Comment il ne faut pas écrire l’histoire de la Révolution d’Octobre

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(Au sujet du livre du camarade Trotski « 1917 »)

Le Ve Congrès de l’I. C. et le XIIIe congrès du P. C. Russe avait unanimement condamné la politique de l’opposition russe, à la tête de laquelle se trouvait le camarade Trotski, comme opportuniste et petite-bourgeoise. Le camarade Trotski continue cependant son action, sous une forme nouvelle. Il tente, sous le drapeau de Lénine, une révision du léninisme. Son livre sur Lénine en fut la première tentative. Bien des camarades se sont laissés séduire par la valeur littéraire de ce livre, mais les organes scientifiques du P. C. Russe et du P. C. Allemand ont de suite discerné et soumis à une sévère critique la tendance de cet ouvrage.

Une deuxième attaque vient de suivre. Au IIIe volume de ses œuvres (« 1917 ») qui vient de paraître, le camarade Trotski a écrit une introduction de 60 pages environ. De même qu’autrefois, les épigones de Marx voulaient réviser le marxisme sous son propre drapeau, Trotski tente, au nom du Léninisme, une révision du bolchévisme. L’article ci-dessous donne la réponse de l’organe central du P. C. Russe, la Pravda, à cette tentative. La Rédaction.

Le livre récemment paru du camarade Trotski (« 1917 »), consacré aux « enseignements de la révolution d’octobre » devient rapidement un livre à la mode. Il n’y a là rien d’étonnant, car il vise à la sensation dans les milieux du parti.

Après que le bilan de l’année écoulée ait démontré les fautes de l’opposition du parti, après que les faits aient démontré une fois de plus la justesse de la direction de nôtre parti, le camarade Trotski soulève encore une fois la discussion, mais par d’autres moyens. La préface du livre (or, cette préface, de même que les annotations, en sont « le clou ») est écrite en une langue d’Esope — à demie — de sorte que, pour un lecteur inexpérimenté, les allusions et demi-allusions dont cette préface fourmille passeront inaperçues. Ce cryptogramme particulier (qui fleurit chez le camarade Trotski, bien que ce dernier exige de la « clarté critique ») doit être déchiffré. Car l’ouvrage du camarade Trotski, qui prétend devenir un manuel pour « ’étude de La révolution l’octobre » menace de devenir le manuel de toute discussion actuelle et future. Il prend au fond la responsabilité de l’action contre la ligne adoptée par le parti et l’Internationale Communiste, et de plus il ne revêt pas du tout le caractère d’une analyse théorique, mais ressemble plutôt à une plateforme politique qui permettra de mener une sape contre les décisions formelles de nos congrès.

L’ouvrage du camarade Trotski est écrit non pas pour le lecteur russe seulement, il est facile de s’en rendre compte. Pour une grande part, il est écrit pour « l’information » des camarades étrangers. Actuellement, lorsque dans plusieurs partis communistes le problème de leur « bolchévisation » est l’ordre au jour, lorsque certainement l’intérêt pour l’histoire de notre parti augmente, le livre du camarade Trotski peut rendre de très mauvais services. Non seulement, il n’enseignera pas le bolchévisme, mais, dans une certaine mesure, il sera un facteur de débolchévisation des partis communistes étrangers, à tel point l’exposé des événements et les tentatives de les analyser et d’en tirer des conclusions d’actualité y sont unilatéraux voire même monstrueusement faux.

Voilà pourquoi il est indispensable de donner une analyse critique de ce nouvel ouvrage du camarade Trotski. On ne peut le laisser sans réponse. On peut seulement exprimer le regret que le camarade Trotski, qui tire des conclusions fausses des « enseignements de la révolution d’octobre » ne veut voir aucunes des leçons de l’époque plus récente des discussions de l’année passée. La meilleure épreuve des opinions, comme le reconnaît le camarade Trotski lui-même, c’est l’expérience, la vie même. Or, la vie a montré que la ligne politique principale et reconnue par le parti non seulement n’a pas conduit le pays « au bord de l’abîme », comme le prophétisait l’opposition de l’année passée, qui voyait venir toutes les plaies égyptiennes, mais que cette ligne mène le pays en avant, d’une allure relativement rapide, malgré des faits indépendants de toute « plateforme » tels que la mauvaise récolte, etc.

D’autre part, il s’est accumulé un nombre immense de problèmes nouveaux, liés à des circonstances nouvelles; de difficultés résultant du processus de croissance. C’est pourquoi tout le parti veut avant tout du travail pratique sous une direction éprouvée par l’expérience, sur une « plateforme » contrôlée par cette expérience. Voilà pourquoi il est tout à fait indésirable de réveiller, même sous une autre forme, de vieilles discussions.

Mais le camarade Trotski a cru opportun de le faire. Il en est évidemment entièrement responsable. Que nous le voulions ou non, nous devons répondre à ce livre, car le parti ne peut admettre qu’une propagande dirigée contre des décisions adoptées par le parti avec un tel enthousiasme et une telle unanimité restât sans réponse. Essayons de passer en revue le bagage idéologique que le camarade Trotski vient de mettre à la disposition du parti, les « enseignements » qu’il a puisés dans la révolution d’octobre et qu’il présente maintenant à nos camarades, jeunes et vieux.

