Rapport sur le XIVe Congrès à l'assemblée des fonctionnaires de Moscou

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Les résultats du XIVe congrès du parti communiste de l'union soviétique

Rapport du camarade Boukharine à l’assemblée des fonctionnaires de l’organisation de Moscou (5 janvier 1926)

Camarades,

Je me contenterai, dans mon rapport, de traiter des problèmes les plus importants au sujet desquels des divergences d’opinion se sont manifestées à notre XIVe Congrès, et en partie aussi, avant ce Congrès.

Notre Congrès a discuté des questions de la plus haute importance. Ce n’est pas un hasard que ces questions sont apparues au moment actuel, car nous avons réalisé, au cours de cette dernière année, de grands résultats économiques, et nous assistons à un développement des antagonismes économiques et sociaux. Il en résulte une nouvelle situation où les nouvelles couches de la classe ouvrière, la nouvelle génération, ainsi qu’une certaine partie de l’ancienne posent un certain nombre de questions importantes, à l’intérieur comme à l’extérieur de notre Parti. C’est pourquoi le XIVe Congrès devait donner une réponse à ces questions.

En réalité, ce sont des questions qui sont déjà apparues dans le passé : la question de la NEP, la question de la construction du socialisme dans notre pays, la question des rapports avec la paysannerie, la question de la structure intérieure de notre Parti, etc. Mais, étant donné la situation nouvelle, ces questions sont réapparues sous une forme assez violente, et il en est résulté de violentes discussions à l’intérieur du Parti.

Les petits-bourgeois caractérisent ordinairement ces discussions comme une lutte entre les chefs pour le pouvoir. Certes, on ne peut pas nier qu’il existe, à l’intérieur du Comité Central, certains groupements qui mènent la lutte pour conquérir la majorité dans le Comité Central. C’est tout naturel, car, lorsqu’un groupe à l’intérieur du Parti ou du Comité Central est d’avis qu’il a raison et que l’autre a tort, et que ce dernier, à son tour, pense que c’est lui qui a raison et l’autre qui a tort, il est tout naturel qu’il en résulte une lutte interne, car la conquête de la majorité dans les organes dirigeants de notre Parti constitue l’une des garanties de l’application de telle ou telle politique, représentée par tel ou tel groupe. Quiconque comprend tant soit peu la vie du Parti, comprend aussi qu’il faut lutter pour conquérir la majorité si l’on veut assurer l’application de la politique que l’on considère comme juste. C’est pourquoi, pour bien comprendre les problèmes en question, il faut se demander quelle est, des lignes politiques en présence, celle qui est juste et celle qui est fausse, c’est-à-dire qu’il faut discuter toute une série de questions politiques, qui constituent le noyau de nos divergences.

La tactique de l’opposition[modifier le wikicode]

Je voudrais, tout d’abord, dire quelques mots sur la naissance et sur le cours de la lutte. Comment est-elle apparue, comment a-t-elle été menée, et quelle est la situation actuelle ? Vous savez qu’à l’intérieur de notre Comité Central, il existait longtemps avant le Congrès, des divergences d’opinion, tout particulièrement dans la question des mesures organiques à prendre contre l’opposition trotskyste. A cette époque, la majorité du Comité Central défendait un point de vue modéré, et était d’avis qu’il fallait laisser le camarade Trotsky au Bureau Politique. La majorité était contre la politique de la guillotine, et considérait qu’il fallait utiliser le plus possible les forces des camarades dirigeants, qui s’étaient trompés, à la vérité, dans un certain nombre de questions, mais qui pouvaient faire un travail extrêmement utile dans d’autres domaines de l’activité de notre Parti. Elle considérait qu’il n’était pas dangereux de laisser ces camarades à l’Etat-major de notre Parti, où il existe un nombre suffisant de camarades capables de s’opposer à telle ou telle déviation. Au sujet de cette question, nous eûmes des discussions assez vives avec un certain nombre de camarades, entre autres, avec les camarades Zinoviev, Kamenev et Sokolnikov. Ces camarades traitèrent les camarades de la majorité du Comité Central de « demi-trotskistes », parce que, pour les considérations que je viens de vous dire, ils ne voulaient pas prendre des mesures trop rigoureuses. Tous les camarades qui se rappellent notre discussion d’alors, savent que chaque membre de la majorité du Comité Central actuel a contribué, pour sa part, à la lutte contre les déviations politiques du trotskysme. Mais chacun d’entre nous était d’avis que la lutte idéologique contre les déviations, et la question des conséquences organiques de cette lutte, sont deux choses très différentes. Certes, il fallait prendre des mesures organiques, mais la question était de savoir quelle devait être l’étendue de ces mesures.

C’est par cela qu’ont commencé nos divergences. A cette époque, nous avons été traités de « demi trotskistes » par l’opposition actuelle, qui s’est efforcée de conquérir la majorité. Ce n’était pas là une lutte d’ordre purement organique. Les camarades pensaient que leur point de vue politique était juste et que nous menions une politique fausse en ne procédant pas assez rigoureusement contre l’opposition trotskiste. Pour pouvoir réaliser leur politique, ils s’attaquèrent à la majorité du Comité Central. Cette attaque fut repoussée. Pendant longtemps, l’opposition se tint tranquille, mais elle procéda à des manœuvres d’enveloppement. Tout en se prononçant pour le Comité Central, l’opposition essayait de créer, par tous les moyens, une fraction. La lutte fut menée, non pas directement, mais indirectement. De même qu’à l’époque le camarade Trotsky fit appel à la jeunesse pour conquérir la majorité, de même l’opposition actuelle fit appel à la jeunesse, en oubliant les leçons qu’elle avait elle-même données auparavant au camarade Trotsky. C’est ainsi que l’organisation des Jeunesses de Leningrad s’efforça de convoquer une conférence de la Jeunesse de l’Union soviétique. Elle se proposait de corriger la ligne politique du Comité Central et de mener la lutte contre la majorité du parti. J’en arrive maintenant aux conférences de rayons de Leningrad, à la conférence de l’organisation de Leningrad et à notre Congrès.

Lors des conférences de Leningrad on déclara :

« Nous sommes pour le Comité Central et pour l’unité du Parti, mais nous sommes contre Boguchevski, contre Boukharine et son école. »

Cependant, on vota la confiance au Comité Central.

Mais, au Congrès, le camarade Zinoviev demanda à faire un co-rapport, au nom de l’organisation de Leningrad. Puis le camarade Kamenev accusa le Comité Central d’avoir mené une politique de désagrégation – il est vrai qu’il s’est excusé dans la suite d’avoir employé cette expression – et qu’il fallait transformer complètement le Secrétariat. Cela voulait déjà dire : nous sommes contre le Comité Central.

Cette opposition au Comité Central fut d’ailleurs confirmée par le vote contre la résolution sur le rapport du Comité Central. Enfin, la Pravda de Leningrad, qui était alors un organe de l’opposition, défendit le point de vue de la délégation de Leningrad et entreprit une attaque contre les décisions du Congrès, ce qui constitue un fait sans précédent dans l’histoire de notre Parti.

Vous voyez par conséquent, comment s’est réalisée la manœuvre. Si l’opposition avait dès le début déclaré aux ouvriers de Leningrad : « Nous sommes contre le Comité Central », elle n’aurait pas eu la majorité des voix dans l’organisation de Leningrad. Mais pour s’assurer une majorité considérable des voix, elle déclara qu’elle était pour le Comité Central.

La manœuvre de l’opposition atteignit son apogée lorsqu’elle attaqua les décisions prises par le Congrès. Il est donc compréhensible que la majorité du Congrès, qui avait à défendre la volonté du Parti, devait faire le nécessaire en vue de mettre fin à cet état de choses insupportable.

Vous avec lu probablement les discours d’un certain nombre de camarades, venus de Leningrad pour saluer le Congrès. Une partie d’entre eux étaient partisans de la majorité, une autre partie, par contre, étaient du côté de l’opposition. Ces derniers déclarèrent : nous saluons le Congrès, nous sommes pleinement d’accord avec la majorité du Congrès, mais notre délégation a cependant raison. Si la majorité du Congrès a raison et si l’opposition a aussi raison, qui a raison, en définitive ?

Il est clair qu’une telle attitude ne signifie rien d’autre qu’un refus de se soumettre aux décisions du Congrès. On comprendra donc que nous sommes en face d’une situation telle qu’elle nous oblige à prendre rapidement des mesures énergiques en vue de mettre fin à cet état de choses.

L’opposition et la question de l’organisation[modifier le wikicode]

J’en arrive à la question de l’organisation du Parti. Nous nous rappelons qu’autrefois, à l’époque de la discussion contre le trotskisme, le camarade Zinoviev déclarait que l’unité de notre Parti était absolument indispensable pour le maintien de la dictature prolétarienne et de la construction du socialisme. Ce point de vue, il le défendait tant qu’il était dans la majorité. Mais du moment où ils sont devenus eux-mêmes la minorité, les camarades de l’opposition ont lancé de tels mots d’ordre que nous avons dû nous arracher les cheveux de la tête.

Quels sont ces mots d’ordre ? Le camarade Zinoviev a déclaré qu’il fallait faire participer au travail toutes les forces de l’opposition. Jusqu’à présent, nous avons, au cours de ces dernières années, combattu toute une série d’oppositions : le groupe de l’opposition ouvrière, le groupe du centralisme démocratique, le groupe de la vérité ouvrière, etc. Nous avons réussi à vaincre ces oppositions. A cette époque le camarade Zinoviev a déclaré qu’il ne fallait à aucun prix s’écarter de la ligne léniniste dans la question de l’organisation, que notre Parti s’est toujours distingué dans la question de l’organisation des autres partis et qu’il est construit sur la base de la véritable unité à l’intérieur de l’organisation.

Tandis qu’un certain nombre d’autres partis, les mencheviks les sociaux-révolutionnaires, sans compter les partis bourgeois, groupent des fractions et des tendances différentes, et ne représentent qu’une coalition entre ces différentes tendances, tandis que ces partis sont des partis où le pied gauche ne sait pas dans quelle direction marche le pied droit ; et la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite, nous avons toujours été adversaires d’une telle structure du Parti. Nous avons souvent montré que l’une des raisons principales de notre victoire était la composition organique de notre Parti, qui lui assurait une véritable unité de fer. Nous avons toujours permis les discussions, mais dès qu’une décision a été prise, nous avons toujours marché en rangs serrés dans la lutte pour appliquer cette décision. Il est arrivé à beaucoup de membres, de fonctionnaires, et même de dirigeants du Parti d’avoir à appliquer des décisions contre lesquelles ils avaient voté. Notre discipline de fer a toujours été pour nous un axiome.

Lorsque le camarade Trotsky et ses partisans ont répété dernièrement le vieux mot d’ordre trotskyste : « Vivre et laisser vivre », c’est-à-dire conserver la majorité et laisser vivre les différentes fractions et les différente» tendances, nous avons repoussé ce point de vue de toutes nos forces. Nous savions qu’il fallait évidemment permettre la discussion, mais qu’après l’adoption des décisions, il fallait les appliquer sans discussion. Nous avons considéré comme une très grande conquête de notre part, d’avoir réussi à combattre toutes sortes de fractions, de groupement et de tendances à l’intérieur de notre Parti. Et, après avoir confirmé cette politique des dizaines de fois, dans d’innombrables décisions, l’un des auteurs de ces décisions qui est aujourd’hui dans la minorité, lance le mot d’ordre : garantie de la liberté d’opinion, garantie des droits des minorités, participation au travail de toutes les forces d’opposition. Je comprends cette attitude, car chaque opposition a l’habitude de se chercher des alliés, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle est en contradiction absolue avec l’enseignement léniniste sur la question de l’organisation du Parti. Au dernier Congrès, nous avons entendu un regrettable discours de la camarade Kroupskaïa. Nous aimons tous, nous honorons et nous estimons la camarade Kroupskaïa. Malheureusement, elle a dit au Congrès des choses que nous ne pouvons pas accepter. Elle déclara, entre autres :

« La majorité du Congrès peut se tromper. A l’époque du Congrès de Stockholm, en 1906, nous avons eu une situation semblable. »

Or, on sait qu’au Congrès de Stockholm, la majorité du Congrès, qui se composait de menchéviks, s’est trompée, et que la minorité qui se composait de bolcheviks, avait raison.

Nous étions à cette époque dans un même Parti.

Nous demandons alors : Pensez-vous que le XIVe Congrès ressemble au Congrès de Stockholm ? La minorité considère notre XIVe Congrès comme quelque chose d’analogue au Congrès de Stockholm et elle juge la majorité de la même façon que les bolcheviks jugeaient en 1906, nos positions. Pardon. En I906, ii y avait entre nous et les menchéviks, des divergences de principe, tant dans la question de l’appréciation des forces motrices de la Révolution, que dans la question de l’insurrection armée et dans celle de nos rapports avec la bourgeoisie libérale. Et ces divergences de principe menèrent bientôt à une scission. Or, nous savions déjà en 1906, que nous allions vers une scission, et qu’avons-nous fait ? Nous avons présenté des co-rapports. Au lendemain du Congrès, nous créâmes des centres fractionnels et répandîmes notre propre littérature partout, nous créâmes à côté des organisations communes, des organisations indépendantes de la minorité. D’une façon générale, nous menâmes une lutte acharnée contre la majorité, et nous nous constituâmes finalement en un Parti indépendant. Pourquoi donc, aujourd’hui vouloir conjurer le spectre du Congrès de Stockholm ? C’est là un jeu très dangereux.

On peut évidemment dire que la camarade Kroupskaïa n’a pas voulu dire ce qu’elle a dit, et qu’elle s’est mal exprimée, ou qu’elle n’a pas bien réfléchi à ce qu’elle disait. Malheureusement le pays l’entend, les ouvriers lisent son discours, et nos adversaires le feront aussi. Partout dans l’Union Soviétique et à l’étranger, on répètera le mot sur le Congrès de Stockholm, et cela créera de la confusion. Certains, même, iront jusqu’à évoquer l’éventualité d’une scission.

La camarade Kroupskaïa a encore déclaré ce qui suit :

« Le marxisme enseigne que la vérité correspond à la réalité objective. Or, la majorité peut se tromper, car la vérité ne consiste pas dans ce que décide la majorité du Congrès mais dans ce qui correspond à la réalité objective. »

C’est parfaitement juste. Naturellement, le Parti peut se tromper, de même Lénine s’est parfois trompé, et Marx aussi. Mais dans quel but fait-on ces déclarations ? Nous ne sommes pas dans un club philosophique, mais dans un Congrès politique. Qui devra décider ce qui correspond à la réalité, et ce qui n’y correspond pas ? A quoi servent les décisions du Parti, si une fois que ces décisions sont prises, on peut se lancer dans des considérations philosophiques et déclarer : peut-être, après tout, la majorité n’a-t-elle pas la vérité dans sa poche. A a un certain point de vue, B en a un autre, C en a un troisième, et que fait le Parti ? Car, dans ce cas, aucune décision n’est possible.

Mais étant donné qu’il n’existe pas de prophètes sur la terre qui puissent décider où est la vérité absolue, chacun de nous, pour pouvoir agir en commun, doit se soumettre aux décisions de la majorité, qui deviennent dès lors les décisions du Parti. Si tu crois que cette décision n’est pas juste, attends que le Comité Central ait ouvert la discussion avant le prochain Congrès, et là, défends ton point de vue. Peut-être conquerras-tu la majorité. Mais, si tu ne veux pas te soumettre à la décision du Parti, tu détruis ainsi toute l’organisation du Parti. On ne peut pas se représenter un Parti composé d’un million d’hommes, dont chacun discute et philosophie pour savoir où est la vérité absolue, l’un voyant la vérité d’une telle façon, l’autre d’une autre, le troisième autrement, et où la majorité ne décide rien, de peur de se tromper. C’est pourquoi, quand nous entendons une telle déclaration concernant le Congrès de Stockholm, nous devons sonner immédiatement l’alarme, car nous sommes un Parti qui s’est toujours distingué par son centralisme rigoureux, sa stricte discipline, son application énergique des décisions prises, sa plateforme nette de Parti. On veut maintenant nous transformer en une Société philosophique dont les membres discuteront interminablement pour savoir où est la vérité.

