle est elle-même essentiellement variable (plus ou moins productive, spécialisée, etc.) et que d'autre part elle produit une valeur tout à fait variable, au sens où elle crée un excédent par rapport au salaire touché par l'ouvrier (à la différence du capital constant qui transmet au produit une valeur équivalente).
  33. En effet, dans le procès de production, les machines et les matières premières ne fonctionnent pas en raison de leur valeur monétaire, mais de leur nature et finalité particulières - valeur d'usage - et opèrent dont de manière spécifique, comme machines et matières servant, par exemple, à produire du fil ou des saucissons.
  34. Cf. les Fondements, etc., tome I, pp. 314-318. Marx anticipe ici sur la 3° rubrique du VI° chapitre : la production capitaliste est production et reproduction du rapport spécifiquement capitaliste.
  35. Dans la partie consacrée au Produit brut et produit net, Marx prévoit cette évolution dès le siècle dernier : la production capitaliste a pour idéal de diminuer autant que possible le nombre de ceux qui vivent du salaire, et d'augmenter le plus possible le nombre de ceux qui vivent de la plus-value (p. 245). Selon l'étude Statistiques de la population active pour les années 1956 à 1967 de l'O.C.D.E., la population industrielle n'est plus que de 39,7 % en Europe, de 33,5 % au Japon, de 33,7 % aux États-Unis par rapport à la population active totale. L'agriculture n'y forme plus que 20,9 % en Europe, 23,2 % au Japon et 5,5 % aux États-Unis, tandis que la population tertiaire est montée à 39,4 % en Europe, 43,4 % au Japon et 60,8 % aux États-Unis. L'évolution s'accentue non seule­ment depuis ces dix dernières années, mais elle est la plus prononcée dans les pays les plus déve­loppés, Cependant, le capitalisme ne cesse de prolétariser de plus en plus les grandes masses. En effet, d'une part, la population agricole diminue de plus en plus, d'autre part, ce sont les masses les plus nombreuses des pays sous-développes qui perdent de plus en plus la disposition et la propriété de leurs instruments de production et deviennent des travailleurs « libres », c'est-à-dire disponibles à l'exploitation capitaliste. Ce phénomène est lié à l'expansion du capitalisme dans le monde entier, la fameuse exportation de capitaux des pays les plus développés vers les moins développés, phéno­mène appelé impérialisme et lié fondamentalement au mode de production capitaliste qui se définit comme production de plus-value, d'excédents. Ainsi, les États-Unis voient leur population industrielle diminuer le plus, mais leur exportation de capitaux augmenter le plus : les deux mouvements de prolétarisation et de déprolétarisation sont liés, mais le premier l'emporte sur le second, à l'échelle internationale.
  36. L'expression, pourtant fondamentale, de procès de valorisation ne se trouve pas dans la traduction française du I° livre du Capital, et notamment dans la 3° Section qui traite du procès de travail et du procès de valorisation. Roy a traduit cette expression par production de plus-value ou production de valeur. Ces défectuosités de traduction compliquent évidemment la compréhension du processus par lequel la valeur d'usage et la valeur d'échange de la marchandise se prolongent dans le procès de production capitaliste qui est donc procès de travail, du point de vue de la valeur d'usage, et procès de valorisation, du point de vue de la valeur d'échange. Dans ce même chapitre, Marx distingue entre procès de valorisation et procès de production de valeur simple. Ce dernier consiste à produire une valeur correspondant au remplacement de la valeur du travail payé, selon le strict principe de l'équivalence de la production marchande simple. Le procès de production de valeur devient procès de valorisation (capitaliste) dès lors qu'il se prolonge au-delà de ce point, autrement dit : produit de la plus-value.
  37. Dans le I° livre du Capital (Ed. Soc. vol. II, pp. 206-209) et au début des Pages Éparses du VI° Chapitre, Marx démontre que la force de travail étant la mesure de toutes les valeurs, il n'est pas possible de la mesurer à elle-même. La force vivante du travail n'a pas de valeur, mais (dans le système mercantile) ce qu'elle produit en a. Elle-même est payée (salaire), non pas pour ce qu'elle vaut, mais pour ce qu'il faut de produits pour reconstituer la vie de la capacité physique et nerveuse du travail. Il ne s'agit donc pas d'un « truc » comptable, d'une difficulté méthodologique. Cette constatation historique de première importance ne peut surgir qu'au moment où les conditions objectives du travail sont complètement séparées de la force de travail. La conclusion socialiste en est qu'il est absurde de revendiquer la propriété de la force de travail, puisque celle-ci, en soi, n'a pas de valeur. Ainsi, Marx considère que les syndicats se placent encore sur le plan de la société bourgeoise, en s'efforçant de garantir aux ouvriers la valeur de leur force de travail, seul élément de valeur qui leur appartienne. C'est pourquoi, il leur enjoint d'être révolutionnaires, en luttant aussi pour l'abolition du salariat. Pour la même raison, Marx rejette l'utopie d'une société où, parce que l'ouvrier est propriétaire de sa force de travail, il recevrait l'intégralité du fruit de son travail. Dès lors que les conditions objectives du travail sont réunies à la force de travail collective, associée de manière rationnelle et appuyée par la science, il n'est plus de propriété privée des individus, des groupes, des nations ou des classes. C'est ce que Marx dit de la propriété de la terre qui conditionne, dans les sociétés de classe, la propriété de tout le reste : « Du point de vue d'une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d'un individu sur son prochain. [et, à plus forte raison, le droit de propriété de l'individu sur lui-même]. Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n'en sont que les possesseurs, elles n'en ont que la jouissance et doivent la transmettre aux générations futures après l'avoir améliorée en bons pères de famille. » (Capital, III, vol. VIII, Ed. Soc., p. 159).
  38. Cf. K. Marx, Fondements, etc., tome II, p. 143.
  39. Ibid.,p. 141, 143.
  40. Ibid.,p. 142.
  41. Cf. K. Marx, Capital, livre III, Ed. Sec., vol. VII, p. 47. Marx traite de la question du « salaire du capitaliste » de la page 43 à 54.
  42. Ibid., p. 53. Cette conclusion théorique peut avoir des effets pratiques considérables. Cet après-guerre en fournit la preuve a contrario : après 1945, la C.G.T. a défendu parmi les ouvriers le principe de la hiérarchie des salaires, c'est-à-dire de salaires très élevés (pour les improductifs ou opérateurs du capital) et très bas (pour les productifs). Les masses luttèrent avec moins de fermeté pour élever les salaires les plus faibles qui sont les plus nombreux, et n'entamèrent en rien les privilèges parasitaires du profit des capitalistes. Pourtant, en France même, la Commune avait déjà osé, il y a un siècle, égaliser des salaires ouvriers à tous. Le résultat de la reconnaissance de la hiérarchie des salaires fut une démoralisation croissante de la classe ouvrière, perdant de plus en plus sa confiance en soi. Elle déserta les syndicats plus que dans tout autre pays européen de développement analogue. Aujourd'hui, la France a les salaires les plus bas et les plus hauts, parmi ces pays. Les mots d'ordre tactique doivent découler de principes théoriques justes, la théorie devenant une force si elle est radicale, c'est-à-dire correspondant à la situation et aux besoins profonds des masses laborieuses.
  43. Cf. K. Marx, Theorien über den Mehrwert, Dietz, Berlin, vol. 2, p. 107.
  44. Cf. les Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste, in : Fil du Temps, n° 5, pp. 42, et 33-39. Que la force soit un « acte économique » c'est une nouvelle de tous les jours. Par exemple : « A Ghisonaccia. Les habitants barrent la route : ils obtiennent 300.000 F du préfet », in : le Monde, du 14 Août 1969, p. 12, col. 1.
  45. Cf. Engels à C. Schmidt, 27. X. 1890, in : K. Marx et Fr. Engels sur la littérature et l'art, Ed. Soc., Paris, 1954, p. 158.
  46. La production marchande simple s'est, en réalité, développée au sein de la société féodale, à l'abri des privilèges de l'État politique qui garantissait les chartes de franchise de métier, les artisans et autres petits-bourgeois formant un état à côté du clergé et des seigneurs, etc. Aux États-Unis, la production marchande simple semble avoir existé de par elle-même vers la fin du XVIII° lorsque la population de propriétaires parcellaires de la campagne formait 90 % de la population totale. Néanmoins, la violence était omniprésente, et l'État anglais à l'arrière-plan. Cf. l'État et la nation dans la théorie marxiste, in : Fil du Temps, nº 4, p. 89-102, le chapitre sur la Contribution féodale au développement économique de la production marchande des communes.
