Discours de conclusion sur la question du programme

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LOZOVSKI donne ensuite la parole au camarade Boukharine pour sa conclusion sur la question du programme de l’I.C

Discours de Boukharine

I. Les enfants de chœur de l’impérialisme et le programme de l’IC[modifier le wikicode]

Qui défend l’unité et qui divise le mouvement ouvrier ?[modifier le wikicode]

Camarades, permettez-moi tout d’abord de vous exposer un peu comment les adversaires impérialistes et social-démocrates du communisme ont réagi devant la publication du projet de programme de l’I.C. Le menchévik Abramovitch a publié dans le Sozialistitcheski Viestnik (Le Messager Socialiste) qui parait à Berlin, deux grands articles intitulés : « Un programme de guerre et de division contre la classe ouvrière », articles contenant nombre d’insinuations répugnantes à l’adresse du communisme. Ces articles sont suffisamment caractérisés par le vocabulaire de policiers et d’assassins auquel recourt Abramovitch en affirmant notamment que le communisme ne recule pas du tout devant l’emploi « du poison et du poignard » etc. Je reviendrai plus loin sur ces articles.

Otto Bauer a aussi exprimé son opinion sur notre programme : dans son article intitulé « BruxellesMoscou » publié dans le journal de Bruxelles Le Peuple, il dit entre autres : « Si le congrès de Moscou tend plus que jamais tous ses efforts dans le sens de la division de la classe ouvrière internationale, le congrès de Bruxelles doit se donner pour tâche au contraire, d’inviter tous les exploités du monde à s’unir dans la lutte contre l’impérialisme, la guerre et la domination étrangère ». Ainsi donc, Otto Bauer affirme que le Congrès de Bruxelles des social-démocrates fait des vœux pour l’unité de la classe ouvrière avec les peuples coloniaux, tandis que notre congrès communiste est un congrès de « division des rangs ouvriers ».

Il n’est pas bien difficile, à mon avis, de réfuter ces affirmations cyniques. Il suffit de considérer ne serait-ce que les tous derniers événements du mouvement ouvrier pour voir qui, au moment actuel, défend l’idée de l’unité du prolétariat mondial et qui divise les rangs de la classe ouvrière au profit des capitalistes. Qui est-ce qui exclut les communistes des syndicats d’Angleterre, d’Allemagne et des autres pays, qui est-ce qui, d’accord avec les employeurs, entreprend une croisade contre les ouvriers communistes, si ce ne sont les réformistes ? Est-ce que le changement entrepris par le Comité Exécutif de l’I.C. et approuvé actuellement par le congrès n’a pas été déterminé en premier lieu par le fait que les dirigeants des organisations des partis et des syndicats réformistes s’intègrent de plus en plus dans les organisations capitalistes et divisent de plus en plus profondément le mouvement ouvrier. La tendance à diviser les rangs ouvriers et, en premier lieu, les syndicats est particulièrement caractéristique à présent pour la politique des réformistes de presque tous les pays. Les chefs réformistes, ceux de la socialdémocratie et des syndicats, les leaders d’Amsterdam et de la IIe Internationale combattent l’idée même de l’unité internationale des syndicats.

Il est parfaitement clair que les chefs réformistes mènent cette politique de division des syndicats dans l’intérêt de la classe capitaliste. Dans un des derniers numéros du journal, L’Employeur, publié par l’Union des patrons allemands, vient de paraître un grand article consacré à notre programme. L’article s’intitule : « Le Programme de l’Internationale communiste » et il donne l’appréciation caractéristique suivante de notre projet : « Pour le monde non communiste ce programme est un document intéressant de l’époque et, en même temps, une clef précieuse pour la compréhension des forces politiques, économiques et sociales avec lesquelles nous aurons à nous mesurer prochainement. L’Internationale communiste est l’instance suprême de toutes les sections nationales communistes et, par conséquent aussi, du parti communiste d’Allemagne. C’est pourquoi le programme de l’Internationale communiste est celui dans le cadre duquel doit se tenir aussi le programme du parti communiste d’Allemagne.

L’IC donne des directives aussi dans le domaine de la politique syndicale ; l’I.S.R. élabore ensuite concrètement cette directive. Les ouvriers communistes qui appartiennent aux organisations adhérant non à l’I.S.R., mais à la IIe Internationale syndicale (Amsterdam), doivent aussi adopter les principes établis dans le programme de l’Internationale communiste. Ainsi donc, ce programme devient le bréviaire obligatoire pour les groupements dirigeants de l’opposition dans les syndicats libres et sa signification pour le monde économique intérieur dans les pays bourgeois, d’économie privée, ne saurait être assez hautement appréciée. C’est pourquoi il est non seulement intéressant, mais même indispensable pour chaque entrepreneur et pour chaque chef d’entreprise de connaître les principes essentiels du programme de l’Internationale communiste. »

Comme vous le voyez, notre programme jouit de la plus grande attention dans les milieux patronaux. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai donné ici cette citation. Ce qui est caractéristique, c’est de voir en quoi les patrons allemands voient le principal danger pour eux. Le principal danger, ils le voient dans le travail des communistes dans les syndicats, et la citation ci-dessus signifie au fond un ordre donné aux chefs réformistes d’exclure nos camarades de parti et, en général, l’opposition des syndicats libres. C’est cela même le sens de l’appréciation donnée par les patrons au sujet de notre programme. Et toute la pratique de ces dernières années montre que les chefs réformistes des syndicats et les chefs social-démocrates vont la main dans la main, travaillent d’accord avec les patrons à l’extirpation de la « canaille » communiste des entreprises et des syndicats. Il faut pousser à l’extrême le cynisme pour oser reprocher aux communistes de diviser les rangs de la classe ouvrière.

Nous posons maintenant la deuxième question, à savoir la question de l‘union entre le prolétariat industriel des pays monopolistes et les classes opprimées du monde colonial ; nous pouvons constater ans peine qu’ici encore les social-démocrates sont les fauteurs de division.

En analysant la résolution du congrès de Bruxelles de la IIe internationale sur la question coloniale, nous voyons que cette résolution aurait pu être signée par n’importe quel gouvernement impérialiste. Entre la politique coloniale des réformistes et celle des impérialistes, il n’y a presque aucune différence de principe. Cela n’est-il pas prouvé par les protestations des hôtes coloniaux au congrès de la IIe Internationale ? N’est-ce point l’attitude impérialiste des réformistes dans la question coloniale qui a provoqué de nombreuses protestations provenant de la Ligue antiimpérialiste contre la position de la IIe Internationale dans la question coloniale ?

C’est juste au moment où la bourgeoisie chinoise est devenue le bourreau sanguinaire de la classe ouvrière de Chine, c’est maintenant précisément et non naguère pendant la période de « l’expédition contre le Nord », que la IIe Internationale a invité le Kuomintang, ce parti d’étrangleurs et de pendeurs, à son congrès de Bruxelles ; plus que tout autre chose, cela prouve avec éclat que la IIe Internationale est la force qui, dans l’intérêt des impérialistes, sème la division entre le prolétariat industriel de la métropole : et les classes opprimées des pays coloniaux. Oui, vraiment, la IIe Internationale personnifie l’idée de « l’unité », mais d’une unité spéciale, de l’unité de certaines couches de la classe ouvrière et de l’aristocratie ouvrière avec l’impérialisme contre les ouvriers révolutionnaires en général, les ouvriers et les paysans des colonies, en particulier. Contre une telle unité, l’Internationale communiste a combattu et mènera un combat à mort.

Le sot bavardage d’abramovitch et le témoignage de buchanan[modifier le wikicode]

Si nous voulons analyser le troisième grand problème, le problème de la guerre, si nous voulons répondre aux accusations provocantes selon lesquelles l’Etat prolétarien serait le « provocateur » de la guerre mondiale, l’I.C. une force « allumant la guerre », et le programme de l’I.C. « une provocation de guerre » — ces gens sont assez impudents pour oser affirmer de telles choses, — le mieux serait de juxtaposer ce qu’écrivent de nouveau les social-démocrates avec certains documents du passé. Dans le numéro en question du Sozialistitcheski Viesnik, Monsieur Abramovitch écrit ce qui suit :

« Au risque d’attirer sur nous le courroux communiste, nous devons déclarer que la bourgeoisie d’Europe tremble cent fois plus devant la nécessité réelle de remettre une partie du pouvoir de l’Etat à la social-démocratie qui fait coalition avec elle que devant les poudres en carton « de la révolution communiste ». Car la première de ces deux perspectives est une réalité immédiate se manifestant directement par toute une série de concessions politiques et économiques qu’il faut tout de suite, aujourd’hui même, faire aux grandes masses ouvrières, tandis que toute l’Internationale communiste, avec sa propagande et ses perspectives révolutionnaires, est quelque chose qui arrivera peut-être, mais peut-être aussi que non, « la semaine des quatre jeudis » ; en tout cas, pour le moment, elle laisse dans les mains de la bourgeoisie toute la plénitude du pouvoir. »

Ainsi donc la coalition des social-démocrates avec la bourgeoisie, c’est « la remise d’une partie du pouvoir à la classe ouvrière » ( !) et c’est en cela que consiste « le mérite » des partis socialdémocrates, tandis que l’I.C. est tellement « opportuniste » quelle laisse « le pouvoir entre les mains de la bourgeoisie ». Monsieur Abramovitch n’a pas honte de développer une argumentation aussi niaise et ridicule et il la met en rapport avec le problème de la guerre !

Camarades, en feuilletant les mémoires de Georges Buchanan, cet homme politique anglais si expérimenté, cet ancien ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg, j’y ai trouvé une illustration assez intéressante de l’article « spirituel » d’Abramovitch. Buchanan, ancien ambassadeur anglais en Russie en 1917, caractérisant le rôle des chefs de la social-démocratie, du parti ouvrier pendant la dernière guerre impérialiste, décrit le mécanisme de cette même « remise d’une partie du pouvoir dans les mains de la classe ouvrière » ; on ne peut que recommander la publication de livres, documents, mémoires de ce genre, aux éditions de l’I.C. Permettez-moi de vous lire quelques extraits de ces mémoires. Buchanan parle d’abord du menchevisme russe :

« Le nom de Tseretelli (chef des menchéviks en 1917, actuellement l’allié de Kautsky. NB.), était joint au mien, — ce qui était assez étrange si l’on considère sa biographie — et on nous représentait comme les principaux acteurs du mouvement en question. Cette accusation surgit sans doute en conséquence du fait que nous avons mené ensemble la propagande active ententiste en faveur de la guerre dans le but de démasquer le mensonge allemand.»

La disposition des forces en 1919 était, comme vous voyez, très claire : le chef des menchéviks ensemble avec Lord Buchanan, représentant de l’impérialisme anglais, mènent la propagande ententiste active au profit de la guerre et, ensemble, ils démasquent « le mensonge allemand »

Il n’est pas moins intéressant de voir comment surgit la mission Henderson à Pétersbourg.

Buchanan écrit dans ses mémoires :

« Le 24 mai, j’ai reçu un télégramme de Lord Robert Cecil faisant alors fonction de ministre des Affaires étrangères et m’informant que le cabinet de guerre estime nécessaire de créer une attitude plus favorable des socialistes russes et des ouvriers à l’égard de la guerre et de dissiper la fausse impression établie en Russie quant à nos buts de guerre. Reconnaissant que ceci pourrait être obtenu avec le plus grand espoir de succès par les chefs du parti ouvrier plus que par aucun autre, le cabinet décida d’envoyer Monsieur Henderson en mission spéciale. » (Rires).

Voyez-vous, à présent, en quoi consiste cette « remise du pouvoir ». Les bouchers impérialistes remettent une partie de leur pouvoir aux Henderson qui ont pour charge de recruter des socialistes russes et des ouvriers pour la continuation de la guerre impérialiste.

Vous savez bien que Henderson eut beaucoup de succès parmi les menchéviks russes et accomplit sa mission d’agitateur impérialiste de l’Empire du roi britannique. Seulement, il n’eut pas de chance avec les ouvriers russes (rires). A la page suivante des mémoires, ce n’est plus seulement Tseretelli et Henderson qui figurent, mais bien tout le bouquet des représentants de la IIe Internationale, c’est toute la fleur des sommets de la IIe Internationale. On pourrait intituler ce chapitre : « Les chefs de la IIe Internationale à l’œuvre pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat », pour « l’organisation de la lutte contre la guerre impérialiste ».

« Le jour suivant Henderson déjeuna chez nous avec le prince Lvov et Térétchenko. Parmi les autres hôtes il y avait aussi le ministre socialiste belge Vandervelde et le ministre français des munitions, Albert Thomas, qui avait pris la charge d’ambassadeur après le départ de Paléologue. Pendant les deux mois passés par lui en Russie, Thomas chercha non seulement à convaincre le ministre (Kérenski. N.B.) de la nécessité d’une attitude ferme dans la situation intérieure ; il se dépensa, à l’aide de son éloquence pathétique, à soulever l’enthousiasme du peuple pour la guerre. » (Rires).

Le « socialiste » Thomas persuadait le « socialiste » Kérenski qu’il fallait avoir une attitude « ferme » à l’intérieur du pays. Thomas conseillait à Kérenski de réprimer énergiquement toute résistance des masses ouvrières contre la continuation de la boucherie impérialiste. Thomas était le père spirituel des tentatives de répressions contre les ouvriers de Pétersbourg.

