Décret sur le contrôle ouvrier

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Le décret sur le contrôle ouvrier est le troisième décret de la révolution d'Octobre, écrit par Lénine et adopté par le Congrès des Soviets le 14 novembre 1917 publié dans les « Izvestia » du 16 novembre 1917.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Le contrôle ouvrier était une revendication née dans les usines dès les premiers jours qui suivent la Révolution de Février 1917, et que les bolchéviks ont très tôt repris à leur compte. C'était à l'origine surtout un moyen pour les ouvriers de s'assurer que leurs usines continuent de fonctionner pour ne pas se retrouver au chômage. Puis de plus en plus, les comités d'usines ont assuré un contrôle croissant sur les patrons et directeurs d'entreprises d'Etat. Au moment de la Révolution d'Octobre, la conscience de classe des ouvriers était telle que la plupart revendiquaient de « prendre en mains » la production, pour sortir le pays de la crise et répondre aux besoins des masses.

2 Le décret[modifier | modifier le wikicode]

La nuit du 24-25 octobre 1917, les bolchéviks s'emparent de la capitale, et 24h plus tard renversent le gouvernement provisoire de Kerenski. En même temps, le Congrès des soviets de Russie se tient les 25-26. Ce congrès prend lui-même les premières mesures révolutionnaires, et en particulier les deux premiers décrets : celui sur la paix, et celui sur la terre.

Le décret sur le contrôle ouvrier suit presque aussitôt. Lénine écrit un « Projet de règlement sur le contrôle ouvrier » le 26 ou 27 octobre, sur la base de ce qui avait été discuté et adopté au Conseil central des comités d'usine de Petrograd. Lénine s'attendait à ce que son projet soit ratifié immédiatement, mais il souleva des discussions passionnées et des critiques aussi bien de « gauche » que de « droite ». Losovski, un syndicaliste bolchevik, écrivit plus tard :

« Nous pensions que les unités de contrôle à la base devaient agir uniquement dans des limites strictes fixées par des organes de contrôle supérieur. Mais les camarades qui étaient pour la décentralisation du contrôle ouvrier insistaient sur l'indépendance et l'autonomie de ces organes de base, parce qu'ils pensaient que les masses elles-mêmes devaient incarner le principe du contrôle. »

Losovski pensait que « les activités des organes de base du contrôle doivent respecter les limites établies par les directives du Conseil panrusse du contrôle ouvrier. Nous devons le dire clairement et catégoriquement,afin que les ouvriers, dans chaque entreprise, ne croient pas que l'entreprise leur appartient ».

Après presque deux semaines de discussions, un compromis fut trouvé, qui fut principalement l'oeuvre des syndicalistes bolchéviks, devenus, selon l'historien Edward Hallett Carr, « des champions inattendus de l'ordre, de la discipline et de la direction centralisée de la production ».

Le 27 octobre, le projet est discuté à une séance du Conseil des Commissaires du peuple (le nouveau gouvernement), qui charge Milioutine et Larine de rédiger en deux jours un projet détaillé la règlementation du contrôle ouvrier.

Cependant, le projet de Milioutine et de Larine ne rendait pas impératives les décisions des ouvriers pour les propriétaires d'entreprises, contrairement au projet de Lénine. Le projet de Lénine servit de base au projet de décret qui fut mis au point par la suite. Il fut publié avec des détails supplémentaires le 1er novembre 1917 dans le Journal du Gouvernement provisoire des ouvriers et des paysans, n° 3 et portait le titre : « Projet de règlement sur le contrôle ouvrier ». Au cours de son examen, on proposa de remplacer les organismes de contrôle ouvrier qui apparurent spontanément par des organismes gouvernementaux, de n'introduire le contrôle ouvrier que dans les grandes usines (notamment dans les industries ferroviaires). Lénine défendit activement la nécessité d'encourager les ouvriers à introduire le contrôle ouvrier dans toutes les entreprises (même en dehors des industries). Le texte final maintiendra formellement la ligne initiale, mais il n’est plus fait référence à l’exercice direct du contrôle par les ouvriers eux-mêmes dans les petites entreprises, qui se fera seulement par des organisations élues.

La finalisation du projet fut confiée à une Commission formée par le Comité exécutif central des soviets, le 8 novembre. Le 14 novembre le VTsIK discuta le projet présenté par la Commission et adopta le décret (par 24 voix contre 10), qui fut ratifié par le Sovnarkom le lendemain et publié le 16 (27 n.s) novembre dans le n° 227 des Izvestia.

