Les résultats du Plénum du Comité Exécutif de l’IC

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Compte rendu fait au Plénum du Comité de Moscou du PC de l’Union Soviétique, le 4 juin 1927 par N. I. BOUKHARINE

Nous donnons ici le sténogramme du discours du camarade Boukharine, avec quelques coupures.

LA RÉDACTION.

Camarades,

La signification de la séance plénière du Comité Exécutif de l’I. C. qui vient de se tenir, bien que ce ne soit, formellement, qu’une séance plénière ordinaire du Comité Exécutif, ne sera pas moins importante que celle d’un Exécutif élargi. L’importance en sera grande parce que les travaux du Plénum sont tombés au milieu d’une situation internationale extraordinaire, extraordinaire pour toute une série de raisons. D’abord, il y eut pendant les travaux du plénum la rupture des relations diplomatiques entre l’Union Soviétique et l’Empire britannique, ce qui a souligné fortement toute l’acuité de la situation internationale.

Les travaux du Plénum sont tombés de plus dans une nouvelle période du développement de la révolution chinoise, qui a déjà en soi une énorme importance, une importance historique mondiale. Ces deux événements suffisent à eux seuls pour donner à ce Plénum qui devait, avant tout, réagir sur eux, une, importance particulière dans le développement du mouvement communiste et dans l’histoire des luttes de l’Internationale Communiste. Enfin, l’entrée en scène de notre opposition a également contribué à donner de l’importance à cette séance.

Je ne veux naturellement pas mettre l’entrée en scène de l’opposition sur le même plan que les autres faits qui ont une importance historique extraordinaire. Mais, il faut aussi noter le fait, d’autant plus que cette fois-ci, l’opposition est intervenue d’une façon qui tranchait, et par la forme, et par le ton, et aussi par son contenu, sur ses manifestations antérieures. Jamais auparavant l’opposition n’était intervenue de façon aussi vive, aussi hostile au parti et en même temps aussi décidée qu’elle ne l’a fait au cours de la séance plénière du Comité Exécutif qui vient de se terminer. Trois questions importantes étaient à l’ordre du jour.

La lutte contre les dangers de guerre et contre la guerre en liaison, avec la situation générale internationale, la question chinoise, la question anglaise, Plus tard, vint s’y adjoindre une quatrième question qui s’ajouta à l’ordre du jour au cours même de notre plénum, la sentence sur l’intervention de l’opposition.

Sur la lutte contre la guerre[modifier le wikicode]

Nous partons tous de ce fait incontestable qu’une intervention capitaliste se prépare en Chine, contre les forces de la révolution chinoise. Nous partons tous du fait qui est presque devenu un axiome, que le gouvernement anglais ne se contente plus d’entreprendre l’encerclement systématique de l’Union Soviétique, mais qu’il prépare systématiquement la guerre contre l’Union Soviétique.

Les problèmes que le Comité Exécutif de l’I. C. s’était posé, et qui réclamaient une solution, résultent du caractère particulier de la situation internationale actuelle, fortement différente de la situation de 1914, c’est-à-dire de l’époque qui est à la source de la première grande guerre mondiale impérialiste. Les tâches que nous avions à remplir sont donc différentes de celles qui attendaient les organisations du prolétariat révolutionnaire en 1914. Toute une série de problèmes, de mots d’ordre, de différentes tâches tactiques qui nous sont posées doivent forcément se différencier des problèmes, des mots d’ordre et des tâches que les bolchéviks avaient à résoudre au moment de la première guerre mondiale.

La différence principale entre les événements qui se déroulent actuellement et les événements de 1914, c’est que nous n’avons plus affaire à une lutte d’Etats impérialistes entre eux (même si une lutte de ce genre n’est pas complètement exclue), mais que nous avons affaire en première ligne à une lutte des Etats impérialistes contre l’Union Soviétique d’une part, et contre la Révolution chinoise d’autre part. L’existence d’une Union des Républiques prolétariennes, le fait que se développe en même temps, et sous son influence, la grande lutte de libération chinoise qui prend déjà dans une certaine partie la forme d’un Etat et qui possède son centre national organisé, l’existence de ces deux grands événements historiques devait naturellement influencer la discussion de toute une série de questions, et aussi la décision que l’I. C. devait prendre sur ces questions.

Au début de mon rapport, je disais que l’existence des républiques soviétiques et de la Révolution chinoise change et la situation objective, et le cours des événements, et la façon dont nous devons poser les tâches du prolétariat révolutionnaire. Il va de soi que lorsqu’il s’agissait d’une guerre entre Etats impérialistes, on pouvait dire avec une bonne part de vraisemblance que la majorité des masses travailleuses commencerait par se battre aux côtés de son gouvernement et s’occuperait, comme en 1914, de cette maudite question de savoir quel est celui qui a ‘attaqué l’autre.

Le fait de la révolution chinoise et l’existence de l’Union des républiques socialistes, particulièrement à cause de la politique de paix que l’Union des républiques socialistes fait et fera, change pourtant un peu ces conditions. On comprend, en effet, que la majorité des travailleurs ne se tournera qu’à contrecœur contre l’Union des républiques socialistes, en admettant même qu’elle s’y tourne.

Les gouvernements bourgeois auront beaucoup plus de mal à diriger leurs mercenaires et leurs forces armées contre les républiques prolétariennes et contre leurs alliés du mouvement national révolutionnaire en Chine.

Comment le Comité Exécutif a-t-il tranché la question des méthodes de lutte ? Le Comité Exécutif a tranché ce problème en disant que le mot d’ordre de la grève générale, le mot d’ordre de l’insurrection, le mot d’ordre de la transformation de la guerre impérialiste en une guerre civile, tous ces mots d’ordre devaient servir à l’orientation de notre parti ; et que le point central, c’était de préparer leur réalisation.

Le moment où ces mots d’ordre doivent cesser d’être des mots d’ordre d’agitation et.de propagande et conduire immédiatement à l’insurrection ou à la grève, le moment où nous devons passer de la propagande de la grève générale et de l’insurrection armée à leur réalisation immédiate, sont des choses qu’il est difficile de déterminer pas avance. Nous pouvons certainement déterminer par avance que, dans la très grande majorité des Etats, on ne pourra pas réaliser cela dès le commencement de la guerre.

Nous devons pourtant voir clairement qu’il y aura des cas où ce sera possible, même si ces cas sont l’exception, cela ne fait aucun doute. Le moment, les délais, où les mots d’ordre d’agitation et de propagande devront devenir des mots d’ordre d’action immédiate seront déterminés par la situation, par l’existence d’une situation révolutionnaire, par la force du parti communiste, par le degré d’excitation dans les masses, par l’état d’esprit des couches dirigeantes, en un mot, par toute une série de conditions objectives et subjectives. Ces mots d’ordre deviendront des mots d’ordre d’action immédiate lorsque le prolétariat verra qu’il a quelques chances de pouvoir les réaliser.

I. — Les méthodes de lutte. — Sur la grève générale et l’Insurrection[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la question des méthodes de lutte. Quand on traite ces questions, on cite d’ordinaire deux documents très importants: la résolution du congrès de Bâle de la IIe Internationale, avec le célèbre additif à cette résolution que les camarades Lénine et Rosa Luxembourg avaient déjà proposé à Stuttgart et qui fut adopté dans la résolution de Bâle, où l’on dit qu’en cas de guerre il sera nécessaire « d’utiliser tous les côtés de la crise économique et politique provoquée par la guerre, pour soulever le peuple et l’entraîner à renverser la domination du capital ».

On y ajoute un des derniers documents qui donnent des indications précises sur la question de la lutte contre la guerre, la célèbre instruction du camarade Lénine à notre délégation au congrès des organisations syndicales, coopératives, pacifistes et autres à La Haye.

Dans cette instruction, Lénine insiste surtout sur cette thèse qu’il faut lutter de toutes ses forces contre l’idée folle et ridicule que l’on peut « répondre » à la guerre par une grève générale ou par la révolution, qu’en fait la plus grande partie des ouvriers prendra position dans les premiers jours de la guerre du côté de la patrie bourgeoise, qu’il faut démasquer à tout prix ce point de vue des gens qui pensent qu’ils ont en main le remède universel contre le mal de la guerre, qu’il faut démasquer les opportunistes, les demi-pacifistes et les pacifistes, lorsqu’ils s’imaginent « savoir » comment on peut lutter contre la guerre, qu’il faut se dresser contre la phrase que l’on peut « répondre » à la guerre par une grève générale ou par la révolution. Telles sont les thèses principales sur lesquelles appuie le camarade Lénine dans les instructions qu’il rédigea.

Au cours des travaux de notre commission, différentes idées se sont faites jour sur le sens qu’il faut donner à cette instruction de Lénine sur les instructions de Bâle. (Il faut bien se rappeler que la formule, du Manifeste de Bâle est empruntée à un document qui avait déjà été adopté au Congrès de Stuttgart. Le texte original de cet additif parlait directement d’action révolutionnaire, c’est-à-dire de grève et d’insurrection.) Dans la résolution de Bâle, on cite la Commune de Paris et la Révolution de 1905, où la grève générale et l’insurrection avaient été comme on sait les formes les plus élevées du combat.

Les mots d’ordre de la grève générale et de l’insurrection armée, furent donc ainsi sous une forme voilée, présentés comme les mots d’ordre qui doivent déterminer notre route pendant les préparatifs des opérations de guerre par la bourgeoisie, et ensuite, pendant la guerre. Mais, d’un autre côté, l’instruction de La Haye dit que les phrases qui parlent de « répondre » à la guerre par une révolution n’ont aucun sens, qu’il est nécessaire d’étudier longuement la situation des choses et de partir du fait qu’au début de la guerre, la majorité des ouvriers trancheront la question de la guerre en faveur de leur patrie bourgeoise.

Je veux vous montrer quelques-unes des nuances qui se sont faites jour au cours des travaux de notre commission et montrer comment nous les avons résolues. Les uns disaient : il faut donner comme directives à nos partis communistes, sans aucune réticence, le mot d’ordre de la grève générale et le mot d’ordre de l’insurrection armée. Les partis devront tendre vers ces buts et chercher à les réaliser dans la période de la préparation de la guerre par les Etats impérialistes et pendant la guerre.

D’autres disaient: il faut nous attacher surtout à démasquer les gens qui parlent de la possibilité de répondre à la guerre par la grève générale, l’insurrection, la révolution. Quelle est la réponse exacte à cette question ? Ce qui est avant tout ridicule, c’est d’opposer l’un de ces documents à l’autre. Il est ridicule d’opposer les résolutions de Stuttgart avec ce qu’elles demandent en rappelant les luttes de masses des communards et de la révolution de 1905, aux instructions de Lénine au congrès de La Haye, où l’on parle surtout de la nécessité de juger attentivement et sans illusion la situation qui naît aux premiers jours de la guerre.

Il faut comprendre les instructions que le camarade Lénine donnait à la délégation à La Haye, en montrant qu’elles ne sont aucunement dirigées contre le mot d’ordre de la grève générale.et du soulèvement armé, comme méthode de lutte contre les dangers de guerre et contre la guerre. Il faut voir que ces indications du camarade Lénine sont dirigées contre la phrase, contre la phrase vide de la grève générale, de la révolution et du soulèvement armé en réponse à la guerre. C’est là le vrai sens. Lénine ne s’est aucunement dressé contre ces mots d’ordre en soi. Lénine n’a fait que lutter avec toute son âpreté politique contre la phrase, contre la phrase vide des réformistes. Nous savons justement que toute une série de congrès social-démocrates, toute une série de congrès syndicaux, beaucoup de chefs des partis socialdémocrates ont déclaré qu’ils « répondraient » à la guerre par la grève générale. De même beaucoup de héros du syndicalisme soi-disant révolutionnaire, parlent de cette grève générale, comme du remède à tous les maux.

Et en même temps, et dans l’un et dans l’autre camp, on ne remue même pas le petit doigt pour entreprendre par avance, systématiquement, jour après jour, la préparation de la lutte contre la guerre. Il va de soi que, lorsque quelqu’un parle du mot d’ordre de la révolution et de l’insurrection pour répondre à la guerre et qu’il le fait de cette manière bien particulière, dans son esprit ce ne sont que des phrases creuses et destinées à tromper les masses, lorsque ces gens renoncent à une préparation systématique, qui cherche à organiser la grève générale, à organiser l’insurrection, à organiser la révolution, en accord avec une analyse marxiste exacte de la situation objective, ce ne peut être qu’une duperie dont nous ne voulons pas être complices.

