Union générale des travailleurs juifs

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Manifestation du Bund en 1917

L’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie (yiddish : אַלגעמײנער ײדישער אַרבעטער בונד אין ליטע, פוילן און רוסלאַנד ; russe : Всеобщий еврейский рабочий союз в Литве, Польше и России), plus connue comme le Bund (yiddish : בונד, russe: Бунд), est un mouvement socialiste juif créé à la fin du 19e siècle dans l'Empire russe.

Militant pour l’émancipation des travailleurs juifs dans le cadre d’un combat plus général pour le socialisme, il prône le droit des Juifs à constituer une nationalité laïque de langue yiddish. Il s’oppose donc tant au sionisme qu’au bolchevisme dont il critique les tendances centralisatrices. Le mouvement perd la plupart de ses adhérents et de son influence avec la Shoah.

Le Bund eut un rôle majeur au sein des mouvements politiques juifs de l'Empire russe.

1 Débuts en Russie

1.1 Naissance du Bund

Les précurseurs du Bund sont les cercles socialistes de Vilna dans les années 1870. Une des personnalités qui préparent sa naissance est sans nul doute Aaron Liberman, qui forme ces premiers cercles, diffuse la première presse socialiste juive et fait le choix du yiddish pour la propagande en direction des ouvriers[1].

Le Bund est fondé à Vilne (forme yiddish du nom de la ville de Vilna/Wilno, aujourd'hui Vilnius, capitale de la Lituanie) le 7 octobre 1897, par des militants du cercle marxiste de la ville, comme Arkadi Kremer, surnommé « le père ». Il cherche à unifier tous les travailleurs juifs de l'Empire russe dans le cadre d'un parti socialiste unifié. L'Empire russe comprend à l'époque la Lituanie, la Lettonie, la Biélorussie, l'Ukraine et la plus grande partie de la Pologne. Dans ces pays vit la majorité de la population juive du monde.

Dès le début, le Bund cherche à s'allier avec le large mouvement social-démocrate russe afin de construire une Russie démocratique et socialiste. Bien que le terme « juif » soit dans le nom du parti, ses fondateurs ne veulent pas créer un parti spécifiquement juif : ils sont des sociaux-démocrates qui travaillent en milieu juif et en yiddish. Pour eux, le parti est un détachement du mouvement socialiste russe œuvrant en milieu juif. Selon Nathan Weinstock, « ce qui est juif dans le Bund, c'est le prolétariat local qu'il vise à gagner à ses idées et non le parti lui-même »[2].

Le Bund diffuse une presse clandestine de qualité, en yiddish, qui résiste à la répression tsariste : plus de 40 livraisons de son organe central, Di Arbeter Shtime, entre 1897 et 1905[3].

1.2 Une organisation laïque qui rompt avec la tradition juive

Le Bund était un parti socialiste laïque, s'opposant à ce qui lui paraissait réactionnaire dans la vie traditionnelle juive en Russie. Le parti se heurte à l'hostilité des rabbins qui condamnent les actions contre le tsarisme comme ce rabbin de Minsk (« Comment nous autres Juifs, qui sommes des vers rampants, pouvons-nous nous compromettre dans de telles actions ? ») ou qui s'opposent aux grèves comme ce rabbin de Krynki, pendant la grève des tanneurs de 1903 (« De tels actes de protestation mettent le monde sans dessus dessous et votre union est une chose dangereuse. Vos leaders doivent être arrêtés. »)[4]. La naissance du Bund marque la rupture d'une tradition juive ancrée dans les communautés de Russie. Une nouvelle forme de religiosité en vient même à supplanter les anciennes croyances : « La littérature socialiste est notre Torah » disent les brossiers de Mezerich. Selon Rachel Ertel, « pour certains, l'athéisme devint un article de foi pour laquelle ils étaient prêts à mourir comme leurs pères pour la « Sanctification du nom » (Kiddoush Hashem) ».

Un autre aspect de cette rupture avec la tradition juive est une stricte égalité hommes-femmes dans le Bund, non exempte de puritanisme.