C’est pourquoi nous devons montrer aux camarades de l’opposition qu’ils s’écartent des principes les plus élémentaires de l’enseignement léniniste, sur le rôle et la structure du Parti. Nous avons besoin, non pas d’un club philosophique, mais d’un Parti ferme, uni, capable de surmonter les plus grandes difficultés et prêt à tout, à la guerre civile, aux grandes batailles, à l’exécution des manœuvres politiques les plus compliquées, un Parti capable de battre l’ennemi, tant par l’attaque directe que par l’habileté de la manœuvre, la rapidité, la souplesse, etc. Les mots d’ordre lancés par les camarades de l’opposition sont en contradiction avec l’esprit du léninisme, car ils mettent en question les principales qualités de notre Parti. C’est pourquoi le Congrès a défendu énergiquement le léninisme contre les déviations des camarades de l’opposition.

Le caractère général de la nouvelle opposition[modifier le wikicode]

J’en arrive maintenant aux questions politiques qui sont à la base de nos divergences d’opinion.

La physionomie de l’opposition peut, à mon avis, être caractérise par les considérations suivantes : la Révolution internationale s’est ralentie. Nous nous trouvons actuellement dans un stade de stabilisation du capitalisme. Mais si la Révolution internationale se ralentit, la question se pose de savoir si nous arriverons à réaliser nos tâches, ou si, au contraire, nous ne succomberons pas dans la lutte : Seuls, nous n’arriverons pas à réaliser nos tâches, car notre pays est techniquement et économiquement en retard. Si la Révolution internationale avançait à pas de géant, nous pourrions facilement venir à bout de nos tâches.

Mais cet appui ne vient pas. Succomberons-nous donc ? En 1921, nous avons dû, à la suite du ralentissement du mouvement révolutionnaire international, introduire la nouvelle politique économique. C’a été un recul. Cette politique, nous la continuons jusqu’à maintenant. Est-ce juste ? On dit que notre industrie d’Etat est un morceau de socialisme, mais il n’en est pas ainsi ; elle est plutôt une institution de capitalisme d’Etat. La situation de notre industrie est telle que les ouvriers reçoivent encore des salaires tout à fait misérables. Toute l’économie est encore liée à l’agriculture par l’intermédiaire du marché. Est-ce là du socialisme ?

Tels sont les principaux arguments de l’opposition. Au Congrès l’opposition en ajouta d’autres. Le camarade Sokolnikov déclara au Congrès que nos banques étaient des institutions du capitalisme d’Etat. Le camarade Salutzki écrivit même que l’appareil d’Etat était le centre de la lutte de différentes classes, et non pas l‘organisation, même défectueuse, de la dictature prolétarienne.

Qu’en résulte-t-il ? La Révolution Internationale s’étant ralentie, la NEP n’étant qu’un recul, nous succomberons, par suite de l’état retardataire de notre technique. L’industrie d’Etat n’est ni chair ni poisson. Notre armée commence également à s’engager dans une mauvaise voie ; nos banques sont des entreprises capitalistes, les koulaks passent à l’offensive, l’Etat n’est pas une organisation prolétarienne, mais le centre du combat entre différentes classes. Par conséquent, nous avons devant nous un nombre considérable d’adversaires, nos charges sont immenses et nous n’arriverons pas seuls à sortir de nos difficultés. Comme la Révolution Internationale ne vient pas, il ne nous reste, à nous, pauvres pêcheurs, rien d’autre à faire qu’à dégénérer, et c’est aussi ce que nous faisons.

Telle est la physionomie idéologique de l’opposition. C’est, sans aucun doute, une psychologie pessimiste, une psychologie de déception, de doute sur la possibilité de surmonter toutes les difficultés qui se trouvent devant nous. Cette psychologie n’est pas tombée du ciel, elle n’est pas le produit de considérations théoriques d’un certain nombre de camarades. Elle exprime certains phénomènes de décomposition d’une certaine partie des masses, et c’est là que réside sa force, son caractère dangereux, car ces camarades ne vont pas de l’avant, mais se traînent à la queue du mouvement et provoquent une panique, là où il faut du calme et de l’assurance.

Cette musique ne s’est pas encore cristallisée en une théorie bien nette. L’opposition a été très avare de propositions concrètes, et lorsque nous lui demandions : « Que proposez vous ? » elle ne fit pas de réponse à cette question et ne nous fit aucune proposition concrète. Il n’y a dans son attitude rien de conséquent. C’est simplement un certain état d’esprit, qui s’est en partie cristallisé, et qui présente déjà, dans notre Parti, certains germes de déviations qu’il est nécessaire de combattre énergiquement.

L’édification du socialisme dans un pays[modifier le wikicode]

Après avoir indiqué la physionomie générale de l’opposition, j’analyserai les questions principales qui constituent l’objet de nos divergences. Une des plus importantes de ces questions est celle de l’édification du socialisme dans un seul pays.

Si cette question de la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays est posée, et si la majorité du Congrès du Parti, ou, plus justement, tout le Parti, y répond affirmativement, l’attaque se déclenche de suite : Alors, vous voulez édifier le socialisme dans un seul pays ? Peut-être même voulez-vous l’édifier dans un arrondissement ou une région ? Si oui, comment concilier cela avec notre programme international ? N’est-ce pas un point de vue étroitement provincial, étroitement national ? Cela ne signifie-t-il pas une renonciation complète à la confédération internationale ? A l’internationalisme, au marxisme, au léninisme ? N’avons-nous pas prétendu cent fois que, sans la Révolution internationale, le capitalisme international nous dévorera ? Que notre principal enjeu est mis sur la Révolution internationale ? Mais si vous construisez le socialisme dans un seul pays, si vous êtes d’avis que cela est possible, pourquoi avez-vous besoin de la Révolution internationale ? Ne voulez-vous pas peut-être, sous le prétexte de pouvoir construire le socialisme dans un seul pays, repousser l’Internationale Communiste de ce pays ? (Hilarité). C’est ainsi qu’ils posent la question et font courir le bruit qu’il s’agit d’un nationalisme étroit et que nous renions notre internationalisme. Il y aurait des gens qui pensent que nous nous en tirerions aussi sans le prolétariat international.

La confusion dans cette question provient de ce qu’on considère la question elle-même comme plus simple qu’elle ne l’est en réalité : Si l’on nous demandait si la situation peut durer éternellement sans Révolution internationale, si nous pouvons continuer de glisser tranquillement comme sur des rails, si nous pouvons construire sans être dérangés par personne – si on nous posait ainsi la question, que répondions-nous ? Nous devions répondre par la négative, car il est absolument évident que nous sommes encore faibles et ne possédons qu’un sixième du globe terrestre, tandis que les cinq sixièmes sont occupés par nos adversaires puissants dont quelques-uns, tels que les Etats-Unis et l’Empire britannique représentent des puissances géantes, douées d’une technique militaire formidable et d’une richesse colossale. Ne tenteront ils pas une fois de nous étouffer, ou bien attendront-ils jusqu’à la fin des temps pour voir comment nous travaillons et pour bénir notre existence ? Il est clair qu’un conflit doit éclater une fois entre nous. Pouvons-nous dire avec une pleine assurance que nous nous maintiendront dans cette lutte, même si la Révolution internationale ne vient pas à notre aide, si les ouvriers d’Occident contemplent tranquillement les événements ? Naturellement non ! Notre existence a été rendue possible jusqu’à présent dans une large mesure parce que, si la Révolution internationale n‘est pas encore victorieuse, et si la classe ouvrière n’a pas encore conquis le pouvoir dans les autres pays, cette classe ouvrière de tous les pays tient cependant sa bourgeoisie par les pans de son habit et ne lui permet pas de développer ses opérations contre nous ; d’un autre côté, les pays coloniaux et semi-coloniaux, tels que le Maroc, la Syrie, les Indes, la Chine préparent à la société capitaliste d’énormes désagréments. Si nous ne tenons pas compte de tout cela, nous serions déjà anéantis comme nos camarade» hongrois, et nous n’aurions pas pu résister au siège de 1918-20-21. Les forces de la Révolution existaient et existent encore en partie, elles n’ont pas encore vaincu, mais elles représentent cependant un facteur politique considérable en notre faveur. Cela ne fait aucun doute. Il n’est également pas douteux que, si la Révolution internationale ne se développe pas, nous n’aurons aucune garantie de ne pas être mangés par les capitalistes, de ne pas subir de colossales défaites et d’être même étouffés. Nous n’avons pas une telle garantie, car la supériorité des capitalistes est encore très grande. C’est de là que provient notre orientation vers la Révolution internationale, tant au point de vue du mouvement ouvrier mondial qu’à celui du développement de notre parti et de notre mouvement – car les deux ne font qu’un.

Nos intérêts concordent avec les intérêts de la Révolution internationale, et les intérêts du mouvement ouvrier en Angleterre, en France ou en Allemagne concordent avec ceux du renforcement, de l’affermissement et du développement de notre Union. Cela n’est contesté par personne. Personne ne conteste que l’unique garantie contre une restauration, contre les attaques des capitalistes, la seule contre notre écrasement à main armée, ne peut être uniquement et seulement que dans le développement du mouvement ouvrier international.

Je dois dire qu’il existe ici une dépendance inverse : l’existence de notre Union représente une importante garantie contre une terrible réaction en Occident, car, si nous cessions un beau jour d’exister, la pression sur la classe ouvrière serait sûrement infiniment plus forte que maintenant. Nous sommes unis par les liens de la fraternité de lutte la plus étroite avec la classe ouvrière de tous les pays et les peuples coloniaux.

Mais la querelle a un tout autre objet.

Les camarades Kamenev et Zinoviev ont prétendu que nous ne pourrions pas terminer notre construction socialiste à cause de notre retard technique et économique. Nous l’avons rappelé à l’opposition au Congrès. Deux faits sont ici caractéristiques : en premier lieu, les camardes n’ont pas contesté ce que nous avons dit, deuxièmement, ils ont jugé nécessaire de ne pas toucher à cette question, considérant avec raison qu’elle constitue le point faible de toute leur argumentation. Nous avons donc contesté cette affirmation. Mais c’est une tout autre affirmation qui n’a qu’un rapport indirect avec la première question (possibilité d’une attaque capitaliste). Nous reconnaissons tous que l’unique garantie contre les attaques de l’impérialisme possibles, est la Révolution internationale. Cela ne peut être contesté en aucun cas.

Mais quelle est la situation, si nous passons à la deuxième question, celle de notre chute inévitable par suite de notre retard technique et économique ? Cette question est plus ou moins nouvelle, dans la mesure où elle a été posée au sein de notre Parti, avec une formule claire. Au fond, elle n’est pas du tout nouvelle. Tous nos adversaires du camp soi-disant socialiste l’ont déjà posée. Quel est donc leur principal argument contre nous ? Ils disent : « Vouloir construire le socialisme dans un pays où l’immense majorité est composée de paysans, ce n’est pas du marxisme. La classe paysanne appartient à la petite bourgeoisie. C’est donc une sottise de croire que l’on peut constituer la société socialiste dans un pays où la classe ouvrière ne forme qu’un petit noyau de la population. Quelques millions d’ouvriers au milieu de 130 millions d’habitants ne représentent qu’un îlot au milieu des flots bouillonnants des éléments petits-bourgeois. » Tous les groupes du camp socialiste tiennent ce raisonnement péremptoire, et le camp bourgeois surenchérit.

De quoi Lénine fut-il toujours accusé ? D’avoir crée une nouvelle école non-marxiste, car, d’après Marx, on ne pouvait pas construire le socialisme dans un pays où la classe ouvrière ne forme qu’une infime minorité, tandis que, d’après Lénine la chose est possible. Nos adversaires disent que c’est s’éloigner du marxisme.

Toute une série d’autres questions découlent de celle-là. Les menchéviks nous disent : Il ne doit pas exister d’Etat prolétarien là où le prolétariat est en minorité, c’est pourquoi nous avons besoin de la démocratie bourgeoisie et du mot d’ordre : « Retour au capitalisme sain ». Si nous ne considérons pas le camp mencheviste, mais quelques groupes au sein de notre Parti, dont le point de vue avait auparavant une semblable nuance, nous voyons que le camarade Trotski, avec lequel nous eûmes au cours de ces deux dernières années une amère discussion, représente un tel point de vue. L’essence de son opinion consistait en ce que, d’un côté, il était absolument contre les menchéviks lorsque ceux-ci disaient : « Ne sortez pas des frontières de la République bourgeoise » ; d’un autre coté, il était aussi contre les bolcheviks, lorsque ceux-ci disaient que nous pouvions maintenir notre alliance avec la classe paysanne. Il disait : Non ! Après la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, le paysan vous trahira inévitablement de suite ! Il y aura entre la classe ouvrière et la classe paysanne une lutte qui se terminera inévitablement par la défaite du prolétariat et une restauration capitaliste, si aucune aide ne vient du côté du prolétariat occidental. La classe ouvrière de l’Occident nous viendra en aide, grâce à sa technique avancée.

Le Parti a-t-il combattu ces nuances ? Oui, énergiquement à deux reprises. Qu’y a-t-il gagné ? La ferme conviction que la lutte entre la classe ouvrière et la classe paysanne, après la conquête du pouvoir était possible, mais non inévitable. Si ce conflit se produisait entre ces deux classes, naturellement nous succomberions. Dans son héritage politique, le camarade Lénine nous a légué la formule suivante de la question : La scission entre la classe ouvrière et la classe paysanne est possible, mais elle n’est pas inévitable.

Que signifie cette formule ? La scission entre ces deux classes n’est pas inévitable. Elle signifie que nous ne succomberions pas, bien que nous soyons un pays en retard ; nous irons au pas avec la classe paysanne, puis au trot avec la métallurgie, et enfin au galop avec notre électrification. Où ? Au Socialisme. C’est ainsi que nous pensons tous. C’est là l’idée principale de l’héritage de Lénine. Dans les derniers temps de sa vie, le camarade Lénine écrivit le célèbre article contre Soukhanov, dans lequel il pose directement la question : Oui, notre pays est très en retard ! Oui, sans avoir une grande économie, nous avons conquis d’abord le pouvoir, puis, vu que le capitalisme international est attaqué, d’un côté, par les peuples coloniaux, et, de l’autre, par le prolétariat — puis nous avançons pas à pas, avec la lenteur de l’escargot vers le socialisme.

Si les camarades disent que nous devons marcher à la ruine à cause de notre retard technique, cela ne signifie naturellement pas que les instruments « arriérés » nous débusqueront, que le Bureau Politique de notre C.C. sera renversé. Cela signifie que notre retard technique et économique conduirait sûrement à une querelle avec le paysan et que ce dernier nous frapperait peut-être sur la tète. Il s’agit par conséquent de ce que, du retard de notre technique et de notre économie, naîtra un conflit inévitable entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie, qui se terminera par la victoire de cette dernière.

Nous avons combattu ce point de vue en disant que la scission entre ces deux classes n’était pas inévitable, que nous pouvions allier l’industrie avec l’économie paysanne, que nous ne devions pas nous séparer de la classe paysanne, qu’avec cette grande masse, nous progressions avec lenteur, mais que nous viendrons peu à peu à bout de notre travail. C’est une chose excessivement lente, mais c’est cependant la construction du socialisme.

Ce point de vue doit-il maintenant être rejeté ? Avons-nous une raison pour renoncer à tout ce que nous avons défendu avec tant d’ardeur, il y a deux ans, dans la discussion contre le camarade Trotski ? Au contraire, nous avons donné à notre Parti la ferme conviction de la justesse de cette ligne politique. Les partisans du point de vue contraire ne nous ont apporté aucun nouvel argument, et voilà que maintenant cette histoire de notre ruine, causée par notre retard technique et économique, revient de nouveau sur l’eau. C’est un retour aux positions perdues, c’est une tentative de soumettre notre Parti à des influences réactionnaires. On veut nous ramener à l’ancien Trotski et, par lui, encore plus en arrière.

Pendant tout le temps, nous avons toujours amélioré notre technique. Si nous ne sommes pas allés à la ruine lorsque notre technique était plus faible, lorsque les ouvriers métallurgistes, au lieu de travailler à la production, fabriquaient des briquets, pourquoi devrions-nous y aller maintenant que nous avons atteint le niveau d’avant-guerre ? La raison humaine ne peut pas comprendre où et quand nous marcherions à la ruine, à cause de ce retard, alors que nous le surmontons chaque année davantage.