  47. Dans les Fondements, Marx indique des critères meilleurs : « Dès que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d'être la source principale de la richesse [autrement dit, dès que le travail est socialisé, étant associé et bénéficiant de la technique et des procédés élaborés par toutes les générations humaines], le temps de travail cesse et doit cesser d'être la mesure de la valeur d'usage » (tome 2, p. 222.) Le capital ayant accumulé toutes les richesses et facultés dans le capital fixe, on ne peut plus développer les forces productives qu'en accroissant la force de travail vivante de l'homme. C'est pourquoi : « la richesse véritable signifie, en effet, le développement de la force productive de tous les individus. Dès lors, ce n'est plus le temps de travail, mais le temps disponible qui mesure la richesse. » Ibid., p. 226.
  48. En ce sens, le salariat portant sur la forme mensuelle et comptable de la rémunération, est purement formel, et n'a rien à voir avec le salaire qui est capital variable et source de plus-value. Mais, ce mode formel de rémunération permet, à l'Est comme à l'Ouest, de nier le caractère capitaliste de l'économie, en donnant une même apparence extérieure à tous les revenus (salaires, profits, rente) des trois classes fondamentales de la société capitaliste. C'est là évidemment une, grande force mystificatrice en faveur des classes dominantes.
  49. Économiste plus que médiocre, Staline a prétendu que la tendance du capitalisme moderne était la recherche du profit maximum qui remplacerait la loi marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit. En fait il a confondu deux choses : historiquement, la masse du produit brut capitaliste augmente, ainsi que la masse du profit net (qui croît cependant moins vite). En revanche, le taux de profit baisse tendanciellement. En général, Staline se place plutôt au niveau de l'économie bourgeoise classique des Ricardo qu'au niveau de l'économie vulgaire dégénérée. Avec sa formule « l'homme est le capital le plus précieux », il se situe même au niveau de la soumission formelle du travail au capital, caractérisée par la production de la plus-value absolue, où le capital obtient la majeure partie de sa plus-value en augmentant la durée du travail et le nombre des ouvriers, soit le « capital humain ».
  50. Si l'on confond de la même façon, tous les revenus (profits et salaires) sur le plan de l'entreprise, on obtient la gestion ouvrière ou la cogestion des régimes aussi bien fasciste, démocratique que « socialiste » : le capital constant (installations fixes, machines, etc.) appartient à tous ceux qui sont employés par l'entreprise, puisqu'il contribue à leur donner un revenu justifié par un « job » dans l'entreprise.
  51. Cf. K. Kosik, la Dialectique du concret, pp. 152-153.
  52. Cf. les Fondements, etc., tome I°, pp. 422, 478.
  53. L.c., tome 2, pp. 276-277.
  54. Conformément à ces indications, les différents éditeurs du VI° Chapitre ont inversé l'ordre des rubriques. Nous n'estimons pas devoir en faire autant, parce que Marx n'a pas mis la dernière main à cet écrit et a dit lui-même que l'ordre en est le plus « commode ». En outre, le plan d'ensemble immédiat, en fonction duquel Marx pensait inverser l'ordre des rubriques, a été modifié lors de la publication. Par exemple, les deux derniers chapitres du livre I ont été intervertis, sans doute pour des raisons de censure. (N.R.)
  55. Cf. K. Marx, Contribution à la critique de l'économie politique, Berlin, 1859.
  56. Cf. Sismondi, Nouveaux Principes d'économie politique, tome X, Paris, 1819, p. 113, et le Capital, livre I°, Ed. Soc., vol. 1, p. 176.
  57. Cf. dans les Pages Éparses, en fin de volume, la note sur la Différence de centralisation des moyens de production dans les divers pays, p. 288. Marx y établit le lien entre le développement des formes de propriété dans l'agriculture et l'essor de l'industrie capitaliste.(N.R.)
  58. Cf. Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique (Éditions Sociales, p. 11), et aussi Wakefield.
  59. Dans le tableau de notre présentation, cet exemple a le sigle B I. (N.R.)
  60. Dans le tableau de notre présentation, cet exemple a le sigle B II. Pour résumer les complexes développements numériques qui suivent, en voici la trame générale : Marx considère d'abord le cas où le prix de la marchandise diminue par suite d'un accroissement de la productivité technique du travail, sans que changent la masse et le taux de profit; puis le cas, où le prix de marché varie par suite de changements de productivité dus à des conditions naturelles, sans que changent la masse et le taux de profit. Enfin, il considère les cas inverses : le prix des marchandises reste le même, tandis que la masse et le taux de profit augmentent, à la suite d'une prolongation de la journée de travail ou d'une diminution du temps de travail nécessaire à la production de ces marchandises du fait d'une productivité accrue dans le secteur de production des. moyens de subsistance. Ce que Marx entend démontrer, c'est qu'à la différence de la marchandise simple, la marchandise-capital varie de manière complexe selon l'évolution de l'un ou de l'autre de ses éléments constitutifs. Le lecteur trouvera également dans la présentation un tableau résumant les différents cas envisagés ici par Marx. (N.R.)
  61. Cf. An Inquiry into the connections between the present price of provisions, and the size of farms. With remarks on population as affected thereby. To which are added, proposals for preventing fu ture scarcity. By a farmer. London, 1773, p. 107. (L'auteur en est John Arbuthnot, dont l'ouvrage est abondamment cité par Marx dans le I° livre du Capital.)
  62. Cf. le Capital, livre I°, Ed. Soc. vol. II, pp. 192-201. (N.R.)
  63. Dans l'édition définitive du Capital, livre I°, troisième section, chap. VIII et IX, Ed. Soc., pp. 199-226 du tome premier. (N.R.)
  64. Cf. quelques pages plus loin dans le texte. (N.R.)
  65. Marx se réfère aux pages du manuscrit, introduites par la suite dans le Livre IV du Capital, dont le contenu est en substance le même. (N.R.)
  66. Voici ce passage : « Proudhon traduit son incapacité à comprendre ce problème [le caractère spécifique du mode de production capitaliste] par la formule bornée : « L'ouvrier ne peut pas racheter son propre produit » parce que celui-ci contient l'intérêt qu'il faut ajouter au « prix de revient ». Et comment M. Eugène Forcade s'y prend-il pour corriger les vues de Proudhon ? « Si son objection [de Proudhon) était vraie, elle ne frapperait pas seulement les profits du capital [les revenus de la propriété], mais elle anéantirait la possibilité même de l'industrie. Si le travailleur est forcé de payer 100 la chose pour laquelle il n'a reçu que 80, si le salaire ne peut racheter, dans un produit, que la valeur qu'il y a mise, autant dire que le travailleur ne peut rien racheter, que le salaire ne peut rien payer. En effet, dans le prix de revient, il y a toujours quelque chose de plus que le salaire de l'ouvrier, et, dans le prix de vente, quelque chose de plus que le profit de l'entrepreneur : il y a par exemple le prix de la matière première souvent payée à l'étranger [...]. Il [Proudhon] n'a oublié qu'une chose [dans son hypothèse], c'est l'accroissement continuel du capital national; il a oublié que cet accroissement se constate pour tous les travailleurs, ceux de l'entreprise comme ceux de la main-d’œuvre. » (Revue des Deux-Mondes, 1848, vol. 24, p. 998-999). Voilà bien l'optimisme qui résulte de l'irréflexion bourgeoise et la pseudo-sagesse dont elle se vêt. M. Forcade pense d'abord que l'ouvrier ne pourrait pas vivre s'il ne recevait pas outre la valeur qu'il produit une valeur supérieure, et qu'inversement le mode capitaliste de production serait impossible si l'ouvrier recevait réellement la valeur qu'il produit. Ensuite, il généralise, à juste titre, la difficulté que Proudhon n'avait envisagée que d'un point de vue étroit. Le prix de la marchandise contient un excédent, non seulement sur le salaire, mais aussi sur le profit, à savoir la fraction de valeur constante. Suivant le raisonnement de Proudhon, même le capitaliste, avec son profit, ne pourrait pas racheter la marchandise. Comment Forcade résout-il cette énigme ? Par une allégation absurde : l'accroissement du capital. Par conséquent, l'accroissement continuel du capital se manifesterait, entre autres phénomènes, dans ce fait : l'analyse du prix des marchandises que l'économiste politique déclarait impossible à faire pour un capital de 100, deviendrait superflue pour un capital de 10 000. Que dirait-on d'un chimiste qui, à la question : d'où vient que le produit agricole contient davantage d'acide carbonique que le sol, répondrait : cela vient de l'accroissement continu de la production agricole ? La volonté béate de voir dans le monde bourgeois le meilleur des mondes possible, remplace dans l'économie vulgaire l'amour de la vérité et la propension à la recherche scientifique » (Capital, livre III, tome VIII, pp. 220-221). (N.R.)