1.3 Relations avec le POSDR

Créé avant le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), le Bund fut reconnu comme étant une faction constituante de ce parti au Congrès de Minsk tenu en mars 1898 (le Bund en fut d'ailleurs le principal organisateur). Dans les 5 années suivantes, le Bund représentait les travailleurs juifs au sein du POSDR, même si beaucoup de socialistes russes d'origine juive, spécialement ceux vivant en dehors de la zone de résidence, rejoignaient le POSDR directement. Depuis 1901, le Bund défendait la transformation du POSDR en une fédération d’organisations nationales. Cela allait à l'encontre du projet du groupe de l'Iskra, qui cherchait à regrouper l'ensemble des groupes social-démocrates dispersés dans l'Empire.

Sur les revendications à adopter pour l'organisation future de l'Etat, le Bund est encore très divisé. Beaucoup craignent que mettre en avant des revendications nationales les éloigne de l'internationalisme ouvrier. Les débats s'ouvrent notamment à l'occasion du 4e congrès du Bund, fin mai 1901, avec l'ouverture de tribunes libres où différents points de vue sont exprimés. La moitié du parti croyait, à cette époque, qu’à l’avenir les Juifs seraient assimilés et qu’il ne fallait rien faire pour les séparer, territorialement ou même « culturellement ».

En 1903, un ou deux mois avant le 2e congrès du POSDR, le Bund tient une conférence à Karlsruhe, à laquelle participe Trotski. Vladimir Medem, militant local et théoricien du Bund, relate dans ses mémoire cette conférence[5]. Il raconte que Trotski répondit « cordialement et avec humour » à de jeunes spectateurs sionistes qui prirent la parole. La discussion s’envenima lorsque fut abordée la politique que le POSDR devait adopter pour combattre l’antisémitisme. Medem accusa le parti de négliger cette tâche. Trotski lui répondit que le parti distribuait des tracts à ce sujet, mais qu'il était peu utile de combattre spécifiquement l’antisémitisme : pour éliminer un sentiment solidement enraciné, vestige de l’ignorance qui dominait à l’époque médiévale, il fallait surtout élever le niveau général de conscience des masses. Pour Medem, ce discours « n’était rien d’autre qu’une façon de se dissimuler à ses propres yeux la grave et réelle responsabilité des socialistes russes ».[6]

En tant qu'organisation déjà constituée, le Bund avait un rôle organisateur important dans le congrès. Les partisans de l'Iskra, et en particulier Lénine, s'affairaient pour regrouper une majorité solide de délégués de leur côté. Ainsi il pressait ses contacts en Russie d'être les plus actifs organisateurs, au détriment des autres courants social-démocrates. Il écrivait à Lengnik, le 23 mai 1902 :

« Vous avez donc pour tâche à présent de constituer en votre sein un comité pour la préparation du Congrès…, d’installer nos gens dans le plus grand nombre possible de comités, en vous préservant et en préservant les nôtres comme la prunelle de nos yeux jusqu’au Congrès. Tout cela est très important ! Souvenez-vous-en. Soyez en cela plus hardi, ayez davantage de confiance en vous-même et d’initiative, et pour le reste, soyez le plus discret et le plus prudent possible.

Ayez la sagesse du serpent et (avec les comités : le Bund et celui de Pétersbourg) la douceur de la colombe. »

Ou encore à Radtchenko :

« Agissez avec le plus de sérieux et de prudence possible. Prenez pour vous le plus de régions possible, où vous vous chargerez de préparer le congrès, appuyez-vous sur le bureau (en lui donnant un autre nom), en un mot, faites en sorte que vous ayez la haute main sur toute l’affaire, et que, pour le moment, le Bund ne s’occupe que des affaires du Bund…

Par conséquent, pour le moment, proposez « un comité russe pour la préparation du congrès », dont la composition soit la plus avantageuse pour nous (il sera peut-être commode de dire que vous avez déjà organisé ce comité et que vous êtes très heureux de la participation du Bund, ou quelque chose comme cela). Chargez-vous absolument du secrétariat de ce comité. Ce sont là les premiers pas. Ensuite, nous verrons.