Tout cela est bien intéressant aussi du point de vue de la vie privée de ces messieurs. Plus loin nous lisons :

« A Pétrograd et à Moscou, ainsi qu’au front, il (Thomas, N.B.) parla dans de nombreux meetings de soldats et d’ouvriers et ce n’est pas de sa faute, si le grain qu’il semait tombait sur un sol ingrat. Nous étions heureux de le voir rien que parce que tout son être respirait la joie de vivre et ne nous laissait pas tomber dans le désespoir. (Grands rires).

En conversant avec moi après le déjeuner, il me demanda : « Qu’aurait-on dit, si l’on avait entendu, il y a quelques années, que moi et deux autres socialistes serions jamais les hôtes de votre table ? » — « La seule pensée d’une telle chose m’eût effrayé », répondis-je. — « Mais la guerre a changé tout cela et, maintenant, nous sommes tous « camarades ». (Rires prolongés dans la salle).

Camarades quel est le sens réel de ces « curieux » passages ? Ils prouvent évidemment que ces messieurs « luttent » contre la guerre. Nous, voyez-vous, les vauriens, nous sommes évidemment « pour la guerre », mais la IIe

Internationale avec Vandervelde, Henderson et Thomas à sa tète, ils mènent bien mieux que nous la lutte contre la guerre. Les chefs de la IIe Internationale « respirent la joie de vivre », ce n’est pas eux qui tombent dans le « pessimisme » ! Ces ministres-là furent et sont les véritables porteurs du pouvoir gouvernemental qui se trouve « entre les mains du .prolétariat » ! Il faut vraiment être un imbécile borné pour ne pas comprendre le rôle de ces messieurs. Buchanan représente admirablement leurs « luttes contre la guerre », lorsqu’il écrit qu’aucun individu, aucun pouvoir et aucun groupe ne serait en état de remplir si excellemment le rôle de propagandistes de la guerre impérialiste que les chefs de la IIe Internationale ou peut prouver la même chose à l’égard, de la social-démocratie allemande. Il y a toutes sortes de documents et de mémoires racontant ce qu’ont fait Ebert et les autres chefs, ce qu’ont fait Muller, Parvus et tout le Comité Central de la social-démocratie-allemande, comment ils « luttèrent » contre la guerre. C’est ainsi que se posait, la question au cours de la première guerre impérialiste.

La social-démocratie au service de la guerre impérialiste[modifier le wikicode]

Et à présent ? Est-ce que la position-des social-démocrates s’est améliorée. ? Est-ce que leur théorie s’est modifiée ? Est-ce que la thèse de la « défense de la patrie » a été annulée ? Au contraire, à présent, cette théorie se développe en profondeur et prend dans la question de la guerre une forme encore plus repoussante. Est-ce que Kautsky, qui prêche maintenant des soulèvements contrerévolutionnaires contre 1’U.R.S.S., eût jamais osé autrefois agir de la sorte ? Est-ce que les manifestations d’Hilferding dans les questions de politique extérieure, dans lesquelles il justifie théoriquement la nécessité de l’écrasement de 1’U.R.S.S. par les forces réunies des impérialistes, est-ce qu’il aurait pu parler ainsi autrefois ? Henderson et toutes sortes d’autres alliés intimes de Buchanan sont devenus à présent plus infâmes encore qu’autrefois. Nous n’avons jamais assisté à tant de malpropreté de la part de la social- démocratie. Et se sont ces gens-là qui osent dire qu’ils mènent la lutte; contre la guerre ; ce sont là pourtant des affirmations qui n’ont absolument rien de commun avec la vérité. Et, après cela, ces gens parlent de « provocation de guerre » de notre part et voient cette provocation dans le fait que nous avons prévenu le prolétariat mondial du danger croissant de la guerre, dans le fait que nous disons la vérité à la classe ouvrière en lui montrant que la guerre est inévitable, que la bourgeoisie prépare une nouvelle guerre impérialiste. De même Abramovtich adopte par exemple, dans son premier article, une position bien déterminée dans la question des dangers de guerre contre l’U.R.S.S. Ecoutez ce qu’il écrit :

« Nous aurons encore à nous arrêter sur cette « mégalomanie » spéciale des bolchéviks cherchant (estce sérieux ?) à se persuader et à persuader les autres que « tout le monde capitaliste tremble devant le fantôme terrible du prolétariat, le regardant à travers les expériences historiques de l’U.R.S.S. » ; que tous les Etats capitalistes ne font que réfléchir même en dormant comment ils peuvent attaquer le pays de la dictature prolétarienne.

Hélas, ces temps héroïques sont passés depuis longtemps. Le monde capitaliste « dort bien tranquille » malgré les succès mirobolants de l’U.R.S.S. et malgré toute la « propagande communiste ».

Ces mots expriment une grande partie des différences qu’il y a entre nous et la socialdémocratie dans la question des dangers de guerre. Nous disons que la bourgeoisie se prépare énergiquement, fiévreusement à la guerre. Les social-démocrates disent par la bouche de leurs théoriciens que le monde capitaliste « est plongé dans le sommeil ». Si nous disons : Le monde capitaliste est loin de dormir, non seulement il veille, mais encore de toutes ses forces, de toute son énergie, aussi bien sous le rapport technique que sous les rapports militaires, diplomatiques et économiques, il se prépare à la guerre, ces messieurs proclament « que nous provoquons la guerre » ! Eh bien, que pouvons-nous avoir de commun avec de telles gens, avec des gens qui considèrent que la cause de la guerre n’est pas dans la lutte sociale et économique entre les Etats impérialistes, qui font tout leur possible pour masquer cette lutte, pour détourner l’attention des ouvriers des faits évidents de l’armement enragé de la bourgeoisie, de sa préparation diplomatique et de l’inévitabilité historique, dans ces conditions, d’une nouvelle guerre !

Il me semble qu’en analysant ces deux questions : celle de la division de la classe ouvrière et, en particulier, des syndicats, et la question de la lutte contre la guerre, nous pouvons dire en toute conscience que notre programme est le programme de la lutte contre la guerre impérialiste, le programme de l’unité de classe du prolétariat. C’est pourquoi nous sommes contre l’unité avec la bourgeoisie et contre la social-démocratie, c’est pourquoi nous sommes pour la dictature du prolétariat. Je pense que lorsque nous aurons terminé nos travaux, nous devrons dans chaque pays nous appliquer au maximum à démasquer le mensonge inouï de la social-démocratie ; nous devons accomplir cette tâche des plus importantes, concrètement, d’une façon vivante, sous une forme qui soit accessible aux couches les plus arriérées de la classe ouvrière. Par tous les moyens, nous devons démasquer, ce mensonge de la social-démocratie, mener contre lui une .lutte systématique. Voilà, camarades, les observations que j’ai cru devoir faire au sujet des échos provoqués par notre programme dans les milieux bourgeois et social-démocrate.

II. L’introduction. La théorie de Marx et le programme de l’IC[modifier le wikicode]

Nous avons déjà terminé la moitié du travail dans notre commission du programme, c’est-à dire que nous avons achevé la discussion générale. Je dois dire que c’est pour là première fois au congrès de l’I.C. et, en général, pour la première fois pendant la discussion du programme que les discussions furent aussi animées. Jamais encore, on a apporté chez nous autant d’amendements, de propositions d’amendements, jamais encore tant de critiques ne furent exprimées que cette fois. Nous avons étudié toute une série de problèmes. En faisant abstraction de diverses corrections partielles pour ne rappeler que les problèmes soumis à la discussion, il faut constater que nous avons traité à la commission du programme plus de cent questions. Naturellement, on ne saurait rendre compte au congrès de toutes ces questions. Malgré l’importance exceptionnelle des travaux de la commission du programme, je ne puis cependant parler que des problèmes les plus importants.

Avant tout quelques mots sur la question de l’introduction. Certains camarades ont manifesté une tendance à supprimer l’introduction. Au cours de la discussion sur le programme au Plénum du congrès, d’autres camarades ont exprimé l’avis qu’il fallait maintenir l’introduction. Je crois qu’il vaut en effet mieux conserver l’introduction, nous établissons la succession historique de nos traditions révolutionnaires, nous montrons comment est né historiquement l’I.C. Nos adversaires l’ont très intelligemment remarqué. La Revue L’Employeur par exemple, écrit ce qui suit de notre programme :

« Le programme de l’Internationale Communiste s’applique avec une extrême habileté à utiliser tous les facteurs émotionnels qui peuvent jouer un rôle dans la propagande parmi les masses. Et cela apparaît particulièrement dans le renvoi aux autorités social-démocrates reconnues. La IIe Internationale n’est pas représentée comme une organisation mauvaise et hérétique en soi, mais seulement comme une institution dégénérée et banqueroutière dans la période de la guerre de 1914 à 1918 par la faute de ses chefs opportunistes ».

Naturellement, je n’insisterai pas sur la justesse de chacun de ces mots, mais à mon avis, notre adversaire bourgeois fait preuve de beaucoup d’intelligence en appréciant comme il le fait, notre introduction au programme. En effet, nous ne voulons pas du tout rompre avec les bonnes vieilles traditions révolutionnaires ; l’héritage de Marx et Engels, c’est notre héritage et non celui des partis social-démocrates.

Je voudrais bien réparer ici un lapsus involontaire commis, je crois, par le camarade Dengel dans son discours d’hier. En étudiant la question de l’introduction, il disait dans son discours ce qui suit :

« … Le léninisme représentant un développement et un complément du marxisme, nous met en mains le fil conducteur concret, dirigeant notre action ».

Naturellement, il n’était pas dans l’intention du camarade Dengel d’opposer le léninisme au marxisme ; pourtant, le mot « complément » peut déterminer une fausse interprétation de la pensée du camarade Dengel. Compléter quelque chose, c’est y apporter quelque chose de principiellement nouveau. Lorsque nous avons combattu contre toutes sortes de tentatives de compléter le marxisme, nous estimions qu’on ajoutait quelque chose de non marxiste au complexus d’idées marxistes. Naturellement, Lénine n’a pas donné un tel complément et il vaudrait mieux s’exprimer comme le fait le camarade Dengel dans la même phrase, en parlant du « développement ultérieur » du marxisme.

Cette question a une importance assez considérable du point de vue théorique comme du point de vue pratique. On nous accuse, nous autres communistes, d’« innovations » antimarxistes. Nous rejetons énergiquement cette sorte d’accusation. Dans toute notre théorie, dans toute la doctrine de Lénine, il n’y a pas un atome qui contredise le marxisme. J’essaierai de le montrer. Qu’entendons nous sous le terme « marxisme » ? On peut entendre sous ce mot bien des choses. On peut comprendre sous ce terme la somme d’idées, toutes les idées concrètes exprimées par Marx, c’est-àdire tout ce qui a été écrit par Marx et ce qui se trouve organiquement relié dans sa doctrine. De ce point de vue, on peut dire que toute nouvelle proposition, par exemple l’analyse marxiste de phénomènes aussi nouveaux que le capital trustifié, ce n’est pas du marxisme. Cependant, une telle conception du marxisme n’est pas correcte. Le marxisme ne se limite pas à un certain nombre, déterminé, de thèses rigides. Le marxisme est une conception révolutionnaire du monde et, en même temps, une méthode de recherche.

Avec l’aide de cette méthode, nous pouvons analyser divers phénomènes. Si nous donnons une analyse marxiste de problèmes tels que le problème de l’impérialisme, si nous appliquons correctement la méthode marxiste, nous élaborons de nouvelles idées, de nouvelles pensées parmi lesquelles, aussi des idées d’un caractère théorique. Mais une telle production spirituelle n’est pas du tout un supplément au marxisme, c’est une nouvelle proposition marxiste, qui devient immédiatement une partie inséparable du marxisme.

C’est pourquoi j’ose affirmer que nous n’avons pas ajouté au système marxiste un seul atome non marxiste : nous avons travaillé les nouveaux phénomènes, nous les avons coordonnés du point de vue du marxisme et avons de la sorte enrichi le trésor marxiste, nous avons développé sa théorie, etc., etc. Dans cette question de notre attitude à l’égard du marxisme, on ne saurait faire aucune concession aux théoriciens social-démocrates affirmant que, dans le marxisme bolchevik, il y a des éléments « étrangers », « non .marxistes », des éléments « bakouninistes » ou « marxistes asiatiques », mais non authentiquement marxistes. C’est précisément le contraire qui est vrai ; c’est justement parce que le léninisme a enrichi le marxisme qu’il est le marxisme le plus orthodoxe au monde. C’est ainsi qu’il faut poser la question. Je ne doute pas que le camarade Dengel, en exprimant son point de vue, a pensé comme je viens de l’exposer et non autrement.

Nous analysons tous les phénomènes du point de vue marxiste : il y a un grand nombre de phénomènes nouveaux que Marx n’a pu analyser pour la simple raison qu’ils n’existaient pas encore. Le problème de l’impérialisme, celui de la période transitoire sous la forme concrète sous laquelle il se pose à présent, le problème du nouveau type d’Etat : de l’Etat soviétique, etc., enfin beaucoup de problèmes que nous analysons en ce moment, ne se posaient pas encore aussi concrètement à l’époque de Marx.

