Différences entre les versions de « Conséquentialisme »

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
Ligne 6 : Ligne 6 :
  
 
==Marx sur Bentham==
 
==Marx sur Bentham==
Dans le ''[[Das Kapital|Capital]]'', Marx porte un jugement dur sur [[Jeremy Bentham]], qui est  un des pères de l'utilitarisme :<blockquote>Jérémie Bentham est un phénomène anglais. Dans aucun pays, à aucune époque, personne, pas même le philosophe allemand Christian Wolf, n'a tiré autant de parti du lieu commun. Il ne s'y plaît pas seulement, il s'y pavane. Le fameux principe d'utilité n'est pas de son invention. Il n'a fait que reproduire sans esprit l'esprit d'Helvétius et d'autres écrivains français du XVIII° siècle.   Pour savoir, par exemple, ce qui est utile à un chien, il faut étudier la nature canine, mais on ne saurait déduire cette nature elle-même du principe d'utilité. Si l'on veut faire de ce principe le critérium suprême des mouvements et des rapports humains, il s'agit d'abord d'approfondir la nature humaine en général et d'en saisir ensuite les modifications propres à chaque époque historique. Bentham ne s'embarrasse pas de si peu. Le plus sèchement et le plus naïvement du monde, il pose comme homme type le petit bourgeois moderne, l'épicier, et spécialement l'épicier anglais. Tout ce qui va à ce drôle d'homme-modèle et à son monde est déclaré utile en soi et par soi. C'est à cette aune qu'il mesure le passé, le présent et l'avenir. La religion chrétienne par exemple est utile. Pourquoi ? Parce qu'elle réprouve au point de vue religieux les mêmes méfaits que le Code pénal réprime au point de vue juridique. La critique littéraire au contraire, est nuisible, car c'est un vrai trouble-fête pour les honnêtes gens qui savourent la prose rimée de Martin Tupper. C'est avec de tels matériaux que Bentham, qui avait pris pour devise : nulla dies sine linea, a empilé des montagnes de volumes. C'est la sottise bourgeoise poussée jusqu'au génie.<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-24-5.htm Le Capital, Livre I, Chapitre XXIV : Transformation de la plus-value en capital, V.]'', 1867</ref></blockquote>En revanche, il avait une bien meilleure image de [[John Stuart Mill]], autre père de l'utilitarisme.
+
Dans le ''[[Das Kapital|Capital]]'', Marx porte un jugement dur sur [[Jeremy Bentham]], qui est  un des pères de l'utilitarisme :
 +
<blockquote>
 +
Jérémie Bentham est un phénomène anglais. Dans aucun pays, à aucune époque, personne, pas même le philosophe allemand Christian Wolf, n'a tiré autant de parti du lieu commun. Il ne s'y plaît pas seulement, il s'y pavane. Le fameux principe d'utilité n'est pas de son invention. Il n'a fait que reproduire sans esprit l'esprit d'Helvétius et d'autres écrivains français du XVIII° siècle.   Pour savoir, par exemple, ce qui est utile à un chien, il faut étudier la nature canine, mais on ne saurait déduire cette nature elle-même du principe d'utilité. Si l'on veut faire de ce principe le critérium suprême des mouvements et des rapports humains, il s'agit d'abord d'approfondir la nature humaine en général et d'en saisir ensuite les modifications propres à chaque époque historique. Bentham ne s'embarrasse pas de si peu. Le plus sèchement et le plus naïvement du monde, il pose comme homme type le petit bourgeois moderne, l'épicier, et spécialement l'épicier anglais. Tout ce qui va à ce drôle d'homme-modèle et à son monde est déclaré utile en soi et par soi. C'est à cette aune qu'il mesure le passé, le présent et l'avenir. La religion chrétienne par exemple est utile. Pourquoi ? Parce qu'elle réprouve au point de vue religieux les mêmes méfaits que le Code pénal réprime au point de vue juridique. La critique littéraire au contraire, est nuisible, car c'est un vrai trouble-fête pour les honnêtes gens qui savourent la prose rimée de Martin Tupper. C'est avec de tels matériaux que Bentham, qui avait pris pour devise : nulla dies sine linea, a empilé des montagnes de volumes. C'est la sottise bourgeoise poussée jusqu'au génie.<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-24-5.htm Le Capital, Livre I, Chapitre XXIV : Transformation de la plus-value en capital, V.]'', 1867</ref>
 +
</blockquote>
 +
En revanche, il avait une bien meilleure image de [[John Stuart Mill]], autre père de l'utilitarisme.
 +
 