Il est très clair qu’une telle idéologie représente chez nous un certain scepticisme, une certaine incrédulité concernant les possibilités de la construction socialiste, comme on le dit dans la résolution du Parti. Si on parle ainsi dans la direction du Parti, si dans les cercles dirigeants une certaine incrédulité se manifeste, cela peut se transformer en une négation absolue parmi les simples membres du Parti.

On ne doit pas parler ainsi. Le scepticisme devient alors une négation immédiate de la possibilité de la construction socialiste. Si nous considérons du point de vue logique tout ce cercle d’idées, c’est un retour à la vieille position de la question antérieure à Lénine. On présente maintenant d‘une façon tout-à-fait inattendue, sous une forme entièrement nouvelle, ce contre quoi Lénine polémisait : on dit que nous devions marcher à la ruine à cause de notre retard technique et économique.

Au Congrès, nous avons lutté très énergiquement contre ce point de vue. Je le répète : personne n’a prétendu que nous citions inexactement les paroles des camarades Kamenev et Zinoviev sur le retard technique. L’opposition n’a donné aucune réponse positive à cette question.

C’était la première grande question. Chaque fonctionnaire du Parti agissant pratiquement peut facilement comprendre son importance pratique. Mais elle ne renferme aucune proposition concrète pour augmenter la production d’une branche quelconque de l’industrie. Elle donne à tout notre travail une teinte déterminée. Représentez-vous la situation, si le Congrès avait dit : nous allons sûrement à la ruine, à cause de notre retard technique et économique, si la Révolution internationale ne se produit pas. Que se serait-il produit ? Je n’en sais rien ! Le diable seul sait ce qui se serait produit (Hilarité). Mais, dans le cas où un fonctionnaire politique se fait une telle idée, il ne doit naturellement pas oublier qu’il pourrait être mis en demeure de répéter ce point de vue au nom de tout le Congrès. Je crois avoir ainsi réglé la question. Nous pouvons la formuler ainsi d’une façon concrète : Il y a deux problèmes : celui de la garantie contre une restauration internationale, et celui de notre ruine, inévitable ou non, à cause de notre retard technique et économique.

A la première question, nous répondons : sans Révolution internationale, nous n’avons aucune garantie contre une restauration. Quant à la deuxième question, nous y répondons en disant que nous n’allons pas à la ruine à cause de notre retard technique et économique, parce que nous surmontons en fait ce retard de jour en jour, de mois en mois, d’année en année. Notre croissance économique n’est pas autre chose qu’une victoire constante remportée sur ce retard technique et économique.

Les questions relatives à la NEP[modifier le wikicode]

On croirait que nous avons résolu depuis longtemps aussi la question de la NEP.

Néanmoins cette question fut de nouveau discutée en connexion avec le premier problème dont j’ai parlé. Il est très facile aujourd’hui de se faire de la réclame politique si l’on s’attaque à la NEP. Je l’ai déjà dit, il y a chez nous une foule de contradictions criantes : enfants abandonnés et luxe de la NEP. Si l’on parle de la NEP au sens vulgaire, on ne comprend sous ce nom toute notre politique économique et même pas tout notre ordre économique, mais les nouvelles couches bourgeoises, la nouvelle bourgeoisie. Celle-ci devrait d’abord être apprivoisée. Si nous considérons la vie journalière, nous entendons de telles conversations : le capitaliste privé fait de grandes hausses dans le commerce de détail. Ne pourrait-on pas l’obliger à ne pas le faire ? Dans la coopérative, il n’y a pas de souliers en caoutchouc, mais le marchand privé en vend. C’est l’origine de la question : Nos institutions ne sont-elles pas corrompues et tout n’est-il pas laissé à l’entreprise privée ?

Nous devons prendre toutes les mesures pour garantir la prépondérance croissante de nos organes économiques pour extirper par le fer et le feu les détournements, les escroqueries, le bureaucratisme, pour apprendre à éviter nos fautes, pour organiser la lutte contre le négociant privé, le koulak, le capitaliste. Mais nous devons déclarer en même temps ce qui est conforme au but et ce qui n’est pas, ce que l’on doit faire de suite et ce pourquoi il faut encore patienter. On doit déclarer quelle est la juste politique dont le Parti doit se servir, on ne doit pas s’échauffer, ni promettre à droite et à gauche ce que l’on ne peut pas donner.

Camarades, l’opposition a formulé trois propositions principales. Je les extraits de divers discours, rapports, livres, brochures, etc. Je crois que trois sortes d’exposés de la nouvelle politique économique sont caractéristiques pour la nouvelle opposition.

1) L’introduction de la NEP n’est qu’un recul, 2) la NEP est une pause pour respirer, une manœuvre, une conséquence du retard de la Révolution internationale. 3) La NEP, politique économique du prolétariat provient du caractère petit-bourgeois de notre pays.

Je crois que ces trois sortes d’exposés sont inexactes, qu’elles entraînent à des conclusions politiques inexactes et qu’elles sont liées à cette incrédulité touchant la possibilité de notre construction socialiste dont j’ai parlé.

Je prends le premier point : la NEP, recul et seulement recul. Cette caractéristique estelle juste ou non ? A mon point de vue, elle est fausse. Nous pouvons trouver dans Lénine une foule de passages disant que la NEP représente un recul, nous l’avons nous-mêmes souvent écrit. En 1921, c’était la base de toutes nos discussions sur la NEP, mais maintenant après huit ou neuf ans de dictature prolétarienne, si nous considérons dans son ensemble cette manœuvre stratégique, pouvons-nous dire que la NEP ne soit qu’un recul ? A mon avis, nous ne pouvons pas le dire.

J’ai déjà eu l’occasion de donner au Congrès une formule de la NEP que je répéterai ici.

La NEP est une manœuvre stratégique du prolétariat telle quelle renferme en soi 1) des éléments de recul, 2) un regroupement de nos forces et 3) une marche en avant sur toute la ligne.

Lorsque Lénine eut introduit la nouvelle politique économique, il dit lui-même que nous reculions pour prendre un grand élan et faire un bond formidable en avant. Il déclarait au congrès des métallurgistes au moment de la conférence de Gènes : Le recul est fini. Proposa-t-il alors la suppression de la NEP ? Proposa-t-il de piétiner sur place ? Il proposa autre chose : regrouper nos rangs et marcher en avant.

On pourrait dire: Oui, c’était un beau plan, mais comment cela s’est-il passé en réalité ? Peut-être en a-t-il été autrement qu’il ne l’avait prévu ? Non, tout marchera selon les prévisions de Lénine. Je demande : Si notre industrie n’était pas cédée dans de vastes proportions à des concessionnaires, mais si nous l’avions développée par nos propres forces, serait-ce un recul ou la continuation du recul ? Non, c’est déjà une certaine victoire. Si nous avions, il y a dix ans, une production représentant 10 % de celle d’avant-guerre, et si nous atteignons aujourd’hui presque le niveau d’avant-guerre, est-ce la continuation du recul ou une marche en avant ? C’est indiscutablement une marche en avant. Mais parler de nos succès signifie-t-il un recul ? Si tous nos camarades, y compris Zinoviev, parlent des succès de la construction socialiste, cela signifie-t-il que nous reculons ? Ou peut-être cela signifie-t-il que nous renonçons à la NEP ? Nous ne renonçons pas à la NEP, mais nous glissons sur les rails de la NEP, mais nous avons mis fin au recul et au piétinement sur place, nous marchons en avant !

Camarades, le fait que 95 % de notre grande industrie se trouve entre les mains de notre Etat, que nous avons chassé du grand commerce le négociant privé et que nous commençons à le battre dans le petit commerce, moins vite peut-être que nous le voudrions, n’est-ce pas une victoire dans la lutte des classes ? Naturellement. N’est-ce pas une marche en avant ? Naturellement. Avons-nous détruit la NEP ? Non ! Alors que signifie cela ? Cela signifie que nous marchons en avant dans les voies de la NEP.

Cela signifie que nous n’avons pas supprimé le « commerce libre ». Nous tolérons le commerce privé, nous ne retournons pas au système des réquisitions forcées, nous ne retournons pas à un système prohibant à tous le commerce et produisant par suite le commerce clandestin, nous ne retournons plus à l’établissement des prix maxima, etc. La nouvelle politique économique n’est donc pas seulement un recul. Lorsqu’en 1921 nous considérions que la NEP était un recul, c’était très compréhensible. Si l’on le trouve réellement en recul, pourquoi crier : nous avançons ! Il est mieux d’entreprendre la retraite en bon ordre. Nous disions alors que nous devions battre en retraite en bon ordre et que quiconque sème la panique doit être fusillé. Entonner un chant de victoire aurait été alors une folie.

Mais maintenant que cette période a été traversée, ce serait également une folie de crier que nous reculons alors que nous avançons. Parler de recul dans une marche en avant peut être très modeste, très vertueux et conduire au paradis tout droit, mais il est permis de douter que ce soit prudent.

Si nous considérons la chose de cette manière, la caractéristique de la NEP, la représentant seulement comme un recul, ne vaut rien. Il y eut en elle un grand élément de recul et un élément de regroupement des rangs. Il y eut une période de piétinement sur place, ou Lénine proclame : Apprenez le commerce ! Aucun de nos fonctionnaires économiques ne comprenait quelque chose au commerce. Faire du commerce, était une folie pour un communiste. On a d’abord longuement réfléchi, puis on a convenu qu’il était toujours nécessaire d’apprendre le commerce. Vous savez tous combien de temps nous avons mis pour l’apprendre. Le capital privé a pénétré au début dans toutes les fissures de notre organisme économique et nous a beaucoup profité. Mais nous piétinions sur place et nous avons vu comment on nous dérobait notre dernier avoir dans les magasins. Ce temps est également passé. Nous avons chassé le négociant privé du grand commerce, c’est notre victoire et notre marche en avant. Le fait que nous le repoussons du grand et du petit commerce est également notre triomphe.

Notre base économique s’est-elle complètement consolidée ou non ? Aucun homme raisonnable ne peut en douter. Dans le langage de la stratégie et de la tactique, cela veut dire que nous marchant déjà en avant. La définition de la NEP simple recul est liée à l’idée de l’impossibilité de construire le socialisme dans notre pays, à cause de notre retard technique. Si l’on ne croît pas à cette possibilité, de quelle marche en avant peut-on alors parler ? L’un est intimement lié à l’autre.

Deuxième point de la question de la NEP : les camarades prétendent que la NEP est une concession déterminée uniquement par le retard de la Révolution internationale, et qu’elle n’a été introduite que pour donner le temps de respirer. Que dieu fasse que nous survivions à cette période et que nous puissions respirer plus librement et tout renverser, si la Révolution internationale vient. Mais si l’on dit que la NEP a été introduite chez nous, surtout à cause du retard de la Révolution internationale, je ne suis absolument pas d’accord et je ne comprends même pas comment une telle idée peut être conçue.

Figurez-vous que la révolution internationale ait vaincu ! Introduiriez-vous de suite les réquisitions forcées ? Croyez-vous peut-être que, si le prolétariat international se hâte de venir à notre aide avec des machines, etc., notre premier acte sera de retourner aux réquisitions forcées ? Ce serait la plus grande folie. Nous recevons de l’aide technique aussi bien qu’économique ; quel en sera le résultat ? Le résultat sera que nous avancerons plus vite sur la voie de la NEP, que nous battrons plus vite les commerçants privés sur le terrain de la NEP, que nous atteindrons plus vite le socialisme. S’il nous faut peut-être 50 ans pour pouvoir grouper la classe paysanne dans les coopératives sans l’aide de la Révolution internationale, nous pourrons peut-être, avec son aide, accomplir cette tâche en 10, ou 20 ans, car nous pourrons donner plus de machines au paysan, effectuer plus vite notre électrification, organiser plus vite et mieux notre approvisionnement en marchandises, battre plus vile le capital privé par le marché, par la concurrence.

La NEP signifie qu’il y a des rapports marchands, un achat et une vente. Ces rapports ne disparaitront-ils pas une fois ? Oui, ils disparaitront sous le socialisme, lorsque toute la classe paysanne sera groupée dans les coopératives et liée étroitement à l’industrie d’Etat, et que tout cela reposera sur la base de l’électrification. Naturellement, le marché disparaîtra, on recevra tout par voie de la répartition, on ne distribuera pas des harengs salés, mais des produits de première qualité. Le marché disparaitra, non pas parce que nous fermeront toutes les boutiques, mais parce que la petite économie sera alors complètement organisée, elle se transformera, de petites unités économiques privées, en de grandes unités sociales de production. Après la Révolution internationale, ce procès sera accéléré, notre industrie croitra plus vite, nous donnerons plus de machines à la classe paysanne, les coopératives se développeront plus rapidement et l’électrification deviendra une réalité. Nous franchirons beaucoup plus vite toutes ces étapes et nous progresserons rapidement sans retourner au communisme de guerre. Par conséquent, la qualification de la NEP comme politique basée sur le retard de la Révolution internationale, est inexacte. On ne doit pas poser ainsi la question. Troisième question : la NEP représente-t-elle une politique que le prolétariat ne mène que dans un pays petit paysan ou une politique que l’on ne doit pas pratiquer que dans un pays petit paysan ? Nous prétendons que l’on ne doit pas faire cette politique que dans un pays petit paysan, mais dans tout autre pays, même en Angleterre. Nous ne défendrons pas tout commerce — il existera encore longtemps — car il n’existe pas un seul pays ou il n’y ait que de la grande industrie. Il y a des pays plus développés, où la classe paysanne ne représente qu’un infime pourcentage de la population : ces pays traversent naturellement plus vite leur période de NEP et arriveront plus vite au socialisme intégral. Cela ne signifie pas que nous emploierons alors les méthode» du communisme de guerre. Je crois que nous avons réalisé une grande conquête, non seulement théorique, mais aussi pratique, lorsque nous avons fait comprendre à tous les partis étrangers que la NEP, selon les paroles de Lénine, « représente la seule politique économique du prolétariat » que doit introduire tout pays où le prolétariat est arrivé au pouvoir. Nous avons exposé aussi cette vérité du léninisme au congrès de l’Internationale Communiste. Nous n’avons donc pas introduit la NEP simplement pour nous permettre de respirer, mais parce qu’elle est la seule politique économique exacte du prolétariat.

Les camarades qui nous sont opposés disent souvent que nous identifions la NEP avec le socialisme. Les menchéviks le disent d’ailleurs aussi dans le dernier numéro du Messager socialiste. Je prétends qu’ils peuvent à peine trouver parmi nous quelqu’un qui soit assez fou pour identifier la NEP avec le socialisme.

Le socialisme est un ordre déterminé, mais la NEP est — en premier lieu — une politique. Deuxièmement, si l’on comprend sous le nom de NEP ce système économique qui existe chez nous, y compris le koulak, le petit paysan et le paysan moyen, notre industrie d’Etat ainsi que ces gens qui mènent une vie patriarcale, il serait fou de nommer tout cela du socialisme. Personne d’entre nous ne dit que des enfants abandonnés représentent une incarnation du principe socialiste.

Il ne faut cependant pas déduire de cela que nous ne considérions la NEP que comme un recul du socialisme ; nous devons dire ouvertement que la NEP, comme tout autre politique, renferme en elle d’immenses dangers. Mais nommez-nous, sur notre globe chargé de péchés, une politique qui ne cacherait en elle aucune sorte de périls ? C’est ainsi que la NEP porte en elle de grands dangers : La NEP permet une renaissance partielle du capitalisme. Chaque imbécile sait aujourd’hui que le capitaliste est notre adversaire et que nous devons le combattre. On doit le répéter, parfois avec plus de force, quelques fois plus doucement. Il est absolument vrai que nos fonctionnaires économiques ont très souvent à faire avec leur entourage capitaliste ; dans leur psychologie, se reflètent parfois des courants qui sont loin d’être prolétariens. Mais n’en avons-nous pas parlé deux cent mille fois, ne voyons-nous pas ces dangers ? Evidemment, nous le voyons ! Qu’exige de nous cette lutte contre ces dangers ? Beaucoup ! Mais alors, proposez donc des mesures concrètes pour la lutte contre le bureaucratisme, pour une juste politique des prix, pour le règlement du commerce intérieur, pour la ligne politique du Parti exacte, pour la commission de contrôle, etc. L’existence de dangers sérieux, le caractère contradictoire de notre économie, etc., ne constituent pas une raison suffisante pour ne traiter la NEP que comme un recul ou une maladie secrète dont on doit rougir. Comment peut-on avoir honte d’une politique que Vladimir Ilitch appelait la « seule politique économique exacte du prolétariat ». Nous ne devons pas avoir honte de ce que la NEP existe chez nous, mais de ce que nous avons souvent travaille trop peu sur la base de la NEP et écarté trop lentement les capitalistes privés, de ce que nous n’avons pas entrepris tout ce qu’exigeait la lutte contre 1es côtés négatifs du commerce libre et contre toutes les irrégularités qui existent chez nous, contre le bureaucratisme, etc.

