Différences entre les versions de « Syndicats en Russie »

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Cette page traite principalement de la naissance des [[Syndicats|syndicats]] en Russie et de leur rôle dans la [[Révolution_de_1917|Révolution de 1917]] et dans le nouveau régime.
 
Cette page traite principalement de la naissance des [[Syndicats|syndicats]] en Russie et de leur rôle dans la [[Révolution_de_1917|Révolution de 1917]] et dans le nouveau régime.
  
== Naissance des syndicats ouvriers russes ==
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==Naissance des syndicats ouvriers russes==
  
 
Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], les syndicats étaient sous l'[[Empire_tsariste|Empire tsariste]] quasiment aussi réprimés que le [[Parti_social-démocrate_de_Russie|parti social-démocrate]].
 
Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]], les syndicats étaient sous l'[[Empire_tsariste|Empire tsariste]] quasiment aussi réprimés que le [[Parti_social-démocrate_de_Russie|parti social-démocrate]].
  
Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905.
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Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905. Par exemple le syndicat des métallurgistes joue un rôle important dans la [[Révolution russe (1905)|révolution de 1905]]. Les bolchéviks deviennent majoritaires dans ce syndicat à partir de 1913.
  
== Les syndicats en 1917 ==
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==Les syndicats en 1917==
  
Après la [[Révolution_de_Février|révolution de Février]], la répression tsariste s'effondre, et les masses populaires s'organisent partout dans tous types de structures, dont des syndicats ouvriers. Mais les [[Soviets|soviets]] et les [[Comités_d’usine|comités d’usine]] sont d'emblée plus représentatifs et épousent bien mieux l'auto-activité des masses. Si bien que les syndicats n’ont joué dans les événements de 1917 qu’un rôle secondaire, même lorsqu’ils étaient puissants comme le syndicat des métallurgistes de Pétrograd, fort de 200 000 membres.
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===Emergence de syndicats d'abord faibles===
  
L’anarcho-syndicaliste [[Voline|Voline]] souligne : ''« quant au syndicalisme, aucun mouvement ouvrier n’ayant existé en Russie avant la Révolution de 1917, la conception syndicaliste – quelques intellectuels érudits mis à part – y était totalement inconnue (…) cette forme russe d’une organisation ouvrière, le "Soviet", fut hâtivement trouvée en 1905 et reprise en 1917, justement à cause de l’absence de l’idée et du mouvement syndicalistes »&nbsp;; avant d’estimer que « sans aucun doute, si le mécanisme syndical avait existé, c’est lui qui aurait pris en mains le mouvement ouvrier. »<ref>Voline, ''La révolution inconnue'', 1947</ref>''
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Après la [[Révolution_de_Février|révolution de Février]], la répression tsariste s'effondre, et les masses populaires s'organisent partout dans tous types de structures, dont des syndicats ouvriers. Mais les [[Soviets|soviets]] et les [[Comités_d’usine|comités d’usine]] sont d'emblée plus représentatifs et épousent bien mieux l'auto-activité des masses. Si bien que les syndicats n’ont joué dans les événements de 1917 qu’un rôle secondaire, même lorsqu’ils étaient puissants comme le syndicat des métallurgistes de Pétrograd, fort de 200 000 membres. Ils étaient fortement politisés et largement dominés par les [[POSDR|social-démocrates]].
  
Une exception de ce point de vue a été le [[Vikjel|Vikjel]], Comité exécutif pan-russe du syndicat des travailleurs du rail, l’une des plus fortes organisations syndicales, représentant un secteur très imprégné de ses particularités corporatives et qui, par rapport aux ouvriers d’usine, constituait une sorte d’« [[Aristocratie_ouvrière|aristocratie ouvrière]] ».
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Au lendemain de la révolution de Février, les syndicats ont donc assez largement accepté la direction politique des soviets, comme la majorité de la classe ouvrière. Des frictions existaient néanmoins<ref name="Ferro">Marc Ferro, ''Des soviets au communisme bureaucratique'', 1980</ref>. À Moscou, la première réunion organisationnelle de l’Union des syndicats se tient le 2&nbsp;mars avec les représentants de 25 unions syndicales et deux représentants du comité du parti SD de Moscou. Les syndicats décident d'accepter la subordination au Soviet seulement si celui-ci pratique une politique «&nbsp;internationaliste&nbsp;» (par opposition aux [[Défensistes|défensistes]]). Ils proposaient même de n’élire au Soviet que des internationalistes. Lors de la réunion suivante des syndicats de Moscou, il est décidé concernant le rapport avec les partis&nbsp;:
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''«&nbsp;En ce qui concerne l’attitude vis-à-vis des partis socialistes, il a été décidé que, formellement, les syndicats sont indépendants des partis (bes-partii). Ils doivent se trouver en pleine union, tant du point de vue organisationnel que du point de vue de leur plate-forme, avec les partis qui se placent sur le terrain de la lutte des classes. En ce qui concerne les partis bourgeois, le syndicat juge leur conduite ambiguë, les considère comme des ennemis politiques de la classe ouvrière et juge indispensable que les syndicats démarquent nettement leur ligne politique de la leur, les soutenant seulement quand leurs exigences coïncident avec les exigences de la classe ouvrière.&nbsp;»''
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Un autre exemple de conflit fut lorsque le Soviet de Simbirsk (qui avait émané des comités d’usine) voulut prendre le contrôle du syndicat du textile et nommer une autre direction, au nom du fait que l'ancienne direction aurait eu des liens avec la Douma d'Etat et avaient des pratiques non démocratiques. En réaction, les ouvriers d'une usine votèrent une protestation, réaffirmant que ''«&nbsp;dans les institutions démocratiques il y a, à l’origine, l’élection&nbsp;; la nomination d’une Direction viole les principes démocratiques élémentaires [et que] c’est l’assemblée qui contrôle la Direction, (...) tout autre contrôle est une gifle à l’assemblée&nbsp;»''.<ref name="Ferro" />
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L’anarcho-syndicaliste [[Voline|Voline]] souligne : ''« quant au syndicalisme, aucun mouvement ouvrier n’ayant existé en Russie avant la Révolution de 1917, la conception syndicaliste – quelques intellectuels érudits mis à part – y était totalement inconnue (…) cette forme russe d’une organisation ouvrière, le "Soviet", fut hâtivement trouvée en 1905 et reprise en 1917, justement à cause de l’absence de l’idée et du mouvement syndicalistes »''. Voline ajoute que ''« sans aucun doute, si le mécanisme syndical avait existé, c’est lui qui aurait pris en mains le mouvement ouvrier. »<ref>Voline, ''La révolution inconnue'', 1947</ref>''
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[[Isaac_Deutscher|Isaac Deutscher]] décrivait ainsi la faiblesse relative du syndicalisme en 1917 :
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« Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu'ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n'eurent jamais l'envergure et la force de celles de 1905 (...). L'effrondrement économique de la Russie, l'inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c'était l'ordre social russe dans son ensemble »<ref> Isaac Deutscher, ''Soviet Trade Unions'', Royal Institute of International Affairs, London, 1950</ref>
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La Troisième Conférence Panrusse des Syndicats se tient à Petrograd les 20-28 juin. Elle adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production ». Quant aux Comités d'usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d'usine devaient lutter pour l'entrée de tous les travailleurs de l'entreprise dans les syndicats. Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l'unité dans leur lutte » et « renforcer l'autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés ». La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicats, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les menchéviks et SR qui dominaient insistaient pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats. Les thèses bolcheviques, présentées à la conférence par [[Nikolaï_Glebov-Avilov|Glebov-Avilov]], proposaient la création et le rattachement à l'administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique », composées de membres des Comités d'usine.
  
La direction du syndicat des cheminots est notamment connue pour sa tentative conciliatrice au lendemain de l’insurrection d’Octobre : alliée alors avec l’aile droite de la direction bolchevique (Kamenev, Zinoviev, Rykov), elle avait tenté d’imposer un gouvernement composé de « toutes les tendances socialistes », c’est-à-dire commun avec celles (mencheviks, socialistes-révolutionnaires de droite) qui ne reconnaissaient pas le pouvoir des soviets et dont certains membres n’allaient pas tarder à œuvrer de concert avec la contre-révolution bourgeoise et impérialiste. Le Vikjel s’est ensuite comporté comme une force d’opposition au nouveau pouvoir soviétique, allant jusqu’à menacer de paralyser le transport des troupes envoyées sur le front des premiers combats avec la [[Contre-révolution|contre-révolution]].
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===Majorité bolchévique et résistances===
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Les bolchéviks gagnent la majorité dans les syndicats un peu avant octobre, en même temps que dans la majorité des soviets. Les syndicats de certains secteurs, souvent avantagés par rapport à la majorité de la classe ouvrière, restèrent hostiles aux bolchéviks, comme dans les postes, l’industrie du cuir, chez les [[Employés_et_cadres_dans_la_révolution_russe|employés, cadres et fonctionnaires]], et chez les cheminots.
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Le [[Vikjel|Vikjel]], Comité exécutif pan-russe du syndicat des travailleurs du rail, l’une des plus fortes organisations syndicales, représentait un secteur très imprégné de ses particularités corporatives et qui, par rapport aux ouvriers d’usine, constituait une sorte d’« [[Aristocratie_ouvrière|aristocratie ouvrière]] ».
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La direction du Vikjel est notamment connue pour sa tentative conciliatrice au lendemain de l’insurrection d’Octobre : alliée alors avec l’aile droite de la direction bolchevique (Kamenev, Zinoviev, Rykov), elle avait tenté d’imposer un gouvernement composé de « toutes les tendances socialistes », c’est-à-dire commun avec celles (mencheviks, socialistes-révolutionnaires de droite) qui ne reconnaissaient pas le pouvoir des soviets et dont certains membres n’allaient pas tarder à œuvrer de concert avec la contre-révolution bourgeoise et impérialiste. Le Vikjel s’est ensuite comporté comme une force d’opposition au nouveau pouvoir soviétique, allant jusqu’à menacer de paralyser le transport des troupes envoyées sur le front des premiers combats avec la [[Contre-révolution|contre-révolution]].
  
 
Le Vikjel était contrôlé par des forces politiques hostiles aux bolcheviks&nbsp;: à l’été 1917, sur ses 40 membres, il y avait 3 [[Bolchéviks|bolchéviks]], 2 [[Interrayons|interrayons]], 14 [[Parti_SR|SR]], 7 [[Mencheviks|mencheviks]], 3 [[Troudoviks|troudoviks]], et 11 « indépendants » parmi lesquels en réalité beaucoup soutenaient le [[Parti_KD|parti KD]].
 
Le Vikjel était contrôlé par des forces politiques hostiles aux bolcheviks&nbsp;: à l’été 1917, sur ses 40 membres, il y avait 3 [[Bolchéviks|bolchéviks]], 2 [[Interrayons|interrayons]], 14 [[Parti_SR|SR]], 7 [[Mencheviks|mencheviks]], 3 [[Troudoviks|troudoviks]], et 11 « indépendants » parmi lesquels en réalité beaucoup soutenaient le [[Parti_KD|parti KD]].
  
