Tạ Thu Thâu

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
Tạ Thu Thâu lors de son arrestation en 1930

Tạ Thu Thâu, né en 1906 et décédé en 1945, est un homme politique vietnamien. Animateur de la mouvance trotskiste vietnamienne, il est assassiné par les staliniens du Việt Minh.

1 Biographie

1.1 Jeunesse

Tạ Thu Thâu est né en 1906 à Tân Bình (près de Long Xuyên) dans la colonie française de Cochinchine (sud du Vietnam), quatrième enfant d'une famille nombreuse et très pauvre (son père était charpentier itinérant). En tant qu'étudiant, il a fréquenté un lycée à Saigon, et en 1925 a commencé à travailler comme enseignant.

En 1926, à l'âge de 20 ans, il rejoint le mouvement Jeune Annam et écrit pour le journal nationaliste Annam. En avril, Thâu participe à une semaine de manifestations de milliers de travailleurs et d'étudiants, déclenchées par la mort, après 18 ans de prison, du vétéran nationaliste Phan Châu Trinh et par l'arrestation de Nguyen An Ninh, qui avait eu une influence importante sur Thâu. Dans son journal La Cloche Fêlée (de La cloche cassée de Baudelaire) Nguyen An Ninh exhortait les jeunes à « quitter la maison de vos pères ». Ce n'est qu'alors qu'ils pouvaient espérer secouer « l'ignorance suffocante » dans laquelle ils étaient piégés par l'obscurantisme : « notre oppression vient de France, mais l'esprit de libération aussi ».

En 1927, Tạ Thu Thâu s'embarqua pour la France, où il s'inscrit à la Faculté des sciences de l'Université de Paris.

1.2 Nationalisme et socialisme

Tạ Thu Thâu se met aussitôt à militer au sein de l'immigration vietnamienne en France. Dès le début il est en conflit avec les communistes staliniens. D'abord membre, puis à partir de 1928 dirigeant du Parti de l'indépendance annamite (Dang Viet Nam Dôc Lap), il accuse « des Annamites salariés de la Commission coloniale du Parti communiste français » d'avoir infiltré son parti afin de transformer ses membres en « marionnettes exécutant les ordres du Parti communiste ». Pour que les opprimés des colonies « assurent leur place au soleil », Tạ Thu Thâu soutenait qu'ils devaient « s'unir contre l'impérialisme européen, contre l'impérialisme rouge aussi bien que blanc ».

Après des contacts avec Alfred Rosmer et Daniel Guérin, dissidents du Parti communiste français, Tạ Thu Thâu exprime son point de vue sur la révolution indochinoise dans le journal de l'opposition de gauche, La Vérité. Il rejoint la critique trotskiste de la politique menée par le Komintern en Chine, celle du suivisme suicidaire envers le Kuomintang.

La « synthèse "Sun Yat-sen-iste" de la démocratie, du nationalisme et du socialisme » est « une sorte de mysticisme nationaliste ». Elle obscurcit « les relations de classe concrètes et la véritable liaison organique entre la bourgeoisie indigène et l'impérialisme français ». Contre une vision de l'indépendance « mécanique et formaliste », il soutient : « Une révolution basée sur l'organisation des masses prolétariennes et paysannes est la seule capable de libérer les colonies ... La question de l'indépendance doit être liée à celle de la révolution socialiste prolétarienne ».[1]

Étendard du groupe La Lutte.

Le 24 mai 1930 il organise une manifestation devant l’Élysée pour protester contre les condamnations à mort des révoltés de Yen Bay, ce qui provoque son arrestation et son expulsion vers le Viêt Nam, avec 18 compatriotes.

1.3 La Lutte au Viêt Nam

Tạ Thu Thâu fonde en 1931 le groupe « bolchévik-léniniste » indochinois (c'est-à-dire trotskiste), qui critique avec virulence le Parti communiste indochinois d'Hô Chi Minh. Il est cependant arrêté en 1932 ce qui brise l'organisation. Une partie scissionne et forme le Groupe octobre.