Miloutine, qui présenta le décret « revu » au V.Ts.I.K., expliqua, comme s'il s'en excusait, que « la vie nous entraîne », et qu'il était urgent et nécessaire «  d'unifier dans un solide appareil d'État le contrôle ouvrier, qui se réalisait de manière improvisée » ; la législation sur le contrôle ouvrier, « qui aurait dû logiquement s'adapter au cadre d'un plan économique, avait précédé la législation sur le plan lui-même ». Cela témoigne des fortes pressions de la base.

3 Projet de Lénine[modifier | modifier le wikicode]

1. Dans toutes les entreprises industrielles, commerciales, bancaires, agricoles et. autres, qui emploient au moins 5 ouvriers et employés (en tout) ou dont le chiffe d'affaires est d'au moins 10000 roubles par an, est établi le contrôle ouvrier de la production, de la conservation, de la vente et de l'achat de tous produits et de toutes les matières brutes.

2. Le contrôle ouvrier est exercé par tous les ouvriers et tous les employés de l'entreprise, soit directement si l'entreprise est assez petite pour que ce soit possible, soit par les représentants élus qui doivent être élus immédiatement dans des assemblées générales, avec un procès-verbal des élections et la communication au gouvernement et aux Soviets locaux des députés ouvriers, soldats et paysans du nom des élus.

3. Sans autorisation des représentants élus par les ouvriers et les employés, l'arrêt d'une entreprise ou d'une production d'importance nationale (cf. § 7) est absolument interdit, ainsi que toute modification dans sa marche.

4. Tous les livres et documents sans exception doivent être ouverts à ces représentants élus, ainsi que tous les dépôts et réserves de matériaux, d'outillage et de produits, sans aucune exception.

5. Les décisions prises par les représentants élus des ouvriers et des employés sont obligatoires pour les propriétaires des entreprises et ne peuvent être abrogées que par les syndicats et par les congrès.

6. Dans toutes les entreprises d'importance nationale, tous les propriétaires et tous les représentants élus des ouvriers et des employés nommés pour exercer le contrôle ouvrier sont déclarés responsables devant l'État de l'ordre le plus strict, de la discipline et de la protection des biens. Ceux qui se seront rendus coupables de négligence, de dissimulation de réserves, de comptes, etc., seront punis de la confiscation de tous leurs biens et d'un emprisonnement pouvant atteindre 5 ans.

7. Sont reconnues entreprises d'importance nationale toutes les entreprises qui travaillent pour la défense, ainsi que celles qui sont liées de façon ou d'autre avec la production des denrées nécessaires à l'existence de la population.

8. Des règles plus détaillées sur le contrôle ouvrier seront établies par les Soviets locaux des députés ouvriers et par les conférences des comités d'usine et de fabrique et des comités d'employés dans les réunions générales de leurs représentants.

4 Décret du 14 novembre[modifier | modifier le wikicode]

1. En vue dune organisation régulière de l’activité économique nationale, il est établi dans toutes les compagnies industrielles commerciales, bancaires, agricoles, de transport, coopératives de production, et autres entreprises occupant des ouvriers soit dans des ateliers ou chantiers, soit au dehors, un contrôle des ouvriers sur la production, la vente et le magasinage des produits et matières premières, ainsi que sur la gestion financière de l’entreprise..

2. Le contrôle appartient à tous les ouvriers de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs institutions élues, à savoir : comités d’usines et de fabriques, conseils de starostes, etc, avec la participation des représentants des employés et du personnel technique.

3. Pour chaque ville importante, ou gouvernement, ou région industrielle, il est créé une commission régionale de contrôle, composée des représentants des unions professionnelles, des comités des usines et fabriques, et autres comités et des coopératives ouvrières. Cette commission est rattachée aux conseil des députés ouvriers et soldats.