I. La question de l’épreuve historique[modifier le wikicode]

Le pivot des réflexions du camarade Trotski est sa conception sur la valeur des diverses périodes dans l’histoire de notre parti, au fond, il les considère ainsi : Toute la période de développement du parti avant octobre est tout-à-fait secondaire, seul le moment de la prise du pouvoir décide de la question, seule cette période se distingue de toutes les autres, c’est seulement là que nous avons la possibilité de vérifier les classes, les partis, leurs cadres dirigeants, leurs hommes.

« Apprécier maintenant les divers points de vue sur la révolution en général et la révolution russe en particulier, en passant sous silence l’expérience de 1917, c’est faire de la scholastique stérile et non pas de l’analyse marxiste de la politique. C’est la même chose que si nous nous mettions à discuter sur les divers systèmes de natation en refusant obstinément de tourner les yeux vers la rivière où ces divers systèmes sont appliqués par les baigneurs. Il n’existe pas de meilleure vérification des points de vue sur la révolution que leur application au cours de la révolution même, — de même que le système de natation fait ses preuves de la meilleure façon lorsque le nageur se jette dans l’eau » (XVI.)

« Qu’est-ce que la bolchévisation des partis communistes? C’est une éducation, une sélection du personnel dirigeant ayant pour but que ces partis ne flanchent pas au moment de leur révolution d’octobre. Voilà où est Hegel, la sagesse des livres et le sens de toute la philosophie… » (65.)

Ces thèses ne contiennent que la moitié de la vérité. C’est pourquoi on peut en faire (et le camarade Trotski le fait) des déductions tout à fait fausses.

Le camarade Trotski dit aux partis communistes: Etudiez Octobre pour vaincre : on ne peut passer Octobre sous silence.

Evidemment, de même qu’on ne doit oublier 1905, ni les années particulièrement édifiantes de la réaction. Mais qui a proposé cette ineptie? Qui a eu l’audace de donner le jour à de telles sottises? Personne ne l’a fait. Mais justement pour comprendre les conditions de la victoire d’Octobre, il est indispensable de passer les limites de la préparation immédiate de l’insurrection. Il est impossible de séparer ces deux choses. Il est impossible d’apprécier les groupes, les personnes, les tendances sans les lier à la période de préparation que le camarade Trotski compare aux discussions sur les divers systèmes de natation. Il est évident que dans la période critique, lorsqu’il s’agit de la lutte finale, toutes les questions se posent avec violence et toutes les tendances, les nuances, groupements mettent à jour leurs propriétés inhérentes les plus typiques. Mais, d’autre part, leur rôle positif pendant la marche ascendante de 1a révolution est loin d’être toujours explicable par la justesse de leur « point de vue ».

« Il n’est pas difficile d’être révolutionnaire au moment où l’incendie de la révolution s’est déjà allumé et s’étend. »

Voilà ce que dit Lénine à ce sujet (Œuvres, XVII. page 183).

Ailleurs :

« Le révolutionnaire n’est pas celui qui le devient lorsque vient la révolution, mais celui qui défend les principes et les formules révolutionnaires lorsque déferle la réaction. » (Lénine, Œuvres, XII, 2, 151.)

Ce n’est pas tout-à-fait la même chose que chez le camarade Trotski.

Mettons les points sur les i. Qu’est-ce qui a déterminé l’attitude du parti des bolchéviks en Octobre ? Toute l’histoire antérieure du parti, sa lutte contre tous les aspects de l’opportunisme, depuis les menchéviks extrémistes jusqu’aux trotskistes inclusivement (par exemple « le bloc d’août »). Peut-on dire que la position juste (parce qu’identique à l’attitude bolchéviste) du camarade Trotski lors des journées d’Octobre découlait de son attitude dans la période de préparation ? Non, apparemment. Tout au contraire. S’il s’était produit en son temps un miracle historique et si les ouvriers bolchéviks avaient écouté les prophéties du camarade Trotski (unité avec les liquidateurs, lutte contre le « sectarisme » de Lénine, plateforme politique menchéviste, et pendant la guerre, lutte contre la gauche de Zimmerwald, etc) — Il n’y aurait pas eu de victoire d’Octobre. Cependant, le camarade Trotski s’efforce de toute façon d’éviter de parler de cette période-là, quoique son devoir eût été d’en faire part au parti.

Citons encore un exemple. Les socialistes révolutionnaires de gauche combattaient avec intrépidité avec nous sur les barricades en Octobre. Au moment décisif d’Octobre, ils ont contribué par leur obole à la victoire.

Mais est-ce que cela signifiait qu’ils ont été « éprouvés » une fois pour toutes par la révolution d’Octobre? Hélas non, comme l’a montré l’expérience d’après Octobre, qui a confirmé dans une grande mesure l’opinion que nous avions avant Octobre de ces révolutionnaires petit-bourgeois. Ainsi, la révolution d’Octobre, prise isolément ne suffit pas à la vérification. C’est plutôt un autre motif qui domine, celui que le camarade Lénine indiquait si catégoriquement.

Ainsi, la thèse du camarade Trotski disant que la « bolchévisation » des partis communistes consiste à les éduquer et à opérer la sélection du « personnel dirigeant » de façon à ce « qu’ils ne flanchent pas au moment de leur révolution d’Octobre », cette thèse devient juste lorsque l’on y ajoute l’assimilation de l’expérience de la période préparatoire. Car même l’expérience immédiate de la révolution russe d’Octobre ne peut être ni comprise, ni assimilée, si l’on ne comprend pas comme il faut les enseignements de cette période préparatoire.