  67. Tel est, en effet, le thème général du livre II du Capital. Marx eût achevé ici le VI° Chapitre dans sa rédaction définitive. (N.R.)
  68. Cf. Capital, livre II, 1° section, les Métamorphoses du Capital et leur cycle, Ed. Soc., vol. IV, pp. 27-59. (N.R.)
  69. Dans la rédaction définitive du Capital, livre I°, 2e section, chap. VI sur l'achat et la vente de la force de travail, Ed. Soc., tome I., pp. 170-179. (N.R.)
  70. Cf. ici la 3° partie consacrée à la Production capitaliste, comme production et reproduction de l'ensemble du rapport capitaliste, pp. 257-265. (N.R.)
  71. Cf. les produits du procès de production capitaliste, pp. 151-161. (N.R.)
  72. Cf. la note sur le travail aux pièces dans les Pages éparses, pp. 282-287. (N.R.)
  73. Marx traite des interruptions dans le procès de production (ou mieux; sa non-coïncidence avec le procès de travail) dans le second tome des Fondements etc., pp. 103-105. (N.R.)
  74. Marx définit ce qu'il entend par « échange spécifiquement bipolaire entre ouvrier et capitaliste » dans les Fondements, etc. tome I°, pp. 421 et 422 : « Le procès de production et de valorisation a pour résultat essentiel la reproduction du rapport entre le capital et le travail, entre le capitaliste et l'ouvrier... l'ouvrier se produit lui-même, en tant que force de travail, en face du capital, de même que le capitaliste se produit, en tant que capital, en face de la force de travail vivante : chacun se reproduit lui-même en reproduisant l'autre, sa négation. ... La condition de l'appropriation nouvelle du travail d'autrui c'est tout simplement, à présent, t'appropriation passée du travail d'autrui. Autrement dit, le capitaliste accroît sa puissance, son existence de capital, au détriment de la force de travail vivante, en posant continuellement celle-ci à l'autre pôle dans tout son dénuement subjectif et insubstantiel. » (N.R.)
  75. Dans la rédaction définitive du Capital, livre I°, deuxième section, chapitre VI, Ed. Soc., vol. I, pp. 170-179, « L'achat et la vente de la force de travail ». (N.R.)
  76. Cf. pp. 162-170. (N.R.)
  77. Cf. le Capital, livre I°, Ed. Soc., vol. I, p. 178. (N.R.)
  78. Sans cette confusion il n'y aurait pas de polémique sur le point de savoir si, en dehors du travail, la nature ne contribue pas elle aussi à la création du produit. Il est question ici uniquement de travail concret. (N.R.)
  79. Cf., par exemple, la Contribution à la critique de l’économie politique, 1859, Ed. Soc., pp. 29-38, « A. Considérations historiques sur l'analyse de la marchandise ». En ce qui concerne le caractère double du travail, cf., outre, le Capital, livre I°, tome I, Ed. Soc., pp. 56-61. (N.R.)
  80. A ce point, Marx fait la remarque suivante : « Ce qui est développé dans la partie intitulée le Procès de production immédiat est à insérer ici, afin d'obtenir un tout, une partie rectifiant l'autre. » Conformément à cette indication, nous rassemblons ces deux passages en un seul. En outre, Marx a rayé l'alinéa que voici : « En effet, le capital, qui sert à acheter la force de travail, se compose en fait de moyens de subsistance, et ceux-ci sont transmis à l'ouvrier par l'intermédiaire de l'argent si l'on posait à l'ouvrier la question de savoir ce qu’est le capital, il pourrait répondre comme les partisans du Système monétaire : « Le capital, c'est de l'argent. » En effet, si dans le procès de travail le capital existe matériellement sous la forme de matières premières, d'instruments de travail, etc., il existe dans le procès de circulation sous la forme de l'argent. Avec la même logique, à la question « Qu'est-ce qu'un travailleur ? », l'économiste de l'Antiquité aurait répondu : « Le travailleur, c'est l'esclave » (puisque, dans le procès de production tel que le connaissait l'Antiquité, l'esclave était le travailleur). (N.R.)
  81. « Le capital d'un pays est cette portion de sa richesse qui est employée dans la production et consiste en les vivres, vêtements, instruments, matières premières, machines, etc. nécessaires à donner de l'efficacité au travail. » Cf. Ricardo, Principles, etc. p. 89. « Le capital est une portion de la richesse nationale employée, ou destinée à être employée, pour favoriser la reproduction ». Cf. G. Ramsay, An Essay, etc., Edimbourg, 1836, p. 21. « Le capital... une espèce particulière de richesse destinée... à obtenir d'autres articles utiles. » Cf. F. Torrens, An Essay, etc., Londres, 1821. « Capital... produit... moyens d'une production nouvelle. » Cf. Senior, Principes, etc. p. 318. « Lorsqu'un fonds est consacré à la production matérielle, il prend le nom de capital. » Cf. H. Fr. Storch, Cours, etc., 1823, tome I, p. 207. « Le capital est cette portion de la richesse produite qui est destinée à la reproduction. » Cf. P. Rossi, Cours, etc., 1842, p. 364. Rossi se heurte à la difficulté de savoir « si la matière première est vraiment du capital ? » Il propose de distinguer entre « capital-matière » et « capital-instrument », et demande « est-ce [la matière première] vraiment là un instrument de production ? n'est-ce pas plutôt l'objet sur lequel les instruments producteurs doivent agir ? » (p. 357). Il ne voit pas qu'après avoir confondu le capital avec les formes matérielles sous lesquelles il apparaît, et appelé capital tout court les conditions objectives du travail, celles-ci se définissent encore par rapport au travail, comme matières et moyens du travail, et, par rapport au produit, comme moyens de production; en fait, il appelle « capital » tout ce qui est « moyens de production » (p. 372). « Il n'y a aucune différence entre un capital et toute autre portion de richesse, c'est seulement par l'emploi qui en est fait qu'une chose devient capital, c'est-à-dire lorsqu'elle est employée dans une opération productive, comme matière première, comme instrument ou comme approvisionnement. » Cf. Cherbuliez, Riche ou pauvre, 1841, p. 18 [Cf. K. Marx, Fondements, etc., tome 1, pp. 247-248].
  82. Cf. par exemple J. St. Mill, Principles of Political Economy, pp. 25-26. [Dans les Fondements, etc., tome I°, p. 15.] Marx cite encore Mill pour illustrer la tendance des économistes bourgeois à éterniser les rapports historiques de production, afin de faire de la société capitaliste une société immuable. Au niveau des superstructures juridiques de contrainte, les magistrats ont la même prétention dans le domaine répressif, comme Marx le déclara devant les Assises de Cologne, lors de son procès de 1849 : « Mais la prétention devient comique, dès lors que l'on demande à un Parti d'abandonner son caractère révolutionnaire qui découle irrésistiblement des conditions historiques dans lesquelles il se trouve. Il est tout aussi ridicule de le placer en dehors du droit des gens, c'est-à-dire hors la loi, au moment même où on lui demande de reconnaître les lois que l'on abolit précisément pour lui. Bref, le Parti devrait s'engager à maintenir en vie pour toute l'éternité l'ordre politique qui existe actuellement. C'est cela, et rien d'autre, que l'on demande au Parti lorsqu'on réclame qu'il cesse d'être révolutionnaire. » [Cf. préface à Karl Marx devant les jurés de Cologne, I. VII. 1885, d'Engels.]