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En 1918, avec la [[Guerre_civile_russe|guerre civile]] et les tensions avec le patronat, la direction bolchévique décida que ''«&nbsp;les tâches qui définissaient la spécificité du mouvement syndical demeuraient actuelles&nbsp;»''. Ce point de vue avait été défendu par des [[Mencheviks|mencheviks]], il le fut ensuite par des bolcheviks, Lénine reprenant sur ce point, contre Trotski, les thèses de [[Martov|Martov]].
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==Les syndicats sous le pouvoir bolchévik==
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===Etat et syndicats contre comités d'usine===
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Le pouvoir bolchévik tente dès le lendemain d'Octobre de centraliser la prise de décision en matière économique. Malgré des premières mesures comme le [[Décret_sur_le_contrôle_ouvrier|décret sur le contrôle ouvrier]], par lequel Lénine en particulier souhaite encourager la participation ouvrière, les bolchéviks ont vite considéré que puisque le nouveau régime était l’expression de la volonté générale de la classe ouvrière, les syndicats devaient être subordonnés aux organes centraux ([[Vesenkha|Vesenkha]], commissariat du peuple au Travail...) de l'[[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]].
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[[Solomon Losovski|Losovski]], un syndicaliste bolchevik, estimait que  ''« les  activités  des  organes  de  base  du  contrôle doivent  respecter  les  limites  établies  par  les directives du Conseil panrusse du contrôle ouvrier. Nous devons le dire clairement et catégoriquement,afin que les ouvriers, dans chaque entreprise, ne croient pas que l'entreprise leur appartient »''.<ref>A. Lozovsky, ''Rabochii Kontrol [Le Contrôle ouvrier]'',  Éditions Socialistes, Pétrograd, 1918, p. 10</ref>
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La priorité des bolchéviks fut d'abord de canaliser les initiatives des comités d'usine, et ils s'appuyèrent pour cela sur les syndicats, devenus, selon l'historien Edward Hallett Carr,  ''« des  champions  inattendus  de  l'ordre,  de  la  discipline  et  de  la  direction  centralisée  de  la  production »''<ref>E. H. Carr,  The Bolshevik Revolution,  1917-1923,  Penguin  éd., vol. 2</ref>. D'autant plus que les syndicats étaient fortement politisés et ont fait barrage aux premières tentatives de l'Etat de les restreindre à la ''«&nbsp;sphère économique&nbsp;»''. Ainsi le 20 décembre 1917, les syndicats refusent d’être écartés des problèmes politiques du prolétariat.
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Un exemple des conflits entre comités d'usine et organes supérieurs était la socialisation spontanée mise en place dans certaines usines, alors que l'Etat bolchévik chercha d'abord à rassurer les investisseurs potentiels. La direction syndicale s’associait aux décisions prises par le gouvernement qui sélectionnait les types d’entreprise à nationaliser ou non, la forme de la direction (prônant une direction unipersonelle et non [[Principe_de_collégialité|collégiale]]). En échange elle pouvait s’appuyer sur la loi qui déclarait obligatoires les décisions de la direction syndicale, mettant hors la loi les syndicats particuliers qui n’obéissaient pas.
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Le 28 novembre 1917 se réunit le '''Conseil pan-russe du [[Contrôle_ouvrier|contrôle ouvrier]]''', qui décide de subordonner les [[Comités_d'usine|comités d'usine]] aux syndicats.
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Le '''premier congrès pan-russe des syndicats''' se réunit les 7-11 janvier 1918, avec des délégués [[Bolcheviks|bolcheviks]], [[Mencheviks|mencheviks]], [[Parti_SR|SR]] et [[anarcho-syndicalistes]]. La perspective annoncée est claire : ''«  le  contrôle  ouvrier  doit  éliminer  l'autocratie  dans  le  domaine  économique,  comme  elle a déjà été éliminée dans le domaine politique »''. Cependant dans la pratique de profonds clivages apparaissent très vite. Deux thèmes principaux allaient dominer le Congrès. Quels devaient être les rapports entre les Comités d'usine et les syndicats ? Et quels devaient être les rapports entre les syndicats et le nouvel État russe ?
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Selon [[Solomon Losovsky|Lozovsky]], ''« les Comités d'usine étaient à ce point maîtres des lieux qu'ils étaient, trois mois après la révolution, dans une grande mesure indépendants par rapport aux organes de contrôle »''<ref>Pervy vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov, 7-14 yanvarya 1918 g. [Premier Congrés Panrusse des syndicats, 7-14 janvier 1918], Moscou, 1918, p. 193.</ref>. [[Maïski]], encore menchevik à l'époque, disait que d'après son expérience « ce n'était pas quelques prolétaires, mais presque tout le prolétariat, spécialement à Pétrograd, qui considérait le contrôle ouvrier comme l'avènement du royaume du socialisme ». Il se plaignait de ce que parmi les travailleurs, ''« l'idée même du socialisme était incarnée par le concept du contrôle ouvrier »''. Un autre délégué menchevik déplora ''« que sous le couvert des Comités d'usine et du contrôle ouvrier, une vogue d'anarchisme déferle sur notre mouvement ouvrier russe »''. [[David Riazanov|Riazanov]] pressa les Comités d'usine ''« de se suicider et de se transformer totalement en éléments de la structure des syndicats »''.
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La majorité bolchévique défend (avec les menchéviks)  une subordination et une intégration des comités d'usine dans l'appareil syndical (une force jugée « plus stable » et « moins anarchique »), et combat les interprétations autogestionnaires du contrôle ouvrier.  Il est affirmé que ''«&nbsp;pour que le contrôle ouvrier puisse apporter le maximum d’avantages au prolétariat, il est nécessaire de rejeter une fois pour toutes toute idée d’éparpiller ce contrôle en donnant aux ouvriers des entreprises le droit de prendre des décisions ayant valeur opératoire sur des questions qui affectent la vie même de leur entreprise&nbsp;»''. Les comités d’usine doivent opérer sur ''«&nbsp;la base d’un plan général formulé par les instances supérieures du contrôle ouvrier et les organes qui décident de l’organisation de l’économie&nbsp;»''. Enfin, il faut rendre ''«&nbsp;clair à leurs délégués le fait que le contrôle ne signifie pas le transfert de l’entreprise aux ouvriers, le contrôle ouvrier n’étant que le premier pas vers la socialisation&nbsp;».''
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Des [[Anarcho-syndicalisme|anarcho-syndicalistes]] dénonçaient alors la politique gouvernementale qui trahissait ''«&nbsp;la classe ouvrière en supprimant le contrôle ouvrier pour lui substituer la direction unique de l’entreprise, abandonnant les comités d’usine, enfants chéris de la révolution, pour le syndicat qui édictait décrets et sanctions en guise de démocratie dans l’industrie&nbsp;»''.<ref name="Ferro" /> [[Grégori Pétrovich Maximov|Maximov]] déclara que lui et ses camarades anarcho-syndicalistes étaient de « meilleurs marxistes » que les mencheviks ou les bolcheviks, déclaration qui causa une grande agitation dans la salle. Il soutenait que « les Comités d'usine, organisations introduites directement par la vie même, au cours de la révolution, étaient les organisation les plus proches de la classe ouvrière, beaucoup plus proches que les syndicats ». Les syndicats « qui correspondaient aux vieux rapports économiques de l'époque tsariste, avaient fait leur temps et ne pouvaient entreprendre cette tâche ». « Le but du prolétariat était de coordonner toutes les activités, tous les intérêts locaux, de créer un centre, mais pas un centre de décrets et d'ordonnances, un centre, au contraire, de coordination, d'orientation — et seulement un centre de ce genre pouvait organiser la vie industrielle du pays ». [[Bill Chatov]] traita les syndicats de « cadavres ambulants » et appela la classe ouvrière à « s'organiser localement, et à créer une Russie libre et nouvelle, sans Dieu, sans Tsar et sans chefs dans les syndicats ».
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La résolution des anarcho-syndicalistes, réclamant ''« un véritable contrôle ouvrier, et non pas un contrôle ouvrier étatique »'', et demandant que ''« l'organisation de la production, des transports et de la distribution soit immédiatement transférée entre les mains des travailleurs eux-mêmes et non aux mains de l'État ou à quelque appareil de fonctionnaires, composé de membres de la classe ennemie »'', fut repoussée. Les anarcho-syndicalistes, qui étaient surtout implantés chez les mineurs du district de Debaltzef dans le bassin du Don, parmi les travailleurs des chantiers navals et les travailleurs du ciment de Ekaterinodar et de Novorossiysk et parmi les cheminots de Moscou, avaient 25 délégués au Congrès (sur la base d'un délégué pour 3000-3500 membres).
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Parlant au nom des Comités d'usine, un travailleur de la base, Belusov, attaqua violemment les dirigeants du Parti, qui critiquaient continuellement les Comités ''« parce qu'ils n'agissaient pas conformément aux règlements »'' mais étaient eux-mêmes incapables de présenter un quelconque plan cohérent. Ils ne savaient que parler. ''« Tout cela paralyse le travail local. Devons-nous rester tranquilles à l'échelon local à attendre et ne rien faire ? Ce serait certainement la seule façon de ne pas commettre d'erreurs. Seuls ceux qui ne font rien ne commettent pas d'erreurs »''. Un véritable contrôle ouvrier était la solution à la désintégration économique de la Russie. ''« La seule façon de s'en sortir qui reste aux ouvriers, c'est qu'ils prennent eux-mêmes en mains les usines et qu'ils les dirigent »''.
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Les bolchéviks demandèrent que ''« les organisations syndicales, en tant qu'organisations de classe du prolétariat sur une base d'industrie, assument la tâche essentielle de l'organisation de la production et du rétablissement des forces productives, si affaiblies, du pays »''. Les [[mencheviks]] et les [[Parti socialiste révolutionnaire (Russie)|SR]] votèrent avec les bolcheviks une résolution proclamant que ''« la centralisation du contrôle ouvrier était l'affaire des syndicats »''. Le contrôle ouvrier était défini comme ''« l'instrument par lequel le plan économique général doit être réalisé localement »''. La résolution  propose un nouveau fonctionnement du contrôle ouvrier, censé fusionner syndicats et comités d'usine&nbsp;: chaque usine doit avoir des commissions de contrôle ouvrier, composées de représentants du syndicat de la branche correspondante, et de représentants de l'assemblée générale des travailleurs (prenant de fait la place de l'ancien comité d'usine), ces derniers devant être validés par une commission du syndicat. Les représentants de l'AG doivent être renouvelés régulièrement (contrairement aux représentants syndicaux), ce qui est justifié par le but d'entraîner le maximum de travailleurs à la gestion.
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Les 15-21 janvier a lieu le '''premier congrès pan-russe des travailleurs du textile''', à Moscou. A majorité bolchevik, le Congrès déclara que ''« le contrôle ouvrier n'était qu'un stade transitoire vers l'organisation planifiée de la production et de la distribution »''<ref>Vsesoyuzny s'yezd professionalnykh soyuzov tekstilshchikov i fabrichnykh komitetov, Moscou 1918</ref>. Le syndicat adopta de nouveaux statuts proclamant que ''« la cellule de base du syndicat est le Comité d'usine, qui a pour mission d'appliquer, dans chaque entreprise, toutes les décisions du syndicat »''. On agita aussi la trique. S'adressant au Congrès, [[Solomon Losovski|Lozovski]] déclara que ''« si le « patriotisme » local de certaines usines entre en conflit avec les intérêts du prolétariat dans son ensemble, nous affirmons résolument que nous ne reculerons devant aucune mesure pour supprimer les tendances pernicieuses pour les travailleurs »''.
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===Intégration des directions syndicales===
  
== 1920-21&nbsp;: ''«&nbsp;Militarisation du travail&nbsp;»'' ==
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Mais en parallèle de la limitation des pouvoirs des [[Comités d’usine|comités d’usine]], qui accroit relativement celui des syndicats, l’État cherche à contrôler de plus en plus étroitement les syndicats pour les transformer en courroie de transmission.
  
Entre fin 1920 et début 1921 eut lieu dans le parti bolchévik le débat sur la militarisation du travail, ou ''«&nbsp;débat sur les syndicats&nbsp;»''.
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Ce point fut déjà évoqué lors du '''premier congrès pan-russe des syndicats''' déjà évoqué (7-11 janvier 1918). La majorité des bolchéviks (mais ceux-ci étaient plus divisés sur cette question) soutenaient la subordination des syndicats, mais des concessions sont alors faites sur ce terrain-là, la centralisation commençant par les échelons les plus bas et indisciplinés.
  
Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviraires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer.
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Les [[mencheviks]], qui prétendaient que la révolution ne pouvait conduire qu'à une république démocratique — bourgeoise, insistaient sur l'autonomie des syndicats vis-à-vis du nouvel État russe. [[Maïski]] déclara que ''« si le capitalisme reste intact, les tâches auxquelles les syndicats sont confrontés sous le capitalisme restent inchangées »''. [[Julius Martov|Martov]] (menchévik de gauche) présenta un point de vue plus subtil : ''« Dans la situation historique présente le gouvernement ne peut pas représenter uniquement la classe ouvrière. Il ne peut être qu'une administration de facto liée à une masse hétérogène de travailleurs, aussi bien des prolétaires que des non prolétaires. Il ne peut donc appliquer une politique économique qui représente de façon cohérente et ouverte les intérêts de la classe ouvrière »'', contrairement aux syndicats qui devaient donc conserver une certaine indépendance.
  
Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une «&nbsp;remise en ordre&nbsp;» des syndicats.
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Le point de vue bolchevik, soutenu par [[Lénine]] et [[Léon Trotsky|Trotsky]], et présenté par [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], était que les syndicats devaient être sinon complètement intégrés, du moins subordonnés au gouvernement. L'idée de la neutralité des syndicats fut qualifiée officiellement d'idée « bourgeoise », donc tout à fait anormale dans un [[État ouvrier]]. La résolution adoptée par le Congrès exprimait clairement ces idées  : <blockquote>« Les syndicats devront se charger du lourd fardeau de l'organisation de la production et du redressement des forces économiques détruites du pays. Leurs tâches les plus urgentes, c'est leur participation énergique à tous les organes centraux de régulation de la production, l'organisation du contrôle ouvrier (sic !), le recensement et la distribution de la force de travail, l'organisation des échanges entre la ville et la campagne (...) — la lutte contre le sabotage et la mise en vigueur des dispositions sur le travail obligatoire (...). En se développant, les syndicats devront, dans le processus de l'actuelle révolution socialiste, devenir des organes de pouvoir socialiste, et comme tels, devront travailler en coordonnant — et subordonnant — leur activité à celle d'autres organes en vue de mettre en pratique les nouveaux principes (...) Le Congrès est convaincu qu'en conséquence, pendant ce processus, les syndicats se transformeront inévitablement en organes de l'État socialiste. La participation à la vie syndicale, doit être pour tous les membres de la population employés dans l'industrie, un devoir vis-à-vis de l'État ».</blockquote>[[Mikhaïl Tomski|Tomski]] abondait dans ce sens en avançant que les ''« intérêts particuliers de groupes de travailleurs devaient être subordonnés aux intérêts de la classe toute entière »''. Zinoviev affirmait que le soutien au droit de grève contre un Etat ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. [[David Riazanov|Riazanov]] répliquait ''« qu'aussi longtemps que la révolution sociale commencée ici n'aura pas fusionné avec la révolution sociale en Europe et dans le monde entier (...) le prolétariat russe (...) doit être sur ses gardes et ne doit pas renoncer à une seule de ses armes (...), il doit maintenir son organisation syndicale »''. [[Tsyperovitch]], un important syndicaliste bolchevik, proposa que le Congrès ratifie le droit des syndicats de continuer à avoir recours à la grève pour la défense de leurs membres. Une résolution dans ce sens fut cependant repoussée.
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Le '''3 avril 1918''', le  Conseil  Central  des  Syndicats  publia  son  premier  rapport  détaillé  sur  la  fonction  du  syndicat face  aux  problèmes  de  la  «  discipline  dans  le  travail  »  et  de  «  l'émulation  ».<ref>Narodnoye khozyaistro, N° 2, 1918, p. 38.</ref>  Les  syndicats  ''«  ne devaient  épargner  aucun  effort  pour  accroître  la  productivité  du  travail,  ils  devaient  créer  par conséquent  dans  les  usines  et  les  ateliers  les  bases  indispensables  au  travail  discipliné  »''.  Chaque syndicat devait établir une commission  ''« pour fixer les normes de productivité pour chaque secteur et chaque  catégorie  de  travailleurs  »''.  L'utilisation  du  travail  aux pièces  ''«  pour  élever la productivité du travail  »''  était  admise.  On  affirmait  que  ''«  les  primes  de  productivité,  lorsque  la  norme  établie  était dépassée,  pouvaient,  dans  certaines  limites,  être  une  mesure  utile  pour  élever  la  productivité  sans épuiser  le  travailleur  »''.  Enfin,  si  ''«  des  groupes  isolés  de  travailleurs  »''  refusaient  de  se  soumettre à  la discipline  syndicale,  ils  pourraient  en  dernier  ressort  être  expulsés  du  syndicat  ''«  avec  toutes  les conséquences qui en découlent »''.
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Le 28 septembre 1918, [[Mikhaïl Tomski|Tomski]]  déclare au Premier  Congrès  Panrusse  des  Cheminots Communistes  : ''«  La  tâche  des  communistes  a  été  :  premièrement, de créer des syndicats solides dans leurs  industries  respectives  ;  deuxièmement,  de  s'emparer  de  la  direction  de  ces  organisations  par  un travail  tenace  ;  troisièmement,  de  rester  à  la  tête  de  ces  organisations  ;  quatrièmement,  d'expulser tout  groupe  non  prolétarien  ;  cinquièmement,  de  soumettre  les  syndicats  à  notre  propre  influence communiste »''<ref>Vserossiiskaya      konferentsiya      zheleznodorozhnikov      komunistov [Première      Conférence      Panrusse      des  cheminots  communistes],  Moscou, 1919, p. 72</ref>
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Au sein des syndicats, les rapports entre base et sommet étaient de plus en plus bureaucratiques. En  pratique,  plus  les  syndicats  assumaient  les  fonctions  administratives  d'une  bureaucratie  gestionnaire, plus  ils  devenaient  bureaucratiques  eux-mêmes<ref>Waldermar Koch, Die Bohchevistischen Gewerkshaften  Icna  1932</ref>.
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Début 1919,  il  y  avait  3  500  000  adhérents  dans  les  syndicats.  Il  y  en avait  eu  2  600 000  au  temps  du  Premier  Congrès  des syndicats,  en  janvier  1918,  et  1  500  000  à  la Conférence de juillet 1917.<ref><nowiki>Zinoviev, Desyaty  s'yezd  RKP (b)  : Protokoly [Le  Dixième  Congrès  du  PCR  (b)  :  compte  rendu],    Moscou, IMEL, 1933</nowiki></ref>
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Le '''2<sup>e</sup> congrès pan-russe des syndicats se réunit du 16 au 25 janvier 1919'''<ref>Vtoroi  vserossiiski  s'yezd  professionalnykh  soyuzov  stenograficheski  otchet [Second  Congrès  Panrusse  des syndicats,  rapport  sténographié],  Moscou,  Editions Syndicales  Centrales,  1919,</ref>. Un conflit commence à apparaître entre la direction des syndicats, en accord avec le pouvoir, et la base. La résistance qui avait été menée naguère par les comités contre les syndicats se déplaça au sein du mouvement syndical, opposant d’une certaine façon les organisations de base à l’appareil de la direction syndicale. Dans leur motion du 23 janvier 1919, les syndicats commencent par s’aligner sur le texte gouvernemental en parlant eux aussi au passé du contrôle ouvrier. Mais ils font état d’un ''«&nbsp;conflit latent qui se livre dans le cadre des nouvelles formes organisationnelles que prend la vie économique&nbsp;»''. Ils tentaient de maintenir un certain rôle aux syndicats&nbsp;: ''«&nbsp;Suivre sans doute le travail des gestionnaires, non le précéder&nbsp;»'', mais en le ''«&nbsp;supervisant&nbsp;»''.  Lénine  parla  de  l'«  inévitable  étatisation  des  syndicats  », tout en parlant de  fonction éducatrice des syndicats vis-à-vis des travailleurs dans l'art de l'administration, et de  «  dépérissement  de  l'État  » futur.
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À cette session, un texte qui maintenait le droit pour les ouvriers de faire grève était rejeté, au nom du fait que les ouvriers ne peuvent faire [[Grève|grève]] contre eux-mêmes. [[Mikhaïl Tomski|Tomski]]  souligna ''« qu'au moment où les syndicats déterminent les salaires et les conditions de travail, les grèves ne peuvent plus être tolérées. Il est nécessaire de mettre des points sur les  i  »''. Dans le congrès, certains protestèrent contre le fait que le Commissariat au Travail ratifie les délégués élus par les syndicats pour les représenter dans les instances centrales. Ainsi l’ouvrier Perkin&nbsp;:
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''«&nbsp;Si dans une réunion syndicale nous choisissons un élu, si la classe ouvrière a le droit dans certains cas d’exprimer ses volontés, on aurait pu penser que cet élu pourrait nous représenter auprès du Commissariat au Travail. Eh bien non. Bien que nous l’ayons élu, il faut que ce choix soit ratifié.&nbsp;»<ref name="Ferro" />''
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Un  autre délégué  au  Congrès,  Chirkin,  affirma  par exemple que ''« même s'il existe dans la plupart de nos régions des institutions représentant le mouvement syndical, les membres de ces institutions ne sont ni élus, ni ratifiés ; quand il y a des élections et que les individus élus ne plaisent pas au Conseil Central ou aux pouvoirs locaux, les élections sont annulées très  facilement  et  les  élus  remplacés  par  d'autres individus,  plus  dociles  »''.
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[[Solomon Losovski|Lozovski]],  qui  avait  quitté  le  parti,  parla  en  tant qu'internationaliste  indépendant  contre  la  politique  bolchevik  dans  les  syndicats. 
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Une  résolution  fut adoptée demandant  ''« qu'un statut officiel garantisse les prérogatives  administratives  des  syndicats  »''. On  y  parlait  d’  ''«  étatisation  des  syndicats (...) dans  la  mesure  où  ses  fonctions s'élargissaient  toujours  davantage  et  se  fondaient avec  celles  de  l'appareil  gouvernemental d'administration  et  de  contrôle  de  l'industrie  »''.  Le  Commissaire  au  Travail,  V.  V.  Shmidt, accepta  que  ''«  les  organes  du  Commissariat  du  Travail  eux-mêmes  puissent  être  construits  à  partir  de l'appareil  syndical  »''. Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de  l'autorité  suprême  entre  les  Congrès.  Les  décrets  de  cet  Exécutif  seraient  ''«  obligatoires  pour  tous les  syndicats  dans  les  affaires  de  leur  juridiction  et pour  chaque  membre  de  ces  syndicats ».  «  La violation  des  décrets  ou  le  refus  de  les  appliquer de  la  part  de  syndicats  particuliers,  seront sanctionnés  par  leur  expulsion  de  la  famille  des  syndicats  prolétariens  »''
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===Étatisation des syndicats===
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Le 8<sup>e</sup> congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une  vague  de  critiques  de  gauche  contre  les  tendances  ultra-centralistes s'y fit entendre.  Un  nouveau  programme  du  Parti  fut  discuté et  approuvé.  Le  point  5  de  la  «  Section Économique  »  déclarait  que  ''«  l'appareil  d'organisation  de  l'industrie  socialisée  doit  être  basé essentiellement  sur  les  syndicats  (...).  Les  syndicats  qui,  conformément  aux  lois  de  la  République Soviétique  et  à  la  pratique  quotidienne,  participent  déjà  aux  tâches  de  tous  les  organes  centraux  et locaux  de  l'administration  industrielle,  doivent  procéder  à  la  concentration  effective dans  leurs propres  mains  de  toute  l'administration  de  l'économie  dans  son  ensemble, considérée  comme  une  seule  unité  économique  (...). La  participation  des  syndicats  à  la  gestion économique  et  leur  rôle,  qui  consiste  à  entraîner  de  larges  masses  dans  ce  travail,  constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »''<ref name=":0"><nowiki>Vosmoi  s'yezd  RKP (b)  : Protokoly [Le  Huitième  Congrès  du  PCR  (b)  :  compte  rendu],  Moscou,  IMEL,  1933</nowiki></ref>
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Ce  paragraphe  célèbre  devait  soulever  de  violentes discussions  dans  les  années  qui  suivirent.  [[David Riazanov|Riazanov]] lança cet avertissement au Congrès : ''«  nous  n'éviterons  pas  la  bureaucratisation  tant  que tous les  syndicats  n'auront  pas  abandonné  (...) toutes leurs  prérogatives  dans  l'administration  de  la  production  »''.  D'un  autre  côté, beaucoup  des bolcheviks  s'accrocheront à cette clause, comme un bastion qu'ils  cherchaient  à  défendre  contre    la  bureaucratie  du  Parti.
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[[Isaac Deutscher|Deutscher]]  décrit  le «  point  5  »  comme  un  « écart » syndicaliste dû à la reconnaissance des dirigeants bolcheviks pour le travail effectué par les syndicats pendant la guerre civile. Il souligne que les dirigeants  bolcheviks  ''«  durent  bientôt  chercher  toute  sorte  de justifications  pour  annuler  ce  chèque  en  blanc  que le  Parti  avait  si  solennellement  donné  aux syndicats »''.<ref>I. Deutscher, ''Soviet Trade Unions'', 1950</ref>
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Le  programme  déclarait  que  «  la  méthode  socialiste de  la  production  ne  peut  être  assurée  que  par une discipline entre camarades ouvriers ». Il confiait aux syndicats « le rôle principal dans la création de  cette  nouvelle  discipline  socialiste  ».  Le  point  8  pressait  les  syndicats  de  ''«  faire  comprendre  aux travailleurs  la  nécessité  de travailler  avec  des techniciens  et spécialistes bourgeois,  d'apprendre  d'eux — et de surmonter la méfiance « ultra-radicale » envers ces derniers (...). Les ouvriers ne pourront pas construire le socialisme sans une période d'apprentissage auprès de l'intelligentsia bourgeoise (...). On acceptait ainsi les hauts salaires et les primes des « spécialistes » bourgeois. C'était la rançon  que  le jeune  État  prolétarien  devait  payer  s'il  voulait obtenir l'aide indispensable des techniciens et des scientifiques de formation bourgeoise »''<ref name=":0" />
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Le 4 décembre 1919, la 8<sup>e</sup> conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être ''«&nbsp;d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste&nbsp;»''.
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===1920-21&nbsp;: ''«&nbsp;Militarisation du travail&nbsp;»''===
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Le 16 décembre 1919, Trotsky soumet au Comité Central du Parti ses «Thèses sur la transition de la guerre à la paix » (où la  plus  importante  de  ses  propositions  était  la  «  militarisation  du  travail  »),  croyant  que  la discussion ne sortirait pas du cadre du Comité. Les décisions les plus importantes concernant les conditions  matérielles  de  vie  et  de  travail  de  centaines  de  milliers  d'ouvriers  russes  allaient  être discutées et prises à huis clos, par les dirigeants  du  Parti.  Mais  le  jour  suivant, la  ''[[Pravda]]'', dirigée par  [[Nikolaï Boukharine|Boukharine]],  publia  «  par  erreur  »  les  thèses  de Trotsky  (il  s'agissait  en  fait  d'une  campagne dirigée contre  Trotsky). Les  propositions  de  Trotsky  déclenchèrent  «  une  avalanche  de  protestations  »<ref>I. Deutscher,  Trotsky, I, Le prophète armé (1879-1921), Paris, Julliard, 1962, p. 642.</ref>.  Il  fut  hué  aux Conférences de membres du Parti, administrateurs et syndicalistes. A ce moment-là, Lénine soutient Trotsky sans réserve. Cela déclenchera un peu plus tard (entre fin 1920 et début 1921) le débat sur la militarisation du travail, ou ''«&nbsp;débat sur les syndicats&nbsp;»''.
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Le 27 décembre, le  gouvernement  crée la  Commission  du  Travail  Obligatoire,  avec Trotsky (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le [[Conseil des commissaires du peuple (URSS)|Sovnarkom]]  publie  un  décret  définissant  des  règles  généralisant  le  Service  du  Travail  obligatoire  ''« pour  subvenir  aux  besoins  de  main-d'œuvre  de  l'industrie,  l'agriculture,  les  transports  et  les  autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général »''. N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement,  pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment,  la  construction  des  routes,  l'approvisionnement  en  nourriture  ou  en  combustible,  pour enlever  la  neige,  dans  les  transports  ou  pour  ''«  faire  face  aux  calamités  publiques  »''). Le  document  signalait  qu'il  fallait  dans  une  certaine  mesure  ''« regretter  la  destruction  du  vieil  appareil    policier  qui  avait  su  recenser  les  citoyens,  non  seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes »''.<ref>Sobraniye  Uzakonenii, 1920,  N°  8,  art.  49,  V.  aussi Treti  vserossiiski  s'yezd  professionalnykh  soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51</ref>
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Le 12 janvier à la réunion  du  Conseil central panrrusse  des  syndicats (CCPS),  Lénine  et Trotsky  demandèrent  à la réunion de la fraction bolchévique que  la  militarisation  du  travail  soit  acceptée.  Mais seulement 2  des  quelque 60 dirigeants  syndicaux  bolcheviks  les  appuyèrent.
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Le 15 mars 1920, le bolchévik [[Tomski|Tomski]] présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central pan-russe des syndicats (CCPS). Le point 7 de ces thèses incluait la [[collégialité]] dans la direction. Tomski affirme : ''« Les syndicats  sont les organisations les plus capables mais aussi les plus intéressées par le rétablissement de la production dans le pays et son bon fonctionnement »''<ref>Tomsky, « Zadachi prosoyuzov »  [Les tâches des syndicats]. Neuvième Congrès du Parti, Appendice 13, p. 534.</ref>
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Mais ces oppositions ne se limitaient pas à des débats d'orientation dans les congrès. A la même époque se livre une lutte d'influence entre appareil du parti et appareil syndical. La  fraction  du  Parti  dans  le  CCPS,  dominée par la « gauche », essayait d'obtenir une autorité directe sur tous les membres du Parti dans les divers syndicats  de  l'industrie. Peu  avant  le  9<sup>e</sup> congrès  du  Parti,  la  fraction  du  Parti  dans  le  CCPS adopta  une  résolution  qui  allait  dans  ce  sens,  soumettant  directement  toutes  les  fractions  du  Parti dans  les  syndicats  à  la  fraction  du  Parti  dans  le  CCPS  plutôt  qu'aux  organisations  «  régionales  »  du Parti.  Cela  aurait  créé  une  organisation  semi-autonome contrôlant un pourcentage élevé des membres du Parti. La résolution fut  rejetée lorsqu'elle qu'elle fut soumise à l'[[Orgbureau]].
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Les [[Groupe centraliste démocratique|décistes]] défendirent  le  centralisme. Leur  résolution,  votée  par l'organisation  moscovite  du  Parti, stipulait que ''« la discipline du Parti doit toujours l'emporter  sur  la discipline  syndicale  »''. 
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En revanche le  Bureau  méridional  du  CCPS  fit  voter  une  résolution  en  faveur  de l'autonomie dès syndicalistes du Parti semblable  à celle  qu'avait  présenté  l'organisation  sœur  — et  la fit approuver par la 4<sup>e</sup> Conférence Ukrainienne du Parti.
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Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une «&nbsp;remise en ordre&nbsp;» des syndicats.
  