Le camarade Trotski estime qu’au fond le parti des bolchéviks ne commence à exister « vraiment » que dans les journées d’Octobre, il ne voit pas la filiation de ligne du parti jusqu’au « moment actuel ».

Et c’est pour cette même raison qu’il ne voit pas qu’après la prise du pouvoir, après la fin de la guerre civile même, l’histoire n’est pas du tout terminée. De même l’histoire de notre parti, histoire qui est aussi une « vérification de la ligne » n’est pas terminée, car elle contient non seulement des discussions sur tel ou autre point de vue, mais aussi l’expérience de la politique pratique.

Il ne fallait pas « flancher » en Octobre. Mais il ne fallait pas flancher non plus lors de Brest (lorsqu’il s’agissait, comme l’a reconnu le camarade Trotski, de la tête, c’est-à-dire de la vie ou de la mort du pouvoir des Soviets). Il ne fallait pas flancher non plus lors de la discussion de 1921, car sans la ligne léninienne, nous aurions risqué presque tout. Il n’était pas bien de flancher l’année passée, car sans la réforme financière, sans la politique économique du parti, etc., nous nous serions trouvés dans une situation lamentable. Or, dans toutes ces questions « critiques » le camarade Trotski flancha, et flancha de la même façon que dans la période de son existence politique qui s’étend jusqu’à février lorsqu’il n’avait pas encore brisé avec les ennemis directs du bolchévisme.

« La tradition du parti révolutionnaire, — écrit le camarade Trotski (62), — est faite non pas de réticences, mais de clarté critique ». Fort bien. Mais il faut demander de la « clarté critique » non seulement quant aux événements qui se sont déroulés en Octobre, mais aussi quant à la période antérieure et ultérieure. C’est seulement ainsi que l’on peut faire une « vérification effective », car le parti du prolétariat agit constamment et la période critique n’est pas unique.

II. Les enseignements de la Révolution de 1917 et la lutte au sein du Parti[modifier le wikicode]

Faut-il taire la révolution d’Octobre et son prologue, la révolution de Février ? Non pas. Ce serait faire preuve soit de malhonnêteté soit de sottise. Mais c’est en vain que le camarade Trotski veut, par des allusions, des demi-allusions, de même que par des exclamations, créer l’impression que l’histoire de la révolution d’Octobre « n’a pas eu de chance », qu’il y eut là préméditation (une fausse « appréciation demi-consciente »). Des sentences comme par exemple celle-ci, sont d’une opportunité douteuse : « Il serait encore moins admissible de taire, pour, des motifs personnels de troisième ordre, les problèmes les plus importants de la Révolution d’Octobre, qui ont une importance internationale ». (XII.)

Mais premièrement, le camarade Trotski ne dit pas qu’on a écrit sur la Révolution d’Octobre au moins autant que sur toute autre période ; dans les Œuvres de Lénine, cette période a été commentée d’une façon brillante, et le Parti peut y puiser longtemps encore tous les véritables enseignements de la Révolution d’Octobre.

Deuxièmement, le camarade Trotski tait que les personnes en question ont reconnu plus d’une fois leur erreur et que celle-ci est connue de tout le Parti.

Dans son «Histoire du P.C.R.» et dans des discours antérieurs, le camarade Zinoviev en a parlé tout-à-fait ouvertement, devant l’Internationale Communiste et devant le Parti. Lénine en a parlé, qui cependant n’a jamais voulu lier cette faute au travail courant des camarades qui se sont trompés en Octobre[1].

Maintenant, au contraire, le camarade Trotski, utilisant ces erreurs, veut revoir toute la ligne du parti et « corriger » toute l’histoire du parti. Voilà le clou de ses raisonnements.

Toute l’analyse des événements d’avril à Octobre est faite de façon à persuader que les divergences qui ont «déchiré» le parti s’aggravaient sans cesse, et ont fini par faire éclater un conflit qui a presque été une catastrophe. Et c’est seulement grâce aux efforts de Lénine, qui eut le courage d’aller contre le Comité Central, soutenu par le camarade Trotski, dont les idées étaient une «anticipation» de celles de Lénine, que la Révolution fut sauvée.

Il est douteux qu’il y ait dans cette analyse quelque chose qui corresponde à la réalité.

Avant tout, le parti disparaît chez le camarade Trotski; il n’existe pas, on ne sent pas son état d’esprit, il a disparu. Il y a Trotski, au loin on aperçoit Lénine, il y a un Comité Central anonyme, dur à comprendre. L’organisation de Petrograd du Parti, le véritable organisateur collectif de l’insurrection ouvrière est complètement absente. Toute l’historiographie du camarade Trotski glisse exclusivement sur le faîte des faites de l’édifice du Parti. Quand au parti dans son entier, c’est en vain que nous regardons ce tableau mystérieux, intitulé « où est le Parti ? » brossé par le pinceau habile du camarade Trotski.

Est-ce que les marxistes peuvent écrire l’histoire de cette façon ? C’est une caricature du marxisme. Ecrire l’histoire de la révolution d’Octobre et ne pas voir le Parti — c’est se placer sur le point de vue individualiste, le point de vue des héros et de la foule. On ne peut éduquer de cette façon les membres du Parti.

