A bas le fractionnisme !

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Réponse de « La Pravda », organe central du P. C. R., au camarade Trotsky.

Dans son article sur les groupements et les fractions, le camarade Trotsky nous convie à « des efforts pour nous entendre les uns les autres », car, « nous avons le temps de nous emporter plus tard ». Le camarade Trotsky prête, pour user de ses propres termes, « un caractère explicatif » à son article et s’attend à ce que nous arrêtions « avec calme et après avoir bien réfléchi » notre point de vue sur les questions en discussion.

Ces conseils sont par eux-mêmes excellents et fort utiles. Il est seulement à regretter que le camarade Trotsky en ait tiré si peu de profit pour lui-même. Car, s’il n’avait pas d’abord publié sa fameuse lettre (c’est- à-dire s’il ne s’était pas laissé emporter par un excès de zèle), s’il s’était efforcé de comprendre « avec calme et après mûre réflexion » le point de vue du C. C., il ne se verrait pas probablement dans l’obligation d’ « expliquer » ultérieurement sa propre action et le Parti aurait peutêtre évité de tomber dans cette fièvre de discussion qui le fait trembler dans tout son organisme et mine sa santé.

Le camarade Trotsky, contrairement à ses propres conseils, ne « s’emporte » pas pour la première fois. Et ce n’est pas non plus pour la première fois qu’il s’oppose « par emportement » au Comité Central. Lénine, dans sa brochure : Encore la question syndicale, a fait ressortir notamment « le danger que représente pour le Parti l’action des fractions ». Lénine écrivait ceci sur l’attitude du camarade Trotsky à cette époque :

« Pensez-donc : après deux séances du C. C. élargi (le 9 novembre et le 7 décembre), consacrées à une discussion approfondie, longue et excessivement animée, du projet de résolution primitive du camarade Trotsky... un des 19 membres du C. C. reste isolé parmi ses collègues, forme un groupe en dehors du C. C., présente « l’œuvre collective » de ce groupe comme une « plateforme » séparée et recommande au Congrès de choisir entre les « deux tendances en présence ».

L’histoire se répète, mais, malheureusement, ce n’est pas toujours un vaudeville qui succède à la tragédie. Trotsky fait de nouveau traverser au Parti une période critique.

Pensez-donc : après de longues discussions au C. C., après que la résolution du Bureau politique eut été adoptée à l’unanimité, un membre du Comité Central entre en scène en publiant un article sur « la nouvelle orientation », article qui élève des accusations graves contre le C. C.. aussi bien que contre toute la vieille génération bolchéviste. L’opposition. — ces démocrates vulgaires dont parle le camarade Trotsky sont du nombre — prend ces accusations à son compte et voilà une attaque préméditée qui se déclenche contre le C. C. Et, après tout cela, le camarade Trotsky, fort poliment, nous gratifie du conseil de ne pas nous « emporter ». « S’emporter », évidemment, il ne le faut pas. Mais Trotsky, plus que tout autre, devrait s’en tenir à ce sage conseil, car son entrée en scène, avec l’article qui déchaîna une véritable tempête d’indignation dans les rangs fermes des bolchéviks, cette entrée en scène, deux jours après l’adoption à l’unanimité de la résolution du B. P. ne peut être attribuée qu’à une initiative d’homme de fraction.

Nous faisons encore remarquer à ce propos, que les représentants de l’opposition, le camarade Préobrajensky et autres, déclarèrent maintes fois au cours des discussions du Parti, que le C.C. s’opposait à porter la discussion dans des domaines pratiques et que, notamment, il empêchait que les questions économiques, etc., fussent débattues. Maintenant, après la publication de la résolution du C. C., sur la question économique, nous nous trouvons en face d’une nouvelle action du camarade Trotsky, relativement à l’ancienne résolution. Et voilà qui nous montre, une fois de plus, où il faut chercher celui qui « entrave » la discussion des questions pratiques. Le Comité Central est ainsi obligé de jeter un coup d’œil sur le passé, car il est entravé dans ses efforts par l’irritation de fractionniste que manifeste le camarade Trotsky.

I. Ce qu’il y a au fond des divergences de vue[modifier le wikicode]

Léninisme et déviations[modifier le wikicode]

Dans la discussion actuelle, on distingue un trait caractéristique : de nombreux camarades, surtout des jeunes, se montrent très désagréablement surpris des divergences de vues qui viennent de se produire d’une façon inattendue. Cela s’explique surtout par le fait que la plupart de ces divergences n’avaient pas été portées auparavant devant l’opinion du Parti. Tant à l’époque où le camarade Lénine prenait part à la direction du Parti, que plus tard, les différends, qui surgirent à plusieurs reprises en Ire la majorité du C. C. et le camarade Trotsky, avaient été réglés au sein même du C. C. Le C. C. dut agir de la sorte et il avait raison d’agir de la sorte, car il épargnait ainsi au Parti des déchirements inutiles que les luttes de fractions auraient sûrement provoqués. D’autre part, les divergences qui étaient sorties du cadre du C. C. (la paix de Brest-Litovsk, la discussion syndicale) ne furent plus mentionnées, et les fautes d’un nombre de camarades, dont le camarade Trotsky, ne furent pas soumises à une analyse critique. Cette façon d’agir offrait sans doute des désavantages, qui se font surtout remarquer en ce moment où le camarade Trotsky porte les divergences qui s’étaient produites au sein du C. C., en dehors, devant la masse du Parti, les faisant de la sorte l’objet de discussions publiques. Nombreux sont ceux qui ne voient pas clair au fond des questions litigieuses. Il est donc besoin d’expliquer avec patience les choses sous leurs aspects vrais et, d’autre part, de prendre position vis-à-vis de ces questions « avec calme et après mure réflexion ».

Après la révolution d’Octobre, notre Parti a traversé trois crises : celle de Brest-Litovsk, celle qui a éclaté au sujet de la question syndicale et celle d’aujourd’hui. A toutes ces étapes de l’histoire du Parti, on trouve Trotsky. En examinant cette question, « avec calme et en y réfléchissant bien », il faut s’efforcer de ramener les erreurs successives du camarade Trotsky à leur cause. C’est au cas seulement où nous découvririons l’origine de ces erreurs que nous serions en mesure de mettre au point les déviations qui sont les conséquences inévitables des conceptions erronées d’autrefois.

Passons à la question de la paix de Brest-Litovsk. En quoi consistait sur ce point l’erreur du camarade Trotsky et des « communistes de gauche » ? En ce que le camarade Trotsky se laissa emporter par la phrase révolutionnaire, par un projet qui se montrait très beau sur le papier. Les adversaires de la paix de Brest-Litovsk possédaient ce projet merveilleux, mais ils ne voyaient pas la damnée réalité que le génie de Lénine voyait avec une si prodigieuse clarté. Et surtout ils ne voyaient pas les paysans qui ne voulaient et ne pouvaient pas combattre.

Et maintenant, à la question syndicale. Par quoi s’explique au sujet de ce problème, l’erreur du camarade Trotsky et d’autres camarades. Par la même raison. Ils avaient un excellent plan de production comportant la fusion des syndicats avec l’appareil de l’Etat, leur épuration (« en les secouant ») et l’adaptation de leurs fonctions à la « démocratie de la production ». Ce plan s’est trouvé utopique, malgré les précisions cl la clarté des formules.

Et pourquoi en fut-il ainsi ? Pour cette raison que cette ligne politique était absolument contraire à l’état de choses réel.

A l’époque de Brest-Litovsk, les paysans, le groupe le plus important de la population, criaient : La paix à tout prix ! II fallait se reposer, coûte que coûte, pour reprendre haleine. Mais le camarade Trotsky et les « communistes de gauche » exigèrent une guerre révolutionnaire ou bien essayèrent de nous octroyer une formule vide de sens et qui disait : « ni guerre, ni paix ».

A l’époque de la discussion syndicale, le pays exigeait la rupture des liens du communisme de guerre, qui entravaient l’épanouissement des forces productives. En revanche, on venait nous recommander de mettre un frein au développement des syndicats. Il s’agissait donc, là aussi, d’un manque de compréhension, aussi bien en ce qui concerne les besoins réels du pays, que l’état d’âme des masses paysannes. Mais sans tenir compte de la psychologie de la population rurale, le prolétariat serait incapable de gouverner le pays.

Nos divergences actuelles avec le camarade Trotsky peuvent être ramenées à la même cause. Ces divergences ont toujours existé. Elles existaient auparavant, lorsque Trotsky attribuait toutes fautes au manque de travail méthodique. C’est ce qui, d’après son avis, a précipité le pays dans la « catastrophe », mot dont il se servait obstinément et avec méthode pour accuser le C. C.

Il va de soi qu’une « catastrophe » n’existe que dans l’imagination surchauffée de fractionnisme du camarade Trotsky. Il va de soi qu’aucun des membres du C. C. ne peut objecter quoi que ce soit à un perfectionnement des méthodes de travail. Le C. C. était toutefois d’avis que le camarade Trotsky exagérait énormément les choses. Il était également d’avis que le plan de notre politique économique, pour qu’il soit réel et ne reste pas sur le papier, doit être élaboré avec une extrême prudence. Le C. C. n’a pas fait sienne l’opinion du camarade Trotsky, d’après laquelle il fallait établir la « dictature de l’industrie », car, comme nous l’apprîmes de Lénine, nous étions obligés, et le serons encore bien longtemps, de recourir à l’économie paysanne, cela étant l’unique moyen de sauver l’industrie et de créer une base solide à la dictature du prolétariat.

Voilà l’origine des divergences actuelles. On se demande si ce n’est pas l’ancienne erreur qui n’a changé que de forme.

C’est bien le cas cette fois encore. Nous voyons la même exagération de la valeur des plans, sans que les projets préconisés eussent été suffisamment adaptés à l’état de choses existant. Nous constatons également l’appréciation insuffisante du rôle des paysans.

L’origine de toutes les erreurs du camarade Trotsky réside dans la déviation du léninisme. Car Lénine a apporté dans le marxisme du nouveau, en posant dans la théorie — et en la tranchant dans la pratique — avec une grande netteté, la question de l’union de la « révolution prolétarienne avec la classe paysanne », question qui impliquait celle des rapports entre la classe ouvrière et les paysans et de leur alliance économique et politique.

Cette déviation du léninisme, qu’on peut observer chez Trotsky, s’explique par tout son passé et l’opinion spéciale qu’il se forme de la marche de la révolution. Il est inutile de se mettre en colère parce qu’on fait des allusions à ce passé, la discussion ayant une fois revêtu un certain « caractère explicatif ». Il faut traiter la question « avec calme et après mûre réflexion » et s’efforcer en effet, de la pénétrer à plusieurs reprises, avec une franchise et un grand courage, que c’est « en luttant », en son for intérieur, qu’il était venu à Lénine. Evidemment il ne s’y était pas décidé sans réserve...

II. Le léninisme et les déviations dans la question de l’organisation[modifier le wikicode]

C’est chose connue dans la politique, que dos déviations de la ligne correcte dans les questions fondamentales, sont d’habitude accompagnées de déviations correspondantes dans une série d’autres questions> qui sont, dans notre cas, d’une importance essentielle pour le destin du parti prolétarien.

