Différences entre les versions de « Stade impérialiste »

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*le soutien aux [[Pays_dominés|pays dominés]] face aux pays impérialistes, et le front unique anti-impérialiste
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*le soutien aux [[Pays_dominés|pays dominés]] face aux pays impérialistes, et le [[Front_unique_anti-impérialiste|front_unique_anti-impérialiste]]
 
*le type de révolution envisagé dans les pays dominés ([[Libération_nationale|libération nationale]] ? [[Révolution_permanente|révolution permanente]] ?)
 
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=== Pays impérialistes et pays dominés ===
 
=== Pays impérialistes et pays dominés ===
  
Les caractéristiques du stade impérialiste ([[trusts|trusts]], [[capital_financier|capital financier]]…) n’étaient pas utilisés par les bolchéviks comme critères pour «&nbsp;reconnaître&nbsp;» les puissances impérialistes. La complexité de l’époque est qu’il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la [[propriété_foncière|propriété foncière]], en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des «&nbsp;''nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.)''&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm ''La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes''], 1916</ref> Ils combattaient aussi bien les « ''monarchies impérialistes&nbsp;» ''que les''«&nbsp;bourgeoisies impérialistes&nbsp;''», tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire)&nbsp;:
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Les caractéristiques du stade impérialiste ([[Trusts|trusts]], [[Capital_financier|capital financier]]…) n’étaient pas utilisés par les bolchéviks comme critères pour «&nbsp;reconnaître&nbsp;» les puissances impérialistes. La complexité de l’époque est qu’il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la [[Propriété_foncière|propriété foncière]], en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des «&nbsp;''nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.)''&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm ''La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes''], 1916</ref> Ils combattaient aussi bien les «&nbsp;''monarchies impérialistes&nbsp;» ''que les''«&nbsp;bourgeoisies impérialistes&nbsp;''», tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire)&nbsp;:
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<blockquote>&nbsp;«&nbsp;[…] ''la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire.''&nbsp;»<ref>Karl Radek, [http://www.marxists.org/francais/radek/works/1920/06/pologne.htm ''La question polonaise et l'Internationale''], 1920</ref></blockquote>
&nbsp;«&nbsp;[…] ''la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire.''&nbsp;»<ref>Karl Radek, [http://www.marxists.org/francais/radek/works/1920/06/pologne.htm ''La question polonaise et l'Internationale''], 1920</ref>
 
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Lénine précisait&nbsp;:
 
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<blockquote>«&nbsp;''Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne.''&nbsp;» ''«&nbsp;En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal.&nbsp;»''<ref name="ImpScission">_</ref></blockquote>
«&nbsp;''Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne.''&nbsp;» ''«&nbsp;En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal.&nbsp;»''<ref name="ImpScission">_</ref>
 
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Les bolchéviks ne niaient d’ailleurs pas qu’il y avait des puissances impérialistes avant le capitalisme&nbsp;:
 
Les bolchéviks ne niaient d’ailleurs pas qu’il y avait des puissances impérialistes avant le capitalisme&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Exemple&nbsp;: l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque).&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/vil191607001.htm ''A propos de la brochure de Junius''], 1916</ref>''</blockquote>
''«&nbsp;Exemple : l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque).&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/vil191607001.htm ''A propos de la brochure de Junius''], 1916</ref>''
 
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Par ailleurs, il n’y a pas chez Lénine l’idée que les puissances impérialistes et leurs rapports de forces sont figés&nbsp;:
 
Par ailleurs, il n’y a pas chez Lénine l’idée que les puissances impérialistes et leurs rapports de forces sont figés&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''L'Allemagne était, il y a un demi-siècle, une quantité négligeable, par sa force capitaliste comparée à celle de l'Angleterre d'alors; il en était de même du Japon comparativement à la Russie. Est-il "concevable" de supposer que, d'ici une dizaine ou une vingtaine d'années, le rapport des forces entre les puissances impérialistes demeurera inchangé&nbsp;? C'est absolument inconcevable.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''L'Allemagne était, il y a un demi-siècle, une quantité négligeable, par sa force capitaliste comparée à celle de l'Angleterre d'alors; il en était de même du Japon comparativement à la Russie. Est-il "concevable" de supposer que, d'ici une dizaine ou une vingtaine d'années, le rapport des forces entre les puissances impérialistes demeurera inchangé ? C'est absolument inconcevable.''&nbsp;»
 