  83. « On nous dit que le travail ne peut faire un seul pas sans le capital; que, pour celui qui creuse, la pelle est tout aussi importante que son travail; que, par conséquent, le capital est tout aussi indispensable à la production que le travail. Tout cela, l'ouvrier le sait, cette vérité lui saute aux yeux chaque jour. Cependant, une telle dépendance réciproque du capital et du travail n'a absolument rien à voir avec la position relative du capitaliste et de l'ouvrier; elle ne démontre pas plus que ce dernier doive conserver le premier. Le capital n'est rien d'autre que production non consommée, et tout capital existant en ce moment subsiste indépendamment de tout individu particulier et de toute classe particulière, et ne s'identifie nullement à l'un ou à l'autre. Si tous les capitalistes et tous les riches de Grande-Bretagne venaient subitement à disparaître, nulle parcelle de richesse ou de capital ne se perdrait pour autant, et la nation n'en serait pas appauvrie, fût-ce de la valeur d'un sou. C'est le capital, et non le capitaliste, qui est essentiel pour les opérations du producteur; entre les deux, il y a la même différence qu'entre le chargement d'un navire et le bon de chargement. » Cf. J.F. Bray, Labour's Wrong and Labour's Remedy, etc., Leeds, 1839, p. 56. « Capital est une espèce de terme cabalistique qui, comme les mots Église ou État, ou toute autre expression générale, a été inventé par ceux qui tondent le reste de l'humanité pour cacher la main de celui qui tond. » Cf. Labour Defended, etc., 1825, p. 17. L'auteur de cet écrit anonyme est Th. Hodgskin, l'un des meilleurs économistes anglais modernes. L'ouvrage que nous venons de citer et dont on reconnaît aujourd'hui encore l'importance (cf. par exemple, John Lalor, Money and Morals, etc., Londres, 1852) suscita, quelques années après sa publication, une réplique anonyme de lord Brougham qui est aussi superficielle que toutes les autres entreprises économiques de ce génie du bavardage.
  84. « La matière que... nous nous procurons afin de la combiner avec notre propre (?!) industrie et la changer en produit, est appelée capital; une fois le travail accompli et la valeur créée, on l'appelle produit. Ainsi, le même article peut être produit pour un tel, et capital pour tel autre. Le cuir est le produit du tanneur et le capital du cordonnier. » Francis Wayland, l.c. p. 25. [Cf. à ce propos aussi le livre I du Capital, tome I, p. 206 n.]
  85. Cette merde vient de Proudhon, Gratuité du Crédit. Discussion entre M. Fr. Bastiat et M. Proudhon, Paris, 1850. pp. 179, 180 et 182.
  86. Cf. J.-B. Say, I.c., p. 429 n. Lorsque Carey écrit (cf. Principles, etc., tome I°, p. 294) : « Capital... tous les articles qui possèdent une valeur d'échange », il retombe dans la définition du capital telle que nous l'avons énoncée au premier chapitre : « Le capital, c'est la marchandise », définition correspondant uniquement à la forme du capital dans le procès de circulation.
  87. Cf. Sismondi, Nouveaux Principes etc., tome I, p. 89, et Études etc., tome 2. p. 273 : « Le capital est une idée commerciale ». [Ce passage est incorporé au texte des Fondements etc., tome I°, p. 208.]
  88. « Capital : cette portion du patrimoine d'un pays qui est réservée ou employée pour en tirer profit dans la production et la distribution de richesses. » Cf. T.R. Malthus, Definitions in Political Economy, nouvelle édition de John Cazenove, Londres, 1853, p. 10. « Le capital est la fraction de richesse employée à la production, et, en général, en vue d'obtenir un profit. » Cf. Th. Chalmers, On Political Economy, etc., Londres, 1832, 2° édit., p. 75.
  89. Cf. la même question au début des notes en annexe au VI° chapitre, Pages éparses, ici p. 273. (N.R.)
  90. En ce sens donc Rossi a raison, dans sa polémique contre ceux qui rangent les moyens de subsistance parmi les éléments constitutifs du capital productif. Cependant, nous verrons dans un chapitre ultérieur qu'il part de prémisses erronées et finit par s'embrouiller dans ses raisonnements. [Dans les Fondements etc., tome 2, p. 90-94, Marx consacre effectivement tout un chapitre à la réfutation de Rossi. Par ailleurs, dans le IV° livre du Capital (en français : Histoire des Doctrines économiques, édit. Costes, tome 2, pp. 172-185), Marx consacre un autre chapitre à Rossi dans la section traitant du travail productif et improductif.]
  91. Il est facile d'en déduire ce qu'un Bastiat entend par production capitaliste quand il déclare que le salariat est une forme inessentielle et extérieure à la production capitaliste et découvre que « ce n'est pas la forme de la rémunération qui crée pour lui (l'ouvrier) cette dépendance ». Cf. Harmonies économiques, Paris 1851. [Cette note se retrouve en substance dans les Fondements etc., tome I°, p. 271. Dans le 2° tome., p. 551-556, Marx consacre tout un chapitre à la « théorie » du salaire de Bastiat.] Une autre découverte - en fait, un plagiat d'économistes véritables - se trouve dans ce même écrit de 1851, où ce beau parleur ignorant écrit que « ce qui est encore plus décisif et infaillible, c'est la disparition des grandes crises industrielles en Angleterre » (p. 396). Bien qu'en 1851, Fr. Bastiat ait décrété la fin des grandes crises anglaises, l'Angleterre jouit d'une nouvelle grande crise dès 1857 et, selon les rapports officiels des Chambres de commerce anglaises, elle ne dut qu'à la guerre civile américaine d'avoir échappé en 1861 à une crise industrielle d'une ampleur jusque-là insoupçonnée. [Cf. K. Marx et Fr. Engels, La Guerre civile aux États-Unis (1861-1865), Paris, 1970, 10/18, pp. 53-65,178-181.]
  92. Dans le livre I° du Capital, tome I, p. 303, on retrouve une variante de cette phrase : « Dans une tannerie, par exemple, il tanne le cuir et non le capital » (en allemand : « Es ist nicht der Kapitalist, dem er das Fell gerbt », soit littéralement : « Ce n'est pas au capitaliste qu'il tanne la peau. ») Le lecteur peut se reporter pour un développement plus complet à ce passage du Capital (3° section, chap. XI; voir aussi le chap. VII). Le chapitre VII est intitulé en français : « La production de valeurs d'usage et la production de la plus-value », qui traduit l'allemand : « Arbeitsprozess und Verwertungsprozess » (Procès de travail et procès de valorisation, termes que nous retrouvons exactement dans notre Sixième Chapitre.) Les concepts de ce chapitre inédit ne diffèrent donc pas de ceux du texte original de Marx, mais de ceux des traductions. (N.R.)
  93. « En outre, il ressort des théories des économistes eux-mêmes que, dans le procès de production, le capital fait derechef du résultat du travail le substrat et la matière nouveaux du travail, la séparation momentanée du capital d'avec le travail faisant place à leur unité retrouvée. » Fr. Engels, Deutsch-Französische Jahrbücher, p. 99 [trad. fr. dans le Mouvement Socialiste d'août-septembre 1905].
  94. « Le travail est le moyen grâce auquel le capital produit du... profit. » John Wade, l.c., p. 161. « Dans la société bourgeoise, le travail vivant n'est qu'un moyen d'augmenter le travail accumulé. » (Manifeste du Parti communiste, 1848).
  95. Dans la production capitaliste, et donc aussi dans l'esprit des économistes, la propriété économique déterminée qu'ont les moyens de subsistance d'acheter les ouvriers, ou celle qu'ont les moyens de production - le cuir et la forme - d'utiliser des ouvriers cordonniers, cette inversion entre chose et personne - autrement dit, le caractère capitaliste - est si intimement liée à leur caractère matériel que Ricardo, par exemple, qui tient pourtant à distinguer en détail les éléments matériels du capital, utilise comme allant de soi, sans aucune hésitation ni autre commentaire, des expressions justes du seul point de vue économique telles que « capital, ou les moyens d'employer le travail » (et non pas « les moyens employés par le travail »), « quantité de travail employé par le capital », « le fonds qui doit employer les ouvriers » (L.c., pp. 92, 419, 252). De même, en allemand moderne, le capitaliste, personnification des « choses » qui « prennent » le travail, s'appelle Arbeitsgeber (donneur de travail), et l'ouvrier qui « donne » le travail Arbeitsnehmer (preneur de travail). « Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui produit, est dépendant et impersonnel » (Manifeste du Parti communiste).
