Différences entre les versions de « Union sacrée (1914) »

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Version du 2 août 2011 à 21:13

L'Union sacrée est le nom qu'a reçu le mouvement général d'unité des français lors du déclenchement de la Première guerre mondiale, favorisé par la propagande chauvine et, plus grave, par la trahison du mouvement socialiste et syndical. Des mouvements analogues ont eu lieu au même moment dans les autres pays belligérants d'Europe : au Royaume-Uni, en Russie, le "Burgfrieden" en Allemagne...

Concrètement, cela a signifié que des millions de prolétaires d'Europe se sont entretués, parfois socialistes contre socialistes, au nom d'une guerre impérialiste bénéficiant uniquement à la bourgeoisie européenne.

1 Contexte et enjeux

1.1 Ferveur chauvine

Le premier facteur d'explication de l'entrain des français pour la guerre est l'atmosphère de ferveur chauvine qui régnait alors, et qui en l'absence d'un autre son de cloche, d'une autre direction, surpassa tout sentiment de solidarité européen. Il faut rappeler que la propagande "anti-prussienne" était omniprésente. Elle était la norme dans les écoles où l'on apprenait que le boche est l'ennemi héréditaire, et véhiculée abondamment par la droite nationaliste. Celle-ci n'eut pas de difficulté à agiter le souvenir de la guerre de 1870 et l'annexion de l'Alsace-lorraine, puis à proclamer la "patrie en danger" lorsque la belgique neutre fut envahie par l'Allemagne.

Ajoutons enfin que chaque pays a fait le maximum d'efforts pour convaincre son opinion qu'il s'agissait d'une "guerre défensive" : la France se défendant contre l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne, l'Allemagne se défendant contre la Russie...

1.2 Trahison socialiste

Pour comprendre à quel point l'Union sacrée représente une trahison du socialisme, il faut rappeler les accords de principe qui existaient dans l'Internationale ouvrière à propos du pacifisme. L'Internationale avait voté de nombreuses résolutions sur la guerre lors de ses congrès, et il était entendu que les partis socialistes d'Europe appelleraient unanimement à la grève générale pour paralyser le militarisme. L'aile marxiste de la social-démocratie avait entr'aperçu et combattu la montée de l'opportunisme dans le mouvement socialiste, mais fut néanmoins totalement surprise par cette trahison si brutale.

La stupeur est telle que Lénine, en Suisse lorsqu'il reçoit la nouvelle, croira d’abord que cette annonce est un faux de l’Etat-major allemand.

L'Internationale ouvrière s'étant alors profondément discréditée, les éléments les plus militants parmi la social-démocratie vont se réunir pour tenter de s'organiser. Les conférences de Zimmerwald et Kienthal seront selon les bolchéviks le prélude de la Troisième internationale (même si des menchéviks et des SR participaient à ces conférences), qui sera lancée à l'initiative des bolchéviks victorieux en Russie en 1917. Le divorce est alors consommé entre les "socialistes" et ceux, majoritaires, qui seront nommés et se nommeront par démarcation "communistes".

2 Les profiteurs de guerre

Pour les capitalistes, la guerre ne signifie nullement "se serrer la ceinture, avec la peur au ventre de ne plus revoir un mari, un fils, un frère, un ami parti pour le front. Tout ce beau monde s'était engraissé avec bonne conscience avec les fournitures de guerre, tandis qu'à l'arrière les salaires étaient réduits au minimum vital "pour assurer la victoire de la patrie" et bien sûr "pour ne pas compromettre la compétitivité des entreprises". Toutes les classes dominantes avaient eu intérêt à déclencher la guerre : les grands propriétaires fonciers, les marchands de canons, les banquiers et les spéculateurs avides.