Mais c’est tout autre chose. On doit pouvoir distinguer l’un de l’autre. Je dis pour la millième fois que nous ne devons pas déroger du principe de la NEP, que nous devons avoir une ligne ferme. L’affirmation que nous devons marcher en avant, sur la voie de la NEP, correspond pleinement à la réalité, mais en même temps, nous devons crier continuellement : avançons plus vite, travaillons un peu mieux, développons plus rapidement les éléments socialistes de notre économie, battons comme il faut les capitalistes privés, chassons la bureaucratie de nos institutions.

Il faut que cela soit fait, afin qu’il ne puisse se faire qu’il n’y ait pas de marchandises dans les coopératives et qu’il y en ait chez les marchands. Il faut arriver à obtenir que les coopératives vendent meilleur marché, qu’elles soient épurées des voleurs et des escrocs. Il y a des milliers de mesures à prendre, qui amèneraient la suprématie de notre système économique sur le capitalisme. Si on parle ainsi, c’est juste, c’est objectif. Mais si on va aux ouvriers et qu’on leur dise que c’est le recul, alors on mine la croyance en la seule vraie politique économique du prolétariat, et on rend possible que des couches inconscientes de la classe ouvrière, que les nouvelles couches de la classe ouvrière (qui proviennent en partie des classes pauvres des villages) élèvent la voix dans une certaine mesure contre la nouvelle politique économique, en général. Mais si on doit s’écarter d’une manière quelconque de la NEP on ne peut que revenir au communisme de guerre. Il n’y a pas d’autre possibilité. Mais nous n’avons pas besoin de nous détourner de la NEP, nous avons besoin de marcher en avant et plus vite, d’augmenter les éléments socialistes de notre économie, pour arriver à une plus rapide victoire sur le capitalisme privé. Mais ça, c’est une autre affaire, il s’agit de surmonter les difficultés auxquelles nous nous heurtons sur la base de la NEP, auxquelles nous nous heurterons encore longtemps et que nous ne surmonterons qu’avec de grands efforts. Mais, en même temps, nous devons comprendre que, si nous minons la croyance que nous sommes dans la bonne voie, nous n’arriverons pas à guérir ces foyers de maladie, mais que nous empirerons le mal, au contraire. Nous surmonterons ces difficultés d’autant plus vite que les couches d’avant-garde de la classe ouvrière seront plus convaincues que nous sommes tous ensemble, dans la bonne voie. C’est à cette condition seulement que nous pourrons guérir nos infirmités et vaincre le capital contre lequel nous luttons. Si cette condition n’est pas remplie les piliers de soutènement de notre politique s’effondreront et nous n’aurons plus une vue juste des événements. Et sans cette vue juste il est impossible de diriger le prolétariat, l’Etat, le pays.

A propos de notre industrie d’Etat[modifier le wikicode]

Camarades ! J’ai d’abord traité de la question la plus générale, celle de la possibilité de l’établissement du socialisme et de son développement dans un seul pays ; puis celle plus étroite de la NEP. Je passerai maintenant à la question encore plus étroite du caractère de notre économie, en particulier de notre industrie d’Etat, en corrélation avec la question du capitalisme d’Etat.

Pourquoi cette question s’est-elle- présentée maintenant parmi nous et s’est-elle présentée pour les mêmes motifs que la question de la possibilité du développement du socialisme dans un seul pays et que la question de l’estimation d’ensemble de la nouvelle politique économique.

Ces motifs, on peut les formuler brièvement comme suit : de nouvelles couches de la population affluent dans la classe ouvrière, le village fournit de nouveaux groupes d’ouvriers. C’est un matériel humain encore intact, pour ainsi dire de la « matière brute » qui n’a pas encore été travaillée par la vie des villes, par l’opinion publique prolétarienne, par les syndicats, les diverses organisations ouvrières, les clubs, etc. Ces nouvelles couches du prolétariat surtout, mais naturellement pas seulement elles, se posent la question : qu’est-ce que la NEP ? Ne nous mouvons-nous pas dans une direction quelconque, excepté vers le socialisme ! Elles demandent aussi quel est le caractère de notre économie dans son ensemble, mais, en premier lieu, de notre industrie d’Etat.

Si on demande, au sens rigoureux, si notre industrie d’Etat répond au socialisme, et si on veut donner une formule absolument précise, on est obligé de dire qu’en vérité, on ne peut pas poser la question de cette manière, car, par socialisme nous entendons un ordre de choses dans le quel toute l’économie est organisée. Et de ce point de vue, on ne peut pas dire, au sens strict du mot, qu’une parcelle quelconque de l’économie est du socialisme. Socialisme est une notion qui s’applique à l’économie dans son ensemble. Si, chez nous, l’économie entière était organisée sur le principe de la possession en commun des moyens de production, cela serait le socialisme. Cela veut dire que si nous parlons de notre industrie d’Etat, nous emploierons le mot socialisme dans un sens relatif, appliqué à une partie de l’économie. Maintenant de quoi s’agit-il dans ce débat ? Je traiterai cette question comme j’ai traite précisément les deux autres. Mais, avant tout, je veux mentionner de quelle manière nos ennemis considèrent la chose.

Nos adversaires, dans le camp des mencheviks, des s-r, etc. nient littéralement la possibilité du développement du socialisme dans un seul pays. Parlant de la NEP, ils disent que c’est du capitalisme et rien d’autre. Que disent nos adversaires au sujet de notre industrie d’Etat ? Ils disent quelle n’a même pas la moindre odeur de socialisme. Les menchéviks disent, par exemple, que la classe ouvrière, aujourd’hui, est exploitée par l’Etat qui n’est pas le moins du monde un Etat prolétarien. A leur avis, l’Etat est patron et exploiteur, les entreprises d’Etat sont des entreprises capitalistes d’Etat, ou plus simplement capitalistes ; de socialisme, il n’est pas question C’est ainsi que nos ennemis présentent la question

Lénine donne la définition suivante de nos entreprises d’Etat : ce sont des entreprises de caractère socialiste conséquent. Quel point de vue adoptent dans cette question les camarades de la nouvelle opposition ? Ils hésitent entre ces diverses définitions ; l’une va presque jusqu’à nommer nos entreprises d’Etat des entreprises capitalistes d’Etat, les autres adoptent un point de vue intermédiaire. C’est seulement après un certain temps, après notre attaque, après toute une période de discussion, qu’ils considèrent avec Lénine, avec nous tous, nos entreprises comme des entreprises de type socialiste conséquent. Je ne citerai pas ici tout ce que le camarade Salutski a écrit, ce que le camarade Yevdokimov a dit, ce que le camarade Zinoviev a écrit dans son livre sur le « léninisme ». Je ne veux pas citer à nouveau tout ce qui a été cité dans les discours prononcés à l’assemblée du Parti, et aussi dans les réponses écrites du comité de Moscou, faites à la déclaration de la conférence de Leningrad. Tout cela doit vous être connu à satiété. Je me permettrai pourtant de citer une définition qui appartient au camarade Kamenev, et qui est extraite de son discours prononcé au Congrès du parti. Je le fais parce qu’à mon avis, la définition de Kamenev est énoncée de façon très prudente, mais que d’autre part, elle est inexacte et qu’elle s’écarte de la définition donnée par Lénine de notre industrie d’Etat.

Le camarade Kamenev dit mot pour mot :

« En ce qui concerne les conditions de propriété, nos entreprises d’Etat sont socialistes, en ce qui concerne les hommes, elles ne le sont pas encore »

Qu’est-ce que cela signifie ? Je crois que cette définition n’est pas marxiste, qu’elle ne répond pas à la réalité et que, par suite, elle est inexacte.

Que veut dire le camarade Kamenev avec cette définition ?

Il veut dire cela en tant que le propriétaire des moyens de production, des bâtiments de la fabrique, des machines et de l’outillage, en général, est l’Etat prolétarien, en tant que la question de propriété est résolue de telle sorte que la possession est entre les mains de la classe ouvrière, les entreprises en question sont socialistes. Mais, considérées du point de vue des rapports entre les hommes, ces entreprises ne sont pas socialistes. Je suis obligé de dire que cette prétendue opposition ne résiste pas à la moindre critique. Qu’est-ce donc que la propriété ? Jusqu’à présent, nous autres marxistes, nous avons tous vu que la propriété consiste en l’existence de certains rapports entre les hommes. Cela, Marx lui-même l’a souvent déclaré dans ses discussions avec les économistes bourgeois. Que signifie le droit de propriété, et qu’est-ce que cela signifie si l’on dit que le droit de propriété appartient aux ouvriers ? Cela signifie que le classe ouvrière, considérée dans son ensemble, est, dans une certaine situation, par rapport à ses membres et dans une certaine situation, par rapport à d’autres hommes, à d’autres choses.

Et si nous disons que le droit de propriété des moyens de production, des usines, etc., appartient à la classe ouvrière, cela exprime l’existence de certains rapports entre le prolétariat et la bourgeoisie, cela signifie que la bourgeoisie n’a aucun droit sur ces moyens de production et par suite, se trouve vis-à-vis de la classe ouvrière dans la situation qui découle de ce fait. Est-ce donc que la propriété serait l’existence des rapports entre l’homme et les choses ? Pas le moins du monde. C’est un point de vue désuet, n’a rien de marxiste. Si un homme, sur une ile déserte, se trouve dans une certaine situation par rapport aux choses, comment appellera-t-on cela ? Ici, la question de la propriété, du droit de possession, ne se pose même pas. Ces questions ne se posent qu’à l’occasion des rapports entre hommes, rapports qui ne font que se refléter dans leurs rapports avec les choses.

Si nous reconnaissons que la question de la propriété se rapporte aux rapports des hommes entre eux — et cela tout homme ayant une formation intellectuelle marxiste est oblige de le reconnaître — il s’ensuit que nous devons repousser cette opposition dont parle le camarade Kamenev.

C’était la première observation.

Une deuxième observation : Comment Karl Marx qui lui, j’espère, ne s’écarte pas de la thèse juste, comment définit-il le « genre de production ». Il distingue différents genres de production, d’après la classe entre les mains de qui se trouve la propriété des moyens de production. N’est-il pas ainsi ? Qu’est-ce qui distingue le genre de production féodal ? Qu’est-ce qui distingue le genre de production capitaliste du genre de production socialiste ? La différence réside dans les rapports où les hommes sont entre eux, en corrélation avec la question de la propriété des moyens de production. N’en est-il pas ainsi ? Jusqu’à présent, nous avons pensé ainsi, et c’est ce caractère qui a été considéré comme décisif. Si ce caractère est le caractère décisif, il s’ensuit naturellement que, si nous nous trouvons en présence de la question de savoir si nos entreprises ont un caractère capitaliste, capitaliste d’Etat, ou socialiste, l’élément décisif, c’est de savoir en quelles mains se trouve la propriété des moyens de production.

Si quelqu’un soutient que le prolétariat a entre les mains la propriété des moyens de production, il a, par là même, répondu à la question concernant le caractère socialiste de nos entreprises.

Une troisième remarque : la deuxième question posée est justifiée dans une certaine mesure et correspond dans une certaine mesure, à un réel problème. Cette question est la suivante. Est-ce que les rapports entre les ouvriers, à l’inférieur de la fabrique, sont complètement socialistes, ces rapports sont-ils, ou non, tels qu’ils devraient être dans une société où le socialisme aurait atteint son complet développement ? En toute honnêteté, il faut aussi poser cette question. Et je réponds : Non, pas entièrement ! Pourquoi ? Parce que dans l’état de complet développement du socialisme, il n’y aura pas d’administrateurs ni administrés. Dans cet état de choses, comme le dit Engels, ce sont les choses qui seront administrées et non les personnes ; c’est-à-dire qu’il n’y aura plus aucune différence entre le directeur, le fonctionnaire administratif et le simple ouvrier ; entre le travail intellectuel et le travail physique, entre le travail qualifié et le travail non-qualifié. Tout cela est bel et bon. Mais je vous le demande : si nous prenons la dictature du prolétariat ou le parti, ne peut-on poser les mêmes questions ?

Je prends tout d’abord la question de la dictature du prolétariat. Considérons cette question du point de vue suivant : nous avons en mains le pouvoir d’Etat; il y a chez nous une dictature du prolétariat, un appareil étatiste. Est-ce que tous les travailleurs, sans exception, participent à ce pouvoir ? Naturellement non, pas tous. Et est-ce que ce type de pouvoir d’Etat est une dictature du prolétariat ? Naturellement, c’en est une ! Qu’en peut-on conclure ? Que chez nous tout n’est pas complètement fini et parfait, comme l’œuf l’est à Pâques. Chez nous, il s’en faut encore de beaucoup que tous les travailleurs soient appelés à participer à gérer la production. Mais faut-il, pour cela, parler de capitalisme d’Etat ? Ou bien, peut-on dire pour cela qu’il y a là les éléments d’une puissance capitaliste ? Pas le moins du monde ! Peut-on nommer la dictature du prolétariat un pouvoir dans lequel il y a un certain nombre d’ouvriers qui sont employés dans l’appareil administratif, mais qu’il y a aussi d’autres ouvriers qui n’y participent pas, et qui parfois n’ont même pas le sentiment qu’ils appartiennent à une classe dirigeante ? Je crois qu’il en est ainsi. Est-ce que c’est un mal, qu’ils ne soient pas tous appelés à participer à l’administration des affaires ? Oui, c’en est un ! Est-ce un phénomène momentané ? Oui, c’est un phénomène momentané. Faut-il combattre ce phénomène ? Oui. Est-ce que la question, ainsi posée, change quelque chose au fait que notre dictature est une dictature du prolétariat ? Ou bien n’y a-t-il peut-être chez nous pas de dictature du prolétariat, mais un mélange de dictature prolétarienne et de dictature bourgeoisie, un Etat dans lequel les capitalistes dominent à moitié ? Il est clair comme le jour qu’une telle assertion est quelque chose d’insensé ! Notre type d’Etat a été défini par Lénine [comme] le type de l’Etat soviétique prolétarien, quoique avec des déformations bureaucratiques. Mais cette dictature peut être plus ou moins complète et plus ou moins développée. Elle ne représente pas à chaque instant quelque chose de parfait, le dernier mot d’une dictature du prolétariat « idéale », et cela s’applique également à l’industrie d’Etat.

Elle est de caractère socialiste, car la question primordiale de la propriété est résolue dans le sens prolétarien. C’est la question principale, celle qui décide de tout, et si, chez nous, toute la classe ouvrière n’est pas encore appelée à participer à l’administration, s’il subsiste encore une division entre « fonctionnaires administratifs » et non-administratifs, c’est là une certaine contradiction à l’intérieur de la classe ouvrière même, mais en tout cas ce n’est pas un élément d’un état de choses capitaliste.

Il y a, à l’intérieur de la classe ouvrière, différentes catégories. Il y a chez nous, d’une part, des syndicats, d’autre part, des fonctionnaires administratifs. La classe ouvrière tire de son sein les cadres des syndicats et ceux des fonctionnaires administratifs. Dans la fabrique un ouvrier est placé au-dessus de l’autre. C’est une classification à l’intérieur de la classe ouvrière. La classe ouvrière n’est pas homogène, nous sommes en présence de problèmes extrêmement compliqués. Le devoir des fonctionnaires administratifs est de veiller à ce que l’industrie progresse. S’il fait un faux pas, le syndicat le corrige. On ne peut pas dire que c’est un état de choses tel qu’il sera dans une société socialiste ayant atteint son plein développement.