 
La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'Etat soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. [[Bertrand_Russel|Bertrand Russel]], qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures&nbsp;:
 
La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'Etat soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. [[Bertrand_Russel|Bertrand Russel]], qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures&nbsp;:
 
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''«&nbsp;Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle.&nbsp;»'' <span>​</span>''<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref>''<span>​</span>
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''«&nbsp;Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle.&nbsp;»''<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref>
 
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Cependant, les [[Bolchéviks|bolchéviks]] ont eu tendance à théoriser comme «&nbsp;socialistes&nbsp;» les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9<sup>e</sup> Congrès du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|PCR]] (mars 1920) déclare&nbsp;:
 
Cependant, les [[Bolchéviks|bolchéviks]] ont eu tendance à théoriser comme «&nbsp;socialistes&nbsp;» les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9<sup>e</sup> Congrès du [[Parti_communiste_russe_(bolchévik)|PCR]] (mars 1920) déclare&nbsp;:
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''«&nbsp;Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail&nbsp;; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière.&nbsp;»''
 
''«&nbsp;Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail&nbsp;; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière.&nbsp;»''
 
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Sur la base de son expérience dans l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] et dans le traitement de la question ferroviaire, [[Trotsky|Trotsky]] propose la ''«&nbsp;militarisation du travail&nbsp;»'', et la suppression de toute autonomie des syndicats. Il avançait que puisque l'URSS est un [[État_ouvrier|<span class="citation">État ouvrier</span>]], il est <span class="citation">absurde que les ouvriers puissent faire [[grève|grève]] contre eux-mêmes</span>. Il défend et théorise également ses positions dans [[Terrorisme_et_communisme|''Terrorisme et communisme'']]<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c.htm Terrorisme et communisme]'', mai 1920</ref>. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les [[bolchéviks|bolchéviks]], en particulier l'[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]].
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En avril, Trotsky est placé à la tête du Commissariat aux transports pour le remettre en ordre, tout en gardant son poste à la Défense. Le Politbureau s'engagea à l'appuyer quelle  que soit  la  sévérité  des  mesures  qu'il pourrait  décider. Il commença à mettre tout le personnel des chemins de fer et des ateliers de réparation sous le régime de la loi martiale. Quand le syndicat des cheminots souleva des objections, Trotsky révoqua ses chefs et en désigna d'autres.
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Le '''Troisième congrès pan-russe des syndicats a lieu du 6 au 15 avril 1920'''. Sur la base de son expérience dans l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] et dans le traitement de la question ferroviaire, [[Trotsky|Trotsky]] défend de plus en plus ouvertement la ''«&nbsp;militarisation du travail&nbsp;»'', et la suppression de toute autonomie des syndicats. <blockquote>« la militarisation du travail (...) est une méthode  inévitable  d'organisation  et  de  discipline de  la  main-d'œuvre  dans  l'époque  de  transition  du capitalisme  au  socialisme  (...)  Est-il  bien  vrai  que  le  travail  obligatoire  ait  toujours  été improductif  ?  On  est  bien  obligé  de  répondre  à  cela  que  c'est  le  plus  pauvre  et  le  plus  libéral  des préjugés (...) L'organisation du servage a été,  dans  certaines  conditions,  un  progrès  et  a  amené  à une    augmentation    de  la  production (...) Dans  la  période  difficile  actuelle,  les  salaires  ne sont  pas  pour  nous  un  moyen  d'adoucir  l'existence  personnelle  de  tout  ouvrier,  mais  un  moyen d'estimer  ce  que  tout  ouvrier  apporte  par  son  travail  à  la    République  ouvrière  (...)  Aucune autre  organisation  dans  le  passé,  excepté  l'armée, n'a  exercé  sur  l'homme  une  plus  rigoureuse coercition  que l'organisation  gouvernementale  de  la  classe  ouvrière  à  la  plus  dure  époque  de transition.  Et  c'est   précisément  pour  cela  que  nous  parlons  de  militarisation  du  travail »<ref><nowiki>Treti vserossùski  s'yezd  professionalnykh  soyuzov : stenografïcheski otchet (Troisième Congrès Panrusse des  Syndicats  :  compte  rendu  sténographique),  Moscou,  1920 [Le  «  Rapport  sur  l'organisation  du  Travail  »  de  Trotsky  présenté  à  ce  Congrès,  complété de passages empruntés aux rapports présentés au Congrès Panrusse des Conseils Économiques et au IXème Congrès du  P.C.R., est reproduit dans le chapitre VIII de Terrorisme et communisme.]</nowiki></ref></blockquote>[[Boukharine|Boukharine]] se rallie à la plateforme de Trotsky. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les [[Bolchéviks|bolchéviks]], en particulier l'[[Opposition_ouvrière|Opposition ouvrière]]. Trotsky défend et théorise également ses positions dans [[Terrorisme_et_communisme|''Terrorisme et communisme'']], où il écrit :<blockquote>« Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur  substance,  car  ils  sont  nécessaires  à  l'État  socialiste  en  édification, non  afin de  lutter  pour  de meilleures  conditions  de  travail  —  c'est  la  tâche  de  l'ensemble  de  l'organisation  sociale gouvernementale  —  mais  afin  d'organiser  la  classe  ouvrière  pour  la  production,  afin  de  la discipliner,  de  la  répartir,  de  l'éduquer,  de  fixer  certaines  catégories  et  certains  ouvriers  à  leur poste  pour  un  laps  de  temps  déterminé,  afin,  en  un mot  d'incorporer  autoritairement,  en  plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique »<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/t_c/t_c.htm Terrorisme et communisme]'', mai 1920</ref></blockquote>Lors de la '''5<sup>e</sup> conférence pan-russe  des syndicats (2-6 novembre 1920)''', Trotsky soutient    qu'il  faut  en  finir  avec l'existence  parallèle  des  syndicats  et  d'organismes  administratifs,  responsable,  d'après  lui,  de  la confusion  régnante. Ce  qui  ne  pourrait  être  obtenu que  par  la  transformation  des organisations syndicales  (professionalny)  en  organisations  de  production  (proizvodstvenny).
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À la fin de l'année (après la fin de la [[Guerre russo-polonaise (1920)|guerre  russo-polonaise]]), une vague de  mécontentement s'exprime.  À  l'automne, l'autorité de  Lénine est  contestée  comme  elle  ne  l'avait  jamais  été  depuis  le  mouvement  des « [[Kommunist|communistes de gauche]] ».
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Les 8-9 novembre 1920, devant le plénum du comité central du parti, Trotsky soumet un « projet préliminaire de thèse » intitulé « Les syndicats  et  leur  rôle  futur  »,  publié  plus  tard  en  brochure le 25 décembre, sous une forme légèrement différente,  sous  le  titre  «  Le  rôle  et  les  tâches  des  syndicats ».
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Au moment du vote, les thèses de Trotsky furent repoussées à une voix : 8 contre 7, [[Lénine|Lénine]] se dissociant alors  de Trotsky. Sa contre-proposition    fut  votée  par  10  voix  contre  4.  Elle  réclamait  «  une réforme  du  Tsektran  »,  préconisait  «  des  formes  saines  de militarisation  du travail  »<ref>V. I. Lenin, Selected Works, vol. IX, p. 30.</ref>  et  proclamait que  le  parti  «  devait  éduquer  et  appuyer  (...)  un  nouveau  type  de  syndicaliste,  l'organisateur économique énergique et imaginatif et qui affronterait les problèmes économiques non sous l'angle de la distribution et de la consommation mais sous celui de l'augmentation de la production ».
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Le  Comité Central « interdit à Trotsky de parler en public des rapports entre les syndicats et l'État », ce qui fut annulé par le Comité Central lors de la réunion  du  24 décembre, qui décida aussi que toute l'affaire devait être discutée ouvertement.
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Le 2 décembre, Trotsky maintint ses positions dans  son  discours  à  la  session  plénière  élargie  du  Tsektran. Quand  une  fois  de  plus  le Comité Central le désavoua,  ''« Trotsky  rappela avec irritation  à  Lénine  et  aux  autres  membres  du Comité, qu'ils l'avaient bien souvent poussé en privé (...) à agir avec rigueur et sans se soucier des principes  de  la  démocratie.  Il  était  déloyal  de  leur  part  affirmait-il,  de  jouer,  en  public,  les défenseurs, contre lui, des principes démocratiques »''<ref>I. Deutscher, ''Trotsky, I, Le prophète armé'', 1954</ref>.
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Le 7 décembre, lors dune réunion plénière du Comité Central, [[Nikolaï Boukharine|Boukharine]] présenta une résolution sur la  «  démocratie dans  la  production  »,  formule  qui  devait  rendre  Lénine  furieux  :  ''«  c'est  un  terme  gauche, artificiel,  propre  à  la  gent  intellectuelle  »''.  ''«  La  démocratie  dans  la production  est  un  terme  qui  prête  à  la confusion. On peut le comprendre comme une négation de la dictature et de la direction unique »''. ''« Les    primes  en  nature    et  les  tribunaux  disciplinaires  d'honneur  ont  cent  fois  plus  de valeur  pour  prendre  en  mains  l'économie,  diriger  l'industrie  et  élever  le  rôle  des  syndicats  dans la production que les propos complètement abstraits (et partant creux) sur "la démocratie dans la production" etc. »''<ref>V. I. Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/12/vil19201230.htm À nouveau les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky et Boukharine]'', Oeuvres Choisies, vol. 3, p. 631</ref>.
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Le '''8<sup>e</sup> [[Congrès pan-russe des soviets|congrès pan-russe des soviets]] (22-29 décembre 1920)''' aborde notamment le débat sur les syndicats, qui  s’était  développé  à l'intérieur du Parti mais qu'il n'était plus possible d'y confiner. Le 30 décembre eut lieu une réunion commune, au théâtre Bolchoï de Moscou, de la fraction du Parti au Huitième Congrès des Soviets, des membres du Parti du Conseil Central Panrusse des Syndicats, et de membres du Parti de plusieurs  autres  organisations,  pour  discuter  de la  «  question  syndicale  ».  Tous  les protagonistes  de la  discussion  purent  exposer  leurs  positions  respectives.
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Les nombreuses motions en début de ce congrès furent finalement ramenées à trois :
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*La plateforme des 10 ([[Lénine]], [[Grigori Zinoviev|Zinoviev]], [[Lev Kamenev|Kamenev]], [[Staline]], etc.)&nbsp;;
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*La plateforme des 7 ([[Trotsky|Trotsky]], [[Boukharine|Boukharine]], [[Djerzinsky|Djerzinsky]], [[Andreïev]], [[Krestinsky|Krestinsky]], [[Préobrajenski]] et [[Serebriakov|Serebriakov]])&nbsp;;
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*La plateforme de l'[[Opposition de gauche]].
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Pour  Lénine,  les  syndicats  étaient  des  «  réservoirs  du  pouvoir  d'État  ».  Ils devaient  fournir  une  large  base  sociale  «  à  la  dictature  prolétarienne  exercée  par  le  Parti  »,  une  base absolument  indispensable  étant  donné  le  caractère  essentiellement  paysan  de  la  population  du  pays. Les  syndicats  devaient  servir  de  «  lien  »,  de  «  courroie  de  transmission  »  entre  le  Parti  et  les masses  des  travailleurs  sans-parti.  Ils pourraient devenir ainsi des « écoles du communisme » pour leurs 7 millions de membres. Mais « Le  Parti  Communiste Russe,  représenté  par  ses  organisations centrales  et  régionales,  reste  toujours  le  guide indiscutable de  tout  l'aspect  idéologique  du  travail  des syndicats ».<ref>«  O  roli  i  zadachakh  profsoyuzov  »  [Sur  le  rôle  et  les  tâches  des  syndicats} Dixième  Congrès  du  Parti, Résolution, 1, pp. 536-542</ref>
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Lénine  soutint  ainsi que  les  syndicats  ne  pouvaient  pas  être  de  simples  organismes  d'État. Trotsky martelait (comme la plupart des bolchéviks) que puisque l'URSS est un [[État ouvrier]], il est absurde que les ouvriers puissent faire [[grève]] contre eux-mêmes. Lénine justifiait une réserve en disant : ''«&nbsp;on se trompe manifestement car cet État n'est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic. [...] En fait, notre État n'est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c'est une première chose. [...] Notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique.&nbsp;»''<ref>Lénine, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/12/vil19201230.htm Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky], 30 décembre 1920</ref> ''« La  nature  de  notre  État  est telle que l'ensemble du prolétariat  organisé  doit  se  défendre  lui-même  : nous devons  utiliser  ces  organisations  ouvrières pour  défendre  les  ouvriers  contre  leur  propre  État,et  aussi  pour  que  les  ouvriers  défendent  notre État »''. Son argumentation était en fait quasiment la même que celle de [[Martov]] au premier congrès pan-russe des syndicats (janvier 1918).
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Selon Lénine, il ne fallait pas voir dans la militarisation un trait permanent de la politique socialiste du travail. Il fallait donc utiliser aussi bien la persuasion que la coercition. « Il était certes normal que  l'on  nomme  des  fonctionnaires  «  d'en  haut  », mais il serait inopportun  que  les  syndicats en fassent de même. Les syndicats pouvaient faire des suggestions pour certaines tâches économiques et administratives  et  devaient  collaborer  à  la  planification.  Ils  devaient  surveiller,  grâce  à  des départements spécialisés, le travail de l'administration économique. Le Conseil Central Panrusse des Syndicats  aurait  à  fixer  le  taux  des  salaires.  Il  fallait,  à  cet  égard,  lutter  contre  l'extrême égalitarisme  de  l'Opposition  Ouvrière.  La  politique  des  salaires  devait  être  conçue  de  faon  à  « introduire  la  discipline  dans  le  travail  et  augmenter la  productivité  ».  Les membres du  Parti  avaient assez ''« discutaillé à propos de principes à Smolny. Maintenant, après trois ans, il y a des décrets qui régissent  tous  les  aspects  du  problème  de  la  production  ».  «  L'unique conclusion à tirer est que nous  allons  élargir  la  démocratie  dans  les  organisations  ouvrières, sans  en faire  le  moins  du monde un fétiche »''.
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Trotsky  affirma  une  fois  de  plus  qu'il  croyait  que «  la  transformation  des  organisations professionnelles (syndicales) en organisations de production (...) était la tâche la plus importante de l'époque  »  (...)  «  Les  syndicats  devraient  calculer  continuellement  la  valeur  de  leurs  membres  du point  de  vue  de  la  production  et  disposer  toujours d'une  estimation  précise  de  la  capacité productive  de  chaque  ouvrier  ».  Il  ajouta  qu'il  serait  bon  que  les  trois  quarts  ou  la  moitié  des postes  dans  les  organismes  de  direction  des  syndicats  et  de  l'administration  économique,  soient occupés  par  les  mêmes  individus,  afin  d'en  finir  avec  l'antagonisme  existant  entre  ces  deux instances.  On  devait  permettre  aux  techniciens  et  aux  administrateurs  bourgeois  qui  étaient devenus  membres  de  plein  droit  d'un  syndicat,  d'occuper  des  postes  de  direction,  sans  être surveillés  par  des  commissaires.  Il  fallait  également,  après  leur  avoir  assuré  un  salaire  minimum réel,  stimuler  une  concurrence  entre  ouvriers  dans le  «  travail  de  choc  »  (udarnichestvo)  de  la production.
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Trotsky,  et  surtout  [[Nikolaï Boukharine|Boukharine]],  modifièrent  leurs  positions  respectives  afin  de  pouvoir  constituer  un bloc  au  Congrès. Ce que Boukharine  essayait  de  faire  maintenant,  c'était d'arriver  à  une  sorte  de  compromis  entre  les  points  de  vue  officiels  du  Parti  et  les  idées  de l'Oppositon  Ouvière.  Il  pensait  qu'il  fallait  créer  une  «  démocratie  ouvrière dans  la  production  ». L'«  étatisation  des  syndicats  »  devait  aller  de  pair  avec  la  «  syndicalisation  de  l'État  ».  «  Le résultat  logique  et  historique  (de  ce  processus)  ne  sera  pas  l'absorption  des  syndicats  par  l'État prolétarien, mais disparition  de  ces  deux  entités  —  aussi  bien  des  syndicats  que  de  l'État  —  et  la création  d'une  troisième  entité  :  la  société  organisée  sur  des  principes  communistes  ».<ref>Boukharine,  « O    z.adachakh  i  strukture  profsoyuzov  »    [Sur  les lâches  et  la  structure  des  syndicats], Dixième Congrès du Parti, Appendice 16, p. 802.</ref>
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Lénine fit une attaque extrêmement violente sur les deux autres plateformes. ''«  Si  les  syndicats,  composés  dans  leur  neuf-dixièmes  d'ouvriers  sans-parti,  nomment  les  dirigeants  de  l'industrie,  à  quoi  sert  le  Parti  ?  (...). Nous  sommes  passés  ajouta-t-il,  menaçant  -  de  petites  divergences  à  une  déviation  syndicaliste [à propos de Boukharine] qui représente  une  rupture  totale  avec  le  communisme  et  une  scission  inévitable  dans  le  Parti  »''<ref>V. I. Lénine,  « Krisis partii », [La crise dans le parti], Pravda, 21 janvier 1921</ref>
  
[[Lénine|Lénine]] défendra une position plus modérée que celle de Trotsky, maintenant une certaine autonomie des syndicats, même s'il était plus proche de la position de Trotsky que de celle de l'[[Opposition_ouvrière|Opposition]]. A propos de la justification de Trotsky, il disait&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;on se trompe manifestement car cet État n'est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic. [...] En fait, notre État n'est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c'est une première chose. [...] Notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique.&nbsp;»''<ref>Lénine, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/12/vil19201230.htm Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky], 30 décembre 1920</ref><ref>Lénine, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1921/03/d10c/vil19210300-05c10.htm Discours sur les syndicats], 14 mars 1921</ref></blockquote>
 
 
C'est la position de Lénine qui sera majoritaire au 10<sup>e</sup> congrès (mars 1921).
 