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Les communistes constataient qu’après la guerre de 1914-1918, «&nbsp;''les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des Etats impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. ''»<ref>Internationale Communiste, 4e congrès, [http://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1922/11/projet.htm ''Projet de programme''], 1922</ref>
 
Les communistes constataient qu’après la guerre de 1914-1918, «&nbsp;''les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des Etats impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. ''»<ref>Internationale Communiste, 4e congrès, [http://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1922/11/projet.htm ''Projet de programme''], 1922</ref>
  
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*des ''«&nbsp;formes variées de pays dépendants&nbsp;»'', dont les ''«&nbsp;semi-colonies&nbsp;»'' et d’autres formes moins dépendantes
 
*des ''«&nbsp;formes variées de pays dépendants&nbsp;»'', dont les ''«&nbsp;semi-colonies&nbsp;»'' et d’autres formes moins dépendantes
  
La spécificité de la notion de [[semi-colonie|semi-colonie]] parmi les [[pays_dépendants|pays dépendants]] n’est pas définie précisément. Cela semble décrire une rivalité entre impérialistes pour coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies, et dit par ailleurs qu’elles sont en voie de devenir des colonies.
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La spécificité de la notion de [[Semi-colonie|semi-colonie]] parmi les [[Pays_dépendants|pays dépendants]] n’est pas définie précisément. Cela semble décrire une rivalité entre impérialistes pour coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies, et dit par ailleurs qu’elles sont en voie de devenir des colonies.
  
 
Dans les autres formes de pays dépendants, il cite l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste puisse lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.
 
Dans les autres formes de pays dépendants, il cite l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste puisse lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.
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=== Causes du colonialisme et de l’impérialisme ===
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L’un des enjeux pour les bolchéviks était d’affirmer que l’impérialisme et le [[Colonialisme|colonialisme]] sont inévitables. Mais plusieurs types d'explication cohabitent dans leurs écrits.
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Pour [[Boukharine|Boukharine]], l’impérialisme permet de contrer la baisse du taux de profit, par&nbsp;:
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*l’[[Investissement|investissement]] dans les pays moins développés où la [[Composition_organique_du_capital|composition_organique_du_capital]] est plus faible
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*les débouchés supplémentaires pour augmenter les [[Profits|profits]] et le [[Taux_de_profit|taux de profit]] (en réduisant le coût unitaire)
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*l’accaparement de [[Matières_premières|matières premières]], dont la rareté relative alourdit le taux de profit
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Lénine évoque quant à lui&nbsp;:
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*en premier lieu, le contrôle des matières premières, dont ''«&nbsp;le manque se fait sentir&nbsp;»''
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*l’avantage de pouvoir assurer par la force des monopoles aux trusts dans les colonies
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*l’exportation de capitaux dans les pays moins développés, où ''«&nbsp;le prix de la terre est relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché.&nbsp;»''
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*l’idéologie de domination du capital financier et la canalisation des colères sociales vers le colonialisme
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Il pense que l’exportation de capitaux est déjà une domination, mais que le capital préfère la domination coloniale directe&nbsp;: ''«&nbsp;"L'annexion" économique est parfaitement "réalisable" sans annexion politique et elle se rencontre constamment.&nbsp;[…] Mais il va de soi que ce qui donne au capital financier [...] les plus grands avantages, c'est une soumission telle qu'elle entraîne pour les pays et les peuples en cause, la perte de leur indépendance politique.&nbsp;»''
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Contrairement par exemple à Luxemburg, ce n’est pas qu’il serait impossible de réaliser des profits dans les métropoles, mais que la rentabilité est meilleure à l’étranger. Boukharine précisait&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Ce n'est pas l'impossibilité de faire des affaires sur place, mais la course aux taux de profit les plus élevés qui est la force motrice du capitalisme mondial. La 'pléthore capitaliste' n'a pas de limite absolue&nbsp;»''</blockquote>
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Lénine exprimait aussi cette idée, mais avec plus d’ambigüité sur les causes de la faible rentabilité des métropoles&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;l'exportation des capitaux est due à la 'maturité excessive' du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements 'avantageux' font défaut au capital.&nbsp;»</blockquote>
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Mais de fait, c’est une explication «&nbsp;[[Sous-consommationniste|sous-consommationniste]]&nbsp;» du colonialisme qui a pris le dessus dans l’Internationale communiste. L’explication par le taux de profit, qui était déjà discrète, disparaît bientôt. Dès le Deuxième congrès (1920), on peut lire&nbsp;:
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<blockquote>&nbsp;«&nbsp;Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d'exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d'Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps. L'Angleterre, forteresse de l'impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d'un siècle. Ce n'est qu'en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l'Angleterre a réussi à maintenir son régime capitaliste.&nbsp;»<ref>Internationale communiste, 2e congrès, [http://www.marxists.org/francais/inter_com/1920/ic2_19200700f.htm ''Thèses sur les questions nationales et coloniales''], 1920</ref></blockquote>
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On trouve également l’idée que «&nbsp;''l'impérialisme a été engendré par les besoins des forces productrices tendant à supprimer les frontières des Etats nationaux et à créer un territoire européen et mondial économique unique&nbsp;»''<ref>Internationale communiste, 3e congrès, [https://www.marxists.org/francais/inter_com/1921/ic3_01.htm ''Thèses sur la situation mondiale''], 1921</ref>. Mais cette remarque générale ne dit pas de quelle façon concrète les forces productives «&nbsp;agissent&nbsp;».
  