Mais même quant à l’analyse du groupe dirigeant seulement, les annales du camarade Trotski ne méritent aucune approbation car elles déforment la réalité. Voyez comment le camarade Trotski représente la marche des événements:

« Les décisions de la conférence d’avril donnèrent au parti des objectifs justes en principe, mais ne liquidèrent pas les divergences au sommet du parti. Au contraire, ces divergences devaient, à mesure que les événements se déroulaient, prendre des formes plus concrètes et atteindre leur paroxysme au moment décisif de la Révolution, dans les journées d’Octobre.» (XXXI.)

Après les journées de Juillet:

« La mobilisation des éléments de droite du Parti s’intensifia : leur critique devint plus délibérée.» (XXXII.)

Enfin, à la veille de la révolution d’Octobre:

« Il n’y eut pas besoin d’un Congrès extraordinaire du parti. La pression de Lénine assura le regroupement indispensable des forces vers la gauche, aussi bien dans le Comité Central que dans la fraction du pré-parlement. » (XXXVI.)

Tout cela est extrêmement... « inexact » car, lors du VIème congrès du parti déjà, une consolidation idéologique complète eut lieu. Le Comité Central élu au VIème congrès était entièrement pour l’insurrection. Une influence formidable était exercée par Lénine sur le Comité Central, car Lénine lui-même en était le membre dirigeant, comme chacun le sait. Mais vouloir faire accroire que la majorité du Comité Central était presque contre l’insurrection, — cela signifie ne connaître ni le Parti, ni son Comité Central d’alors, c’est pécher contre la vérité. Est-ce que le 10 octobre, l’insurrection ne fut pas décidée par la majorité écrasante du Comité Central ? Où est donc la nécessité d’un rôle spécial du camarade Trotski ? L’énergie immense, la passion révolutionnaire vraiment furieuse, l’analyse géniale des événements et la force hypnotique des lettres du camarade Lénine consacraient ce qui était l’opinion de la majorité écrasante du Comité Central même. Mais le camarade Trotski veut absolument arracher Lénine au Comité Central les opposer l’un à l’autre, déchirer leur liaison indissoluble, leur liaison qui n’a jamais été en défaut. Mats on ne peut changer l’histoire.

S’il en avait été ainsi, si ce que dit le camarade Trotski avait été vrai, il serait complètement incompréhensible: 1) que le Parti ne se soit pas scindé lors du conflit ; 2) qu’il ait pu vaincre ; 3) que le conflit (démission de plusieurs membres en vue du Comité Central) put être liquidé littéralement en quelques jours, par la réintégration de ces camarades à leurs postes.

Or ce « miracle » (miracle du point de vue des prémisses du camarade Trotski) s’est accompli, on le sait, sans grande difficulté. On peut évidemment insinuer qu’après la victoire le nombre est grand de ceux qui veulent adhérer aux triomphateurs, car « on ne juge pas les vainqueurs ». Cependant, il ne faut pas oublier que la victoire à Petersbourg et à Moscou ne signifiait que le commencement de la lutte, le début de difficultés formidables et que chaque membre du Parti le comprenait. De sorte que de telles considérations ne nous aideront nullement à expliquer la question. Or, tout cela devient très compréhensible si l’on considère les événements non pas d’un angle aussi égocentrique que celui de Trotski. On verrait alors, approximativement, le tableau suivants d’avril à Octobre, les dernières hésitations disparaissent peu à peu au sein du parti. En Octobre, elles deviennent minimes; le Parti entier, en colonnes serrées, entre dans la lutte ; il reste en haut quelques camarades seulement qui ne sont pas d’accord avec la ligne générale. Mais précisément parce que le Parti (c’est très important, camarade Trotski) était uni, précisément parce que la majorité écrasante du Comité Central allait avec Lénine, ces camarades furent entraînés par le courant général du Parti et de la classe ouvrière et sont revenus immédiatement à leurs postes. Ils avaient été « éprouvés » d’une façon beaucoup plus sérieuse que par les seules journées d’Octobre...

III. La guerre, la révolution et l’attitude du camarade Trotski[modifier le wikicode]

Mais les « annales » du camarade Trotski, de même que les annotations qui les accompagnent, représentent d’une façon fausse non seulement les proportions à l’intérieur du Parti, mais aussi la préparation de la « bolchévisation » du camarade Trotski lui-même (ce qui nous intéresse, évidemment, c’est uniquement son attitude politique).

Il ressort des annotations au livre de Trotski que « les articles de L. D. Trotski, écrits en Amérique ont été presque entièrement une anticipation (!) de la tactique politique de la social-démocratie révolutionnaire. Les déductions fondamentales de ces articles coïncident presque jusqu’aux détails (!) avec les perspectives politiques qui sont développées par le camarade Lénine dans ses fameuses « Lettres de loin » (270).

Nous apprenons qu’« au cours de la guerre les divergences entre le Naché Slovo et Lénine allaient diminuant » (377).

Nous apprenons d’autre part toute une série de détails sur les erreurs de la Pravda, de plusieurs bolchéviks, etc.

Mais nous serons fort peu renseignés, d’avoir lu le livre, sur le fond des divergences qui « allaient diminuant », et nous serons directement induits en erreur si nous ajoutons foi à ce que Trotski anticipa, comme l’exprime le rédacteur terriblement complaisant du livre et l’auteur des annotations, le camarade Lensner, la ligne de Lénine (Lénine ne savait même pas, pour parler la langue du camarade Trotski. qu’il « commettait un plagiat »).

Cependant, la question de l’attitude pendant la guerre donne la clé à toute une série d’autres questions, nous introduisant dans le laboratoire où se formaient les mots d’ordre qui allaient jouer un rôle exceptionnel, un rôle historique mondial, peut-on dire.