C'est la position de Lénine qui sera majoritaire au 10<sup>e</sup> congrès (mars 1921).
  
== Notes et sources ==
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Selon  les  chiffres  donnés  par  Zinoviev  au 10<sup>e</sup>  Congrès,  les  syndicats  comptaient  1,5  millions  de membres en juillet 1917, 2,6 millions en janvier 1918, 3,5 millions en 1919, 4,3 millions en 1920, et 7 millions en 1921.
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===Subordination totale===
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En mai 1921 a lieu le '''Congrès pan-russe du syndicat des Métallurgistes'''.  Son  leader, Medvedev, était un membre actif de l'[[Opposition ouvrière]]. Le Comité Central du  Parti envoya  à  la  fraction  du Parti  dans  le syndicat  une  liste  de  ses  propres  candidats  à  la  direction du  syndicat. Les  délégués  au  Congrès repoussèrent  cette  liste,  et  la  fraction  communiste  en  fit  de  même  (par  120  voix  contre  40). Tous  les  moyens  de  pression  imaginables  furent  utilisés  pour  vaincre  cette  résistance. Le  Comité  Central,  sans  tenir  compte  de  ces  votes,  nomma  son  propre Comité  des Métallurgistes.<ref>Isvestiya  Ts,  K.,  N° 32.  1921, pp. 3-4.</ref>
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Le '''Quatrième  Congrès pan-russe  des syndicats eut lieu les 17-25 mai 1921'''. Le  Congrès  devait  discuter  du  rôle  des  syndicats dans  le  nouveau  secteur  privé  de  l'économie  créé  ou  simplement  légalisé  par  la  [[Nouvelle politique économique|NEP]].  Le  Comité Central  du  Parti  confia  à  [[Mikhaïl Tomski|Tomsky]],  en  sa  qualité  de Président  du  Conseil  Central  Panrusse  des Syndicats, la préparation des  « thèses  » appropriées,  et  la  mission  de  les  faire  accepter  d'abord  par la  fraction  du  Parti  et  ensuite  par  l'ensemble  du  Congrès.  Tout  alla  bien  jusqu'au  moment  où  le Congrès  adopta,  par  1  500  voix  contre  30,  une  motion  d'apparence  inoffensive,  présentée  par [[David Riazanov|Riazanov]]  au  nom  de  la  fraction  du  Parti,  et  qui  devait  provoquer  un  véritable  scandale.  Le  point essentiel  de  cette  résolution  affirmait  que  «  le  Parti  doit  orienter  globalement  le  choix  du personnel  dirigeant  dans  le  mouvement  syndical,  mais  le  Parti  doit  faire  un  effort  particulier  pour garantir  les  méthodes  normales  de  la  démocratie  prolétarienne,  surtout  dans  les  syndicats,  où  le choix des dirigeants doit être laissé aux syndiqués eux-mêmes ».
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Le  Comité  Central réagit furieusement.  Tomsky,  qui n'avait  même  pas  appuyé  la  malheureuse  résolution, fut  privé  immédiatement  de  son  mandat  de représentant  de  Comité  Central  au  Congrès, et fut  remplacé  par  Lénine,  Staline  et  Boukharine (pourtant assez étrangers au travail syndical).
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Le  Comité  Central réagit furieusement.  Tomsky,  qui n'avait  même  pas  appuyé  la  malheureuse  résolution, fut  privé  immédiatement  de  son  mandat  de représentant  de  Comité  Central  au  Congrès, et fut  remplacé  par  Lénine,  Staline  et  Boukharine (pourtant assez étrangers au travail syndical). On  interdit définitivement à Riazanov de s'occuper de toute activité syndicale. On  créa  une  commission  spéciale,  présidée  par  Staline,  pour  «  examiner  la  conduite  de Tomsky  ».  Lorsque  cette  commission  termina  ses  travaux,  elle  blâma  sévèrement  Tomsky  pour sa  «  négligence  criminelle  ».  Tomsky perdit  toutes  ses  responsabilités  au  Conseil  Central  Panrusse  des  Syndicats.  En  ce  qui  concerne  la fraction  de  Parti,  on  la  «  convainquit  »  de  revenir  sur  sa  décision  de  la  veille.
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Le 2 avril 1922, le 11<sup>e</sup> Congrès du parti communiste vote une résolution interdisant toute ingérence des syndicats dans la direction des entreprises&nbsp;:
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L’intérêt primordial et fondamental du prolétariat, après la conquête du pouvoir d’État, réside dans l’augmentation de la production et dans l’accroissement considérable des forces productives de la société. Ce but, nettement mis en avant dans le programme du Parti communiste russe, est encore plus urgent dans l’état actuel de dévastation, de famine et de désorganisation d’après-guerre. Le progrès le plus rapide et le plus durable possible dans la reconstruction de l’industrie lourde représente une condition indispensable pour parvenir à affranchir le travail du joug du capital et à la victoire du socialisme&nbsp;; or, ce succès exige à son tour, dans la situation russe actuelle, la concentration absolue de tout le pouvoir entre les mains de la direction d’entreprise. Celle-ci, conformément à la règle générale, repose sur le principe de la direction individuelle, décide de façon autonome des questions de salaires et de la répartition du papier-monnaie, des rations, des vêtements de travail et de tout autre approvisionnement, en tenant compte des clauses et des limites des conventions collectives conclues avec les syndicats&nbsp;; ce faisant, la direction de l’entreprise doit garder le maximum de liberté de manœuvre, vérifier soigneusement la réalité des résultats dans l’accroissement de la production, de sa rentabilité en sélectionnant scrupuleusement les administrateurs les plus capables et les plus expérimentés, etc.
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Toute ingérence des syndicats dans la direction de l’entreprise doit donc être considérée absolument comme néfaste et inadmissible.
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Il est ajouté aussitôt&nbsp;:
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Cependant il serait tout à fait erroné d’interpréter ce principe indiscutable comme la négation de la participation des syndicats dans l’organisation socialiste de l’industrie et dans la gestion de l’industrie nationale.
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==Notes et sources==
  
NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/marxistes-populistes-anarchistes-un-mouvement-ouvrier-revolutionnaire ''Marxistes, populistes, anarchistes… Un mouvement ouvrier révolutionnaire''], <span class="submitted-by">14 mars 2017</span>
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*NPA, [https://npa2009.org/idees/histoire/marxistes-populistes-anarchistes-un-mouvement-ouvrier-revolutionnaire ''Marxistes, populistes, anarchistes… Un mouvement ouvrier révolutionnaire''], 14 mars 2017
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*Thomas Lowit, ''Les Syndicats en URSS'', Paris, Armand Colin, 1971
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*Frederick Israel Kaplan, ''Bolshevik Ideology and the Ethics of Soviet Labour, 1917-1920&nbsp;: The Formative Years'', New York, Philosophical Library, 1968
  
<span class="submitted-by"><references /></span>
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<references />
  
[[Category:Syndicalisme]] [[Category:Russie / URSS]]
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[[Category:Syndicalisme]]  
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[[Category:Russie / URSS]]

Version du 19 décembre 2019 à 22:29

Cette page traite principalement de la naissance des syndicats en Russie et de leur rôle dans la Révolution de 1917 et dans le nouveau régime.

1 Naissance des syndicats ouvriers russes

Contrairement aux pays occidentaux où les libertés démocratiques ont été conquises progressivement, en même temps que le développement de la classe ouvrière, les syndicats étaient sous l'Empire tsariste quasiment aussi réprimés que le parti social-démocrate.

Les premiers syndicats un peu stables et de quelque importance se sont formés à partir de 1905. Par exemple le syndicat des métallurgistes joue un rôle important dans la révolution de 1905. Les bolchéviks deviennent majoritaires dans ce syndicat à partir de 1913.

2 Les syndicats en 1917

2.1 Emergence de syndicats d'abord faibles

Après la révolution de Février, la répression tsariste s'effondre, et les masses populaires s'organisent partout dans tous types de structures, dont des syndicats ouvriers. Mais les soviets et les comités d’usine sont d'emblée plus représentatifs et épousent bien mieux l'auto-activité des masses. Si bien que les syndicats n’ont joué dans les événements de 1917 qu’un rôle secondaire, même lorsqu’ils étaient puissants comme le syndicat des métallurgistes de Pétrograd, fort de 200 000 membres. Ils étaient fortement politisés et largement dominés par les social-démocrates.

Au lendemain de la révolution de Février, les syndicats ont donc assez largement accepté la direction politique des soviets, comme la majorité de la classe ouvrière. Des frictions existaient néanmoins[1]. À Moscou, la première réunion organisationnelle de l’Union des syndicats se tient le 2 mars avec les représentants de 25 unions syndicales et deux représentants du comité du parti SD de Moscou. Les syndicats décident d'accepter la subordination au Soviet seulement si celui-ci pratique une politique « internationaliste » (par opposition aux défensistes). Ils proposaient même de n’élire au Soviet que des internationalistes. Lors de la réunion suivante des syndicats de Moscou, il est décidé concernant le rapport avec les partis :

« En ce qui concerne l’attitude vis-à-vis des partis socialistes, il a été décidé que, formellement, les syndicats sont indépendants des partis (bes-partii). Ils doivent se trouver en pleine union, tant du point de vue organisationnel que du point de vue de leur plate-forme, avec les partis qui se placent sur le terrain de la lutte des classes. En ce qui concerne les partis bourgeois, le syndicat juge leur conduite ambiguë, les considère comme des ennemis politiques de la classe ouvrière et juge indispensable que les syndicats démarquent nettement leur ligne politique de la leur, les soutenant seulement quand leurs exigences coïncident avec les exigences de la classe ouvrière. »

Un autre exemple de conflit fut lorsque le Soviet de Simbirsk (qui avait émané des comités d’usine) voulut prendre le contrôle du syndicat du textile et nommer une autre direction, au nom du fait que l'ancienne direction aurait eu des liens avec la Douma d'Etat et avaient des pratiques non démocratiques. En réaction, les ouvriers d'une usine votèrent une protestation, réaffirmant que « dans les institutions démocratiques il y a, à l’origine, l’élection ; la nomination d’une Direction viole les principes démocratiques élémentaires [et que] c’est l’assemblée qui contrôle la Direction, (...) tout autre contrôle est une gifle à l’assemblée ».[1]

L’anarcho-syndicaliste Voline souligne : « quant au syndicalisme, aucun mouvement ouvrier n’ayant existé en Russie avant la Révolution de 1917, la conception syndicaliste – quelques intellectuels érudits mis à part – y était totalement inconnue (…) cette forme russe d’une organisation ouvrière, le "Soviet", fut hâtivement trouvée en 1905 et reprise en 1917, justement à cause de l’absence de l’idée et du mouvement syndicalistes ». Voline ajoute que « sans aucun doute, si le mécanisme syndical avait existé, c’est lui qui aurait pris en mains le mouvement ouvrier. »[2]

Isaac Deutscher décrivait ainsi la faiblesse relative du syndicalisme en 1917 :

« Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu'ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n'eurent jamais l'envergure et la force de celles de 1905 (...). L'effrondrement économique de la Russie, l'inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c'était l'ordre social russe dans son ensemble »[3]

La Troisième Conférence Panrusse des Syndicats se tient à Petrograd les 20-28 juin. Elle adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production ». Quant aux Comités d'usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d'usine devaient lutter pour l'entrée de tous les travailleurs de l'entreprise dans les syndicats. Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l'unité dans leur lutte » et « renforcer l'autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés ». La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicats, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les menchéviks et SR qui dominaient insistaient pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats. Les thèses bolcheviques, présentées à la conférence par Glebov-Avilov, proposaient la création et le rattachement à l'administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique », composées de membres des Comités d'usine.

2.2 Majorité bolchévique et résistances

Les bolchéviks gagnent la majorité dans les syndicats un peu avant octobre, en même temps que dans la majorité des soviets. Les syndicats de certains secteurs, souvent avantagés par rapport à la majorité de la classe ouvrière, restèrent hostiles aux bolchéviks, comme dans les postes, l’industrie du cuir, chez les employés, cadres et fonctionnaires, et chez les cheminots.

Le Vikjel, Comité exécutif pan-russe du syndicat des travailleurs du rail, l’une des plus fortes organisations syndicales, représentait un secteur très imprégné de ses particularités corporatives et qui, par rapport aux ouvriers d’usine, constituait une sorte d’« aristocratie ouvrière ».

La direction du Vikjel est notamment connue pour sa tentative conciliatrice au lendemain de l’insurrection d’Octobre : alliée alors avec l’aile droite de la direction bolchevique (Kamenev, Zinoviev, Rykov), elle avait tenté d’imposer un gouvernement composé de « toutes les tendances socialistes », c’est-à-dire commun avec celles (mencheviks, socialistes-révolutionnaires de droite) qui ne reconnaissaient pas le pouvoir des soviets et dont certains membres n’allaient pas tarder à œuvrer de concert avec la contre-révolution bourgeoise et impérialiste. Le Vikjel s’est ensuite comporté comme une force d’opposition au nouveau pouvoir soviétique, allant jusqu’à menacer de paralyser le transport des troupes envoyées sur le front des premiers combats avec la contre-révolution.