III. La question du capital financier[modifier le wikicode]

Défense involontaire du Hilferding d’avant-guerre[modifier le wikicode]

Les premières discussions à la Commission du programme surgirent à l’occasion de l’analyse du capitalisme industriel et du capitalisme en général. La discussion portait sur le problème des crises. J’ai clarifié ce problème dans mon rapport, c’est pourquoi je ne m’y arrêterai plus. La deuxième question qui a déterminé une discussion, c’est le problème du capital financier. Je n’ai pas encore exposé à fond ce problème, mais l’intervention du camarade Sultan Zadé à l’Assemblée plénière du congrès m’oblige à prendre la défense du « pauvre » Hilferding ; même nos rapports amicaux avec Sultan Zadé ne peuvent m’empêcher de prendre cette défense (rire). Et avant tout, quelques mots sur la conception « du capital financier ». Le camarade Sultan Zadé a donné ici une citation d’une des plus récentes résolutions social-démocrates où il est parlé de l’union du capital industriel, commercial et bancaire et il a déclaré que ce n’est plus là du tout ce qui était autrefois chez Hilferding. Auparavant, il y avait domination du capital bancaire sur le capital industriel, tandis que maintenant il y a l’union des trois (et non plus de deux) formes du capital. Est-ce exact ? Référons-nous à ce qu’écrivait Hilferding dans son livre. Au Ve alinéa, tout au commencement, nous lisons ce qui suit :

« Le capital financier signifie l’unification du capital. Les sphères autrefois séparées du capital industriel, commercial et bancaire se trouvent à présent sous la direction d’une aristocratie financière qui relie en une unité personnelle, étroite, la domination de l’industrie et des banques. » (Rudolph Hilferding, Capital financier, Pétersbourg, 1918, page 438).

Voilà la formule de la trinité du capital commercial, bancaire et industriel.

Dans le livre que j’ai écrit au début de la guerre et qui s’intitule L’Economie mondiale et l’impérialisme, je touche à ces processus et je parle aussi de la fusion du capital industriel et bancaire. Le camarade Sultan Zadé polémise au fond dans ce cas non pas avec Hilferding, mais avec moi. Quel est le point de vue de Lénine dans cette question ? Dans le livre-de Lénine sur l’impérialisme, il y a un chapitre spécial intitulé « Les banques et leur nouveau rôle ». Dans ce chapitre, le camarade Lénine dit précisément la même chose que ce que nous affirmons ici :

« Ainsi donc, d’une part, il y a une fusion plus intime ou comme le dit excellemment N. I. Boukharine, une sorte d’intégration des capitaux bancaire et industriel et, d’autre part, une transformation des banques en institutions d’un type vraiment ‘‘universel’’ ».

Mais le camarade Sultan Zadé, en polémisant contre l’intégration, ne touche pas à Lénine.

Toutefois Lénine s’exprime à ce sujet très nettement. Il donne une appréciation du livre d’Hilferding. Dans le troisième chapitre intitulé « Capital financier et oligarchie financière », Lénine commence par donner la citation suivante de Hilferding :

« La partie constamment croissante du capital industriel — écrit Hilferding — n’appartient pas aux industriels qui l’utilisent. La disposition du capital ne leur appartient que par l’intermédiaire des banques, qui représentent, par rapport à eux, les propriétaires de ce capital. D’autre part, les .banques aussi sont obligées d’investir leurs capitaux dans l’industrie. Grâce à ce fait, elles deviennent, dans une mesure constamment croissante des capitalistes industriels. C’est le capital bancaire — par conséquent le capital sous forme d’argent qui se transforme de cette manière en véritable capital industriel que j’appelle capital financier. Le capital financier est à la disposition des banques et il est utilisé par les industriels ».

Et puis Lénine ajoute :

« Cette définition n’est pas complète du fait qu’elle ne parle pas d’un des aspects les plus importants, à savoir la croissance de la concentration de la production et du capital, dans une mesure si puissante que la concentration a abouti et aboutit encore au monopole. Mais dans l’exposé d’Hilferding, en général et, plus particulièrement dans les deux chapitres qui précèdent celui où est donnée cette définition, le rôle du monopole capitaliste est souligné.

La concentration de la production, les monopoles qui en découlent, la fusion, ou l’intégration des banques avec l’industrie — voilà l’histoire des origines du capital financier et le contenu de ces conceptions ».

Comme vous voyez, Lénine donne précisément la définition qui sert d’objet aux attaques du camarade Sultan Zadé. Et cette définition est essentiellement juste. En objectant contre cette définition et en indiquant que de tels rapports entre le capital financier sont en général impossibles, le camarade Sultan Zadé polémise aussi contre Lénine. Ou peut évidemment considérer ceci comme un argument insuffisamment persuasif. Il peut théoriquement y avoir des points erronés chez Lénine. Mais il faut le prouver ; ce que le camarade Sultan Zadé ne pouvait faire.

Le fait que je défends dans cette question le Hilferding « d’avant-guerre », ne signifie pas du tout que tout est juste dans son livre. Il y a chez Hilferding toute une série de propositions et des théories absolument erronées, entre autres, aussi dans le Capital financier ; ainsi par exemple, à mon avis, toute sa théorie de l’argent est erronée. Il y a, en conséquence de cette erreur, toute une série de passages faux aussi dans la théorie de la valeur. Et cela détermine à son tour un certain nombre de conclusions fausses. Dans la théorie de la circulation de l’argent, de l’argent-papier, etc., il y a des conclusions absolument fausses. Mais lorsque Hilferding ne se trompe pas, il a évidemment raison et il n’y a rien à faire. Le camarade Sultan Zadé a complètement perdu de vue l’intégration des divers aspects du capital s’exprimant ainsi dans l’unité personnelle. Hilferding, par contre, a fait ressortir cette particularité de l’unité personnelle. Mais vous, camarade Sultan Zadé, voulez-vous m’indiquer où vous avez donné l’analyse de ce problème ? Nulle part, car vous ne l’avez pas analysé du tout. Le camarade Sultan Zadé a essayé d’appuyer son point de vue sur l’autorité de Stinnes. Mais cet exemple est tout à fait malheureux, car l’entreprise de Stinnes était une forme économique particulière dans la partie spécifique de la période d’inflation.

(Sultan Zadé criant de sa place : Et Ford, et Ford !)

Bien, mais il y a aussi Morgan et Rockefeller : est-ce qu’ils représentent le capital bancaire ou le capital industriel ?

(Sultan Zadé : Le capital industriel.).

Je pense cependant que vous savez bien que ces deux personnages sont en même temps les représentants du plus grand groupe de capitalistes de banque au monde. Les deux groupes bancaires les plus puissants et les plus célèbres sont dirigés par Rockefeller et Morgan. Ils sont à la fois les représentants du capital bancaire et du capital industriel. Vous vous référez à Stinnes pour confirmer votre théorie, mais vous oubliez les deux exemples les plus typiques, les plus éclatants : Rockefeller et Morgan.

Autres arguments du camarade sultan zade[modifier le wikicode]

Le camarade Sultan Zadé a encore donné un autre « argument ». J’ai oublié d’y répondre dans mon rapport. Le camarade Sultan Zadé a dit que Hilferding avait été ministre des finances, mais n’avait pas essayé de conquérir les banques et, s’il les avait conquises, cela aurait eu des résultats tout à fait originaux. Le fait que Hilferding n’a pas tâché de réaliser la socialisation n’a pas absolument rien à voir avec ces questions théoriques. Si même il s’était tenu sur le terrain de votre théorie et s’il avait rejeté toute sa théorie du capital financier, il n’aurait quand même pas appliqué la socialisation des banques ni de l’industrie. Pourquoi ? Mais parce qu’il est social-démocrate. Cependant, personne ne défend la théorie de la possibilité immédiate de se soumettre toute l’industrie au moyen « de la conquête des banques », car cette théorie est fausse. Quoique cela puisse vous paraître immodeste, je dois dire que le premier j’ai analysé ce problème.

Vous pouvez vous en convaincre en consultant la littérature sur ce sujet. Sur la base de toute une série d’arguments théoriques, j’ai montré que s’emparer des banques, cela ne veut pas dire conquérir l’industrie, même s’il n’y eût dans tout le pays que six ou douze banques — cela est égal parce que les fils économiques réunissant l’industrie et les banques, ce sont les fils du crédit, les rapports spécifiques de financement, etc., Mais au moment où vous conquérez les banques — n’oubliez : pas que nous sommes dans la période de la révolution prolétarienne —- ces fils sont immédiatement cassés. En vous emparant des banques, vous détenez des maisons, des livres de comptabilité et toute sorte d’autres papiers, actions, etc., mais comme les fils du crédit sont rompus — par votre action révolutionnaire déjà vous les avez désorganisés — la « conquête » des banques ne-vous donnera pas la possibilité de vous emparer de l’industrie. Mais c’est là un problème d’une tout autre nature.

Le camarade Sultan Zadé à encore donné l’argument suivant : vu que le capital bancaire en général ne peut jouer de rôle dirigeant puisqu’il concerne la sphère dé la circulation, il est un facteur dérivé tandis que le facteur primordial, c’est la production. Dans la commission du programme j’ai fait une concession théorique conditionnelle au camarade Sultan Zadé. En manœuvrant contre lui, j’ai dit : admettons théoriquement que vous avez raison en ce qui concerne la conception du « capital financier », admettons que le capital financier n’est pas un produit d’intégration, de synthèse du capital bancaire et du capital industriel, mais qu’il est simplement le capital bancaire et rien d’autre. Même dans ce cas, disais-je, votre argumentation est erronée parce que trop simpliste. Vous dites : L’affirmation selon laquelle la production est un facteur primordial, tandis que la circulation est un facteur dérivé et que, par conséquent, le dérivé ne saurait prévaloir sur le primordial, est juste. j’ai répliqué : Considérez le régime capitaliste d’Etat : l’Etat est quelque chose de dérivé, mais en réalité il règle sous le régime du capitalisme d’Etat tout le processus de la production.

A cela le camarade Sultan Zadé répondait dans son discours d’hier ce qui suit : « Ce sont là deux choses tout à fait distinctes : l’Etat est une entité absolument différente, c’est une superstructure, tandis que le capital bancaire est de toute façon une partie du capital, or une partie ne saurait dominer une autre partie ».

Fort bien, mais c’est là une autre argumentation, en la formulant, camarade Sultan Zadé, vous vous contredisez vous-même. Est-ce que le capital industriel n’est pas une partie du capital dans son ensemble ? C’en est une partie. Ainsi vous donnez deux arguments. Vous en donnez d’abord un, je le réfute par une référence au capitalisme d’Etat ; alors vous en donnez un autre indiquant qu’une partie ne peut dominer une autre. Mais selon votre propre théorie une partie : le capital industriel, peut bien dominer une autre partie : le capital bancaire. Ainsi dont cet argument des « parties » n’est pas bien consistant.

Vous pouvez encore apporter un troisième argument : vous pouvez déclarer que la conjonction des deux arguments concernant les parties et la superstructure, que leur synthèse peut donner un résultat positif. Mais je ne suis pas obligé de vous fournir des arguments (rires) ; je vous en laisse le soin.

J’ai donné encore l’exemple des rapports économiques de l’Amérique et de l’Allemagne. Le camarade Sultan Zadé répond que ce sont là des rapports de crédit. Mais le capital bancaire américain pénètre bien dans la sphère de production de l’économie allemande. C’est en cela que consiste tout le problème. Pouvez-vous nier qu’une partie des capitaux américains se transforment en Allemagne même en capital fondamental ? Non. C’est un fait incontestable : une partie des capitaux se transforment en capital fondamental de l’industrie allemande. C’est ce qu’il fallait démontrer et cela me suffit parfaitement.

A mon avis, toute la construction théorique du camarade Sultan Zadé souffre des défauts suivants : Le camarade Sultan Zadé n’a pas vu la forme spécifique de la structure hiérarchique de tous ces trusts, sociétés filiales, syndicats, cartels, banques, banques filiales, etc. qui peuvent être contrôlés. Le terme « contrôle » est d’origine purement américaine. Dans l’interprétation américaine, cela veut dire domination.

On peut contrôler lorsqu’on concentre bien moins que la moitié de tout le capital, mettons même 30% des actions de la Société anonyme. La théorie du camarade Sultan Zadé ne donne pas une orientation bien juste non plus dans la question des rapports de classe. Si, en contrepoids de notre conception du capital financier, vous opposez la votre, vous soulignez par cela l’abîme assez grand que vous mettez entre les magnats de banque et ceux d’industrie. Je ne nie pas du tout qu’il y ait des divergences assez fortes et parfois même, très grandes entre les industriels et les banquiers.

