Ateliers sociaux

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Louis Blanc

Les ateliers sociaux sont une proposition économique et industrielle pour la France, développée par Louis Blanc dans L'Organisation du travail (1839) et qu'il tenta de mettre en pratique, quasiment sans moyens, lorsqu’il fut président de la commission du Luxembourg après la Révolution française de 1848.

Le gouvernement, dans son opposition larvée au courant de Louis Blanc, mit en place les ateliers nationaux, avec des moyens et avec une logique bien différente.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Dans le projet de Louis Blanc c’est une fois le ministère du travail créé, une fois la banque nationale instituée, les chemins de fer et les mines transformés en grands travaux, une assurance centralisée créée (qui n’est pas un monopole), les bazars et les entrepôts ouverts, le tout garanti par l’État que : « La Révolution serait prête avec la puissance nécessaire à sa réussite »[1]. Or, dans son idée, rien ne pourrait exister à long terme sans l’association (industrielle, agricole et littéraire). Celle-ci devient le moyen permettant à cette révolution d’aboutir et de perdurer[2].

Ce système n’est pas l’abnégation de l’individu au profit de « l’émancipation du peuple »[3]. Il s’agit plutôt d'une traduction d'une idéologie opposée à la doctrine du libéralisme, pour permettre à l’Homme l’exercice optimal de la Liberté. Louis Blanc ne voit pas, dans l’idéologie libérale où se trouve la liberté de l’Homme qui, pris dans le tourbillon de la concurrence, est devenu le « valet d’une manivelle »[4]. Dans son projet théorique, l’atelier social existe, avec la même philosophie générale de fonctionnement, dans trois univers économiques : l’industrie, l’agriculture et la littérature. Comme première étape de cette transformation radicale du mode d’organisation économique, Louis Blanc concentre son attention théorique sur l’industrie[5]. La misère appelle un remède. Alors, « en ce qui concerne le travail des villes »[6] ce budget du travail devrait être affecté « à l’établissement d’ateliers sociaux dans les branches les plus importantes de l’industrie »[7]. Or, « cette opération exigeant une mise de fonds considérable, le nombre des ateliers sociaux originaires serait rigoureusement circonscrit ; mais, en vertu de leur organisation (…), ils seraient doués d’une force d’expansion immense »[7].

Ces ateliers ont été développés et concrètement réalisés en 1848 par la commission du Luxembourg.

2 La théorie de Louis Blanc[modifier | modifier le wikicode]

3 L'expérience de 1848[modifier | modifier le wikicode]

3.1 La Commission du Luxembourg[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque la révolution de février 1848 surgit, la plupart des républicains sont des modérés (autour du journal Le National). Mais les ouvriers parisiens (dont la situation sociale est très dure) ont joué un tel rôle dans l'insurrection qu'il est nécessaire de faire des gestes. C'est pourquoi Louis Blanc est intégré au gouvernement, ainsi que son ami Alexandre Martin, dit l'ouvrier Albert. Louis Blanc appelle au calme et au retour à l’ordre, et en cela il rend un grand service à la bourgeoisie.[8]

Louis Blanc réclamait la création d'un ministère du Travail[9][10] (ou du Progrès), mais la majorité modérée n'en voulait pas. Après négociation, le Gouvernement Provisoire lui confie la présidence d’une Commission de gouvernement pour les travailleurs (qui restera connue comme Commission du Luxembourg), sans budget ni pouvoir exécutif réel. Il refuse d’abord cette présidence, mais il finit par l’accepter au nom de la paix civile[11].

Le gouvernement n'avait pas d'ambition sérieuse pour la Commission, qu'il voyait comme un hochet pour Louis Blanc et à travers lui pour les ouvriers, tout en espérant également que les gesticulations qui en sortiraient discréditeraient le socialisme.

3.2 Fournitures pour la Garde nationale[modifier | modifier le wikicode]

C’est par le décret du Gouvernement Provisoire du - « qui incorporait dans la garde nationale tous les citoyens, et décidait qu’un uniforme serait fourni, aux frais de l’État, à quiconque serait trop pauvre pour en faire lui-même la dépense »[12] – que naît dans l’esprit de Louis Blanc la possibilité de créer le premier atelier social. Il y a là un marché à conquérir pour les associations. Encore faut-il avoir un bâtiment ! Or, au même moment, la prison de Clichy devient libre en raison du décret [13] abolissant la contrainte par corps par le Gouvernement Provisoire[14]. C’est après une entrevue avec le citoyen Bérard, ouvrier tailleur connu pour être « très habile dans son état » , que la formation d’une association d’ouvriers tailleurs est décidée « à la tête de laquelle figurèrent Bérard et les deux ouvriers qui, comme lui, avaient été délégués par la corporation ». Louis Blanc obtient pour eux la « commande de cent mille tuniques ; la prison de Clichy, devenue vacante, se changea en atelier[15]; et les associés s’y installèrent, au nombre d’environ deux mille, sous l’empire d’un règlement qui, fait par eux-mêmes ; se rapportait aux principes développés, huit années auparavant, dans l’Organisation du travail[16]. »