Tâchons de rappeler certains faits de ce domaine.

1) « La paix » ou « la guerre civile » cette première divergence, était une grande divergence de principe, car c’est là justement que l’on vit qui avait « anticipé » sur les événements et sur la « tactique de la social-démocratie révolutionnaire ». Le mot d’ordre de guerre civile qui fut proposé par Lénine au Comité Central bolchéviste dès le début de la guerre fut le mot d’ordre spécifique du bolchévisme, le mot d’ordre qui traçait la frontière entre les véritables révolutionnaires et toutes nuances et non seulement les chauvins mais les internationalistes du type petit-bourgeois, pacifiste, « humanitaire », qui cherchaient un rapprochement avec les éléments centristes. Seule la façon nette de poser la question de la guerre civile permit de sélectionner un cadre de révolutionnaires qui devinrent plus tard le noyau des partis communistes.

Le camarade Trotski était un ennemi délibéré de ce mot d’ordre, l’estimant trop limité, non susceptible d’entraîner les masses, etc. Est-ce une anticipation de l’attitude de Lénine ?

2.) Le défaitisme et la lutte contre celui-ci. Le second trait distinctif de l’attitude des bolchéviks était leur affirmation que les social-démocrates révolutionnaires (nous dirions maintenant les communistes) doivent, dans la guerre impérialiste, vouloir avant tout la défaite de leur gouvernement. Le camarade Trotski disait que cette attitude était du nationalisme à rebours, ou du nationalisme sous le signe moins. Cependant, le sens profond de cette attitude de Lénine est maintenant parfaitement clair, ses racines remontent aux sources de la pensée bolchéviste. A ses sources fondamentales. Il suffit par exemple de lire la polémique récemment publiée de Lénine avec Plekhanov, au sujet du projet de programme du P. S. D. O.R. (Recueil Lénine, N°2) pour le comprendre. Dans sa polémique avec Plekhanov, Vladimir Ilitch reproche à son adversaire d’avoir fait un livre d’études et non pas une déclaration de guerre ; il y est question du capitalisme en général, or il nous faut mener la guerre contre le capitalisme russe. Pourquoi Lénine insistait-il là-dessus ? Justement parce qu’il était un combattant et non pas un déclamateur. Le mot d’ordre de défaite de notre propre gouvernement était une déclaration de guerre au pacifisme, même protégé par des édredons de phrases généreuses, à toute attitude défensiste même dissimulée sous les masques les plus trompeurs. C’était la rupture la plus violente, rupture effective de tout lien avec « son » gouvernement bourgeois. Et c’est précisément cette attitude qui détermine l’internationalisme du bolchévisme. Ce fut la seconde divergence de principe entre Trotski et les bolchéviks.

3) L’unité avec la fraction menchéviste de Tchéidze. Pendant la guerre encore. Trotski fut pour l’unité avec des éléments tels que la fraction Tchéidze, n’ayant pas le courage de provoquer la rupture, condition indispensable d’une politique juste. Ce n’est pas en vain que Lénine craignait que certains camarades ne mordissent à l’appât du trotskisme. Il est curieux également que Trotski encore en mai 1917 ne comprenait pas ses fautes passées. Ainsi, nous lisons à la page 380 du livre en question :

« Le 7 mai 1917, s‘ouvrit la conférence social-démocrate de Petrograd (bolchéviks et Internationalistes). La conférence salua le camarade Trotski, qui assistait à titre d’hôte. Répondant aux salutations, le camarade Trotski déclara que pour lui, qui avait toujours été partisan de l’unité des forces social-démocrates (c’est nous qui soulignons. Réd.), l’unité n’a jamais été un but en elle-même, mais doit avoir un contenu révolutionnaire» (page 380)[2].

Il en ressort clairement que le camarade Trotski non seulement ne maudissait pas sa lutte pour l’unité avec les liquidateurs, mais qu’il faisait de cette immense faute, de cette faute néfaste, presque une base pour la fusion avec les bolchéviks, consentant heureusement à remplir cette « formule » de « contenu révolutionnaire ».

Malheureusement, cette même sous-estimation de toute la profondeur des erreurs quant aux questions d’organisation (elle a réapparu entièrement chez le camarade Trotski dans les discussions de l’année passée) subsiste maintenant même. Le camarade Trotski se justifie des reproches « de quelque petit diacre raisonneur comme le camarade Sorine », quant à sa lutte contre le « sectarisme bolchévik », par une méthode plus qu’étrange.

« Ma réplique dans l’article était la suivante : Le sectarisme existe comme héritage du passé mais, pour, qu’il s’amoindrisse, les mejrayontsy doivent cesser leur existence séparée » (66).

Ainsi, invitant déjà à la fusion avec les bolchéviks, le camarade Trotski flétrissait le « sectarisme » bolchéviste, comme le mauvais héritage d’un mauvais passé. Mais « renonçons-nous à l’héritage » ? Pas du tout. Car ce soi-disant sectarisme était en réalité la méthode de création de notre parti, c’est-à-dire le principe d’organisation du bolchévisme. Mais si le camarade Trotski à la page 65 de sa préface écrit qu’il reconnaît ses « grandes erreurs d’organisation », à la page 66, il justifie son accusation de sectarisme envers le bolchévisme d’avant la révolution; cela signifie qu’il n’a pas encore joint les deux bouts et n’a pas encore tiré tous les enseignements de l’histoire de notre parti.