Ces divergences prennent parfois des formes assez aigües, mais la ligne essentielle est celle de l’union avec le capital commercial et même avec les grands propriétaires fonciers. J’insiste une fois de plus sur le fait que cela n’exclut pas du tout la possibilité de sérieuses divergences au sein de la bourgeoisie. La tendance générale de ce grand organisme capitaliste, dans le processus d’accroissement des forces productives se poursuit dans la direction de la fusion, de la transformation des bourgeois de toute catégorie en gens touchant des dividendes malgré toutes sortes d’antagonismes, de divergences, etc.:

IV. Les forces du capitalisme impérialiste[modifier le wikicode]

Contradictions de l’impérialisme. Pourquoi le super-impérialisme est-il impossible ?[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à une autre question en rapport étroit avec le problème ci-dessus. J’ai parlé plus haut des antagonismes au sein de la bourgeoisie dans son ensemble ; je parlerai maintenant des antagonismes au sein de l’impérialisme en général. A mon avis, certains camarades ont fait des observations assez précieuses au sujet des rapports entre les formations monopolistes et les branches non cartellisées de la production d’une part, et les couches correspondantes de la bourgeoisie. Certains camarades ont cité divers passages du livre de Lénine sur l’impérialisme où il est particulièrement indiqué que le trait essentiel de l’impérialisme, ce ne sont pas seulement les formations de caractère monopoliste, mais encore les divergences entre les branches monopolistes, cartellisées et trustifiées de la production et les autres branches non unifiées.

Au cours des discussions, les camarades ont encore fait-ressortir que suivant Lénine, Kautsky ne voyait pas cela et c’est pourquoi, chez ce dernier, les contradictions internes du système financier capitaliste sont atténuées par rapport à la réalité. D’autres camarades nous ont proposé d’éclairer davantage, de mieux préciser la loi du développement inégal du capitalisme et de faire ressortir avec plus de relief la proposition du développement inégal à l’époque de l’impérialisme et les contradictions du système impérialiste. A mon avis, il faudrait pour cela relier spécialement cette question à l’analyse du superimpérialisme. Le problème du super-impérialisme n’est pas bien difficile. La difficulté relative du problème se résume grosso modo, comme suit : Peut-il y avoir sur la base du capitalisme un régime mondial dans lequel toute l’économie capitaliste mondiale serait réunie en un seul trust gigantesque ?

Si l’on réfute théoriquement cette possibilité, une autre question surgit immédiatement à savoir : ainsi donc, vous voulez nier par là même la loi fondamentale du développement capitaliste, la loi de la concentration et de la centralisation du capital ? Mais si vous vous en tenez quand même au point de vue de la loi de la concentration et de la centralisation du capital, vous devez dire que les capitalistes s’entredévorent entre eux, les plus puissants engloutissent les autres, les capitalistes très puissants engloutissent les moins puissants, des trusts gigantesques se constituent, ils entrent en lutte les uns contre les autres, un trust en engloutit un autre. Et quelle limite logique et historique peut-on donner à ce processus ? La limite historique et logique, c’est la constitution d’un trust géant mondial concentrant en ses mains toutes les colonies capitalistes mondiales. Nous avons envisagé ce problème dans la littérature russe encore au début de la guerre.

D’une façon tout à fait abstraite, on ne saurait nier une telle possibilité. Seulement la voie du développement vers un tel « trust mondial » est liée à de telles dépenses, « frais généraux » nécessaires dans un processus aussi monstrueux, quelle détermine un caractère catastrophique de la lutte des classes et que, dans cet incendie, le capitalisme périrait. Ce processus entraine des guerres et des révolutions colossales et c’est pourquoi, empiriquement, dans la réalité, dans la vie, un tel trust est impossible. Jadis, Hilferding comprenait bien cela. Dans son Capital financier, il se place au point de vue de l’impossibilité du « super-impérialisme » :

« Economiquement, écrivait Hilferding, un cartel universel qui dirigerait toute la production et en écarterait ainsi les crises, serait parfaitement concevable ; il serait concevable économiquement, quoique socialement et politiquement un tel état soit absolument impossible vu que l’antagonisme des intérêts poussé ainsi à l’extrême, aboutirait à l’écroulement de cet Etat. »

C’est ainsi que pensait Hilferding autrefois. Le- camarade Sultan Zadé se trompe en affirmant que la social-démocratie parle le même langage à présent : La citation que je viens de donner dit tout le contraire de ce que Hilferding prêche à présent. Maintenant les social-démocrates parlent « d’un capitalisme pacifiquement organisé », leur idéologie est celle du « mondisme » et l’idéologie du « mondisme » n’a pas du tout comme prémisse, la plus formidable aggravation des antagonismes capitalistes. La social-démocratie affirme maintenant.que plus le capitalisme sera organisé, que plus et plus intimement nous collaborerons avec les capitalistes et mieux le prolétariat vivra, plus grandes seront les concessions de la bourgeoisie. Or, dans le Capital financier, Hilferding dit que les rapports de classe s’aggraveront tellement que le capitalisme doit nécessairement périr. Cette proposition émise autrefois par Hilferding est absolument juste. Hilferding a trahi non seulement le marxisme, il s’est trahi lui-même. A présent, les social-démocrates discutent du « superimpérialisme ». La social-démocratie estime que le régime bourgeois se développe sur une phase ascendante et elle attend l’arrivée d’une époque idyllique de superimpérialisme. Une telle affirmation nous oblige de donner une formule plus précise des problèmes correspondant dans notre projet.

La putréfaction parasitaire et le développement des forces productrices du capitalisme contemporain[modifier le wikicode]

Je dois dire encore quelques mots des forces du capitalisme dans la phase impérialiste. Dans notre projet, il est dit que l’impérialisme est la dernière phase du .capitalisme et que son trait caractéristique, c’est la putréfaction parasitaire ; .Dans le projet de programme, nous avons, dès le début, fait ressortir le processus de la mort du capitalisme, son aspect parasitaire. C’est en cela que se résume l’appréciation historique de la phase contemporaine du capitalisme mondial.

En rapport avec ce qui précède et sans la moindre intention de polémique, je dois encore présenter quelques observations relatives à la possibilité d’une interprétation erronée de cette thèse. Il y a dans nos rangs une certaine tendance à surestimer l’aspect dit parasitaire du capitalisme et son influence sur la destruction de forces productrices. A mon avis on ne saurait cependant affirmer que la tendance parasitaire de la dégénérescence du capitalisme l’emporte partout et détermine tout. Cela voudrait dire que les forces productrices du capitalisme ne se développent plus du tout dans la phase actuelle. En réalité, elles se développent et même assez rapidement: et la possibilité n’est même pas exclue que dans certains pays — je souligne le mot « certains, ». — les forces productrices du capitalisme peuvent se développer extrêmement vite.

Nous subissons une phase spéciale où la science est plus étroitement que jamais liée à la technique, où les inventions techniques prennent une ampleur grandiose, où la science subit une période de remarquable élan. Beaucoup de problèmes qui font, comme on dit, époque, sont déjà résolus théoriquement et n’attendent plus que la solution pratique. A la différence de ce que pensent les social-démocrates, tout cela ne signifie pas, cela va sans dire, que nous entrons dans une phase de prospérité du capitalisme ; au contraire, c’est une époque d’énormes, de gigantesques aggravations des antagonismes mondiaux qui commence, une époque de guerres et de complications monstrueuses, inouïes, de tous les antagonismes du système capitaliste.

Le capitalisme est destiné à périr non parce qu’il dégénère rapidement en organisme parasitaire, il est destiné à périr non par impuissance — ce n’est pas en cela que consiste la putréfaction du capitalisme — mais parce que la dernière étape du capitalisme mourant aggrave à l’extrême les antagonismes internes du régime capitaliste et provoque des conflits qui portent en eux sa perte. L’aspect parasitaire du capitalisme augmente sans cesse, mais ce n’est pas cette dégénérescence comme telle, c’est sa dégradation comme produit de l’aggravation des contradictions du capitalisme, c’est justement ce trait spécifique du capitalisme qui lui creuse sa tombe.

Je suis d’accord sur la nécessité de souligner plus concrètement dans notre projet de programme cet aspect du développement capitaliste : les divers antagonismes en rapport avec la loi du développement inégal du capitalisme, les contradictions, les antagonismes entre les sphères cartellisées et les sphères non cartellisées de la production, l’antagonisme découlant de rétablissement de quotes-parts, la lutte entre les diverses puissances impérialistes — de souligner, dis-je, cet aspect du développement capitaliste, afin de dissiper l’état d’hypnose dans lequel la social-démocratie maintient une partie des ouvriers, afin de détruire la légende du développement d’un capitalisme « organisé ». Il conviendrait d’élaborer d’une façon plus détaillée toutes ces particularités dans notre projet et de les faire ressortir avec plus de relief.

V. Les racines sociales du réformisme[modifier le wikicode]

Les racines du réformisme dans la phase capitaliste pré-impérialiste[modifier le wikicode]

Nous avons eu dans la commission du programme des discussions extrêmement animées sur la question de la base sociale du réformisme, sur l’analyse du fascisme et sur les rapports entre la social-démocratie et le fascisme. Je crois devoir donner au plenum du Congrès une courte analyse de la base sociale du réformisme. Je n’étudierai pas ici ce problème avec l’ampleur que nous lui avons donné à la commission du programme ; je m’arrêterai seulement sur certains aspects, et aussi sur des particularités qui n’ont pas été étudiées par moi dans la commission du programme. Le cours du développement et la force relative des partis social-démocrates et du réformisme dans le mouvement syndical exigent de nous une analyse complète de ce problème. Pendant et après la guerre impérialiste, nous rattachions le réformisme en premier lieu au superbénéfice. C’est la considération essentielle dans toute l’analyse des racines sociales du réformisme. Je tâcherai d’éclairer plus complètement cette question. Il faut distinguer deux sphères et deux sortes de racines sociales du réformisme.

Les unes parmi ces racines rattachent le réformisme à la; société capitaliste du passé, les autres se rapportent aux traits spécifiques du développement impérialiste des grands pays capitalistes. Jadis, bien avant la guerre, en analysant les racines du révisionnisme allemand, nous y distinguions toutes sortes de traits petits bourgeois dans le sens le plus exact de ce mot. En analysant la position des révisionnistes dans des questions telles que la question agraire, nous affirmions, nous autres marxistes orthodoxes, que les révisionnistes, mettons de l’aile bavaroise de la social-démocratie allemande, étaient étroitement reliés aux couches petite-bourgeoises du parti social-démocrate. Nous disions très justement que la classe ouvrière n’apparaît pas sur l’arène de l’histoire comme une classe complètement formée, mais qu’elle se cristallise dans le réservoir de la paysannerie prolétarisée, de la petite bourgeoisie urbaine prolétarisée.

Ces diverses couches de la classe ouvrière nées au cours du développement capitaliste, dans le processus de ruine économique de la petite-bourgeoisie et de la paysannerie, ces couches du prolétariat apportent des vestiges de leur idéologie petite-bourgeoise.

En analysant les processus qui se sont produits au cours des époques précédentes, par exemple le développement des rapports capitalistes nés à la suite du régime corporatif, nous voyons comment les rapports dit patriarcaux, entre les employeurs, d’une part, et les travailleurs, de l’autre, ne cèdent complètement la place à d’autres rapports que le long d’un processus historique très prolongé.

Il y eut des temps, lorsque entre les employeurs et le prolétariat, à cette époque encore à l’état embryonnaire, régnaient des rapports assez patriarcaux. En ces temps-là, les antagonismes de classe entre les esclaves salariés d’une part et les employeurs capitalistes de l’autre, n’étaient pas assez puissants et ne s’étaient pas encore suffisamment formés historiquement pour déterminer aussi une séparation idéologique entre eux. Ce ne fut qu’au cours du processus d’aggravation de la lutte de classe, que cette idéologie patriarcale commune, qui régnait dans les milieux du prolétariat, disparut.

Le processus de dislocation des couches petite-bourgeoises et même des couches moyennes parmi le prolétariat, entraîne la reproduction de cette idéologie. Ces traits idéologiques petit-bourgeois furent la particularité caractéristique des réformistes. C’était là des réformistes ayant une idéologie petite-bourgeoise et leur réformisme avait ses racines sociales dans les rapports patriarcaux entre le prolétariat et la bourgeoisie, c’était l’expression idéologique de la division insuffisamment prononcée entre les diverses couches sociales. L’afflux de la petite paysannerie, des couches prolétarisées, de la petite bourgeoisie dans les rangs de la classe ouvrière, reproduisait sans cesse l’idéologie du réformisme dans le prolétariat. Telle était la base sociale du réformisme. La base sociale du réformisme, je souligne ce fait, était dans le passé du développement capitaliste absolument spécifique. Tout autre est la base du réformisme de notre époque. A cette époque, le réformisme se rattache en premier lieu au développement impérialiste.

Les racines du réformisme sous l’impérialisme[modifier le wikicode]

Dans la commission du programme, nous avons discuté le problème suivant : on parle souvent de superbénéfices réalisés par la bourgeoisie de tel ou tel pays, au cours de l’exploitation de ses colonies. Mais, quelles colonies possède la Suisse, l’Autriche, ou, comme dit Otto Bauer, en se moquant de nous dans un de ses articles, où sont les colonies des pays scandinaves dont certaines couches du prolétariat gagnent des salaires très élevés en comparaison avec les salaires dans les autres pays capitalistes ?