Dans notre discussion actuelle, et en lisant le dernier article du camarade Trotsky, nous pouvons observer comment la fraction des camarades Trotsky, Sapronov et Préobrajenski s’écarte plus ou moins du léninisme dans les questions ayant trait à la vie intérieure du Parti.

Quel était le principe général d’organisation du parti bolchevik ? Ce parti se distingua toujours des autres par son unité et sa discipline. Il existait, vu les principes qui lui servaient de base d’organisation, une ligne de démarcation très nette entre notre Parti et les partis opportunistes. S’étant formé et développé dans les luttes contre l’opportunisme, notre Parti est devenu une organisation forgée d’une pièce. Notre Parti n’a jamais été — nous l’espérons — ne sera jamais une fédération de groupements, groupes, fractions et courants dont l’action résulte d’accords conclus de temps à autre.

Chez les menchéviks, les socialistes révolutionnaires et dans les autres partis au « cœur large », il existait, contrairement aux bolchéviks « intolérants » et au « cœur étroit », une liberté d’opinion et de critique poussée jusqu’à l’extrême. Il n’y a pas longtemps encore, au procès des socialistes révolutionnaires, nous entendîmes les accusés se vanter de leur tolérance. Ils avaient dans le parti un groupe qui soutenait les blancs, ils avaient un « Centre administratif », puis une gauche, un centre tout court, etc., en un mot un échantillon de toutes les nuances politiques. C’était le même cas chez les menchéviks. Mais notre Parti a réussi à anéantir ses ennemis parce qu’il constituait une troupe disciplinée de combattants réunis par l’unité de volonté et d’action et dont la structure était telle que toutes les opinions différentes convergeaient vers une direction unique, sans diviser le Parti en des fractions qui se combattent et s’affaiblissent l’une l’autre.

Si, maintenant, nombre de camarades, le camarade Trotsky à la tête, renoncent à cette tradition de l’organisation, ils renoncent par là même à la tradition d’organisation du léninisme. Certes, on peut se moquer des traditions, de celle du léninisme, mais il faut le faire franchement et sans dissimulation. Certes, les traditions ne sont pas de durée éternelle. Mais en ce cas il faudrait expliquer, préciser et prouver, pourquoi cette partie du léninisme serait devenue un anachronisme. Nous sommes convaincus que le léninisme est resté vivant dans toutes ses parties, car notre Parti se trouve toujours à un poste avancé, entouré d’ennemis, ce qui l’oblige à garder jalousement son unité.

Le bolchevisme a toujours très hautement apprécié et apprécie encore l’appareil du Parti. Cela ne veut pas dire qu’il serait aveugle à ce point de ne pas voir les faiblesses de l’appareil, y compris son bureaucratisme (nous en reparlerons plus tard.) Cependant, le bolchevisme, c’est-à-dire le léninisme, n’a jamais juxtaposé le Parti à l’appareil. Ce serait au point de vue bolchéviste une ignorance absolue car il n’y a pas de Parti sans appareil. Extrayez l’appareil du Parti et vous verrez ce dernier se transformer en un conglomérat incohérent de masses humaines. Par contre, les menchéviks manifestaient toujours un mépris soi-disant « démocratique » pour les « petits comités » et le « jacobinisme » des bolcheviks. Sous le couvert de défendre l’« indépendance » de la masse du Parti contre l’appareil, les menchéviks n’ont défendu que l’opportunisme des « politiques ouvriers » petits-bourgeois « au cœur large » contre l’organisation et la discipline prolétarienne du bolchévisme.

On peut et on doit combattre avec la plus grande passion les faiblesses de l’appareil, dans lesquelles se reflète le malaise du Parti, mais opposer le Parti à l’appareil, c’est s’écarter, là aussi, du bolchévisme.

Dans les conditions relatives à la vie intérieure du Parti, la question de la direction du Parti, des « chefs » en un mot, des instances centrales du Parti, a toujours joué un grand rôle. Les bolchéviks n’ont jamais joué avec le mot de démocratie, mot souvent vide de sens, propre à dissimuler un manque de principes. Lénine nous apprit à reconnaître le rôle dirigeant du groupe initial de notre Parti qui avait acquis de riches expériences dans la lutte. Certes, il avait également l’habitude de railler cruellement les « vieux fous » qui n’étaient pas capables d’adapter les enseignements du passé aux exigences du présent. Mais il nous mettait en garde contre le « jeu » à la démocratie formelle qui assigne aux instances centrales des fonctions purement exécutives et où le parti est en proie à une démagogie effrénée. L’action du bolchévisme a tenu pleinement compte de l’état de choses existant. Et s’il se trouve maintenant des camarades qui élèvent, d’un cœur léger, des accusations stupéfiantes et ridicules, c’est qu’ils ne comprennent pas le rôle et l’importance des instances dirigeantes du Parti. Là encore ils s’engagent dans nn chemin qui s’éloigne du bolchevisme.

Cette question est étroitement liée à celle de la vieille génération bolchevique. Sous ce rapport, nous voulons seulement mettre en relief les signes caractéristiques des tendances qui se manifestent dans le point de vue des camarades Trotsky, Préobrajensky et Sapronov. Nous examinerons plus loin ces tendances, en nous en tenant aux déclarations de ces camarades, et surtout à celles du camarade Trotsky. Un examen objectif et critique des articles du camarade Trotsky sera d’une grande valeur pour notre discussion. Seulement, il ne faut pas « s’emporter », si nous relevons ça et là des tendances antiléninistes. Il faut nu contraire, prouver qu’elles n’existent pas. Mais malheureusement elles existent et tout le Parti verrait avec plaisir si un échange de vues calme et objectif faisait disparaître ces tendances, et si l’unanimité était rétablie à la base des principes politiques et d’organisation du léninisme, ayant fait leurs preuves dans la vie pratique.

III. Le monopole de la démocratie et l’opposition fractionniste[modifier le wikicode]

« Nous assistons - écrit le camarade Trotsky dans son dernier article sur les groupements à une nouvelle offensive de l’appareil du Parti, qui, eu égard à des manifestations «le l’esprit de fractions, interdit catégoriquement toute critique de l’ancienne orientation, condamnée en toutes formes, mais pas encore liquidée ». — « I1 faut à nouveau réajuster le couvercle. Des douzaines de discours et d’articles prononcés et écrits contre le fractionnisme ne contiennent que cette sagesse à courte, vue ». — « La partie la plus active du vieil appareil du Parti est profondément convaincue de l’erreur de la résolution du C.C. ». — « Ah! la bureaucratie frénétique... c’est précisément dans ce camp que s’élèvent des voix qu’on ne saurait qualifier que de provocatrices. C’est précisément dans ce camp qu’on a le courage de déclarer: nous ne craignons pas la scission. C’est justement les représentants de ce groupe qui flairent et recherchent dans le passé (est-ce une allusion aux Guesde et aux Vaillant ? N. d. 1. R. de la Pravda) tout ce qui est de nature à rendre le ton de la discussion plus acerbe. Ce sont eux qui font revivre par leurs artifices le souvenir des anciennes luttes et des anciennes scissions pour préparer lentement et sans qu’on s’en aperçoive l’esprit des militants à l’éventualité de cet énorme crime de suicide que serait une nouvelle scission, »

C’est de cette façon que caractérisait le camarade Trotsky — pourquoi se le dissimuler ? — la ligne officielle du C. C, Etant donné que le C. C. a miné le pays et qu’il s’est engagé dans le chemin des Kautsky et des Bernstein, pourquoi ne nourrirait-il pas le projet diabolique de préparer une nouvelle (?) scission du parti ? (Et qu’est-ce que l’ancienne scission ? Celle qui nous sépara des menchéviks? Etait- elle donc si condamnable?) Le camarade Trotsky s’emporte évidemment et n’apprécie pas les faits à leur juste valeur — ou pour être plus précis, il ne les discerne pas bien. Il répète par là la faute qu’il commettait déjà lors de la discussion de la question syndicale. Entre autres exagérations fractionnistes du camarade Trotsky, Lénine nous montre sa prédilection pour les accusations élevées à la légère. Voilà ce qu’écrit Lénine à ce sujet:

« La thèse XI (il s’agit des thèses présentées par le camarade Trotsky, N. d. 1. R. de la Pravda) contient quelque chose de merveilleusement habile et qui est aussi probant que pratique, quelque chose — comment faire pour s’exprimer avec la plus grande politesse ? — quelque chose comme une « allusion » et qui dit que la « majorité des fonctionnaires syndicaux » n’a reconnu la résolution du Congrès que pour la forme. »

A présent ce n’est plus par « allusions », mais par accusations précises que l’on procède. (Le Comité Central serait, malgré sa propre résolution, convaincu de l’erreur de sa nouvelle orientation et ne penserait qu’à mieux fermer le « couvercle », etc.) Mais qu’on nous montre des faits: Qu’on nous fasse voir la moindre preuve, car ce qu’on croit lire dans les cœurs d’autrui n’en est pas une. Les faits démentent catégoriquement les déclarations du camarade Trotsky et de toute l’opposition. Le camarade Trotsky prétend entre autres que la discussion ait été entravée. Où ? Quand et par qui ? Ne participons-nous pas juste en ce moment à une discussion qui, par son ampleur et son ardeur, est sans précédent ?

Le camarade Trotsky a-t-il vu se produire un cas où toute critique de l’ancienne orientation fut « interdite » eu égard « à des manifestations de l’esprit de fraction » ?

Ce sont là vraiment des accusations monstrueuses. Nous ne connaissons pas un seul membre du Comité Central qui, au cours des discussions, ne se fût pas déclaré solidaire de la critique de 1’ « ancienne orientation », critique que contient en premier lieu la résolution du C. C. Trotsky ne pourrait pas nous nommer un seul membre du C. C. qui se déclarerait pour l’ « ancienne orientation ». Alors de quoi s’agit-il ? Et pourquoi tout ce bruit ? Il s’agit de ce que le camarade Trotsky fait usage du mot de « démocratie » dans un but stratégique. Il veut détruire les vieux cadres et « amender » la politique du C. C. Au point de vue subjectif, s’il ne considère que ses buts, le camarade Trotsky a absolument raison. Le Parti n’admettra pas que l’on « corrige » la ligne fondamentale qui fut tracée par Lénine.

Trotsky, et avec lui toute l’opposition, fait volontiers ressortir que ce sont eux qui, les premiers, ont parlé de démocratie dans le Parti, en s attirant par là la colère de la bureaucratie enragée. Le prétendre, c’est déformer la vérité. Le Bureau politique, dès septembre, avant que l’opposition ait entrepris la moindre action, s’était déclaré pour la nouvelle orientation. La session plénière du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle, en octobre, approuva cette décision du Bureau Politique du C. C. C’est sur les bases de cette décision que fut élaborée la résolution adoptée à l’unanimité par le C. C.

Voilà une vérité que certains, évidemment pour des raisons stratégiques similaires, tournent, dissimulent et déforment avec le plus grand soin. Car il faut présenter les choses comme si l’« opposition », portant la couronne d’épines des martyrs, souffrait pour la « démocratie ».