Dans le point de vue de Lénine, ce qui .était la chose la plus importante, et ce qui doit être aussi la chose la plus importante du point de vue du parti communiste, c’est que notre parti s’oriente de telle sorte que le plus important, le point décisif, le point fondamental, nécessaire, l’âme du problème, soit de préparer à temps la lutte contre la guerre.

Cette préparation suppose la création d’une organisation illégale, le travail parmi les soldats et les matelots, un travail énergique parmi les syndicats, une dénonciation systématique des mensonges opportunistes et socialistes, un travail systématique de propagande des idées bolchévistes dans la lutte contre la guerre et un« tension de toutes les forces pour la mobilisation du travail légal et illégal, militaire et civil, de toutes nos forces d’agitation et de propagande pour la lutte centre les dangers de guerre.

C’est ainsi que l’on peut et que l’on doit traiter la question. Celui qui, pour répondre aux dangers de guerre, se contente de crier après la grève générale est un phraseur, si ce n’est pas un traître. Celui qui crie que la classe ouvrière répondra à la guerre par la révolution est un phraseur. C’est un non-sens que de se représenter la révolution comme un acte isolé, comme une réponse. C’est tromper les masses que de les exciter à répondre de la sorte, sans avoir entrepris auparavant un travail préalable et le plus fort possible.

Tel est le sens des instructions que le camarade Lénine a données à notre délégation. Les instructions de La Haye ne contredisent en rien les instructions de Bâle. Il ne faut pas considérer ces deux documents comme des choses qui s’excluent l’un l’autre. Au contraire. L’un donne les mots d’ordre et les méthodes de lutte qui doivent nous orienter, tandis que l’autre appuie sur le point de la lutte où nous devons nous arrêter pour que ces mots d’ordre ne restent pas sur le papier, pour qu’ils deviennent des mots d’ordre efficaces qui nous conduisent finalement à répondre comme il faut aux différentes situations politiques.

II. - Sur notre mot d’ordre central dans la lutte contre la guerre et les dangers de guerre[modifier le wikicode]

Tel est le premier problème qu’eut à résoudre le Plénum en ce qui concerne les préparatifs contre la guerre. Le deuxième problème, c’est la question du mot d’ordre central pour les partis communistes dans le moment actuel, en face de la situation concrète donnée. Sur cette question, se développa également une discussion intéressante dans la commission qui s’en occupait. Au premier coup d’œil, cette question est extraordinairement simple. Pourtant, quand on la regarde de plus près, elle se montre, dans les circonstances actuelles, plus compliquée que la situation que nous avions au début de la guerre impérialiste.

Nous avons affaire ici à toute une série de particularités. D’abord, la guerre en Europe n’est pas encore directement commencée, ni la guerre contre l’Union Soviétique, mais il s’agit, en première ligne, d’une attaque entre l’Union Soviétique. L’Union Soviétique est un très grand facteur politique, et elle a mis sur son drapeau le mot d’ordre de la paix.

Rappelons-nous comment les bolcheviks ont traité la question du mot d’ordre central au début de la guerre impérialiste et quelles divergences en ont résulté. Il y avait des divergences d’opinion très profondes qui nous séparaient, nous autres, bolchéviks, de tous les autres courants. Ceux de nos adversaires qui étaient les plus à gauche, y compris le camarade Trotsky, faisaient de la paix le mot d’ordre central, celui qui devait ordonner tous les autres, tandis que notre parti et son Comité Central étaient contre le mot d’ordre de la paix et voulaient faire du mot d’ordre de la guerre civile, du mot d’ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, leur mot d’ordre central.

Le parti ne mettait pas ce mot d’ordre sur la même ligne que celui de la paix, il n’en faisait pas un mot d’ordre qui peut aller de pair avec celui de paix, mais il considérait cela comme un mot d’ordre excluant celui de la paix. Nous luttions à ce moment-là contre tous nos adversaires, y compris le groupe « Notre Parole », à la tête duquel se trouvait le camarade Trotsky. Eux posaient le mot d’ordre de la paix. Nous opposions au mot d’ordre de la paix celui de la guerre civile.

Nous considérions le mot d’ordre de la guerre civile comme l’arme la plus puissante dans notre lutte contre les illusions pacifistes, y compris les illusions qui régnaient dans les groupements de gauche et qui comptaient se placer à un point de vue révolutionnaire internationaliste. Pouvons-nous, dans la situation actuelle, abandonner le mot d’ordre de la paix, alors que les républiques soviétiques, qui sont les organisations d’Etat du prolétariat, défendent ce mot d’ordre de toutes leurs forces et qu’il correspond aux intérêts réels les plus vitaux de la forteresse la plus grande et la plus importante du mouvement prolétarien international ?

Enfin, nous ne devons pas oublier que la guerre en Europe n’est pas encore commencée qu’il n’y a pas eu encore d’attaque directe de l’Union- Soviétique, bien que les préparatifs pour cela marchent à toute vapeur. Ce sont des facteurs comme celui-là qui montrent combien la situation est actuellement compliquée. On pourrait croire que le plus simple, c’est de résoudre la question en disant, puisqu’il n’y a actuellement aucune guerre, puisqu’il est impossible que les mots d’ordre de l’Etat prolétarien soient en contradiction avec les mots d’ordre des partis communistes, puisque le mot d’ordre de la paix sera certainement soutenu par de très grandes masses, puisque nous avons justement ici une union entre la ligne des républiques prolétariennes et les mots d’ordre des larges masses, alors faisons du mot d’ordre de la paix le mot d’ordre central pour tous les partis communistes. On pourrait croire que cette solution de la question correspond à la situation donnée.

Pourtant, il n’en est rien. Comment poser la question du mot d’ordre central pour tous les partis communistes, pour toute l’Internationale Communiste ? Pour répondre à cette question, il faut voir où sont les nœuds des événements actuels. Les deux nœuds des événements actuels sont les relations entre l’Angleterre et l’Union Soviétique et l’attitude que prendra le front impérialiste vis-à-vis de la révolution chinoise. Le point qui doit directement entraîner tous les conflits internationaux, toutes les complications possibles, le blocus, les attaques armées, etc., se trouve actuellement en Chine. Le développement de la révolution chinoise est la force dynamique qui trouble tout l’équilibre sur lequel reposait la période de repos qui devait permettre à l’Union Soviétique de respirer un peu. En même temps que la construction intérieure du socialisme à l’intérieur de l’Union Soviétique, le développement rapide de la révolution chinoise menace de renverser la stabilisation capitaliste.

C’est donc en Chine et dans l’Union Soviétique que se trouvent les nœuds de la situation internationale. Le Parti communiste chinois se trouve directement sous le feu de son adversaire. Pouvons-nous poser, pour le Parti communiste chinois, le mot d’ordre de la paix comme mot d’ordre principal ? Le Parti communiste Chinois se trouve actuellement dans une situation qui exige de lui un esprit de lutte, un esprit d’offensive, je voudrais presque dire, un esprit militaire révolutionnaire formidable.

Si le Parti communiste chinois et la gauche du Kuomintang, qui se trouve sous son influence, les organisations militaires correspondantes, etc., posaient le mot d’ordre de la paix, cela voudrait dire la paix avec Tchang Kaï Chek, la paix avec les impérialistes, etc. Cela au moment où la lutte militaire contre les grands féodaux et contre les impérialistes constitue une partie de la révolution qui, pour le moment encore, est en train de se développer. Ainsi, si nous posions le mot d’ordre de la paix comme notre mot d’ordre central, comme un mot d’ordre qui doit valoir pour tous les partis et, en première ligne, pour le Parti communiste chinois qui se trouve, en certaines mesures, à l’avant-garde, nous nous trouverions dans cette situation que nous arriverions à décomposer les forces d’un des partis communistes les plus importants.

L’ensemble de la situation politique exige, au contraire, de ce parti qu’il ne crie pas : «Paix avec les féodaux ! Paix avec Tchang Tso Lin ! Paix avec Tchang Kaï Cheik! Paix avec les impérialistes ! », mais, qu’au contraire, il tende toutes ses forces pour élargir la lutte contre les forces contre-révolutionnaires. Le Parti communiste chinois est, dans la conjoncture politique actuelle, dans la situation politique actuelle, plus qu’une section ordinaire de l’Internationale Communiste, c’est une des sections sur laquelle repose la plus grande des tâches politiques, c’est une section qui porte sur ses épaules une immense responsabilité politique.

Ce parti se trouve directement sous le feu de l’ennemi et prend, du point de vue de la révolution internationale, actuellement la place d’honneur. Il va de soi qu’on pouvait encore donner beaucoup d’autres arguments contre le mot d’ordre de la paix, à propos de la lutte contre le pacifisme, etc. Après des débats assez longs dans la commission, nous avons tenu pour nécessaire d’adopter comme mot d’ordre central le mot d’ordre de la défense de la révolution russe et de la révolution chinoise.

Ce mot d’ordre comprend tous les autres : la lutte contre la guerre, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, la lutte pour la paix, l’action du Parti communiste chinois pour dresser un front contre les impérialistes, contre Tchang Kaï Chek, contre les féodaux, etc. Toute action qui se déroule sur le plan de la lutte révolutionnaire peut être comprise sous ce mot d’ordre. Tel est l’essentiel sur ce second problème. Comme vous .le voyez, l’appréciation particulière de la situation particulière que nous avons prise et le caractère de notre mot d’ordre, qui n’est pas du tout une simple répétition de nos mots d’ordre de 1914, résultent des particularités des questions importantes de la situation mondiale donnée.

III. — Attaque et défense sur la défense nationale[modifier le wikicode]

Il fallait également soumettre beaucoup d’autres problèmes à des changements correspondants. Tous peuvent être groupés autour du fait qu’autrefois un des coups les plus décisifs que nous avons portés aux social-patriotes fut le coup contre leur fameuse théorie des guerres défensives et offensives des Etats impérialistes. Au début d’une guerre, chaque Etat impérialiste prétend qu’on l’a attaqué.

Les socialchauvins des différents pays ont justement bâti leur politique sur l’analyse de cette question : quel est l’attaqué et quel est l’attaquant? En face de cela, notre point bolchéviste et notre réponse bolchevique à cette question, c’était qu’on ne pouvait pas poser la question de cette façon, que c’était ridicule, parce que, dans une guerre impérialiste, il n’y a ni attaqué ni attaquant, les attaquants sont de tous les côtés.

L’objet de l’attaque, ce sont les pays coloniaux. En ce qui concerne les Etats impérialistes, leur tentative pour déterminer les coupables qui attaquent, les innocents qui ne font que se défendre, est une bêtise absolue. Il va de soi que l’existence de l’Union Soviétique et un facteur comme la révolution chinoise excluent complètement cette façon générale de poser la question. Car il ne s’agit pas ici de deux Etats impérialistes, mais de deux organisations différentes au point de vue de classes du pouvoir d’Etat. Dans notre conflit avec l’Angleterre, nous ne pouvons nous contenter de dire que l’Angleterre nous a attaqués.

Au contraire, nous devons affirmer, et cela correspondra entièrement à la réalité, que nous, nous attaquerons. L’Union Soviétique mène, en réalité une politique de paix. Notre attaque, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est, en première ligne, notre renforcement économique; pourtant, c’est une catégorie d’un tout autre ordre. Les événements actuels changent encore plus notre façon de poser la question en ce qui concerne la défense nationale.

Si, lors de la première guerre impérialiste, on niait pour toutes les grandes puissances la défense nationale, parce que ces puissances étaient des puissances impérialistes, au, contraire; pour les républiques prolétariennes, la défense de la patrie est la première tâche des partis prolétariens. Tandis que, dans les pays capitalistes, les communistes devaient se placer au point de vue défaitiste, dans l’Union Soviétique, nous devons être pour soutenir sous toutes ses formes notre patrie prolétarienne.