Où sont les colonies suédoises, norvégiennes, etc. ? Nous avons analysé de la manière la plus détaillée ce problème dans la commission du programme et nous l’avons, à mon avis, résolu dans son ensemble. Il ne s’agit pas ici des diverses sortes de superbénéfice recueillies dans les colonies de tel ou tel pays et allant dans les poches de la bourgeoisie capitaliste de ce pays. J’ai donné à la commission du programme l’exemple suivant : si l’on analyse la société capitaliste en se basant sur les doctrines économiques de Karl Marx, il faut reconnaître que les capitalistes qui possèdent des entreprises mieux outillées techniquement et par conséquent donnant un rendement supérieur à la moyenne, perçoivent un bénéfice dit différentiel.

La valeur de la marchandise et son prix de marché sont déterminés par le rendement moyen du travail social. Mais dans la mesure où il y a dans telle ou telle entreprise des conditions relevant le rendement du travail, l’usinier, le capitaliste touche, des superbénéfices, des bénéfices différentiels. La même chose se produit non seulement dans le cadre de l’économie nationale, mais aussi dans les cadres de l’économie mondiale. Si nous avons un pays plus développé que tous les autres, dans le processus de l’échange des produits entre les divers pays, ce pays touche un superbénéfice.

Dans ces Théories de la plus-value, Marx dit quelque part que le pays le plus riche, le pays le plus développé touche un superbénéfice qui est pour ainsi dire le bénéfice différentiel dans les cadres de l’économie mondiale. Le pays le plus riche exploite le plus pauvre, même au cas où il ne s’occupe pas de pillage colonial ; il se contente de faire le commerce au moyen de l’échange suivant toutes les « règles » de la loi de la valeur. C’est sur cette base économique que s’établissent des rapports spécifiques entre les divers pays. La bourgeoisie du pays développé peut toucher un superbénéfice en premier lieu dans les colonies, appartenant à ce pays.

Elle peut tirer son superbénéfice aussi de l’exportation du capital, non pas dans ses propres colonies, mais à l’étranger et même pas du tout dans des colonies, mais dans d’autres pays capitalistes où le taux du bénéfice est plus élevé. Un pays peut toucher un superbénéfice sur la base du simple échange de marchandises, à la condition que l’industrie de ce pays soit mieux outillée techniquement, que sa production soit à un niveau plus élevée, ce qui lui permet de réaliser un bénéfice différentiel, dans les cadres de l’économie mondiale.

Ainsi, par exemple, lorsque l’Autriche vendait des faux à la Russie tsariste, quoique la Russie ne fût point la colonie de la bourgeoisie autrichienne, celle-ci tirait cependant des superbénéfices, grâce à l’échange. Par le canal de l’échange, la bourgeoisie autrichienne avait la possibilité de gagner davantage. Il est donc clair que, mettons, même les fabriques de chocolat de Suisse peuvent malgré l’inexistence de colonies de ce pays, recevoir des superbénéfices. En analysant le tableau dans son ensemble, nous voyons que conformément à la loi du développement inégal tel ou tel pays occupe dans les cadres de l’économie mondiale une situation différente, dans ses rapports avec les autres pays.

Plus la situation de tel ou tel pays est favorable, qu’il ait ou non des possessions coloniales, et plus grande est pour lui la possibilité de réaliser des superbénéfices ; le développement des divers pays industriels se forme différemment, en rapport avec ce qui précède. Plus la situation d’un pays est favorable et plus grande sera pour sa bourgeoisie la possibilité d’une accumulation rapide, de l’utilisation des progrès techniques, de la possibilité d’entretenir les esclaves du travail salarié et d’augmenter la qualification de la main-d’œuvre. J’ai dit dans la commission du programme que sous le rapport social, la corruption des couches aristocratiques de la classe ouvrière est un fait évident.

Les diverses sources du superbénéfice et la structure da prolétariat mondial[modifier le wikicode]

Mais, ce n’est pas là je ne sais quelle force extérieure en contradiction avec toutes les lois du développement capitaliste. Loin de là, c’est au contraire l’expression même des lois fondamentales de ce développement capitaliste. Si telle ou telle bourgeoisie de tel ou tel pays peut assurer au prolétariat un salaire plus élevé, la bourgeoisie crée ainsi la possibilité d’un certain développement de la force de travail en tant que catégorie économique. L’ouvrier gagnant davantage acquiert une qualification plus haute.

Je dois toutefois ajouter que, sous cette qualification, j’entends non seulement une qualification dans le vieux sens du mot, que l’on n’obtient qu’en passant par une certaine école : il existe à présent une nouvelle sorte de qualification ou plus exactement de nouvelles formes de qualification, donnant à l’ouvrier la capacité de déployer une plus grande énergie pendant l’unité de temps ; en d’autres termes, la force de travail acquiert une structure physiologique sociale interne, moyennant laquelle elle est en mesure de développer une quantité d’énergie plus grande pendant l’unité de temps.

C’est là une caractéristique d’en certain niveau de développement du régime capitaliste. D’autre part, en rapport avec ce qui précède, il se constitue diverses couches de qualifiés du prolétariat qui sont plus près des ingénieurs. C’est dans ce double sens que si poursuit la qualification de la force de travail. De la sorte, sur la base du superbénéfice, la possibilité se trouve donnée de corrompre socialement certaines couches, ou prolétariat, lesquelles sont précisément les couches les plus qualifiées du prolétariat mondial. En parlant du prolétariat, nous avons en vue particulièrement les cadres européens et américains de ce prolétariat, c’est-à-dire le prolétariat allemand, anglais, ou américain.

Mais, en analysant le processus grandiose de l’évolution interne, des regroupements internes; du prolétariat mondial, nous devons avoir en vue non seulement le prolétariat européen ou nord-américain, mais aussi les coolies chinois (car ce sont aussi des ouvriers), les ouvriers des diverses colonies et les ouvriers des plantations, et, enfin, l’immense armée prolétarienne, chez laquelle les particularités prolétariennes se trouvent encore à l’état latent ; ces couches comptent des millions d’individus dans les pays coloniaux et semi coloniaux. En analysant non pas le capitalisme abstrait, mais le régime capitaliste mondial, dans son aspect concret, nous sommes obligés — c’est notre devoir, théorique — de considérer le prolétariat dans son ensemble, d’avoir, en vue tout le prolétariat avec toutes ses parties intégrantes : depuis les membres de la Fédération américaine du travail jusqu’aux coolies chinois et aux travailleurs indonésiens. Les tendances fondamentales du développement capitaliste doivent être envisagées non point sous l’angle des couches prolétariennes les mieux rémunérées, mais sous un angle mondial, sous l’angle de l’économie mondiale entière.

En vérifiant les propositions théoriques exposées plus haut, sous ce point de vue, il n’est pas difficile de se rendre compte de la justesse absolue de nos déductions. Prenons par exemple les ouvriers anglais. Pourquoi étaient-ils si conservateurs dans le passé ? Pas une bourgeoisie au monde n’a reçu des superbénéfices aussi énormes que la bourgeoisie anglaise. Ce superbénéfice avait une structure spécifique, il provenait surtout des colonies exploitées par l’Angleterre. Mais à présent, la structure économique et sociale de l’Angleterre s’est modifiée, sa situation dans les cadres de l’économie mondiale s’est colossalement transformée. L’Angleterre commence déjà à être remplacée par d’autres puissances et c’est ce qui détermine la modification fondamentale du réformisme, les tendances radicales dans le prolétariat anglais, la disparition de plus en plus complète des éléments conservateurs dans l’idéologie du prolétariat organisé. C’est de là que vient l’augmentation considérable du communisme en Angleterre, de là, la grève générale, la grève des mineurs, etc. Le développement historique se poursuit lentement, mais immuablement dans cette direction.

Prenons maintenant les Etats-Unis d’Amérique du Nord. Ils occupent une situation exceptionnelle, une sorte de situation de monopole dans l’économie mondiale. Mais, cette situation de monopole des Etats-Unis de l’Amérique du Nord se distingue de l’ancienne situation monopoliste de l’empire britannique, en ce que, tout en occupant les positions essentielles dans l’économie mondiale, la bourgeoisie américaine, à la différence de l’empire mondial britannique à l’époque de sa plus grande prospérité, ne possède pas d’énormes territoires coloniaux. Au moyen de l’exportation des capitaux, grâce à sa haute technique, aux conditions absolument spécifiques de sa production, grâce à rechange des produits, aux emprunts, etc., nans disposer de grandes possessions coloniales, la bourgeoisie américaine n’en retire pas moins le maximum de superbénéfices. Et quoique ces superbénéfices soient d’un caractère social économique quelque peu différent, quoique la source n’en soit pas le pillage direct des colonies, l’exploitation de ses propres colonies, ce n’en sont pas moins des superbénéfices. Mais comme l’immense majorité de ces superbénéfices, sur une échelle mondiale, tombent dans les mains de la bourgeoisie des Etats-Unis de l’Amérique du Nord, on se rend parfaitement compte pourquoi le prolétariat américain de nos jours est le prolétariat le plus conservateur du monde.

De ce point de vue, il est bien compréhensible aussi pourquoi la social-démocratie d’Allemagne est encore très puissante. L’Allemagne n’a pas de colonies, mais sous le rapport technique, elle a battu le record mondial dans certaines sphères de la production. Il va sans dire que ce développement de l’Allemagne dans la période d’après-guerre eut été inconcevable sans les crédits américains. Nous avons parlé de cela plus d’une fois. Mais l’Allemagne aussi reçoit à présent des superbénéfices. La perspective d’un développement ultérieur victorieux de l’industrie allemande sur le marché mondial, peut séduire une partie du prolétariat allemand ; c’est avec ce mirage qu’opère la social-démocratie allemande; c’est là le dessous social d’une partie de sa force, c’est par cela que s’explique dans une certaine mesure, la solidité de sa situation. Considérons et analysons le tableau dans son ensemble. Nous voyons un certain nombre de pays « aristocratiques » pour ainsi dire, possédant, pour nous exprimer d’une façon relative, une aristocratie ouvrière, c’est-à-dire un prolétariat ayant un niveau d’existence au-dessus de la moyenne du prolétariat mondial, Mais la différenciation des couches du prolétariat se produit aussi à l’intérieur de chaque pays ; ainsi, par exemple, quoique le prolétariat américain représente dans son ensemble et en comparaison avec le coolie chinois, une aristocratie ouvrière, cette aristocratie a encore sa propre aristocratie ouvrière au carré, représentant le véritable sommet conservateur dans le prolétariat mondial.

Les rapports patriarcaux, une certaine communauté d’intérêts entre le capital et le travail du vieux type, sont depuis longtemps détruits par la concurrence entre les divers employeurs et se sont aggravés sur cette base par la. lutte des classes. Les racines petite-bourgeoises du réformisme, dont j’ai parlé plus haut, se meurent au cours du processus d’aggravation de la lutte des classes ; mais il se peut que les racines impérialistes, c’est-à-dire social-chauvines ou social-impérialistes du réformisme dans le prolétariat, soient plus résistantes. Je considère que l’aggravation des antagonismes du capitalisme finira par arracher aussi ces racines ; la victoire complète sur le conservatisme du prolétariat américain n’est guère concevable sans l’intervention de grandes catastrophes sociales historiques. Mais c’est précisément en cela que consiste l’essence même de l’impérialisme que, d’une part, il crée dans le prolétariat les conditions nécessaires pour le développement des diverses idéologies social-impérialistes et, d’autre part, en aggravant les antagonismes entre les diverses puissances impérialistes, il impose des guerres gigantesques au prolétariat, guerres entraînant des destructions monstrueuses de force ouvrière, anéantissant les forces productrices, etc., et détruit de la sorte complètement les idéologies social-impérialistes. C’est cela même le processus grandiose de transformation du prolétariat en classe qui se suffit à elle-même. Nous ne nous imaginions pas autrefois combien ce processus de développement historique est long, quel calvaire le prolétariat aura à traverser en tant que classe, avant de cristalliser sa force absolument différenciée idéologiquement de la bourgeoisie. Ce développement historique est conditionné par le fait que nous avons affaire non pas à un capitalisme abstrait, mais à un capitalisme qui recèle des possibilités de corruption pour ainsi dire de certaines couches du prolétariat et aussi des grandes masses du prolétariat national, ainsi que nous l’avons vu jadis en Angleterre et, à présent, aux Etats-Unis. Comme nous vivons dans les cadres concrets et non abstraits de l’économie capitaliste mondiale, le processus de révolutionnarisation du prolétariat est très douloureux, terriblement long et, à certains moments,

108 horriblement tragique. Les antagonismes, l’aggravation de la lutte entre les diverses puissances impérialistes et, en conséquence de la lutte des classes, — tout cela finira par déraciner en fin de compte l’idéologie social-impérialiste et dispersera au vent son expression d’organisation politique, les partis social-démocrates.

Il va sans dire qu’il ne doit pas y avoir de fatalisme dans notre point de vue. Ce serait là un signe d’étroitesse extrême. La période de la première guerre mondiale est dépassée. Mais nous devons faire ressortir ses conséquences, fixer l’attention des masses sur la guerre qui vient mettre en relief les contradictions de la société capitaliste et intervenir consciemment dans le processus de maturation du prolétariat, forcer ce processus et éliminer les influences social-démocrates. A mon avis, tout cela se rattache étroitement aux problèmes des racines sociales du réformisme.