Or, la démocratie n’est, pour le camarade Trotsky et toute l’ « opposition », qu’un moyen d’atteindre les « vieux cadres ». De là des phrases, comme « l’offensive de l’appareil », « il ne faut pas mettre du jeune vin dans une vieille outre », « la démocratie, c’est la méfiance organisée », etc. Il est très intéressant de rappeler. à cet égard, l’attitude des alliés actuels des camarades Trotsky et Préobrajensky au Xe Congrès. Voici, par exemple, comment le camarade Raphaël avait apprécié l’activité des camarades Trotsky, Sibiriakov et Préobrajensky, alors secrétaires du C. C., à présent membres de l’ « opposition » :

« Dès le lendemain du IXe Congrès de notre Parti, le C. C. inaugura une politique qui imposait une obéissance passive à la masse des adhérents. Cette politique comportait l’obéissance passive pour les adhérents, cette politique de « tsekranisme »[1] , ou de dégénérescence bureaucratique consistait en ce que... etc. » (Procès-verbal du congrès, page 52). Il s’ensuit que l’opposition, y compris le camarade Trotsky, a également des traditions de bureaucratisme. Lénine, visant spécialement les camarades Krestinsky et Trotsky, au Xe Congrès, les en accusa.

Comme selon les lois cosmiques, le mois de septembre précède le mois d’octobre, Trotsky se trompe au plus haut point lorsqu’il attribue à lui seul le droit de se réclamer de la démocratie. Le C. C. a adopté à l’unanimité la résolution qu’on connaît sur la « nouvelle orientation ». C’est sur les bases de cette résolution que se poursuit une discussion des plus larges et qu’il sera procédé aux nouvelles élections dans le Parti. Tout le monde le sait. Le C. C. défend, dans cette discussion, comme c’est son devoir de Comité Central d’un parti bolchevik, un point de vue nettement défini. Le C. C. s’obstinera avec fermeté à poursuivre la réalisation de la démocratie dans le Parti, car il sait, aussi bien que les autres, qu’il ne saurait accomplir les devoirs qui lui incombent dans l’état actuel de développement du Parti, que grâce à l’élévation du niveau et de l’activité politique de la masse des adhérents.

Dans de telles conditions, le monopole de la démocratie que se donnent le camarade Trotsky et l’opposition n’est qu’une manœuvre qui gagne surtout du relief par les accusations injustifiées et frivoles du camarade Trotsky contre le C. C. Ce n’est pas ce qui affermira l’unité du Parti. Au contraire, les moyens tels que ceux de l’opposition, ne sont bons que pour disjoindre, avec ou sans intention, nos rangs.

Il me parait intéressant de rappeler le fait suivant: Après l’adoption du projet de résolution du Bureau politique, le Secrétariat du ü. C. adressa aux fédérations et sections, une circulaire qui fut publiée dans la Pravda, d’après laquelle les organisations étaient tenues de sauvegarder la liberté «h» discussion. La Pravda publia également une circulaire de la Commission Centrale de Contrôle, laquelle menaçait de sanction quiconque essaierait d’entraver la marche régulière et libre de la discussion. Ces circulaires, l’opposition les tait complètement. Pour quelle raison ? Cruelle énigme !

IV. Un aveu précieux du camarade Trotsky sur les groupements et les fractions[modifier le wikicode]

Les camarades de l’opposition, Trotsky en tête, usent surtout de l’argument suivant : « Le C. C. veut intimider le Parti en annonçant un danger de scission ». A les entendre, le C. C. crierait à la scission pour empêcher la discussion de se poursuivre librement. (Trotsky écrit à ce sujet : « Qui veut faire peur, a lui-même quelque chose à craindre »).

Là encore, l’histoire se répète d’une façon surprenante. Il ne s’agit pas, chers camarades, de ce que vous, personnellement, vous ne voulez pas la scission. Les scissions, le plus souvent, ne sont faites par personne, elles se produisent d’elles-mêmes. Il existe une certaine logique objective de la lutte qui, spontanément, nous entraîne aux scissions, indépendamment de la volonté subjective des camarades qui se trouvent à la tête des fractions. Le danger des scissions est extrêmement grand si un parti ouvrier détient le pouvoir dans un pays où la classe ouvrière elle-même n’est qu’une infime minorité en face des paysans.

L’histoire, avons-nous dit, se répète.

Au Xe congrès du Parti, Lénine avait dit ceci :

« Les circonstances dans lesquelles la lutte se déroule (on discutait la question syndicale, N.d.1.R. de la Pravda) présentent des dangers grandissants. Quelques camarades avec lesquels je discutais et auxquels j’ai dit, il y a quelques mois : prenez garde, je vois là une menace pour la domination de la classe ouvrière et la dictature du prolétariat, — liront répondu ceci : c’est un moyen d’intimidation. Vous cherchez à nous terroriser (Procès-verbal du congrès, page 17).

On dit à présent la même chose de notre C. C. qui dirige le Parti dans l’esprit de Lénine.

Il me paraît opportun de rappeler que le camarade Lénine, dans ses derniers articles, attira également notre attention sur le danger de scission en cherchant à nous le montrer sous tous ses aspects. Lénine voulait-il encore « terroriser le Parti ? » Accusation ridicule. Mais si ce danger existe réellement, s’il s’aggrave même, l’instance centrale du Parti peut-elle garder le silence ? Quel singulier Comité Central aurions-nous, s’il ne s’attachait pas à signaler ce danger ! Et ces vieilles accusations anachroniques valent- elles qu’on les réserve dans nos discussions actuelles ?

Contrairement au camarade Préobrajensky, qui affirme qu’il ne peut exister des groupes et des groupements ayant le caractère de fractions, que les groupements (ils sont, bien entendu tout à fait inoffensifs et n’ont rien à faire avec ce qu’on appelle une fraction), n’ont aucune hase sociale et que quiconque constaterait l’existence d’une telle hase, s’écarterait par là même du marxisme, contrairement à toutes ces affirmations « innocentes », le camarade Trotsky voit tout autrement la question. Il ne s’en cache point pour déclarer franchement qu’il y a des groupements qui tendent à se transformer en fractions et que les fractions constituent « dans nos conditions, le plus grand mal ». Le camarade Trotsky traite avec une grande franchise cette question et nous lui savons gré de son aveu sincère. Il pose nettement la question et ne s’adonne pas à l’alchimie de formules juridiques très en vogue parmi les représentants de l’opposition.

Cependant, Trotsky cherche à tirer de sa façon correcte d’envisager cette question « quelque avantage » pour sa fraction « non fractionniste ».

« On n’a — écrit-il — qu’à étudier avec soin l’histoire de notre Parti, du moins pendant la révolution, c’est-à-dire précisément à l’époque où la lutte de fractions prit un caractère particulièrement aigu et on se convaincra aisément que la lutte contre ce danger ne peut uniquement consister dans une condamnation formelle et l’interdiction de groupements ». A l’époque de Brest, toujours d’après Trotsky, on ne s’en tenait pas à une simple « interdiction ». Le Parti employait des méthodes compliquées : discussions, explications, contrôle par l’expérience politique, et acceptait provisoirement cet état de choses anormal et dangereux, qui résultait de l’existence d’une fraction organisée au sein du Parti. Au Xe Congrès, le Parti, par ses décisions dans les questions économiques, a « liquidé » l’opposition, etc. »

Très bien, camarade Trotsky.

Mais appliquez, s. v. p., les mêmes critériums à la situation actuelle :

1. Le camarade Trotsky convient lui-même de l’existence de groupements fractionnistes ou de groupements tendant à former des fractions. C’est le premier point à retenir.

2. Le Parti « liquide » l’esprit de fraction par la résolution sur la démocratie et la question économique.

C’est le deuxième point qu’il faut relever.

3. Le Parti applique, pour user des termes employés par le camarade Trotsky des « méthodes compliquées » : discussions, (est-ce qu’il n’y en a pas aujourd’hui ? ----- N.d.1.R de la Pravda), explications (est-ce qu’il n’y en a pas non plus ? — N. d. 1. R. de la Pravda), contrôle par l’expérience politique avec l’admission temporaire de groupements fractionnistes.

Formules excellentes, mais qui contredisent absolument le camarade Trotsky,

En même temps, elles donnent réponse au camarade Préobrajensky, qui ne se lasse pas de nous demander : si nous sommes une fraction, pourquoi n’en finissez-vous pas avec nous ? Pour l’unique raison que le C. C. suit le sage conseil du camarade Trotsky. « S’incliner temporairement » tout en déployant une grande activité en vue d’éclairer les adhérents.

Mais qu’on nous permette de poser une question : Ne faut-il pas, en éclairant le Parti, faire ressortir le fait que, comme le camarade Trotsky l’a dit lui-même, les fractions présentent un grave danger qui pourrait entraîner des conséquences fâcheuses pour le sort de la révolution ? A notre avis, il doit être répondu à celte question par l’affirmative. De l’avis du camarade Trotsky, dont les démonstrations logiques deviennent sur ce point peu convaincantes, c’est une tentative « d’intimidation ».

On ne s’y reconnaît plus.

L’exposé du camarade Trotsky n’est pas assez logique. Cela provient du fait qu’il défend, lui aussi, un point de vue fractionniste qui ne s’accorde, bien entendu, guère avec la constatation des dangers que recèlent les fractions.

Et voilà encore un petit défaut de logique chez Trotsky. Il accuse le C. C. de constituer luimême une fraction bureaucratique. En ce qui concerne les graves dangers du bureaucratisme pour un parti dirigeant, on peut se déclarer d’accord avec Trotsky.

Mais si le C. C. incarne ce bureaucratisme et s’il se trouve lui-même à la tète de la fraction bureaucratique, pourquoi ne pas s’en débarrasser ? Le pays ruiné, le programme trahi, la direction du Parti dégénérée en une bureaucratie — qu’est-ce qu’on attend alors pour chasser le C. C. ? Pourquoi ne recommande-t-on pas au Parti de recourir à cette mesure ? Est-ce ainsi qu’on veut le sauver ? Est-il possible qu’on adopte les résolutions, d’accord avec le C. C. ?

Là aussi il y a des lacunes dans l’exposé du camarade Trotsky.

Tout cela s’explique par le fait que le camarade Trotsky, lui-même, ne croit pas aux accusations qu’il porte au C. C., s’il y croyait, il ne manquerait pas d’en tirer franchement toutes les conclusions pratiques, ce qu’il ne fait pas. Pourquoi ? Parce qu’il veut ébranler l’organisation du Parti en y introduisant des fractions et en mettant à la place de la vieille garde léniniste des camarades qui feraient perdre au Parti son caractère bolchevik. Le Parti s’y est toujours opposé, et ne l’admettra pas aujourd’hui.

Tel est le résultat de l’examen de la première lettre sur la nouvelle orientation.

Le camarade Trotsky n’a fait que s’enliser plus profondément dans ses erreurs, aggraver les divergences, souligner son point de vue fractionniste.