Il faut, là-bas, chez les capitalistes, nier complètement la défense nationale ; il faut, au contraire, chez nous, la prouver entièrement. Cette marche de notre pensée vis-à-vis des républiques prolétariennes est juste. Elle est également juste vis-à-vis d’un gouvernement, vis-à-vis d’une organisation d’Etat, disons comme est actuellement l’Etat national révolutionnaire en Chine, qui combat l’impérialisme. Lénine a traité, à la différence de beaucoup d’autres, la question de la défense nationale en pleine clarté. Tout en se tournant de toutes ses forces contre les défenseurs social-patriotes des patries impérialistes, Lénine ne se contentait pas de dire que lorsque la patrie n’était pas une patrie prolétarienne, il n’y avait aucune raison de la défendre.

Lénine était très éloigné de simplifier autant la question. Il disait que la défense de la patrie était une formule vulgaire, petite-bourgeoise, qui servait à justifier la guerre et qu’elle n’avait pas d’autre sens. Si l’on parle, par exemple, de la défense de la patrie anglaise, ce n’est rien d’autre qu’une expression: pour justifier la guerre menée par le gouvernement impérialiste d’Angleterre. Si l’on parle de la défense de notre patrie, il s’agit, au contraire, de justifier une guerre que nous menons.

Lénine posait de plus la question en disant que toute guerre n’est pas un malheur pour le seul ‘fait que c’est une guerre. La guerre est un malheur ; il faut lutter contre elle lorsqu’elle est menée par des Etats impérialiste. Mais, nous ne devons pas la soutenir seulement quand c’est la classe ouvrière qui est au pouvoir et qui défend son Etat. Une guerre peut être soutenue et justifiée quand c’est une guerre nationale progressiste, une guerre de libération nationale contre l’impérialisme, même si ce n’est pas encore le prolétariat qui est à sa tête. Nous autres communistes, nous devons, a cause de cela, lorsque, par exemple, on parle actuellement de la défense de la patrie en ce qui concerne la révolution chinoise, être dans ce cas-là, résolument pour le soutien de la guerre.

IV. — Sur les alliances avec les Etats bourgeois, sur le mot d’ordre de la fraternisation et du passage aux côtés des armées révolutionnaires[modifier le wikicode]

Il faut aussi poser la question de la possibilité d’alliance avec les Etats bourgeois. Cette question a déjà été posée une première fois à un des congrès de l’Internationale Communiste, au moment de la discussion du programme. S’il y avait une combinaison telle qu’un Etat bourgeois quelconque, par suite de circonstances particulières, passe au milieu de grands bouleversements, aux côtés de l’Union Soviétique et contre les impérialistes, les partis communistes devraient soutenir la guerre impérialiste de cet Etat.

Si, par exemple, un des Etats orientaux, n’appartenant pas à la coalition impérialiste, voulait, au cours du grand conflit entre l’Union Soviétique et l’Angleterre, conflit dans lequel sera entraînée toute l’Europe, conclure une alliance avec l’Union Soviétique, l’Etat prolétarien aurait le droit de conclure cette alliance, et les communistes devraient la soutenir. Nous n’aurions plus, en effet, affaire à un Etat impérialiste, mais à un Etat qui lutterait aux côtés de l’Union Soviétique contre l’impérialisme.

Ce ne serait plus simplement un Etat bourgeois, mais un Etat bourgeois dont la baïonnette serait dirigée contre le régime impérialiste. Ce ne serait plus une partie de la coalition impérialiste, mais inévitablement, indépendamment de la propre volonté, grâce aux conditions objectives, il jouerait le rôle d’un certain allié de la coalition anti-impérialiste, à la tête de laquelle se trouve la République prolétarienne. Lénine écrit directement dans un passage sur l’alliance révolutionnaire avec l’Inde, la Chine et la Perse, et il n’y met aucunement comme condition la préexistence d’une dictature prolétarienne dans ces pays.

Vous voyez donc que cette question est aussi actuellement à l’ordre du jour. Je passe sur une série d’autres questions qui sont de moindre importance, et je vais m’occuper d’un mot d’ordre auquel on croyait qu’il n’y aurait pas le moindre changement à apporter, quel que soit le développement de la situation actuelle, le mot d ordre élémentaire, spécifiquement bolchévik, le mot d’ordre de la fraternisation. Ce mot d’ordre avait la plus grande importance dans notre lutte contre la guerre, au cours des années de la première tempête mondiale. Pendant le travail du Comité Exécutif, nous nous sommes demandé si la situation actuelle n’allait pas apporter quelques changements à ce mot d’ordre.

Pouvons-nous, tout comme en 1915-1918, lancer partout et toujours, dans n’importe quelle condition, ce mot d’ordre de fraternisation. Nous sommes arrivés à cette conclusion que la situation actuelle nous oblige à y apporter certaines corrections. Nous sommes partis avant tout pour cela des expériences de notre propre guerre civile. Le mot d’ordre de la fraternisation dans les tranchées a joué un rôle immense lorsque les armées des impérialistes, les armées tsaristes et les armées de Kerensky luttaient contre la coalition impérialiste à la tête de laquelle se trouvait l’Allemagne.

Mais, lorsque l’armée rouge eut à lutter contre Youdenitch, contre Koltchak, etc., avons-nous continué à poser le mot d’ordre de la fraternisation ? Non, nous ne l’avons plus posé. C’est tout simplement un fait qui est encore dans toutes les mémoires. Pourquoi le mot d’ordre de la fraternisation qui avait joué pendant la guerre impérialiste un si grand rôle, disparut lorsque nous eûmes une armée rouge et que cette armée rouge eut à combattre contre ses adversaires ?

Nous en sommes arrivés à cette, conclusion que le mot d’ordre de la fraternisation est un mot d’ordre qui doit servir à désorganiser les deux partis qui fraternisent, lorsque deux armées impérialistes sont placées l’une en face de l’autre et lorsque le mot d’ordre de la fraternisation, dans la mesure où il est réalisé, décompose les deux partis.

Mais, s’il en est ainsi, nous comprenons tout à fait pourquoi nous n’avons pas posé ce mot d’ordre lorsque nous avons déjà eu notre propre armée révolutionnaire et qu’elle luttait contre l’adversaire. Ce mot d’ordre est une arme à deux tranchants, et il fallait une fermeté toute particulière pour ceux de nos camarades qui fraternisaient, pour que le mot d’ordre de la fraternisation, le processus de la fraternisation elle-même, ne secourt pas notre propre discipline révolutionnaire.

Nous avons choisi la ligne suivante. En cas d’un conflit entre deux armées impérialistes d’un côté et disons, une armée prolétarienne et une armée nationale révolutionnaire de l’autre, notre mot d’ordre doit être le mot d’ordre du passage des soldats de l’adversaire dans nos rangs, non plus le mot d’ordre de la fraternisation, mais celui du passage dans nos rangs. Cela n’exclut pas la marche de la fraternisation, mais celle-ci doit être organisée tout autrement.

Il ne s’agit plus de faire que toute la masse se glisse dans les tranchées de l’adversaire, mais nous devons avoir des gens faisant notre propagande, disséminés dans le camp de l’adversaire et devant détruire la discipline contre-révolutionnaire des ennemis de la révolution. Ainsi, la situation actuelle, l’existence de l’Etat prolétarien des Soviets et des organisations nationales révolutionnaires en Chine nous oblige à apporter certaines corrections, même à un mot d’ordre aussi élémentaire, d’apparence aussi claire que celui de la fraternisation.

La lutte contre la guerre et l’opposition[modifier le wikicode]

Je vais m’arrêter un peu à la plate-forme de notre opposition en ce qui concerne la lutte contre la guerre. L’appréciation générale de la situation internationale que l’opposition a apportée au plénum du Comité exécutif, c’est que nous sommes actuellement plus faibles que nous ne l’étions auparavant. Nos camarades oppositionnels nous ont énuméré une série de défaites : défaite en Bulgarie, en Esthonie, défaite de 1923 en Allemagne, défaite lors du coup d’Etat de Tchang Kaï Chek en Chine, etc. Résultat final : nous sommes maintenant plus faibles que nous l’étions auparavant.

Je pense que cette appréciation est totalement inexacte. Que nous ayons subi des défaites et même des défaites très dures, c’est un fait. Mais, l’effort de l’opposition pour mettre ces défaites à la charge de ce qu’on appelle la majorité opportuniste du Comité central reste un échec, et les moyens n’en étaient pas bons, car toute une série de ces défaites coïncident avec le point culminant du rôle dirigeant du camarade Zinoviev dans l’I. C. et du rôle prépondérant à l’intérieur du Bureau politique du P. C. de l’U. R. S. S. de certains camarades qui n’en sont plus membres actuellement. Mais, je ne veux pas faire dévier votre attention sur ces questions. Je veux seulement souligner que la conclusion que nous sommes actuellement plus faibles que nous ne l’étions auparavant est fausse.

En Europe, il y a eu ces temps derniers un certain regroupement des forces. On a tenu compte de ce phénomène dans les thèses sur la stabilisation partielle du capitalisme. La situation actuelle des choses est que nous avons un renforcement passager du capitalisme européen, et- en particulier du capitalisme de l’Europe centrale. Les déclarations qui nient la stabilisation partielle du capitalisme sont un non-sens absolu. La situation économique du capitalisme européen, et en premier lieu la situation économique du capitalisme allemand se sont renforcées.

On a fait, dans l’industrie, de grands investissements de capitaux. Les données que nous pouvons trouver dans les journaux et les index économiques, tout aussi bien que les communications des camarades qui viennent de ce pays, tout montre une montée de l’économie. Mais, c’est une autre question de savoir ce qui arrivera par la suite.

Par suite de la faible capacité d’absorption du marché intérieur, il peut s’ensuivre, au bout d’un certain temps, une grande faillite, mais pour l’époque immédiate, la courbe dm développement est encore ascendante. Il n’y a donc aucun doute que la situation du capitalisme allemand s’est renforcée. Aucun doute non plus que la consolidation politique des forces du capitalisme allemand, la réunion des agrariens et des industriels de toutes nuances, le renforcement des organisations fascistes, la .consolidation de ces organisations et leur unité de front, le front unique qui est établi maintenant entre elles et le gouvernement, tout cela redonne de la force aux Allemands. Les phrases sur la décomposition rapide du capitalisme polonais ne sont également pas exactes. Au contraire, nous voyons, aussi bien politiquement qu’économiquement une consolidation passagère indubitable du capitalisme polonais. Elle a toute une série de causes.

La bourgeoisie polonaise a d’abord été aidée par la grève anglaise, puis par toute une série d’investissements et d’emprunts, lui venant avant tout du capitalisme américain. Le regroupement des forces en direction d’une stabilisation du capitalisme, la consolidation de ses positions politiques en Europe centrale ne laissent également aucun doute. Pas de doute non plus que Zinoviev a. commis une faute en disant récemment que la stabilisation était déjà disparue.

Le caractère particulier de la situation actuelle, c’est donc que la grande inégalité de développement du capitalisme dont nous parlions déjà au VIIe Exécutif élargi de l’I.C. s’est, depuis ce temps-là; renforcée. Les dissemblances, les différences, les contradictions à l’intérieur du développement des différentes parties de l’économie mondiale s’expriment de façon encore plus visible.

Et si nous pouvons remarquer encore une consolidation ascendante du capitalisme continental européen, nous voyons, au contraire, que la tempête de la révolution chinoise va croissant, que cette tempête secoue tout le système des rapports mondiaux de l’économie actuelle. Lorsque nous considérons tous les faits de ce développement, lorsque, par conséquent, nous apprécions aussi, nous faisons aussi entrer en ligne de compte, avec toutes leurs conséquences, la révolution chinoise et la puissance croissante de l’Union soviétique, nous n’avons pas le droit d’en tirer comme bilan que nous sommes devenus plus faibles.

Certainement, notre adversaire est devenu plus fort (c’est ce qu’on appelle la stabilisation partielle), mais en général, le rapport des forces n’a pas changé à son profit. La formule disant que nous sommes devenus plus faibles n’exprime pas le rapport réel. L’appréciation d’ensemble que nous a donnée de la situation l’opposition, n’est donc pas juste. Passons maintenant aux propositions concrètes que nous a faites l’opposition. Il faut d’abord remarquer que toutes ses propositions ont été accompagnées d’attaques in owe s contre le Comité Central de notre parti et contre l’Internationale Communiste. Jamais encore nous n’avions entendu de telles déclarations aussi mensongères, calomniatrices, aventurières, même au cours des dernières années du développement des luttes intérieures de notre parti et de l’Internationale.