VI. Le caractère du fascisme[modifier le wikicode]

Nous avons eu des discussions très longues et sérieuses à la commission du programme sur la question du caractère du fascisme. Deux tendances se sont manifestées parmi nous, si l’on peut ainsi s’exprimer dans le cas en question. Certains camarades pensent que le fascisme existe dans tous les pays capitalistes très développés. Toutes les tendances réactionnaires, les tendances de transition du système parlementaire à la dictature ouvertement violente de la bourgeoisie, toutes les tendances à l’application de la terreur dans la lutte contre le prolétariat, toutes les tendances a la constitution d’une armée volontaire de classe de la bourgeoisie, etc., etc., tout cela est considéré par eux comme du fascisme. D’autres camarades, et c’est un autre extrême, supposent que le fascisme est quelque chose de spécifique, qu’on ne saurait parler de fascisme dans les pays de capitalisme très développé.

On a proposé diverses formules. Ainsi, par exemple, certains camarades ont considéré que le meilleur critérium dans ce cas, c’est l’existence de possessions coloniales pour les pays considérés, en affirmant que le fascisme n’est possible que dans des pays qui n’ont pas de colonies, et qui ne sont donc pas en mesure de corrompre les couches correspondantes du prolétariat. Dans ces cas, à la place de la coalition avec la social-démocratie, apparaît le fascisme. D’autres camarades ont donné à peu près la formule suivante : le fascisme est, un phénomène spécifique propre aux pays arriérés, et il n’y a pas la moindre raison de parler de fascisme dans les pays capitalistes très développés.

Au cours de l’analyse ultérieure et des discussions, nous avons établi ce qui suit : Ce que l’on appelle la réaction est rattachée au fait que le système parlementaire a déjà terminé son rôle historique, c’est la tendance de gouverner autrement, tendance conditionnée par, le développement du capitalisme contemporain, du capitalisme monopoliste ; cette tendance est déterminée par l’aggravation de la lutte des classes, par la perspective de guerres, et, en comparaison avec les autres époques du développement capitaliste, par l’instabilité générale du régime capitaliste.

D’où la tendance à la création d’un pouvoir central fort, à la concentration de toutes les forces de la bourgeoisie en un seul poing, à l’élimination du système inutile des partis petit-bourgeois. J’ai parlé de tout cela à la commission du programme. Tout cela, ce sont des tendances à la modification des méthodes d’administration politique. A cela s’ajoutent des facteurs tels que la constitution d’armées de classe, la formation de classe de la bourgeoisie d’un caractère policier, etc. Personnellement, je pense que la forme fasciste de la réaction, c’est-à-dire l’offensive de la bourgeoisie contre la classe ouvrière est une forme vraiment spécifique. Sa particularité spécifique se trouve dans le mécanisme fasciste et c’est là une chose extrêmement importante. La particularité dans le mécanisme du fascisme consiste en ce que le fascisme, en tant que forme spécifique de la réaction, cherche à s’appuyer sur les grandes masses, sur la petite bourgeoisie dans les villes et la petite paysannerie et aussi sur certaines couches du prolétariat.

En Italie et en Pologne, le fascisme dans sa phase initiale, fut un mouvement de masse. En Italie, ce furent les masses petite-bourgeoises, en Pologne, les masses petite-bourgeoises, en plus de masses prolétariennes assez vastes. Elles suivirent Pilsudski et l’aidèrent à faire son coup d’Etat. Le mécanisme interne du coup d’Etat était tout à fait original. Les masses exaspérées jouèrent leur rôle dans le coup d’Etat fasciste. Naturellement, chose semblable n’est possible que dans des conditions historiques absolument spécifiques, lorsque toute la situation dans le pays est instable, lorsque des fermentations profondes se produisent dans la société, lorsque des masses assez importantes de la petite bourgeoisie, de la paysannerie et, en partie, du prolétariat, sont poussées au désespoir. Certains camarades n’attribuent ces symptômes spécifiques qu’aux pays arriérés, mais ce n’est pas exact. Ce n’est pas le degré rétrograde de tel ou tel pays qui joue un rôle décisif, ni la possession ou la non-possession de colonies ; les conditions du fascisme, ce sont les conditions d’ébranlement du capitalisme respectif. C’est cela le symptôme décisif, la condition déterminante.

C’est pourquoi, lorsque les fondements mêmes du capitalisme de l’Amérique du Nord seront ébranlés, il y aura là aussi du fascisme. C’est cela encore qui conditionne les germes de fascisme en Angleterre, laquelle ne peut cependant pas être rangée dans la catégorie des pays arriérés. J’insiste là dessus : ces petits germes de fascisme en Angleterre sont produits par le fait que les fondements du capitalisme anglais sont ébranlés. En parlant des tendances du développement nous pouvons affirmer que, dans la mesure où la crise générale s’accroît, ébranlant l’organisme capitaliste, nous constatons un accroissement du fascisme aussi dans les autres pays. Si l’on considère les choses d’un point de vue statique, nous pouvons dire que dès à présent, il y a diverses formes de fascisme : sa forme classique et des formes et tendances transitoires du développement vers le fascisme. Ces formes et tendances transitoires ne sauraient être qualifiées naturellement de fascisme dans le vrai sens de ce mot, ce sont des embryons de fascisme, ce n’est pas encore du véritable fascisme, mais dans certaines conditions historiques, ils se cristalliseront et prendront la forme du véritable fascisme. Le tableau général est loin d’être uniforme. Le développement est complexe et varié, la diversité d’aspect de la réaction est déterminée par la diversité des conditions sociales, dans tel ou tel pays capitaliste, mais la ligne générale du développement est parfaitement claire. C’est ainsi qu’on peut résumer les discussions sur la question du fascisme.

En ce qui concerne les rapports entre la social-démocratie et le fascisme, notre analyse nous a amenés à peu près aux conclusions suivantes : 1. Il n’y a pas le moindre doute que des tendances social-fascistes sont propres à la social-démocratie. 2. Ce sont là des tendances et non un processus achevé ; il serait déraisonnable de mettre la social-démocratie dans le même sac que le fascisme. On ne saurait faire cela tant dans l’analyse de la situation que dans le tracé de la tactique communiste. Dans notre tactique, la possibilité n’est pas exclue de nous adresser aux ouvriers social-démocrates et même à certains organes social-démocrates de base ; quant aux organisations fascistes, nous ne saurions nous y adresser.

VII. Quelques observations en rapport avec la question du but final[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la question de notre but final. Je serai bref. A mon avis, nous avons ici trois problèmes fondamentaux. L’un de ces problèmes porte un caractère assez académique, mais je crois de mon devoir de l’éclairer dans mon rapport à ce congrès. Quelqu’un nous a accusés d’attitude non marxiste parce que nous avons parlé de travail dans la société communiste. Ces camarades ont affirmé que la conception « du travail » est une conception historique, que dans la société communiste, le travail comme tel disparaîtra et ils ont cherché confirmation de cette thèse dans diverses œuvres de Marx, où il est parlé non pas du travail, mais du processus de l’auto-activité, etc. J’ai objecté à ces camarades : il est vrai, dans les premières œuvres de Marx, on trouve des passages semblables. Dans les productions de jeunesse de Marx, il y a encore d’autres conceptions non différenciées. Ainsi, par exemple, dans la Misère de la philosophie, on ne distingue pas encore entre le travail et la force de travail, alors que cette distinction a une importance décisive pour toute l’économie, politique marxiste. Dans le Capital, Marx parle dans bien des endroits du travail dans la société communiste : dans le célèbre chapitre sur le travail, dans le tome I du Capital, Marx parle du travail comme d’un processus « d’assimilation et de désassimilation » entre la nature et la société, comme d’une base générale pour n’importe quelle forme de la société. Le travail salarié est une conception historique, tout comme la valeur, le bénéfice, le salaire, etc., mais le « travail » est une tout autre catégorie. Et d’un.

Deuxièmement, certains camarades proposent de supprimer dans ce chapitre les passages où il est question de l’anéantissement de la propriété privée sur les produits de consommation. Ils proposent de dire que, dans la société communiste, le droit de propriété privée sur les produits de consommation subsiste. J’estime que cette proposition n’est pas correcte. Il faut distinguer entre le fait comme tel et l’enveloppe juridique de ce fait. Marx dit que les produits seront répartis selon les besoins. Cela ne veut pas dire que si je prends une pomme, le camarade Manouilski pourra prétendre avoir la même pomme. Mais il lui est loisible de prendre une autre pomme, une pomme de même sorte, mais pas la même et de la manger.

D’une façon générale, en parlant du dépérissement de tous les vestiges d’organes d’Etat, nous avons en vue la disparition, la mort des conceptions juridiques publiques d’Etat. La conception juridique est une forme absolument spécifique et elle disparaît avec la disparition des derniers vestiges des formes d’Etat.

Il en est de même pour la conception de la contrainte. On a parlé ici des fous, etc. Quoiqu’il ne convienne pas de parler de fous au congrès de l’Internationale communiste, permettez-moi cependant d’en dire quelques mots en rapport avec la question de la contrainte. Le problème de la contrainte à l’égard des fous n’est pas un problème juridique : la cause, la source de cette contrainte, se trouve dans les prescriptions médicales auxquelles se soumettent d’autres personnes aussi comme les parents du fou. Mais cette « soumission » n’est pas du tout une soumission juridique.

Il n’y a aucun rapport juridique entre le médecin qui me prescrit un médicament et moi-même. Lorsque le médecin soigne, mettons, un enfant, lorsqu’il opère avec toutes sortes de médicaments, il est obligé de recourir parfois aussi à la contrainte. Mais ce n’est pas là une contrainte de caractère juridique. Ces formes de contrainte médicale sont absolument distinctes de la contrainte juridique et il ne faut pas confondre ces notions diverses. C’est pourquoi je suis d’avis que la formule correspondante de notre projet doit être maintenue.

VIII. La question de la nationalisation de la terre[modifier le wikicode]

L’opinion de Karl Marx sur les rapports de la dictature prolétarienne avec la paysannerie[modifier le wikicode]

Je passe maintenant à la question actuelle et pratique de la nationalisation de la terre. Ainsi que vous l’avez vu, cette question a provoqué des discussions ardentes même au congrès. Bien des arguments ont été apportés contre les formules respectives de notre programme. Dans cette argumentation c’est le camarade Renaud Jean de France, qui a donné le ton et beaucoup de membres de la commission du programme se sont trouvés d’accord avec lui. Cette question est, en effet, une des plus essentielles, des plus graves parmi tous les problèmes politiques. Le principal argument du camarade Renaud Jean était dirigé contre le passage du projet où il y a, d’une part, des indications sur l’impossibilité de la nationalisation immédiate de la terre et où il est parlé, d’autre part, de l’interdiction immédiate des opérations de vente et d’achat de la terre. J’ai objecté an camarade Renaud Jean à la commission du programme, et je répète ici ces objections.

La contradiction que les camarades trouvent entre les deux aspects ci-dessus indiquée est une contradiction formelle. Ce qui nous importe, ce ne sont pas les discussions sur la nationalisation ; l’importance essentielle, décisive, est dans le fait de l’interdiction des opérations de vente et d’achat de la terre, ce qui équivaut à la réalisation, dans la proportion de 90 à 95 %, de la nationalisation. Voilà ce qui présente pour nous une importance décisive. Mais alors, nous demandera-t-on, à quoi bon recourir à une forme de compromis de cette mesure ? Pourquoi parler d’interdiction des opérations de vente et d’achat et ne pas dire directement qu’il s’agit de la nationalisation immédiate de la terre ?

Et bien c’est par prudence quoique nous ne soyons pas des froussards. Nous craignons que le mot d’ordre de nationalisation immédiate de laterre, par conséquent aussi de la terre paysanne, n’écarte de nous des couches assez importantes de paysans. Faut-il y voir de l’opportunisme ? Je ne le crois pas. Pour confirmer ma pensée, je veux citer ici un marxiste aussi orthodoxe que Marx lui-même. Dans un travail de Marx publié pour la première fois dans une de nos revues scientifiques, se trouvent exprimées toute une série de pensées de la question paysanne avec lesquelles le point de vue de Lénine coïncide parfaitement. C’est d’autant plus frappant que, lorsque Lénine élabora la question de nos rapports avec la paysannerie, il ignorait même l’existence de cet article de Marx. Nous accordons la plus grande attention à la brochure d’Enderlé sur la question paysanne, mais, la façon dont Marx pose la question, façon que je vous ai exposée, est certainement nouvelle pour vous. Presque chaque mot coïncide, avec ce que Lénine a dit dans la suite. Marx a donné un exposé très détaillé du livre de Bakounine Etatisme et anarchisme: Dans cet exposé, il fait une série n’observations et répond à un certain nombre de questions que Bakounine avait posées à Marx. Entre autres, Bakounine pose la question suivante : Dans quelle situation se trouvera, après la prise du pouvoir par le prolétariat, la « canaille paysanne » ? Marx répond à ce sujet :

« Là où le paysan est dans sa masse propriétaire privé de la terre, où il constitue même plus ou moins une majorité considérable, comme dans tous les Etats continentaux de l’Europe occidentale, où il n’a pas encore disparu, n’a pas encore été remplacé dans l’agriculture par les travailleurs ruraux comme en Angleterre par exemple, il se produira ce qui suit : ou bien il mettra obstacle à toute révolution ouvrière et provoquera son écroulement comme ce fut le cas jusqu’à présent en France, ou bien le prolétariat (car le paysan propriétaire n’appartient pas au prolétariat ; et même lorsqu’il en fait partie de par sa situation, il ne croit pas appartenir à cette catégorie) devra, en sa qualité de gouvernement, prendre des mesures améliorant immédiatement la situation du paysan et qui le feront passer du coté de la révolution ; des mesures contenant le germe de la transition de la propriété privée sur la terre à la propriété collective et facilitant cette transition de telle façon que le paysan y vienne lui-même par la voie économique ». (C’est nous qui soulignons N. B.)