4. Jusqu’à la convocation du Congrès des conseils du contrôle ouvrier il est créé à Petrograd un conseil du contrôle ouvrier pour toute la Russie ; en font partie les représentants des organisations suivantes : Comité central exécutif du conseil des députés ouvriers et soldats pour toute la Russie — 5 membres ; Comité central exécutif des députés paysans pour toute la Russie — 5 membres ; Conseil des unions professionnelles pour toute la Russie — 5 membres ; comité central des coopératives ouvrières de toute la Russie — 2 membres ; bureau des comités d’usines et de fabriques de toute la Russie — 5 membres ; union des ingénieurs et techniciens de toute la Russie — 5 membres ; union des agronomes de toute la Russie — 2 membres ; chaque union ouvrière de toute la Russie à raison d’un membre, si l’union a moins de 100 000 membres, et de deux membres, si elle en a davantage; conseil des unions professionnelles de Petrograd — 2 membres.

5. Près des organes supérieurs du contrôle ouvrier sont créées des commissions de spécialistes (techniciens, comptables, etc.) qui, sur l’initiative de ces organes ou sur la demande des commissions ouvrières de contrôle, viennent sur place procéder à l’examen technique et financier des entreprises.

6. Les commissions ouvrières de contrôle ont le droit de surveiller la production, de fixer le minimum de rendement de l’entreprise et de prendre des mesures pour établir le prix de revient des objets fabriqués.

7. Les commissions ouvrières de contrôle ont le droit de contrôler toute la correspondance de l’entreprise et les propriétaires de l’entreprise seront judiciairement responsables de toute dissimulation de correspondance. Le secret commercial est aboli. Les propriétaires de l’entreprise doivent présenter aux commissions ouvrières de contrôle tous leurs livres et bilans, ainsi bien pour l’exercice en cours que pour les exercices écoulés.

8. Les décisions des commissions ouvrières de contrôle ont un caractère exécutoire à l’encontre des propriétaires d’entreprise ; elles peuvent être annulées seulement par une décision des organes supérieurs du contrôle ouvrier.

9. L’entrepreneur et l’administration de l’entreprise ont le droit d’exercer, dans un délai de 3 jours, devant la juridiction supérieure compétente (commission régionale de contrôle), un recours contre les décisions des commissions ouvrières de contrôle.

10. Dans toutes les entreprises, les propriétaires et les représentants des ouvriers et employés, membres élus des commissions de contrôle, sont responsables devant le gouvernement de l’observation de l’ordre le plus rigoureux, de la discipline et de la sauvegarde des biens de l’entreprise. Les personnes qui auront dissimule des matières premières, des produits, des commandes, qui auront commis des irrégularités dans la tenue des livres, etc., sont pénalement responsables de leurs actes.

11. Les questions contentieuses, les conflits entre les commissions ouvrières de contrôle, les recours des propriétaires d’entreprises contre les décisions de ces dernières commissions, sont de la compétence des commissions régionales de contrôle (article 3).
Ces commissions régionales publient, dans les limites où elles y sont autorisées par les décisions et indications du Conseil du contrôle ouvrier pour toute la Russie, des instructions qui tiennent compte des particularités de la production et des conditions locales ; elles surveillent également le fonctionnement des commissions ouvrières de contrôle.

12. Le Conseil du contrôle ouvrier pour toute la Russie élabore les plans généraux du contrôle ouvrier, les instructions, promulgue des décisions obligatoires, régularise les rapports des commissions
régionales de contrôle et statue en dernière instance sur tout ce qui concerne le contrôle ouvrier.

13. Le Conseil du contrôle ouvrier pour toute la Russie met le fonctionnement des commissions régionales de contrôle en concordance avec celui de toutes les autres institutions touchant à l’organisation de l’activité économique nationale.

Des règlements concernant les rapports entre le Conseil du contrôle ouvrier pour toute la Russie et les autres institutions touchant à l’organisation de l’activité économique nationale seront publiés séparément.

14- Toutes les lois et circulaires restrictives du fonctionnement des comités d’usines et de fabriques, etc., et des conseils des ouvriers et employés, sont annulées.

Au nom du gouvernement de la République russe, le président du Conseil des commissaires du peuple,

Oulianov (Lénine).

Commissaire du travail,
Chliapnikov.

5 Critiques[modifier | modifier le wikicode]

Plusieurs auteurs, comme l'historien Marc Ferro, ont fait remarquer que si ce décret semble s'appuyer sur la vitalité des comités d'usine que les bolchéviks soutenaient depuis avril, il marquerait plutôt un tournant centralisateur. En terme de représentation, le nombre de membres du bureau du conseil pan-russe des comités d'usine est fixé d'avance à 5, alors que pour les syndicats la délégation est établie en fonction de leur nombre.

6 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]