Et en fin de compte, les camarades Vouïovitch et Trotsky, qui représentaient l’opposition au Plénum du Comité Exécutif, ne nous ont pas fait une seule proposition et ne nous ont pas dit un mot des problèmes que j’ai traités ici. Et cela, bien que dans mon discours, j’aie questionné de la façon la plus pressante le camarade Trotsky sur toutes les questions importantes ayant trait à la préparation de la guerre. Le camarade Trotsky était, pendant la guerre’ impérialiste, contre le mot d’ordre du défaitisme. Se rend-il compte qu’il s’est trompé en repoussant le mot d’ordre du défaitisme et même le mot d’ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ? S’en rend-il compte et le reconnaît il ? Reconnaît-il qu’il s’est trompé en posant le mot d’ordre de la paix comme mot d’ordre central ? Ce ne sont pas là des souvenirs de temps bien éloignés.

Il s’agit de questions actives du présent. Nous roulons, ce n’est un secret pour personne, vers une période qui mettra fin à la période de repos qui- porte en son sein la guerre et l’offensive contre l’Union Soviétique. Nous ne savons pas quand l’orage se déchaînera, mais nous savons qu’il se prépare et de la manière la plus- intensive. Et maintenant, permettez. Si nous donnons sérieusement cette appréciation de la situation actuelle, nous devons être en première ligne préparés idéologiquement à cent pour cent.

Comment pourrait-il en être autrement? C’est maintenant qu’il faut parler de cent, pour cent. Il ne s’agit plus ici de bagatelle ; devons-nous adopter ce point de vue ou un autre ? Devons-nous mettre au centre de nos mots d’ordre celui-là ou tel autre ? Ces questions ont une importance pratique immédiate et ce ne sont pas de petites questions secondaires, c’est .une question fondamentale qui doit donner à nos partis communistes une ligne, une orientation fondamentale. Des problèmes comme celui du défaitisme, celui du mot d’ordre de la paix et de la guerre civile, etc., ont-ils perdu leur force ? Peut-on se contenter de passer à côté ?

La moindre conscience politique demanderait du camarade Trotsky qu’il reconnaisse qu’il s’est trompé autrefois dans ces questions centrales, ou bien qu’il entreprenne une lutte ouverte contre les idées de Lénine. Est-ce qu’on comprend que passer à côté de ces questions, c’est faire preuve du plus grand manque de principe ? Et maintenant, malgré toutes les questions que nous ayons posées Là-dessus au camarade Trotsky. il n’a pas dit un seul mot sur’ toutes ces choses et nous ne savons pas, à l’heure actuelle, ce qu’il pense du défaitisme et de toutes ses fautes passées.

D’après la conception du camarade Trotsky, le bolchévisme s’est transformé au printemps de 1917, et, depuis qu’il s’est trotskysé, il a pris toutes ses armes dans l’arsenal de Trotsky. Peut-être le camarade Trotsky émet-il, dans la question de la guerre, une prétention analogue ? Nous avions le droit d’exiger une réponse claire. On ne nous a pas donné cette réponse claire. Plus que cela, on ne nous a pas donné la moindre réponse à ces questions, ni claire, ni obscure. Et cela, malgré l’énergie inaccoutumée des camarades de l’opposition qui ont lâché sur le Plénum une foule innombrable d’articles, de discours, de déclarations, de discours qui n’avaient pas été tenus, etc. Ils ont mis au monde en tout des documents qui peuvent avoir à peu près cinq cents pages.

Et, dans un volume de dimensions semblables, ils n’ont pas trouvé un seul mot pour les questions les plus importantes, pas la moindre place pour répondre aux questions les plus actuelles de toutes, pas un atome de courage pour avouer leurs fautes opportunistes. Au lieu de cela, le camarade Trotsky se contente de traiter une seule question, la question du Comité anglo-russe. Cette question est, d’après Trotsky, la seule question qui mérite de l’intérêt et y répondre, c’est le seul travail qu’on puisse faire en ce qui concerne les préparatifs contre la guerre. Dire que ces gens prétendent encore avoir des buts politiques larges ! Pourtant, je veux m’attarder un petit peu sur cette question.

Chacun de nous comprendra que, dans l’immense arsenal d’armes défensives que le mouvement ouvrier a à sa disposition, le Comité anglo-russe ne prend qu’une place parmi toutes les autres. Il existe dans le monde une Internationale Communiste, une Internationale Syndicale Rouge, soixante partis communistes, un parti de l’Union Soviétique, une dictature du prolétariat, il existe l’Union Soviétique, la révolution chinoise, etc. Toutes ces armes doivent être mobilisées contre le danger de la guerre.

Mais, les camarades oppositionnels n’ont accordé d’attention à aucune d’entre elles, sauf au Comité anglo-russe, et ils ont reporté’ sur cette question toute la force de leur éloquence, de leur tempérament, de leur mauvaise volonté, de leurs calomnies, et de toute une série de leurs autres vertus pour montrer aux camarades étrangers cette chose comme si c’était, de la part du P. C. de l’Union Soviétique, une véritable trahison du prolétariat. Au reste, la langue de l’opposition, la langue du camarade Trotsky, dans cette assemblée, était des plus particulières. Le Comité Central de notre parti et l’Internationale Communiste étaient accusés toutes les deux phrases et toutes les deux lignes de trahison, d’infidélité, de crimes, etc., etc., ce qui devait soulever et souleva chez les délégués étrangers beaucoup de mécontentement et même si, au début, il y avait chez quelques camarades un peu plus pacifiques, quelque sympathie pour les oppositionnels opprimés et mis de côté dans notre parti, cette sympathie a été vite détruite, et Trotsky a mis tout le monde contre lui.

On le voit par la résolution adoptée sur la question de l’intervention de l’opposition. Les camarades oppositionnels posaient de façon pressante la revendication de la dissolution du Comité anglo-russe. Nous disions qu’il ne fallait pas avoir d’illusions sur l’aide que pourrait apporter la partie anglaise du Comité anglo-russe pendant une guerre ou avant une guerre. Mais, dans la situation historique donnée, dans là conjoncture donnée, nous ne voulions pas nous laisser entraîner à une rupture, parce que cette rupture pourrait éveiller une mauvaise impression après toute une série d’autres ruptures que nous avons à déplorer. L’opposition répétait ce qu’elle a déjà dit depuis longtemps, mais avec une plus grande force : « Vous vous asseyez à côté de brigands qui ont trahi la grève générale, etc., donc, vous trahissez vous-mêmes la classe ouvrière. »

La différence fondamentale entre l’argumentation qu’apportèrent les camarades oppositionnels et celle qu’ils apportaient autrefois fut une plus grande fermeté, une plus grande décision et une plus grande rage dans leurs attaques contre la direction de notre parti et contre la direction de l’Internationale Communiste. Il est pourtant clair qu’il ne suffit pas, pour résoudre la question, de qualifier les chefs de gauche, tout comme les chefs de droite du Conseil générai, d’opportunistes, de réformistes, de briseurs de grèves et d’auxiliaires de l’impérialisme. Ce sont autant de vérités élémentaires.

Mais la question était de savoir s’il aurait été juste de dissoudre le Comité anglo-russe dans notre situation internationale extrêmement difficile. Nous pensions que la situation nous forçait à faire une série de concessions. Cela ne supposait naturellement pas que nos syndicats devaient renoncer à la critique. L’interview du camarade Trotsky, donnée quelque temps après la séance de Berlin du Comité anglo-russe, l’a notamment prouvé. A cause de cela (et non parce que nous nous illusionnons sur l’aide active qu’on pourrait nous apporter), nous tenions pour juste la tactique de la délégation du Comité Central panrusse des syndicats. Cela n’exclut naturellement pas la perspective que les chefs du Conseil général, par suite de notre critique sur notre attitude iront eux-mêmes à la dissolution du Comité anglo-russe.

Ce n’est pas exclu. Notre critique le facilite. Mais alors, les ouvriers anglais interpréteront notre démarche comme un pas pour démasquer les chefs traîtres, qu’ils soient de droite ou de gauche. Enfin, l’opposition nous fit encore deux propositions en ce qui concerne les dangers de guerre. Ces deux propositions sont vraiment ridicules. La première nous fut faite par le camarade Vouïovitch, et approuvée par Trotsky, l’autre fut faite par les deux (aussi bien Trotsky que Vouïovitch) et se répéta dans leurs discours, dans leurs manifestations, etc. La première proposition, c’était qu’il fallait à l’heure actuelle, en ce qui concerne les dangers de guerre, nous orienter du côté des ouvriers anarcho-syndicalistes, la deuxième proposition c’était de reprendre le groupe Maslow, Ruth Fischer, dans l’Internationale Communiste et dans le Parti allemand.

Il faut avant tout dire quelques mots au sujet des anarcho-syndicalistes actuels. En tout, ils peuvent bien être 2 1/2 à 3. Ce sont avant tout des chefs sans la moindre armée. Nulle part on ne peut trouver de grandes organisations anarcho-syndicalistes, exception faite en Amérique pour les I. W. W. Il est également caractéristique que les organisations anarchosyndicalistes qui existent à l’heure actuelle en Europe luttent de la façon la plus ardente contre l’Union Soviétique et que leur idéologie dans cette question ne se différencie pas d’une syllabe de celle des menchéviks et des social-révolutionnaires. Ils pensent que les bolchéviks ont trahi trois fois la révolution internationale, que notre dictature est une oligarchie, qu’il n’existe pas chez nous de dictature du prolétariat, ils se lancent contre l’Union Soviétique dans les excitations ordinaires, etc...

Et il faudrait, d’après la proposition de Trotsky et de Vouïovitch, les rapprocher de nous pour qu’ils nous défendent. C’est un non-sens absolu. Nous n’avons pas du tout envie de nous orienter du côté de ces petits bourgeois contrerévolutionnaires qui, chaque jour, mènent en commun, avec les chefs pourris de la socialdémocratie, la lutte la plus sale contre nous. Il faut penser que ces messieurs n’ont pas le moindre ouvrier derrière eux. C’est là le point fondamental. Trotsky s’est rencontré par hasard, en 1914,avec une paire d’anarcho-syndicalistes révolutionnaire, et il s’est appuyé un certain temps sur eux. Maintenant, nous ne comptons plus comme en 1914. Depuis, il y a eu un certain nombre de regroupements. Nous n’avons pas besoin de chercher avec une lanterne si nous ne pouvons pas trouver quelque part deux ou trois anarcho-syndicalistes qui pourront, dans une minute difficile, protéger la République des Soviets. Camarades, c’est par trop ridicule. C’est un non-sens absolu. C’est d’autant plus un non-sens que nous avons devant nous plus que jamais la tâche de conquérir le travailleur, moyen, avant tout en Europe, le travailleur moyen qui, malheureusement, reste dans les partis social-démocrates et dans les syndicats d’Amsterdam.

Le problème de la conquête du travailleur moyen fut posé au IIIe Congrès de l’I.C. éclairé par l’autorité de Lénine, et depuis nous l’avons toujours rencontré avec une importance croissante. Faire en ce moment une diversion comme celle de l’opposition, c’est remplacer le mot d’ordre de Lénine « la conquête des masses » par le mot d’ordre de la conquête d’une part de chefs contre-révolutionnaires. En ce qui concerne Maslow, ces propositions ont directement soulevé tous les membres du Comité Exécutif. Vous vous rappelez vraisemblablement que dans la déclaration que fit l’opposition le 6 octobre, dans cette déclaration de regrets dont le camarade Zinoviev disait qu’elle était sérieuse, vous vous rappelez qu’on y dit entre autres choses que l’opposition repousse toute communauté avec le groupe des exclus de l’Internationale Communiste, parmi lesquels on cite les noms de Urbahns, Maslow et d’autres.

Il faut que je vous raconte quelques détails sur la position de ces exclus. Ils ont un organe, indépendant. Ils en ont fait un hebdomadaire, et veulent le transformer en quotidien. Ils sont en train de chercher à bâtir leur propre parti. Il n’y a pas le moindre doute qu’ils ont dans cette tâche l’appui de notre opposition, qu’ils en reçoivent du matériel sur la vie de notre parti et jusques et y compris les rapports sur les séances du Bureau Politique et des déclarations sur ce qui se passe au Bureau Politique.