Il ne pourra pas le faire, même si le jour de la naissance du parti est pour lui le jour de la fusion avec la mejrayonka ou même se situe parmi les journées glorieuses d’octobre, quand le camarade Trotski naissait lui-même dans les douleurs en tant que bolchévik.

4) La lutte contre la gauche de Zimmerwald. Enfin, il faut rappeler l’attitude du camarade Trotski sur l’arène internationale. Luttant contre les chauvins, les social-patriotes, etc., le camarade Trotski raillait la gauche de Zimmerwald. Il l’estimait également sectaire et pleine de fantaisie bolchéviste peu appropriée aux « conditions des pays étrangers ». En Amérique encore où, comme nous l’assure le camarade Lensner, Trotski anticipa l’attitude du camarade Lénine, il s’opposa activement à la solidarité avec la gauche de Zimmerwald. La « scission » avec les « centristes de Zimmerwald » ne pouvait être approuvée par Trotski. Cependant les camarades rédacteurs de 1917 se sont fort peu souciés d’éclairer pour le prolétariat mondial ce point de l’histoire de notre parti qui, pour l’Internationale, est aussi important que la question de la guerre civile, du défaitisme, etc. car il s’agit ni plus ni moins que du choix entre les IIe et IIIe Internationales.

5) La conception de la révolution permanente. Le camarade Trotski, paraît-il, a non seulement anticipé l’attitude de Lénine, mais il a eu raison sur l’un des points les plus essentiels de notre théorie révolutionnaire, à savoir sur la question de la révolution permanente. Le camarade Trotski écrit à ce sujet:

« Encore à la veille de 1905, Lénine exprima l’originalité de la révolution russe par la formule de dictature démocratique du prolétariat et des paysans. Par elle-même cette formule, comme l’a montré toute l’évolution ultérieure ne pouvait avoir d’importance qu’en tant qu’étape vers la dictature socialiste du prolétariat, s’appuyant sur les paysans. (XVII.). »

Que signifie ce songe ? En 1905, il y eut lutte entre les bolchéviks, qui avaient lancé le mot d’ordre de « dictature du prolétariat et des paysans », le groupe Trotski-Parvus qui jetait celui de « A bas le Tsar ! Gouvernement ouvrier ! », et les Polonais, avec à leur tête Rosa Luxembourg, qui proposaient la formule « Le prolétariat s’appuyant sur les paysans ».

Qui a eu raison ? Le camarade Trotski évite de donner une réponse claire et entière. Mais il affirme en passant qu’il avait raison : la formule de Lénine ne pouvait être (!) qu’une étape vers la formule de Trotski.

Voilà justement qui est faux. Trotski n’a pas eu raison, et le développement ultérieur a démontré qu’il avait eu tort. Car le caractère spécifique de l’attitude du camarade Trotski consistait justement en ce qu’il voulait brûler une étape indispensable (il n’oubliait qu’un « détail » : les paysans).

« Il est insuffisant d’être révolutionnaire ou partisan du socialisme, ou communiste en général, écrivait Lénine, il faut savoir trouver à chaque moment l’anneau particulier de la chaîne, l’anneau qu’il faut saisir de toutes ses forces pour soulever toute la chaîne et préparer la transition vers le chaînon suivant (Œuvres, XV, 223). »

Mais c’est précisément ce que ne donnaient pas les mots d’ordre du camarade Trotski. Ils sautaient par-dessus le chaînon auquel il fallait s’agripper, ils sous-estimaient le rôle des paysans et c’est pourquoi ils s’isolaient pratiquement des ouvriers également.

« Des mots d’ordre magnifiques, entraînants, enivrants, mais ne s’appuyant sur rien, voilà ce qu’est la phrase révolutionnaire » (Lénine, XV, 100).

Du fait que plusieurs années après, après que nous avons traversé une étape déterminée, la révolution socialiste a commencé, il ne résulte pas que le camarade Trotski avait raison. Une telle affirmation serait en contradiction avec la réalité et se baserait sur l’incompréhension de la tactique du bolchévisme, de toute sa méthodologie politique, si l’on peut s’exprimer ainsi, qui unit le mouvement opiniâtre vers un grand but, vers un grand idéal, à un travail pratique sévère, qui rejette tous les préjugés et tout ce qu’il y a de superflu dans l’appréciation de chaque situation concrète. Ici le camarade Trotski n’a pas raison. Et ici son livre oriente le lecteur d’une façon tout à fait fausse. Nous ne relevons pas ce que tait le camarade Trotski, que sa phrase « permanente » et ultra-gauche se combinait à une politique d’extrême-droite, à une lutte acharnée contre les bolchéviks.

IV. Les enseignements de la révolution d’Octobre et l’Internationale Communiste[modifier le wikicode]

Un des axes pratiques de la préface du camarade Trotski est la tentative de discuter — nous employons volontiers l’euphémisme — la politique de l’Exécutif de l’Internationale Communiste.

Un problème est donné : prendre la revanche pour la discussion perdue en 1923, mener campagne non seulement contre la ligne politique du Comité Central, mais encore contre celle de l’IC. On peut pour cela défigurer le sens des épisodes de la lutte de classe du prolétariat en Allemagne et en Bulgarie. On peut insinuer que les erreurs de certains de nos camarades en 1917 ont provoqué l’insuccès des communistes en Allemagne, en Bulgarie, l’année 1923. Le schéma des raisonnements, si on les dépouille du voile verbal qui les revêt, est assez simple. X. Y. Z. se sont trompés lors de l’Octobre russe. X. Y. Z. dirigent maintenant l’Internationale Communiste. L’Internationale Communiste a perdu les batailles a, b, c. Par conséquent, la faute en incombe à X, Y, Z qui continuent ici leurs traditions russes d’Octobre. Voilà der langen Rede kurzer Sinn (le petit sens d’un grand discours).