Je vous dis de « proposer » le comité, pour que vous ayez davantage de liberté : ne vous liez pas d’un seul coup vis-à-vis du Bund (on peut dire, par exemple, que les contacts sont pris avec la Volga, le Caucase, le centre – nous avons quelqu’un là-bas – et le sud – nous en avons deux qui s’y rendent), et posez-vous en maître de cette entreprise. Mais tout cela très prudemment, de façon à ne pas susciter de reproches. »

Le 2e congrès du POSDR s'ouvrit en juillet 1903. Le Bund revendiquait une autonomie nationale-culturelle au sein du futur Etat démocratique (sans faire cependant de ce point une condition sine qua non). Ce point fut rejeté par la majorité, mais le Bund n'en faisait pas un point de rupture (n'ayant pas encore de majorité claire sur ce point). Mais le Bund en revanche tenait à une autonomie à l'intérieur du POSDR (droit d’élire son propre comité central et de déterminer sa propre politique sur les questions concernant la population juive). Le congrès, majoritairement composé d’ « iskristes », s’opposait au Bund car il entrevoyait dans leurs exigences un séparatisme qui créerait des précédents pour d’autres groupes et mettrait en péril l’unité du parti. C’est aux iskristes juifs Martov et Trotsky que revint la tâche de réfuter les exigences du Bund. Martov avait été l’un de ses membres fondateurs ; quant à Trotsky, il prit la parole en tant que « représentant des iskristes d’origine juive ». Ce fut là une des rares fois où Trotsky fit référence à sa judéité[7]. Mené « entre Juifs », le débat n’en fut pas pour autant facile. Trotsky prit la parole dix fois contre le Bund durant le débat, provoquant leur colère et indignation. Deutscher raconte :

« Exiger que le Bund soit reconnu comme seul représentant du parti auprès des travailleurs juifs revenait à proclamer que seuls les Juifs étaient habilités à porter le message socialiste aux travailleurs juifs et à les organiser. C’était adopter là une attitude méfiante à l’égard des membres non juifs du parti, souligna Trotsky, et lancer un défi à leurs convictions et à leurs sentiments internationalistes. (…) "Le Bund, s’écria Trotsky au milieu d’une tempête de protestations, est libre de ne pas faire confiance au parti, mais il ne peut pas espérer que le parti vote contre lui-même." Le socialisme, argumenta Trotsky, s’attachait à "renverser les barrières entre les races, les religions et les nationalités et non à prêter la main à leur édification" »[7]

Mis en minorité, les délégués du Bund quittèrent le Congrès. Ce fut un coup dur car le Bund représentant alors 25 000 membres sur les 34 000 du POSDR.

Lors de son 6e congrès, en octobre 1905, le Bund adopte définitivement la revendication d'autonomie nationale-culturelle pour les Juifs de l'Empire russe.

Le Bund rejoignit formellement les rangs du POSDR lorsque toutes ses factions se réunifièrent au 4e congrès (de l'Unité) tenu à Stockholm en avril 1906, néanmoins le parti resta fracturé autour de dissensions ethniques et idéologiques. En général, le Bund tendait à soutenir la faction des Mencheviks conduite par Martov et s'opposait à la faction bolchévique conduite par Lénine, et ce durant toutes les luttes factionnelles qui agitèrent le Parti social-démocrate jusqu'à la Révolution d'octobre 1917.

La polémique entre le Bund et les bolchéviks reprend de la vigueur à partir de 1913. Lénine prône l’assimilation des juifs et parle du Bund comme d’un « groupe d’intellectuels libéraux qui ont corrompu les ouvriers juifs avec le nationalisme et le séparatisme bourgeois ».[8] Medem et Liebmann Hersch polémiquent contre lui.