Suivant la conjoncture politique, tantôt ils pratiquent l’excitation directe contre l’Union Soviétique, tantôt, atténuant leur haine, ils attaquent le Parti et l’Internationale Communiste. Ils écrivent par exemple que Staline ne se différencie pas de Noske (Bruits dans la salle). Je ne comprends pas que vous vous étonniez de cela, ce n’est pas une nouveauté. (Interruptions: « Pour nous, c’est une nouveauté »). Je me réjouis donc de vous avoir communiqué cette nouveauté. (Rires).

Leur organe, qui est devenu actuellement aussi l’organe de notre opposition, fait état de tous les bruits et de toutes les calomnies qui peuvent être lancés contre notre parti et contre l’I.C. Ces braves garçons en arriveront bientôt au mot d’ordre: « Les Soviets sont communistes ». Ils écrivent déjà par exemple dans un article qui traite de la guerre que « si la direction actuelle de l’Internationale Communiste ne change pas à la dernière minute et de la façon la plus radicale sa ligne politique et organique, elle jouera le même rôle qu’a joué la direction de la seconde Internationale au début de la guerre mondiale ». (Le Drapeau du Communisme, n° 12). C’est ce qu’écrivent les Maslow, graciés par le gouvernement de Hindenburg, et qui se sont conduits devant la justice de la façon honteuse que l’on sait sur les Partis de l’Internationale Communiste, au moment où l’on étrangle les communistes chinois, où l’on emprisonne les communistes français, où les communistes italiens souffrent derrière les murs de leurs cachots, où les communistes allemands organisent des centaines de milliers d’hommes pour les dresser contre la guerre, l’on mène contre l’Union Soviétique une incroyable campagne de haine, où tout le monde capitaliste se rue contre l’internationale Communiste.

Et ce sont ces gens (qui se disent de façon provocatrice les marxistes orthodoxes, les léninistes) que l’on nous propose pour sauver le Parti allemand. Notre politique contre la guerre en ce qui concerne les questions intérieures du Parti doit être d’assurer là solidité absolue des rapports intérieurs de notre parti et doit chercher fermement à conquérir les larges masses des ouvriers social- démocrates. Nos partis comprennent très bien qu’il y aura des situations où il faudra au vrai sens du mot mettre leur vie en jeu pour rester fidèles à l’internationale Communiste, pour protéger de leurs poitrines la patrie socialiste du prolétariat contre les hordes impérialistes.

Et. au lieu de demander, pour toutes ces raisons la plus grande unité possible de nos rangs, au lieu de demander qu’on chasse les renégats, qu’on s’attache à conquérir les larges masses, voici qu’on nous propose : « Laissez, donc revenir dans notre parti tous les fumiers, laissez-y donc revenir les divers anarcho-syndicalistes; les Maslow, si dangereux, les Ruth Fischer, si disciplinés, et oublions d’abord les ouvriers social-démocrates ». Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette opinion. Il n’y a pas un seul homme, à l’exception de Vouïovitch, qui s’est fait, pour des raisons fractionnelles, l’auxiliaire du camarade Trotsky dans toutes ses attaques et ses propositions, qui s’est prononcé pour toutes ses mesures, il n’y a pas un seul membre du Plénum qui ait été d’accord pour réintégrer M. Maslow ou pour, tournant le dos aux larges masses, se mettre à la recherche d’une paire de syndicalistes pour défendre l’Union Soviétique.

(SUITE ET FIN) [dans le numéro 71 de la CI]

Nous donnons ici la fin du sténogramme du discours du camarade Boukharine, avec quelques coupures. LA RÉDACTION.

Sur la Révolution chinoise[modifier le wikicode]

I. — Le regroupement des forces de classes[modifier le wikicode]

Au VIIe Exécutif Elargi de l’I. C., pour la première fois, depuis le début de l’existence de l’Internationale, on a adopté une résolution détaillée sur la révolution chinoise, contenant une analyse de l’économie chinoise, du rôle de l’impérialisme en Chine, une analyse et une appréciation des différentes forces sociales de classe, une appréciation des rapports actuels entre les différentes classes et des pronostics, c’est-à-dire la prévision des nouveaux regroupements de classes nécessaires au cours de la révolution chinoise.

Au VIIe Plénum, on a déterminé les grandes lignes tactiques pour le Parti communiste de Chine. Je commence par le VIIe Exécutif, pour montrer par avance l’appréciation que l’Internationale Communiste avait donnée, relativement longtemps avant le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek, des forces de classe en Chine et des regroupements nécessaires. Le VII e Exécutif partit, pour prendre ses décisions, de ce point de vue que le développement de la lutte des classes, le développement du mouvement agraire et du mouvement ouvrier, conduiraient inévitablement au passage de la bourgeoisie libérale du front uni national révolutionnaire, dans le camp de la contre-révolution, c’est-à-dire feraient entrer toute la révolution chinoise dans une étape nouvelle de son développement. Au cours de cette étape, les forces de classes du front révolutionnaire s’appuieront sur le bloc de la classe ouvrière, de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie des villes (artisans, petits commerçants, petits intellectuels).

Le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek ne fut rien d’autre que l’expression, sous une forme brutale, de ce passage prévu par le VIIe Exécutif de la bourgeoisie libérale au camp de la contre-révolution. Il ne faut, en aucun cas, se représenter le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek comme la trahison d’un général isolé. Cette trahison a été l’expression militaire d’un profond regroupement des classes dans le pays, regroupement inévitable, étant donné le développement du mouvement paysan dans les villages, et du mouvement ouvrier dans les villes.

Le dernier Plénum avait surtout à tirer les leçons des événements et à déterminer la tactique du P. C. chinois et de l’Internationale Communiste dans la nouvelle situation. Il fallait, avant tout, apprécier exactement le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek. On indiqua que le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek marquait le passage à l’autre camp d’un groupe social très important, qui a eu dans le stade précédent du développement du mouvement révolutionnaire en Chine une grande importance politique et qui, au cours du premier stade de développement de la révolution chinoise, a joué le rôle de vrai chef dans la lutte contre l’impérialisme. La bourgeoisie libérale passa au camp de la contre-révolution et le mouvement de libération nationale du peuple chinois en a éprouvé une crise inévitable. Cette crise s’accompagna d’une défaite partielle de la révolution chinoise.

Actuellement, nous avons affaire à une autre combinaison des forces sociales, et toute ligne tactique, toute mesure tactique qui partirait des anciens rapports de force serait contrerévolutionnaire et amènerait inévitablement la défaite. Le coup d’Etat de Tchang Kaï Chek a été déterminé par toute une série de facteurs, mais en premier lieu par le développement du mouvement ouvrier, par le développement du mouvement paysan et par la politique des impérialistes. Ces facteurs ont exercé une forte pression sur le front dé la bourgeoisie libérale et ont rendu plus facile la désertion de la bourgeoisie hors du front unique national révolutionnaire.

II. — La révolution agraire et le mouvement paysan[modifier le wikicode]

Le Comité Exécutif de l’I. C. pense que la question centrale de la révolution chinoise, en ce qui concerne ses forces motrices intérieures, est aujourd’hui la révolution agraire. Il est aujourd’hui absolument clair que le mouvement paysan, le problème de la nouvelle répartition du sol, la confiscation du sol des différents petits propriétaires fonciers, moyens et grands, que ces revendications, ces mots d’ordre et ces tâches sont au point central de nos devoirs quotidiens. Il est inutile d’indiquer ici en détail quelle importance a la paysannerie dans la population chinoise ; il est superflu de caractériser en détail les relations d’économie sociale dans les campagnes chinoises. Je voudrais me contenter de dire que la marche des événements chinois et le développement du mouvement .paysan réfutent entièrement, par exemple, le point de vue du camarade Radek, qui nie l’existence de survivances féodales en Chine et qui, par suite, laissait complètement inexpliquée l’extraordinaire acuité du mouvement paysan en Chine.

La révolution agraire est donc au point central des événements. La paysannerie avec ses masses immenses entre sur la scène de l’histoire. La paysannerie, au cours du développement de la révolution chinoise deviendra, sous la direction de la classe ouvrière, une des forces vivantes les plus importantes. Il fallait que l’Exécutif examine les moyens de résoudre la question agraire en Chine. La résolution que le Plénum a adoptée dit en toute clarté que, du point de vue du développement de la Révolution chinoise,, les choses les plus importantes sont aujourd’hui la confiscation du sol, la vraie destruction de l’ancien appareil d’Etat dans les villages, la nouvelle répartition du sol par en bas, par les paysans eux-mêmes, par les organisations paysannes, par les comités paysans qui se forment maintenant chaque jour en plus grand nombre. Il faut affirmer ces choses avec une force particulière, car, même parmi les communistes chinois et surtout parmi les membres de la gauche du Kuomintang, subsiste l’illusion que la révolution agraire ne pourra se réaliser que sous forme d’une révolution d’en haut, ou bien qu’elle doit être retardée jusqu’à l’union complète de la Chine. Cette illusion aboutit à entraver le développement du mouvement paysan chinois. Il suffit de citer le dernier discours du camarade Tan Pin Shang, ministre de l’Agriculture du gouvernement de Hankéou, où il n’a pas dit un seul mot sur la nécessité de la confiscation réelle du sol. Dans les cercles du gouvernement de Hankéou, oui, même dans certains cercles des communistes chinois, il y a encore aujourd’hui des tendances à ne pas dépasser les bornes des rapports qui existent aujourd’hui, à maintenir les choses sur la voie d’un règlement pacifique, et à résoudre le problème de la révolution agraire au moyen de décrets. Cela à une époque où la guerre civile vient justement de commencer à la campagne. Jamais on n’a vu pareille solution dans l’histoire d’une révolution, et cela ne se passera pas non plus ainsi en Chine.

Nous pouvons encore citer le discours d’un autre chef du P. C. chinois, le camarade

Chen Du Siu, qui exprimait, il n’y a pas longtemps, devant le congrès du parti une conception encore plus étrange. Il disait que le développement de la révolution agraire devait attendre jusqu’à ce que les troupes révolutionnaires chinoises soient entrées dans Pékin et qu’elles aient chassé Tchang Tso Lin de la capitale.

Il est absolument clair que le développement de la révolution agraire, de notre point de vue, du point de vue de la lutte contre l’impérialisme, de la lutte contre la contre-révolution libérale bourgeoise, c’est-à-dire contre Tchang Kaï Chek, du point de vue de l’affermissement de la défense et du développement intérieur du gouvernement de Hankéou, du point de rue de le mobilisation des plus grandes forces possibles dans notre lutte contre la contre-révolution, de tous ces points de vue, le développement de la révolution agraire est la condition essentielle pour résoudre victorieusement les tâches que nous dicte aujourd’hui la révolution chinoise.

Nous ne pouvons pas résoudre aujourd’hui un seul problème sans le développement d’une révolution agraire porté par les masses. Même un processus élémentaire comme celui de l’organisation de nos forces armées nous conduit inévitablement à la nécessité du développement de la révolution agraire, pour cette raison bien simple que le gouvernement de Hankéoù ne peut sans cela gagner la confiance des paysans, ramasser, autour de lui des troupes de soldats véritablement fidèles, assurer ses succès militaires ultérieurs. Le problème central, la tâche centrale, le mot d’ordre central c’est donc notre mot d’ordre du, développement de la révolution agraire. La méthode pour développer la révolution, c’est la confiscation du sol par les paysans eux-mêmes, la suspension du fermage, la prise du pouvoir dans les villages par les unions paysannes et les comités paysans, l’armement des masses paysannes, la défense à main armée du sol qu’on aura ravi aux propriétaires fonciers, etc., etc.

