Lettre à Alexandra Sokolovskaia, mi-mai 1928

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J’ai reçu les mémoires de S. I. Witte et suis en train de les lire avec intérêt. Ce livre va certainement montrer qu’il contient des choses utiles pour moi. C’est parce que, en plus de mon travail essentiel – le bilan des développements mondiaux depuis la guerre impérialiste – , je suis également en train de travailler sur mes mémoires. Préobrajensky m’y a poussé. Je voudrais les aborder le plus largement possible – c’est-à-dire les placer dans le contexte d’une certaine époque. Je commence par le « tout début », la campagne, puis Odessa, puis Nikolaiev, la prison, l’exil, etc. J’ai pioché les vieux journaux, depuis les années 1870, de la bibliothèque d’ici... J’ai déjà beaucoup utilisé ces journaux et j’y ferai encore des excavations à l’avenir. Comme sources auxiliaires, je suis maintenant à la chasse aux livres du contenu le plus varié, comprenant, par exemple, un guide des villes d’Odessa et Nikolaiev, des publications de zemstvos de Kherson et de sa province, des mémoires de narodniki et de membres de la Volonté du Peuple, des documents de la première phase du marxisme russe, des mémoires de fonctionnaires, des statistiques de développement industriel, surtout dans le Sud, etc. Je n’ai absolument pas l’intention d’écrire un « travail académique ». Mais ce que je veux avant tout donner – ou plus important, conserver – c’est un sens de la perspective, parce que guerre et révolution ont écarté le passé, l’ont même refoulé, au point que la jeune génération ne cherche aucune explication à long terme des événements. Cela rend possible en particulier les distorsions les plus vulgaires de la période d’avant-guerre.

Telle est l’allure générale de mon travail qui fait qu’il m’est à la fois plus facile et plus difficile de répondre à ta question de savoir de quels livres exactement j’ai besoin. Je donnerais tout pour avoir accès aux journaux d’Odessa de la période 1888-1898 et de Nikolaiev de 1895 à 1898. Mais il m’a semblé que c’était impossible à moins qu’un camarade d’Odessa ou de Nikolaiev ait conservé une collection complète de l’ancien temps, mais ce n’est guère vraisemblable... Bien entendu, je rendrai consciencieusement tout ce qui me sera envoyé pour le lire.

La seconde partie de mes mémoires portera sur l’Union des travailleurs de la Russie du Sud, la prison à Nikolaiev, Kherson et Odessa, la prison Boutyrka à Moscou, la prison de transit d’Aleksandrov, Oust-Kout et en général toute la période de l’exil sibérien. Pour la première partie, j’ai déjà rédigé des projets passablement longs. Pour la seconde, je n’ai pas encore commencé le travail, mais j’ai commencé à réunir des matériaux. Inutile de dire que, sur la seconde partie, ta collaboration pourrait avoir une importance irremplaçable pour moi, tant dans la collecte du matériau adéquat que dans le domaine des souvenirs personnels. En particulier, j’aimerais revenir sur ce que nous lisions en prison et en exil, les livres et les questions qui nous touchaient, etc. Je ne sais pas si tu as eu l’occasion d’écrire tes mémoires touchant cette période ? Ce serait une bonne chose. On pourrait les imprimer séparément, mais même sous forme manuscrite, ils pourraient m’être très utiles pour mon travail... Il n’est guère vraisemblable qu’on puisse trouver d’autres conditions plus favorables pour écrire ses mémoires que dans cet Alma-Ata béni. Une condition, je te prie : ne pas acheter de livres pour ce travail, en aucune circonstance; pique-les si l’occasion s’en présente. Quant à mon travail principal, dont j’ai parlé plus haut, je vais joindre une brève note indiquant de quel genre de livres j’ai besoin. Si tu as les livres qu’il faut à portée de la main, envoie-m ’en la liste, s’il te plaît, sans expédier les livres et je t’écrirai ceux dont j’aurais besoin. Ainsi nous éviterons que des livres soient envoyés en double d’endroits différents. C’est tout, je crois, en ce qui concerne les livres.