Le groupe sidérurgique Krupp a clôturé les années de guerre avec un bénéfice de quelque 40 millions de marks de l'époque. Pour faire main basse sur ce pactole, tous les moyens étaient bons. Le journaliste allemand Gunther Walraff a relaté comment les soldats allemands se faisaient déchiqueter durant la Première Guerre mondiale par des grenades britanniques pourvues de mécanisme de mise à feu breveté par Krupp. Pour chaque grenade lancée sur les "armées de la patrie", Krupp empochait 60 marks.

Les travailleurs des pays en guerre s'entre-tuaient tandis que Krupp et le fabricant britannique de mitrailleuses Vickers pouvaient compter sur une "collaboration fructueuse".

3 L'Union sacrée dans les différents pays

3.1 France

Les intentions du gouvernement sont claires dès le 19 juillet 1913, lorsqu'il fait passer la Loi des trois ans qui instaure un service militaire de trois ans en vue de préparer l'armée française à la guerre avec l'Allemagne. Les socialistes affirment une opposition de principe, mais ne cherchent pas à mobiliser leur base ouvrière. Les dirigeants de la SFIO et de la CGT, des plus modérés aux plus intransigeants, sont rongés par l'opportunisme et le réformisme. Ce qui conduit des hommes foncièrement honnêtes comme Jean Jaurès à faire du pacifisme un combat idéaliste, à croire qu'ils pourraient convaincre au sommet de l'État de "l'erreur" que représentait la guerre. L'échec fut cinglant : les socialistes furent soient traîtres soit impuissants dans cette période.

Le terme fut utilisé pour la première fois par le Président Raymond Poincaré dans son message à la Chambre des députés le 4 août 1914 :

« Dans la guerre qui s'engage, la France [...] sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique »

Et effectivement, l’ensemble des organisations syndicales et politiques de gauches (CGT et SFIO en tête) proclamèrent le soutien à l'unité de la Nation. Cette unanimité nationale persista, mis à part quelques dissidences de gauche, jusqu’à la fin du conflit.

Le 27 juillet 1914, la CGT appelait encore à une manifestation qui réunit de nombreuses personnes sur les Grands Boulevards à Paris. Mais dans le même temps, la direction rassurait le gouvernement et un compromis tacite eut lieu : la CGT ne gênera pas la mobilisation, et le gouvernement n'utilisera pas le Carnet B[1] pour décapiter la CGT.

Le 31 juillet 1914, Jaurès est assassiné, et de nombreux dirigeants craignent une révolte massive, préparent même deux régiments prêts à cette éventualité. Mais là encore, la direection de la SFIO fait savoir au gouvernement qu'elle n'appellera à aucune manifestation.

Lorsque la mobilisation générale est décrétée le 1er août, aucune opposition sérieuse n'est entendue, et on dénombrera seulement 1,5% de désertions.

Lors du Conseil national de la CGT, tenu du 26 novembre au 5 décembre 1914, seule une minorité se prononce contre la guerre. Le 3 janvier 1915, Pierre Monatte démissionne en protestation contre le ralliement à l'Union Sacrée. La guerre fait chuter les effectifs à 50 000 adhérents.

3.2 Allemagne (Burgfrieden)

En Allemagne, c'est l'expression Burgfrieden -littéralement paix des forteresses- qui sera employée.

Le 2 août, la Commission générale des syndicats allemands assurait le gouvernement de son soutien en renonçant pendant la guerre aux grèves et aux hausses de salaire.

Le 4 août 1914, le Kaiser Guillaume II réunit les représentants de tous les partis siégeant au Reichstag et proclame :

« Je ne connais plus de partis, je ne connais que des Allemands ! Comme preuve du fait qu'ils sont fermement décidés, sans différence de parti, d'origine ou de confession à tenir avec moi jusqu'au bout, à marcher à travers la détresse et la mort, j'engage les chefs des partis à avancer d'un pas et de me le promettre dans la main »[2]

Et dans la foulée le groupe parlementaire du SPD vote pour les crédits militaires, ce qui porte un coup terrible à toute la social-démocratie, et par-delà, à toute la classe ouvrière européenne car ce parti était le pilier décisif de la deuxième internationale.