Voilà qui est admirablement dit : « par la voie économique » Cela évoque tout de suite devant nous l’idée de la coopération, etc.

« ...Cependant, il ne faut pas mettre le paysan dans une impasse en proclamant par exemple, la suppression du droit de succession ou de propriété ; cette dernière suppression n’est possible que lorsque le capitaliste bailleur élimine le paysan et que le véritable possesseur devient aussi prolétaire, travaillant pour un salaire tout comme l’ouvrier de la ville... » (C’est nous qui soulignons, N. B.)

A un autre endroit. Marx écrit :

« C’est pourquoi elle (la révolution sociale radicale, N. B.) n’est possible que lorsque, dans le régime de la production capitaliste, le prolétariat industriel occupe tout au moins une place considérable dans les masses populaires ; pour qu’il ait tout au moins quelques chances de triompher, il doit être au moins en état de faire pour le paysan immédiatement au moins autant que la bourgeoisie française a fait au cours de sa révolution pour le paysan français. » (C’est nous qui soulignons, N. B.)

Voilà ces deux citations. Il s’agit précisément de ce que la révolution prolétarienne doit donner immédiatement quelque chose au paysan. Ce problème est éclairé par Marx de façon aussi détaillée que le fit à la suite Lénine. Souligner cette aide immédiate au paysan en indiquant que sans cela la dictature s’écroulera, — voilà une tâche décisive.

Le prolétariat pourra-t-il immédiatement après la prise du pouvoir aider la paysannerie ?[modifier le wikicode]

J’ai donné la citation ci-dessus pour montrer que cette déduction avait été faite par Marx lui-même et pour, en partant de ce point de vue, étudier ensuite le problème. Le camarade Dengel a lancé le mot d’ordre suivant : « Ce n’est pas des apparences dans la question de la nationalisation qu’il faut, mais une aide agronomique, etc. » Eh bien, camarade Dengel, c’est cela précisément qu’il est impossible de faire d’un coup et c’est précisément pour cela que, pendant la première phase du développement de la révolution, vous aurez à faire à une chute des forces productrices, à la guerre civile, à une situation où nous, pauvre U:R.S.S., nous serons obligés de vous aider économiquement les premiers temps et non pas inversement.

J’en suis bien sûr. Pendant une certaine période, vous aurez à lutter avec acharnement, vous ne serez pas en état de mettre en mouvement votre culture industrielle, vous ne serez pas en mesure d’accomplir des travaux amélioratifs. C’est là une chose presque inévitable dans la première phase du développement révolutionnaire. Il serait excellent qu’il n’y eût pas de sabotage, etc. Mais on n’a pas toujours ce que l’on veut Nous sommes obligés de souligner que nous donnons immédiatement quelque chose au paysan, nous lui donnons la terre et nous ne l’effrayons pas par la perspective que nous la lui enlèverons.

Nous disons aux paysans : La révolution t’a donné quelque chose pour que tu en uses. En outre, nous te garantissons que tu pourras conserver aussi bien ta terre que les suppléments que nous y avons ajoutés. Ils ne passeront plus en d’autres mains ; nous te le garantissons par la loi sur l’interdiction d’acheter la terre au moyen de la spéculation ; ainsi, tu es vraiment sûr d’avoir reçu quelque chose de la révolution. Certains camarades ont parlé de « l’aliénation» de toute la terre, c’est-à-dire qu’ils ont proposé une formule mettant dans le même tas la terre du grand propriétaire foncier et du paysan ; mais, d’autre part, ils proposent d’atténuer la question de la confiscation (ou pour parler plus simplement, de l’aliénation). Politiquement, cela n’est pas très intelligent. Si l’on parle de confiscation de toute la terre (comme le font les camarades chinois), alors c’est doublement ridicule : en réalité, la révolution donne la terre à la paysannerie, tandis que .le mot d’ordre parle de la lui enlever. Formuler ainsi des revendications, c’est mettre tout sens dessus-dessous.

De la sorte, du point de vue du projet de programme, nous suivons une ligne déterminée : nous donnons au paysan plus de terre, nous lui garantissons ses conquêtes, nous distinguons entre la grosse propriété foncière qui est expropriée et la petite propriété à laquelle nous ne touchons pas. Le fait que nous avons eu à procéder de la sorte en U.R.S.S. ne fut, certes pas, un hasard ! On nous dira que nous étions liés par le bloc avec les socialistes-révolutionnaires de gauche. Mais si nous comparons cette situation avec la situation des pays d’Europe occidentale, nous voyons qu’il y aura plus de difficultés et non moins dans ces derniers pays, qu’il n’y en eut chez nous. Dans le problème de la nationalisation nous nous heurterons dans les pays d’Europe occidentale à de plus grosses difficultés que chez nous.

Au commencement, certains camarades déclarèrent avec feu, que la question n’avait jamais été posée ainsi que nous la posons à présent. Mais cela n’est pas exact. Nous avons posé cette question aux IVe et Ve Congrès et c’est de la même façon que la posèrent aussi Marx et Lénine.

(Cris : Au IIe Congrès mondial !)

Oui, aussi au IIe Congrès mondial, la question fut posée par Lénine. Il n’y a donc rien de nouveau. On comprendrait encore le point de vue de nos adversaires dans cette question — et aussi à grande peine — dans le cas où l’hypothèse du camarade Dengel existerait dans la réalité, c’est-àdire, au cas où dans la première phase de la révolution, nous serions en état d’aider immédiatement la paysannerie par la voie économique. Mais, nous ne devons pas nous faire de telles illusions.

IX. L’essence de la révolution bourgeoise et les trois types de pays[modifier le wikicode]

Dans la suite, nous avons étudié à la commission du programme, la question de la révolution bourgeoise-démocratique et trois types de pays. Sur cette question aussi, nous avons eu des discussions très vives. Ici, j’exposerai très brièvement mes arguments, je serai d’ailleurs, d’une façon générale, aussi concis que possible.

Voyons d’abord la question de la révolution bourgeoise-démocratique. Il est absolument inadmissible de confondre deux choses, deux critériums ; d’une part, le critérium des forces motrices de classe de la révolution et, de l’autre, le critérium du contenu objectif de la révolution. Dans la Commission du programme, je me suis référé à l’exemple de la grande révolution française qui représente le type classique de révolution bourgeoise, mais qui, à l’époque, était dirigée et réalisée contre la bourgeoisie libérale, c’est-à-dire contre la représentante la plus nette de l’ordre bourgeois. La dictature de la Montagne fut, au premier chef, la dictature de la petite bourgeoisie, le moyen plébéien de détruire la domination et les survivances féodales.

Cette préparation de la voie du développement capitaliste ultérieur a été appliquée radicalement par la petite bourgeoisie contre la bourgeoisie libérale. Je répète qu’il faut se garder.de confondre la question des forces .motrices de la révolution avec la question de son contenu objectif. En Chine, par exemple, à cette phase du développement, le bloc des ouvriers et des paysans signifie la lutte contre la bourgeoisie et non seulement contre la domination féodale. Mais en même temps, nous n’avons pas encore en Chine une révolution prolétarienne, mais seulement une révolution bourgeoise-démocratique et nous allons vers un système de pouvoir qui incarnera la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. Mais une telle forme de pouvoir ne peut se réaliser que dans la lutte contre la bourgeoisie. (Comment peut-on penser que la dictature de la paysannerie sous l’hégémonie du prolétariat est possible sans lutte contre la bourgeoisie ? Cette révolution suppose le renversement politique de la bourgeoisie, la destruction de la bourgeoisie et de son pouvoir d’Etat).

En même temps, la dictature du prolétariat et de la paysannerie ce n’est pas encore la dictature du prolétariat en tant que seul porteur du pouvoir. C’est une autre question que de savoir combien de temps peut exister la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Il me semble que dès le début, le processus de transition se trouve déterminé ; mais cela ne veut pas dire que nous ne distinguions pas entre la dictature ouvrière et paysanne et la dictature prolétarienne, entre le contenu objectif de la révolution menant à la victoire de la dictature du prolétariat et de la paysannerie et la révolution menant directement à la dictature du prolétariat. Du point de vue historique universel et du point de vue du pays considéré — la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie est un degré préalable de la dictature prolétarienne, mais seulement un degré préalable. C’est une étape dans le développement du processus révolutionnaire. Il n’est pas du tout dans la tradition léniniste, c’est bien plutôt de la plus pure interprétation trotskiste que de mettre tout cela dans le même tas,

En conséquence de ce qui précède, nous avons aussi la possibilité de distinguer les trois types de pays que nous avons indiqués. Peut-être qu’il faudrait souligner plus énergiquement cette distinction dans notre programme ; je n’ai rien contre cela. Une telle délimitation — comme toute délimitation plus ou moins abstraite — porte, à un degré plus ou moins important, un caractère schématique ; mais ce n’est pas un argument, loin de là, contre la délimitation comme telle, contre l’établissement d’une distinction entre pays de dictature prolétarienne et pays de dictature du prolétariat et de la paysannerie, entre révolutions directement prolétariennes et révolutions bourgeoises démocratiques du prolétariat et de la paysannerie. Au cours de notre discussion, nous sommes arrivés sur cette question à peu près aux conclusions suivantes :

En caractérisant les pays à développement capitaliste moyen, il vaudrait mieux citer en exemple les pays balkaniques : Yougoslavie, Roumanie, peut-être la Bulgarie et quelques pays sudaméricains ; d’autre part, il faudrait donner ici une formule plus élastique, car il existe aussi des pays — de telles éventualités ne sont pas exclues en général — où la révolution prolétarienne dans son « essence » socialiste, aura à accomplir d’énormes tâches de caractère démocratique bourgeois. La proportion entre ces éléments peut certes être tout à fait variée. Peut-être les camarades polonais ontils raison en disant que la Pologne entre dans la catégorie des pays où la révolution prolétarienne porte un caractère spécifique où ce n’est qu’en « passant » qu’elle résoudra toute une série de tâches bourgeoises démocratiques et où le taux — s’il est permis de servir ici de notions arithmétiques — des éléments démocratiques bourgeois dans le processus général de la révolution prolétarienne est très grand. Peut-être faut-il exprimer-cette nuance dans notre formule pour lui donner un caractère plus élastique.

En rapport avec ce qui précède, je voudrais faire ici encore une observation relative au discours, fait ici hier par le camarade Alfonso.

Le camarade Alfonso polémise contre deux passages du programme. Mais ces passages du projet de programme, ce sont des citations de Lénine. Celui qui est contre ces passages, doit reconnaître qu’il n’est pas d’accord avec Lénine. Dire que ces passages, qui ont été écrits par Lénine, personnifient le menchevisme, ce serait vraiment un peu excessif. J’en viens maintenant au fond de la question. J’en ai parlé dernièrement et il faut en reparler ici lors de la discussion sur la question coloniale. Dans certaines conditions, il se pourrait que nous marchions avec la bourgeoisie révolutionnaire nationale, si elle est vraiment révolutionnaire et si elle nous permet d’organiser les masses. Il y eut une telle période, elle n’est plus. Aux Indes, la question se pose autrement.

X. Le problème du « communisme de guerre »[modifier le wikicode]

Le problème suivant est celui du « communisme de guerre ». A la commission du programme, le camarade Varga a énergiquement polémisé avec moi. J’y ai expliqué pourquoi le camarade Varga est un partisan si ardent « du communisme de guerre ». J’ai dit que le camarade Varga n’a pas encore compris toute la profondeur des erreurs commises par son parti pendant la dictature hongroise. Quelles erreurs furent commises à l’égard du paysan ? Premièrement, on avait commis l’« erreur » consistant en ce que le paysan ne reçut pas du tout de terre. Deuxièmement, une expropriation assez considérable (réquisition, etc.) fut effectuée en même temps. Troisièmement, les anciens propriétaires des latifundia furent maintenus dans les exploitations soviétiques à titre de spécialistes.

Telles furent les erreurs, pour employer une expression modérée, commises à l’égard de la paysannerie. En ce qui concerne la petite bourgeoisie des villes, un décret fut édicté pendant la première période de la dictature prolétarienne prescrivant la peine de mort contre tous les commerçants rouvrant leurs magasins. J’ai dit que, dans ces conditions, il faut considérer comme un miracle le fait que la dictature prolétarienne eût pu exister même un court laps de temps. J’ai montré qu’on n’a pas fait de distinction entre notre attitude de principe à l’égard des paysans et de la petite bourgeoisie d’une part, et à l’égard des grands propriétaires fonciers et de la grande bourgeoisie, d’autre part.