 
== Autour de la conception classique ==
 
== Autour de la conception classique ==

Version du 4 mars 2016 à 20:22

Standard oil octopus.jpg

Le stade impérialiste est, pour la plupart des marxistes après Lénine, un nouveau stade du capitalisme depuis la fin du 19ème siècle.

1 Les deux sens du terme « impérialisme »

Boukharine critique ceux qui définissent l'impérialisme comme la « politique de conquête en général ».

« De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. »[1]

2 La conception « classique » (Lénine)

La théorie « classique » de l’impérialisme est née dans le feu de la guerre mondiale de 1914-1918, qui a vu l’éclatement de l’Internationale socialiste sous l’effet du chauvinisme de ses dirigeants.

2.1 Théorie du stade impérialiste et enjeux

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le fameux ouvrage de Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), n'aborde pas les questions d'orientation politique qui ont marqué la rupture des révolutionnaires par rapport aux réformistes :

Lénine explique dans une préface[2] qu'il devait passer au travers de la censure tsariste, et donc se borner « à une analyse théorique, surtout économique ». Dans son esprit, l'enjeu de cette analyse était bien sûr d'étayer l'orientation politique bolchévique. Comme il l'a explicité ailleurs, les enjeux étaient les suivants :

  • « exposer que l'impérialisme est le prélude de la révolution socialiste »[2]
  • exposer que la « scission du mouvement ouvrier est liée aux conditions objectives de l'impérialisme » (par le développement de l’aristocratie ouvrière) pour justifier la rupture nette avec l’ancien socialisme
  • fonder le mot d’ordre de défaitisme révolutionnaire sur une analyse de la guerre de 1914 comme « guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage) », pour balayer les argumentations invoquant les positions non systématiques de Marx et Engels lors des guerres antérieures[3]
  • affirmer que « les guerres impérialistes sont absolument inévitables, aussi longtemps qu'existera la propriété des moyens de production »[4]
  • fondamentalement : « De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire »[3]

Dans L’impérialisme, Lénine liste les caractéristiques du stade impérialiste :

  1. Concentration de la production et du capital et monopoles
  2. Fusion du capital bancaire et du capital industriel en capital financier, création d’une oligarchie financière
  3. Exportation de capitaux, à la différence de l’exportation de marchandises
  4. Formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde
  5. Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes

Il n’insistait cependant pas toujours sur les mêmes aspects, puisque dans un article[5] écrit quelques mois plus tard il donnait, comme « définition la plus précise et la plus complète possible de l'impérialisme : 