Au nom du "socialisme", le SPD va affirmer que la victoire de l’impérialisme allemand sera un progrès, notamment dans la défaite qu’il infligerait au régime tsariste semi-féodal qui prévaut en Russie. Il renvoie l’Internationale au rang d’instrument "valable en temps de paix",

Rares sont les sociaux-démocrates qui, comme Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, ou Otto Rühle, qui refusent publiquement le ralliement à l’Union sacrée. L'USPD (Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne) sera fondé peu de temps après.

Liebknecht, député de Berlin, votera seul contre les crédits militaires, et sera envoyé au front avant d’aller en prison pour avoir manifesté publiquement contre la guerre, et en uniforme, clamant que «l’ennemi principal est dans notre propre pays». Luxembourg passera une grande partie de la guerre en prison pour antimilitarisme. La faillite historique de son parti social-démocrate ne pouvait que prendre le prolétariat allemand au dépourvu, le tétaniser. Que l’appareil construit pour l’émancipation de la classe ouvrière se resserre au moment décisif sur elle comme un carcan étouffant ne pouvait se surmonter d’un coup de baguette magique, ni en quelques mois, surtout pas dans la situation créée par la guerre elle-même. La trahison du puissant appareil social-démocrate créait les conditions les plus défavorables à la construction d’un nouveau parti ouvrier et révolutionnaire.

3.3 Russie

L’Union Sacrée se forme en Russie lorsque la Douma vote des crédits de guerre, même si une opposition à la guerre se développe dans les milieux libéraux et révolutionnaires. Les socialistes russes sont divisés entre le ralliement et le défaitisme révolutionnaire.

3.4 Angleterre

4 Fin de l'Union sacrée

4.1 Russie

La Russie tsariste fut le maillon faible du monde capitaliste, le premier à céder. La guerre impérialiste était si intrinsèquement liée au capitalisme que le prolétariat russe, se conscientisant rapidement, dut aller jusqu'à la révolution socialiste pour imposer la fin de la guerre pour la Russie en 1917. Un des premiers actes politiques des bolchéviks arrivés au pouvoir fut de lancer un appel fraternel aux travailleurs en uniforme militaires, notamment aux Allemands, par dessus la tête de leurs états-majors. La réponse tardant à venir et la Russie étant à bout, ils doivent signer le traité très désavantageux pour la Russie de Brest-Litovsk en mars 1918.

4.2 Allemagne

En novembre 1918, les ouvriers et les soldats allemands ont mis fin aux horreurs de la Première Guerre mondiale, ouvrant une crise révolutionnaire jusqu'en 1923, qui fut hélas écrasée par la réaction bourgeoise.

4.3 France

Au cours de l'année 1917, on compte 696 grèves et 293 810 grévistes en France. Parallèlement, les effectifs de la CGT remontent à 300 000. Les 6 et 7 novembre c'est la rupture de l'Union sacrée. 

En 1918, on recense 499 grèves et 176 187 grévistes en France et la CGT passe à 600 000 adhérents.

Au cours de l'année 1919, on compte 2 206 grèves et 1 160 000 grévistes et la CGT bondit à un effectif de 1 million et demi d'adhérents. Le 1er mai 500 000 manifestants défilent à Paris et on comptera un mort. Malgré des concessions en hâte comme les conventions collectives ou la journée de 8 heures, le mouvement ouvrier est en éveil.

5 Notes et sources

Article de Peter Van der Biest de 1998  sur socialisme.be
Article publié en mai 2003 par le groupe Combattre pour le socialisme
Le mythe Jaurès, ou l'opportunisme honnête, Revue Que faire ?, Janvier/Mars 2005

  1. Le Carnet B était une liste tenue par la gendarmerie de "personnes susceptibles de s'opposer aux ordres de mobilisation ou de troubler l'ordre public en cas de conflit".
  2. Discours rédigé par Bethmann Hollweg.