1.4 Une organisation contre le sionisme et l’assimilationnisme

Le Bund s'opposa fermement au sionisme, affirmant que l'émigration en Palestine n'était qu'une forme de fuite en avant. Lors de son 4e congrès, le Bund « considère le sionisme comme une réaction de la classe bourgeoise contre l'antisémitisme et la situation anormale du peuple juif. Le sionisme politique érigeant pour but la création d'un territoire pour le peuple juif ne peut prétendre résoudre la question juive, [...] ni satisfaire le peuple dans son ensemble »[9]

En 1905, l'un des pères du marxisme russe, Plekhanov, définira dans un interview accordée au militant sioniste Vladimir Jabotinsky les bundistes comme « des sionistes qui ont le mal de mer[10] ». Le Bund ne défendait pas le séparatisme, fondé sur la culture, ou sur un État ou un endroit comme devant être la colle qui rassemblerait un nationalisme juif. En cela, il suivait les thèses de l'école marxiste autrichienne, ce qui tendit encore plus à éloigner le Bund des Bolcheviks et de Lénine.

Le Bund défend un ‟patriotisme de la Galout” (Galout signifiant "exil" en hébreu, en référence à la diaspora juive), qu'il décrivait comme un facteur positif de la vie juive contrairement aux sionistes. Il préférait inviter les ouvriers à la lutte sur place, en Russie. Medem exaspérait les sionistes lorsqu'il écrivait : « Mes sentiments envers le judaïsme, selon le terme des sionistes, c’est le sentiment national de la Galout. Les palmiers et les vignobles de Palestine me sont étrangers ».

Il mettait en avant l'utilisation du yiddish comme langue nationale juive et s'opposa aux efforts des sionistes de faire revivre l'hébreu. Cela s'opposait à la fois à ceux qui défendaient l’assimilation (dans une langue non-juive) et au nationalisme sioniste ou autonomiste (s’il s’agit de l’hébreu). Esther Frumkin fut une des leaders bundistes qui défendaient cette position avec le plus de fermeté.

Le Bund se répandit principalement parmi les artisans et les ouvriers juifs, mais aussi parmi l'intelligentsia juive qui se développait. Il agit aussi bien en tant que parti (dans les limites que les conditions politiques du moment permettaient) que comme syndicat.

Le Bund s'allia parfois avec les sionistes socialistes et d'autres groupes pour former des milices d'auto-défense qui se chargeaient de protéger les communautés juives des pogroms ou des actions gouvernementales. Durant la Révolution de 1905, le Bund fut à la pointe de la contestation, notamment en Biélorussie.

1.5 Le Bund et l'autonomisme de Simon Doubnov

Par ailleurs, les théoriciens du Bund opposent le marxisme à l’autonomisme juif de Simon Doubnov. Vladimir Medem place la lutte des classes au-dessus de tout et refuse la notion de ‟solidarité de la nation juive”, puisqu’elle tend à réconcilier la bourgeoisie et le prolétariat.

A partir de 1910, Medem adopte une attitude plus souple concernant le destin des Juifs en tant que nation. Il reconnaît la valeur des luttes nationales… à condition qu’elles soient compatibles avec la pensée marxiste. Ses écrits de 1916 reprennent certaines idées élaborées par Doubnov au sujet de l’autonomie nationale et culturelle ainsi que celles de Karl Renner concernant le statut de l’autonomie personnelle. Toutefois, et contrairement à Doubnov, Medem n’accepte pas d’envisager une communauté culturelle à l’échelle mondiale. Il juge qu’il est exagéré d’évoquer une nation juive unifiée.

1.6 Dans la Révolution de 1917

Comme les autres partis socialistes, le Bund accueillit la Révolution de Février 1917 qui mit fin au tsarisme. Mais le Bund resta étroitement allié aux menchéviks, qui eurent un rôle conciliateur envers le gouvernement provisoire, au nom du fait que l'heure était à consolider la révolution bourgeoise et qu'on ne devait ni pouvait aller au delà.

Lors de la grande manifestation du 18 juin à Petrograd, où les mots d'ordres des bolchéviks dominent largement, seuls trois groupes socialistes arborent des pancartes en l'honneur du gouvernement : le cercle de Plekhanov, un contingent de Cosaques et une poignée d'intellectuels juifs qui se rattachaient au Bund. Ils durent ramballer leurs pancartes sous les cris hostiles de la foule.