Le Vikjel était contrôlé par des forces politiques hostiles aux bolcheviks : à l’été 1917, sur ses 40 membres, il y avait 3 bolchéviks, 2 interrayons, 14 SR, 7 mencheviks, 3 troudoviks, et 11 « indépendants » parmi lesquels en réalité beaucoup soutenaient le parti KD.

En 1918, avec la guerre civile et les tensions avec le patronat, la direction bolchévique décida que « les tâches qui définissaient la spécificité du mouvement syndical demeuraient actuelles ». Ce point de vue avait été défendu par des mencheviks, il le fut ensuite par des bolcheviks, Lénine reprenant sur ce point, contre Trotski, les thèses de Martov.

3 Les syndicats sous le pouvoir bolchévik

3.1 Etat et syndicats contre comités d'usine

Le pouvoir bolchévik tente dès le lendemain d'Octobre de centraliser la prise de décision en matière économique. Malgré des premières mesures comme le décret sur le contrôle ouvrier, par lequel Lénine en particulier souhaite encourager la participation ouvrière, les bolchéviks ont vite considéré que puisque le nouveau régime était l’expression de la volonté générale de la classe ouvrière, les syndicats devaient être subordonnés aux organes centraux (Vesenkha, commissariat du peuple au Travail...) de l'Etat ouvrier.

Losovski, un syndicaliste bolchevik, estimait que « les activités des organes de base du contrôle doivent respecter les limites établies par les directives du Conseil panrusse du contrôle ouvrier. Nous devons le dire clairement et catégoriquement,afin que les ouvriers, dans chaque entreprise, ne croient pas que l'entreprise leur appartient ».[4]

La priorité des bolchéviks fut d'abord de canaliser les initiatives des comités d'usine, et ils s'appuyèrent pour cela sur les syndicats, devenus, selon l'historien Edward Hallett Carr, « des champions inattendus de l'ordre, de la discipline et de la direction centralisée de la production »[5]. D'autant plus que les syndicats étaient fortement politisés et ont fait barrage aux premières tentatives de l'Etat de les restreindre à la « sphère économique ». Ainsi le 20 décembre 1917, les syndicats refusent d’être écartés des problèmes politiques du prolétariat.

Un exemple des conflits entre comités d'usine et organes supérieurs était la socialisation spontanée mise en place dans certaines usines, alors que l'Etat bolchévik chercha d'abord à rassurer les investisseurs potentiels. La direction syndicale s’associait aux décisions prises par le gouvernement qui sélectionnait les types d’entreprise à nationaliser ou non, la forme de la direction (prônant une direction unipersonelle et non collégiale). En échange elle pouvait s’appuyer sur la loi qui déclarait obligatoires les décisions de la direction syndicale, mettant hors la loi les syndicats particuliers qui n’obéissaient pas.

Le 28 novembre 1917 se réunit le Conseil pan-russe du contrôle ouvrier, qui décide de subordonner les comités d'usine aux syndicats.

Le premier congrès pan-russe des syndicats se réunit les 7-11 janvier 1918, avec des délégués bolcheviks, mencheviks, SR et anarcho-syndicalistes. La perspective annoncée est claire : «  le contrôle ouvrier doit éliminer l'autocratie dans le domaine économique, comme elle a déjà été éliminée dans le domaine politique ». Cependant dans la pratique de profonds clivages apparaissent très vite. Deux thèmes principaux allaient dominer le Congrès. Quels devaient être les rapports entre les Comités d'usine et les syndicats ? Et quels devaient être les rapports entre les syndicats et le nouvel État russe ?

Selon Lozovsky, « les Comités d'usine étaient à ce point maîtres des lieux qu'ils étaient, trois mois après la révolution, dans une grande mesure indépendants par rapport aux organes de contrôle »[6]. Maïski, encore menchevik à l'époque, disait que d'après son expérience « ce n'était pas quelques prolétaires, mais presque tout le prolétariat, spécialement à Pétrograd, qui considérait le contrôle ouvrier comme l'avènement du royaume du socialisme ». Il se plaignait de ce que parmi les travailleurs, « l'idée même du socialisme était incarnée par le concept du contrôle ouvrier ». Un autre délégué menchevik déplora « que sous le couvert des Comités d'usine et du contrôle ouvrier, une vogue d'anarchisme déferle sur notre mouvement ouvrier russe ». Riazanov pressa les Comités d'usine « de se suicider et de se transformer totalement en éléments de la structure des syndicats ».

La majorité bolchévique défend (avec les menchéviks) une subordination et une intégration des comités d'usine dans l'appareil syndical (une force jugée « plus stable » et « moins anarchique »), et combat les interprétations autogestionnaires du contrôle ouvrier. Il est affirmé que « pour que le contrôle ouvrier puisse apporter le maximum d’avantages au prolétariat, il est nécessaire de rejeter une fois pour toutes toute idée d’éparpiller ce contrôle en donnant aux ouvriers des entreprises le droit de prendre des décisions ayant valeur opératoire sur des questions qui affectent la vie même de leur entreprise ». Les comités d’usine doivent opérer sur « la base d’un plan général formulé par les instances supérieures du contrôle ouvrier et les organes qui décident de l’organisation de l’économie ». Enfin, il faut rendre « clair à leurs délégués le fait que le contrôle ne signifie pas le transfert de l’entreprise aux ouvriers, le contrôle ouvrier n’étant que le premier pas vers la socialisation ».

Des anarcho-syndicalistes dénonçaient alors la politique gouvernementale qui trahissait « la classe ouvrière en supprimant le contrôle ouvrier pour lui substituer la direction unique de l’entreprise, abandonnant les comités d’usine, enfants chéris de la révolution, pour le syndicat qui édictait décrets et sanctions en guise de démocratie dans l’industrie ».[1] Maximov déclara que lui et ses camarades anarcho-syndicalistes étaient de « meilleurs marxistes » que les mencheviks ou les bolcheviks, déclaration qui causa une grande agitation dans la salle. Il soutenait que « les Comités d'usine, organisations introduites directement par la vie même, au cours de la révolution, étaient les organisation les plus proches de la classe ouvrière, beaucoup plus proches que les syndicats ». Les syndicats « qui correspondaient aux vieux rapports économiques de l'époque tsariste, avaient fait leur temps et ne pouvaient entreprendre cette tâche ». « Le but du prolétariat était de coordonner toutes les activités, tous les intérêts locaux, de créer un centre, mais pas un centre de décrets et d'ordonnances, un centre, au contraire, de coordination, d'orientation — et seulement un centre de ce genre pouvait organiser la vie industrielle du pays ». Bill Chatov traita les syndicats de « cadavres ambulants » et appela la classe ouvrière à « s'organiser localement, et à créer une Russie libre et nouvelle, sans Dieu, sans Tsar et sans chefs dans les syndicats ».

La résolution des anarcho-syndicalistes, réclamant « un véritable contrôle ouvrier, et non pas un contrôle ouvrier étatique », et demandant que « l'organisation de la production, des transports et de la distribution soit immédiatement transférée entre les mains des travailleurs eux-mêmes et non aux mains de l'État ou à quelque appareil de fonctionnaires, composé de membres de la classe ennemie », fut repoussée. Les anarcho-syndicalistes, qui étaient surtout implantés chez les mineurs du district de Debaltzef dans le bassin du Don, parmi les travailleurs des chantiers navals et les travailleurs du ciment de Ekaterinodar et de Novorossiysk et parmi les cheminots de Moscou, avaient 25 délégués au Congrès (sur la base d'un délégué pour 3000-3500 membres).

Parlant au nom des Comités d'usine, un travailleur de la base, Belusov, attaqua violemment les dirigeants du Parti, qui critiquaient continuellement les Comités « parce qu'ils n'agissaient pas conformément aux règlements » mais étaient eux-mêmes incapables de présenter un quelconque plan cohérent. Ils ne savaient que parler. « Tout cela paralyse le travail local. Devons-nous rester tranquilles à l'échelon local à attendre et ne rien faire ? Ce serait certainement la seule façon de ne pas commettre d'erreurs. Seuls ceux qui ne font rien ne commettent pas d'erreurs ». Un véritable contrôle ouvrier était la solution à la désintégration économique de la Russie. « La seule façon de s'en sortir qui reste aux ouvriers, c'est qu'ils prennent eux-mêmes en mains les usines et qu'ils les dirigent ».

Les bolchéviks demandèrent que « les organisations syndicales, en tant qu'organisations de classe du prolétariat sur une base d'industrie, assument la tâche essentielle de l'organisation de la production et du rétablissement des forces productives, si affaiblies, du pays ». Les mencheviks et les SR votèrent avec les bolcheviks une résolution proclamant que « la centralisation du contrôle ouvrier était l'affaire des syndicats ». Le contrôle ouvrier était défini comme « l'instrument par lequel le plan économique général doit être réalisé localement ». La résolution propose un nouveau fonctionnement du contrôle ouvrier, censé fusionner syndicats et comités d'usine : chaque usine doit avoir des commissions de contrôle ouvrier, composées de représentants du syndicat de la branche correspondante, et de représentants de l'assemblée générale des travailleurs (prenant de fait la place de l'ancien comité d'usine), ces derniers devant être validés par une commission du syndicat. Les représentants de l'AG doivent être renouvelés régulièrement (contrairement aux représentants syndicaux), ce qui est justifié par le but d'entraîner le maximum de travailleurs à la gestion.

Les 15-21 janvier a lieu le premier congrès pan-russe des travailleurs du textile, à Moscou. A majorité bolchevik, le Congrès déclara que « le contrôle ouvrier n'était qu'un stade transitoire vers l'organisation planifiée de la production et de la distribution »[7]. Le syndicat adopta de nouveaux statuts proclamant que « la cellule de base du syndicat est le Comité d'usine, qui a pour mission d'appliquer, dans chaque entreprise, toutes les décisions du syndicat ». On agita aussi la trique. S'adressant au Congrès, Lozovski déclara que « si le « patriotisme » local de certaines usines entre en conflit avec les intérêts du prolétariat dans son ensemble, nous affirmons résolument que nous ne reculerons devant aucune mesure pour supprimer les tendances pernicieuses pour les travailleurs ».

3.2 Intégration des directions syndicales

Mais en parallèle de la limitation des pouvoirs des comités d’usine, qui accroit relativement celui des syndicats, l’État cherche à contrôler de plus en plus étroitement les syndicats pour les transformer en courroie de transmission.

Ce point fut déjà évoqué lors du premier congrès pan-russe des syndicats déjà évoqué (7-11 janvier 1918). La majorité des bolchéviks (mais ceux-ci étaient plus divisés sur cette question) soutenaient la subordination des syndicats, mais des concessions sont alors faites sur ce terrain-là, la centralisation commençant par les échelons les plus bas et indisciplinés.

Les mencheviks, qui prétendaient que la révolution ne pouvait conduire qu'à une république démocratique — bourgeoise, insistaient sur l'autonomie des syndicats vis-à-vis du nouvel État russe. Maïski déclara que « si le capitalisme reste intact, les tâches auxquelles les syndicats sont confrontés sous le capitalisme restent inchangées ». Martov (menchévik de gauche) présenta un point de vue plus subtil : « Dans la situation historique présente le gouvernement ne peut pas représenter uniquement la classe ouvrière. Il ne peut être qu'une administration de facto liée à une masse hétérogène de travailleurs, aussi bien des prolétaires que des non prolétaires. Il ne peut donc appliquer une politique économique qui représente de façon cohérente et ouverte les intérêts de la classe ouvrière », contrairement aux syndicats qui devaient donc conserver une certaine indépendance.

Le point de vue bolchevik, soutenu par Lénine et Trotsky, et présenté par Zinoviev, était que les syndicats devaient être sinon complètement intégrés, du moins subordonnés au gouvernement. L'idée de la neutralité des syndicats fut qualifiée officiellement d'idée « bourgeoise », donc tout à fait anormale dans un État ouvrier. La résolution adoptée par le Congrès exprimait clairement ces idées :

« Les syndicats devront se charger du lourd fardeau de l'organisation de la production et du redressement des forces économiques détruites du pays. Leurs tâches les plus urgentes, c'est leur participation énergique à tous les organes centraux de régulation de la production, l'organisation du contrôle ouvrier (sic !), le recensement et la distribution de la force de travail, l'organisation des échanges entre la ville et la campagne (...) — la lutte contre le sabotage et la mise en vigueur des dispositions sur le travail obligatoire (...). En se développant, les syndicats devront, dans le processus de l'actuelle révolution socialiste, devenir des organes de pouvoir socialiste, et comme tels, devront travailler en coordonnant — et subordonnant — leur activité à celle d'autres organes en vue de mettre en pratique les nouveaux principes (...) Le Congrès est convaincu qu'en conséquence, pendant ce processus, les syndicats se transformeront inévitablement en organes de l'État socialiste. La participation à la vie syndicale, doit être pour tous les membres de la population employés dans l'industrie, un devoir vis-à-vis de l'État ».

Tomski abondait dans ce sens en avançant que les « intérêts particuliers de groupes de travailleurs devaient être subordonnés aux intérêts de la classe toute entière ». Zinoviev affirmait que le soutien au droit de grève contre un Etat ouvrier ne pouvait être que le soutien aux saboteurs. Riazanov répliquait « qu'aussi longtemps que la révolution sociale commencée ici n'aura pas fusionné avec la révolution sociale en Europe et dans le monde entier (...) le prolétariat russe (...) doit être sur ses gardes et ne doit pas renoncer à une seule de ses armes (...), il doit maintenir son organisation syndicale ». Tsyperovitch, un important syndicaliste bolchevik, proposa que le Congrès ratifie le droit des syndicats de continuer à avoir recours à la grève pour la défense de leurs membres. Une résolution dans ce sens fut cependant repoussée.

Le 3 avril 1918, le Conseil Central des Syndicats publia son premier rapport détaillé sur la fonction du syndicat face aux problèmes de la «  discipline dans le travail » et de «  l'émulation ».[8] Les syndicats «  ne devaient épargner aucun effort pour accroître la productivité du travail, ils devaient créer par conséquent dans les usines et les ateliers les bases indispensables au travail discipliné ». Chaque syndicat devait établir une commission « pour fixer les normes de productivité pour chaque secteur et chaque catégorie de travailleurs ». L'utilisation du travail aux pièces «  pour élever la productivité du travail » était admise. On affirmait que «  les primes de productivité, lorsque la norme établie était dépassée, pouvaient, dans certaines limites, être une mesure utile pour élever la productivité sans épuiser le travailleur ». Enfin, si «  des groupes isolés de travailleurs » refusaient de se soumettre à la discipline syndicale, ils pourraient en dernier ressort être expulsés du syndicat «  avec toutes les conséquences qui en découlent ».

