Différences entre les versions de « Stade impérialiste »

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<blockquote>''«&nbsp;De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit ''cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. ''»''<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/09.htm Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category]'', 1915</ref><br/></blockquote>
 
<blockquote>''«&nbsp;De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit ''cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. ''»''<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/09.htm Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category]'', 1915</ref><br/></blockquote>
 
== La conception ''«&nbsp;classique&nbsp;»'' (Lénine) ==
 
== La conception ''«&nbsp;classique&nbsp;»'' (Lénine) ==
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En écrivant ''L’impérialisme, stade suprême du capitalisme'' (1916) [[Lénine|Lénine]] devait passer au travers de la censure tsariste, et donc, comme l'écrit dans la préface, se borner ''«&nbsp;à une analyse théorique, surtout économique&nbsp;».'' Il a explicité les enjeux ailleurs&nbsp;:
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*''«&nbsp;exposer que l'impérialisme est le prélude de la révolution socialiste »'' <ref>Lénine, [http://ekladata.com/2_ibpdByIbZpGNXxYR2YlvMCapM/IMPERIALISMESTADESUPREME-LENINE.pdf Préface du 26 avril 1917] à L’impérialisme</ref>
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exposer que la ''«&nbsp;scission du mouvement ouvrier est liée aux conditions objectives de l'impérialisme&nbsp;»'' (par le développement de l’aristocratie ouvrière)&nbsp;pour justifier la rupture nette avec l’ancien socialisme
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*fonder le mot d’ordre de défaitisme révolutionnaire sur une analyse de la guerre de 1914 comme ''«&nbsp;guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage)&nbsp;»'', pour balayer les argumentations invoquant les positions non systématiques de Marx et Engels lors des guerres antérieures<ref name="SocGuerre">Lénine et Zinoviev, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800b.htm Le socialisme et la guerre]'', 1915</ref>
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*affirmer que ''«&nbsp;les guerres impérialistes sont absolument inévitables, aussi longtemps qu'existera la propriété des moyens de production »<ref>Lénine, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp0.htm Préface aux éditions françaises et allemande] de L’impérialisme, juillet 1920</ref>''
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*fondamentalement&nbsp;: ''«&nbsp;De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire&nbsp;»<ref name="SocGuerre">_</ref>''
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Dans ''L’impérialisme'', Lénine liste les caractéristiques du stade impérialiste&nbsp;:
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#''Concentration de la production et du capital et monopoles''
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#''Fusion du capital bancaire et du capital industriel en capital financier'', création d’une oligarchie financière
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#''Exportation de capitaux, à la différence de l’exportation de marchandises''
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#''Formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde''
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#''Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes''
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Il n’insistait cependant pas toujours sur les mêmes aspects, puisque dans un article<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/10/vil191610001.htm ''L’impérialisme et la scission du socialisme''], 1916</ref> écrit quelques mois plus tard il donnait, comme ''«&nbsp;définition la plus précise et la plus complète possible de l'impérialisme&nbsp;:&nbsp;''
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#''le capitalisme monopoliste''
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#''le capitalisme parasitaire ou pourrissant''
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=== Capitalisme monopoliste et capital financier ===
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Tout le monde a cette époque constatait et commentait la naissance de trusts, cartels et quasi-monopoles. Pour Lénine, «&nbsp;''la substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l'essence de l'impérialisme.''&nbsp;» Pour lui la [[centralisation_du_capital|centralisation du capital]] avait donc pour effet de limiter la [[concurrence|concurrence]] (ententes sur les prix et les zones d’influence). Cela remet-il en question les fondements du capitalisme analysés par [[Marx|Marx]], qui sont basés sur la concurrence ([[loi_de_la_valeur|loi de la valeur]], [[Crises_économiques|crises récurrentes]]…)&nbsp;? C’est le raisonnement de [[Boukharine|Boukharine]], pour qui l’impérialisme est le ''capitalisme financier'', succédant au ''capitalisme industriel'', succédant au ''capitalisme commercial''. A tel point que lors des discussions pour actualiser le programme du parti bolchévik en 1919, Boukharine voulait entièrement remplacer l’analyse du capitalisme par celle de l’impérialisme. Lénine tempérait&nbsp;:
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«&nbsp;''Jamais au monde, le capitalisme de monopole n'a existé ni n'existera sans libre concurrence, dans divers domaines. […] L’impérialisme est une superstructure du capitalisme.''&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1919/03/d8c/vil19190300-04c8.htm ''Rapport sur le programme du parti bolchévik''], 1919</ref>
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Une autre grande caractéristique de la centralisation du capital, c’est que cela amène aussi''«&nbsp;la socialisation prodigieuse du travail par l'impérialisme&nbsp;». ''Lénine en conclut que «&nbsp;''le monopole qui surgit du capitalisme, c'est déjà l'agonie du capitalisme, le début de sa transition vers le socialisme.&nbsp;»''
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Les communistes rejetaient donc comme une chimère et un «&nbsp;''idéal réactionnaire''&nbsp;» l’idée de revenir à de la [[libre-concurrence|libre-concurrence]]&nbsp;entre petits patrons. Pour autant, ils n’allaient pas jusqu’à soutenir la monopolisation capitaliste et les projets bourgeois de centralisation politique. Au contraire, [[Boukharine|Boukharine]] pouvait écrire que&nbsp;''«&nbsp;La social-démocratie doit voter contre l'introduction de tout monopole, de toute union douanière, etc.&nbsp;» ''Il reconnaissait qu’une centralisation supplémentaire apporterait un «&nbsp;progrès&nbsp;» (économique) supplémentaire, mais&nbsp;:
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C’est en particulier pour cette raison que Lénine s’est opposé au mot d’ordre d’[[États-Unis_d'Europe|Etats-Unis d’Europe]]&nbsp;: ce ne serait (sous le capitalisme) qu’un impérialisme plus puissant. Certains socialistes refusaient de soutenir le droit au séparatisme des peuples opprimés au nom de la «&nbsp;''régression économique''&nbsp;» qu’engendre le morcellement des États. Lénine dénonçait ces positions comme de «&nbsp;''l’économisme impérialiste''&nbsp;».<ref>Lénine, ''Une caricature du marxisme et à propos de l’ « économisme impérialiste »'', 1916</ref>
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Ces monopoles sont de grandes industries, mais aussi de géantes banques, qui ont alors quitté leur rôle de simple intermédiaire pour prendre une large part dans le contrôle des [[trusts|trusts]]. C’est pourquoi Lénine et Boukharine ont défini leur notion de [[capital_financier|capital financier]] comme ''«&nbsp;fusion ou interpénétration du capital bancaire et du capital industriel&nbsp;». ''Lénine écrit que ''«&nbsp;la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général&nbsp;»'', et qu’une ''«&nbsp;oligarchie financière&nbsp;»'' se forme au sein de la bourgeoisie, «&nbsp;''frappant la société tout entière d'un tribut au profit des monopolistes.&nbsp;»'' Il trouve symptomatique que ''«&nbsp;dans tous les pays capitalistes&nbsp;»'' apparaît une littérature de ''«&nbsp;critique petite-bourgeoise de l’oligarchie financière&nbsp;»''.
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Il est important de préciser que le «&nbsp;capital financier&nbsp;» de Lénine est a priori différent de ce qu’on appelle aujourd’hui «&nbsp;secteur financier&nbsp;» (banques, marchés financiers, rentiers…) qui ne manie que du capital-argent. Mais Lénine dénonce aussi ''«&nbsp;la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers […] qui sont tout à fait à l'écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l'oisiveté.''&nbsp;» Il fait l’observation suivante&nbsp;:
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''« C'est avec un relief sans cesse accru que se manifeste l'une des tendances de l'impérialisme : la création d'un 'État-rentier', d'un État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l'exportation de ses capitaux et de la 'tonte des coupons'. [c’est-à-dire de l’encaissement des dividendes] »''
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Ailleurs il est plus affirmatif&nbsp;: ''«&nbsp;La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l'hégémonie du rentier et de l'oligarchie financière.&nbsp;»''
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Son livre ''L’impérialisme'' fait une large place à la dénonciation des spéculateurs et de leurs «&nbsp;tripotages&nbsp;», leur corruption, l’opacité des comptes, les méthodes amorales pour ruiner les concurrents... L’Internationale communiste dénonce aussi «&nbsp;''messieurs les bourgeois qui ont pris l'habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l'espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes''&nbsp;»<ref>[http://www.marxists.org/francais/inter_com/1920/ic2_19200700i.htm Manifeste du 2e congrès de l’Internationale communiste], 1920</ref>
  