  1. le capitalisme monopoliste
  2. le capitalisme parasitaire ou pourrissant
  3. le capitalisme agonisant »

2.2 Capitalisme monopoliste et capital financier

Tout le monde a cette époque constatait et commentait la naissance de trusts, cartels et quasi-monopoles. Pour Lénine, « la substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l'essence de l'impérialisme. » Pour lui la centralisation du capital avait donc pour effet de limiter la concurrence (ententes sur les prix et les zones d’influence). Cela remet-il en question les fondements du capitalisme analysés par Marx, qui sont basés sur la concurrence (loi de la valeur, crises récurrentes…) ? C’est le raisonnement de Boukharine, pour qui l’impérialisme est le capitalisme financier, succédant au capitalisme industriel, succédant au capitalisme commercial. A tel point que lors des discussions pour actualiser le programme du parti bolchévik en 1919, Boukharine voulait entièrement remplacer l’analyse du capitalisme par celle de l’impérialisme. Lénine tempérait :

« Jamais au monde, le capitalisme de monopole n'a existé ni n'existera sans libre concurrence, dans divers domaines. […] L’impérialisme est une superstructure du capitalisme. »[6]

Une autre grande caractéristique de la centralisation du capital, c’est que cela amène aussi« la socialisation prodigieuse du travail par l'impérialisme ». Lénine en conclut que « le monopole qui surgit du capitalisme, c'est déjà l'agonie du capitalisme, le début de sa transition vers le socialisme. »

Les communistes rejetaient donc comme une chimère et un « idéal réactionnaire » l’idée de revenir à de la libre-concurrence entre petits patrons. Pour autant, ils n’allaient pas jusqu’à soutenir la monopolisation capitaliste et les projets bourgeois de centralisation politique. Au contraire, Boukharine pouvait écrire que « La social-démocratie doit voter contre l'introduction de tout monopole, de toute union douanière, etc. » Il reconnaissait qu’une centralisation supplémentaire apporterait un « progrès » (économique) supplémentaire, mais :

« Le véritable point est que ce progrès n'est rien de plus qu'un renforcement et un soutien du militarisme et de l'impérialisme. […] De nos jours la tâche historique n'est pas de s'inquiéter pour les nouveaux développements des forces productives (elles sont parfaitement adéquates pour la réalisation du socialisme), mais de préparer une attaque universelle contre les gangsters du gouvernement.»[7]

C’est en particulier pour cette raison que Lénine s’est opposé au mot d’ordre d’Etats-Unis d’Europe : ce ne serait (sous le capitalisme) qu’un impérialisme plus puissant. Certains socialistes refusaient de soutenir le droit au séparatisme des peuples opprimés au nom de la « régression économique » qu’engendre le morcellement des États. Lénine dénonçait ces positions comme de « l’économisme impérialiste ».[8]

Ces monopoles sont de grandes industries, mais aussi de géantes banques, qui ont alors quitté leur rôle de simple intermédiaire pour prendre une large part dans le contrôle des trusts. C’est pourquoi Lénine et Boukharine ont défini leur notion de capital financier comme « fusion ou interpénétration du capital bancaire et du capital industriel ». Lénine écrit que « la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général », et qu’une « oligarchie financière » se forme au sein de la bourgeoisie, « frappant la société tout entière d'un tribut au profit des monopolistes. » Il trouve symptomatique que « dans tous les pays capitalistes » apparaît une littérature de « critique petite-bourgeoise de l’oligarchie financière ».