À sa libération début 1933, Thâu décide d'explorer les possibilités limitées d'activités politiques légales. À la surprise de certains de ses camarades, à cette fin, il cherche alors à travailler avec des nationalistes et des staliniens.

Aux élections municipales de Saigon du printemps 1933, Tạ Thu Thâu et ses associés présentent une "Liste des travailleurs" et publie brièvement un journal, La Lutte (en français pour contourner les restrictions politiques à l'encontre des Vietnamiens). Malgré les obstacles légaux, deux membres de ce groupe sont élus, et se voient finalement refuser leurs sièges. Il s'agissait de Tran Van Thach (nationaliste indépendant qui devint plus tard trotskiste) et Nguyễn Văn Tạo (officiellement membre du PCF, en lien avec le PCI).

À l'automne 1934, en partie grâce à l'intercession de Nguyen An Ninh, la dynamique du groupe est relancée, et la La Lutte est publié de façon hebdomadaire. En mars 1935, lors des élections au Conseil de Cochinchine, leur « liste des travailleurs » ne remporta aucun siège mais 17% des voix.

La Lutte frontpage.jpg

Certains trotskistes, dont Ngô Văn (Ngô Văn Xuyết), ne voulaient pas accepter ce front avec les staliniens et rejoignent le Groupe octobre.

Aux élections municipales d'avril 1937, Tạ Thu Thâu et Nguyễn Văn Tạo se présentent une nouvelle fois ensemble et sont tous deux élus.

Mais l'ombre grandissante des procès de Moscou et le tournant du Komintern vers les fronts populaires entraînent une rupture. Les staliniens soutiennent le gouvernement français « de gauche » (SFIO-radicaux), alors que celui-ci maintient le colonialisme, réprime les grèves ouvrières et les indépendantistes. Le ministre des Colonies, Marius Moutet (socialiste), déclara qu'il avait voulu « une large consultation avec tous les éléments de la volonté populaire », mais qu'avec « des communistes trotskistes intervenant dans les villages pour menacer et intimider la partie paysanne de la population, sapant l'autorité des agents publics », la « formule » nécessaire n'avait pas été trouvée. La motion de Thâu attaquant le Front populaire pour avoir trahi les promesses de réformes dans les colonies est rejetée par la faction PCI et les staliniens se retirent de La Lutte. Ils créent leur propre journal, L'Avant-garde, dans lequel dénoncent leurs anciens associés trotskistes comme « frères jumeaux du fascisme ».

La Lutte n'étant désormais plus obligé à la moindre concession envers les staliniens, Tạ Thu Thâu dirige une "liste des travailleurs et des paysans" ouvertement révolutionnaire (partage des terres, contrôle ouvrier...) lors des élections du Conseil de Cochinchine d'avril 1939. Mais le point clé dans l'agitation immédiate est l'impôt extraordinaire pour la "défense nationale" décidé par la France : La Lutte s'y oppose, tandis que les staliniens le soutiennent, suite à l'accord franco-soviétique. Tạ Thu Thâu devient une figure populaire à Saigon et sa liste distance largement les constitutionnalistes et le Front démocratique du PCI. Aux élections municipales de 1939, il obtint 80 % des voix.

1.4 La guerre et la répression

Le 20 mai 1939, le gouverneur général Brévié (qui a annulé les résultats des élections) écrivait au ministre des Colonies Mandel : « les trotskystes sous la direction de Ta Thu Thau, veulent profiter d'une éventuelle guerre pour gagner la libération totale. » Les staliniens, en revanche, « suivent la position du Parti communiste en France [et] seront donc loyaux si la guerre éclate. »

Nouveau zig-zag du Komintern : le pacte Hitler-Staline du 23 août 1939 change brusquement la donne. Moscou ordonne le retour à une confrontation directe avec les Français. Le PCI déclenche en 1940 en Cochinchine une révolte paysanne désastreuse.

Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les communistes de tous bords ont été réprimés. La loi française du 26 septembre 1939, qui dissout officiellement le PCF, a été appliquée en Indochine aux staliniens comme aux trotskistes.