En outre, il a touché à des questions qui ne se rapportent pas directement à la discussion actuelle, mais sont néanmoins assez importantes :

1. Trotsky, non-fractionniste, a fait des allusions à la faute commise par un groupe de vieux, bolcheviks, en octobre 1917. Il est d’un intérêt actuel de citer à ce sujet l’interprétation que Lénine donnait, en 1920, de ce fait. Lénine écrivait ceci :

« Immédiatement avant et après la révolution d’Octobre, nombre d’excellents communistes en Russie, ont commis une faute qu’on ne se rappelle pas volontiers chez nous. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas juste de rappeler sans une nécessite impérieuse, des fautes qui ont été réparées. Quelques semaines, et au plus tard quelques mois après, ces camarades reconnaissaient leur erreur et assumaient de nouveau la responsabilité des postes qui leur avaient été confiés dans le Parti ou l’administration soviétiste ».

Contrairement au conseil donné par Lénine, Trotsky se rappelle volontiers cet incident.

Pourquoi ? Parce qu’il y trouve avantage du point de vue fractionniste.

2. L’exemple cité par Trotsky, les divergences de vues qui se sont produites à Petrograd en

1921, est tout à fait déplacé. Il n’a pas existé de fractions. Les désaccords ont été aplanis conformément aux usages bolcheviks, par l’organisation compétente, en l’espèce le C. C. du Parti. Les deux parties aux prises ont, depuis longtemps, oublié leurs anciennes controverses.

3. « Contrairement à l’opinion de la rédaction de la Pravda écrit le camarade Trotsky — je ne suis pas d’avis qu’au moment même de la publication des thèses sur les questions économiques, le Parti perde le droit de continuer à discuter les questions relatives à son régime intérieur ». Cela veut dire, chez le camarade Trotsky : « Nous avons encore le temps de nous emporter ». Qu’est-ce que le camarade Trotsky aurait écrit s’il avait décidé de s’emporter dès maintenant ? Où, qui, comment a-t-on privé jusqu’ici quelqu’un d’un droit quelconque ? Laissez cela, camarade Trotsky ! Plus vous vous efforcez d’interpréter votre première lettre sur la nouvelle orientation, et plus vous dévoilez votre esprit fractionniste, réunissant ainsi 99 % de nos adhérents contre vos erreurs.

V. La stratégie du camarade Trotsky[modifier le wikicode]

Prophéties théoriques ou manœuvre fractionniste ?[modifier le wikicode]

Le long article « explicatif » du camarade Trotsky sur les « générations » et la « composition sociale » du Parti est une sorte d’interprétation juridique comme en font les Cours de justice. Ce que le camarade Trotsky, dans sa lettre aux assemblées locales, précisait avec une si grande netteté qu’il provoqua immédiatement chez les vieux militants un mouvement de protestation contre sa « ligue », disparait maintenant complètement dans une série de démonstrations générales d’un caractère plutôt théorique. Comme les idées qu’il y développe sont pour une grande part justes, il lui est plus facile de placer entre les lignes des épingles comme entourées d’ouate, qui sont destinées aux vieux cadres bolchévistes et surtout au Comité Central du Parti.

Aussi devons-nous avant tout rappeler la façon dont le camarade Trotsky a posé cette question dans la première des analyses qu’il a consacrée au problème des « vieux » et des « jeunes ».

En faisant allusion à une dégénérescence possible des « disciples directs de Lénine », le camarade Trotsky a écrit ce qui suit:

« L’histoire nous offre plus d’un cas de dégénérescence de ce genre. Prenons l’exemple le plus récent et le plus frappant: celui des chefs et des partis de la IIe Internationale. Wilhelm Liebknecht, Bebel, Singer, Victor Adler, Kautsky, Bernstein, Lafargue, Guesde étaient les disciples directs de Marx et d’Engels. Pourtant, dans l’atmosphère du parlementarisme et sous l’influence du développement automatique de l’appareil du parti et de l’appareil syndical, ces leaders, totalement ou partiellement, tournèrent à l’opportunisme. A la veille de la guerre, le formidable appareil de la social-démocratie, couvert de l’autorité de l’ancienne génération, était devenu le frein le plus puissant à la progression révolutionnaire. Et nous les « vieux », nous devons bien nous dire que notre génération, qui joue naturellement le rôle dirigeant dans le Parti, ne serait nullement prémunie contre l’affaiblissement de l’esprit révolutionnaire et prolétarien dans son sein, si le Parti tolérait le développement des méthodes bureaucratiques qui transforment la jeunesse en objet d’éducation et détachent inévitablement l’appareil de la masse, les anciens des jeunes. Contre ce danger indubitable, il n’est pour le Parti d’autre moyen que l’orientation vers la démocratie et l’afflux, toujours plus grand, des éléments ouvriers dans son sein. »

Le camarade Trotsky recommande à la « jeunesse », qu’il place au premier plan, de « conquérir en luttant les formules révolutionnaires », de se faire une « physionomie à elle » qui, évidemment, doit se distinguer de la « physionomie » de l’ensemble du Parti. Le camarade Trotsky, en faisant ces recommandations, n’a pas mentionné du tout les dangers qui guettent la jeunesse, n’a pas dit mot d’une dégénérescence possible de la jeunesse, n’a pas écrit une ligne sur ce que cette « physionomie » particulière pourrait bien se composer de traits étrangers au communisme. En un mot, le camarade Trotsky, usant d’une analogie historique, fait allusion à la dégénérescence possible des vieux cadres, et en premier lieu, du C. C. du Parti, en une bande de social-traîtres ; quant à la dégénérescence possible de la jeunesse il garde le silence, arme que savent également manier les polémistes.

La « signification de celle philosophie » a été claire pour tout le monde, même à ceux qui ne connaissent que par ouï dire les choses de la politique. Le camarade Trotsky a déclenché une attaque contre le C. C. et les vieux cadres du Parti et s’est efforcé de s’assurer l’appui de la jeunesse, tirant parti pour cela de toutes les propriétés bonnes et mauvaises de la jeunesse (parmi ces dernières on relève le manque d’expérience bolchévique).

A présent le camarade Trotsky fait de grands yeux étonnés à la vue de la « suspicion » et de la « suffisance des fonctionnaires » que manifestent, selon lui, de nombreux camarades qui ont évidemment mauvais goût et n’aiment pas — par surcroît, sans l’ombre d’une preuve — être comptés parmi les social-traîtres. Le camarade Trotsky présente les choses comme s’il s’agissait d’analyser une éventualité théoriquement possible, un processus qui « se développe » presque ii notre insu et de tirer à ce sujet un horoscope théorique « marxiste », etc., etc.

Nous devons ici protester avec énergie. On peut examiner à l’aise n’importe quel problème théorique, traiter toutes questions relatives au Parti, au Pouvoir soviétiste, au C. C. et à n’importe quelle organisation ou personne. Certains camarades ont traité ces questions longtemps avant les discussions actuelles. Le camarade Trotsky, cependant, ne tient pas une conférence à l’Académie Socialiste, mais s’adresse par-dessus la tête du C. C., et cela à l’époque où le Parti est en proie à des discussions furieuses, aux assemblées qui prennent part à ces discussions. Et voilà tout l’essentiel de cette question.

Lénine déclarait au Xe Congrès, au sujet de certaines actions de l’opposition :

« Ne vous apercevez-vous pas de la différence qui existe entre la propagande d’idées à l’intérieur de partis politiques combattant et une discussion dans des publications scientifiques ou des brochures ? Si quelqu’un s’intéresse aux moindres détails des œuvres d’Engels, nous ne pourrons que lui en savoir gré. Des théoriciens peuvent toujours donner au Parti un conseil moral. Ils sont même indispensables. Mais qu’y a-t-il de commun entre leur travail et la lui te des plates-formes? Peut-on confondre ces deux choses ? Personne de ceux qui s’attachent à bien comprendre notre situation politique, ne les confondra » (Procès-verbal du Congrès, page 284).

Trotsky, néanmoins, — peut-être parce qu’il ne désire pas « bien comprendre notre situation politique » — s’efforce — en vain — de confondre ces deux choses. Personne n’eût adressé au camarade Trotsky le moindre blâme s’il s’était seulement occupé de démontrer que nous sommes en présence d’une action politique très accentuée et qui se base sur des plates-formes bien déterminées. Cette action consiste en une attaque contre le Comité Central contre lequel on porte des accusations très graves, les plus graves mêmes qui puissent être reprochées au Comité Central d’un parti révolutionnaire et où, par surcroît, apparaît clairement le désir du camarade Trotsky de se servir de la jeunesse qui ne possède pas encore d’expériences politiques suffisantes. C’est en ce sens qu’il faut apprécier le plan stratégique de Trotsky.

VI. Le rôle historique du « cours nouveau »[modifier le wikicode]

Le camarade Trotsky et les représentants de l’opposition actuelle aiment à présenter les choses comme si nous étions â la veille d’une nouvelle époque, à laquelle correspondrait le « cours nouveau ». Le cours nouveau est celui de l’époque nouvelle, — on peut ainsi formuler concisément la thèse fondamentale de Trotsky et de toute la fraction « non-fractionniste », Appréciation qui sert, évidemment, à donner plus de force à la formule du cours nouveau et, d’autre part, à démontrer la myopie ou la cécité des partisans du C. C.

Cependant, vu l’essence même de la question, cette interprétation est complètement fausse. Elle n’aurait un sens que si nous acceptions comme, juste un bilan de la situation internationale qui prendrait l’échec de la révolution prolétarienne pour un fait accompli, en d’autres termes, si nous assumions le rôle de liquidateurs opportunistes de cette révolution. De deux choses l’une: ou les mots « époque », « période », etc., ne sont chez le camarade Trotsky et ses partisans que des exagérations usuelles à la façon de cette fameuse « atmosphère de production » qui a fait l’objet de railleries du camarade Lénine, et, en ce cas, l’interprétation qu’ils donnent à la question est dépourvue d’un caractère sérieux. Ou bien ces mots ont été prononcés avec une intention sérieuse et, dans ce cas, ils doivent avoir pour base une « révision » opportuniste « de toutes les valeurs », la révision de nos conceptions de la marche de la révolution internationale.

Pour garder notre objectivité et contribuer à ce que la lumière se fasse dans notre dispute, il convient de remarquer que, peu de jours avant la discussion, le camarade Trotsky, lui-même, avait déclaré plusieurs fois que s’il s’agissait d’une « époque » nouvelle on ne pourrait entendre par là autre chose que ceci : nous étions à la veille d’une trêve que nous emploierions à nettoyer nos fusils et à cirer nos bottes. Si le camarade Trotsky persiste à considérer de cette façon les choses — et nous sommes convaincus qu’il apprécie encore aujourd’hui la situation du même point de vue — toute prétention de présenter l’accalmie actuelle comme faisant « époque » est absolument injustifiée. Trotsky n’a eu recours à cette exagération, que pour mieux souligner, conformément à son point de vue fractionniste, l’esprit « borné » des orthodoxes du Parti. Des méthodes pareilles ne font que jeter de la confusion dans le Parti et non l’aider à comprendre l’état de choses actuel. Dans l’intérêt de ses buts de fraction, Trotsky renonce à une analyse objective pourtant indispensable aux marxistes.