Il est important de préciser que le « capital financier » de Lénine est a priori différent de ce qu’on appelle aujourd’hui « secteur financier » (banques, marchés financiers, rentiers…) qui ne manie que du capital-argent. Mais Lénine dénonce aussi « la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers […] qui sont tout à fait à l'écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l'oisiveté. » Il fait l’observation suivante :

« C'est avec un relief sans cesse accru que se manifeste l'une des tendances de l'impérialisme : la création d'un 'État-rentier', d'un État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l'exportation de ses capitaux et de la 'tonte des coupons'. [c’est-à-dire de l’encaissement des dividendes] »

Ailleurs il est plus affirmatif : « La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l'hégémonie du rentier et de l'oligarchie financière. »

Son livre L’impérialisme fait une large place à la dénonciation des spéculateurs et de leurs « tripotages », leur corruption, l’opacité des comptes, les méthodes amorales pour ruiner les concurrents... L’Internationale communiste dénonce aussi « messieurs les bourgeois qui ont pris l'habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l'espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes »[9]

2.3 Capitalisme d’État, protectionnisme et guerre

Pour Lénine, non seulement l’industrie et la banque fusionnent, mais ils fusionnent avec le gouvernement. Le protectionnisme douanier s’était renforcé depuis les années 1880. Lénine notait que « les cartels ont entraîné la création de tarifs protectionnistes d'un type nouveau et original : […] on protège précisément les produits susceptibles d'être exportés ». Les grands groupes prospéraient ainsi sans concurrence sur le marché « intérieur » (la métropole et ses colonies), engrangeaient des surprofits (les prix de vente pouvant être supérieurs aux coûts de production), et faisaient du dumping à l’étranger (exportations à bas prix pour évincer les concurrents).

Pendant la guerre de 1914-1918, les États ont pris des mesures dirigistes, et parfois nationalisé des entreprises (armement, transport…). Lénine parlait de « capitalisme monopoliste d’État ». Boukharine décrivait à la fois une tendance à « l'internationalisation de l'économie et du capital » et une « tendance inverse vers la nationalisation des intérêts capitalistes. » Son raisonnement est que dans l'absolu, un accord commercial international est possible, mais suppose en pratique des rapports de forces économiques et militaires stables, ce qui passe par la guerre.

Les bolchéviks étaient unanimes pour dire que la période était celle « des guerres et des révolutions » et dénonçaient comme illusoire le pacifisme bourgeois. Lénine considérait que le développement de l’industrie capitaliste était foncièrement inégal, et donc modifiait les rapports de force entre puissances, entraînant forcément un repartage par la force des colonies et des semi-colonies :

« Si le monopole industriel de l'Angleterre est détruit [déjà avant la guerre], le monopole colonial non seulement demeure, mais a entraîné de graves complications, car tout le globe terrestre est déjà partagé ! […]  Faut-il se demander s'il y avait, sur le terrain du capitalisme, un moyen autre que la guerre de remédier à la disproportion entre, d'une part, le développement des forces productives et l'accumulation des capitaux, et, d'autre part, le partage des colonies et des "zones d'influence" pour le capital financier ? »

Pour Lénine l’ultra-impérialisme de Kautsky était une « ultra-niaiserie ». Il moquait l’idée d’une tendance vers un « trust mondial » comme une « pure abstraction », et rappelait qu’il y avait des cartels internationaux entre groupes d’Allemagne et des Etats-Unis, mais que cela n’a pas empêché la guerre d’éclater.

« Les alliances "inter-impérialistes" […] ne sont inévitablement, quelles que soient les formes de ces alliances, qu'il s'agisse d'une coalition impérialiste dressée contre une autre, ou d'une union générale embrassant toutesles puissances impérialistes, que des "trêves" entre des guerres. »

2.4 La stagnation économique et ses causes

Le terme de capitalisme en « putréfaction » est omniprésent dans les textes de l’époque. Lénine précisait que « ce serait une erreur de croire que cette tendance à la putréfaction exclut la croissance rapide du capitalisme […] Dans l'ensemble, le capitalisme se développe infiniment plus vite qu'auparavant, mais ce développement devient généralement plus inégal, l'inégalité de développement se manifestant en particulier par la putréfaction des pays les plus riches en capital (Angleterre). » Il constate que « de jeunes Etats capitalistes (Amérique, Allemagne, Japon) » sont en forte croissance, et également les colonies sous l’effet de l’exportation des capitaux. Boukharine de même : « L'industrialisation des pays agraires et semi-agraire se poursuit à un rythme incroyablement rapide. » Les vieux pays impérialistes (Angleterre, France…) sont eux plutôt stagnant.