III. — Les organisations de masses, le Kuomintang et le P. C.[modifier le wikicode]

Naturellement, les problèmes d’organisation se posent en même temps devant nous. Si notre orientation principale va maintenant vers le développement d’un, mouvement de masses, il est bien compréhensible que nous, devons nécessairement nous orienter vers une croissance énergique et le plus rapide possible des organisations de masses, c’est-à-dire des unions paysannes, des comités paysans, des syndicats ouvriers des unions d’artisans et de petits commerçants, etc. Dans ces organisations de masses, celle de la classe ouvrière et de la paysannerie doivent naturellement former la base. En rapport avec cette orientation, on comprend parfaitement que le Comité Exécutif devait traiter aussi la question de la réorganisation du Kuomintang. Le Kuomintang avait, au moment de sa formation, une structure sociale extrêmement originale et aussi une structure organique extrêmement originale. Il contenait à la fois des éléments purement bourgeois qui formaient la base sociale de classe de ce qu’on appelait l’aile droite, et aussi des ouvriers, des paysans, des petitbourgeois et des intellectuels. Le Kuomintang, tel qu’il fut organisé par Sun Yat Sen sur la base des combinaisons militaires les plus différentes, était une organisation dont on pouvait tout dire, sauf qu’elle reposait sur le régime de la démocratie intérieure. Quelques chefs ne disposaient pas seulement de tout le pouvoir, mais ils étaient en fait complètement indépendants des organisations locales du Kuomintang. Il n’y avait jamais de vraies réunions, ni de vraies élections. Il faut maintenant changer cette situation de fond en comble, d’autant plus que, sans ce changement radical, le Kuomintang ne serait pas en état de jouer son rôle historique et serait inévitablement éliminé.

La scission du front national révolutionnaire, le passage de la bourgeoisie au camp de la contre-révolution s’accompagna d’une scission dans le Kuomintang. Cette scission du Kuomintang s’est exprimée par le fait que Tchang Kaï Chek a fondé son propre Kuomintang libéral bourgeois de droite. Dans le Kuomintang de gauche, il resta des petit-bourgeois, les ouvriers, les paysans, quelques groupes d’intellectuels bourgeois radicaux et les restes des couches radicales de la grande bourgeoisie. Ces survivants jouent un rôle relativement secondaire.

Quelle est notre tâche pour nous orienter vers la révolution agraire ? Notre tâche, c’est de transformer rapidement le Kuomintang de gauche en le submergeant sous les paysans et les prolétaires. Cette prolétarisation, cet envahissement par les paysans, ne doit pas se faire seulement parmi les membres, mais aussi dans tous les organismes dirigeants de la province et du centre. Avant-hier, un camarade, membre de la délégation envoyée par l’Internationale Communiste en Chine, est venu nous voir. Il affirme que le rapport des forces dans la direction du Kuomintang de gauche est loin de correspondre à la structure intérieure du Kuomintang, du point de vue des véritables rapports de classes parmi les masses de ses membres. Il nous rapporte que les communistes exercent une grande influence sur les organisations de masses importantes qui sont adhérentes au Kuomintang ou qui se trouvent formellement sous son influence, c’est-à-dire sur cette force de masse qui commence à jouer dans le développement de la révolution chinoise, un rôle de plus en plus grand. Et naturellement, nos communistes chinois ne sont pas des bolcheviks à cent pour cent, nous le savons bien. Ce serait une illusion de demander, même à des communistes, cent pour cent de bolchevisme. Notre parti, lorsqu’il s’est formé, était un groupe d’intellectuels et d’ouvriers qui s’étaient acquis toute l’expérience marxiste de tout le mouvement social-démocrate de l’Europe Occidentale. Les fondateurs de la social-démocratie russe étaient des marxistes fortement cultivés. Les bases marxistes de notre parti existaient déjà au moment de sa fondation. Notre Parti communiste de Chine est issu d’une tout autre base. Il est né du parti populiste de Sun Yat Sen, sans avoir connu les fondements du marxisme. Ce n’est que dans les derniers temps qu’a commencé, grâce au contact avec l’Union Soviétique et avec l’Internationale Communiste, la formation d’un cadre marxiste. Il ne nous faut pas oublier les particularités de cette formation du P. C. chinois.

La nécessité de développer la révolution agraire, la nécessité de pousser le développement du mouvement ouvrier, la croissance des organisations de masses, la nécessité d’utiliser les traditions positives du Kuomintang, organisation où la classe ouvrière se trouve en. liaison directe avec la paysannerie et la petite-bourgeoisie et peut diriger leurs forces, tout cela a conduit le Plénum à décider qu’il est nécessaire de réorganiser de façon complète le Kuomintang sur la base d’une participation collective de toutes les formes des organisations de masses, c’est-à-dire des syndicats, des unions paysannes let des comités paysans, des organisations de soldats, des organisations de petits artisans, etc.

Le Comité Exécutif a fixé, en tenant compte de tout cela, les tâches du parti communiste et les formes particulières de ses rapports avec le Kuomintang de gauche. Le Comité Exécutif a indiqué que le parti communiste avait souvent peur du développement d’un mouvement de masse, et en première ligne, du développement du mouvement paysan. A côté de cette trop grande prudence et des hésitations dans la direction du parti communiste lui-même, il y avait aussi une trop grande prudence dans la critique des hésitations et des demi-mesures des gens de la gauche du Kuomintang.

Le Comité Exécutif a dit clairement dans sa résolution que le parti communiste, en tant qu’avant-garde du prolétariat, doit naturellement marquer son indépendance comme parti de la classe ouvrière, qu’il ne doit pas se contenter de la critique des hésitations et des demimesures des petit-bourgeois du Kuomintang, mais qu’il doit, pour ces hésitations, critiquer âprement les chefs du Kuomintang parce que c’est la seule manière qu’aient les artisans et les ouvriers pour pousser en avant ces petit-bourgeois radicaux de gauche dans la direction d’une lutte de masses conséquente des paysans.

IV. — La force armée et la Révolution[modifier le wikicode]

Un problème fortement compliqué, c’est le problème de l’armée et celui des forces armées en général. Il faut être là-dessus absolument clair, même la gauche du Kuomintang n’est pas un bloc ouvrier et paysan. Elle contient encore une foule de chefs radicaux bourgeois. Nous avons également la même situation dans le gouvernement de Hankéou. Le gouvernement de Hankéou est loin d’être une dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie. Il peut se développer dans cette direction. Il comprend encore des chefs radicaux bourgeois dont on doit dire qu’une partie d’entre eux peut passer à l’ennemi et selon toute vraisemblance, y passera. Mais si on peut dire cela de quelques chefs du Kuomintang de gauche, de quelques membres du gouvernement actuel d’Hankéou, il faut particulièrement montrer cette possibilité a propos de l’appareil de l’armée. En ce qui concerne le Kuomintang; je ne crois pas que de nouvelles scissions soient maintenant possibles, qui puissent entraîner des couches importantes. C’est impossible, parce que les membres du Kuomintang, dans leur masse (je /ais une différence entre la masse et la tête du Kuomintang) forment véritablement un bloc des ouvriers, des paysans et de la petite-bourgeoisie des villes. Mais le fait caractéristique dans la situation présente, c’est que l’armée, l’état-major, les cadres d’officiers sont loin d’être une force dans laquelle on puisse avoir une absolue confiance.

Il faut bien se représenter le caractère particulier de la situation. Nous savons naturellement qu’on peut utiliser de vieux généraux, mais sous certaines conditions, et en particulier, sous la condition d’un affermissement général du pouvoir révolutionnaire, sous la condition que les bases économiques de l’ancien régime (féodalisme) soient disparues et sous la condition que la base d’une existence politique indépendante de ces généraux ait disparu. La situation, aujourd’hui, sur le territoire du gouvernement de Hankéou, est tout à fait autre. Peut-on dire que là-bas, actuellement, la position de la révolution bourgeoise se soit affermie, au moins économiquement? Non. A la campagne, les grands et les moyens propriétaires fonciers, leurs gendarmes et leur police, n’ont pas été chassés. En général, le gouvernement d’Hankéou n’a pas encore la force suffisante. Et, tant que ce renforcement continuera dans les formes militaires, il ne sera pas encore assuré, tant qu’il n’y aura pas à l’intérieur de l’armée même un nombre suffisant de chefs fidèles. Cela a une grande importance. Dans ce sens, la structure de l’armée de Hankéou ne ressemble pas du tout à la structure de notre armée rouge. Dans son ensemble, l’armée marche avec le gouvernement d’Hankéou. Mais il n’y a aucune garantie pour que cela continue à marcher ainsi sans conflit plus ou moins important, sans trahison. Bien mieux, les trahisons sont très vraisemblables et, dans certaines mesures, inévitables.

La révolution chinoise et l’opposition[modifier le wikicode]

Le point central des explications du camarade Trotsky est le suivant : Tchang Kaï Chek a infligé une défaite à la révolution chinoise parce que le Comité Central du P.C. de l’U.R.S.S. et la direction de l’Internationale Communiste ont suivi une tactique « criminelle », « traîtresse », « honteuse ». D’après Trotsky, la tactique de l’Internationale Communiste et du C. C. mérite tous ces qualificatifs parce que le C. C. et la direction de l’Internationale se sont placés, vis-à-vis de la bourgeoisie libérale, sur un point de vue menchéviste et non bolchéviste. Trotsky rappelle la position de Lénine et des bolchéviks vis-à-vis de la bourgeoisie libérale dans la révolution démocratique de 1905 et apporte une citation où Lénine dit à peu près :

« Les menchéviks disent : « Cette révolution est une révolution bourgeoise et. par conséquent nous devons soutenir la bourgeoisie » ; les bolchéviks disent : « Cette révolution est une révolution bourgeoise et, par conséquent, il est nécessaire de lutter contre la bourgeoisie contre-révolutionnaire. »

Cette citation de Lénine est absolument juste. Les divergences entre nous et les menchéviks pendant la Révolution de 1905 tournèrent autour de la ligne qu’il fallait suivre dans nos rapports avec la paysannerie et avec la bourgeoisie libérale. Nous opposions au tsarisme et à la bourgeoisie, parmi elle à la bourgeoisie libérale devenue contrerévolutionnaire, un bloc plébéien des ouvriers et des paysans. Les menchéviks, au contraire, soutenaient la bourgeoisie libérale et ne comprenaient pas le rôle de la paysannerie. Telle était la principale divergence entre nous.

Si Lénine n’avait écrit que cela, si la Chine était l’Empire russe de 1905, si la bourgeoisie chinoise avait été, de 1911 à 1926, analogue à notre bourgeoisie libérale, nous mériterions dans tout la caractéristique de menchéviks. Il s’agit du fait que Trotsky, de même que toute notre opposition, ne représentent pas, dans cette question, un point de vue léniniste, méconnaissent les faits et, par conséquent, troublent toute la question.

Il faut faire une différence entre la révolution comme la Révolution russe de 1905 et une révolution de caractère anti- impérialiste dans un pays semi-colonial et « dépendant ». Nous trouvons dans Lénine des indications tout à fait claires et précises pour ce qui concerne cela. Lénine a dit que nous avions le droit de passer avec la bourgeoisie, non seulement des accords, mais même des alliances directes (c’est ce qu’a dit et écrit Lénine au IIe

Congrès mondial de l’Internationale Communiste), sous la condition indispensable qui resterait à assurer l’indépendance de notre parti, l’indépendance des organisations ouvrières, etc. Non pas des accords, mais aussi des alliances ! Pourquoi ? Pour la simple raison que le rôle de la bourgeoisie libérale dans ces pays n’est pas du tout le même que le rôle de la bourgeoisie libérale en Russie en 1905. En 1904, la bourgeoisie se permet encore de fronder contre le tsarisme, mais, après la grève d’octobre 1905, la bourgeoisie libérale devient une force ouvertement contre- révolutionnaire. En considérant le lait que notre bourgeoisie n’a pas lutté une seule fois véritablement contre le tsarisme, qu’elle ne pouvait pas non plus le faire, qu’elle devait passer directement et au rythme le plus rapide dans le camp de la contrerévolution, nous avons ainsi fixé notre célèbre tactique vis-à-vis de la bourgeoisie libérale Maintenant que Tchang Kaï Chek a commis sa trahison, est-ce que la bourgeoisie chinoise est devenue contre-révolutionnaire ? Oui, elle est devenue contre-révolutionnaire. Mais, de 1911 à 1926, a-t-elle joué un rôle contre-révolutionnaire ? Qui peut affirmer cela ? Elle vient maintenant de passer au camp de la contre-révolution, mais, pendant de nombreuses années, elle a joué un rôle tel que nous étions obligés de la soutenir. Nous étions obligés de l’utiliser, obligés de former un bloc avec elle. Le parti communiste venait de naître, le mouvement ouvrier faisait ses premiers pas, et la bourgeoisie libérale luttait contre les seigneurs féodaux et contre les impérialistes. Elle menait même, contre eux, la lutte armée. Les troupes de Tchang Kaï Chek, relativement peu de temps avant sa trahison, ont entrepris la campagne du Nord. La question se pose : devions-nous ou non soutenir la campagne du

Nord ? Devions-nous soutenir cette campagne du Nord, dont Radek dit que c’est une brillante action révolutionnaire ?