Dans le plein développement du socialisme, il n’y aura plus de parti, ni de syndicat, mais il y aura l’égalité des fonctionnaires ; la différence provenant du niveau de culture disparaitra complètement. Dans le communisme, les choses seront de telle sorte que l’on écoutera les autorités reconnues dans telle ou telle branche, comme nous écoutons le médecin, s’il nous prescrit de prendre un remède, sans faire procéder à un vote. De même que, déjà aujourd’hui, nous reconnaissons tous que Pouchkine est un grand poète, sans faire résoudre la question par un vote dans les cellules de fabrique sous cette forme : « Qui est pour Pouchkine ? Qui est contre ? »

Les rapports des hommes entre eux deviendront autres. Nous tendons vers cela, nous combattons pour cela. Mais peut-on tirer de toutes ces considérations la conclusion que chez nous il règne à l’intérieur du parti un état de choses capitaliste, que les rapports entre les fonctionnaires administratifs et les syndicats sont de nature capitaliste d’Etat, ou autres inepties ? On ne peut pas le dire. Du fait que, chez nous, pendant huit ans de dictature du prolétariat, il ne s’est pas développé entre les hommes des rapports purement socialistes dans le cadre de l’industrie d’Etat, il ne s’ensuit pas le moins du monde que ces rapports sont de nature capitaliste. Tout ce qui n’est pas encore du socialisme parfait, n’est pas nécessairement du capitalisme.

En fin de compte, il faut comprendre cette question simple, que tout ce qui n’est pas du socialisme parfait n’est pas pour cela nécessairement du capitalisme d’Etat ou une autre sorte de capitalisme, car, en dehors du socialisme absolu et du capitalisme, il y a encore toute une série d’étapes intermédiaires qu’on ne peut classer ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux catégories.

Quant à ce qui est de notre industrie d’Etat, nous voyons que nous n’avons pas le moindre motif d’admettre qu’il faut la classer dans la catégorie du capitalisme d’Etat, comme le soutiennent les camarades de la nouvelle opposition.

Je produirai maintenant une autre déclaration qui a été faite à l’assemblée du Parti, et qui n’a pas encore été citée. Je prends un extrait du discours du camarade Glebow-Avilow, qui avait demandé la parole à l’occasion du rapport du camarade Zinoviev. Il dit ce qui suit :

« En réalité, toute votre activité (il parait qu’il convient de faire une distinction entre vous et nous) depuis la 11e assemblée du parti, après qu’à cette assemblée, la résolution rédigée par Lénine eut été adoptée.... a eu pour résultat d’apporter de l’eau au moulin, non pas d’une usine socialiste, mais d’une usine capitaliste étatiste »

D’une part, par conséquent, on déclare que nos entreprises sont du type socialiste conséquent ; d’autre part, il s’avère que toute notre politique, depuis la 11e assemblée du parti, a apporté de l’eau au moulin de l’usine capitaliste étatiste. Mais oui, il y a chez nous des fabriques à caractère capitaliste, ce sont en partie les fabriques fondées par suite des concessions accordées, en partie les usines affermées, et en partie un petit nombre d’entreprises privées, toutes ces entreprises, ensemble, fournissent 5% de notre production totale. Depuis la 11e assemblée du Parti, nous sommes-nous occupés de ces 5 % ? Il n’y aurait pas un imbécile pour le croire. Ainsi le camarade Glebov-Avilov a terriblement gaffé quand il a affirmé que, par notre politique, nous-avons transformé nos entreprises d’Etat en entreprises capitalistes étatistes ! Car c’est justement depuis cette 11e assemblée du Parti qu’a commencé la réorganisation de cette industrie, qui, d’après Avilov, appartient au capitalisme d’Etat.

Plus loin, le camarade Avilov dit encore :

« Nous sommes tous d’accord sur ce point que les entreprises nationalisées sont du type socialiste conséquent. »

D’où vient tout-à-coup cette constatation ? Le camarade Avilov dit encore :

« Quels sont les rapports entre l’usine et les ouvriers ? Les contrats collectifs, chez nous, sont formés par les ouvriers, par l’intermédiaire des syndicats, avec l’administration, avec les fonctionnaires administratifs. »

Que faut-il en conclure ? Le camarade Avilov dit que de tels rapports entre les ouvriers et les fonctionnaires administratifs sont d’ordre capitaliste étatiste et non socialiste. Mais s’il en était ainsi, cela signifierait que nos fonctionnaires administratifs ne sont pas des représentants de notre classe, placés dans certains postes (et il peut arriver dans des cas particuliers qu’ils manquent à l’esprit véritable de leurs fonctions, ce contre quoi nous devons combattre) mais que 1es fonctionnaires administratifs, dans leur ensemble, forment une nouvelle classe d’exploitation, une nouvelle couche sociale capitaliste; et que, par suite, chez nous, il règne un état de choses capitaliste, car, en fait, dans nos entreprises d’Etat, les fonctionnaires administratifs ont le droit d’initiative, tandis que les ouvriers ne sont engagés que par l’intermédiaire des syndicats.

Comment poserons-nous la question en ce qui concerne les rapports entre les fonctionnaires administratifs et les syndicats, entre les directeurs rouges et les ouvriers employés ? Nous disons : la classe ouvrière n’est pas encore assez forte pour que tous les ouvriers puissent participer à l’administration ; tous les ouvriers ne sont pas au même niveau de culture, tous les ouvriers ne sont pas capables d’exercer les fonctions de directeur. Il n’y a pas un homme qui voudrait monter à la tribune et dire : « Camarades, abolissons toute l’institution des directeurs rouges et tranchons nous-mêmes toutes les questions techniques et commerciales dans les conseils d’équipes de nos fabriques. »

Chacun sait que, par là, nous arriverions à saper notre industrie. C’est pourquoi nous disons : il y a parmi nous des catégories d’ouvriers plus expérimentés, plus avancés, qui prennent pour ainsi dire comme associés une certaine partie des intellectuels, ceux qu’on appelle les spécialistes, et qu’il faut tenir dans certaines limites et nous leur disons, au nom de la classe ouvrière : Allez ! Dirigez l’affaire ! Nous savons que cette partie plus avancée de notre propre classe vit dans des conditions qui peuvent faire naître le danger de l’abâtardissement d’une partie d’entre eux. C’est un danger que nous devons combattre constamment. Nous ajoutons : le syndicaliste ne doit pas être un chien qui fait le beau devant l’administrateur et demande : « Qu’y a-t-il pour voire service ? » L’organisation syndicale doit être une organisation qui veille à ce que le fonctionnaire administratif ne dévie pas.

D’un point de vue général, ce sont là différentes parties ; si la main droite fait une faute, cette faute doit être corrigée par la main gauche. C’est ainsi que nous envisageons la question. Il y a une certaine division du travail au sein de notre classe. De cette division du travail, il résulte toute une série de dangers que nous combattons. Mais tous les différents groupes sont des membres de notre classe, ce sont nos représentants, nos organes.

Mais comment le camarade Glebow-Avilov présente-t-il cette question ? Tout autrement.

Il traite les rapports entre les fonctionnaires administratifs et les ouvriers employés de rapports capitalistes et tout le reste s’ensuit. Il y a parmi nous naturellement, une catégorie arriérée de la classe ouvrière. Cette catégorie est moins qualifiée, et par suite, elle est la plus mal payée. Ces ouvriers, payés le moins bien, surtout s’ils viennent dans la fabrique comme nouveaux ouvriers, commencent par crier : Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est presque comme dans l’ancien temps. J’ai une famille de 5 personnes, et je touche de 30 à 40 roubles. C’est une vie de chien ! Que disons-nous d’habitude à cet ouvrier ? Nous lui disons : Nous tâcherons d’augmenter ton salaire dans la mesure du possible. Mais, pour le moment, nous ne pouvons pas l’augmenter de beaucoup, car nous nous trouvons dans telle et telle situation. Nous lui disons : Le seul moyen expédient réside dans le développement de notre industrie, nous nous sommes déjà éloignés du niveau des années de famine, nous avons atteint déjà certains résultats satisfaisants. « Si tu dis, — disons-nous à un de ces ouvriers arriérés — que tu es exactement exploité comme avant, c’est que tu confonds la « mauvaise vie » avec la vraie notion d’exploitation. Et, en effet, quand jadis le capitaliste t’exploitait, quand il t’écorchait, il s’est engraissé du produit de cette exploitation, il a édifié pour lui de nouvelles usines. C’est-àdire que le produit de ton exploitation s’en allait dans les mains d’une autre classe, d’une classe ennemie. Mais aujourd’hui ta misère — notre commune misère — ne provient pas de ce que la plus value de ton travail s’en va aux mains d’une classe ennemie et dominante, mais de ce que notre niveau de vie à tous est bas. »

Je me rappelle qu’en 1918, nous avons du discuter les questions suivantes. Je prends comme exemple une troupe de partisans qui combat contre la contre-révolution, les soldats sont en haillons, n’ont pas de souliers. Celle troupe a un chef qui l’envoie au combat, à la mort. Elle lui obéit. Ils sont tous mangés de vermine, affamés, grelottants de froid, mais ils se battent quand même. Que serait-il si l’un de ces partisans avait dit : « Qu’y a-t-il donc de changé ? Dans l’ancienne armée aussi, on nous a jetés dans la bataille, aujourd’hui, c’est la même chose ! Et même dans l’ancienne armée, nous avons mieux vécu que dans l’armée actuelle. » Pouvaient-ils parler ainsi ? Oui, nous savons que, non seulement ils pouvaient parler ainsi, mais qu’ils l’ont fait réellement ; et tous les contre-révolutionnaires ont appuyé ces discours. Mais c’était une erreur de la part de ces partisans ; car les buts que poursuivait l’ancienne armée et ceux que poursuivent nos troupes de partisans diffèrent essentiellement.

Et quelle est la situation dans notre industrie ? Nous luttons aujourd’hui contre le monde capitaliste, nous ne pouvons pas obtenir tout d’un coup ce résultat que le sort de tous les travailleurs soit amélioré, nous ne pouvons pas encore envoyer tous les ouvriers dans les universités, nous ne pouvons pas encore appeler tous les ouvriers à participer à l’administration des affaires économiques, nous ne pouvons pas encore donner à tous les ouvriers des salaires égaux. Nous nous rapprochons d’un tel état de choses. Tout notre effort est dirigé dans ce sens. Nous formons un certain nombre d’ouvriers dans les universités, d’autres sont instruits par les conférences de production, nous les faisons « avancer », nous les plaçons dans des postes de confiance où ils ont des responsabilités. Nous faisons cela peu à peu. Pourrions-nous donc procéder autrement, étant donné notre pauvreté et notre ignorance, pour éduquer les masses dans l’esprit socialiste ? Naturellement non.

Et maintenant, si nous disions à un de ces ouvriers qui touche un salaire minime, qui est mécontent de sa vie, qui dit qu’il n’y a pas grande chose de changé chez nous, si nous lui disions : C’est vrai, il n’y a pas grand-chose de changé, est-ce que par là, nous lui donnerions un esprit socialiste, est-ce que par là, nous servirions la cause du socialisme ? Ce n’est pourtant en vérité qu’en marchant vers le socialisme que nous pourrons améliorer la situation des ouvriers mal payés. Il n’y a pas d’autre chemin pour aller au but. Si nous voulons nous faire bien voir d’un de ces mécontents, en l’approuvant dans ses erreurs nous sapons la dictature du prolétariat. Il est toujours plus difficile de dire : « non » à un homme qui a faim que de lui dire: « oui ». Ne devons-nous donc dire que les choses faciles ? Quelquefois, nous devons dire aussi des choses très difficiles. La question de l’exploitation est intimement liée à celle du capitalisme étatiste dans l’industrie d’Etat, cette question qui est devenue une des plus brûlantes pour des ouvriers. Car l’ouvrier qui n’a pas encore l’esprit cultivé socialistement croit habituellement que, s’il ne vit pas bien, c’est nécessairement qu’il est exploité. Dans la réalité, il s’en faut de beaucoup qu’il en soit toujours ainsi ; et nous devons expliquer à l’ouvrier qu’il est exploité si la plus- value de son travail va dans les mains d’une classe ennemie et dominante. Mais si cette plus-value va dans les mains de l’Etat prolétarien, qui fait son possible pour améliorer le sort de l’ouvrier — ce qui ne le garantit pas toujours de se tromper dans ses calculs et de faire des fautes — si cette plus-value afflue dans les caisses du fonds d’accumulation socialiste, ou bien est employée au profit des écoles, des hôpitaux, de l’armée rouge, ou pour les caisses de crédit aux petits agriculteurs pauvres - ce qui, en définitive, jouera un rôle dans le développement de notre industrie d’Etat, tout cela n’est plus de l’exploitation. Tout notre malheur est que nous n’osons pas dire la vérité et c’est une circonstance dont la démagogie tire parti très souvent. Si un ouvrier dit tout à coup : Qu’est-ce que c’est que ce socialisme-là ? En Amérique, un ouvrier touche un salaire bien plus élevé que dans notre industrie d’Etat ! Plus d’un camarade n’ose pas lui dire — et pourtant il n’y a pas à en avoir peur — que notre socialisme est encore un socialisme pitoyable. Notre appareil administratif fonctionne encore quelquefois dix fois plus mal que l’appareil administratif bourgeois. Pourtant, nous ne sommes pas disposés à abandonner nos positions à la bourgeoisie et à dire que notre Etat est un Etat capitaliste. Notre industrie est encore plus pauvre que l’industrie bourgeoise ; mais son caractère est socialiste et nous ne l’abandonnerons pas à nos ennemis sans combattre jusqu’à la mort.

Chacun sait que nous gouvernons dans une nouvelle direction, que le socialisme, en fin de compte, nous assurera une vie beaucoup plus riche que le capitalisme parce que le socialisme représente une méthode de production beaucoup plus parfaite. Le capitalisme est parvenu au déclin de sa vie, c’est un vieillard ; chez nous, par contre, il y a un socialisme qui est seulement en germe.

Notre enfant grandira et montrera sa force. C’est ainsi que nous devons expliquer la situation aux ouvriers encore arriérés. Si nous ne lui expliquons pas cela, si nous ne l’éduquons pas, mais que nous laissions s’affaiblir sa foi dans la possibilité de développement du socialisme, sa foi en la possibilité de la domination des soviets — que pouvons nous espérer ? Car notre principal appui, c’est notre industrie ; et si notre industrie n’est pas socialiste, nous représentons des tendances capitalistes, et nous nous appuyons sur un état de choses capitaliste.

L’ensemble de l’économie et la lutte pour la classe paysanne[modifier le wikicode]

Il ressort de tout cela que notre économie, dans son ensemble, est socialiste, d’après son type. La question du caractère de notre industrie d’Etat et celle de l’ensemble de notre économie sont deux questions différentes. Si nous mettons en tas nos entreprises d’Etat, nos entreprises privées et nos économies paysannes — comment nommerons-nous cet ordre, dans son ensemble ? La camarade Kroupskaïa pense, par exemple, qu’il s’agit d’un capitalisme que nous tenons dans les fers. Elle dit que la NEP est du capitalisme. Mais si la Russie est une Russie de la NEP et si la NEP est du capitalisme, nous vivons donc dans la Russie capitaliste et notre ordre est capitaliste. Il ne peut pas avoir ici d’échappatoires.

Nous ne sommes cependant pas d’accord pour appeler l’ensemble de notre économie un capitalisme que nous tenons dans les fers. Notre économie est une économie de transition, composée de divers éléments. Lénine en énumérait cinq : l’économie patriarcale, capitaliste privée, petite bourgeoise, capitaliste d’Etat et socialiste. En 1920/21, le rapport entre ces divers éléments était tout autre qu’aujourd’hui. Auparavant, notre industrie socialiste tenait une moindre place dans tout ce système ; non seulement, elle n’était pas en tête pour diriger l’économie, mais notre village ruiné a encore plus ruiné notre industrie. Comment cela s’exprima-t-il ? Nous avons épuisé le capital de fondation de notre industrie, les ouvriers ont enlevé de nos fabriques diverses parties intégrantes en cuivre et tout ce qu’il était possible d’enlever, tout cela et beaucoup d’autres choses encore, telles que gramophones, miroirs, fragments de miroirs, etc. furent échangés contre un morceau de pain ou un sac de pommes de terre. C’est un fait, et le rapport entre les divers éléments de notre économie était tel que notre industrie perdit l’une après l’autre des positions, et fut réduite à une situation presque microscopique. Elle était une entité économique insignifiante. Nous vivions de nos anciens stocks et nous les avons épuisés.