Le 28 septembre 1918, Tomski déclare au Premier Congrès Panrusse des Cheminots Communistes : «  La tâche des communistes a été : premièrement, de créer des syndicats solides dans leurs industries respectives ; deuxièmement, de s'emparer de la direction de ces organisations par un travail tenace ; troisièmement, de rester à la tête de ces organisations ; quatrièmement, d'expulser tout groupe non prolétarien ; cinquièmement, de soumettre les syndicats à notre propre influence communiste »[9]

Au sein des syndicats, les rapports entre base et sommet étaient de plus en plus bureaucratiques. En pratique, plus les syndicats assumaient les fonctions administratives d'une bureaucratie gestionnaire, plus ils devenaient bureaucratiques eux-mêmes[10].

Début 1919, il y avait 3 500 000 adhérents dans les syndicats. Il y en avait eu 2 600 000 au temps du Premier Congrès des syndicats, en janvier 1918, et 1 500 000 à la Conférence de juillet 1917.[11]

Le 2e congrès pan-russe des syndicats se réunit du 16 au 25 janvier 1919[12]. Un conflit commence à apparaître entre la direction des syndicats, en accord avec le pouvoir, et la base. La résistance qui avait été menée naguère par les comités contre les syndicats se déplaça au sein du mouvement syndical, opposant d’une certaine façon les organisations de base à l’appareil de la direction syndicale. Dans leur motion du 23 janvier 1919, les syndicats commencent par s’aligner sur le texte gouvernemental en parlant eux aussi au passé du contrôle ouvrier. Mais ils font état d’un « conflit latent qui se livre dans le cadre des nouvelles formes organisationnelles que prend la vie économique ». Ils tentaient de maintenir un certain rôle aux syndicats : « Suivre sans doute le travail des gestionnaires, non le précéder », mais en le « supervisant ». Lénine parla de l'«  inévitable étatisation des syndicats », tout en parlant de fonction éducatrice des syndicats vis-à-vis des travailleurs dans l'art de l'administration, et de «  dépérissement de l'État » futur.

À cette session, un texte qui maintenait le droit pour les ouvriers de faire grève était rejeté, au nom du fait que les ouvriers ne peuvent faire grève contre eux-mêmes. Tomski souligna « qu'au moment où les syndicats déterminent les salaires et les conditions de travail, les grèves ne peuvent plus être tolérées. Il est nécessaire de mettre des points sur les i ». Dans le congrès, certains protestèrent contre le fait que le Commissariat au Travail ratifie les délégués élus par les syndicats pour les représenter dans les instances centrales. Ainsi l’ouvrier Perkin :

« Si dans une réunion syndicale nous choisissons un élu, si la classe ouvrière a le droit dans certains cas d’exprimer ses volontés, on aurait pu penser que cet élu pourrait nous représenter auprès du Commissariat au Travail. Eh bien non. Bien que nous l’ayons élu, il faut que ce choix soit ratifié. »[1]

Un autre délégué au Congrès, Chirkin, affirma par exemple que « même s'il existe dans la plupart de nos régions des institutions représentant le mouvement syndical, les membres de ces institutions ne sont ni élus, ni ratifiés ; quand il y a des élections et que les individus élus ne plaisent pas au Conseil Central ou aux pouvoirs locaux, les élections sont annulées très facilement et les élus remplacés par d'autres individus, plus dociles ».

Lozovski, qui avait quitté le parti, parla en tant qu'internationaliste indépendant contre la politique bolchevik dans les syndicats.

Une résolution fut adoptée demandant « qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats ». On y parlait d’ «  étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie ». Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que «  les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical ». Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient «  obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». «  La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »

3.3 Étatisation des syndicats

Le 8e congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une vague de critiques de gauche contre les tendances ultra-centralistes s'y fit entendre. Un nouveau programme du Parti fut discuté et approuvé. Le point 5 de la «  Section Économique » déclarait que «  l'appareil d'organisation de l'industrie socialisée doit être basé essentiellement sur les syndicats (...). Les syndicats qui, conformément aux lois de la République Soviétique et à la pratique quotidienne, participent déjà aux tâches de tous les organes centraux et locaux de l'administration industrielle, doivent procéder à la concentration effective dans leurs propres mains de toute l'administration de l'économie dans son ensemble, considérée comme une seule unité économique (...). La participation des syndicats à la gestion économique et leur rôle, qui consiste à entraîner de larges masses dans ce travail, constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »[13]

Ce paragraphe célèbre devait soulever de violentes discussions dans les années qui suivirent. Riazanov lança cet avertissement au Congrès : «  nous n'éviterons pas la bureaucratisation tant que tous les syndicats n'auront pas abandonné (...) toutes leurs prérogatives dans l'administration de la production ». D'un autre côté, beaucoup des bolcheviks s'accrocheront à cette clause, comme un bastion qu'ils cherchaient à défendre contre la bureaucratie du Parti.

Deutscher décrit le «  point 5 » comme un « écart » syndicaliste dû à la reconnaissance des dirigeants bolcheviks pour le travail effectué par les syndicats pendant la guerre civile. Il souligne que les dirigeants bolcheviks «  durent bientôt chercher toute sorte de justifications pour annuler ce chèque en blanc que le Parti avait si solennellement donné aux syndicats ».[14]

Le programme déclarait que «  la méthode socialiste de la production ne peut être assurée que par une discipline entre camarades ouvriers ». Il confiait aux syndicats « le rôle principal dans la création de cette nouvelle discipline socialiste ». Le point 8 pressait les syndicats de «  faire comprendre aux travailleurs la nécessité de travailler avec des techniciens et spécialistes bourgeois, d'apprendre d'eux — et de surmonter la méfiance « ultra-radicale » envers ces derniers (...). Les ouvriers ne pourront pas construire le socialisme sans une période d'apprentissage auprès de l'intelligentsia bourgeoise (...). On acceptait ainsi les hauts salaires et les primes des « spécialistes » bourgeois. C'était la rançon que le jeune État prolétarien devait payer s'il voulait obtenir l'aide indispensable des techniciens et des scientifiques de formation bourgeoise »[13]

Le 4 décembre 1919, la 8e conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être « d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste ».

3.4 1920-21 : « Militarisation du travail »

Le 16 décembre 1919, Trotsky soumet au Comité Central du Parti ses «Thèses sur la transition de la guerre à la paix » (où la plus importante de ses propositions était la «  militarisation du travail »), croyant que la discussion ne sortirait pas du cadre du Comité. Les décisions les plus importantes concernant les conditions matérielles de vie et de travail de centaines de milliers d'ouvriers russes allaient être discutées et prises à huis clos, par les dirigeants du Parti. Mais le jour suivant, la Pravda, dirigée par Boukharine, publia «  par erreur » les thèses de Trotsky (il s'agissait en fait d'une campagne dirigée contre Trotsky). Les propositions de Trotsky déclenchèrent «  une avalanche de protestations »[15]. Il fut hué aux Conférences de membres du Parti, administrateurs et syndicalistes. A ce moment-là, Lénine soutient Trotsky sans réserve. Cela déclenchera un peu plus tard (entre fin 1920 et début 1921) le débat sur la militarisation du travail, ou « débat sur les syndicats ».

Le 27 décembre, le gouvernement crée la Commission du Travail Obligatoire, avec Trotsky (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le Sovnarkom publie un décret définissant des règles généralisant le Service du Travail obligatoire « pour subvenir aux besoins de main-d'œuvre de l'industrie, l'agriculture, les transports et les autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général ». N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement, pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment, la construction des routes, l'approvisionnement en nourriture ou en combustible, pour enlever la neige, dans les transports ou pour «  faire face aux calamités publiques »). Le document signalait qu'il fallait dans une certaine mesure « regretter la destruction du vieil appareil policier qui avait su recenser les citoyens, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes ».[16]

Le 12 janvier à la réunion du Conseil central panrrusse des syndicats (CCPS), Lénine et Trotsky demandèrent à la réunion de la fraction bolchévique que la militarisation du travail soit acceptée. Mais seulement 2 des quelque 60 dirigeants syndicaux bolcheviks les appuyèrent.

Le 15 mars 1920, le bolchévik Tomski présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central pan-russe des syndicats (CCPS). Le point 7 de ces thèses incluait la collégialité dans la direction. Tomski affirme : « Les syndicats sont les organisations les plus capables mais aussi les plus intéressées par le rétablissement de la production dans le pays et son bon fonctionnement »[17]

Mais ces oppositions ne se limitaient pas à des débats d'orientation dans les congrès. A la même époque se livre une lutte d'influence entre appareil du parti et appareil syndical. La fraction du Parti dans le CCPS, dominée par la « gauche », essayait d'obtenir une autorité directe sur tous les membres du Parti dans les divers syndicats de l'industrie. Peu avant le 9e congrès du Parti, la fraction du Parti dans le CCPS adopta une résolution qui allait dans ce sens, soumettant directement toutes les fractions du Parti dans les syndicats à la fraction du Parti dans le CCPS plutôt qu'aux organisations «  régionales » du Parti. Cela aurait créé une organisation semi-autonome contrôlant un pourcentage élevé des membres du Parti. La résolution fut rejetée lorsqu'elle qu'elle fut soumise à l'Orgbureau.

Les décistes défendirent le centralisme. Leur résolution, votée par l'organisation moscovite du Parti, stipulait que « la discipline du Parti doit toujours l'emporter sur la discipline syndicale ».

En revanche le Bureau méridional du CCPS fit voter une résolution en faveur de l'autonomie dès syndicalistes du Parti semblable à celle qu'avait présenté l'organisation sœur — et la fit approuver par la 4e Conférence Ukrainienne du Parti.

Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats.

La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'Etat soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. Bertrand Russel, qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures :

« Il est évident que par de telles mesures les bolcheviques ont été contraints de s’éloigner pas mal de l’idéal qui inspira la révolution à ses débuts. Mais la situation est si désespérée que l’on ne pourrait les blâmer si leurs mesures aboutissaient. Dans un naufrage, tous les bras doivent être utilisés, et il serait ridicule de prêcher la liberté individuelle. »[18]

Cependant, les bolchéviks ont eu tendance à théoriser comme « socialistes » les mesures drastiques qu'ils prenaient. Ainsi une des résolutions votées par le 9e Congrès du PCR (mars 1920) déclare :

« Tout système social, qu’il soit basé sur l’esclavage, le féodalisme ou le capitalisme, a ses voies et moyens pour rendre obligatoire le travail dans l’intérêt des exploiteurs. Le système soviétique a le devoir de recourir à sa propre méthode de travail obligatoire pour obtenir une augmentation du rendement et de l’utilité du travail ; cette méthode doit être basée sur la socialisation de l’économie nationale dans l’intérêt de la nation tout entière. »

En avril, Trotsky est placé à la tête du Commissariat aux transports pour le remettre en ordre, tout en gardant son poste à la Défense. Le Politbureau s'engagea à l'appuyer quelle que soit la sévérité des mesures qu'il pourrait décider. Il commença à mettre tout le personnel des chemins de fer et des ateliers de réparation sous le régime de la loi martiale. Quand le syndicat des cheminots souleva des objections, Trotsky révoqua ses chefs et en désigna d'autres.

Le Troisième congrès pan-russe des syndicats a lieu du 6 au 15 avril 1920. Sur la base de son expérience dans l'Armée rouge et dans le traitement de la question ferroviaire, Trotsky défend de plus en plus ouvertement la « militarisation du travail », et la suppression de toute autonomie des syndicats.

« la militarisation du travail (...) est une méthode inévitable d'organisation et de discipline de la main-d'œuvre dans l'époque de transition du capitalisme au socialisme (...) Est-il bien vrai que le travail obligatoire ait toujours été improductif ? On est bien obligé de répondre à cela que c'est le plus pauvre et le plus libéral des préjugés (...) L'organisation du servage a été, dans certaines conditions, un progrès et a amené à une augmentation de la production (...) Dans la période difficile actuelle, les salaires ne sont pas pour nous un moyen d'adoucir l'existence personnelle de tout ouvrier, mais un moyen d'estimer ce que tout ouvrier apporte par son travail à la République ouvrière (...) Aucune autre organisation dans le passé, excepté l'armée, n'a exercé sur l'homme une plus rigoureuse coercition que l'organisation gouvernementale de la classe ouvrière à la plus dure époque de transition. Et c'est précisément pour cela que nous parlons de militarisation du travail »[19]

Boukharine se rallie à la plateforme de Trotsky. Ces positions soulèvent alors beaucoup de critiques parmi les bolchéviks, en particulier l'Opposition ouvrière. Trotsky défend et théorise également ses positions dans Terrorisme et communisme, où il écrit :

« Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l'État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail — c'est la tâche de l'ensemble de l'organisation sociale gouvernementale — mais afin d'organiser la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l'éduquer, de fixer certaines catégories et certains ouvriers à leur poste pour un laps de temps déterminé, afin, en un mot d'incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique »[20]

Lors de la 5e conférence pan-russe des syndicats (2-6 novembre 1920), Trotsky soutient qu'il faut en finir avec l'existence parallèle des syndicats et d'organismes administratifs, responsable, d'après lui, de la confusion régnante. Ce qui ne pourrait être obtenu que par la transformation des organisations syndicales (professionalny) en organisations de production (proizvodstvenny).

À la fin de l'année (après la fin de la guerre russo-polonaise), une vague de mécontentement s'exprime. À l'automne, l'autorité de Lénine est contestée comme elle ne l'avait jamais été depuis le mouvement des « communistes de gauche ».

Les 8-9 novembre 1920, devant le plénum du comité central du parti, Trotsky soumet un « projet préliminaire de thèse » intitulé « Les syndicats et leur rôle futur », publié plus tard en brochure le 25 décembre, sous une forme légèrement différente, sous le titre «  Le rôle et les tâches des syndicats ».

Au moment du vote, les thèses de Trotsky furent repoussées à une voix : 8 contre 7, Lénine se dissociant alors de Trotsky. Sa contre-proposition fut votée par 10 voix contre 4. Elle réclamait «  une réforme du Tsektran », préconisait «  des formes saines de militarisation du travail »[21] et proclamait que le parti «  devait éduquer et appuyer (...) un nouveau type de syndicaliste, l'organisateur économique énergique et imaginatif et qui affronterait les problèmes économiques non sous l'angle de la distribution et de la consommation mais sous celui de l'augmentation de la production ».