En ce qui concerne les résultats de cette association, « ce qui est certain, c’est que tous les engagements de l’association furent remplis alors avec une probité scrupuleuse ; l’ouvrage commandé fut achevé en temps utile ; un prêt de onze mille francs, fait aux ouvriers associés par les maîtres tailleurs, se trouva remboursé au bout de peu de temps, et lorsque, à l’expiration du contrat passé avec la ville de Paris, l’association liquida, pour se reconstituer sur de moins larges bases, ce fut avec bénéfice. » [17] Une lettre du de PH. Bérard adressée au Constitutionnel et publiée au Nouveau Monde précise que « 1° l’Association ne s’est pas liquidée en perte. Elle a donné, au contraire, un dividende à chacun de ses membres. (…) 2° (…) l’Association, - dont le siège est aujourd’hui rue du faubourg Saint-Denis, 23, - livrée depuis longtemps à ses propres ressources, n’en est pas moins entrée dans une voie de prospérité qui, chaque jour, va croissant, prospérité qui est le seul démenti que, désormais, nous voulons opposer aux calomnies et aux insinuations malveillantes, qu’à notre insu, on nous adresserait encore[18]. »

Une seconde association « établie par le Luxembourg [qui] fut celle des selliers ». On se rappelle le décret du Gouvernement Provisoire du qui a pour but de protéger la classe ouvrière contre la concurrence écrasante des personnes nourries et logées aux frais de l’État. Aussi, comme conséquence de ce décret, Louis Blanc « fit adjuger une partie des selles qui se confectionnaient dans l’établissement militaire de Saumur, (…) aux ouvriers selliers de Paris (…) se constituant en association ». Une vive opposition, notamment de la part du général Oudinot, ponctue la création de cette association qui « se développa sur une ligne parallèle à celle qui suivait l’association de Clichy, et, lorsque, en , je (Louis Blanc) quittai Paris, elle prospérait » Cette association se situe dans la caserne des Veuves, aux Champs-Élysées[19].

Enfin, après l’association des tailleurs, des selliers, une troisième association se rapporte à l’action directe du Luxembourg, celle des fileurs. Nous nous reportons à une lettre témoignage du adressée à Louis Blanc par les ex-délégués des fileurs Boulard et Lefranc[20]. En quelques mots, c’est là aussi le décret ordonnant l’habillement des « cent mille gardes nationaux » qui est l’origine de l’association. L’idée est d’obtenir le marché pour « la fourniture des cent mille paires d’épaulettes » . Or, après de nombreuses difficultés, le marché est enfin obtenu jusqu’au jour ou « la réaction l’emporta, [leur] notre marché fut suspendu, plus tard rompu brutalement, du droit du plus fort. On refusa de nous indemniser pour les 50 000 paires d’épaulettes que nous avions encore à livrer. Plaidez, nous dit-on pour toute réponse, le procès durera un an ; pendant tout ce temps, pas d’argent. Transigez, nous vous soldons l’arriéré et la retenue des trois dixièmes. La faim donna raison aux hommes d’affaires de la Ville[21]. » . Notons que cette association des fileurs a donné naissance à celle des passementiers[22].

C’est ainsi que sont créées, sans aide financière directe de l’État, les premières associations ouvrières conformément à L’organisation du travail proposée par notre auteur. L’impulsion modeste de l’État en confiant, non sans hésitations, les marchés publics cités n’en reste pas moins l’épiphénomène permettant le développement de nombreuses associations en quelques mois, fonctionnant sur les principes du Luxembourg[23], dans des domaines variées et à la seule initiative privée. En effet, « chaque jour, des sociétés nouvelles se présentent devant la Commission avec leurs plans et leurs statuts, demandant aide et approbation. Les chefs d’ateliers viennent, de leur côté, offrir leurs usines à l’État, et mettre à sa disposition leurs instruments de travail, les uns par générosité, d’autres par un calcul intelligent, d’autres par désespoir[24] » .

