Thèses d'avril

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Le texte Les Tâches du prolétariat dans la présente révolution, connu sous le titre de Thèses d'Avril est un article court et précis rédigé par Lénine paru dans le n°26 de la Pravda le 7 avril 1917, soit un mois après la révolution de Février.

1 Contexte

Lénine est en exil au moment de la révolution de Février, qui renverse le tsarisme. Au cours du mouvement révolutionnaire, des soviets d'ouvriers et de soldats apparaissent un peu partout dans le pays, plus encore qu'en 1905.

Un gouvernement provisoire se met en place, sous la direction de la bourgeoisie libérale. Les soviets, où les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires sont majoritaires, font confiance au gouvernement provisoire. Les dirigeants bolchéviks présents en Russie, dont Staline, décident eux aussi de faire confiance au gouvernement provisoire.

Lénine, qui est arrivé à Petrograd dans la nuit du 3 au 4 avril, présente ces thèses à la réunion du Parti bolchevik du 4 avril. Il en avait déjà tracé les grandes lignes dans le train (le fameux « wagon plombé ») qui le ramenait vers la Russie. Il prône un redressement immédiat de la ligne politique. Dès son arrivée à Petrograd, en gare de Finlande, Lénine engueule Kamenev sur ce qu'il écrivait dans la Pravda.

Etant donné le pouvoir populaire direct qu'ont les ouvriers et les soldats dans les soviets, le gouvernement provisoire ne contrôle pas tout, et il y a de fait une situation de dualité de pouvoir. Au lieu de faire confiance au gouvernement provisoire, Lénine propose de revendiquer « tout le pouvoir aux soviets ! »

2 Les Thèses d'avril

  • « Aucun soutien au Gouvernement provisoire » : Parce que le gouvernement Milioukov est un gouvernement capitaliste, il mène la guerre qui est exclusivement dans l’intérêt des capitalistes. Les bolcheviks ne peuvent faire aucune concession aux slogans mensongers de “défense de la patrie révolutionnaire”. Dans la mesure où la conscience politique des travailleurs n’est pas encore suffisamment développée, la bourgeoisie s’est rendue provisoirement maître de l’appareil d’État. Mais ce n’est que le premier stade de la révolution. Rapidement surviendra une épreuve de force où le pouvoir tombera entre les mains des ouvriers et des paysans pauvres.
  • « ReconnaÎtre que notre Parti est en minorité et ne constitue pour le moment qu'une faible minorité, dans la plupart des Soviets des députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois tombés sous l'influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat. Ces éléments vont des socialistes-populistes et des socialistes-révolutionnaires au Comité d'Organisation (Tchkhéidzé, Tsérétélli, etc.), à Stéklov, etc., etc.
    Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.
    Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et à expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience. »'
  • « Pas de république parlementaire, mais une démocratie ouvrière sous la direction des soviets. Abrogation de la police, de l’armée de métier et de la bureaucratie privilégiée. Aucun fonctionnaire ne peut gagner un salaire supérieur à celui d’un ouvrier qualifié. »
  • « Confiscation de toutes les terres des grands propriétaire fonciers. » : Confiscation de toute grande propriété foncière afin de la partager entre les paysans pauvres. Organisation des paysans en soviets. Mise sous contrôle des travailleurs des grands exploitations agricoles. Constitution d’exploitations modèles (donc pas de collectivisation forcée et brutale, mais volontaire) détenues collectivement par les travailleurs.
  • « Fusion immédiate de toutes les banques du pays en une banque nationale unique placée sous le contrôle des Soviets des députés ouvriers. » : Nationalisation de toutes les banques et mise en commun de leur patrimoine pour fonder une grande banque nationale sous le contrôle de la démocratie ouvrière.
  • « Notre tâche immédiate est non pas d'« introduire » le socialisme, mais uniquement de passer tout de suite au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par les Soviets des députés ouvriers. » : Pas d’introduction précipitée du socialisme (abolition du marché, de l’économie marchande et de la propriété privée des moyens de production) mais production et répartition des richesses et des services sous le contrôle des travailleurs.

3 Réception parmi les social-démocrates

Les thèses de Lénine semblèrent trop radicales aux dirigeants bolcheviks de l’intérieur qui restaient accrochés à la vieille tactique de la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans ». Le 8 avril, 13 des 15 membres de la direction bolchevik de Petrograd rejetèrent les thèses de Lénine. Le bruit court à ce moment-là que Lénine est devenu trotskiste, car il semble s'être rallié de fait à l'idée de révolution permanente. Selon Trotsky c'est effectivement ce qui s'est passé[1] (ce que les bordiguistes contestent[2]).

Lénine argumente encore son point de vue le 25 avril, au cours de la Conférence de Pétrograd du POSDR(b) :

« Le Soviet des députés ouvriers et soldats, c'est la dictature du prolétariat et des soldats; ces derniers sont en majorité des paysans. Il s'agit donc bien de la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Mais cette «dictature» a passé un accord avec la bourgeoisie. C'est sur ce point qu'il faut réviser le vieux bolchévisme. La situation qui s'est créée nous montre la dictature du prolétariat et des paysans et le pouvoir de la bourgeoisie étroitement enlacés »

Alors que les militants de base du parti expliquaient patiemment le point de vue de Lénine aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, Lénine parvint à reprendre en main le parti au cours des mois suivants. De février à juillet, la taille du parti bolchevik passa de 24.000 à 240.000 membres.

En Février 1917, les bolcheviks ne représentaient qu’une minorité des ouvriers politiquement organisés. Mais cette minorité parvint à conquérir une forte influence politique parmi les ouvriers les plus conscients.

On considérait les bolcheviks comme les plus ardents défenseurs des intérêts des travailleurs. La direction bolchevik retrouva la confiance de sa base car cette direction sut mener les débats internes de façon démocratique.

Cependant, sans l’intervention énergique de Lénine en avril, le parti bolchevik se serait engagé sur une voie confuse. La personnalité de Lénine forgée par la meilleure tradition marxiste du mouvement ouvrier, ses capacités d’analyse et de conviction eut un rôle clé dans la Révolution russe.

4 Notes et sources

  1. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, 1930
  2. sinistra.net, Critique de la théorie de la révolution permanente, «Programme Communiste», numéro 57, octobre-décembre 1972