Au point de vue de la politique révolutionnaire, on ne doit jamais promettre ce qui paraît dès le premier moment inexécutable. On ne doit jamais pour augmenter ses chances induire en erreur le Parti dans des questions fondamentales. On ne doit jamais taire les difficultés qui s’élèvent sur notre chemin.

S’il ne s’agit que d’une trêve, bien que d’une durée relativement longue, il ne peut être question d’une « période » et moins encore d’une « époque » (Préobrajensky). Pendant des actions de combat, le « cours nouveau » doit être fatalement rétréci. Personne, à l’exception de ces « démocrates vulgaires » dont parle le camarade Trotsky (à ce propos quels sont ces démocrates ? Serait-ce vraiment Sapronov lui-même ?) personne ne contestera que dans une période de luttes nous devons renoncer aux discussions et à bien des choses encore.

Mais tout cela n’est pas de nature à servir d’argument contre le cours nouveau. Précisément parce que nous n’avons qu’une trêve il faut que nous profitions avec la plus grande intensité de cc laps de temps, qui n’est ni « époque », ni « période », mais une trêve et rien de plus.

Nous ne nous attendons pas à des dizaines d’années de travail pacifique de reconstruction et d’éducation: nous sommes au seuil d’une « période », d’une « époque » de « batailles de peuples et de guerres civiles » (Marx). Nous n’avons maintenant qu’une trêve : Voulons-nous l’employer, avec toute l’énergie propre aux communistes, à nous préparer à la lutte, les heures de cette trêve étant peut-être comptées ? Voilà comment un marxiste bolchéviste et révolutionnaire doit poser la question. v

En la posant de la sorte nous pouvons assigner au cours nouveau îa place historique qui lui revient. Cela mettra fin chez nous aux cris de « l’époque », de « fétichisme organisé », d’ « illusions démocratiques » et aux conceptions fausses du caractère de notre avenir. Seul un « démocrate vulgaire » pourrait mettre en doute la justesse de ces affirmations. Malheureusement, nous ne découvrons pas chez le camarade Trotsky la moindre trace de cette interprétation. Là aussi son « zèle d’homme de fraction » lui rend de « très mauvais services ».

Tout le inonde convient de ce que le cours nouveau est inévitable. Vouloir répéter sans cesse les arguments qui prouvent ce caractère fatal du cours nouveau, c’est s’attaquer à une porte ouverte. Le Parti doit profiter de cette trêve pour porter plus près de lui les réserves dont il dispose, pour accroître son activité politique, son indépendance, son initiative et sa culture politique et élever au plus haut grade la conscience, la discipline et l’unité dans ses rangs. Si nous accomplissons ces devoirs modestes, calculés pour la durée d’une trêve — et nous les accomplirons, nous en sommes sûrs — nous pourrons apporter dans la nouvelle lutte future tous les résultats du travail fécond dont aura été fait le « cours ancien ». Le travail fondamental dans ce domaine ne consiste pas à vouloir priver, à la manière du camarade Trotsky, le parti bolchevik de son caractère bolchévik, mais à compléter, à force de discussions, d’explications et sous le contrôle de l’expérience politique, etc., « l’éducation bolchéviste » des jeunes réserves du Parti qui s’éveillent à la vie active dans le Parti et la politique.

Il n’y a pas de mal qui n’ait son bon côté. En entendant expliquer les fautes du camarade Trotsky, les adhérents nouveaux du Parti apprendront ce que c’est que le bolchevisme.

VII. Les étapes fondamentales du développement de notre Parti[modifier le wikicode]

Le camarade Trotsky, après avoir précisé à sa manière le rôle historique du cours nouveau, jette un coup d’œil sur l’histoire de notre Parti.

Il la divise en quatre périodes d’après le schéma suivant:

a) Période sans précédents dans l’histoire, qui dure 25 ans, de préparation à la révolution d’Octobre.

b) Octobre.

c) La période après Octobre.

d) Le « cours nouveau » c’est-à-dire la période qui vient de commencer.

Cette représentation « schématique » de notre histoire fait réapparaître le penchant à l’exagération que nous avons rencontré dans l’interprétation du « cours nouveau ». Si les conclusions que le camarade Trotsky dégageait de la signification de la trêve pendant laquelle « on nettoie les fusils et cire les bottes », sont justes (conclusions qu’il oublie à présent), un schéma qui place la période actuelle du cours nouveau à côté de la période de 25 ans de préparation d’avant Octobre, est absolument inadmissible

Même dans le schéma, nous découvrons le « plan stratégique » du camarade Trotsky. À quoi veut-il aboutir ?

La période d’avant Octobre, n’est, d’après lui, que de préparation. Octobre, lui-même, est « l’épreuve du grand passé du Parti » et la période après Octobre, la dictature réelle des vieux cadres, le reste du Parti étant astreint à une obéissance passive. Ce n’est que par la « période nouvelle » dont les représentants de l’opposition, avec le camarade Trotsky à la tête, se considèrent à tort comme les parrains, que commence l’histoire proprement dite d’un Parti comptant un demi-million d’adhérents qui « a, la première fois, exprimé consciemment les sentiments collectifs de plusieurs millions d’hommes ». Voilà donc tout le passé du Parti, jusqu’à la publication des manifestes de l’opposition, réduit à servir de « préhistoire » à la véritable histoire qui commence avec l’inauguration du cours nouveau.

Acceptons-le sans broncher. Assurément, il est fort agréable de se considérer comme le véritable fondateur de l’histoire du Parti, et de se poser simultanément en accusateur sévère des vieux cadres. Malheureusement, cette philosophie de l’histoire du Parti ne correspond pas du tout aux faits objectifs. Ce n’est qu’un reflet déformé de la marche des événements dans le miroir de la fraction « non fractionniste ».

En sous-estimant le rôle du passé, on arrive fatalement à sous-estimer les vieux cadrest la vieille direction, la vieille tradition léniniste. C’est le sens de ces schématisations de l’histoire de notre Parti.

Certes, le camarade Trotsky parle en passant de « l’histoire glorieuse » du Parti, de la préparation « sans précédents » dans l’histoire. Cependant, il n’observe pas la ligne que le Parti s’est tracée au cours de cette préparation, où il s’est prémuni contre toutes sortes d’opportunisme, d’hésitations et de demi-mesures opportunistes.

Comparez ces lignes à ce que le camarade Lénine a écrit à ce sujet dans son livre génial de tacticien sur « La maladie infantile du communisme ». Nous y lisons notamment :

« L’expérience de la dictature prolétarienne victorieuse en Russie, a prouvé à l’évidence que la centralisation absolue et la discipline du prolétariat est une des conditions fondamentales de la victoire sur la bourgeoisie.

« On s’en occupe aujourd’hui, sans toutefois réfléchir autant qu’il faudrait aux conditions qui permettent de les réaliser. Les manifestes adressés au Pouvoir soviétiste et aux bolcheviks en manière de congratulations, ne pourraient-ils pas être accompagnés plus souvent d’une plus sérieuse analyse des raisons qui ont permis aux bolchévistes de donner au prolétariat révolutionnaire la discipline indispensable ? »

Et plus loin :

« Le bolchévisme existe en tant que courant de pensée politique et parti politique depuis 1903. Seule, l’histoire du bolchévisme pendant tout l’ensemble (souligné par le camarade Lénine) sa durée peut expliquer d’une façon satisfaisante pourquoi il a réussi à établir la discipline indispensable à la victoire du prolétariat et à garder cette discipline dans les conditions les plus difficiles ».

Toute la question est là. Il faut précisément examiner plus souvent la période de préparation. Il faut analyser avec le plus grand soin le passé et étudier le bolchevisme pendant tout son passé. C’est tout autre chose que chez le camarade Trotsky.

Lénine distingue également des «périodes ». Dans le même ouvrage sur la « maladie infantile », nous trouvons tout un chapitre intitulé Les Etapes principales de l’histoire du bolchévisme. Lénine critique sept étapes, qui sont les années de préparation à la révolution (1903-1905) ; les années de révolution (1905 — 1907) les années de réaction (1907—1910) ; les années d’essor (1910 — 1914) ; la première guerre impérialiste mondiale (1914 — 1917); la deuxième révolution (de février à octobre); la révolution d’Octobre et la période de dictature prolétarienne. Lénine, dans cet ouvrage, n’a pas eu l’intention de donner une analyse approfondie des étapes qui suivirent la révolution d’Octobre. Mais lisez ce qu’il écrit de la première période (1903-1905).

« Toutes les questions qui, dans les années 1905-1907 et 1907-1920, donnèrent lieu aux luttes armées des masses, se retrouvent en germe dans la presse de cette époque où elles peuvent et doivent être étudiées ».

En général, Lénine en arrive à la conclusion que même les questions ayant trait à la vie intérieure du Parti (en ce qui concerne par exemple les « chefs », les formes de l’organisation, etc.,) ne peuvent être bien comprises sans une analyse de la période antérieure. A la question : « Quels étaient nos ennemis au sein même de la classe ouvrière et contre lesquels dut combattre le bolchevisme, dans de longues luttes qui le formèrent, le renforcèrent et le trempèrent ? », Lénine donne la réponse suivante :

« L’action nous mit, en premier lieu et surtout, aux prises avec l’opportunisme et en second lieu avec lu conception petite-bourgeoise de la révolution ».

Lénine cite encore un exemple de l’histoire des luttes du bolchévisme, exemple très instructif et qui vaut qu’on le médite à l’heure où nous sommes :

« Les attaques contre la « dictature des chefs » n’ont jamais manqué dans notre Parti. Je me souviens des premières qui se produisirent en 1895... Au IXe Congrès de notre Parti (avril 1920) nous vîmes également paraître un petit groupe d’opposition qui s’attaqua à la « dictature des chefs », à l’oligarchie, etc. »

Lénine qui à cette époque ne prenait pas la chose au tragique, condamna toutefois, du point de vue du bolchévisme qui s’était « affermi » dans la lutte contre les hésitations opportunistes, ces tendances petites-bourgeoises.

Que le camarade Trotsky nous pardonne, si, suivant l’exemple de Lénine, nous découvrons dans ses vues actuelles des récidives d’idées depuis longtemps oubliées, qu’il a défendues autrefois et qui contiennent ces éléments de « pensée politique » contre lesquels précisément s’est dirigée l’action qui a « formé et affermi le bolchévisme ».

Mais revenons au schéma du camarade Trotsky. Ecartons les périodes d’avant Octobre et d’Octobre et ne nous occupons que de la caractéristique que donne le camarade Trotsky de la « période d’après Octobre » qui précède immédiatement le « cours nouveau ». Le camarade Trotsky en dit :

« Après la prise du pouvoir commence l’accroissement rapide ut même le grossissement malsain du Parti. Il attire, comme un puissant aimant, non seulement les éléments peu conscients des masses laborieuses, mais aussi des éléments visiblement étrangers : arrivistes, gens désireux de faire une carrière, perpétuels suiveurs du courant politique dominant. Dans cette période extrêmement chaotique, le Parti ne conserve son caractère bolchévik que grâce à la dictature intérieure de la vieille garde qui s’était révisée en octobre. Dans des questions de principe tant soit peu importantes, les nouveaux membres du Parti, et non seulement ceux d’origine prolétarienne, mais encore les éléments étrangers la classe ouvrière, acceptaient docilement la direction de l’ancienne génération ».