 +
== Trotski et la morale ==
 +
Dans ''[[Leur morale et la nôtre]]'', [[Léon Trotsky|Trotski]] glisse quelques remarques sur l'utilitarisme. Sa cible principale dans ce pamphlet est la tendance hypocrite de certains à cacher derrière leurs conceptions kantiennes (donc, des principes moraux absolus, déontologiques) leur morale de classe. Ceux-ci condamnent les bolchéviks pour avoir défendu l'idée que dans une certaine mesure, [[la fin justifie les moyens]] (le socialisme et la lutte des classes justifient les mesures révolutionnaires par exemple).
 +
<blockquote>
 +
« Les moralistes du type anglo-saxon, dans la mesure où ils ne se contentent pas d'un utilitarisme rationaliste — de l'éthique du comptable bourgeois — se présentent comme les disciples conscients ou inconscients du vicomte de Shaftesbury qui — au début du XVIIIe siècle — déduisait les jugements moraux d'un sens particulier, le sens moral inné à l'homme. »<ref>Léon Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/morale/morale.htm Leur morale et la nôtre]'', 1938</ref>
 +
</blockquote>
 +
Il remarque un peu plus loin que  l'utilitarisme implique pourtant l'idée que la fin justifie les moyens, mais que les petit-bourgeois anglais ne le voient pas, pris dans leur [[empirisme]] étroit :
 +
<blockquote>
 +
« Il est frappant que le bon sens du philistin anglo-saxon réussisse à s'indigner du principe "jésuitique" tout en s'inspirant de l'utilitarisme, si caractéristique de la philosophie britannique. Or, le critérium de Bentham et de John Mill, "le plus grand bonheur possible du plus grand nombre" ("the greatest possible happiness of the greatest possible number"), signifie bien : les moyens qui servent au bien commun, fin suprême, sont moraux. De sorte que la formule philosophique de l'utilitarisme anglo-saxon coïncide tout à fait avec le principe "jésuitique" : que la fin justifie les moyens. L'empirisme, nous le voyons, existe ici-bas pour dégager les gens de la nécessité de joindre les deux bouts d'un raisonnement. »
 +
</blockquote>
  
 
==Notes==
 
==Notes==
 
<references />
 
<references />
 +
[[Catégorie:Philosophie]]
 +
[[Catégorie:Morale]]
 +
[[Catégorie:Théorie]]

Version du 13 juin 2020 à 19:07

L’utilitarisme est une doctrine en philosophie politique ou en éthique sociale qui prescrit d'agir (ou de ne pas agir) de manière à maximiser le bien-être collectif, entendu comme la somme ou la moyenne de bien-être (bien-être agrégé) de l'ensemble des êtres sensibles et affectés. Les utilitaristes perçoivent donc le gaspillage de bien-être comme une injustice. Autrement dit, une production de bien-être total ou moyen, inférieur au maximum de ce qui est possible, apparaît injuste à leurs yeux.

L'utilitarisme est une théorie conséquentialiste, évaluant une action (ou une règle) uniquement en fonction des conséquences escomptées. En tant que doctrine, elle est qualifiée d'eudémoniste, mais à l'opposé de l'égoïsme, l'utilitarisme insiste sur le fait qu'il faut considérer le bien-être de tous et non le bien-être de l'acteur seul. Elle se distingue donc de toute morale idéaliste, plaçant la raison à la source des actions, ou encore de toute morale rationnelle telle que celle de Kant. L'utilitarisme se conçoit donc comme une éthique devant être appliquée tant aux actions individuelles qu'aux décisions politiques et tant dans le domaine économique que dans les domaines sociaux ou judiciaires.