On peut raisonnablement supposer que même s’ils restaient prudents, les communistes supposaient une tendance croissante à la stagnation. On peut lire dans des résolutions de l’Internationale en 1921 l’affirmation que « les forces productives ne peuvent plus se développer dans le cadre du régime capitaliste. »[10]

En ce qui concerne les explications de cette tendance à la stagnation, plusieurs thèses cohabitent. Lénine écrit que le monopole « engendre inéluctablement une tendance à la stagnation et à la putréfaction. Dans la mesure où l'on établit, fût-ce momentanément, des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu'à un certain point les stimulants du progrès technique et, par suite, de tout autre progrès. »

Boukharine, lui, défend qu’il y a une nouvelle contradiction du capitalisme au stade impérialiste, entre l’internationalisation des forces productives et les frontières nationales. Idée déjà évoquée par Luxemburg en 1899, que l’on retrouve dans les textes de l’Internationale communiste, et que reprendra Trotsky. Cette idée n'apparaît pas en revanche dans l'ouvrage de Lénine, même s’il ne la rejetait pas totalement.

Même si Lénine et Boukharine l’avait rejetée comme explication unilatérale, l’explication par la « sous-consommation » s’est peu à peu imposée dans l’Internationale, en parallèle de la stalinisation. Par exemple en 1928, l’IC présente explicitement les crises comme issues de « la contradiction entre la tendance de la production à une extension illimitée et la consommation limitée des masses prolétariennes (surproduction générale) »[11]

2.5 Réaction politique et aristocratie ouvrière

Lénine fait également un rapprochement entre les mutations économiques et politiques : « Le capital financier vise à l'hégémonie, et non à la liberté. La réaction politique sur toute la ligne est le propre de l'impérialisme. » Il note que la politique extérieure des puissances (militarisme et colonialisme) est la même quel que soit le type de régime. Mais plus généralement, il établit un lien entre la stagnation économique et la réaction politique :

« La différence entre la bourgeoisie impérialiste démocratique républicaine, d'une part, et réactionnaire monarchiste, d'autre part, s'efface précisément du fait que l'une et l'autre pourrissent sur pied (ce qui n'exclut pas du tout le développement étonnamment rapide du capitalisme dans différentes branches d'industrie, dans différents pays, en différentes périodes). »[5]

A l’inverse, là où le capital est encore dynamique, la bourgeoisie est encore progressiste : « le capitalisme se développe encore en maints endroits. C'est vrai pour toute l'Asie, pour tous les pays qui passent à la démocratie bourgeoise. »[5]

Lénine a développé l’idée qu’une « aristocratie ouvrière » s’est formée dans les pays impérialistes, achetée par les surprofits tirés des pays dominés : « Une couche privilégiée du prolétariat des puissances impérialistes vit en partie aux dépens des centaines de millions d'hommes des peuples non civilisés. »[5] En lien avec cette différenciation dans la classe ouvrière, il décrit les effets de l’immigration (les travailleurs émigrant des pays à bas salaires) :

« En France, les travailleurs de l'industrie minière sont "en grande partie" des étrangers : Polonais, Italiens, Espagnols. Aux Etats-Unis, les immigrants de l'Europe orientale et méridionale occupent les emplois les plus mal payés, tandis que les ouvriers américains fournissent la proportion la plus forte de contremaîtres. »

Cette analyse objective conforte les communistes dans la nécessité de la rupture, même minoritaire, avec les socialistes. De même pour ce qui concerne le changement d’attitude par rapport aux institutions de la démocratie bourgeoise :

« L'attitude de la III° Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. A l'époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions […] de l'impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d'actes de brigandage, œuvres de l'impérialisme ; les réformes parlementaires […] ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses. »[12]

2.6 Pays impérialistes et pays dominés

Les caractéristiques du stade impérialiste (trusts, capital financier…) n’étaient pas utilisés par les bolchéviks comme critères pour « reconnaître » les puissances impérialistes. La complexité de l’époque est qu’il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la propriété foncière, en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des « nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.) »[13] Ils combattaient aussi bien les « monarchies impérialistes » que les« bourgeoisies impérialistes », tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire) :