Lors du 2e congrès des soviets (25-26 octobre), les représentants du Bund quittent la salle avec les leaders menchéviks et SR, accusant les bolchéviks d'avoir fait un coup d'Etat. Dans la nuit du 25 au 26, alors que l'on attend de savoir si le Palais d'Hiver va chuter, le représentant du Bund déclare que « tout ce qui se passe à Petrograd est un malheur » et invite les délégués à se joindre aux conseillers de la Douma municipale qui se préparent à se rendre sans armes au palais d'Hiver pour y périr avec le gouvernement. Ils sortent sous les huées.

Avec la guerre civile russe et l'augmentation inquiétante des pogroms antisémites des nationalistes et des Blancs, le Bund reconnut le gouvernement soviétique et ses membres combattirent dans l'Armée rouge en grand nombre.

En avril 1920, le Bund se scinda, perdant son aile gauche emmenée par Heifetz au profit des bolcheviks. Ceux-ci furent vite suivis par la faction centrale conduite par Moyche Rafes. La tendance était de s'unifier avec le Parti socialiste juif unifié pour former le Bund juif communiste, ou Kombund, qui, à son tour, rejoignit le parti bolchévik en 1921. En 1922, le Bund avait cessé d'exister comme parti indépendant dans la nouvelle Union soviétique. Beaucoup d'anciens militants du Bund furent les victimes des purges staliniennes des années 1930.

2 Sous la Deuxième république polonaise (1918-1939)

La coopération avec le Parti socialiste polonais (PPS, gauche nationaliste) était difficile en raison de l'antisémitisme très ancré chez de nombreux électeurs polonais. Le PPS craignait d'être étiqueté comme un « parti judéophile » par la propagande des endeks (Parti national démocratique, droite antisémite) et reporta donc pendant longtemps la coopération organisationnelle avec le Bund.

De son côté, Józef Piłsudski (1867-1935), un des fondateurs du PPS qui devint le premier président (1920-1922) de la Pologne redevenue indépendante, puis son dictateur de 1926 à 1935, eut une attitude clairement hostile à tout antisémitisme et favorable à un nationalisme polonais inclusif, non raciste. C'est sous son impulsion, afin d'assimiler politiquement les Juifs et de concurrencer le Bund, qu'une section juive du PPS fut mise en place en 1901.

Lors des dernières élections municipales avant l'occupation de la Pologne par l'Allemagne et l'Union soviétique en 1939, le Bund devint le plus important des partis juifs. En janvier 1939, 17 des 20 élus juifs au conseil municipal de Varsovie étaient des bundistes (dus en grande partie aux dissensions à l'intérieur du mouvement juif ultra-orthodoxe Agoudath Israël), 11 sur 17 à Łódź. Un début de coopération entre le Bund et le PPS s'était par ailleurs pour la première fois mis en place, sans listes communes mais avec des appels réciproques de vote pour l'autre liste là où seul l'un des deux partis de gauche se présentait. Cette alliance rendit possible une victoire de la gauche dans la plupart des grandes villes : Varsovie, Łódź, Lwów (à l'époque polonaise), Piotrkow, Cracovie, Białystok, Grodno, Vilnius (Wilno à l'époque polonaise), etc.

Le Bund ne fut toutefois jamais représenté au parlement polonais (Sejm) où les autres partis juifs (sionistes, orthodoxes d'Agoudat Israel ou libéraux laïcs du Folkspartei), obtinrent pourtant des sièges soit en coopérant avec des partis d'autres minorités (Ukrainiens, Biélorusses, Lituaniens, Allemands) ou en formant des cartels juifs. Après ses succès municipaux en décembre 1938 et janvier 1939, le Bund espéra transformer l'essai aux législatives prévues pour septembre, mais la Pologne fut envahie le 1 septembre 1939 conformément au Pacte germano-soviétique.

Le Bund polonais fut affilié au Centre marxiste révolutionnaire international.

