Lettre à Albert Goldman, 25 mars 1940

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L’Héritage d’E. Wolf

Cher Camarade Goldman,

J’ai une question très importante à discuter avec vous. Vous savez que mon jeune ami et ancien collaborateur Erwin Wolf était un homme très riche. Avant de quitter la Belgique pour l’Espagne, il a transmis à son homme de loi son testament, qui lègue les trois quarts de ses biens au parti et le quart à Natalia. Vous savez que sa femme s’est échappée d’Espagne et qu’il a péri seul. L’information sur le testament vient directement de sa femme. Elle dit seulement qu’elle ne connaît pas le nom de cet homme de loi de Bruxelles qui détient le testament. Mais je peux presque avec assurance indiquer de qui il s’agit : ce doit être Plisnier, l’ancien communiste, plus tard vague sympathisant avec nous, maintenant un bourgeois désillusionné, poète et romancier connu (son dernier roman a obtenu un prix). Je sais par des lettres de Wolf lui-même qu’il était en relation amicale avec Plisnier qui l’a aidé à plusieurs reprises en tant qu’homme de loi. C’est pourquoi il est difficile d’imaginer qu’il aurait confié son testament à un autre homme de loi.

Le montant de ses biens représente de 50 à 60000 dollars américains. Il n’est pas nécessaire de souligner l’importance pour le parti d’une somme pareille. 10000 couronnes norvégiennes environ sont déposées à la Christiania Bank of Kreditkasse. Le gros de la somme est déposé dans quelque banque anglaise, en sterling, parts d’acier et bons.

La famille de Wolf est profondément bourgeoise. Ils n’ont rien fait pour le sauver quand il a été arrêté en Espagne. Mais ils font maintenant tout pour mettre la main sur cet argent. En Norvège, la famille n’a pas encore réussi parce que, selon la loi norvégienne, le tribunal ne peut proclamer le disparu comme mort selon toute probabilité que trois ans après sa disparition. Si les éléments en faveur de la mort ne paraissent pas convaincants, le tribunal peut attendre sept ans encore. La période des trois ans finit en septembre de cette année. C’est pourquoi, au vu de cette situation très complexe, il nous faut commencer tout de suite notre intervention juridique et de façon très énergique. Compte tenu de l’importance de l’intérêt du parti engagé dans cette affaire, je crois que vous devriez prendre toute cette affaire en main.

Walter Held propose que Natalia s’adresse à l’ambassade de Belgique à México ou que Hjørdis Knudsen s’adresse au ministère norvégien des affaires étrangères (Hjørdis Knudsen était la femme d’Erwin). Je peux expliquer qu’elle ne soit pas mentionnée dans le testament seulement par le fait que ce testament a été écrit avec leur dangereux voyage en commun en Espagne et que Wolf supposait que s’ils devaient périr, ils périraient ensemble. Il y a plus de deux ans, alors que je ne savais rien du testament de Wolf, j’ai écrit à Konrad Knudsen, le père de Hjordis, qu’il fallait assurer la part d’héritage des mains de cette rapace famille bourgeoise (Konrad Knudsen et Hilda sont nos grands amis. Si on récupère l’héritage et quand on le récupérera, il serait absolument nécessaire de donner à Hjørdis sa légitime part. Mais la première question est de trouver le testament et d’assurer son exécution).

Natalia peut bien entendu s’adresser aux représentants belges (si la Belgique a un représentant au Mexique). Mais le moyen le plus direct et le plus sûr est une lettre de vous, en qualité de représentant légal de Natalia, à Me Plisnier à Bruxelles, avec une demande d’information au sujet du testament.

Wolf n’a mis Hjørdis au courant de cette affaire, à Barcelone, qu’après sa première arrestation. Cela explique pourquoi son information sur cette affaire est un peu vague (comme je l’ai dit, elle ne connaît pas le nom de l’homme de loi et elle ne sait pas entre les mains de qui il est stipulé de verser les trois quarts de l’héritage et à quel « parti » ils sont destinés, etc.). En tout cas, Natalia est maintenant la seule personne qui puisse intervenir contre la famille.

A mon avis, votre lettre à Plisnier pourrait avoir un caractère préliminaire. Vous informez Plisnier que, selon des personnes proches d’Erwin Wolf (mieux vaut ne pas mentionner Hjørdis maintenant), vous avez été informé du dépôt du testament d’Erwin Wolf chez un homme de loi de Bruxelles et que, d’après la correspondance de Wolf dont vous disposez, vous concluez qu’il s’agit de Me Plisnier. Vous savez par les mêmes sources que Natalia est l’une de ses héritières et que vous représentez ses intérêts. Mieux vaut ne pas mentionner l’autre héritier, le parti, parce que nous ignorons la forme sous laquelle il est désigné dans le testament et je doute beaucoup que Plisnier, dans l’état d’esprit où il est à présent, serait disposé à aider le parti. Il n’est pas exclu qu’il puisse aider la famille contre le parti. Théoriquement, il est possible que Natalia soit désignée comme unique héritière avec l’indication de la façon dont l’héritage devrait être réparti. En tout cas, je le répète, on ne peut maintenant aborder cette question qu’au nom de Natalia. Vous devriez la nommer Natalia Sedova, mais également mentionner le nom de son mari afin d’éviter tout malentendu sur les noms.

Demain nous allons discuter ici la façon d’aborder le consulat belge mais ces deux actions peuvent être menées indépendamment l’une de l’autre.

Fraternellement.

P.-S. : Je préférerais communiquer avec vous sur cette question de façon confidentielle. J’apprécierais hautement une autre adresse. Si vous souhaitez écrire au sujet de cette affaire, adressez-vous à moi sous le nom ci-dessus (George James) chez Wells Fargo, à Mexico City, D. F.

P.P.-S. : L’adresse de Plisnier est la suivante : Charles Plisnier, c/o Editions Correa, 166, boulevard Montparnasse, Paris XIVe.

Je crois que ce serait bien que vous écriviez également une lettre à Hjørdis Knudsen. Son adresse : Mme Hjørdis Knudsen, « Cultus », Hønefoss (Norvège). Vous pouvez indiquer dans la lettre à Hjørdis ce que j’ai dit de la nécessité de lui assurer sa légitime part.