  96. C'est ce qui explique que, pour exprimer le rapport entre travail et capital, les économistes usent de concepts tels que : travail immédiat et travail objectivé; travail présent et travail passé; travail vivant et travail accumulé : « Travail et capital... l'un, c'est le travail immédiat, l'autre, le travail accumulé. » Cf. James Mill, Elements of Political Economy, 1821, p. 75. « Travail antérieur [capital]... travail présent. » Cf. E.G. Wakefield, dans son édition d'A. Smith, 1836, tome 1, p. 231 note. « Travail accumulé [capital]... travail immédiat. » Cf. Torrens, l.c., ch. 1, p. 31. « Travail et capital, c'est-à-dire du travail accumulé. » Cf. Ricardo, l.c., p. 499. « Les avances spécifiques des capitalistes ne sont pas faites en habits [valeurs d'usage en général], mais en travail. » Cf. Malthus, The Measure of Value etc., 1823, pp. 17-18. « Tout homme étant forcé de consommer avant de produire, le travailleur pauvre vit dans la dépendance du riche, et ne peut ni vivre ni travailler, s'il n'obtient de lui des denrées et des marchandises existantes, en retour de celles qu'il promet de produire par son travail... Pour obtenir son accord (du riche), il doit convenir, à chaque fois qu'il échange du travail fait contre du travail à faire, que ce dernier aurait une valeur supérieure au premier. » Sismondi, De la richesse commerciale, Paris, 1803, tome 1er, pp. 36-37. Monsieur W. Roscher qui n'a manifestement aucune idée des travaux des économistes anglais et qui, en outre, se souvient inopportunément que Senior baptise le capital « abstinence », fait cette remarque aussi professorale que grammaticalement « habile » : « L'école de Ricardo se plaît à subordonner le capital à la notion de travail, en tant que « travail accumulé ». C'est tout à fait malhabile, parce que le possesseur de capital a certes (!) fait plus (!) que de le créer (!) simplement (!) et de le conserver ( !), précisément en s'abstenant d'en jouir lui-même, ce pour quoi il réclame, par exemple, des intérêts. » W. Roscher, Die Grundlagen der Nationalökonomie, 1858, p. 82. [L' « habileté » dont parle Marx, c'est que Roscher amalgame Erhaltung (conservation) et Enthaltung (abstinence). La même citation se retrouve dans le livre I°, tome I, p. 215. (N.R.)]
  97. Ce passage introduit en quelque sorte le chapitre de caractère historique de la Soumission formelle du travail au capital, p. 191. (N.R.)
  98. « Si, dans le temps, il se produit un changement de leur (celle des artisans) position économique, s'ils deviennent les ouvriers d'un capitaliste qui leur avance leurs salaires, il en résulte deux choses : D'abord, ils peuvent travailler désormais avec continuité; ensuite, ils se trou vent flanqués d'un agent dont la fonction et l'intérêt sont de veiller à ce qu'ils fassent vraiment leur travail avec continuité... Dès lors, toute cette classe de personnes travaille avec une continuité accrue. Elle travaille tous les jours, du matin au soir, sans s'interrompre pour attendre ou rechercher la clientèle. Or, la continuité du travail ainsi rendue possible est assurée et renforcée par la surveillance du capitaliste. Ayant avancé leur salaire, il doit recevoir les fruits de leur travail. Son intérêt et son privilège, c'est de veiller à ce que les ouvriers ne travaillent pas avec des interruptions et de façon désordonnée. » R. Jones, Textbook of lectures etc., p. 37 passim. [Ce même auteur se retrouve cité dans le I° livre du Capital].
  99. « Un axiome généralement admis par les économistes est que tout travail doit laisser un excédent. Cette proposition est pour moi d'une vérité universelle et absolue; c'est le corollaire de la loi de la proportionnalité [!], que l'on peut regarder comme le sommaire de toute la science économique, Mais, j'en demande pardon aux économistes, le principe que tout travail doit laisser un excédent n'a pas de sens dans leur théorie, et n'est susceptible d'aucune démonstration. » Cf. Proudhon, Philosophie de la misère. Dans la Misère de la Philosophie, Réponse à la Philosophie de la misère de M. Proudhon, J'ai démontré que M. Proudhon n'avait pas la moindre idée de ce qu'est cet « excédent du travail », à savoir le surproduit dans lequel se matérialise le surtravail ou travail non payé de l'ouvrier. Ayant constaté que, dans la production capitaliste, tout travail laisse un excédent, il cherche à expliquer ce fait par une mystérieuse propriété naturelle du travail et à se tirer d'embarras avec des grands mots, tels que le « corollaire de la loi de la proportionnalité ». [Le lecteur trouvera le passage ci-dessus dans la Misère de la Philosophie, Paris, 1847, chap. I, 3, b.]
  100. Dans les pages qui suivent, Marx aborde des problèmes qu'il développe dans le livre II du Capital, par exemple dans les chapitres XIV et XV. (N.R.)
  101. Cf. infra, p. 222. Cf. également dans les Fondements, etc., vol. I, pp. 366-367; 372-377; 405. (N.R.)
  102. « Tout homme, s'il n'en était empêché par la loi, passerait d'un emploi à l'autre selon les exigences du cycle commercial. » Considerations concerning faking off the Bounty on Corn exported, Londres, 1753, p. 4. [On retrouvera cet ouvrage dans le livre I°du Capital, tome II, p. 13 n.]
  103. Dans aucun pays, la fluidité du capital, la mobilité du travail et l'indifférence de l'ouvrier au contenu de son travail ne sont plus manifestes qu'aux États-Unis d'Amérique. En Europe, et même en Angleterre, la production, capitaliste continue d'être affligée et faussée par des réminiscences féodales. En Angleterre, par exemple, les boulangeries, les cordonneries, etc. commencent seulement à être exploitées de façon capitaliste, parce que le capital anglais est encore imbu de préjugés féodaux de « respectabilité ». S'il est « respectable » de vendre des nègres comme esclaves, il ne l'est pas de fabriquer du pain, des saucisses, des bottes, etc. Tout cela explique que la plupart des machines et procédés qui soumettent les branches d'industrie « non respectables » d'Europe au mode de production capitaliste, proviennent des États-Unis. En outre, plus que partout ailleurs, l'homme se désintéresse aux États-Unis de la profession qu'il exerce, y étant parfaitement conscient de ce que son travail donne invariablement le même produit : l'argent. Dans aucun autre pays, il ne passe avec autant de désinvolture par les branches d'activité les plus disparates. Cette « variabilité » de la force de travail se manifeste ici comme la caractéristique du travailleur libre par opposition à l'esclave, dont la capacité de travail est stable et ne s'emploie que de manière traditionnelle et locale, donnée une fois pour toutes. « Le travail de l'esclave est absolument défectueux pour ce qui concerne la variabilité... Dès lors que l'on cultive du tabac, celui-ci devient son seul produit et on continuera ainsi quels que soient les conditions du marché et l'état du sol. » Cairnes, The Slave Power, Londres, 1862, pp. 46-47.
  104. « Le rapport du fabricant et de l'ouvrier est... purement économique. Le fabricant est le “ capital ”, l'ouvrier le “ travail ”. » Cf. Fr. Engels, la Situation des classes laborieuses etc., p. 329.
  105. « Ils [les ouvriers] échangent leur travail [il faudrait dire : leur force de travail] contre des céréales [autrement dit, des moyens de subsistance]. Cela devient pour eux un revenu [c'est-à-dire tombe dans leur consommation individuelle]... tandis que leur travail est devenu du capital pour leur patron. » Sismondi, N.P.T., tome I, p. 90. « En donnant leur travail en échange, les ouvriers le transforment en capital. » (Ibid., p. 105).
  106. A ce point s'achève le texte déplacé par Marx (pages 469a-469m du manuscrit). Toujours d'après les indications de l'auteur, nous continuons maintenant avec les pages 263-264, la page 262 ayant été égarée. Le passage ci-après représente une note commencée sur la page perdue 262 et vaut d'être souligné en raison de sa conclusion dialectique : ... aux trois ouvriers nouveaux ou avec quatre anciens. Si l'on pouvait louer les trois à 3 £ 10 sh. chacun, alors que les quatre demandaient 3 £ chacun, le prix du travail qu'ils feraient, serait plus bas, bien que leurs salaires soient plus importants. Effectivement, les causes qui élèvent les salaires des ouvriers élèvent souvent aussi le profit du capitaliste. Si, en travaillant davantage, un seul homme accomplit le travail de deux, le montant des salaires aussi bien que le taux de profit seront augmentés en général, non certes parce que la valeur du salaire a augmenté, mais au contraire parce que l'apport supplémentaire de travail a diminué son prix ou a diminué le temps pour lequel il fallait auparavant avancer ce prix. Au reste, l'ouvrier est surtout intéressé au montant de son salaire. Celui-ci étant donné, il est certainement conforme à son intérêt que le prix du travail soit élevé, mais l'effort qu'on lui impose est supérieur » (L.c., p. 14). Du même ouvrage : « La situation de l'ouvrier ne dépend pas de ce qu'il reçoit à tel moment, mais de ce qu'il reçoit en moyenne pendant une période déterminée : plus la période considérée est longue, plus l'estimation en sera exacte. La meilleure période, c'est l'année. Elle comprend les salaires de l'été et de l'hiver » (p. 7). (N.R.)