Cette caractéristique est-elle juste? A notre avis ce n’est pas le cas. Il en ressortirait que dans la période d’après Octobre, seuls les « vieux cadres » eurent le commandement et le nombre des nouveaux venus ‘ placés à un poste dirigeant du Parti ou des Soviets aurait été presque nul: c’est évidemment une exagération dangereuse et complètement fausse.

Des affirmations du camarade Trotsky ressortirait en effet que le Parti et ses centres dirigeants non seulement ne savaient pas comment faire participer la nouvelle génération du Parti au travail politique et économique, mais qu’ils n’ont même rien entrepris qui les rapprochât de ce but. Est-ce vrai ? Peut-on présenter de la sorte les choses et donner cette caractéristique de l’histoire de notre Parti ? S’il en était ainsi, si les « vieux cadres » s’étaient en fait séparés

par un mur de Chine des jeunes membres de nos organisations, si ces jeunes adhérents n’avaient été formés d’aucune façon à l’activité dans le Parti, alors, permettez-nous de le dire, camarade Trotsky, nous aurions été depuis longtemps anéantis par nos ennemis. Mais, nous fîmes appel au concours d’un grand nombre des nouveaux adhérents, en leur confiant des

Le camarade Lénine affirmait encore au congrès :

« Si l’on parle d’une méfiance qui existerait dans nos milieux envers la classe ouvrière actuelle, méfiance qui se traduirait par le fait que nous n’admettons aucun ouvrier aux postes dirigeants, c’est absolument faux. Nous choisissons très volontiers des administrateurs parmi les ouvriers et si nous trouvons des camarades pouvant faire en quelque sorte figure de fonctionnaires dirigeants nous les mettons volontiers à l’essai. J’ai déjà dit que l’affirmation qui prétendrait le contraire ne correspondrait pas à la vérité. Nous manquons des forces ayant les qualités requises, ce qui fait que nous sommes toujours prêts à accepter le moindre service d’un homme tant soit peu utile, pour ne pas parler des ouvriers dont l’appui nous est trois fois plus désirable »

Le « vieux » a-t-il simplement « menti », ou bien est-ce le camarade Trotsky qui n’a pas dit vrai ?

A notre avis, Trotsky a, cette fois encore, exagéré. On pourrait compter les adhérents d’après Octobre qui occupent des postes dirigeants dans l’armée, la vie économique, l’administration de l’Etat et l’appareil du Parti. Le chiffre qui en résulterait ne serait pas si minime que d’aucuns le croient. Le camarade Trotsky mêle à celle-ci une autre question qui peut se résumer ainsi : Pendant la période de guerre civile et plus tard, pendant celle du grand changement d’orientation économique, lorsque les forces disponibles du Parti, les vieux aussi bien que les jeunes, furent dirigées sur le front économique, la vie spécifique du Parti s’est rétrécie, son centre de gravité ayant été reporté sur les « travaux pratiques ». Mais cette mesure, nous le répétons, concernait tous les membres du Parti. C’est, nous en convenons, une question très sérieuse, mais qui ne concerne pas, pour le moment, l’objet de notre discussion.

Le camarade Trotsky a donc bien exagéré et est allé plus loin qu’il ne fallait. Mais ses exagérations mêmes sont symptomatiques de la stratégie fractionniste dont il use. Cette stratégie vise à mettre en relief les principes du « cours nouveau », dont on veut faire une époque, et à élargir le fossé entre les vieux cadres et les jeunes, en faisant en même temps ressortir ce qu’il y a de « suranné » dans les vieux cadres. Là encore nous pouvons observer l’exécution logique de l’ancien « plan » fractionnel,

VIII. Les « vieux » et le « cours nouveau »[modifier le wikicode]

La « trêve » dont nous bénéficions actuellement et qui est une condition objective et une garantie de ce que le « cours nouveau » peut être pleinement réalisé par le Parti, est bien une trêve à deux points de vue. D’abord nous jouissons des « avantages de la paix ». D’autre part, nous sommes à même de consacrer une plus grande attention à vivifier la vie intérieure du Parti, car nous avons déjà constitué, en règle générale, les cadres qui nous sont nécessaires de spécialistes économistes et d’administrateurs. Le Parti a maintenant, contrairement au passé, des loisirs. Il doit en profiter pour intensifier sa vie, en renforçant au plus haut point l’activité des adhérents sur toute l’échelle du Parti, à quelque génération qu’ils appartiennent, qu’ils soient « vieux » ou « jeunes » et dans ce dernier cas à plus forte raison encore, Nous devons sans aucun doute — et nulle divergence de vues n’est possible à cet égard — nous efforcer pendant le cours nouveau d’élever le plus possible l’activité politique et intellectuelle de tous nos membres : nous ne pouvons le faire qu’en usant, dans le Parti, des méthodes de la démocratie. C’est clair, et nous l’affirmons, ce n’est pas du tout cette question qui a provoqué la discussion. Il s’agit de savoir par quel moyen le Parti doit être rénové. Est-ce en rapprochant idéologiquement les jeunes adhérents du Parti et en les y assimilant, à l’aide des vieux cadres ? Est-ce en créant un parti neuf où des jeunes militants qui ne sont pas encore assez fermes au point de vue bolchéviste, guidés par des militants qui s’écartent du léninisme, essaieront de transformer à leur instar, c’est-à-dire autrement que sur le modèle que nous offre Lénine, les cadres fondamentaux du bolchévisme ?

Toute la question se ramène à cette alternative.

Le camarade Trotsky, qui présente toute l’histoire du Parti comme une préparation au cours nouveau, renverse les rôles en ce qui concerne les rapports réciproques des générations du Parti. Pour lui, ce n’est pas la vieille garde qui doit guider les jeunes, mais au contraire, ce sont les jeunes qui doivent prendre sur eux de conduire les vieux bolcheviks. Et comme le camarade Trotsky est d’avis que de tous les « vieux » c’est lui seul qui sait ce qui est juste, il résulte que la vieille garde doit être rééduquée par les soins du camarade Trotsky — exempt, bien entendu, de tout « esprit de fraction » et de « coterie » — avec le concours de jeunes camarades énergiques.

C’est évidemment un point de vue démagogique passablement éloigné du léninisme.

Trotsky, en datant l’histoire du Parti du début du « cours nouveau », répète une de ses anciennes erreurs.

Relisons ce qu’il écrivait en 1914, dans le journal Borba (La Lutte) édité par ses soins à Vienne:

« La social-démocratie d’avant la révolution n’était chez nous un parti ouvrier qu’en raison de ses idées et de ses buts. En réalité elle constituait une organisation d’intellectuels marxistes, guidant la classe ouvrière réveillée ».

Lénine s’en prit alors au camarade Trotsky avec toute la vigueur de sa puissante logique.

Trotsky se refait à présent la même opinion et déclare que le Parti, avec son demi-million d’adhérents, ne fait que se former ; l’appareil du Parti assumait seul auparavant le commandement et mettait au pas les militants tenus à un obéissance passive.

Le bolchévisme s’est toujours distingué du démocratisme de forme des menchéviks parce qu’il voyait — et il les voit encore — les situations réelles à l’intérieur du Parti. Il ne dissimule pas devant le Parti et la classe ouvrière que le Parti est conduit pas des chefs qui dirigent en premier lieu les membres les plus avancés du Parti, que ces derniers, à leur tour, sont les guides reconnus des éléments du Parti qui leur sont proches par le degré de conscience de classe auquel ils ont atteint et leurs expériences, etc. Le Parti forme comme une chaîne dans laquelle chaque membre est lié à d’autres. Son principe d’organisation consiste en ce que les éléments conscients conduisent les moins conscients et que ces derniers deviennent de plus en plus conscients et actifs. C’est ce mécanisme intérieur qui est le vrai démocratisme. Le démocratisme non bolchévik évite d’en parler parce qu’il ne tient pas ce système pour démocratique. Il préfère donner le change aux ouvriers en dissimulant devant eux la vérité, en obscurcissant tout par des phrases sonores sur l’ « autodétermination du Parti » et en poussant des hauts cris contre les chefs. Est-ce que ce démocratisme nous apprend quelque chose de mieux ? Non, il s’adapte au pire.

C’est pourquoi, à présent que ces chances de développement de la masse du Parti sont extrêmement favorables, nous n’éprouvons pas, à déclarer ceci, la moindre crainte :

La vieille garde du bolchevisme est le fonds le plus précieux de notre Parti. Aussi est-ce à elle de guider la jeunesse. Certes elle ne vaudrait pas un liard si elle s’enfermait en elle-même, si elle ne comprenait pas le devoir de faire participer les jeunes aux travaux actifs du Parti, si elle se refusait à accepter la collaboration de la jeunesse. Autant vaudraient d’ailleurs les « vieux » qui s’appliqueraient à flatter la jeunesse, sans lui montrer ses faiblesses.

C’est à notre avis la juste solution du problème de l’ancien et du nouveau cours.

Et comment le camarade Trotsky présente-t-il les choses ? Tout bonnement à rebours. N’entreprend-il pas une campagne contre les « vieux » ? Comment s’y prend-il pour réussir ce salto mortale (saut périlleux) qui paraît être son but ?

Il emploie plusieurs trucs.

1er truc : Le C. C. et les vieux cadres ont amené le pays aux abîmes.

Point n’est besoin de relever tout ce qu’il y a d’erroné dans cet argument.

Un enfant y reconnaîtrait à première vue le « canard ».

2me truc : Les vieux cadres sont menacés du sort des social-traîtres.

Nous nous sommes déjà quelque peu occupés de ce truc. Quelques remarques supplémentaires s’imposent néanmoins. Les « élèves de Marx. » n’ont pas dégénéré parce que — comme le camarade Trotsky voudrait le faire croire — l’appareil du Parti social-démocrate s’est accru. Leur dégénérescence commence lorsque les Etats inaugurent une politique impérialiste, jetant aux ouvriers des aumônes aux dépens des colonies dévastées, corrompant ainsi la classe ouvrière et surtout son aristocratie, les intéressant à la politique de rapts coloniaux de l’Etat bourgeois. Dans [Sans ?] ces faits économiques fondamentaux il n’y aurait pas de développement de la trahison du socialisme. La cause de la dégénérescence de l’appareil ne réside pas dans le fait qu’il est démesurément étendu. La dégénérescence est ici, la conséquence du processus économique dont nous venons de parler.

Le camarade Trotsky affirme:

« ...Dans son développement graduel, la bureaucratisation menace de détacher les dirigeants de la masse, de les amener à concentrer leur attention uniquement sur les questions d’administration, de nominations, de rétrécir leur horizon, d’affaiblir leur sens révolutionna ire, c’est-à-dire de provoquer une dégénérescence plus ou moins opportuniste de la vieille garde, ou tout au moins d’une partie considérable de cette dernière. Ces processus se développent lentement et presque insensiblement, mais se révèlent brusquement. Pour voir dans cet avertissement, basé sur la prévision marxiste objective, un « outrage », un « attentat », etc., il faut vraiment la susceptibilité ombrageuse et la morgue des bureaucrates ».