 « […] la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire. »[14]

Lénine précisait :

« Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne. » « En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal. »[5]

Les bolchéviks ne niaient d’ailleurs pas qu’il y avait des puissances impérialistes avant le capitalisme :

« Exemple : l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque). »[15]

Par ailleurs, il n’y a pas chez Lénine l’idée que les puissances impérialistes et leurs rapports de forces sont figés :

« L'Allemagne était, il y a un demi-siècle, une quantité négligeable, par sa force capitaliste comparée à celle de l'Angleterre d'alors; il en était de même du Japon comparativement à la Russie. Est-il "concevable" de supposer que, d'ici une dizaine ou une vingtaine d'années, le rapport des forces entre les puissances impérialistes demeurera inchangé ? C'est absolument inconcevable. »

Les communistes constataient qu’après la guerre de 1914-1918, « les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des Etats impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. »[16]

Dans L’impérialisme, Lénine évoque comme positions différentes :

  • les puissances impérialistes
  • les colonies (administration directe par la métropole)
  • des « formes variées de pays dépendants », dont les « semi-colonies » et d’autres formes moins dépendantes

La spécificité de la notion de semi-colonie parmi les pays dépendants n’est pas définie précisément. Cela semble décrire une rivalité entre impérialistes pour coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies, et dit par ailleurs qu’elles sont en voie de devenir des colonies.

Dans les autres formes de pays dépendants, il cite l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste puisse lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.

2.7 Causes du colonialisme et de l’impérialisme

L’un des enjeux pour les bolchéviks était d’affirmer que l’impérialisme et le colonialisme sont inévitables. Mais plusieurs types d'explication cohabitent dans leurs écrits.

Pour Boukharine, l’impérialisme permet de contrer la baisse du taux de profit, par :

Lénine évoque quant à lui :

  • en premier lieu, le contrôle des matières premières, dont « le manque se fait sentir »
  • l’avantage de pouvoir assurer par la force des monopoles aux trusts dans les colonies
  • l’exportation de capitaux dans les pays moins développés, où « le prix de la terre est relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. »
  • l’idéologie de domination du capital financier et la canalisation des colères sociales vers le colonialisme

Il pense que l’exportation de capitaux est déjà une domination, mais que le capital préfère la domination coloniale directe : « "L'annexion" économique est parfaitement "réalisable" sans annexion politique et elle se rencontre constamment. […] Mais il va de soi que ce qui donne au capital financier [...] les plus grands avantages, c'est une soumission telle qu'elle entraîne pour les pays et les peuples en cause, la perte de leur indépendance politique. »

Contrairement par exemple à Luxemburg, ce n’est pas qu’il serait impossible de réaliser des profits dans les métropoles, mais que la rentabilité est meilleure à l’étranger. Boukharine précisait :

« Ce n'est pas l'impossibilité de faire des affaires sur place, mais la course aux taux de profit les plus élevés qui est la force motrice du capitalisme mondial. La 'pléthore capitaliste' n'a pas de limite absolue »

Lénine exprimait aussi cette idée, mais avec plus d’ambigüité sur les causes de la faible rentabilité des métropoles :

« l'exportation des capitaux est due à la 'maturité excessive' du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements 'avantageux' font défaut au capital. »

Mais de fait, c’est une explication « sous-consommationniste » du colonialisme qui a pris le dessus dans l’Internationale communiste. L’explication par le taux de profit, qui était déjà discrète, disparaît bientôt. Dès le Deuxième congrès (1920), on peut lire :

 « Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d'exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d'Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps. L'Angleterre, forteresse de l'impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d'un siècle. Ce n'est qu'en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l'Angleterre a réussi à maintenir son régime capitaliste. »[17]

On trouve également l’idée que « l'impérialisme a été engendré par les besoins des forces productrices tendant à supprimer les frontières des Etats nationaux et à créer un territoire européen et mondial économique unique »[18]. Mais cette remarque générale ne dit pas de quelle façon concrète les forces productives « agissent ».