Quel est aujourd’hui le rapport entre les différentes parties de notre économie ? Je crois que, tout le monde reconnaîtra qu’il est tout autre. Notre industrie ne se meut plus dans la direction de la liquidation totale. Au contraire, elle devient de plus en plus l’élément dirigeant de toute l’économie nationale. Le rapport entre les divers éléments et systèmes économique est actuellement tout autre qu’autrefois. La prédominance de notre industrie s’est fortement accrue. Je ne vous citerai pas les chiffres généralement connus de notre Commission du Plan Economique : chaque ouvrier sent lui-même la croissance de notre industrie. Il y a chez nous deux grands cercles économiques fondamentaux : l’industrie d’Etat socialiste et l’économie paysanne petite-bourgeoise, en premier lieu, la simple économie des marchandises.

On croit très souvent que ce qui n’est pas socialiste doit être capitaliste. Je demande alors : l’économie paysanne, dans son ensemble, est-elle une grandeur capitaliste ou non ? Beaucoup croient qu’elle est capitaliste. Tous les marxistes — y compris Marx lui-même, et Engels, et Lénine — ont compris qu’entre la simple économie des marchandises, c’est-à-dire une économie qui s’occupe bien de commerce, mais n’exploite aucun travail salarié, et l’économie capitaliste qui « travaille » en vue du profit et se base sur le travail salarié, il doit y avoir une différence. Si nous parlons des classes, la petite bourgeoisie naine correspond à l’économie marchande, et la grande bourgeoisie, classe principale du capitalisme, correspond à l’économie capitaliste.

Ce sont deux choses différentes : on doit enfin comprendre cette vérité élémentaire. Naturellement, en doit maintenir que, dans les rapports du commerce libre dans la simple économie des marchandises, il y a toujours la tendance à produire des rapports capitalistes, et qu’une partie de la simple économie des marchandises, si elle grandit et n’est pas enrichie de nouveaux outils et de nouveau matériel, mais introduit aussi le travail salarié, devient capitaliste. Par suite, sur le terrain du commerce libre, la simple économie des marchandises, l’économie paysanne et en premier lieu l’économie du paysan moyen — a la tendance à se transformer en économie capitaliste, en se divisant en petits capitalistes, koulaks, etc.... Nous devons alors avoir devant les veux la question suivante, extrêmement importante pour le traitement de tout le problème, car l’une est liée à l’autre. Sous la dictature du prolétariat, la simple économie des marchandises doit-elle se transformer inévitablement ou non, dans son développement, en une économie capitaliste ? C’est ainsi qu’il faut poser la question. Toute la masse des simples producteurs de marchandises, c’est-à-dire la classe paysanne moyenne qui se livre au commerce, mais n’emploie pas de travail salarié, doit-elle absolument se transformer, soit en prolétaires, soit en koulaks, ou bien ce développement n’est-il pas inévitable, dans notre situation ? C’est là une des questions fondamentales de l’économie de notre période actuelle. Ces camarades qui regardent toujours en arrière et qui ne se donnent pas la peine de réfléchir aux changements qui se sont produits ces dernières années, ne croient pas qu’il puisse y avoir d’autre développement que le développement capitaliste. Commerce libre signifie d’après eux capitalisme et pas autre chose. Le camarade Zinoviev et beaucoup d’autres l’ont souvent répété. Au sens immédiat du mot, c’est complètement inexact ; mais il est exact que, dans la situation du commerce libre, le capitalisme se produit toujours sans cependant que le commerce libre soit en lui même du capitalisme.

Je cite ici, comme au Congrès, quelques exemples : Si une de nos entreprises nationalisées achète d’une autre des machines sur la base du commerce libre, est-ce là du capitalisme ? Non, ce n’est pas là du capitalisme, mais une forme commerciale particulière et originale du rapport entre des entreprises socialistes Ce n’est écrit dans aucun livre, mais il en est ainsi. Si un paysan n’occupant aucun ouvrier salarié achète quelque chose à notre industrie d’Etat sur la base du commerce libre, est-ce du capitalisme ? Non. Mais si, sur la base du commerce libre, un paysan se ruine et l’autre s’enrichissant, commence à employer des ouvriers salariés, c’est déjà du capitalisme. La question est donc beaucoup plus compliquée que certains ne le pensent.

Je crois-que le principal problème de notre politique économique consiste en ceci : nous disons que nous combattons pour la classe paysanne. Qu’est-ce que cela veut dire au point de vue économique ? Cela veut dire qu’avec l’aide de notre industrie d’Etat, nous employons toutes nos forces pour conduire la grande masse des simples producteurs de marchandises, hors de la voie capitaliste, au socialisme. Le koulak combat pour pousser le paysan moyen dans la voie capitaliste, mais nous, nous luttons pour l’arracher à l’influence du koulak et lui assurer la possibilité de se développer hors de la voie capitaliste. C’est ainsi que se pose aujourd’hui la question.

Sous le capitalisme, sous la dictature de la bourgeoisie, c’était absolument impossible, car tout le système des relations, à commencer par le code et les organes économiques les plus importants, se trouvait entre les mains de la bourgeoisie qui n’était intéressée exclusivement qu’au développement de la situation capitaliste. Mais toute notre industrie, les organes économiques d’Etat, le code, etc. poursuivent, dans la lutte contre le koulak, le but principal d’arracher à son influence le paysan moyen, et à faciliter à ce dernier, dans les mesures où les forces lui manquent pour le faire, son développement en dehors de la voie capitaliste. Il n’est pas inutile de mentionner ce que Lénine disait des pays coloniaux. Il disait des pays coloniaux qu’avec l’aide de la classe ouvrière des pays vainqueurs et avec l’appui de cette classe, ils pouvaient éviter la route capitaliste et passer à un développement socialiste. A-t-il écrit cela ? Oui, il l’a même formulé en thèse. Notre classe paysanne est aussi un tel pays par rapport à notre industrie.

Nous devons employer nos forces, nos ressources, notre volonté, nos énergies et diriger notre politique de telle façon que nous détournions le paysan moyen de la voie capitaliste, avec l’aide de l’industrie d’Etat, et que nous le séparions du koulak. Nous pouvons le faire par le groupement en coopératives, en sociétés pour l’approvisionnement en machines, par l’électrification, etc. C’est de notre devoir. C’est là que se trouve le sens de la lutte pour le paysan moyen. Notre tâche consiste à livrer sur ce front un combat acharné contre le koulak pour conduire les simples producteurs de marchandises du chemin du développement capitaliste à celui du développement socialiste. Dans son essence, la répartition des forces des classes est la suivante : Le prolétariat est une classe représentant une forme économique spéciale : la forme socialiste de l’entreprise ; à cette catégorie appartiennent l’industrie d’Etat et les postes de commandement. Notre principal contractant est la classe paysanne, en premier lieu le paysan moyen, en tant qu’allié, et les paysans pauvres, sur lesquels nous nous appuyons. Notre adversaire principal est, dans les villes, le capitaliste privé allié au koulak. Nous autres prolétaires, nous combattons contre le koulak et contre le capitaliste pour la masse principale de la classe paysanne, pour les paysans moyens, en soutenant les paysans pauvres ; nous menons cette lutte à l’aide de notre industrie, par l’union coopérative. La bourgeoisie mène la lutte à l’aide de ses entreprises privées et veut nous vaincre par des marchandises bon marché, par des crédits à meilleur compte. Mais nous, nous avons en main les principaux atouts économiques. Telles sont les formes fondamentales de la lutte des classes dans la période actuelle.

Nous devons avoir constamment devant les yeux que la lutte pour le paysan moyen représente une lutte pour la possibilité du développement du paysan moyen en dehors des voies capitalistes, même avec l’aide du commerce libre. C’est la base de notre politique.

Notre politique paysanne[modifier le wikicode]

Je vais maintenant traiter en détail la question paysanne.

On peut commettre chez nous des fautes dans deux directions : soit en ne remarquant pas la croissance du koulak, soit en ne comprenant pas les besoins du paysan moyen et en le sous-estimant. On nous accuse de n’avoir soi-disant pas remarqué le danger du koulak. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a quelques cas où certains camarades n’ont réellement pas estimé ce danger à sa juste valeur. Mais lorsque nous discutons des questions de principe de notre politique, nous devons toujours voir la chose principale et décisive. Si nous commettons une faute dans une question de deuxième ordre, ce n’est pas aussi effrayant. Mais si nous commettons une grave erreur dans une question principale quelconque, ce sera très mauvais pour nous, car nous pouvons toujours commettre de ces erreurs que nous ne pourrons pas corriger.

Si nous demandons maintenant quel est le facteur le plus important de notre politique paysanne, nous devons répondre : le paysan moyen. Lénine a toujours répété : nous devons ajuster toute notre économie à l’économie paysanne moyenne.

Pourquoi est-ce précisément le paysan moyen qui vient à l’avant-scène ? Quelques camarades se plongent dans de vieux livres, excellents d’ailleurs, où ils lisent qu’il y a chez nous tant de paysans moyens, tant de paysans pauvres, tant de koulaks, etc. Mais ces statistiques sont périmées aujourd’hui. Le paysan moyen joue un rôle si important parce qu’il représente l’héritage de notre grande Révolution agraire. On ne doit pas oublier que presque toutes les grandes propriétés, de fait 82 %, passèrent entre les mains de la classe paysanne. Nous avons réalisé un processus de « dékoulakisation », nous avons secoué comme il faut le koulak, nous avons fait son inventaire et partagé son bétail et ses propriétés. Les deux processus d’expropriation du propriétaire foncier et de « dékoulakisation » amenèrent la prédominance de l’économie paysanne moyenne au village.

Le procès de différenciation se heurte-t-il actuellement à des obstacles ? Oui. En quoi consistent ces obstacles ? D’abord en ce que le sol et les propriétés ont été enlevés au trafic commercial. S’il n’en était pas ainsi, ils passeraient bientôt entre les mains des riches paysans par voie d’achat et de vente. Mais il n’y a pas, chez nous, de ventes et d’achats de sol et de propriétés. C’est déjà un grand obstacle à la différenciation du village. Notre code ne protège pas les couches supérieures mais les couches pauvres et moyennes du village. C’est aussi un facteur assez important.

Pris à sa base, notre village est aujourd’hui un village de paysans moyens, grâce aux processus mentionnés et à notre politique. Les paysans moyens forment en général la majorité de la population villageoise, l’économie paysanne moyenne représente la plus grande unité économique de toute notre agriculture. Si nous considérons le village et demandons quelle est notre tâche principale, il est tout naturel que la toute première tâche, sans la solution de laquelle nous ne pourrions pas exister, est la nécessité de comprendre l’obligation de l’alliance ferme avec le paysan. Si quelques camarades de l’opposition, tel que, par exemple, le camarade Vardine écrivent sur le « bolcheviste paysan moyen » et rappellent Maria Spiridonova, c’est le maximum d’incompréhension de notre politique.

On parle très souvent de ce qui a existé auparavant, au temps du communisme de guerre. Nous avons interdit alors tout commerce et avons lutté contre tous ceux qui violaient cette interdiction. C’était alors nécessaire parce que nous vivions à une époque de guerre civile. Mais pensez à ce que Lénine a écrit quand nous commencions à passer à une nouvelle politique économique. Maintenant, disait-il, on ne peut plus nommer spéculation tout commerce, nous avons autorisé le commerce et nous le pratiquons nous-mêmes. Si donc, on nous dit aujourd’hui : le paysan moyen est un spéculateur, parce qu’il vend du blé, c’est tout-à-fait faux, puisque nous-mêmes faisons ce commerce. Notre politique ne consiste pas à insulter le paysan moyen, parce qu’il fait du commerce, mais à nous intéresser à ses opérations, à le conduire dans la coopérative, et, par la coopérative à une meilleure union avec notre industrie et à l’attirer peu à peu de cette manière, sans qu’il s’en aperçoive, à notre construction socialiste. Ce sera un peu plus difficile et un peu plus compliqué que de parler de spéculation. Mais si nous ne faisons pas cela, nous n’obtiendrons absolument rien.

Sous la domination du capitalisme, le paysan représentait use couche à double croissance : Une partie se transformait en koulaks, l’autre en ouvriers agricoles. Ce procès existe-t-il aussi chez nous ? Oui, mais pas avec tant de force que sous le capitalisme. Avec le capitalisme le paysan moyen était stable à un certain degré ; il le sera davantage sous notre régime. Pourquoi ? Parce que les circonstances du pouvoir soviétique elles-mêmes exigent cette stabilité. Nous combattons le koulak, soutenons les paysans pauvres, concluons une ferme alliance avec le paysan moyen et avons retiré le sol et les propriétés du commerce. Tout cela augmente la stabilité de la masse paysanne moyenne. C’est pourquoi le problème du paysan moyen restera encore longtemps notre problème central et principal. Beaucoup de camarades pensent : Si vous parlez sans cesse des paysans moyens et n’élevez pas la voix au sujet du danger du koulak, toute votre politique dévie, vous ne frappez pas où il faut frapper. Nous répondons à cela : Nous ne nions pas le danger des koulaks, mais si vous ne consacrez pas une attention suffisante au paysan moyen, vous aidez ainsi avant tout le koulak. Car il n’y a pas de meilleur moyen de combattre le koulak que de soumettre le paysan moyen à l’influence prolétarienne.

Je considère ce point comme extraordinairement important, sinon comme le point central de toute notre discussion sur les rapports entre le paysan moyen, le koulak et le paysan pauvre. D’où vient la force du koulak ? Elle provient non pas de ce que le koulak exploite la pauvreté villageoise, mais de ce qu’il tient le paysan moyen sous sa dépendance tant économiquement que politiquement.

Le koulak isolé représente-t-il un grand danger pour nous ? Non. Le principal danger est qu’il puisse s’attacher le paysan par mille liens économiques et, par suite, politiques. Le koulak représente un groupe relativement peu considérable dans l’ensemble de la classe paysanne. Mais, dans quelques endroits, il est cependant élu dans les soviets. Pourquoi ? Parce que le paysan moyen le soutient. Pourquoi le soutient-il ? Parce que souvent le koulak se tient plus près économiquement du paysan moyen et comprend mieux le commerce que notre coopérative. Si on nous oppose : Vous parlez trop du paysan moyen et trop peu du danger du koulak, c’est bien là une étrange opposition ! Gomment devons-nous lutter contre le koulak, sinon dans notre manière d’arracher le paysan moyen à son influence ? C’est la plus importante arme de combat contre le koulak.

Si nous tourmentons maintenant sans raison le paysan moyen et le stigmatisons du nom de spéculateur, nous rendons un service au koulak. Si nous n’accordons pas une attention suffisante au paysan moyen dans nos mesures économiques, nous le poussons dans les bras du koulak. Si nous ne pouvons pas réaliser une bonne coopérative paysanne moyenne, si le paysan moyen voit que la coopérative agit mal et le koulak bien, nous poussons encore le paysan moyen dans les bras du koulak. Si nous travaillons mal dans les soviets, nous poussons de nouveau le paysan moyen dans les bras du koulak, etc. Grâce à la voix du paysan moyen, le koulak sera élu dans la coopérative et dans les soviets et il deviendra réellement dangereux. Peut-on alors poser la question du koulak sans la relier à celle du paysan moyen ? Ce serait inexact et absurde. Le principal moyen de combattre le koulak est de séparer le paysan moyen du koulak. Mais le prolétariat ne pourra mener la lutte pour le paysan moyen au village avec les plus grandes chances de succès que si la classe ouvrière a un très ferme appui parmi les ouvriers agricoles et les paysans pauvres, et si elle trouve parmi eux un soutien actif pour sa politique

J’arrive maintenant aux résolutions de la XIVe conférence nationale du Parti. On sait comment sont apparues les divergences d’opinion au Congrès du Parti. Le camarade Kamenev et, auparavant, le camarade Zinoviev, dans son livre sur le Léninisme, ont exposé cette thèse : Les résolutions de la XIVe conférence du Parti se meuvent dans la direction de concessions faites « précisément aux éléments capitalistes du village ». Cela signifie que notre Parti a déjà opéré, lors de la XIVe conférence, cette conversion qui représente, selon le point de vue de l’opposition, une concession directe au koulak. II y a des gens qui ont une telle peur du koulak qu’ils ne voient que lui partout.