  107. Cf. le texte des pages 469a-469m du manuscrit; ici, pp. 145-186. (N.R.)
  108. Ici s'achève un second passage introduit par Marx dans le corps du texte. La suite est la continuation de la page 469 du manuscrit. (N.R.)
  109. Marx analyse ici les deux phases historiques du développement économique du mode de production capitaliste, sous un angle différent de celui des deux chapitres consacrés à l'accumulation dite primitive et aux formes de production antérieures au capitalisme dans les Fondements etc. tome I, pp. 422-479. En effet, Marx y met en évidence les rouages et mécanismes de l'économie sociale avec la dialectique de leur développement. L'analyse faite par Marx ici diffère également de celle qu'il a faite dans le chapitre sur l'accumulation primitive du I° livre du Capital, et enfin de celles - plus politiques - faites sur les révolutions bourgeoises qui permirent aux capitalistes d'instaurer leur domination à l'échelle de la société tout entière. La présente analyse s'inscrit à leurs côtés et les complète. (N.R.)
  110. Marx fait allusion à ce qu'il a exposé au début du VI° chapitre, au paragraphe sur les Marchandises, comme produit du capital, l.c., p. 73. (N.R.)
  111. Dans le livre I° du Capital, Marx distingue entre plus-value absolue et plus-value relative en liaison avec la soumission formelle et réelle. Comme toute une partie manque dans la traduction Roy (cf. Ed. Soc., tome II, p. 184), nous en donnons une traduction nouvelle : « La prolongation de la journée de travail au-delà du point où l'ouvrier a produit simplement un équivalent pour la valeur de sa force de travail, et l'appropriation de ce sur-travail par le capital : voilà la production de plus-value absolue. Elle forme la base générale du système capitaliste et le point de départ de la production de plus-value relative. Dans celle-ci, la journée de travail est d'emblée divisée en deux parties : travail nécessaire et surtravail. Pour accroître le surtravail, le travail nécessaire est raccourci par des méthodes grâce auxquelles on produit l'équivalent du salaire en moins de temps. La production de plus-value absolue est uniquement une question de durée de la journée de travail; la production de plus-value relative révolutionne de fond en comble les procédés techniques du travail et les combinaisons sociales. « La production de plus-value relative implique donc un mode de production spécifiquement capitaliste qui, à son tour, ne surgit et ne se développe spontanément, avec ses méthodes, ses moyens et ses conditions, qu'à partir de la soumission formelle du travail au capital. A la soumission formelle du travail au capital succède la soumission réelle ». Marx-Engels Werke, Dietz, Berlin, 1962, vol. 23, Das Kapital. Erster Band, pp. 532-533. (N.R.)
  112. Dans le livre I, troisième section, Ed. Soc., pp. 180-188, Marx définit, par exemple, ce qu'il entend par forée de travail, procès de travail, moyens de travail, objet ou matière de travail, produit. (N.R.)
  113. Cf. le Capital, livre I, quatrième section, chap. XII, Ed. Soc., tome II, pp. 7-15. (N.R.)
  114. Dans la mesure où le capitaliste individuel fait preuve d'initiative, il est aiguillonné par le fait que la valeur étant égale au temps de travail socialement nécessaire, objectivé dans le produit, il obtient une plus-value sitôt que la valeur individuelle de son produit dépasse sa valeur sociale, ce qui lui permet de le vendre au-dessus de la valeur courante du produit.
  115. [La note suivante a été écrite, par la suite, sur une feuille séparée, non numérotée. Marx la fit précéder de la remarque suivante : « Cette note ne se rattache pas au dernier, mais à l'avant-dernier passage. » De fait, elle illustre un aspect typique de soumission formelle du travail au capital avec ses diverses conséquences.] « Un travailleur libre a, en général, la faculté de changer de patron - cette liberté distingue le libre travailleur de l'esclave comme un marin de la flotte marchande anglaise se distingue d'un marin de la flotte de guerre... La condition d'un travailleur libre est supérieure à celle d'un esclave, parce que le premier se croit libre. Même si elle est erronée, cette opinion n'est pas sans influencer grandement le caractère d'un peuple. » Cf. P.R. Edmonds, Practical, Moral and Political Economy, Londres, 1828, pp. 56-57. « L'homme libre est poussé au travail par un mobile bien plus violent que celui de l'esclave : l'homme libre doit choisir entre un dur travail et la mort par inanition [Compléter ce passage. Karl Marx], un esclave a le choix entre... et des coups de bâton. » (L.c., p. 56). « La différence entre la condition de l'esclave et celle d'un travailleur sous le système monétaire est tout à fait insignifiante... L'esclavagiste connaît trop bien son intérêt pour débiliter ses esclaves en lésinant sur la nourriture; en revanche, le patron de l'homme libre lui donne le moins possible à manger, parce que le tort fait au travailleur ne retombe pas sur lui seul, mais sur toute la classe des patrons. » (L.c.) « Dans l'Antiquité, pour rendre laborieuse l'humanité au-delà de la satisfaction de ses besoins et pour faire en sorte qu'une partie d'un peuple travaille pour faire subsister l'autre gratuitement, il fallut recourir aux esclaves. Ainsi, l'esclavage y devint une institution universelle. L'esclavage était alors aussi nécessaire à l'augmentation de la production, qu'il lui serait maintenant néfaste. La raison en est simple. Si l'on ne forçait pas l'humanité au travail, elle ne travaillerait que pour ses propres besoins, et si ceux-ci étaient réduits, elle ne travaillerait guère. Mais, lorsque les États commencent à se former et ont besoin de bras surnuméraires pour se défendre, il faut encore procurer de la nourriture à ceux qui ne travaillent pas. Or, comme, par hypothèse, les besoins des travailleurs sont minimes, il faut trouver une méthode pour augmenter leur travail au-delà du niveau de leurs besoins. C'est pour cela que l'esclavage fut mis au point... Les esclaves étaient contraints, ou bien à travailler la terre qui les nourrissait eux-mêmes ainsi que les libres oisifs comme à Sparte, ou à tenir toutes les places serviles que les hommes libres occupent à présent, afin de procurer des articles manufacturés à ceux qui étaient au service de l'État, comme en Grèce et à Rome. C'était une méthode violente pour rendre l'humanité laborieuse, et donc augmenter la production de nourriture... Les hommes étaient alors forcés de travailler, parce qu'ils étaient les esclaves d'autres hommes; à présent, ils sont forcés de travailler parce qu'ils sont les esclaves de leurs propres besoins. » Cf. J. Steuart, L.c., édit. de Dublin, tome I°, pp. 38-40. Le même auteur observait qu'au XVI° siècle, « lorsque les lords congédièrent leur suite, les fermiers congédièrent les bouches inutiles, en se transformant en capitalistes industriels. De moyen de subsistance, l'agriculture devint commerce (trade). » La conséquence en fut : « le retrait d'un certain nombre de bras d'une agriculture nonchalante, de manière à faire travailler davantage ceux qui s'y adonnaient, en produisant autant par un dur travail sur un espace moindre que par un faible travail sur une grande étendue » (L.c., p. 105). (N.R.)
  116. Cf. le Capital, I° livre, sixième section, chap. XXI, Ed. Soc., vol. II, pp. 206-213, ainsi qu'en fin de ce volume (Pages Éparses, infra, pp. 282-287.) (N.R.)
  117. Marx développe la même idée dans le Capital, livre III, et en tire certaines conclusions politiques. « De même pour l'Église catholique au Moyen Age, le fait de recruter sa hiérarchie sans considération de condition sociale, de naissance, de fortune, parmi les meilleurs cerveaux du peuple, était l'un des principaux moyens de renforcer la domination du clergé et d'assurer le maintien des laïcs sous le boisseau. Plus une classe dominante est capable d'accueillir dans ses rangs les hommes les plus importants de la classe dominée, plus son oppression est solide et dangereuse. » (Ed. Sec., vol. VIII, p. 260).