2.1 Organisations dépendantes du Bund

Le Bund contrôlait de nombreuses organisations par lesquelles ils exerçait son influence dans la sphère sociale. Les principales étaient les suivantes :

  • Yidishe Arbeter-froyen Organizatsye ou YAF, l'organisation bundiste des femmes, fondée au début des années 1920.
  • Tsukunft (L'Avenir), l’organisation de jeunesse du Bund.
  • Sotsyalistisher Kinder Farband ou SKIF, l'organisation pour les enfants jusqu'à l'âge de 15 ans.
  • Tsentrale Yidishe Shul-Organizatsye ou TSYSHO (Organisation centrale des affaires scolaires juives), organisation laïque chargée de l'éducation et gérant des écoles.
  • Tsentos ou Centos (Centrale d'aide aux orphelins et aux enfants), un réseau d’établissements de secours social créé en 1940 sous l'occupation nazie.
  • Morgenshtern (Étoile du matin), une association sportive.
  • Sanatorium Medem, une clinique destinée aux enfants atteint de tuberculose.

3 Sous l'occupation nazie

L'invasion de la Pologne par l'Allemagne fut suivie par l'entrée des armées soviétiques en Pologne orientale conformément aux dispositions du pacte germano-soviétique. Un certain nombre de dirigeants et de structures du Bund se retrouvèrent dans les territoires annexés par l'Union soviétique. Après l'invasion nazie, les bundistes jouèrent un rôle important dans la résistance armée des populations juives contre l'occupation nazie dans ces régions. L'activité du Bund fut cependant freinée par la répression stalinienne. En pleine guerre, Staline ordonna l'exécution de deux des principaux dirigeants du Bund. Victor Alter et Henryk Erlich furent fusillés à Moscou en décembre 1941 sous l'accusation cynique et mensongère d'être des agents de l'Allemagne nazie.

Un représentant du Bund, Samuel Zygelbojm, siégea au sein du gouvernement polonais en exil à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et se suicida en 1943 pour protester contre l'inaction des Alliés face à la Shoah en cours[11]. Le Bund joua également un rôle important lors de l'insurrection du ghetto de Varsovie et fut une des principales composantes de l'Organisation juive de combat dans laquelle il était représenté par Marek Edelman.

Après la guerre, le Bund participa aux dernières élections législatives de 1947 sur une liste commune avec le PPS et obtint alors le seul siège de député de son histoire en Pologne, ainsi que des sièges dans des conseils municipaux, pour s'autodissoudre deux ans plus tard.

Beaucoup de bundistes devinrent des militants des partis socialistes en Palestine, puis en Israël.

4 Au 21e siècle

Le Bund existe encore formellement au 21e siècle en tant que Bund travailliste juif, organisation associée à l'Internationale socialiste, mais la Shoah a anéanti les populations au sein desquelles il était enraciné. New York est sa base internationale[12], seules des sections subsistent en diaspora, en Australie[13], au Royaume-Uni[14], en Israël[15] ou encore en France avec le Centre Medem Arbeter Ring.

