Lettre à la direction du PCF, 5 octobre 1924

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Paris, 5 octobre 1924,

Au Secrétariat du Parti,

Au Comité Directeur,

Ce n'est pas sans surprise que nous avons vu s'abattre sur nous, à la dernière Conférence des Secrétaires Fédéraux, une pluie de calomnies et de menaces, menaces appuyées et enregistrées par deux résolutions.

Nous ne pouvons laisser dire, sans protester avec vigueur :

  1. Que nous avons rouvert les discussions sur les crises russe et allemande et sur la situation anglaise d'il y a quelques mois ;
  2. Que nous avons fait, à la dernière Conférence, une opposition politique quelconque, grave ou bénigne, aux décisions du 5° Congrès mondial ;
  3. Que nous avons montré la volonté de nuire au Parti, de le désagréger et de le décomposer, que nous avons entravé son travail politique et de réorganisation sur la base des cellules d'entreprises ;
  4. Que nous sommes des éléments nettement anticommunistes, de nouveaux Frossards, des agents du Bloc des Gauches.

Sémard a osé déclarer que nous avions provoqué une « explosion de trotskysme », et Cadeau que nous étions d'ores et déjà a presque en dehors du Parti ». Dans ses comptes‑rendus, l'Humanité a faussé, quand elle ne les a pas étouffées, les interventions de l’un de nous.

On comprendra que nous tenions, surmontant notre propre écœurement, à rétablir, devant le Comité Directeur et devant l'ensemble des membres du Parti, le sens exact de ces interventions et à fixer notre position de militants communistes de la première heure, plus disciplinés et plus dévoués qu'aucun de ceux qui nous accusent.

A aucun moment, nous ne nous sommes élevés contre les décisions du 5° Congrès mondial.

L'Internationale s'est prononcée sur les discussions antérieures; nous n'avions pas à nous incliner, nous l'avions déjà fait.

Il n'est pas une des tâches qu'elle a tracées au Parti français à laquelle nous ne soyons prêts à apporter tout notre effort.

Nous le ferons d'autant plus allégrement que la prolétarisation des Partis, par leur réorganisation sur la base des cellules d'entreprises et que la lutte en faveur de l'unité syndicale internationale, répondent à nos désirs de toujours.

Les dix tâches immédiates assignées au Parti français nous trouveront au rang de leurs ouvriers les plus tenaces.

Ceux qui nous ont prêté des illusions démocratico‑pacifistes ont été eux‑mêmes victimes d'une illusion. Syndicalistes révolutionnaires d'hier, jamais nous n’avons été empoisonnés par l'esprit démocratique : les bolcheviks, avant‑guerre, nous en rendaient témoignage. Aujourd'hui, nous constatons que l'Internationale, en se tournant vers la gauche du trade-unionisme anglais et en mettant en elle de si grands espoirs, non seulement confirme notre. pensée que la gauche trade‑unioniste anglaise ne pouvait être identifiée à la gauche de la social‑démocratie allemande, mais l'I.C. va beaucoup plus loin que nous. Nous la suivons dans ses vastes espoirs.

Nous approuvons la position prise par l'Internationale Communiste à l'égard de Höglund et de ses amis. Aucune des décisions du 5° Congrès n'a fait l'objet d'une protestation ni d'une réserve de notre part, pas même la lourde sanction prise contre le camarade Souvarine[1].

A la Conférence des Secrétaires Fédéraux, première Assemblée nationale du Parti depuis le retour de la délégation du 5° Congrès, Monatte n'a point remis en discussion cette sanction ; il s'est borné à signaler l'inconséquence de la délégation française faisant officiellement au Congrès mondial une proposition d'exclusion dont elle n'avait reçu ni demandé le mandat au Conseil National de Saint‑Denis.

Il a remarqué, en outre, qu'au nombre des griefs retenus contre Souvarine figurait la publication du "Cours Nouveau" de Trotski, publication dont la responsabilité avait été partagée avec d'autres camarades. Est‑il surprenant que Monatte ait revendiqué sa part, notre part de responsabilité ? C'est le contraire qui eut été surprenant !