Dans la commission du programme et en partie aussi au plénum du congrès, le camarade Varga a dit en plaisantant qu’il était contre la nationalisation des coiffeurs, mais ils lui ont lavé la tête (rires). Je ne développerai pas ce thème ; mais ai-je raison d’affirmer que le camarade Varga n’a pas compris les erreurs de la dictature hongroise ? J’affirme que j’avais raison. J’ai là l’original d’un article du camarade Varga pour « la grande encyclopédie » sur la Hongrie, original dans sa première rédaction. Comment le camarade Varga appréciait-il, dans cette phase — avant sa discussion avec moi — les principales leçons de la révolution hongroise ? Il caractérise dans son article les divers moments de la dictature du prolétariat et il écrit :

« Ces deux circonstances (l’isolement de la révolution et la faiblesse du parti communiste, N. B.) ensemble avec le fait historique fatal en vertu duquel précisément pendant cet été de 1919, le pouvoir soviétique en Russie était de plus en plus serré de près par les gardes blancs qui le repoussaient vers le nord ce qui rendit impossible l’union des armées rouges hongroise et russe — toutes ces circonstances devaient nécessairement amener l’écroulement de la dictature hongroise, même si ses dirigeants n’avaient commis aucune faute. »

Je ne suis pas du tout d’accord avec ce que le camarade Varga dit là. J’affirme qu’il y a là une sous-estimation des erreurs commises. L’écroulement complet de la dictature eut été, dit le camarade Varga, inévitable, même si on avait fait une politique excellente, irréprochable. J’ai dit à la commission du programme et je le répète ici, que la dictature prolétarienne hongroise a été renversée par des armées étrangères, par des insurrections paysannes et, en partie, par la petite bourgeoisie des villes. Les dirigeants de la dictature hongroise n’étaient pas en mesure et ils ne pouvaient l’être avec la politique qu’ils ont menée à l’égard de la paysannerie, de décomposer les armées ennemies composées de paysans roumains, tchèques et hongrois. Pendant la guerre, la dictature hongroise eut la majorité de la population contre elle. Elle ne sut pas mener une propagande de décomposition dans les armées ennemies. Comment la dictature pouvait-elle se maintenir dans de telles circonstances ?

C’était absolument impossible. Du moment que vous terrorisiez la petite bourgeoisie dans les villes, il était bien naturel que les masses énormes de la petite bourgeoisie fussent contre vous. Comment pouviez-vous vous maintenir avec une moitié social-démocrate dans votre parti, au sein du gouvernement, dans une telle situation, alors que la petite bourgeoisie et la paysannerie étaient entièrement contre la dictature et que celle-ci était combattue par des armées ennemies ? Comment pouvait-on se maintenir dans une telle situation ? Je l’ai déjà demandé et je le demande de nouveau ? Si la paysannerie avait été avec vous ; n’y eût-il pas eu une seule possibilité de décomposer les armées de l’ennemi ? Qui peut prouver que les paysans roumains venant en Hongrie en contact avec leurs compatriotes paysans, si ceux-ci avaient reçu directement quelque chose de la dictature du prolétariat, et avaient été favorables à cette dictature, ne se fussent pas dissous, ne s’en seraient pas allés ? Qui peut le prouver ?

Nous, avons décomposé les armées anglaises à Arkhangel, et les Anglais se sont enfuis ; les armées d’intervention à Odessa se sont également décomposées de la sorte. Demandez donc au camarade Piatnitski quelle était la situation lorsque les cosaques marchaient sur. Moscou ? Nous les avons décomposés. Nos victoires furent dans une mesure colossale le résultat de la décomposition des armées ennemies. C’est un des moyens les plus sûrs dans notre lutte, et il le sera toujours dans les guerres à venir. Or, ce moyen fut négligé dès le début en Hongrie et une situation tout à fait opposée fut même créée. Si les leçons de la dictature hongroise sont représentées comme dans cet article, j’ai le droit politique absolu d’affirmer que nous, avons là une sous-estimation des erreurs en premier lieu dans la question paysanne, et aussi dans la question de la petite bourgeoisie en général. J’affirme que le discours enflammé du camarade Varga pour la défense du communisme de guerre avait bien des choses communes avec cette sous-estimation des erreurs.

Car si l’on ne comprend pas toute la profondeur de ces erreurs, si l’on ne voit pas la différence entre les grands propriétaires fonciers et les paysans, entre grande et petite bourgeoisies, l’application du « communisme de guerre » mènera nécessairement à la ruine de la dictature. Si je parle avec quelque retenue du « communisme de guerre », c’est précisément pour ces raisons. Notre discussion relative aux conclusions a été réduite au minimum. Le camarade Varga propose de parler de la vraisemblance et non de l’inévitabilité « du communisme de guerre ». Je suis d’accord làdessus. Le communisme de guerre est probable dans une série de pays, dans certaines conditions déterminées. Là-dessus nous sommes d’accord avec Varga. J’objecte seulement contre son argumentation. Naturellement, en partant de la vraisemblance du communisme de guerre, dans certaines conditions, nous devons dire :

Premièrement, dans d’autres pays, nous n’aurons pas une simple reproduction du « communisme de guerre » de l’U.R.S.S., de même que la Nep ne prendra pas, dans l’autres pays, les mêmes formes qu’en Russie ; nous aurons affaire à diverses variantes. Le camarade Lénine n’a pas dit seulement qu’à un certain stade, le communisme de guerre doit être justifié, qu’il était inévitable ; il a dit aussi qu’à l’époque du « communisme de guerre », nous avons fait des bêtises et qu’il serait bien mauvais de recommander ces bêtises à d’autres.

Deuxièmement, nous ne devrons pas nous lier les mains par l’affirmation que le communisme de guerre sera nécessaire dès le début ou après une période déterminée du développement de la dictature. S’il est nécessaire, nous le réaliserons dans le pays où il s’imposera. Les conditions sont telles ou telles. Si ces conditions sont données, nous devons en tirer les conclusions qui s’imposent.

Là-dessus, la discussion est épuisée.

XI. La signification universelle de la Nep[modifier le wikicode]

Sur la question de la nouvelle politique économique, nous avons également eu des discussions animées. Quelques camarades — s’appuyant sur des citations réelles et exactement transcrites des œuvres du camarade Lénine — pensaient que, dans une série de pays, dans des circonstances déterminées, nous n’appliquerons pas la méthode de la Nep, que la transition directe à l’échange socialiste des produits sans le rapport complexe du marché y sera possible. Il est exact que ces citations ont bien le sens que ces camarades leur donnent. Mais je dois dire maintenant que, déjà au IIIe Congrès, Lénine a déclaré que l’expérience de la nouvelle politique économique en Russie doit être soigneusement analysée et utilisée sur une échelle internationale. Il a dit aussi que l’Angleterre fera peut-être exception sous ce rapport. Au IVe Congrès, le camarade Zinoviev étudiant avec détail dans son discours la question de la nouvelle politique économique et sons une forme encore plus nette que Lénine au IIIe Congrès, a dît que la Nep sera nécessaire dans d’autres pays aussi ; c’est an nom de la délégation russe et, après avoir étudié la question avec le camarade Lénine, qu’il s’exprima ainsi. L’importance internationale de la nouvelle politique économique en tant que méthode joignant l’industrie d’Etat socialiste aux petits .producteurs, était alors bien plus claire qu’au moment du IIIe Congrès. Il y a encore une circonstance que j’ai rappelée à la commission du programme : Le camarade Lénine, au IVe Congrès mondial, a approuvé au fond le premier projet de notre programme dans lequel la Nep est traitée de même que dans le nouveau projet. On peut objecter qu’il n’y a aucun document, aucune note prouvant cela directement. Mais il est absurde d’imaginer, que Lénine s’exprimant sur une question relativement secondaire du projet de programme, sur la question des exigences partielles « eût oublié » de le faire sur la question fondamentale de la nouvelle politique économique. En réalité, il a étudié cette question quoique celle-là soit en contradiction logique formelle avec ses précédentes paroles. Pourquoi ? Parce que la situation, était devenue bien plus claire.

A mon avis, il ne faut pas confondre les deux choses. D’une part, nous aurons affaire à diverses variantes du socialisme. Sous le régime capitaliste nous avions diverses variantes du capitalisme. J’en ai parlé au IVe Congrès et peut-être aussi au Ve. Nous avons diverses formes, diverses variantes du capitalisme dans l’économie française, de l’Amérique du Nord et dans l’économie allemande. Naturellement, cela déterminera aussi des variantes du socialisme. Dans les pays arriérés, nous aurons affaire à de nouvelles variantes. Après la révolution prolétarienne, le socialisme en Allemagne sera par sa forme à un niveau bien plus élevé que le socialisme existant depuis plus d’une dizaine d’années en U.R.S.S. Les conditions nécessaires pour la construction du socialisme y sont bien meilleures que dans notre pays arriéré.

Lénine a dit et écrit bien des fois qu’après la révolution prolétarienne dans l’Europe occidentale, nous redeviendrons un pays arriéré quoique nous soyons à présent le pays le plus avancé. Le plan coopératif élaboré par Lénine aurait pour un pays comme l’Allemagne une toute autre- importance. La coopération rurale ne jouera certainement pas, en Allemagne, un rôle aussi grand que chez nous. La structure sociale y est autre. Vu la différence de structure, des types « nationaux » divers de socialisme se développeront et ces variantes de socialisme existeront pendant une période de temps assez longue. Le processus d’intégration des diverses parties de la dictature du prolétariat mondiale, des unions de républiques soviétiques, qui se transformeront en une économie socialiste mondiale unique, sera assez long.

Ces diverses sortes, ces variantes du socialisme en construction ne sont pas quelque chose de secondaire. Cela ne veut pas dire que, dans d’autres pays, nous aurons une méthode absolument différente de la notre pour la construction du socialisme. Les camarades qui ont polémisé avec moi n’ont pas nié qu’une certaine conservation des rapports de marché sera nécessaire dans tous les antres pays. Mais les rapports de marché, c’est justement la question la plus essentielle dans la politique de la Nep. Si les rapports de marché existent, sont maintenus, c’est donc que vous avez « une nouvelle politique économique ». C’est une autre question que de savoir combien de temps cette période se prolongera, combien de temps il faudra pour surmonter ces rapports de marché. Les étapes de cette voie et la durée de la période correspondante dans les divers pays seront différentes. Mais du point de vue de notre discussion sur la nécessité, sur l’universalité de la Nep, ce n’est pas là une distinction de principe. C’est ainsi à mon avis que se pose la question de la Nep.

A la commission du programme, nous sommes tous tombés l’accord avec l’observation qui avait été faite par un certain nombre de camarades, relative à la question paysanne et à la question nationale, comme problème spécial et distinct, qu’il ne faut pas confondre avec la position générale de la question coloniale. Nous n’en parlerons plus. Voilà quelles furent les questions essentielles que nous discutâmes à la commission du programme.

Naturellement, je ne vous ai pas apporté ici toute la discussion oui eut lieu à la commission du programme. Je n’ai touché qu’aux questions les plus importantes et les plus complexes théoriquement, et je ne me suis pas du tout arrêté sur un certain nombre de questions tactiques et stratégiques qui, du point de vue de notre pratique, ont une importance considérable, mais ne sont pas particulièrement compliquées sous le rapport théorique. Je pense que tout cela pourra encore être retravaillé à la commission spéciale. Le plénum de notre commission du programme a décidé de ne constituer aucune sous-commission, mais de créer seulement une petite commission pour l’élaboration pratique des amendements au programme. A la fin de ses travaux, la petite commission de rédaction fera un rapport au Plenum du Congrès, rapport élaboré par la commission et donnant le texte définitif. Je propose maintenant que le Congrès adopte notre projet de programme comme base.

XII. Conclusion[modifier le wikicode]

Nous n’avons pas encore terminé nos travaux de programme, nous avons seulement achevé la discussion générale. Une tâche bien difficile est encore devant nous, à savoir d’insérer dans le projet toute une série d’amendements concrets. Ce sera un travail considérable et difficile. Mais la discussion générale a montré que le projet de programme ne rencontre aucune objection fondamentale sérieuse ; c’est pourquoi je vous demande d’accepter notre projet de programme comme base.

Dans la période actuelle où la social-démocratie affirme que notre programme n’est « qu’un programme de guerre et de division du prolétariat », où elle cherche à tromper sans cesse les masses ouvrières en se donnant comme une force luttant soi-disant contre la guerre, nous devons apporter notre programme aux masses prolétariennes qui verront une fois de plus que notre programme est un programme d’union de toutes les forces prolétariennes, d’union du prolétariat industriel de la métropole avec les peuples opprimés des colonies et des semi-colonies. Le prolétariat mondial verra que notre programme est le meilleur guide dans la lutte pleine d’abnégation des communistes contre la guerre impérialiste, que notre programme est vraiment un programme de révolution mondiale, le programme de la dictature mondiale du prolétariat. (Applaudissements prolongés se transformant en ovation.)

LOZOVSKI : Le Présidium propose la résolution suivante au nom de la Commission du Programme :

« Le congrès approuve le projet de programme et charge la Commission du Programme de contrôler toutes les propositions d’amendements et d’amélioration apportées et, dans la rédaction définitive, de prendre en considération celles qui ne s’écartent pas de la position de principe du projet de programme. La rédaction définitive doit être présentée à l’une des prochaines séances du Congrès. »

Au vote, cette résolution est adoptée à l’unanimité sans abstention.