  118. Cf. supra, p. 183. (N.R.)
  119. Cf. A. Young, Political Arithmetic, Londres, 1774, p. 49 note.
  120. Cf. le Manifeste du Parti communiste, 1848 : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner sans cesse les instruments de production, donc les rapports de production, donc l'ensemble des conditions sociales... Ce qui distingue l'époque bourgeoise de toutes les précédentes, c'est le bouleversement incessant de la production, l'ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l'instabilité et du mouvement. »
  121. Cf., par exemple la transformation de l'ouvrier individuel en ouvrier collectif, p. 226-227; et la transformation du capitaliste en fonctionnaire du capital (p. 141) et en salarié (pp. 219, 229-230). (N.R.)
  122. Cf. le Capital, livre 1, quatrième section, chap. 15, Ed. Soc., tome II, p. 68 passim. (N.R.)
  123. Cf. Carlisle, Public Economy Concentrated, etc., 1833, p. 56.
  124. Cf. le Capital, livre 1, Ed. Soc., vol. II, pp. 208-210. (N.R.)
  125. Cf. le Capital, livre 1, Ed. Soc., vol. 1, deuxième section, chap. IV, p. 156. (N.R.)
  126. A partir de ce paragraphe, le texte est celui du IV° livre du Capital à quelques toutes petites variantes près, cf. Histoire des Doctrines économiques, tome II, Ricardo, pp. 200-212. Tout le second tome de l'édition Costes traite du travail productif et improductif. (N.R.)
  127. Marx traite de ce point dans le livre 1 du Capital : « Un maître d'école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c'est son affaire. » (Ed. Soc., vol. II, p. 184). (N.R.)
  128. Dans le livre III du Capital, Marx analyse les formes de transition dans l'agriculture, cf. chapitre XLVII sur la Genèse de la rente foncière capitaliste. Sur le plan politique, plus la figure se rapproche de celle, du travailleur salarié productif, plus se justifie son alliance avec le prolétaire. (N.R.)
  129. Je donne pour que tu fasses - je fais pour que tu fasses - je fais pour que tu donnes - je donne pour que tu donnes : ces formules expriment le sens des multiples formes de l'échange mercantile simple. (N.R.)
  130. La formule je donne pour que tu fasses entre capitaliste et ouvrier exprime un « échange inégal ». (N.R.)
  131. Cf. K. Marx, Fondements, etc., vol. II, pp. 544-558. Marx y consacre tout un chapitre pour exposer et réfuter la théorie du salaire chez Bastiat et Carey. (N.R.)
  132. « Comme dans le cas de tous les exécutants, acteurs, enseignants, médecins, curés, etc. » Cf. Histoire des Doctrines Économiques, Ed. Costes, vol. II, p. 212. (N.R.)
  133. Cf. Malthus, Principles of Political Economy, 2° édit., Londres, 1836.
  134. Cette question est traitée non seulement dans le tome V de l'Histoire des Doctrines économiques, (IV, Mélanges, pp. 121-126) mais encore dans le livre I° du Capital, chap. IX, § 4 (Ed. Soc., vol. I, p. 226). (N.R.)
  135. Cf. Histoire des Doctrines économiques, Ed. Costes, tome I, pp. 41-72. (N.R.)
  136. En ce qui concerne A. Smith et sa tendance à retomber dans la physiocratie, qui considère que le produit net ne provient que du travail agricole, cf., l'Histoire des Doctrines économiques, tome I, p. 162. Cf. également les Fondements etc., tome II, pp. 533-534. (N.R.)
  137. Dans sa lettre à Engels, du 30.IV.1868, Marx explique cette différence : « Profit n'est pour nous d'abord qu’un autre nom ou une autre catégorie pour plus-value. Comme sous la forme de salaire du travail, le travail entier apparaît comme payé, la partie non payée de ce travail semble nécessairement ne pas émaner du travail, mais du capital, non de la partie variable du capital, mais du capital total. C'est par là que la plus-value prend la forme du profit sans qu'il soit fait de différence quantitative entre l'une et l'autre. Ce n'est que la forme phénoménale illusoire de celle-ci. » Ainsi, le taux de plus-value est le rapport entre plus-value et capital variable (salaire), et le taux de profit le rapport de la plus-value à tout le capital avancé. (N.R.)
  138. Cf. le Capital, livre I, Ed. Soc., tome II, p. 71. (N.R.)
  139. Le texte du vie chapitre s'achève avec cette phrase. (N.R.)
  140. Cf. notre note de la première page du texte. Si le lecteur lit le VI° Chapitre dans l'ordre inverse des rubriques, il introduira ces deux pages avant la troisième. (N.R.)
  141. Cf. l'ouvrage français, publié vers 1752, dans lequel l'auteur affirme qu'avant l'année... le blé seul était considéré en France comme article de commerce.
  142. Conformément aux indications de Marx (et comme les éditeurs russe et italien), nous avons placé ce dernier alinéa après le passage ci-dessous, qui provient des cahiers de 1861-1863. On retrouve ce même texte, à quelques minimes variantes près, dans l’Histoire des Doctrines économiques, Ed. Costes, tome VI, pp. 171-172. (N.R.)
  143. Dans ses travaux préparatoires, Marx avait l'habitude de grouper en fin de chapitre les citations et les idées qu'il avait l'intention de traiter par la suite ou qu'il comptait utiliser lors de la seconde élaboration du texte. Les Pages Éparses représentent, au niveau du Vie Chapitre, un tel matériel. (N.R.)
  144. Cf. le Capital, livre I, tome II, Ed. Soc., p. 221. (N.R.)
  145. « L'ouvrier... prête son industrie », mais, ajoute Storch cauteleusement, « il ne risque... de perdre que... son salaire ... ; l'ouvrier ne transmet rien de matériel. » Cf. Storch, Cours d'économie politique, etc., Pétersbourg, 1815, tome Il, p. 36 et suiv. « Tout travail est paye quand il est terminé. » Cf. Inquiry into those Principles respecting the Nature of Demand, etc., Londres, 1821, p. 104. D'autres conséquences pratiques, résultant de ce mode de paiement, n'appartiennent pas à ce secteur de notre recherche. Cependant, un exemple vaut d'être cité. Il existe à Londres deux sortes de boulangers, ceux qui vendent le pain à sa valeur réelle, les full priced, et ceux qui le vendent au-dessous de cette valeur, les undersellers. Cette dernière catégorie forme plus des trois quarts du nombre total des boulangers (p. XXXII, dans le Rapport du commis­saire du gouvernement H. S. Tremenhere sur les Grievances complained of by the journeymen bakers, etc., Londres, 1861). Ces « undersellers », presque sans exception, vendent du pain falsifié avec des mélanges d'alun, de savon, de chaux, de plâtre et autres ingrédients semblables, aussi sains et aussi nourrissants. (Cf. le livre bleu cité plus haut, ainsi que le rapport du Comité de 1855 sur l'adultération du pain et celui du Dr Hassall, Adulterations detected, 2° édit., Londres, 1861). Sir John Gordon déclarait, devant le Comité de 1855, que « par suite de ces falsifications, le pauvre qui vit de deux livres de pain par jour n'obtient pas maintenant le quart des éléments nutritifs qui lui seraient nécessaires, sans parler de l'influence pernicieuse qu'ont de pareils aliments sur sa santé » ! Pour expliquer comment une grande partie de la classe ouvrière, bien que parfaitement au courant de ces falsifications, les endure néanmoins, Tremenhere donne cette raison : « C'est une nécessité pour elle de prendre le pain chez le boulanger ou dans la boutique du détaillant tel qu'on veut bien le lui donner », et d'ajouter, en se fondant sur l'affirmation de témoins oculaires. « Il est notoire que le pain préparé avec ces sortes de mixtures est fait expressément pour ce genre de pratiques. » [Le lecteur retrouvera cette note au Livre 1 du Capital, tome I, p. 177. (N.R.)].