Au sujet du front unique, Monatte s'est encore borné, à la Conférence des Secrétaires Fédéraux, à demander à Sémard. si les déclarations favorables au front unique par en haut que lui a prêtées l'Humanité du 29 juillet, dans son compte rendu du Congrès de l'I.S.R., étaient exactes.

On la voit : prétendre que nos déclarations à la dernière Conférence tendaient à rouvrir d'anciennes discussions et qu'elles revêtaient un caractère d'opposition politique grave aux décisions du 5° Congrès, est un pur mensonge.

Comment avons‑nous manifesté la volonté de nuire au Parti, de le désagréger, de le décomposer ? On oublie de le dire.

Nous pouvons affirmer que nous avons fait exactement le contraire, et nous ne sommes pas embarrassés pour le prouver.

Pendant que la délégation était au 5° Congrès, qui donc lança la circulaire 37 aux Fédérations ? Qui donc publia, dans le Bulletin Communiste du 18 juillet, l'article : « Une étape nécessaire », sous la signature de la Fédération de la Seine ? Qui donc entreprit, en somme, le torpillage de la fraction du centre et de sa direction du Parti ? Rieu n'était pas seul, alors. Au Comité Directeur, Rieu, Cadeau, Calzan, Sauvage, Ilbert étaient solidaires, et il ne se trouvait que deux membres à une réunion du Comité Directeur : Mahoury et Monatte, tous deux rangés dans la soi‑disant droite, pour protester contre le fait de soulever une aussi grave question de déficit financier derrière le dos, en l'absence des premiers intéressés, de le faire publiquement dans la presse avant tout examen au sein des organismes du Parti, et au moment où le Parti demandait à ses membres le sacrifice d'une journée de travail.

Qui donc, alors, nuisait effectivement au Parti ? Qui donc cherchait à le désagréger, à le décomposer par le vitriol des questions financières ? Pas nous. Au contraire, nous étions seuls à nous élever contre cette besogne.

Nous marcherions sur les traces de Frossard, de Paul Lévi, nous ferions le jeu ou la besogne du Bloc des Gauches !

Merci bien !

Frossard, Lévi et tutti quanti sont retournés au socialisme ou à la social‑démocratie, d'où ils venaient. Ceux qui nous calomnient si grossièrement ne peuvent le faire que dans le but de préparer le Parti à notre exclusion. Mais nous savons bien ‑ et ils savent bien aussi ‑ que nous ne pourrions retourner que d'où nous venons, c'est‑à‑dire là où nous n'étions qu'une poignée en 1914 pour sauvegarder l'internationalisme, en 1915 pour répandre les mots d'ordre de Zimmerwald, en 1917 pour défendre la Révolution russe naissante, en 1919 pour adhérer, dès sa fondation, à la 3° Internationale ; en 1922, pour défendre la tactique du front unique.

Agents du Bloc des Gauches ? Laissez‑nous rire ! Nous le sommes tellement que nous avons été étonnés de voir le Parti et l'Humanité ne pas utiliser la fusillade policière des grévistes de Bizerte comme la preuve frappante pour la classe ouvrière que le gouvernement du Bloc des Gauches était un gouvernement d'assassins. Bizerte est pour nous le pendant de la Martinique, où Waldeck‑Rousseau et Millerand couvrirent d'une première flaque de sang ouvrier le gouvernement de défense républicaine d'alors.

Voilà comment nous comprenons notre rôle d'agents du Bloc des Gauches. Aussi, nous nous permettons de repousser du pied ces calomnies.

Nous sommes entrés au Parti pour servir la révolution ; il n'a pas dépendu de nous que nous la servions ailleurs que dans le rang ; on ne réussira pas à nous faire passer pour des saboteurs du Parti et de la préparation révolutionnaire du prolétariat.

P. MONATTE,
A. ROSMER,
V. DELAGARDE,

Membres du Comité Directeur.

  1. Le 5° congrès mondial de l’I.C. venait d’exclure pour un an Souvarine qui résistait à la « bolchévisation » engagée par la troika Zinoviev-Kamenev-Staline.