La bourgeoisie libérale a joué en Chine, pendant des années, un rôle objectivement révolutionnaire, et elle s’est ensuite épuisée. Elle était hors d’état’ de continuer ce rôle, comme l’a fait la bourgeoisie libérale russe dans la Révolution de 1905. Le fait que .la bourgeoisie jouait ce rôle s’explique par la combinaison particulière des forces sociales en Chine, par le caractère anti-impérialiste et national libérateur de la révolution chinoise. Il s’explique aussi par une série de causes qui n’existaient pas au moment de la Révolution russe en 1905. Lénine a bien dit que la différence entre nous et les menchéviks, c’est que les menchéviks soutiennent la bourgeoisie libérale, tandis que nous sommes contre tout accord avec elle. Mais Lénine disait cela pour la Révolution russe de 1905. Il disait tout autre chose pour la révolution en Orient.

Ainsi, lorsque l’opposition soutient la thèse de l’impossibilité d’un accord avec la bourgeoisie libérale en Chine, c’est une interprétation tout à fait fausse des leçons de Lénine. C’est une méthode tout à fait fausse de ne faire aucune différence entre la Russie et la Chine, entre 1905 et 1927, entre le mouvement de la bourgeoisie libérale russe et celui de la bourgeoisie nationale révolutionnaire chinoise. Si l’on se place sur ce point de vue, que la nuit tous les chats sont gris, il n’y a pas d’analyse possible, ni de compréhension des particularités du mouvement chinois.

La thèse qui soutient qu’il n’y a absolument aucun accord possible avec la bourgeoisie chinoise est donc fausse.

Mais il y a une autre question qu’on peut nous poser avec pleine raison. On peut dire que, jusqu’à un certain temps, on pouvait marcher avec la bourgeoisie nationale, mais vous dites vous-mêmes qu’elle a dû en fin de compte passer au camp de la contre-révolution. C’est ce que disait également le VIIe

Exécutif Elargi. Mais qu’avez-vous fait pour défendre les prolétaires et les paysans, qu’avez-vous fait pour empêcher leur défaite ? Est-ce que vous ne vous trouvez pas pris dans - le rouage des événements? Est-ce que la trahison de Tchang Kaï Chek ne vous a pas surpris? N’est-ce pas la conséquence de vous être laissé entraîner par votre tactique dans un bloc avec Tchang Kaï Chek? Il faut poser ces questions. Ces questions sont pleinement et complètement justifiées.

Maintenant, il faut aller un peu au fond des choses. L’argument le meilleur marché contre nous, c’est celui-ci : à Shanghaï, les ouvriers ont subi une défaite, donc votre tactique ne valait pas un centime.

Il faut repousser absolument cette façon de poser la question. Dans notre Révolution de 1917, nous avons mené une politique juste. Voyions-nous, avant les Journées de Juillet, où nous conduisait le développement ? Oui, nous le voyions. Et pourtant, on nous a battus pendant les Journées de Juillet. Est-ce un fait ou non? C’est un fait. Pourquoi nous a-t-on battus? Pour une raison bien simple. Malgré que notre politique fût juste, nous ne sommes pas arrivés à ramasser nos forces en assez grand nombre pour pouvoir dominer nos ennemis, lorsqu’ils ont ouvert le front contre nous. Nous n’étions pas encore assez grands. Le rapport des forces de classes, malgré la justesse de notre politique, ne nous permettait pas d’être assez forts pour battre notre ennemi.

En Chine, nos camarades ont commis un grand nombre de fautes et même des fautes d’apparence sérieuse dont on peut et dont on doit parler lorsqu’on veut traiter à fond la question de ces fautes. II n’y a aucun doute qu’on n’a pas fait tout le nécessaire pour développer un mouvement de masses dans les villes et dans les campagnes. Il n’y a aucun doute que la direction du P. C. chinois, malgré toutes les directives de l’Internationale communiste, à été, dans une certaine mesure, jusqu’à entraver la révolution agraire. Mais il faut ici affirmer catégoriquement que, même si on avait fait tout ce qu’il était possible de faire, nous n’aurions pas pu, à l’époque actuelle, avoir la victoire dans une bataille directe avec Tchang Kaï Chek. Le VIIe

Exécutif Elargi avait donné ses directives : développement d’un mouvement de masses, repousser les éléments de droite hors du Kuomintang, conquérir les positions stratégiques dans l’armée, armer la classe ouvrière et la paysannerie, créer des organisations de masses d’ouvriers et de paysans. L’Internationale Communiste a indiqué cette ligne, la seule qui présentait des garanties politiques. Mais, même si on avait fait tout le possible pour réaliser ces choses, il faut se représenter clairement la véritable situation de fait. Shanghaï est le point central de tous ces événements.

A Shanghaï, il y avait les forces suivantes: 1° Les forces des impérialistes armés jusqu’aux dents ; 2° les forces de Tchang Kaï Chek, toute l’armée (à l’exception de quelques détachements qui étaient plus ou moins proches des ouvriers et des paysans) ; Tchang Kaï Chek avec une autorité immense qu’il s’était acquise dans les tâches précédentes de la révolution. De plus, il y avait le front des troupes du Nord, etc.

Le camarade Zinoviev proposait malgré tout dans ses thèses comme une garantie particulière, ceci : le prolétariat de Shanghaï aurait dû organiser l’insurrection contre Tchang Kaï Chek. C’est, à notre opinion, une politique absolument absurde. Que serait-il arrivé, si le prolétariat de Shanghaï avait commencé une insurrection directe contre Tchang Kaï Chek ? Elle aurait été étouffée dans l’œuf. Car il est parfaitement clair, que dans une telle situation, il y aurait eu une union solide de toutes les forces anti-ouvrières, de toutes les forces dirigées contre le développement ultérieur de la révolution chinoise. Les forces de Tchang Kaï Chek, de Tchang Tso Lin, des impérialistes étrangers, et, en général, de toutes les forces hostiles à la révolution se seraient réunies pour détruire par le fer et par le feu l’avant-garde du prolétariat de Shanghaï.

On nous dit- que notre tactique n’est pas léniniste. Mais, jamais Lénine n’a approuvé la tactique d’une insurrection à n’importe quel moment. Celui qui le dit, dit un non-sens. Je crois que nos oppositionnels eux-mêmes ne pensent pas ce qu’ils affirment. Lorsque Zinoviev se console en disant que la classe ouvrière d’Amérique et d’Europe aurait sauvé le prolétariat de Shanghaï au cas d’un soulèvement, c’est une imbécillité monstrueuse. En Amérique, il n’y a qu’un petit parti communiste. Tous les cadres réformistes des chefs ouvriers sont des gens achetés qui trahissent la cause de la classe ouvrière. Et vous voulez que ce soit cette canaille qui ait sauvé la classe ouvrière chinoise? Vous voulez qu’ils défendent la révolution chinoise, alors qu’eux, les chefs du prolétariat américain, ils ont, les premiers, demandé qu’on mène une enquête sur nos institutions soviétiques ? Vous devez pourtant savoir que, malheureusement, les masses du prolétariat américain, sont encore derrière ces vauriens. Il faut aussi penser que même le prolétariat d’Europe est plus lent que cela à se mouvoir. Il faudrait mentir ouvertement pour se servir d’un tel argument. Nous savons très bien comment peut arriver une aide. Elle ne vient pas en un jour ou en deux jours, elle vient après des mois et même des années. Les impérialistes auraient pu écraser dans le sang en une seule journée, dans un conflit armé, les ouvriers de Shanghaï. Semer de telles illusions au sujet d’une aide rapide, bâtir là-dessus une plate-forme politique, présenter cela au lieu de la tactique opposée par nous, nous accuser de trahison, parce que nous n’avons pas voulu adopter cette tactique aventurière, c’est tomber dans le fumier de la plus basse démagogie, c’est perdre tout sentiment marxiste et tout sentiment de responsabilité prolétarienne.

La dernière question dans laquelle l’opposition se lance contre nous dans une attaque, c’est la question du mot d’ordre des soviets. Ce mot d’ordre résonne de façon extraordinairement radicale et à cause de cela, nos héros s’y sont particulièrement attachés. Ils ont osé le mot d’ordre de bâtir immédiatement des soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats, et, comme nous ne tenions pas cela pour juste de donner ce mot d’ordre dans la période actuelle, ils nous ont, à cause de cela, accusés de trahison. Une simple remarque : en 1923, à la veille des grands événements d’Allemagne, à la veille d’une révolution prolétarienne (non pas une révolution comme celle de Chine, non dans un pays comme en

Chine, mais en Allemagne), dans un pays où la classe ouvrière est la majorité, dans un pays qui possède des centres industriels puissants et une industrie puissamment développée, dans un pays qui a déjà traversé une révolution en 1918, et où il y a déjà eu des soviets, le camarade Trotsky était résolument contre le mot d’ordre des Soviets. Il a donné alors contre ce mot d’ordre des arguments dont l’expérience a montré l’inopportunité. Pourtant, il n’y avait là aucune trahison. Il disait alors les choses suivantes : le mouvement englobe de grosses masses, ce mouvement se passe par l’organisation des conseils d’usines, le mouvement de masses s’exprime par la poussée élémentaire de ses conseils d’usines, les conseils d’usines sont donc la forme d’organisation qui nous a été donnée concrètement par ’ le cours des événements. Nous devons, en développant les forces, travailler en nous appuyant sur ces organisations de masses de caractère particulier que sont les conseils d’usines, et on verra ensuite si les soviets sortiront de ce mouvement ou s’ils seront inutiles. C’est ce que disait Trotsky. Lénine était d’avis que la révolution, même la révolution prolétarienne, ne prendra pas toujours et absolument la forme des soviets. D’un autre côté, la forme des soviets ne doit pas absolument signifier la dictature du prolétariat. En particulier, Lénine croyait que la dictature du prolétariat pouvait prendre, en Angleterre, par exemple, la forme du pouvoir des syndicats, ou n’importe quelle autre forme originale. Lénine était, sur cette question, très prudent.

C’est une autre question de savoir s’il était exact de juger ainsi dans la situation concrète de l’Allemagne, en 1923. Je laisse maintenant cette question de côté. Je voulais seulement montrer en toute certitude que le camarade Trotsky était contre le mot d’ordre des soviets à l’origine d’une révolution prolétarienne. Et pourtant, personne n’a accusé Trotsky pour cela de tous les péchés mortels.

Mais, maintenant, le camarade Trotsky ose accuser l’Internationale, qui croit que le temps n’est pas encore venu de lancer en Chine le mot d’ordre des soviets, de trahison, etc., etc. N’est-ce pas, pour être doux, une confiance en soi un peu grosse de la part du camarade Trotsky ?

Pourquoi croyons-nous qu’il est inexact de lancer maintenant et immédiatement le mot d’ordre de la formation de soviets ? Nous croyons qu’actuellement, dans la phase actuelle de la révolution, où le gouvernement d’Hankéou ne représente pas encore la .dictature du prolétariat et de la paysannerie, où il n’est qu’au début de ce développement, il y a une forme historique spécifique d’organisation qui nous a été donnée par tout le cours de ce développement: le Kuomintang. Et c’est justement une forme qui est extraordinairement élastique, qui a de grandes traditions révolutionnaires, qui unit les ouvriers, les paysans et les petit-bourgeois et qui possède encore une grande possibilité d’extension de tous les côtés. Devons-nous dire aujourd’hui déjà que nous crachons sur toute cette crème et que nous voulons chercher quelque chose d’autre? Il faut résoudre cette question. Ici commencent nos divergences tactiques. On pourrait, par exemple, nous proposer la tactique suivante: le parti communiste sort du Kuomintang, il organise des soviets à côté du Kuomintang, contre lui ou même en lutte directe avec lui. Nous voyons clairement où mène cette ligne. Nous voyons clairement que cracher sur le Kuomintang et, par conséquent, aussi sur le gouvernement d’Hankéou, c’est les livrer aux gens de droite et qu’en fait, si on fait cela, on entre aussitôt en conflit avec le gouvernement d’Hankéou et il faut nous orienter vers son renversement. C’est une tactique. Le camarade Zinoviev et le camarade Trotsky écrivaient dans leur première thèse qu’ils nous ont proposée, qu’il est nécessaire de donner le mot d’ordre des soviets et, en même temps, dans le même écrit, ils écrivaient qu’il était nécessaire de soutenir à tout prix et par tous les moyens le gouvernement d’Hankéou, d’en faire un centre organique de la révolution, d’où l’on pourrait lutter contre les Cavaignac, c’est-à-dire contre Tchang Kaï Chek.