Tạ Thu Thâu est arrêté et incarcéré au bagne de Poulo Condor, jusqu'en mars 1945, date à laquelle les Japonais (qui avaient envahi l'Indochine en 1940), écartent l'administration française de Vichy.

1.5 La résistance et l'assassinat par les staliniens

Pendant ce temps, Ho Chi Minh créait le Viet Minh («Viet doc doc dong minh hoi» - Ligue de l'indépendance du Vietnam), front prétendument large mais entièrement contrôlé par le PCI. Le Viêt Minh martelait l'objectif « d'expulser les fascistes français et japonais et d'établir la complète indépendance du Vietnam », et y subordonnait tous les objectifs sociaux. Il créait avant tout un appareil centralisé (présent au début surtout au Nord), qui ne cherchait pas à développer la lutte nationale en révolution socialiste.

À sa libération, Tạ Thu Thâu et un petit groupe se rendent secrètement au nord au Tonkin. Ils y rencontrent un groupe ami publiant un bulletin, Chien Dau (Combat) et sont reçus dans des réunions clandestines de mineurs et de paysans. Mais la famine sévissait. Le 14 mai, il réussit à faire publier un appel dans le quotidien Saigon. Il appellait ses « frères de Cochinchine à ne manger que ce dont vous avez besoin pour rester en vie et à envoyer ici tout ce que vous pouvez, immédiatement. »

En août, chassé et poursuivi comme « éléments anti-ouvriers » par le Viet Minh, Tạ Thu Thâu et son groupe se dirigent vers le sud. Ils tombent entre leurs mains à Quang Ngai et sont assassinés.

Ho Chi Minh cherche à utiliser son rapport de force pour négocier sur le plan international et en particulier avec la France. S'il déclare l'indépendance à Hanoi le 2 septembre 1945, il cherche aussi à se présenter comme respectable. En octobre 1945, l’organe du Comité Central du PCI, Co Giai Phong, appelait à «  abattre immédiatement les bandes de trotskystes », ce qu’il justifiait ainsi : « Au Nam Bô, ils [les trotskystes] réclament l’armement du peuple, ce qui épouvante la mission anglaise, et l’accomplissement intégral des tâches de la révolution bourgeoise démocratique dans le but de diviser le Front National et de provoquer l’opposition des propriétaires fonciers à la révolution »

Les trotskistes, qui voulaient au contraire initier un processus de révolution permanente, furent pris en étau entre les impérialistes et les staliniens, et décimés. En septembre, lors du soulèvement général à Saïgon contre la restauration des Français, le groupe de La Lutte reconstitué forma une milice ouvrière. Parmi ceux-ci, Ngô Văn enregistre à lui seul 200 massacrés par les Français, le 3 octobre, au pont de Thi Nghe.

Un an plus tard à Paris, Daniel Guérin interroge Ho Chi Minh sur le sort de Tạ Thu Thâu, qui répond : « Ce fut un patriote et nous le pleurons  », avant d’ajouter : « mais tous ceux qui ne suivront pas la ligne tracée par moi seront brisés. » Interrogé à deux autres reprises sur ce sujet, il ne fournit jamais de réponse précise ou éluda tout simplement la question.

2 Bibliographie

  • Anh (Văn) & Roussel (Jacqueline), Mouvements nationaux et lutte de classes au Viêt Nam, Paris, Publications de la IVe Internationale, 1947.
  • Guérin (Daniel), Au Service des colonisés, Paris, Éditions de Minuit, 1954.
  • Hémery (Daniel), Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonial en Indochine. Communistes, trotskystes, nationalistes à Saïgon de 1932 à 1937, Paris, François Maspero, 1975.
  • Daniel Hémery, « Du patriotisme au marxisme. L'immigration vietnamienne en France (1926-1930 », Le Mouvement social, n°90, janvier-mars 1975, p. 3-54.
  • Ngô (Văn Xuyết), Viêt Nam 1920-1945. Révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, L'Insomniaque, 1996 (réédition Nautilus en 2000).
  • Pierre Brocheux, « Une histoire croisée : l'immigration politique indochinoise en France (1911-1945) », Hommes & Migrations, 2005, 1253, p. 26-38.

3 Liens externes