3.3 Fin[modifier | modifier le wikicode]

Après la répression de l'insurrection du 15 mai 1848, la réaction avance. Le 16 mai, les députés de l'Assemblée constituante votent la dissolution de la commission du Luxembourg. Elle est « mise sous séquestre de ses papiers (…) sans décisions officielle ».

Toutefois, les associations impulsées avec l'aide de la Commission du Luxembourg perdurèrent. Leur absence de soutien étatique, qui était leur faiblesse relative (par rapport aux Ateliers nationaux, beaucoup plus massifs), fit aussi paradoxalement leur perennité.

Dans Le Nouveau Monde, journal historique et politique de la première année du au , Louis Blanc fait régulièrement la liste, après une scrupuleuse sélection, des associations ouvrières de Paris et de la Province avec leurs adresses exactes et l’activité concernée par ordre alphabétique. Dans le premier numéro du [25] on compte 103 associations reconnues par le Luxembourg. Dans le septième numéro du [26], 111 associations. Dans le huitième numéro du [27], 119 associations. Dans Le Nouveau Monde, journal historique et politique de la seconde année, tome II, c'est-à-dire du au , on compte dans le numéro premier du , 107 associations reconnues par les délégués du Luxembourg. Il est à noter que « nous avons supprimé sur la liste que nous publions dans le présent numéro les noms de plusieurs associations sur lesquelles nous n’avons pas reçu des renseignements assez précis. Nous accueillerons avec empressement les rectifications qui nous seront présentées[28]. » Dans le numéro second de la seconde série du au , on trouve 115 associations. Dans le cinquième, celui du , 122 associations. Notons que cette reconnaissance officielle du caractère associatif de ces industries leur permet d’arborer un signe distinctif sur leur enseigne. Il s’agit d’un « triangle, symbole de l’association fraternelle » qui du reste est utilisé par la concurrence de façon à « tromper le public, en continuant de rançonner leurs ouvriers ».

Alors, bien après son exil en Angleterre, et de Londres, rédigeant Le Nouveau Monde, Louis Blanc continue la défense des idées socialistes qui prirent forme à travers la Commission du Luxembourg. Il reçoit d’ailleurs des soutiens multiples[29]. En témoigne cette lettre du , signée des citoyens Faure, Greppo, Nadaud, représentants du peuple : « La persécution, la condamnation, l’exil, n’ont fait que rendre plus profondes, plus ardentes, à votre égard, la confiance et les sympathies du peuple[30] » .