Tout n’est pas juste là aussi.

Que les processus de dégénérescence opportuniste se développent lentement, ce n’est pas à nier. Mais qu’ils se développent presque à notre insu, c’est dit un peu trop hâtivement. Ne pourraiton pas observer la déformation du marxisme par Bernstein et les « jeunes » (!) réformistes. Le révisionnisme s’est-il développé invisiblement et sans avoir été remarqué ? N’est-ce pas la dégénérescence de Kautsky qui fit surgir les « radicaux de gauche » d’alors, dont devaient naître les communistes d’à présent ? La dégénérescence du parti social-démocrate allemand allait de pair avec celle de son idéologie et de sa politique, celle-ci évoluant dans le sens de l’opportunisme.

Si le camarade Trotsky prenait au sérieux ses propres accusations, il montrerait dans la politique de notre Parti, ce qu’il voit de déviation opportuniste ? Où ? Quelle énormité que de supposer que c’est d’abord l’ensemble de l’« appareil » qui dégénère sans que ce processus de dégénérescence atteigne la pureté révolutionnaire virginale de la politique du Parti et que ce ne soit que plus tard, après la complète dégénérescence de l’appareil, que commence la trahison politique ! Les deux processus doivent fatalement se développer simultanément. Mais où peut- on trouver chez nous des déviations opportunistes ? Peut-être dans les décisions prises en prévision d’une révolution allemande ? Où, quand le Parti et ses organes dirigeants se sont-ils écartés de leur ligne de conduite marxiste révolutionnaire ? C’est en vain que nous demandons au camarade Trotsky des réponses à cette question. Car on n’aperçoit chez nous rien de pareil. Mais alors, il est clair que l’argumentation du camarade Trotsky ne contient que des sophismes.

Théoriquement, le danger d’une dégénérescence future chez nous n’est pas niable. Il peut naître de la victoire éventuelle et qui se préparerait constamment et lentement, de l’économie capitaliste sur l’économie socialiste isolée et d’une « fusion » lente et également éventuelle de nos cadres économiques et administratifs avec la nouvelle bourgeoisie. Mais tout le monde chez nous voit bien ce danger. L’ensemble du Parti et notre vieille garde formée dans la lutte contre l’opportunisme le combattent obstinément. Nous ne connaissons pas un seul camarade en vue auquel on puisse reprocher une déviation dans cette lutte au plus haut point indispensable. Les décisions prises au sujet des événements d’Allemagne peuvent convaincre tout le monde que la direction du Parti est prêle à risquer toutes les conquêtes de la révolution russe dans l’intérêt de la révolution prolétarienne internationale, ceci bien entendu dans les limites déterminées par l’utilité. On voit par là dans quelle mesure s’est « emporté » lê camarade Trotsky qui persiste invinciblement dans ses efîorts agressifs contre la vieille garde bolchevique.

Pour conclure, disons quelques mots du truc N° 3.

Trotsky s’attache à démontrer qu’il n’y a personne parmi les « vieux », mais personne, qui soit convaincu de la nécessité inéluctable du « cours nouveau ». Il écrit ceci :

« Comme il arrive fréquemment dans l’histoire, c’est pendant ces derniers mois précisément que l’appareil manifesta ses traits les plus négatifs et les plus intolérables : isolement de la masse, suffisance bureaucratique, dédain complet de l’état d’esprit, des pensées et des besoins du Parti. Imprégné de bureaucratisme, il repoussa dès le début, avec une violence hostile» les tentatives de mettre à Tordre du jour la question de la révision critique du régime intérieur du Parti. Cela n’est pas dire, certes, qu’il se compose uniquement d’éléments bureaucratises, ni à plus forte raison de bureaucrates avérés et incorrigibles. La période critique actuelle, dont ils s’assimileront le sens, apprendra beaucoup à la majorité de ses membres et les fera renoncer à la plupart de leurs erreurs ».

Ainsi ces hommes ne pourraient rien apprendre qu’après les sévères examens des périodes critiques... Ceci pour l’avenir. Et maintenant au début ? Il semble d’après ce que nous venons d’entendre que les «vieux » ne sachent présentement rien. Qui les instruira ? La « jeunesse » qui se chargera de leur éducation. Elle sera guidée par un « vieux », qui, lui, n’est pas — pour dire vrai — entièrement formé à l’école de Lénine, bref : par le camarade Trotsky.

C’est parfait, quoique les arguments de Trotsky se trouvent, dans ce cas encore, quelque peu opposés à la vérité. Car malgré tout cela, le camarade Trotsky ne saurait mettre en doute les faits dont nous avons parlé plus haut. Le C. C. du Parti a déterminé une ligne de conduite relativement au cours nouveau. Il s’y tiendra fermement. Les vieux cadres du Parti lui prêteront leur concours et quiconque tentera d’entraver les efforts du C. C. sera considéré comme contrevenant à la discipline et tenu pour responsable devant l’ensemble du Parti.

IX. La jeunesse et le « cours nouveau »[modifier le wikicode]

Dans sa première lettre sur le « cours nouveau », le camarade Trotsky n’envisagea que la possibilité de la dégénérescence de la « vieille garde ». Dans l’exposé « explicatif » il donne quelques précisions au sujet de son « schéma » initial manifestement employé dans un but de stratégie. Il écrit ce qui suit :

« Le danger capital de l’ancien cours, résultat de causes historiques générales, ainsi que de nos fautes particulières, est que l’appareil manifeste une tendance progressive à opposer quelques milliers de camarades formant les cadres dirigeants au reste de la masse qui n’est, pour eux, qu’un objet d’action* Si ce régime persistait, il menacerait de provoquer, à la longue, une dégénérescence du Parti à ses deux pôles, c’est-à-dire parmi les jeunes et parmi les cadres. En ce qui concerne la base prolétarienne du Parti, les cellules d’usines, les étudiants, etc., le péril est clair. Ne se sentant “pas participer activement au travail général du Parti et ne voyant pas leurs aspirations satisfaites, de nombreux communistes chercheraient un surcroît d’activité sous forme de groupements et de fractions de toute sorte. C’est dans ce sens précisément que nous parlons de l’importance symptomatique de groupements comme le « Groupe Ouvrier ».

Un autre passage dit ceci :

« La jeunesse, comme nous l’avons vu, réagit d’une façon particulièrement vigoureuse contre le bureaucratisme. Aussi Lénine proposait-il, pour combattre le bureaucratisme, de faire largement appel aux étudiants. Par sa composition sociale et ses liaisons, la jeunesse des écoles reflète les groupes sociaux de notre Parti ainsi que leur état d’esprit. Sa sensibilité et sa fougue la portent à donner immédiatement une forme active à cet état d’esprit. Comme elle étudie, elle s’efforce d’expliquer et de généraliser. Ce n’est pas à dire que tous ses actes et états d’esprit, reflètent des tendances saines. S’il en était ainsi, cela signifierait — ce qui n’est pas le cas — ou que tout va bien dans le Parti ou que la jeunesse n’est plus le reflet du Parti ».

C’est tout. Par conséquent la question aurait deux aspects. Le premier concerne la mise à l’écart de la jeunesse par l’appareil du Parti, le second les phénomènes malsains de la vie du Parti qui se reflètent dans la jeunesse et qui, de l’avis du camarade Trotsky, sont également imputables à l’appareil du Parti : La question paraît donc tranchée, car « tout le mal vient de l’appareil ». Ici nous devons tout de suite formuler des réserves. Tant que la mise à l’écart de la jeunesse par l’appareil est un fait constatable, le camarade Trotsky a raison.

Mais il ne dit là rien d’original, puisque la résolution du C. C. a également traité de cette question.

L’erreur du camarade Trotsky consiste en ce qu’il ne se donne pas la peine de soumettre à une analyse les tendances inhérentes au développement de la jeunesse; qu’il ne voit pas ou ne veut pas voir les traits caractéristiques à la jeunesse et les dangers qui la guettent.

Il faudrait être fou pour se dresser contre la jeunesse. Mais attirer son attention sur les dangers qui découlent de son existence actuelle est un devoir auquel ne sauraient se soustraire les dirigeants du Parti.

Ce qui nous étonne le plus, c’est que le camarade Trotsky ait pu oublier, au cours de la discussion, les discours qu’il avait prononcés en des occasions précédentes. Au XIe Congrès, par exemple, le camarade Trotsky tenait ce langage (Compte rendu, pages 119-120) :

« L’enseignement de nos expériences à la jeunesse du Parti, en vue de la préparer à la vie politique, est une tâche extrêmement complexe qui pourrait s’accomplir dans une très large mesure par l’emploi de méthodes pédagogiques. N’oublions pas que la jeunesse ne possède pas à présent cette expérience de la lutte des classes par laquelle pendant la période précédente, c’est-àdire en régime bourgeois, le Parti fut créé et fortifié. La jeunesse se réveille et vit dans les conditions élastiques où se poursuit l’œuvre de construction de l’économie socialiste future. Ajoutez-y les complications de la Nep et d’autres complications encore. L’ouvrier ne sait pas comment et contre qui exprimer son mécontentement. Dans le cas de nos jeunes ouvriers nous ne voyons pas chez eux une base solide faite d’expérience de classe. Comment remédier à cet état de chose? L’emploi de je ne sais quelle recette ne servirait évidemment à rien. L’unique moyen d’aider la jeunesse c’est d’élever son niveau d’éducation théorique dans un esprit marxiste, dans un esprit matérialiste. C’est la tâche la plus importante du Parti ».

A cette époque, le camarade Trotsky voyait clairement les faiblesses des jeunes communistes, il les passe maintenant sous silence.

A cette époque encore le camarade Trotsky surestimait le rôle des méthodes pédagogiques; aujourd’hui il proteste contre ces méthodes qu’il qualifie de « pédantesques », de « jeu à l’éducation », etc. « La vieille génération — déclare-t-il — en cherchant à faire participer la masse du Parti à la vie politique, applique en premier lieu des méthodes pédagogiques : cours de connaissances politiques primaires, examens, écoles du Parti, etc. L’origine de la bureaucratisation du Parti est là. L’isolement du Parti qui se suffit à lui-même en découle également. Bref : tous ces traits caractéristiques, dont l’ensemble constitue le côté négatif du « cours ancien ».

C’est ainsi que le camarade Trotsky passe d’un extrême à l’autre.

Nous ne l’indiquons qu’en passant. Revenons maintenant à la question fondamentale.

Le premier trait négatif qui caractérise la jeunesse contemporaine ou plus précisément ses conditions de vie, nous révèle son manque d’expérience de lutte de classe, manque d’une expérience à laquelle pour citer les paroles du camarade Trotsky au XIe Congrès — le Parti doit « son origine et sa force ». Est-ce juste ? — C’est absolument juste.

Est-ce important ou non. C’est d’une importance incontestable. Demandons-nous si les conditions spéciales d’existence de la jeunesse de nos écoles n’aggravent pas encore les dangers dans ce milieu de notre Parti ?