Nous croyons qu’on ne doit pas juger de telle façon ces résolutions du Parti. Est-il exact qu’elles représentent des concessions directes aux éléments capitalistes ? Non, c’est inexact.

Qu’avions-nous avant la XIVe conférence du Parti ? Dans certains endroits, au village, toutes les couches firent voir qu’elles étaient mécontentes de nous et de nos bonnes lois. Je cite l’exemple du travail salarié et du fermage du sol. Nous avions des lois très sévères sur le fermage du sol et l’emploi du travail salarié. Autrefois, le fermage était ainsi réglé : le paysan louait au propriétaire foncier un terrain, en lui payant un-loyer très élevé. Certains camarades pensent que les choses se passent au village comme autrefois.

Cependant : qui loue aujourd’hui la terre ? Nous voyons la plupart du temps la situation suivante : le paysan plus aisé reçoit du paysan moins aisé, du paysan pauvre, la terre en location. Le paysan pauvre dispose d’une certaine superficie de terre, selon la loi ; mais il n’a pas d’inventaire, pas de chevaux, il ne peut pas labourer sa terre. Le koulak désirait prendre en fermage ce qui appartient au paysan pauvre, mais le fermage était défendu. Il s’ensuivit que le paysan pauvre qui, malgré le danger de violer la loi, voulait gagner quelque chose, louait quand même sa terre au koulak ; ce dernier en profitait et lui payait un loyer moindre qu’il l’aurait fait si cette opération eut été permise et protégée par la loi.

Etait-ce avantageux pour nous ? Avions-nous nationalisé les propriétés pour que les paysans pauvres les livrent au koulak à un prix ridicule ? N’était-il donc pas mieux de légaliser le fermage et de veiller à ce qu’aucun contrat usuraire ne soit conclu ? C’est ainsi que se présentait la question.

L’emploi du travail salarié était encore plus strictement interdit. Cette question était aussi à l’ordre du jour de la XIVe conférence du Parti. Avant la conférence, notre loi était telle nous avions défendu absolument l’emploi du travail salarié. Mais nous avions oublié qu’au village, une partie considérable de la population ne pouvait pas mettre sa force de travail au service de l’agriculture. Nous avions un décret magnifique : le travail salarié est interdit, nous te protégerons contre les exploiteurs ! Mais le paysan pauvre pensait : Si vous ne pouvez pas me donner un morceau de pain, je voudrais le gagner même chez le plus abject koulak.

Mais ce koulak savait qu’il était défendu d’employer un travailleur salarié ; le paysan pauvre le savait aussi. Mais comme il voulait cependant travailler, le koulak en a profité et l’a moins payé. Comme ce contrat de salaires n’était pas conclu ouvertement, les intérêts du travailleur agricole ne pouvaient être protégés par aucun syndicat. Notre code ne satisfaisait donc ni le koulak ni le paysan pauvre à qui l’on défendait de louer sa terre et de s’employer comme travailleur agricole. Mais le paysan moyen lui-même était mécontent. Pourquoi ? Parce qu’il est disposé d’un côté pour les paysans aisés, d’un autre côté pour le prolétariat. Mais il n’y a pas que cela. La croissance de l’agriculture en général et celle de l’économie paysanne moyenne (qui représente le groupe économique le plus important) furent et sont accompagnées de la croissance des excédents de marchandises. Le paysan moyen commence à s’intéresser à l’extension des cadres du commerce. Il commence à vendre et à acheter davantage. Les vestiges de l’ancien système du communisme de guerre le contrarient. Tout ce qui entrave le commerce des marchandises fait tort à l’économie du paysan moyen. C’est pourquoi il est complètement opposé aux vestiges du communisme de guerre au village.

Mais ce n’est pas tout. L’essor et le développement régulier de l’économie, et en premier lieu de l’économie paysanne moyenne, exigent un calcul très précis. C’est pourquoi certaines mesures sont nécessaires. Une autre question : L’essor économique du paysan moyen l’attire à la coopérative, mais celle-ci ne peut pas se développer régulièrement si les vestiges des périodes antérieures ne sont pas détruits, si le principe de la libre éligibilité des fonctionnaires, le devoir de rendre compte, incombant aux fonctionnaires élus, ne sont pas développés. C’est ce qui nécessite toute une série de mesures dans l’intérêt du développement de l’activité des coopératives et des soviets. Toutes ces mesures, décidées à la XIVe conférence, représentent avant tout une avance faite au paysan moyen.

Nous avons donc dit à la XIVe conférence : Chers amis, les décrets sur papier n’ont pas d’importance pour nous, ce qui nous importe, c’est la réalité. Nous voyons que nos mesures prohibitives ont montré leurs mauvais côtés, non seulement au koulak, mais aussi au paysan pauvre, et au paysan moyen moins aisé. Nous voulions défendre l’ouvrier agricole, nous voulions protéger le paysan pauvre, et il arrive qu’en réalité, nous les gênons. Nous avons dit : Agissons autrement. Nous permettons le fermage, mais nous combattrons contre l’exploitation des paysans pauvres. Nous permettons un large emploi du travail salarié, mais nous prendrons toutes les mesures pour protéger ce travail salarié, au moyen des syndicats et des organisations soviétiques contre l’exploitation, nous l’organiserons et nous en ferons une force de classe. Il est naturel que la suppression de certaines restrictions ait profité au koulak. Mais les éléments [bourgeois ?] n’ont-ils pas profité de l’introduction de la nouvelle politique économique ? Naturellement. N’avons-nous pas tenu compte de cela auparavant? Et avonsnous introduit cette politique pour le bon vouloir de cette bourgeoisie ? La NEP était-elle dans son ensemble une concession directe aux capitalistes ? Absurdité ! La NEP était en premier lieu une concession aux petits producteurs de marchandises et au village, à la classe paysanne. C’était en même temps une manœuvre, dont je disais : c’était un recul, un regroupement du front et une marche en avant avec des moyens tout nouveaux, avec les seuls moyens réguliers et possibles pour confirmer notre alliance avec le paysan moyen. Lorsque nous avons introduit la NEP, personne n’a dit que la NEP était une concession aux capitalistes. Seuls nos ennemis les plus acharnés ont dit : le communisme s’est écroulé, il n’en reste plus rien, le capitalisme règne partout, les bolcheviks s’inclinent devant les capitalistes, ils leur font des concessions, ils cessent d’être des socialistes. Nous sommes-nous inquiétés de ces sottises destinées à jeter la panique dans nos rangs ? Non, nous poursuivîmes notre chemin, sans faire attention aux clameurs de nos adversaires.

Actuellement nous détruisons les vestiges du communisme de guerre au village, parce que nous possédons les principaux postes de commandement. Nous ne nous consolons plus aujourd’hui avec des décrets sur le papier, car la réalité seule compte pour nous. Nous développons le trafic des marchandises, parce qu’il nous est utile. Le trafic sera accéléré et avec lui notre industrie d’Etat, qui croîtra ainsi plus vite. Nous aurons plus d’argent dans notre caisse d’Etat, car nous pourrons réellement soutenir le paysan pauvre et le paysan moyen. Nous ne disons pas aujourd’hui : « Dépouille le koulak », mais nous disons au paysan pauvre ;

« Organise-toi, apprends à combattre le koulak par tes propres forces et non par les méthodes du communisme de guerre, apprends à te tenir sur tes pieds, apprends à conduire ton économie dans le chemin de l’organisation et nous, c’est-à-dire l’Etat et le Parti, nous t’aiderons. Apprends à te transformer en une force de classe selon les circonstances actuelles. Entre dans les coopératives. Bats le koulak par des moyens économiques, écrase-le par la coopérative, apprends à aller à l’attaque avec des moyens politiques et économiques ». Les partisans de la nouvelle opposition disent : la XIVe conférence du Parti a été une concession au koulak. Comme vous le voyez, c’est faux. Il s’agissait du regroupement des rangs de la masse principale de la classe paysanne, du paysan moyen et du paysan pauvre. Le koulak saura aussi en profiter au début, nous ne le nions pas. Mais nous n’avons pas pris ces mesures pour les beaux yeux du koulak, de même que nous n’avons pas introduit la NEP pour les beaux yeux des capitalistes.

Le point de vue que les décisions de la XIVe conférence sont une concession au koulak est-il en connexion avec les autres questions soulevées par l’opposition ? Oui. Si la NEP est un recul et seulement un recul, le développement de la NEP au village est aussi la suite de ce recul : mais recul signifie concession à un adversaire de classe. Or, l’adversaire de classe est le koulak, le capitaliste. Toutes les considérations de l’opposition se meuvent sur la même ligne : aussi bien du point de vue de la possibilité ou de l’impossibilité de la construction socialiste dans un pays qu’à celui de la NEP, qu’à celui du doute concernant le caractère de notre industrie d’Etat.

Si, comme nous le disions, notre principal moyen de lutte contre le koulak et notre tâche première est l’alliance ferme avec la partie paysanne moyenne du village, l’organisation des paysans pauvres n’est pas du tout exclue, mais mise au contraire au premier plan. Sans cela, nous ne pourrions arriver à rien. Elle est notre meilleur appui. Nous étions, nous sommes et nous serons toujours de cet avis. Nous avons toujours soutenu les paysans pauvres et nous continuerons à les soutenir. C’est pourquoi il est absurde de considérer les décisions de notre plénum d’octobre comme une sorte de correction des résolutions de la XIVe conférence. Nous l’avons souvent dit. Elles ne font que compléter ces résolutions.

Nous devons donc voir clairement les prémisses de notre politique au village. Notre soutien est le paysan pauvre et l’ouvrier agricole. Notre allié, que nous pouvons conquérir avec l’aide du paysan pauvre, est le paysan moyen. Notre ennemi est le koulak. On ne peut pas séparer une tâche de l’autre.

On ne doit pas séparer la lutte contre le koulak de notre travail pour la conquête du paysan moyen. C’est ainsi que se pose la question de notre politique paysanne. La question des déviations est aussi résolue de ces faits. Le Congrès a condamné deux déviations, aussi bien celle de ces camarades qui ne voient pas le danger du koulak, que celle consistant à ne pas saisir toute l’importance de l’alliance avec le paysan moyen. Le Parti doit s’opposer aux convoitises d’exploitation du koulak ; il doit veiller attentivement à maintenir notre alliance avec le paysan moyen. Ce n’est que par cette alliance que nous pourrons poursuivre l’isolement économique et politique du koulak.

Autres questions[modifier le wikicode]

Maintenant, camarades, je dois dire encore quelques mots sur certaines questions particulières qui ont été soulevées par quelques camarades de l’opposition.

La première est une très grande question, la question de l’égalité. Ce mot d’ordre de l’égalité a été lancé par le camarade Zinoviev, comme on sait.

On nous dit ici habituellement : Quoi donc ? Seriez-vous peut-être contre l’égalité ? Le Parti communiste est-il tombé si bas qu’il soit contre l’égalité ?

Si nous avions véritablement posé la question ainsi, en nous prononçant contre l’égalité, ou aurait dû nous balayer hors de l’Union des Soviets avec un balai de fer et nous pendre quelque part au-dessus de quelque tas de fumier. Mais, naturellement, il n’en est pas question. Si nous disons que notre tâche consiste à construire le socialisme, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie la lutte pour l’égalité, car le socialisme représente un état d’égalité économique. Nous sommes seulement d’avis qu’il vaut beaucoup mieux poser la question avec précision que de la poser « en général ». Nous approchons peu à peu de cet état d’égalité socialiste, car nous approchons du socialisme. Toute la tâche du Parti consiste dans la réalisation de cette égalité. Si nous construisons le socialisme, cela signifie que nous réalisons l’égalité. Mais si nous nuisons à la cause du socialisme, nous agissons effectivement contre cette égalité. C’est ainsi qu’il faut poser la question. Nous ne sommes pas partisans de faire actuellement de ce mot d’ordre un mot d’ordre immédiat, car par là nous agirions contrairement à la tâche qui consiste à conquérir véritablement l’égalité. Si nous bavardons à tous les coins de rue sur l’égalité et rien d’autre, qu’en résultera-t-il en fin de compte ?

Disons-le franchement : un de nos points les plus vulnérables aujourd’hui, est un certain antagonisme entre la classe ouvrière et le classe paysanne. Que racontent les camarades qui reviennent des villages, que racontaient-ils surtout avant la XIVe conférence ? Voila ce que dit le paysan à l’ouvrier : Tu gouvernes, mais non pas moi ; tu as des sanatoria, des assurances sociales, mais non pas moi ; tes enfants apprennent à l’école, mais non pas les miens, tes droits électoraux sont autres que les miens.

Pouvons-nous donc créer immédiatement l’égalité entre le paysan et l’ouvrier ? Ou bien est-ce que cette égalité existe aujourd’hui ? Non, cette égalité ne peut exister dans la situation actuelle. Nous savons que chez nous, la classe ouvrière se trouve dans une situation privilégiée par rapport à la classe paysanne. Cela est aussi dans notre programme, et nous disons aussi pour quel but cela nous est nécessaire. Nous disons au paysan : si tu veux arriver à l’égalité complète, tu dois aller au socialisme. Le socialisme, tu ne peux l’atteindre que par la dictature du prolétariat. Si tu ne veux pas soutenir cette dictature, mais que tu essaies de la renverser, tu n’obtiendras pas d’autre résultat que le retour à l’ancien état de choses capitaliste. Aujourd’hui, cette dictature s’est déjà affermie, mais pas au point, cependant, que nous puissions proclamer le suffrage universel, que nous puissions abolir tous les privilèges de la clame ouvrière. La classe ouvrière se trouve chez nous dans une situation meilleure, c’est vrai, et cela est proclamé dans notre constitution. Nous n’avons pas le suffrage universel. Et nous pensons qu’il est bon qu’il en soit ainsi. Dans quelques années vraisemblablement, nous aboliront cela ; mais nous pensons qu’il serait prématuré de le faire maintenant.

Quand nos adversaires excitent la haine des paysans contre les ouvriers, ils s’efforcent de donner au paysan une traite sur l’ouvrier. Et quand l’opposition dit que nous manifestons un amollissement paysan, et même koulak, elle donne à la classe ouvrière, avec le mot d’ordre de l’égalité, une traite qu’elle ne peut payer sans l’anéantissement de la dictature du prolétariat. De plus nous avons parmi la population des villes des couches bourgeoises et semi bourgeoises, et si vous mettez en avant le mot d’ordre de l’égalité, vous donnez aussi à ces couches une traite, en vertu de laquelle même les capitalistes privés élèveront les prétentions aux droits électoraux. Au moyen de ce mot d’ordre, la démocratie bourgeoise viendra frappa à notre porte. Cela, nous ne pouvons pas le permettre.

Si nous étions des démagogues inconscients de nos responsabilités, nous pourrions lancer ce mot d’ordre. Représentez-vous cette situation : il y a toute une échelle de salaires. Les spécialistes touchent beaucoup plus que les ouvriers qualifiés et ceux-ci, sensiblement plus que les non-qualifiés. Pouvons-nous, dès aujourd’hui, unifier tous ces salaires ? Pour le moment, je ne parle pas de la nécessité, de temps à autre, d’atténuer les différences et de réparer des injustices. Mais aujourd’hui, une égalité complète est impossible. Naturellement, l’ouvrier qualifié dira qu’on peut le placer sur le même pied que le spécialiste, mais si vous lui proposez de le placer sur le même pied que l’ouvrier non qualifié, il vous criera : « Halte-là ! »

Il suffit d’un simple calcul : pouvons-nous déjà aujourd’hui payer à tous les ouvriers les mêmes salaires ? Non ! Mais les ouvriers arriérés pourraient se cramponner à ce mot d’ordre, car ils se trouvent vraiment dans une situation difficile. Ils veulent gagner le double, le triple de leur salaire. C’est tout-à-fait naturel et juste en soi. Mais si, maintenant, nous lancions ce mot d’ordre à la légère, sans avoir les moyens de payer, nous donnerions aux ouvriers une traite fausse. Et pour cette raison, nous devons être prudents, ne pas lancer des mots d’ordre à tort et à travers. Nous ne devons pas établir de fausses traites. Pour un Parti au pouvoir, le plus grand danger est de ne pas tenir ses promesses, de commettre pour ainsi dire un abus de confiance envers le peuple. Considérez que des yeux bien plus vigilants qu’en 1918 sont fixés sur nous. Si, par exemple, en 1918, nous avions promis qu’il allait arriver un convoi de pain, et que le train n’était pas arrivé, non pas par mauvaise volonté de notre part, mais par un concours de circonstances extraordinaire, cela n’était pas si grave, car notre situation était tout autre.