4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. BLANC L., OT, op.cit., p. 70.
  2. « La logique de l’histoire commande la création du ministère du progrès ayant pour mission spéciale de mettre la Révolution en mouvement. (…) Supposons que ce ministère soit créé, et qu’on lui constitue un budget : en remplaçant la Banque de France par une Banque nationale ; en faisant rentrer dans le domaine de l’État les chemins de fer et les mines ; en centralisant les assurances ; en ouvrant des bazars et des entrepôts, au nom de l’État ; en appelant, pour tout dire, à l’œuvre de la Révolution, les puissances réunies du crédit, de l’industrie et du commerce… On se trouverait avoir en quelque sorte sacré et armé la Révolution. » (BLANC L., OT, op.cit., p. 70-71.)
  3. « (…) nous ne prétendons pas le moins du monde qu’on immole à l’émancipation du peuple la personnalité humaine, les droits de l’individu ; mais nous demandons que, par une application à la fois prudente et large du principe d’association, l’individu se trouve naturellement amené à associer au bien de ses semblables son espérance et ses désirs. (…) Si les exigences de l’intérêt personnel méritent qu’on les respecte, que ne les respectez-vous dans la personne de tant de malheureux, serfs de l’industrie et valets d’une manivelle ? » (Ibid.)
  4. Ibid., p. 195.
  5. Même si, d’un point de vue pratique il considère que la réforme serait plus à même de fonctionner d’abord dans les campagnes puis, après avoir prouvé son efficacité, en ville.
  6. Ibid., p.71.
  7. 7,0 et 7,1 Ibid.
  8. BRUAND Françoise, « La Commission du Luxembourg en 1848 », in DEMIER Francis (dir.), Louis Blanc : Un socialiste en république, Paris, Céraphis, 2005, p. 107-131.
  9. « Le principe proclamé, restait à lui donner vie, par la création immédiate d’un ministère dont ce fut là l’objet spécial. Et le peuple ne l’entendait pas autrement. » Blanc 1870, t. I, p. 133.
  10. Notons qu’il refera une demande de création d’un ministère du travail le 10 mai 1848 à l’Assemblée nationale. BLANC Louis, DP, op.cit., p. 9-16. Dans ce discours Louis Blanc se justifie aussi de la calomnie dont il a été victime. Par ailleurs, pour une histoire du ministère du travail voir TOURNERIE Jean-André, Le Ministère du travail (Origines et premiers développements), Thèse de droit, Paris, 1968.
  11. Blanc 1870, t. I, p. 133-138. (SLYKE Gretchen van, « Dans l'intertexte de Baudelaire et de Proudhon : pourquoi faut-il assommer les pauvres ? », Romantisme, vol. 14, n° 45, 1984, p. 59.)
  12. Moniteur du 16 mars 1848, in Blanc 1870, t. I, p. 190.
  13. Moniteur du 10 mars 1848.
  14. Blanc 1870, t. I, p. 191.
  15. Moniteur du 17 mars 1848.
  16. Blanc 1870, t. I, p. 193-194.
  17. Le Nouveau Monde, lettre adressée par Bérard au Constitutionnel, 11 juillet 1849 in BLANC L., NM, op.cit., p. 47 et Blanc 1870, t. I, p. 197.
  18. BLANC L., NM, op.cit., p. 47.
  19. BLANC L., « Exposé général du 26 avril 1848 », in Blanc 1849, p.85.
  20. « Correspondance : Lettre des citoyens Boulard-Lefranc, délégué des fileurs, et de Ph. Bérard, à Louis Blanc », Le Nouveau Monde, n° 6, 15 décembre 1849, in BLANC L., NM, op.cit., p. 278 et Blanc 1870, t. I, p. 200-201.
  21. « Correspondance : Lettre des citoyens Boulard-Lefranc, délégué des fileurs, et de Ph. Bérard, à Louis Blanc », op.cit., p. 278-279 et Blanc 1870, t. I, p. 201.
  22. BLANC L., « Exposé général du 26 avril 1848 », in Blanc 1849, p.85. (La passementerie correspond à la confection de l’ensemble des ouvrages de fil destinés à l’ornement des vêtements, des meubles, etc.)
  23. On note par exemple dans le carnet d’adhésion à l’association des « ouvriers en papiers peints », p. 7 : « 4° L’Organisation du Travail : (…) Pour cette dernière question, on marchera d’accord avec la Commission des Travailleurs, siégeant au Luxembourg, sous la présidence du Citoyen Louis Blanc. » (Centre Historique des Archives Nationales, « Société générale des ouvriers en papiers peints », Paris, cote : C//2232 doc n° 115, p. 7.)
  24. BLANC L., « Exposé général du 26 avril 1848 », in Blanc 1849, p.85-86.
  25. BLANC L., « Le Socialisme, droit au travail », op.cit., p. 318.
  26. BLANC L., « Le Socialisme, droit au travail », op.cit., p. 335.
  27. BLANC L., « Le Socialisme, droit au travail », op.cit., p. 384.
  28. Le Nouveau Monde, n°1, 15 juillet 1850, in BLANC L., Le Nouveau Monde-Journal historique et politique, Paris, 2e année, 1850, p. 49. « Elles seront reçues au bureau du journal, 102, rue Richelieu, tous les jeudis de 2 à 4 heures. »
  29. Annexe 15 : Les apôtres de l’humanité. (Affiche de soutien pour le retour de Louis Blanc placée au début du Tome II)
  30. Le Nouveau Monde, n° 1, 15 juillet 1849, in BLANC L., NM, op.cit., p. 18.

5 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

5.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Louis Blanc, L'Organisation du travail, Paris, Au bureau de la Société de l'industrie fraternelle, (1re éd. 1839) (lire en ligne)
  • Benoît Charruaud (Thèse pour le Doctorat en droit/Histoire du droit), Louis Blanc, La République au service du Socialisme : Droit au travail et perception démocratique de l'État, Université Strasbourg III - Robert Schuman – Faculté de Droit, , 735 p. (lire en ligne)
  • Benoît Charruaud, « Louis Blanc (Recueil des Commémorations nationales 2011) », sur francearchives.fr, Ministère de la culture, archives de France, , p. 34-35
  • B. Charruaud, "Louis Blanc : La République au service du socialisme", note pour la base de données de l’Assemblée nationale en ligne, 2011.

http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/louis-blanc_mention-speciale-these-2008.asp#_ftn12

Pour une vision condensée de la pensée politique de Louis Blanc voir :

  • Benoît Charruaud, Louis Blanc m’a dit…, Lyon, éditions Baudelaire, , 219 p. (ISBN 978-2-35508-138-5, notice BnF no FRBNF41488695). Il s’agit d’un travail de reconstruction et d’actualisation qui a pour but de présenter le plus simplement possible l’originalité de la pensée de Louis Blanc.