 
== Autour de la conception classique ==
 
== Autour de la conception classique ==
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Boukharine remarque bien une internationalisation du capital<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/09.htm Imperialism and World Economy, Chapter 3: Organisation Forms of World Economy]'', 1915</ref>, mais souligne qu'elle n'apporte pas automatiquement une internationalisation des intérêts des capitalistes, mais qu'au contraire elle accentue le plus souvent la compétition. Il décrit comme une ''«&nbsp;internationale dorée&nbsp;»'' les capitalistes qui possèdent en commun des intérêts dans des participations conjointes dans telle ou telle entreprise. Mais, pour montrer ''«&nbsp;la faiblesse relative du processus d'internationalisation des intérêts capitalistes&nbsp;»'', il citait un économiste allemand, August Sartorius von Waltershausen&nbsp;:
 
Boukharine remarque bien une internationalisation du capital<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/09.htm Imperialism and World Economy, Chapter 3: Organisation Forms of World Economy]'', 1915</ref>, mais souligne qu'elle n'apporte pas automatiquement une internationalisation des intérêts des capitalistes, mais qu'au contraire elle accentue le plus souvent la compétition. Il décrit comme une ''«&nbsp;internationale dorée&nbsp;»'' les capitalistes qui possèdent en commun des intérêts dans des participations conjointes dans telle ou telle entreprise. Mais, pour montrer ''«&nbsp;la faiblesse relative du processus d'internationalisation des intérêts capitalistes&nbsp;»'', il citait un économiste allemand, August Sartorius von Waltershausen&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;L'internationale dorée ne peut en aucun cas être un idéal pour un homme qui a une patrie, et qui croit que les racines de son existence appartiennent à cette patrie.&nbsp;»''<br/></blockquote>
 
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Poour Boukharine, les [[colonies|colonies]] sont très rentables pour les capitalistes, en tant que&nbsp;:
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Selon lui, par ces moyens, les colonies permettent de contrecarrer la baisse du taux de profit, et d'accorder des salaires plus élevés, servant de ''«&nbsp;soupape&nbsp;»'' aux [[États_impérialistes|États impérialistes]].
 
Selon lui, par ces moyens, les colonies permettent de contrecarrer la baisse du taux de profit, et d'accorder des salaires plus élevés, servant de ''«&nbsp;soupape&nbsp;»'' aux [[États_impérialistes|États impérialistes]].
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<blockquote>''«&nbsp;l'exploitation des "tiers" (producteurs pré-capitalistes) et de la main-d'œuvre coloniale a conduit à une hausse des salaires des travailleurs européens et américains.&nbsp;»''<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/index.htm Imperialism and World Economy, Chapter 14: World Economy and Proletarian Socialism]'', 1915</ref></blockquote>
''«&nbsp;l'exploitation des "tiers" (producteurs pré-capitalistes) et de la main-d'œuvre coloniale a conduit à une hausse des salaires des travailleurs européens et américains.&nbsp;»''<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/index.htm Imperialism and World Economy, Chapter 14: World Economy and Proletarian Socialism]'', 1915</ref>
 
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Il accuse [[Kautsky|Kautsky]] de vouloir prouver que la colonisation est inefficace pour le capitalisme pour estomper les contradictions.
 