  146. Petty détermine la valeur du salaire journalier d'après la valeur de ce dont l'ouvrier a besoin « pour vivre, travailler et se reproduire ». Cf. Political Anatomy of Ireland, édit. de Londres, 1672, p. 69. Cité d'après Dureau de la Malle. « Le prix du travail se compose toujours du prix des choses absolument nécessaires à la vie ». Le travailleur n'obtient pas un salaire suffisant « toutes les fois que le prix des denrées nécessaires est tel que son salaire ne lui permet pas d'élever conformément à son humble rang une famille telle qu'il semble que ce soit le lot de la plupart d'entre eux d'en avoir. » Cf. Jacob Vanderlint, Money Answers all Things, Londres, 1743, p. 19. « Le simple ouvrier, qui n'a que ses bras et son industrie, n'a rien qu'autant qu'il parvient à vendre à d'autres sa peine... En tout genre de travail, il doit arriver, et il arrive en effet, que le salaire de l'ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance. » Cf. Turgot, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, 1766, Œuvres, édit. Daire, tome I, p. 10. « Le prix des subsistances nécessaires à la vie est en réalité ce que coûte le travail productif. » Cf. Malthus, An Inquiry into the nature of Rent, etc. Londres, 1815, p. 48 note. [Cette partie de la note se retrouve dans le livre I du Capital, tome IL p. 81.] « D'une étude comparée des prix du blé et des salaires depuis le règne d'Edouard III, c'est-à-dire depuis 500 ans, il ressort que, dans ce pays, le revenu quotidien de l'ouvrier s'est tenu plus sou­vent au-dessous qu'au-dessus d'une mesure de blé d'un quart de boisseau. Cette mesure de blé forme une sorte de moyenne, et plutôt supérieure, autour de laquelle les salaires exprimés en blé oscillent selon l'offre et la demande. » Cf. Malthus, Principles of Political Economy, 2° édit., Londres, 1836, p. 254. « Le prix naturel de n'importe quel objet est celui... que l'on donne à sa production... Le prix naturel du travail consiste en une quantité de denrées nécessaires à la vie et de moyens de jouissance telle que la requièrent la nature du climat et les habitudes du pays pour entretenir le travailleur et le mettre en état d'élever une famille, pour que le nombre des travailleurs demandés sur le marché n'éprouve pas de diminution... Le prix naturel du travail, bien qu'il varie sous des climats différents et en fonction des niveaux variables de la progression nationale, peut, en n'importe quel moment et lieu donnés, être considérés comme pratiquement stationnaire. » Cf. Torrens, An Essay of the external Corn Trade, Londres, 1815, p. 62. [Le lecteur retrouvera une partie de cette dernière citation au livre I du Capital, tome I, pp. 174-175 note.]
  147. « Lorsque le blé représente une partie notable des subsistances du travail, une augmentation de son prix naturel entraîne nécessairement une augmentation du prix naturel du travail, en d'autres termes, il faut une quantité plus grande de travail ou de produit pour le salaire de l'ouvrier. Or, comme il faut une somme plus grande de travail ou - ce qui est la même chose - de produit de son travail pour la subsistance de l'ouvrier, l'employeur recevra une somme moindre de produits du travail. » (Cf. Torrens, An Essay on the External Corn Trade, Londres, 1821, pp. 235-36).
  148. Cf. tome J. Dunning (Secrétaire de l'association des relieurs de Londres), Trade's Unions and Strikes, Londres 1860, pp. 6 et 7. [Marx cite Dunning à plusieurs reprises dans le Capital. (N.R.)]
  149. L.c., p. 7.
  150. L.c., p. 6
  151. On comprend que les capitalistes dénoncent ce taux uniforme du travail comme une atteinte à la liberté individuelle de l'ouvrier, et comme un obstacle qui empêche le capitaliste de suivre l'élan de son cœur et de récompenser le talent particulier de tel ouvrier. Mr Dunning, dont l'ouvrage susmentionné, non seulement touche au cœur de la question, mais en traite avec une ironie sereine, répond que les syndicats ne permettent pas au capitaliste de « payer autant qu'il lui plaît une spécialisation exceptionnelle ou une habileté particulière au travail », cependant qu'ils l'empêchent d'abaisser les 99 % de la masse salariale, c'est-à-dire le salaire de l'ouvrier moyen de son industrie, au-dessous du « minimum de salaire ». Bref, ils l'empêchent d'abaisser la valeur traditionnelle de la force de travail moyenne. Il est normal que les associations d'ouvriers contre le despotisme du capital soient dénoncées par un journaliste d'Edimbourg (On Combination of Trades, nouv. édit., Londres, 1834, p. 42) comme un esclavage auquel les Britanniques, libres de par leur naissance, se soumettent volontairement avec un incroyable aveuglement ! L'adversaire ne souhaite-t-il pas dans la guerre que les armées d'en face ne se soumettent pas au despotisme de la discipline ? Mais, notre journaliste, en proie à l'indignation morale, découvre pire encore. Les syndicats sont un sacrilège, car ils portent atteinte aux lois du libre commerce. Quelle horreur ! Dunning répond entre autres : « On, n'aurait donc pas un libre échange de coups, si l'une des parties avait un bras lié ou invalide, tandis que l'autre disposait de ses deux bras... L'employeur désire traiter un par un avec ses ouvriers, afin qu'il puisse donner aux sweaters le prix de leur travail chaque fois que cela lui plaît. Lorsqu'ils marchandent, leur bras droit est lié dans la vente par leurs besoins. C'est ce qu'il appelle le libre commerce, la liberté étant tout entière de son côté. Appelez cela commerce si vous voulez, mais ce n'est pas du libre-échange. » (L.c., p. 47).
  152. L.c., p. 6.
  153. « On a créé à Londres une association philanthropique ayant pour but de conclure des contrats d'achat pour l'habillement militaire. Elle se fixe le même prix que celui que le gouvernement paie actuellement à ses adjudicataires, mais paie aux couturières affamées 30 % de plus que leurs salaires actuels. Elle obtient ce résultat en éliminant les « intermédiaires », dont le profit revient maintenant au « matériel humain » à qui il était enlevé jusqu'ici. Avec tous les avantages consentis par cette Association, une couturière ne peut pas gagner plus de 1 sh. pour 10 heures de travail ininterrompu de confection de chemises pour les militaires, à savoir pour deux chemises par jour. Pour d'autres pièces d'habillement, elles ne gagnent guère plus de 1 sh. 6 d. par jour, pour un travail de 12 heures. Dans les conditions actuelles de contrat, leurs salaires oscillent entre 5 et 8 d. pour un travail de 10 heures, et encore doivent-elles fournir le fil, etc. (Times du 13.3.1860.)
  154. « Parmi la main-d'œuvre des manufactures, il y a de nombreux jeunes qui sont engagés comme apprentis à l'âge précoce de 13 à 14 ans pour presser les bouteilles et les verreries. Ils reçoivent un salaire de 2 à 3 sh. par semaine. Puis, ils commencent à travailler d'après le système du travail aux pièces, et ils gagnent le salaire des manœuvres. D'après Longe, « cette pratique qui consiste à employer un grand nombre d'apprentis engagés dès l'âge de 13 ou 14 ans, est courante dans certains types de manufactures. Cette pratique n'est pas seulement très préjudiciable au commerce, mais c'est vraisemblablement l'une des grandes causes à laquelle il convient d'attribuer la mauvaise constitution des potiers. Ce système du salaire aux pièces, si avantageux pour le capitaliste... tend directement à pousser le jeune potier à un travail excessif, pendant les quatre ou cinq ans où il travaille aux pièces, mais à bas prix. C'est là une des grandes causes auxquelles il faut attribuer la dégénérescence des potiers ! » Cf. Children's Employment Commission. First Report, Londres, 1863, p. 13. [La dernière partie de cette citation est reproduite au livre Idu Capital, tome II, p. 225, note 3.] A cet âge tendre, les conséquences du surmenage auprès de fours brûlants sont faciles à imaginer !
  155. « En vérité, la principale objection contre le travail aux pièces dans les différentes industries, c'est qu'on se plaint que l'employeur veuille réduire le prix du travail, une fois qu'il a trouvé des ouvriers pour gagner de la sorte un bon salaire, - et ce procédé a été utilisé fréquemment pour faire baisser les salaires. » Cf. T.J. Dunning, l.c., p. 22.
  156. Ce dernier passage est barré d'un trait dans le manuscrit de Marx. (N.R.)
  157. Les pages 261 et 262 du manuscrit ont été égarées (Cf. notre note page 186, l'extrait que nous y reproduisons). Le texte de Marx continue par la page 379, qui traite en gros du même sujet. (N.R.)