Le cadre de ce syllogisme tout-à-fait risible est rempli de contenu concret. C’est pourquoi, il faut considérer avec esprit critique ce contenu ; tout l’édifice ingénieux du camarade Trotski s’écroule alors de lui-même

1. Bulgarie. — Le camarade Trotski écrit :

« Nous avons essuyé l’année passée en Bulgarie deux cruelles défaites : la première fois, le Parti, obéissant à des considérations fatalistes et doctrinaires (c’est nous qui soulignons, Réd.) a laissé échapper un moment favorable à l’action révolutionnaire (l’insurrection des paysans après le coup d’Etat de juillet de Tsankov). Ensuite, voulant corriger sa faute, le Parti se jeta dans l’insurrection de Septembre, sans avoir préparé les conditions pratiques politiques et d’organisation ». (XII)

Comme le lecteur s’en rendra facilement compte, on considère ici que les causes de la défaite sont : 1) le fatalisme menchévik; 2) un optimisme écervelé (« sans préparation » etc.). Ces deux traits sont donnés également lors de la caractéristique des types d’opportunisme d’Octobre. Ainsi, la liaison avec l’octobre russe est complète, ainsi qu’avec la direction actuelle de l’Internationale Communiste.

Cependant, considérons les faits de plus près. La première défaite était le résultat de ce que le Parti bulgare considérait d’une façon tout-à-fait fausse les paysans, ne savait pas apprécier leur mouvement ni le rôle de l’Union Agraire dans son entier, ni de son aile gauche. Il se tenait plutôt sur la position : «A bas le roi ! Gouvernement ouvrier ! » Au moment décisif, lorsqu’il fallait prendre la direction des événements et s’élever sur la crête de l’immense vague paysanne, le Parti se déclara neutre, car la lutte était entre la bourgeoisie de la ville et celle des campagnes et car le prolétariat n’y était pour rien. Telles étaient les « considérations » du Parti communiste bulgare. Elles sont consignées, on peut le vérifier, par des documents. Si on compare ces événements avec notre Octobre (à ce propos, nous devrions désormais savoir user des analogies avec plus de prudence), il faudrait plutôt prendre les journées de Kornilov (Kérensky — Stamboulisky. Kornilov — Tsankov) mais là, même si l’on juge d’après l’exposé du camarade Trotski lui- même, on a trop aidé Kérensky sans comprendre la limite entre la lutte contre Kornilov et la défense de Kérensky. En Bulgarie, on fit l’erreur opposée. Que viennent faire ici les enseignements d’Octobre ?

D’autant plus que les camarades qui siègent maintenant à l’Exécutif de l’I.C ont adopté lors des journées de Kornilov une attitude tout-à-fait juste et que tout l’Exécutif de l’I.C. dans son entier a critiqué d’une façon tout-à-fait juste le Parti communiste bulgare.

La seconde défaite en Bulgarie est un fait, et le camarade Trotski décrit les conditions dans lesquelles elle eut lieu. Mais dites de grâce, camarade Trotski, soutenez-vous la vieille formule de Plékhanov, du temps de sa chute menchéviste : Il ne fallait pas prendre les armes ? Fallait-il ou ne fallait-il pas que les communistes bulgares prissent les armes ?

Oui ou non?

Le camarade Trotski ne répond pas. Nous estimons, nous, qu’il fallait prendre les armes car c’est seulement à ce prix que l’on pouvait garder la liaison avec les paysans qui allaient spontanément au combat.

Il n’y avait pas de temps pour la préparation. Voilà le véritable tableau des événements. Les « enseignements » du camarade Trotski n’ont rien à voir ici.

2. Allemagne. La question de la défaite d’Octobre dernier du prolétariat allemand est encore plus intéressante:

« Nous y avons observé dans la seconde moitié de l’année passée une démonstration classique (c’est nous qui soulignons, Réd.) de la façon dont on peut laisser échapper une situation révolutionnaire exceptionnelle, d’une portée historique mondiale ».

Ainsi, d’après le camarade Trotski, la faute consiste en ce que le moment « classique » ne fut pas mis à profit Il fallait coûte que coûte déclencher la lutte finale ; nous aurions alors eu la victoire. Ici le camarade Trotski veut une analogie complète avec la révolution d’Octobre en Russie: Ici comme là, on traînait en longueur ; ici, sous l’influence de Lénine, on se décida, on agit et on triompha ; là-bas, sans l’influence de Lénine — on ne se décida pas, on laissa passer le moment et maintenant — sous l’influence des traditions russes d’Octobre — on écrit que les forces étaient insuffisantes pour la lutte décisive Tel est le schéma des événements d’Allemagne chez le camarade Trotski. Cependant, nous voyons de nouveau ici « l’empire du schématisme » et le royaume ennuyeux de l’abstraction grise. Le camarade Trotski veut nous donner une idée de la façon dont on aurait écrit l’histoire si, au Comité Central russe, en Octobre 1917, les adversaires de l’insurrection avaient été en majorité, il se serait trouvé que les forces étaient insuffisantes, que l’ennemi était extrêmement fort, etc.