La jeunesse de nos écoles forme les jeunes cadres, de nouveaux intellectuels du Parti, les futurs « spécialistes rouges ». C’est là une vérité qui ne demande pas à être prouvée. Convenons-en. Mais songeons à ce que ce rôle de spécialiste, indispensable, inévitable et historiquement justifié, recèle de dangers même pour les vieux. Là-dessus nous sommes tous d’accord. La question qui se pose c’est de savoir si ces dangers ne menacent pas à un plus haut degré des camarades ne possédant pas l’expérience de la lutte de classe qui affermit et retrempe les caractères, ne possédant pas non plus l’expérience révolutionnaire accumulée dans notre Parti et devenue la « seconde nature » des vieux militants, des camarades qui se distinguent précisément de la vieille génération par ces lacunes de leur formation ? Est-ce que le « chaos », les séductions de la Nep, l’ « obscurantisme idéologique » ne menacent pas particulièrement ces jeunes camarades ? Auront-ils assez de force pour résister aux influences néfastes qui les guettent de tous côtés ?

Poser la question c’est la résoudre.

Si nous voulons la traiter au point de vue théorique, en cherchant à faire un « horoscope marxiste », nous pouvons établir que la jeunesse de nos écoles se trouve précisément à un tournant et qu’elle est, par conséquent, particulièrement sujette à des changements de caractère.

Nous nous permettrons de donner des extraits d’une brochure dont la publication a été décidée par le Bureau Politique du C. C — et votée également par Trotsky — en vue de combattre de fâcheuses conceptions idéologiques qui pénétraient dans nos écoles.

Nous y lisons entre autres :

« Notre jeunesse est arrivée à une ligne frontière. Elle se compose d’hommes nouveaux caractérisés par les particularités psychologiques et physiologiques de notre époque. Le rôle de cette jeunesse, ou plus précisément, d’une certaine partie de cette jeunesse, dépendra du sort de l’ensemble de notre révolution.

« De cette jeunesse peuvent sortir des hommes d’affaires capitalistes à l’américaine, des chefs d’armée, des entrepreneurs, etc., au cas où notre évolution continuerait dans le sens d’une dégénérescence et de la transformation de la Russie en un pays capitaliste bourgeois. Et il en peut sortir — nous espérons fermement qu’il en sera ainsi — des constructeurs de la nouvelle Cité, des travailleurs courageux, fermes, sachant leur métier et dévoués à la classe ouvrière, ceci si notre développement économique suit la courbe ascendante de l’économie socialiste... »

« Examinant ce processus du point de vue sociologique et psychologique on se demande comment ces deux perspectives différentes peuvent se confondre.

« Rien de plus simple.

« L’ardent désir d’activité créatrice peut se transformer en individualisme.

« Le désir (justifié) de développer la théorie marxiste peut amener à une abjuration du Marxisme. « Le désir du neuf, l’enthousiasme peuvent susciter des sentiments religieux.

« On en pourra citer des milliers d’exemples.

« Le désir de « tout comprendre et de tout concevoir » peut devenir une vulgaire manie de simplifications, etc. »

Aux idées exprimées dans cette brochure, éditée par le C. C. pour combattre des tendances fâcheuses observées dans la jeunesse, personne ne fait d’objections.

Mais les temps ont change; l’ « ère » de la discussion exige une révision des valeurs.

La caractéristique que la brochure citée donnait de la jeunesse des écoles était très juste : elle correspondait à la réalité objective.

Entendu. N’en parlons plus. C’est encore dans une très large mesure le domaine des prophéties théoriques. Mais que disons-nous quant au pioche avenir et au présent? Là il nous importe avant tout de préciser, d’une façon qui ne permette pas de douter, ceci : la jeunesse est moins constante, quoique plus « sensible ».

Les deux parties de cette proposition ne se contredisent pas. La jeunesse est vraiment « sensible » dans les deux sens. C’est une constatation de fait qui importe. La « propre physionomie » de la jeunesse, dont parle le camarade Trotsky, peut révéler des traits à ce point individuels, qu’elle ne ressemblera plus en rien à la physionomie que s’est formée le Parti dans ses luttes contre l’opportunisme. C’est pourquoi nous devons observer la plus grande prudence. Le devoir d’un leader du Parti communiste ne consiste pas à semer la méfiance contre la vieille garde, en taisant les faiblesses et les dangers qui menacent les jeunes. Il consiste à fortifier chez les jeunes la confiance en leurs vieux camarades et à leur montrer sans gêne, honnêtement et franchement, les dangers qui les attendent sur leur glorieux chemin.

La jeunesse est sensible. On ne peut la conquérir ni en lui imposant notre tutelle, ni en exerçant une pression sur elle. C’est vrai. La jeunesse ne peut pas être éduquée dans un esprit ergoteur et formaliste. Elle ne peut pas non plus recevoir uniquement l’instruction que lui offre l’école. Lénine a assez souvent répété que la théorie doit être réunie à la pratique dans la vie économique aussi bien que dans la vie du Parti.

On ne saurait mieux dire. Si le bureaucratisme étouffe l’esprit des adultes, quelle influence désastreuse n’exercerait-il pas sur l’âme de la jeunesse ?

De cette constatation de fait absolument juste on ne doit pas déduire qu’une direction des camarades plus vieux et plus expérimentés serait superflue. Cette direction devrait naturellement s’inspirer d’un esprit de pure camaraderie. Et cette confiance mutuelle de bonne camaraderie ne sera pas fortifiée par les gloses malicieuses qui terminent l’article du camarade Trotsky sur les vieux et les jeunes.

« Il est nécessaire — écrit-il — que la vieille génération ne considère pas le cours nouveau comme une manœuvre, un mouvement diplomatique sur l’échiquier ou une concession passagère, mais comme une étape nouvelle dans le développement politique de notre Parti. »

Camarade Trotsky ! La « manœuvre politique » n’existe heureusement que dans votre imagination.

X. Les anciennes traditions et le « cours nouveau »[modifier le wikicode]

Nous nous sommes efforcés dans cet article de démontrer que le camarade Trotsky, dans toute une série de questions économiques, politiques et de celles qui ont trait à la vie du Parti s’écarte du point de vue bolchévik. Ce n’est pas cela qui nous empêchera de tenir compte des exigences de la vie pratique. Les gens qui prétendent le contraire ne connaissent pas l’A B C du bolchévisme. Se détourner du « nouveau » et du « spécifique », ce serait — comme s’exprimait le camarade Lénine — être pareil à ces vieux bolchéviks sans cervelle qui, par la répétition de quelques formules apprises par cœur, — au lieu d’étudier les traits essentiels de la réalité nouvelle — ont plus d’une fois joué un rôle pitoyable dans notre Parti. Ils appartiennent à notre collection de phénomènes d’avant la révolution.

Lénine raillait ainsi ceux qui remplaçaient l’étude d’une situation nouvelle par le rabâchage de vieux principes et de vieilles formules. Le bolchévisme n’a rien à faire avec les anachronismes, les archaïsmes idéologiques, les formules surannées qui lui seraient mortels.

La sagesse de Lénine n’est pas seulement de savoir apprécier les changements profonds survenant dans les rapports entre les classes et les effets de ces changements sur la superficie de la vie sociale, mais aussi d’en savoir mesurer les proportions et de garder le sens de la réalité, même si elle se présente à nous sous la forme de devoirs modestes et d’une apparence insignifiante. Lénine sait également lancer un mouvement ou le freiner. Ce n’est qu’en embrassant dans tous leurs aspects les événements, les devoirs, les problèmes, qu’on peut donner une direction juste au Parti, par le Parti à la classe ouvrière, par la classe ouvrière à la paysannerie, bref, à l’ensemble du pays.

Y a-t-il chez nous du nouveau ? Certes, il y a: la paix; l’essor économique; l’accroissement de la classe ouvrière, l’accroissement de la nouvelle bourgeoisie; l’élévation du niveau intellectuel de l’ensemble du Parti.

En même temps, une variété relative des groupes sociaux dans le Parti, et des réserves pas encore assimilées.

En dehors de la classe ouvrière et de la ville, activité croissante des paysans.

A l’avenir, perspective de luttes — de luttes qui seront probablement de très grande envergure.

Tout cela requiert notre attention. Tout cela nous impose le devoir de serrer les rangs du Parti, sur des positions choisies après mûre réflexion, en ouvrant la voie aux réserves du Parti pour qu’elles puissent déployer une grande activité et aient une part plus large à la vie intérieure de nos organisations.

C’est à ces exigences que correspond le « cours nouveau », relativement nouveau. Il comprend l’élargissement de la démocratie dans le Parti, la réalisation d’un large système électoral, la discussion publique des questions actuelles et le renforcement de l’activité des affiliés.

Les conditions nouvelles modifient-elles les anciennes bases des idées bolcheviques ?

Dans ses « Lettres sur la Tactique », Lénine a écrit :

« Les idées et les mots d’ordre bolcheviks sont en général pleinement confirmés par l’histoire ».

Cette phrase, bien qu’elle ait été écrite il y a longtemps, est-elle juste? Sans nul doute.

Mais si elle est juste, le camarade Trotsky eût rendu au Parti un service beaucoup plus grand en nous exposant quelle était la cause des erreurs à l’époque de la paix de Brest-Litovsk et à l’époque de la discussion syndicale ! — Puis en nous exposant ce qui le séparait du camarade Lénine dans les questions économiques, et quel était le fond de leurs désaccords. Il eût mieux valu que le camarade Trotsky précisât où, dans quelle circonstance, Lénine exprime sur la liberté des groupements dans le Parti des idées analogues à celles qu’il soutient lui actuellement : il eût mieux valu enfin qu’il nous dise pourquoi une révision de la vieille tradition bolchéviste est à présent admissible.

Il eût mieux valu que le camarade Trotsky citât le dernier article du camarade Lénine dans lequel Lénine expose comment et pourquoi notre Comité Central est devenu dans le Parti un « groupe jouissant de l’autorité suprême ». Trotsky eût bien fait de mettre ces lignes à côté des étonnantes accusations qu’il porte contre ce « groupe jouissant de l’autorité suprême ».

Il eût mieux valu que le camarade Trotsky comparât son point de vue sur la vieille garde et les jeunes à celui de Lénine. Les militants eussent profité, pour leur éducation politique, de la comparaison.

Nous venons précisément de faire œuvre d’éducation politique, car nombre de camarades à courte vue ou dont l’éducation, quant aux choses du Parti, laisse beaucoup à désirer, ont cru voir dans le conflit qui se déroule dans le Parti un conflit de personnes. Ils ne conçoivent pas que derrière ce conflit de personnes se poursuit le combat des tendances vivantes dans le seul parti légal de notre pays.

Puisque désaccord il y a, discutons et critiquons les désaccords. C’est la seule façon de faire qui puisse être féconde. Cette discussion, et cette discussion seule, peut contribuer à l’élévation du niveau intellectuel de notre Parti. Le Parti en sortira plus fort et plus uni qu’auparavant.

  1. Abréviation en russe du Comité Central de la Fédération des Transports, organisation syndicale où l’influence de Trotsky était alors prédominante, et connue pour sa centralisation très vigoureuse