Il est absolument clair que ces deux choses sont absolument inconciliables. Puis, le .camarade Trotsky, dans ses propres thèses, qu’il a répandues à l’Exécutif, il faudrait mieux dire dans son article, nous fait cette proposition directe (il a, comme on dit, abattu toutes ses cartes) : « Il est actuellement nécessaire de créer un double pouvoir au moyen de la création d’un centre du pouvoir des soviets contre Hankéou. Hankéou n’est plus rien, la gauche du Kuomintang est une bagatelle, il nous faut créer le centre d’un autre pouvoir, et pour cela, les soviets nous sont nécessaires. »

Il y a là tout un tissu de contradictions publiques. Dans les premières thèses (Trotsky plus Zinoviev), on nous propose la marche suivante : il faut soutenir Hankéou de toutes nos forces et, en même temps, créer des soviets contre Hankéou. Il faut considérer Hankéou comme le centre organique de la révolution et, en même temps, organiser sa destruction. Dans l’article du camarade Trotsky cette contradiction est résolue, et au moyen d’un coup de baguette magique: le Hankéou actuel, de même que l’aile gauche actuelle du Kuomintang, sont tout simplement déclarés comme non existants. Après cela, on comprend comment il est possible de parler de double pouvoir.

En tout cas, le camarade Trotsky, deux ou trois jours après sa proposition sur le soutien de Hankéou, a abattu ses cartes et demandé qu’on s’oriente ouvertement vers le renversement de ce centre en organisant un double pouvoir. Ainsi se découvre le vrai contenu du mot d’ordre des soviets tel qu’il le comprend. Pourtant, on ne peut pas juger ainsi. On peut apprécier de différente façon les différents courants du Kuomintang de gauche. Mais on ne peut nier que c’est une vaste organisation de masse. Lorsque le camarade Zinoviev travaillait au Comintern. il écrivait que le Kuomintang comptait 400.000 membres. Depuis, le

Kuomintang a fait des progrès extraordinaires. Lors de la scission du Kuomintang de droite, il n’a perdu que des chefs, des représentants de la bourgeoisie libérale. Mais les masses populaires sont restées dans le Kuomintang. Le gouvernement de Hankéou conduit à l’heure actuelle le combat. Ses généraux sans doute peuvent le trahir, mais toute la bourgeoisie internationale elle-même est obligée de le reconnaître. Comment peut-on le mettre hors de compte ? Nous croyons que Trotsky commet ici une grande faute, tout comme il se trompait en 1905, lorsqu’il voulait sauter par-dessus la révolution bourgeoise démocratique et la paysannerie. Tout le monde connaît sa théorie de la révolution permanente et sa formule de 1905 : « A bas le tsar ! Vive le gouvernement ouvrier ! »

Maintenant, il saute de même par-dessus le Kuomintang, il saute par-dessus le gouvernement de Hankéou qu’il déclarait, deux jours auparavant, être « le centre qui pouvait battre les Cavaignac ». Nous croyons qu’une de nos tâches principales est actuellement de démocratiser le plus largement possible le Kuomintang en développant la révolution agraire, en organisant des comités paysans et des unions paysannes dans la province, en armant les masses, etc. Naturellement, il peut y avoir encore des scissions. Il y en aura sans doute. On ne peut même pas écarter l’hypothèse que le gouvernement de Hankéou sera désorganisé par ces scissions ou battu par ses ennemis. Il peut se faire que, par suite de la résistance d’une partie du Kuomintang de gauche à la révolution agraire par en haut, il devienne impossible de continuer à soutenir ce gouvernement dans son ancienne composition. En théorie, rien de tout cela n’est exclu. Mais il ne s’ensuit pas qu’il soit nécessaire de cracher sur le Kuomintang, organisation de masse spécifiquement chinoise. Trotsky, en 1923, ne comprenait pas très exactement les caractères particuliers du développement allemand, lorsqu’il voulait remplacer les soviets par les conseils d’usines. Et maintenant, il ne voit pas les vrais caractères spécifiques, qui existent déjà, du [déve- caractères, particuliers. Sic une ligne manque]

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Encore quelques remarques sur les derniers événements de Chine. L’armée nationale révolutionnaire du gouvernement de Hankéou peut remporter de très grandes victoires. La situation du gouvernement de Hankéou est, malgré tout, encore assez difficile. Le danger militariste est encore grand. Les troupes se trouvent entre les mains de chefs qui ne sont pas toujours suffisamment sûrs. Les officiers et les généraux se dressent contre le développement de la révolution agraire. Le soulèvement de Tchang Cha a créé un nid contre révolutionnaire que d’autres peuvent suivre. D’un autre côté, l’a situation financière et économique est extrêmement difficile. L’entretien de l’armée coûte à lui seul beaucoup d’argent. Il est politiquement impossible de prendre aux paysans ce qui est nécessaire à l’armée sans les payer. Dans le rayon de Hankéou, centre du mouvement révolutionnaire, il y a de grandes fabriques textiles et de grandes mines. La grande bourgeoisie a fermé la plupart des fabriques. Elle est partie à Shanghai et elle a retiré ses dépôts des banques. Une partie de la bourgeoisie moyenne, et même certaines couches de la petite-bourgeoisie se sont également enfuies. La vie économique en souffre. Nous avons écrit, dans notre résolution, qu’il fallait, dans ces caslà, faire passer les fabriques et les entreprises dans la possession de l’Etat. C’est vite dit, mais il y a encore certaines « catégories » dont on a besoin, par exemple, du capital industriel, car il faut acheter des matières brutes, installer et payer les ouvriers, etc. Cette situation amène une foule de difficultés. Le gouvernement de Hankéou est obligé de manœuvrer vis-à-vis de la petite et même en partie vis-à-vis de la moyenne bourgeoisie.

Les communistes chinois doivent avant tout mettre résolument fin aux hésitations dans leurs propres rangs. Il faut s’orienter avec décision vers le développement du mouvement paysan de masses, vers la prise du sol. Toute autre tactique serait actuellement criminelle. Sur cette base, il faut maintenant former des troupes armées fidèles et réorganiser le Kuomintang Seule, cette base peut servir de contrepoids contre les scissions, les trahisons, les désertions, etc. Les communistes chinois doivent, en conservant le bloc avec la petite- bourgeoisie (c’està-dire en lui garantissant qu’on ne touchera pas à sa propriété et en garantissant le sol des soldats des armées nationales) faire tout leur possible pour secouer les masses, les entraîner dans la lutte, transformer la lutte en une véritable armée populaire, réprimer autant qu’on en aura la force toute tentative contre-révolutionnaire, s’appuyer surtout sur la haine révolutionnaire des masses contre les grands propriétaires fonciers, les féodaux et les contrerévolutionnaires. L’intervention de nos camarades de l’opposition a été si extraordinairement acerbe que, je le répète, même nos camarades les plus corrects, ceux qui n’aiment pas du tout la lutte, ont dit qu’il fallait mettre fin à ce bavardage. La grande majorité était pour des sanctions beaucoup plus dures encore contre l’opposition. Après que le Comité Exécutif eut adopté une résolution contre l’opposition, Trotsky a déclaré que l’opposition mènerait le combat jusqu’au bout. Telles sont actuellement les positions.

Comme il s’agit de choses très sérieuses, et comme notre opposition va jusqu’à dire qu’il ne faut pas poser la question de l’unité en général, mais de l’unité « sur une base léniniste », mais comme ce qu’elle considère comme une base léniniste, c’est sa base à elle, on voit où va le voyage et jusqu’où il peut mener. Nous nous sommes crus non seule ment en droit mais même obligés de prendre une résolution sur l’intervention de .l’opposition. Cette résolution a été adoptée par l’Exécutif contre une seule voix, la voix de Vouïovitch, qui est lui-même condamné dans la résolution. Nous devons dire que nous avons donné à l’opposition la plus grande possibilité de s’exprimer. Ses orateurs ont toujours eu trois quarts d’heure ou une heure de temps de parole et ils ont parlé plusieurs fois. Tous les documents dont j’ai parlé, des écrits qui ont plusieurs centaines de pages, ont été répandus. Tous les délégués les ont lus, ils ont écouté tous leurs arguments. Nous, nous sommes résolus à reprendre la lutte contre 1’opposition, parce que toute cette musique, si elle est claire pour nous, pouvait ne pas être aussi claire peur beaucoup de nos camarades étrangers. Nous avons mené la lutte jusqu’au bout et, à la fin, il était visible que tous les délégués sortaient renforcés dans leur point de vue que l’on ne pouvait plus tolérer ces agissements et qu’il fallait au moins appliquer le minimum des mesures contenues dans la résolution de l’Exécutif.

Nous croyons même que ce masque de dignité que quelques camarades croyaient apercevoir personnellement chez Trotsky, sa pose « chevaleresque », sa défense courageuse de son propre point de vue, etc., nous croyons que même tout cela a été mis en pièces. Aujourd’hui, personne ne croit plus l’opposition. Le 16 octobre, l’opposition a donné « sa promesse solennelle », et aujourd’hui, elle est là première à cracher sur « la parole d’honneur » qu’elle a donnée au parti. Le 16 octobre, l’opposition a promis solennellement qu’elle n’aurait plus rien à faite avec le petit groupe d’Urbahns et de Maslow. Aujourd’hui, au contraire, elle est en relations intimes avec ce groupe et l’organe central de ce groupe va devenir l’organe central de l’opposition. Aujourd’hui, l’opposition accuse le C. C. de notre parti et la direction de l’I. C. de trahison. Elle accuse le C. C. de l’Internationale Communiste d’avoir marché à une certaine étape de la révolution chinoise avec la bourgeoisie. Mais, tout le monde sait que les oppositionnels eux-mêmes étaient, à cette période, membres des organismes dirigeants du P. C. de l’U. R. S. S. et de l’Internationale Communiste. Ils ont pris part à tout ce travail. Au dernier Plénum du Comité Exécutif, ils ont brûlé leurs dernières cartouches. Leurs vertus chevaleresques, ont été démasquées au Plénum. On a arraché à l’opposition le masque sous lequel elle luttait contre la direction de l’Internationale et contre le C. C. de notre parti. Aussi, l’Exécutif de l’internationale a-t-il soudé davantage encore les cadres de nos partis communistes. L’Internationale Communiste sortira consolidée de cette étape de sa lutte intérieure.

II va de soi que des faits aussi caractéristiques font sur chacun une impression profonde. Nous sommes naturellement en face de difficultés immenses. L’impérialisme anglais et tous ses vassaux se préparent contre nous, Nous avons contre nous les forces de Tchang Tso Lin, les relations entre l’Angleterre et l’Union Soviétique sont rompues. Les événements se développent avec une rapidité surprenante. Mais le camarade Trotsky écrit dans ses thèses la phrase suivante : « Le plus dangereux de tous les dangers, c’est... le régime intérieur dans le P. C. de l’U. R. S. S. et dans l’Internationale Communiste... » Quand on a une pareille perspective, quand on voit là le danger principal, si le régime intérieur du P. C. de l’U.R.S.S. et de l’I. C. est l’ennemi principal, alors, marchons contre cet ennemi. Chamberlain et tous les autres ennemis sont à l’arrière-plan. On peut encore attendre avant de lutter contre eux. Bien que l’opposition nous ait embêtés, bien qu’elle ait fortement ralenti les travaux du Plénum, le Plénum a cependant examiné toutes les questions importantes avec attention et il les a résolues en tenant compte des faits, comme doit le faire une direction de l’internationale Communiste. C’est pourquoi nous espérons que plus nos partis communistes croissent, plus nos forces se consolident, plus la répétition de 1914 s’éloigne de nous. Il n’y aura plus de 1914. En 1927 et en 1928, l’Internationale Communiste lancera dans la balance sa parole bolchéviste, au cours des batailles décisives ! (Applaudissements prolongés.)