5 Dirigeants et responsables du Bund

6 Chronologie du Bund

  • 1897 Vilno. 7-9 oct. 1er congrès du Bund (3 500 adhérents). L’Arbeter Schtime (la voix ouvrière), clandestin, devient le journal du Comité Central.
  • 1898 Genève 13 mars. 1er congrès du POSDR. (3 bundistes sur 12 au comité central). Durant l’année, arrestation des dirigeants des Comités Centraux du Bund, de la SD et de nombreux militants.
  • 1898 Kovno. 2e congrès du Bund. Création du Comité du Bund à l’Étranger situé à Genève.
  • 1899 Kovno. Décembre. 3e congrès du Bund. Les droits nationaux des juifs à l’ordre du jour.
  • 1900 Paris. Participation du Bund au congrès de l’Internationale Socialiste.
  • 1901 Bialystok. Mai. 4e congrès du Bund ; « le concept de nationalité doit s’appliquer au peuple juif » ; « la Russie doit devenir une fédération de toutes les nationalités dont l’autonomie doit être garantie ».
  • 1903 Zurich. Juin. 5e congrès du Bund. Rejet de la « vengeance organisée ». Création du Klein Bund. Organisation des premiers groupes armés contre les pogromes. Neutralisme de Medem.
  • 1903 Bruxelles-Londres. 30 juillet. 2e congrès du POSDR. Conflit sur la structure du parti entre bolchéviks et menchéviks. Rupture du Bund (25 000 adhérents) avec le POSDR.
  • 1905 Zurich. 13 oct. 6e congrès du Bund. Adoption de la revendication d’ « autonomie nationale culturelle » pour le peuple juif.
  • 1906 Stockholm. 25 avril. 4e congrès du POSDR. Réintégration dans le POSDR en tant qu’organisation autonome (le Bund revendique 35 000 adhérents).
  • 1906 Lemberg. 28 août. 7e Congrès du Bund. Premier quotidien du Bund en yiddish.
  • 1917 Petrograd. 8e et dernier Congrès du Bund. Décembre : conférence du Bund à Lublin, qui consacre son implantation en Pologne.
  • 1920 Moscou. Mars-avril. Scission du Bund qui se saborde (Conférence de Minsk).
  • 1921-1922 Pologne. Congrès du Bund et des jeunesses du Bund (Zukunft/ Avenir). Ecoles juives. (Cisho) Syndicats créée et contrôlés par le Bund. Adhésion à l’Internationale socialiste. SKIF : 1926.
  • 1939 Occupation par l’Allemagne nazie de la Pologne. Le Bund organise les premiers mouvements clandestins. Dans la partie de la Pologne occupée par l’URSS, liquidation des bundistes.
  • 1948-1949 Le Bund est liquidé en Pologne. Tous les partis non communistes sont éliminés.

7 Notes et références

  1. Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, Un mouvement révolutionnaire juif, Éditions Denoël, Paris, 1999, p. 28 à 31.
  2. Nathan Weinstock, Le Pain de Misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1er volume, Éditions La Découverte, Paris, 2002, p. 107.
  3. Nathan Weinstock, Le Pain de Misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1er volume, Éditions La Découverte, Paris, 2002, p. 123.
  4. Cité par Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, Un mouvement révolutionnaire juif, Éditions Denoël, Paris, 1999,p. 77.
  5. Vladimir Medem, Ma vie, 1923 (traduit en français en 1969)
  6. Arlene Clemesha, Trotsky et la question juive, En defensa del marxismo n°27, juin 2000
  7. 7,0 et 7,1 Isaac Deutscher, The Prophet Armed, New York, Vintage Books, 1954, p. 74. (Trad. en français par P. Péju et E. Bolo, Le Prophète armé, Julliard, 1962.)
  8. Lénine, Notes critiques sur la question nationale, 1913
  9. Cité par Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, Denoël, 1999, p. 68.
  10. Jonathan Frankel, Prophecy and politics: socialism, nationalism, and the Russian Jews, 1862-1917, Cambridge University Press, 1984, p.255
  11. (en) « The Last Letter from the Bund Representative with the Polish National Council in Exile ».
  12. International Jewish Labor Bund.
  13. Jewish Labour Bund, Inc, et Sholem Aleichem College, Melbourne, qui semble être la dernière école bundiste au monde
  14. Jewish Socialists' Group.
  15. Arbeter-ring in Yisroel – Brith Haavoda.