3 Autour de la conception classique

3.1 Débats dans la social-démocratie

3.2 La conception de Kautsky et son évolution

Karl Kautsky commence à employer le terme d'impérialisme au moins à partir de l'année 1900.[19]

3.3 La conception de Boukharine

Boukharine pense que l'impérialisme n'est que la reproduction à une large échelle de la concurrence capitaliste :

  • les économies nationales tendent vers des trusts d'Etat nationaux, en concurrence les uns avec les autres
  • fortement liés aux Etats, ces trusts nationaux imposent une course au protectionnisme douanier offensif (dumping),
  • la course aux armements et finalement la guerre impérialiste n'est qu'un prolongement de cette guerre économique
  • à la concentration verticale des trusts correspond l'annexion de pays agraires par des pays impérialistes industriels (il prend l'exemple de l'annexion de l'Egypte par le Royaume-Uni)
  • à la concentration horizontale des trusts correspond l'annexion de pays impérialistes entre eux (il prend l'exemple de l'invasion de la Belgique par l'Allemagne)

Boukharine remarque bien une internationalisation du capital[20], mais souligne qu'elle n'apporte pas automatiquement une internationalisation des intérêts des capitalistes, mais qu'au contraire elle accentue le plus souvent la compétition. Il décrit comme une « internationale dorée » les capitalistes qui possèdent en commun des intérêts dans des participations conjointes dans telle ou telle entreprise. Mais, pour montrer « la faiblesse relative du processus d'internationalisation des intérêts capitalistes », il citait un économiste allemand, August Sartorius von Waltershausen :

« L'internationale dorée ne peut en aucun cas être un idéal pour un homme qui a une patrie, et qui croit que les racines de son existence appartiennent à cette patrie. »

Poour Boukharine, les colonies sont très rentables pour les capitalistes, en tant que :

  • marchés
  • sources de matières premières
  • sphères d'influence pour le capital financier

Selon lui, par ces moyens, les colonies permettent de contrecarrer la baisse du taux de profit, et d'accorder des salaires plus élevés, servant de « soupape » aux États impérialistes.

« l'exploitation des "tiers" (producteurs pré-capitalistes) et de la main-d'œuvre coloniale a conduit à une hausse des salaires des travailleurs européens et américains. »[21]

Il accuse Kautsky de vouloir prouver que la colonisation est inefficace pour le capitalisme pour estomper les contradictions.

4 Débats ultérieurs

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5 Notes et sources

Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916

  1. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category, 1915
  2. 2,0 et 2,1 Lénine, Préface du 26 avril 1917 à L’impérialisme Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpPreface1917 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. 3,0 et 3,1 Lénine et Zinoviev, Le socialisme et la guerre, 1915 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « SocGuerre » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  4. Lénine, Préface aux éditions françaises et allemande de L’impérialisme, juillet 1920
  5. 5,0 5,1 5,2 5,3 et 5,4 Lénine, L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpScission » est défini plusieurs fois avec des contenus différents. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpScission » est défini plusieurs fois avec des contenus différents. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpScission » est défini plusieurs fois avec des contenus différents. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « ImpScission » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  6. Lénine, Rapport sur le programme du parti bolchévik, 1919
  7. Boukharine, Contribution à une théorie de l'Etat impérialiste, 1916
  8. Lénine, Une caricature du marxisme et à propos de l’ « économisme impérialiste », 1916
  9. Internationale communiste, 2e congrès, Manifeste, 1920
  10. Internationale communiste, 3e congrès, Thèses sur la propagande parmi les femmes, 1921
  11. Internationale communiste, 6e congrès, Programme, 1928
  12. Internationale communiste, 2e congrès, Le Parti Communiste et le parlementarisme, 1920
  13. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  14. Karl Radek, La question polonaise et l'Internationale, 1920
  15. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  16. Internationale Communiste, 4e congrès, Projet de programme, 1922
  17. Internationale communiste, 2e congrès, Thèses sur les questions nationales et coloniales, 1920
  18. Internationale communiste, 3e congrès, Thèses sur la situation mondiale, 1921
  19. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, The Social Democrat, août 1900
  20. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 3: Organisation Forms of World Economy, 1915
  21. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 14: World Economy and Proletarian Socialism, 1915