À cette doctrine s'opposent les anti-utilitaristes qui perçoivent dans l'utilitarisme une hégémonie du modèle économique et une approche purement instrumentale de l'action politique et des rapports sociaux.

1 Marx sur Bentham

Dans le Capital, Marx porte un jugement dur sur Jeremy Bentham, qui est un des pères de l'utilitarisme :

Jérémie Bentham est un phénomène anglais. Dans aucun pays, à aucune époque, personne, pas même le philosophe allemand Christian Wolf, n'a tiré autant de parti du lieu commun. Il ne s'y plaît pas seulement, il s'y pavane. Le fameux principe d'utilité n'est pas de son invention. Il n'a fait que reproduire sans esprit l'esprit d'Helvétius et d'autres écrivains français du XVIII° siècle.   Pour savoir, par exemple, ce qui est utile à un chien, il faut étudier la nature canine, mais on ne saurait déduire cette nature elle-même du principe d'utilité. Si l'on veut faire de ce principe le critérium suprême des mouvements et des rapports humains, il s'agit d'abord d'approfondir la nature humaine en général et d'en saisir ensuite les modifications propres à chaque époque historique. Bentham ne s'embarrasse pas de si peu. Le plus sèchement et le plus naïvement du monde, il pose comme homme type le petit bourgeois moderne, l'épicier, et spécialement l'épicier anglais. Tout ce qui va à ce drôle d'homme-modèle et à son monde est déclaré utile en soi et par soi. C'est à cette aune qu'il mesure le passé, le présent et l'avenir. La religion chrétienne par exemple est utile. Pourquoi ? Parce qu'elle réprouve au point de vue religieux les mêmes méfaits que le Code pénal réprime au point de vue juridique. La critique littéraire au contraire, est nuisible, car c'est un vrai trouble-fête pour les honnêtes gens qui savourent la prose rimée de Martin Tupper. C'est avec de tels matériaux que Bentham, qui avait pris pour devise : nulla dies sine linea, a empilé des montagnes de volumes. C'est la sottise bourgeoise poussée jusqu'au génie.[1]

En revanche, il avait une bien meilleure image de John Stuart Mill, autre père de l'utilitarisme.

2 Trotski et la morale

Dans Leur morale et la nôtre, Trotski glisse quelques remarques sur l'utilitarisme. Sa cible principale dans ce pamphlet est la tendance hypocrite de certains à cacher derrière leurs conceptions kantiennes (donc, des principes moraux absolus, déontologiques) leur morale de classe. Ceux-ci condamnent les bolchéviks pour avoir défendu l'idée que dans une certaine mesure, la fin justifie les moyens (le socialisme et la lutte des classes justifient les mesures révolutionnaires par exemple).

« Les moralistes du type anglo-saxon, dans la mesure où ils ne se contentent pas d'un utilitarisme rationaliste — de l'éthique du comptable bourgeois — se présentent comme les disciples conscients ou inconscients du vicomte de Shaftesbury qui — au début du XVIIIe siècle — déduisait les jugements moraux d'un sens particulier, le sens moral inné à l'homme. »[2]

Il remarque un peu plus loin que l'utilitarisme implique pourtant l'idée que la fin justifie les moyens, mais que les petit-bourgeois anglais ne le voient pas, pris dans leur empirisme étroit :

« Il est frappant que le bon sens du philistin anglo-saxon réussisse à s'indigner du principe "jésuitique" tout en s'inspirant de l'utilitarisme, si caractéristique de la philosophie britannique. Or, le critérium de Bentham et de John Mill, "le plus grand bonheur possible du plus grand nombre" ("the greatest possible happiness of the greatest possible number"), signifie bien : les moyens qui servent au bien commun, fin suprême, sont moraux. De sorte que la formule philosophique de l'utilitarisme anglo-saxon coïncide tout à fait avec le principe "jésuitique" : que la fin justifie les moyens. L'empirisme, nous le voyons, existe ici-bas pour dégager les gens de la nécessité de joindre les deux bouts d'un raisonnement. »

3 Notes