Mais tout cela n’est qu’extérieurement convainquant. Oui, c’est ainsi probablement que l’on aurait écrit l’histoire. Mais ce n’est pas du tout une preuve de ce que les forces de la révolution allemande ne furent pas surestimées en octobre 1923.

Il est faux notamment de dire que le moment était classique. Car la social-démocratie était bien plus forte que nous ne le supposions. L’analogie avec l’Octobre russe ne convient guère en général. En Allemagne, il n’y avait pas de soldats révolutionnaires ; nous n’avions pas le mot d’ordre de paix ; il n’y avait pas de mouvement agraire paysan, il n’y avait pas de parti semblable au nôtre. Mais en outre, il est apparu que la social-démocratie n’était pas encore morte. Voilà des faits concrets qu’il faut réfuter. Pendant les événements décisifs, le C.E. de l’I.C. était précisément pour la ligne d’Octobre. Lorsque cette politique a échoué, à cause de conditions objectives, et « échoué plus qu’il ne le fallait », grâce à la direction de droite, le camarade Trotski, qui soutenait en réalité la droite opportuniste, capitulante, et qui lutta plus d’une fois contre la gauche,[3] ) donne une « profonde » base théorique à sa conception et en menace les cercles dirigeants de l’Internationale Communiste. Il ne convient pas de tirer ainsi les leçons de l’ Octobre russe et allemand.

Et il convient encore moins d’insister sur certaines erreurs, comme le fait jusqu’à présent, le camarade Trotski.

Une des leçons (véritable, celle-ci) de l’Octobre allemand, est qu’il faut avant l’action mettre fortement en branle les masses. Cependant, ce travail laissait beaucoup à désirer. A Hambourg, lors de l’insurrection, il n’y avait point de soviets, ni de grèves. Dans toute l’Allemagne, les Soviets faisaient défaut car, d’après le camarade Trotski, il ne fallait pas les créer ; les comités d’usines les « remplaçaient ». En réalité les comités d’usines ne pouvaient remplacer les soviets car ils n’unissaient pas toute la masse, jusqu’aux plus arriérés et aux plus indifférents, comme le font les Soviets dans les moments les plus critiques et les plus aigus de la lutte des classes.

*

Le livre du camarade Trotski invite à l’étude de la révolution d’Octobre. Par lui même ce mot d’ordre ne présente rien de nouveau. Il est opportun pour notre Parti, il l’est également pour les partis étrangers. Mais le livre du camarade Trotski, plus exactement sa préface, prétend être un guide dans cette étude. Et là nous devons dire résolument : il ne peut pas remplir cette fonction. Il ne fera que désappointer les camarades auxquels l’harmonie extérieure de l’ensemble empêchera de voir le manque absolu de proportions, qui défigure l’histoire véritable du Parti. Ce n’est pas le miroir du Parti, c’est un miroir convexe.

Mais l’apparition de ce miroir convexe n’est pas fortuite. Il n’est pas difficile après ce qui vient d’être dit de comprendre où, comme s’exprimait Lénine, « mènent les déductions du camarade Trotski ».

En effet. Si, comme le camarade Trotski le dit à tort, on ne pouvait agir en Octobre 1917 que contre le Comité Central, cette situation ne peut-elle se répéter ? Où est la garantie de ce que la direction sera juste ? Est-elle juste actuellement ? Car l’« unique » vérification, c’est Octobre 1917. Peut-on avoir confiance en ceux qui n’ont pas réussi cet examen ? Et n’est-ce pas grâce à la direction de ces chefs mêmes que l’I. C subit des défaites en Bulgarie et en Allemagne, Ne faut-il pas « étudier la révolution d’Octobre » de façon à éclaircir précisément ces questions ? Tel est l’ensemble des problèmes dont le camarade Trotski entretient à loisir ses lecteurs, après l’attaque de front qui a échoué l’année passée. Mais le camarade Trotski peut être sûr que le Parti saura apprécier à temps cette sape. Le Parti veut travailler et non pas discuter. Le Parti veut une véritable unité bolchéviste.

  1. A ce propos, il convient de révéler certains faits. Malgré les divergences, Kamenev fut, sur proposition de Lénine, élu à la Conférence d’Avril au Comité Central du Parti et présidait, sur ordre du Comité Central, au IIème congrès des Soviets, pendant l’insurrection ; en novembre 1917 déjà, Zinoviev, qui se sépara du Comité Central durant quelques jours seulement, fut chargé par le Comité Central de faire un rapport au Comité Exécutif des Soviets en faveur de la dissolution de la Constituante ; au VIIIème congrès, au commencement de mars 1918, Zinoviev parla au nom du Comité Central, défendant la tactique de Lénine contre Trotski et les gauches. Par conséquent, tout le Parti ne considérait pas l’erreur commise par ces camarades en Octobre autrement qu’une divergence passagère ; tout au contraire, il leur confiait les postes les plus responsables, quoiqu’il n’ait jamais justifié leurs erreurs.
  2. Il s’agit des mejrayontsy, dont l’organisation était parallèle à celle des bolchéviks et défendait l’unité avec les menchéviks de « gauche ». Ils adhérèrent avec Trotski, après les journées de juillet, au Parti bolchévik.
  3. Nous voyons ici la même « méthode » politique qu’avant la révolution : « Attitude de gauche en paroles, de droite en action ».