Maintenant, les besoins se sont accrus, et cela est bon signe. La classe ouvrière demande davantage. Par conséquent, si vous lui promettez quelque chose, tenez votre promesse !

Si on parle de la question des paysans sans chevaux et qu’on donne le mot d’ordre :

« Un cheval à chaque paysan ! », il faut d’abord calculer combien cela coûtera et si nous pouvons le réaliser présentement. Naturellement, on peut lancer le mot d’ordre : « Un cheval à tous ceux qui n’en ont pas ! » Et alors, on dira que celui qui a lancé ce mot d’ordre est un ami des paysans pauvres. Mais, comptez un peu combien il y a de paysans chez nous qui n’ont pas de cheval, combien coûte un cheval ; multipliez ces deux sommes. Combien cela fait-il ? Et où prendrons-nous cette somme, actuellement ? Je crois qu’il faut présenter la question sous cette forme objective, si on ne veut pas parler à vide.

Naturellement, nous ferons tout ce qu’il est possible de faire en ce sens, mais ne faisons pas de promesses inconsidérées, à tort et à travers.

C’est pourquoi ce mot d’ordre de l’égalité est faux. Premièrement, parce qu’il est exploité contre nous par les éléments de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie ; et deuxièmement parce qu’il promet aux catégories les plus pauvres de la classe ouvrière et de la classe paysanne des choses que nous ne pouvons pas actuellement leur donner. Je ne m’occuperai pas d’autres questions, telles que celle de l’augmentation excessive du Parti, avec la méthode de calcul du camarade Sarkis, d’après laquelle nous devons accueillir dans le Parti 5 000 000 de nouveaux ouvriers. Un ouvrier de la fabrique Dynamo a dit justement : « Le Parti se transformera alors en une pâte ». Et il ajoutait : « Si vous, nos chefs, vous vous prenez déjà aux cheveux, que serace, pour l’amour de Dieu, quand il y en aura 5 millions à se prendre aux cheveux ! » Quoique sous une forme simple et grossière, c’est une considération très juste. Si nous, qui avons derrière nous une longue expérience acquise dans le Parti, nous qui comprenons tout le tort qui peut résulter des combats des fractions entre elles, qui peut résulter de discussions menées devant tout le pays, si nous ne pouvons nous dominer, que serait-ce si une collectivité si nombreuse était déchaînée ? Il en sortirait bien des conséquences désagréables. Nous devons comprendre la différence existant entre le Parti et la classe ; et nous devons suivre une voie telle que celle différence disparaisse. Mais nous devons savoir à tout moment observer la mesure.

L’opposition, la politique du Parti et les ennemis de notre Parti[modifier le wikicode]

Maintenant, il faut que j’explique pourquoi cette opposition est dangereuse, pourquoi elle est même plus dangereuse que toute autre opposition. En premier lieu et avant tout parce qu’ici la vieille garde léniniste a une brèche. Ce n’est pas une petite affaire, cela a une grande portée. En second lieu, parce que la nouvelle opposition fait appel à des mots d’ordre extrêmement démagogiques.

De nouveaux éléments affluent vers nous. Il est facile de ne dire que des choses agréables à ces nouveaux éléments, qui sont mal payés, qui souffrent de la misère, etc.

Un de ces mots d’ordre démagogiques est le mot d’ordre de l’« égalité ». Si on soutient que les chefs de notre Armée Rouge sont des « porte-épaulettes dorés », c’est une affirmation démagogique de la pire espèce, de même quand on dit que nos fonctionnaires sont presque des exploiteurs.

Si on réunit toutes ces choses, il se produit quelque chose de passablement étrange. Car si notre industrie est une institution de capitalisme d’Etat ; s’il y a dans notre armée des « porte-épaulettes dorés », si nos fonctionnaires administratifs sont des exploiteurs, si la NEP représente un mouvement de recul, cela représente en réalité un recul du communisme, et cela sera exploité avec joie par nos adversaires. Et si, en plus, vous dites : « C’est la faute au Parti, si vous gagnez si peu, s’il n’y a pas d’égalité parmi nous, si beaucoup de paysans n’ont pas de chevaux », c’est que vous vous appuyez sur ces éléments ouvriers encore peu éduqués, qui sont mal payés et à qui malheureusement on ne peut pas si facilement et tout d’un coup assurer un bon salaire.

D’un pareil point de vue, la cause du socialisme ne tirera pas grand avantage.

Je crois que cette nouvelle opposition reflète les difficultés mêmes de la construction du socialisme. Elle reflète l’état d’esprit de quelques éléments arriérés de la classe ouvrière, qui ne sont pas encore complètement éduqués, qui ne comprennent pas encore toute la complexité des questions, qui sont la condition préalable de la satisfaction immédiate de tous leurs besoins, que nous ne pouvons encore satisfaire. Elle reflète également une certaine idéologie de coterie au sein de la classe ouvrière, l’état d’esprit de certaines couches de l’aristocratie ouvrière, qui prennent vis-à-vis des paysans une attitude supérieure et qui ne comprennent pas les véritables tâches de la classe ouvrière sur ce terrain. Elle reflète un certain mécontentement des couches pauvres du village, qui n’a pas encore reçu de nous une aide matérielle suffisante et mollit. Cet amollissement s’exprime aussi au sein du Parti.

Au lieu de se dominer et de dire : « Nous pouvons réaliser ceci, mais pas cela ; nous pouvons exécuter ceci immédiatement, mais cela pas tout de suite », — on promet à chaque paysan qui n’a pas de cheval, de lui en donner un, on promet l’égalité pour tous à droite et à gauche. Voilà, ce qu’il ne faut pas faire.

Objectivement, il ressort de tout cela le contraire. On fait des promesses, mais ensuite on ne fait pas honneur aux traites. Le résultat peut être un accroissement de la méfiance envers l’industrie d’Etat et envers le pouvoir soviétique. Le résultat ne serait pas d’éduquer dans un autre sens les nouvelles couches de la classe ouvrière, mais de les exciter à la résistance contre le pouvoir soviétique. Le résultat serait un relâchement de la discipline au sein de la classe ouvrière elle-même, une division et l’accroissement de la division entre les ouvriers qualités et les ouvriers non-qualifiés. Le résultat pourrait être le détachement de la grande masse des paysans, le renforcement objectif, mais en aucun cas l’affaiblissement du koulak, qui, si nous lui abandonnions le paysan moyen, ne pourrait qu’en profiter. C’est à cela que notre politique aurait conduit, si notre Congrès du Parti avait adopté le point de vue de la nouvelle opposition. Enfin, la méthode qu’ont adoptée les chefs de l’organisation de Leningrad et les camarades qui se sont solidarisés avec eux, cette méthode conduit à des conséquences très graves. Cette méthode a créé et continue à créer des difficultés énormes. Avant tout des difficultés qui résultent de ce fait que nous sommes un Parti qui exerce la dictature. La discussion est un luxe superflu qui ébranle l’appareil soviétique, dérange le travail, etc. et c’est une aide pour nos adversaires, qui tireront profit de tout cela. De plus, cela fera naître le trouble dans les rangs de l’Internationale Communiste. Croyez-vous que les adversaires ne se moquent pas des membres des partis-frères à l’étranger et ne leur disent pas ironiquement :

« Vous parlez de léninisme, et maintenant il y a chez vous deux sortes de léninisme. Décidez donc d’abord entre vous quel est le vrai, et puis ensuite vous nous donnerez des leçons ! Est-ce que cela est bon ? Cela est très mauvais. Les social-démocrates, les menchéviks de toutes nuances sautent de joie, et je dois dire que les menchéviks russes, et une partie des menchéviks de l’étranger soutiennent notre opposition. Enfin, disent-ils à peu près, il s’est trouvé dans l’organisation des communistes de Leningrad des gens qui ont osé dire qu’il n’y a pas de socialisme en Russie. Dans la question du capitalisme d’Etat, c’est l’opposition qui a raison.

Les menchéviks russes doivent répéter cela sans cesse, ils s’en emparent avec joie et spéculent sur l’opposition. Une partie des menchéviks de l’étranger se solidarisent avec eux. Dans le journal français social-patriote, Le Peuple, on dit littéralement :

« Ah ! Dieu merci ! que l’opposition soit louée de nous avoir ouvert les yeux ; nous voyons maintenant quelle sorte de marxisme, au pays des Tartares, est servi par la majorité du Comité Central du Parti Communiste Russe ! »

Le Vorwaerts aussi s’égosille :

« Nous avons toujours dit quel socialisme est le vôtre ».

Nos menchéviks disent dans le dernier numéro du Messager socialiste :

« Enfin la raison est revenue dans les rangs des ouvriers bolcheviks ; un peu de raison envers tout ce que les bolcheviks ont prêché jusqu’ici. »

Nous avons prêché le léninisme, en conséquence, c’est de la « raison » envers le léninisme dont parle l’adversaire. L’article du Messager Socialiste commence à peu près comme suit :

« Vous nous avez annoncé des succès du développement socialiste ; pendant 8 ans, vous avez trompeté dans le monde : développement socialiste, développement socialiste ! et maintenant, vous dites vous-mêmes : Où y a-t-il un socialisme chez nous ? C’est le capitalisme d’Etat qui règne chez nous et nos fabriques aussi sont des institutions de capitalisme d’Etat. »

Bien entendu, vous pouvez voir, ou vous pourrez bientôt voir, que tous le» éléments menchéviks, ou semi-mencheviks, ou à sympathies menchéviks, dans nos usines, entonnent le même refrain : « Ah ! ah ! Notre industrie ! ah ! ah ! Enfin vous vous en êtes rendus compte vous-même ! Maintenant, il vous faut cesser de tromper la classe ouvrière ! » C’est ainsi qu’ils parleront, qu’ils parlent déjà. Naturellement, camarades, nous devons résoudre la question en premier lieu pour notre Parti ; le Congrès du Parti a résolu cette question pour notre Parti. Il a dit son mot dans toutes ces questions. Il a pris des décisions qui ne laissent place à [aucune] ambiguïté. Malheureusement, la lutte n’a pas cessé après le Congrès du Parti elle est devenue une lutte contre les décisions du Congrès.

Nos différends peuvent être aplanis et on était en train de les aplanir. C’est ainsi que les camarades de l’opposition ont retiré leur affirmation, selon laquelle notre industrie est une industrie capitaliste d’Etat et ils se sont ralliés au point de vue qu’elle représente une industrie du type socialiste « conséquent ». Dieu les bénisse ! S’ils reconnaissent leurs erreurs sur tous les points, ce sera une grande joie pour nous. Mais qu’ils reconnaissent ou non leurs erreurs, nous devons, nous, suivre les commandements de Lénine concernant l’organisation du Parti, nous devons ou bien convaincre chacun des camarades, ou le forcer à se soumettre à toutes les décisions du Congrès du Parti (Applaudissements) Si cette soumission est volontaire, alors c’est très bien. Mais s’ils ne se soumettent pas volontairement, il faut les forcer à se soumettre. S’il faut procéder à quelques mesures organiques, nous y procéderons (Applaudissements). Il est faux d’appliquer à l’intérieur du Parti le principe : « chacun agit comme il l’entend d’après sa conviction intime. » La conviction est la conviction; mais les décisions sont les décisions. Lorsque le camarade Trotski se mit en opposition avec la majorité de notre Parti, il va de soi qu’il était subjectivement convaincu d’avoir raison. Il en était convaincu, et il combattait pour sa conviction. Le Congrès du Parti s’est prononcé contre lui, et nous tous nous avons voté contre lui et nous pensions : « Pense ce que bon te semble, mais soumets-toi aux décisions du Parti. » Nous ne voulons faire d’exception pour personne, et nous ne pouvons pas exister en tant que Parti, si nous souffrons une exception pour quelqu’un. Si tu t’es trompé, fais une déclaration. Les décisions une fois prises, arrange-toi avec elles, et soumets-toi. Tu crois que tu as pourtant raison ; bien ? Au prochain Congrès du Parti, quand le Comité Central ouvrira la discussion, c’est ton droit absolu de défendre ta conviction. Mais jusque là incline-toi devant le Parti et attends le prochain Congrès ! N’en est-il pas ainsi ? (Tempête d’applaudissements). Je crois, camarades, que parmi quelques-uns, surtout parmi les jeunes membres du

Parti, il y a un état d’esprit que l’on pourrait traduire ainsi : « Vous bavardez ici et vous fermez la bouche à d’autres. » Le camarade Uchanov dit que dans une lettre au présidium, il y a quelque chose de semblable. Mais je vous le demande, où est-il écrit que dans un Parti bolchevik, on ne peut jamais fermer la bouche à quelqu’un ? (Applaudissements). Représentez-vous ce que cela serait si, après les décisions du Congrès du Parti, nous ne fermions pas les bouches : les camarades Zinoviev et Kamenev monteraient à la tribune et diraient : « Tu es ceci et cela et cela encore, etc. » Et alors, je leur répondrais. Le lendemain, ils parleraient dans un autre rayon, et moi après eux ; après-demain eux après moi. Il y aurait parmi nous une discussion à jet continu et le Parti se transformerait en un club de discussion. On n’a fermé la bouche à personne tant que les décisions du Parti n’avaient pas encore été prises. On a autorisé des rapports contradictoires et des discussions dans toutes les conférences préparatoires. Maintenant, les décisions ont été prises et dans la personne du rapporteur, ce n’est pas le représentant de la minorité, ce n’est pas le représentant de la majorité qui prend la parole ; c’est le représentant de l’assemblée du Parti tout entière (Applaudissement).

Nous ne pouvons dire qu’une seule chose : si au prochain Congrès du Parti, nous nous trouvions mis en minorité, nous nous soumettrions. On ne doit pas désespérer, parce que la situation chez nous est telle, momentanément, que des camarades, qui, ces dernières années, avaient marché droit et d’un pied ferme, font des faux pas maintenant, et probablement en feront encore d’autre». Nous sommes en présence de grandes difficultés, de questions incontestablement très compliquées, et certaines personnes et même certains groupes adopteront des points de vue différents sur certaines questions.

Lénine n’est plus parmi nous et, par suite, il est obligatoire que tant que nous n’auront pas pris les décisions qu’il faut, il y aura parmi nous plus de luttes intérieures que du temps de Lénine. Lénine était une machine géniale qui nous a épargné les frais de ces discussions. Lénine avait une tête mieux organisée, nous l’écoutions ; — maintenant cette autorité n’est plus. De nouveaux groupements se constituent : et on ne voit pas immédiatement si une décision est bonne ou mauvaise Malheureusement, nous aurons plus de débats que du temps de Lénine.

Cela n’est pas tellement dangereux, à condition que ces nuances d’opinion, ces divergences même ne se développent pas sous la forme d’une lutte de fractions. C’est pourquoi nous disons : « Tu penses de telle et telle manière. C’est ton droit. Mais si tu en venais à enfreindre les décisions du Parti, cela ne pourrait être toléré. En enfreignant les décisions du Parti, tu mines les fondements même du Parti. Cela, c’est déjà miner la dictature du prolétariat, et cela ne peut être toléré à aucun prix. »

C’est une des bases fondamentales de la démocratie léniniste. Le Congrès du Parti a dit clairement et impérativement : « C’est la décision du Parti tout entier et chaque membre responsable du Parti est tenu de faire exécuter ces décisions et non d’autres » (Applaudissements.)

Naturellement, il est désagréable d’être dans la minorité. Il est très désagréable d’exprimer publiquement des regrets pour ses propres fautes, il n’est pas toujours agréable de se soumettre. Mais la soumission aux décisions du Parti est un devoir absolu pour tout communiste.

Si nous portons atteinte à cette règle, nous brisons la colonne vertébrale de notre parti. Mais notre Parti est un Parti puissant qui gouverne un pays énorme en portant sur ses épaules tout le poids de la dictature du prolétariat. Dans ce Parti, il faut qu’il y ait aussi peu de brèches que possible.

Si ces brèches ses produisent, il faut les boucher, afin que notre Parti reste, après comme avant, un Parti léniniste unifié, solide, un Parti de bronze et d’acier. (Tempête d’applaudissements).