8 Bibliographie indicative

8.1 Le Bund

Ouvrages généraux

  • Daniel Blatman, Notre liberté et La Vôtre - Le Mouvement ouvrier juif Bund en Pologne, 1939-1949, 2002
  • Alain Brossat, Sylvia Klingberg, Le Yiddishland révolutionnaire, Paris, Balland, 1983. Réédité chez Syllepse, coll. Yiddishland, 2009.
  • Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, Un mouvement révolutionnaire juif, Éditions Denoël, Paris, 1999.
  • Henri Minczeles, Le mouvement ouvrier juif. Récit des origines, Éditions Syllepse, coll. Yiddishland, 2010.
  • Claudie Weill, Les cosmopolites - Socialisme et judéité en Russie (1897-1917), Paris, Éditions Syllpse, Collection « Utopie critique », 2004.(présentation et table des matières)
  • Enzo Traverso, De Moïse à Marx - Les marxistes et la question juive, Paris, Kimé, 1997.
  • Nathan Weinstock, Le Pain de misère, Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe - L'empire russe jusqu'en 1914, tome I, Paris, La Découverte, 2002, (tome I).
  • Nathan Weinstock, Le Pain de misère, Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe - L'Europe centrale et occidentale jusqu'en 1945, tome II, Paris, La Découverte, 2002.

Mémoires d'anciens dirigeants du Bund

Articles

Filmographie

  • Nat Lilenstein (réal.), Les Révolutionnaires du Yiddishland, 1983, Kuiv productions & A2 (recension)

8.1.1 Ouvrages non français

  • David Slucki, The International Jewish Labor Bund after 1945. Toward a global history, Rutgers University Press, 2016.
  • Jack Lester Jacobs (ed.), Jewish Politics in Eastern Europe : The Bund at 100, Zydowski Instytut Historyczny--Instytut Naukowo-Badawczy, New York, New York University Press, 2001.
  • Gertrud Pickhan, « Gegen den Strom ». Der Allgemeine Jüdische Arbeiterbund « Bund » in Polen, 1918-1939, Stuttgart, München, Deutsche Verlags-Anstalt, 2001.
  • Antony Polonsky, The Bund in Polish Political Life, 1935-1939, in: Ezra Mendelsohn (ed.), Essential Papers on Jews and the Left, New York, New York University Press, 1997.
  • Enzo Traverso, From Moses to Marx - The Marxists and the Jewish question: History of a debate 1843-1943, New Jersey, Humanities Press, 1996. (review)
  • Y. Peled, Class and ethnicity in the pale: the political economy of Jewish workers' nationalism in late Imperial Russia, New York, St. Martin's Press, 1989.
  • J. Frankel, Jewish politics and the Russian Revolution of 1905, Tel-Aviv, Tel Aviv University, 1982.
  • N. Levin, Jewish socialist movements, 1871-1917 : while Messiah tarried, London, Routledge & K. Paul (Distributed by Oxford University Press), 1978.
  • N. Levin, While Messiah tarried : Jewish socialist movements, 1871-1917, New York, Schocken Books, 1977.
  • A.K. Wildman, Russian and Jewish social democracy, Bloomington, Indiana University Press, 1973.
  • Henry Tobias, The Jewish Bund in Russia from Its Origins to 1905, Stanford, Stanford University Press, 1972.
  • Bernard K. Johnpoll, The politics of futility. The General Jewish Workers Bund of Poland, 1917-1943, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1967.
  • C. Belazel Sherman, Bund, Galuth nationalism, Yiddishism, Herzl Institute Pamphlet no.6, New York, 1958, ASIN B0006AVR6U.
  • Henry Tobias, The origins and evolution of the Jewish Bund until 1901, Ann Arbor (Michigan), University Microfilms, 1958.

8.2 Les Juifs sous la Deuxième République polonaise

  • Histoire des Juifs en Pologne
  • Chimen Abramsky, Maciej Jachimczyk and Antony Polonsky, The Jews in Poland, Basil Blackwell, 1986, (ISBN 0-631-16582-7)
  • Yisrael Gutman, Ezra Mendelsohn, Jehuda Reinharz and Chone Shmeruk (eds), The Jews of Poland between two World wars, University Press of New England (published for Brandeis University Press), Hanover - London, 1989, (ISBN 0-87451-446-0)
  • Celia S. Heller, On the edge of destruction. Jews of Poland between the two World Wars, Columbia University Press, New York, 1977, (ISBN 0-231-03819-4)
  • Joseph Marcus, Social and political history of the Jews in Poland, 1919-1939, Mouton Publishers, Berlin- New York - Amsterdam, 1983, (ISBN 90-279-3239-5)