Le Comité Central « interdit à Trotsky de parler en public des rapports entre les syndicats et l'État », ce qui fut annulé par le Comité Central lors de la réunion du 24 décembre, qui décida aussi que toute l'affaire devait être discutée ouvertement.

Le 2 décembre, Trotsky maintint ses positions dans son discours à la session plénière élargie du Tsektran. Quand une fois de plus le Comité Central le désavoua, « Trotsky rappela avec irritation à Lénine et aux autres membres du Comité, qu'ils l'avaient bien souvent poussé en privé (...) à agir avec rigueur et sans se soucier des principes de la démocratie. Il était déloyal de leur part affirmait-il, de jouer, en public, les défenseurs, contre lui, des principes démocratiques »[22].

Le 7 décembre, lors dune réunion plénière du Comité Central, Boukharine présenta une résolution sur la «  démocratie dans la production », formule qui devait rendre Lénine furieux : «  c'est un terme gauche, artificiel, propre à la gent intellectuelle ». «  La démocratie dans la production est un terme qui prête à la confusion. On peut le comprendre comme une négation de la dictature et de la direction unique ». « Les primes en nature et les tribunaux disciplinaires d'honneur ont cent fois plus de valeur pour prendre en mains l'économie, diriger l'industrie et élever le rôle des syndicats dans la production que les propos complètement abstraits (et partant creux) sur "la démocratie dans la production" etc. »[23].

Le 8e congrès pan-russe des soviets (22-29 décembre 1920) aborde notamment le débat sur les syndicats, qui s’était développé à l'intérieur du Parti mais qu'il n'était plus possible d'y confiner. Le 30 décembre eut lieu une réunion commune, au théâtre Bolchoï de Moscou, de la fraction du Parti au Huitième Congrès des Soviets, des membres du Parti du Conseil Central Panrusse des Syndicats, et de membres du Parti de plusieurs autres organisations, pour discuter de la «  question syndicale ». Tous les protagonistes de la discussion purent exposer leurs positions respectives.

Les nombreuses motions en début de ce congrès furent finalement ramenées à trois :

Pour Lénine, les syndicats étaient des «  réservoirs du pouvoir d'État ». Ils devaient fournir une large base sociale «  à la dictature prolétarienne exercée par le Parti », une base absolument indispensable étant donné le caractère essentiellement paysan de la population du pays. Les syndicats devaient servir de «  lien », de «  courroie de transmission » entre le Parti et les masses des travailleurs sans-parti. Ils pourraient devenir ainsi des « écoles du communisme » pour leurs 7 millions de membres. Mais « Le Parti Communiste Russe, représenté par ses organisations centrales et régionales, reste toujours le guide indiscutable de tout l'aspect idéologique du travail des syndicats ».[24]

Lénine soutint ainsi que les syndicats ne pouvaient pas être de simples organismes d'État. Trotsky martelait (comme la plupart des bolchéviks) que puisque l'URSS est un État ouvrier, il est absurde que les ouvriers puissent faire grève contre eux-mêmes. Lénine justifiait une réserve en disant : « on se trompe manifestement car cet État n'est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic. [...] En fait, notre État n'est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c'est une première chose. [...] Notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique. »[25] « La nature de notre État est telle que l'ensemble du prolétariat organisé doit se défendre lui-même : nous devons utiliser ces organisations ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur propre État,et aussi pour que les ouvriers défendent notre État ». Son argumentation était en fait quasiment la même que celle de Martov au premier congrès pan-russe des syndicats (janvier 1918).

Selon Lénine, il ne fallait pas voir dans la militarisation un trait permanent de la politique socialiste du travail. Il fallait donc utiliser aussi bien la persuasion que la coercition. « Il était certes normal que l'on nomme des fonctionnaires «  d'en haut », mais il serait inopportun que les syndicats en fassent de même. Les syndicats pouvaient faire des suggestions pour certaines tâches économiques et administratives et devaient collaborer à la planification. Ils devaient surveiller, grâce à des départements spécialisés, le travail de l'administration économique. Le Conseil Central Panrusse des Syndicats aurait à fixer le taux des salaires. Il fallait, à cet égard, lutter contre l'extrême égalitarisme de l'Opposition Ouvrière. La politique des salaires devait être conçue de faon à « introduire la discipline dans le travail et augmenter la productivité ». Les membres du Parti avaient assez « discutaillé à propos de principes à Smolny. Maintenant, après trois ans, il y a des décrets qui régissent tous les aspects du problème de la production ». «  L'unique conclusion à tirer est que nous allons élargir la démocratie dans les organisations ouvrières, sans en faire le moins du monde un fétiche ».

Trotsky affirma une fois de plus qu'il croyait que «  la transformation des organisations professionnelles (syndicales) en organisations de production (...) était la tâche la plus importante de l'époque » (...) «  Les syndicats devraient calculer continuellement la valeur de leurs membres du point de vue de la production et disposer toujours d'une estimation précise de la capacité productive de chaque ouvrier ». Il ajouta qu'il serait bon que les trois quarts ou la moitié des postes dans les organismes de direction des syndicats et de l'administration économique, soient occupés par les mêmes individus, afin d'en finir avec l'antagonisme existant entre ces deux instances. On devait permettre aux techniciens et aux administrateurs bourgeois qui étaient devenus membres de plein droit d'un syndicat, d'occuper des postes de direction, sans être surveillés par des commissaires. Il fallait également, après leur avoir assuré un salaire minimum réel, stimuler une concurrence entre ouvriers dans le «  travail de choc » (udarnichestvo) de la production.

Trotsky, et surtout Boukharine, modifièrent leurs positions respectives afin de pouvoir constituer un bloc au Congrès. Ce que Boukharine essayait de faire maintenant, c'était d'arriver à une sorte de compromis entre les points de vue officiels du Parti et les idées de l'Oppositon Ouvière. Il pensait qu'il fallait créer une «  démocratie ouvrière dans la production ». L'«  étatisation des syndicats » devait aller de pair avec la «  syndicalisation de l'État ». «  Le résultat logique et historique (de ce processus) ne sera pas l'absorption des syndicats par l'État prolétarien, mais disparition de ces deux entités — aussi bien des syndicats que de l'État — et la création d'une troisième entité : la société organisée sur des principes communistes ».[26]

Lénine fit une attaque extrêmement violente sur les deux autres plateformes. «  Si les syndicats, composés dans leur neuf-dixièmes d'ouvriers sans-parti, nomment les dirigeants de l'industrie, à quoi sert le Parti ? (...). Nous sommes passés ajouta-t-il, menaçant - de petites divergences à une déviation syndicaliste [à propos de Boukharine] qui représente une rupture totale avec le communisme et une scission inévitable dans le Parti »[27]

C'est la position de Lénine qui sera majoritaire au 10e congrès (mars 1921).

Selon les chiffres donnés par Zinoviev au 10e Congrès, les syndicats comptaient 1,5 millions de membres en juillet 1917, 2,6 millions en janvier 1918, 3,5 millions en 1919, 4,3 millions en 1920, et 7 millions en 1921.

3.5 Subordination totale

En mai 1921 a lieu le Congrès pan-russe du syndicat des Métallurgistes. Son leader, Medvedev, était un membre actif de l'Opposition ouvrière. Le Comité Central du Parti envoya à la fraction du Parti dans le syndicat une liste de ses propres candidats à la direction du syndicat. Les délégués au Congrès repoussèrent cette liste, et la fraction communiste en fit de même (par 120 voix contre 40). Tous les moyens de pression imaginables furent utilisés pour vaincre cette résistance. Le Comité Central, sans tenir compte de ces votes, nomma son propre Comité des Métallurgistes.[28]

Le Quatrième Congrès pan-russe des syndicats eut lieu les 17-25 mai 1921. Le Congrès devait discuter du rôle des syndicats dans le nouveau secteur privé de l'économie créé ou simplement légalisé par la NEP. Le Comité Central du Parti confia à Tomsky, en sa qualité de Président du Conseil Central Panrusse des Syndicats, la préparation des « thèses » appropriées, et la mission de les faire accepter d'abord par la fraction du Parti et ensuite par l'ensemble du Congrès. Tout alla bien jusqu'au moment où le Congrès adopta, par 1 500 voix contre 30, une motion d'apparence inoffensive, présentée par Riazanov au nom de la fraction du Parti, et qui devait provoquer un véritable scandale. Le point essentiel de cette résolution affirmait que «  le Parti doit orienter globalement le choix du personnel dirigeant dans le mouvement syndical, mais le Parti doit faire un effort particulier pour garantir les méthodes normales de la démocratie prolétarienne, surtout dans les syndicats, où le choix des dirigeants doit être laissé aux syndiqués eux-mêmes ».

Le Comité Central réagit furieusement. Tomsky, qui n'avait même pas appuyé la malheureuse résolution, fut privé immédiatement de son mandat de représentant de Comité Central au Congrès, et fut remplacé par Lénine, Staline et Boukharine (pourtant assez étrangers au travail syndical).

Le Comité Central réagit furieusement. Tomsky, qui n'avait même pas appuyé la malheureuse résolution, fut privé immédiatement de son mandat de représentant de Comité Central au Congrès, et fut remplacé par Lénine, Staline et Boukharine (pourtant assez étrangers au travail syndical). On interdit définitivement à Riazanov de s'occuper de toute activité syndicale. On créa une commission spéciale, présidée par Staline, pour «  examiner la conduite de Tomsky ». Lorsque cette commission termina ses travaux, elle blâma sévèrement Tomsky pour sa «  négligence criminelle ». Tomsky perdit toutes ses responsabilités au Conseil Central Panrusse des Syndicats. En ce qui concerne la fraction de Parti, on la «  convainquit » de revenir sur sa décision de la veille.

Le 2 avril 1922, le 11e Congrès du parti communiste vote une résolution interdisant toute ingérence des syndicats dans la direction des entreprises :

L’intérêt primordial et fondamental du prolétariat, après la conquête du pouvoir d’État, réside dans l’augmentation de la production et dans l’accroissement considérable des forces productives de la société. Ce but, nettement mis en avant dans le programme du Parti communiste russe, est encore plus urgent dans l’état actuel de dévastation, de famine et de désorganisation d’après-guerre. Le progrès le plus rapide et le plus durable possible dans la reconstruction de l’industrie lourde représente une condition indispensable pour parvenir à affranchir le travail du joug du capital et à la victoire du socialisme ; or, ce succès exige à son tour, dans la situation russe actuelle, la concentration absolue de tout le pouvoir entre les mains de la direction d’entreprise. Celle-ci, conformément à la règle générale, repose sur le principe de la direction individuelle, décide de façon autonome des questions de salaires et de la répartition du papier-monnaie, des rations, des vêtements de travail et de tout autre approvisionnement, en tenant compte des clauses et des limites des conventions collectives conclues avec les syndicats ; ce faisant, la direction de l’entreprise doit garder le maximum de liberté de manœuvre, vérifier soigneusement la réalité des résultats dans l’accroissement de la production, de sa rentabilité en sélectionnant scrupuleusement les administrateurs les plus capables et les plus expérimentés, etc.

Toute ingérence des syndicats dans la direction de l’entreprise doit donc être considérée absolument comme néfaste et inadmissible.

Il est ajouté aussitôt :

Cependant il serait tout à fait erroné d’interpréter ce principe indiscutable comme la négation de la participation des syndicats dans l’organisation socialiste de l’industrie et dans la gestion de l’industrie nationale.

4 Notes et sources

  1. 1,0 1,1 1,2 et 1,3 Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980
  2. Voline, La révolution inconnue, 1947
  3. Isaac Deutscher, Soviet Trade Unions, Royal Institute of International Affairs, London, 1950
  4. A. Lozovsky, Rabochii Kontrol [Le Contrôle ouvrier], Éditions Socialistes, Pétrograd, 1918, p. 10
  5. E. H. Carr, The Bolshevik Revolution, 1917-1923, Penguin éd., vol. 2
  6. Pervy vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov, 7-14 yanvarya 1918 g. [Premier Congrés Panrusse des syndicats, 7-14 janvier 1918], Moscou, 1918, p. 193.
  7. Vsesoyuzny s'yezd professionalnykh soyuzov tekstilshchikov i fabrichnykh komitetov, Moscou 1918
  8. Narodnoye khozyaistro, N° 2, 1918, p. 38.
  9. Vserossiiskaya konferentsiya zheleznodorozhnikov komunistov [Première Conférence Panrusse des cheminots communistes], Moscou, 1919, p. 72
  10. Waldermar Koch, Die Bohchevistischen Gewerkshaften Icna 1932
  11. Zinoviev, Desyaty s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Dixième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933
  12. Vtoroi vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov stenograficheski otchet [Second Congrès Panrusse des syndicats, rapport sténographié], Moscou, Editions Syndicales Centrales, 1919,
  13. 13,0 et 13,1 Vosmoi s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Huitième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933
  14. I. Deutscher, Soviet Trade Unions, 1950
  15. I. Deutscher, Trotsky, I, Le prophète armé (1879-1921), Paris, Julliard, 1962, p. 642.
  16. Sobraniye Uzakonenii, 1920, N° 8, art. 49, V. aussi Treti vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51
  17. Tomsky, « Zadachi prosoyuzov » [Les tâches des syndicats]. Neuvième Congrès du Parti, Appendice 13, p. 534.
  18. Bertrand Russell, Pratique et théorie du bolchevisme, 1920
  19. Treti vserossùski s'yezd professionalnykh soyuzov : stenografïcheski otchet (Troisième Congrès Panrusse des Syndicats : compte rendu sténographique), Moscou, 1920 [Le «  Rapport sur l'organisation du Travail » de Trotsky présenté à ce Congrès, complété de passages empruntés aux rapports présentés au Congrès Panrusse des Conseils Économiques et au IXème Congrès du P.C.R., est reproduit dans le chapitre VIII de Terrorisme et communisme.]
  20. Léon Trotsky, Terrorisme et communisme, mai 1920
  21. V. I. Lenin, Selected Works, vol. IX, p. 30.
  22. I. Deutscher, Trotsky, I, Le prophète armé, 1954
  23. V. I. Lénine, À nouveau les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky et Boukharine, Oeuvres Choisies, vol. 3, p. 631
  24. «  O roli i zadachakh profsoyuzov » [Sur le rôle et les tâches des syndicats} Dixième Congrès du Parti, Résolution, 1, pp. 536-542
  25. Lénine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky, 30 décembre 1920
  26. Boukharine, « O z.adachakh i strukture profsoyuzov » [Sur les lâches et la structure des syndicats], Dixième Congrès du Parti, Appendice 16, p. 802.
  27. V. I. Lénine, « Krisis partii », [La crise dans le parti], Pravda, 21 janvier 1921
  28. Isvestiya Ts, K., N° 32. 1921, pp. 3-4.