Il accuse [[Kautsky|Kautsky]] de vouloir prouver que la colonisation est inefficace pour le capitalisme pour estomper les contradictions.
  
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Version du 4 mars 2016 à 18:52

Le stade impérialiste est, pour la plupart des marxistes après Lénine, un nouveau stade du capitalisme depuis la fin du 19ème siècle.

1 Les deux sens du terme « impérialisme »

Boukharine critique ceux qui définissent l'impérialisme comme la « politique de conquête en général ».

« De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. »[1]

2 La conception « classique » (Lénine)

En écrivant L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) Lénine devait passer au travers de la censure tsariste, et donc, comme l'écrit dans la préface, se borner « à une analyse théorique, surtout économique ». Il a explicité les enjeux ailleurs :

  • « exposer que l'impérialisme est le prélude de la révolution socialiste » [2]

exposer que la « scission du mouvement ouvrier est liée aux conditions objectives de l'impérialisme » (par le développement de l’aristocratie ouvrière) pour justifier la rupture nette avec l’ancien socialisme

  • fonder le mot d’ordre de défaitisme révolutionnaire sur une analyse de la guerre de 1914 comme « guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage) », pour balayer les argumentations invoquant les positions non systématiques de Marx et Engels lors des guerres antérieures[3]
  • affirmer que « les guerres impérialistes sont absolument inévitables, aussi longtemps qu'existera la propriété des moyens de production »[4]
  • fondamentalement : « De libérateur des nations que fut le capitalisme dans la lutte contre le régime féodal, le capitalisme impérialiste est devenu le plus grand oppresseur des nations. Ancien facteur de progrès, le capitalisme est devenu réactionnaire »[3]

Dans L’impérialisme, Lénine liste les caractéristiques du stade impérialiste :

  1. Concentration de la production et du capital et monopoles
  2. Fusion du capital bancaire et du capital industriel en capital financier, création d’une oligarchie financière
  3. Exportation de capitaux, à la différence de l’exportation de marchandises
  4. Formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde
  5. Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes

Il n’insistait cependant pas toujours sur les mêmes aspects, puisque dans un article[5] écrit quelques mois plus tard il donnait, comme « définition la plus précise et la plus complète possible de l'impérialisme : 

  1. le capitalisme monopoliste
  2. le capitalisme parasitaire ou pourrissant
  3. le capitalisme agonisant »


2.1 Capitalisme monopoliste et capital financier

Tout le monde a cette époque constatait et commentait la naissance de trusts, cartels et quasi-monopoles. Pour Lénine, « la substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l'essence de l'impérialisme. » Pour lui la centralisation du capital avait donc pour effet de limiter la concurrence (ententes sur les prix et les zones d’influence). Cela remet-il en question les fondements du capitalisme analysés par Marx, qui sont basés sur la concurrence (loi de la valeur, crises récurrentes…) ? C’est le raisonnement de Boukharine, pour qui l’impérialisme est le capitalisme financier, succédant au capitalisme industriel, succédant au capitalisme commercial. A tel point que lors des discussions pour actualiser le programme du parti bolchévik en 1919, Boukharine voulait entièrement remplacer l’analyse du capitalisme par celle de l’impérialisme. Lénine tempérait :

« Jamais au monde, le capitalisme de monopole n'a existé ni n'existera sans libre concurrence, dans divers domaines. […] L’impérialisme est une superstructure du capitalisme. »[6]

Une autre grande caractéristique de la centralisation du capital, c’est que cela amène aussi« la socialisation prodigieuse du travail par l'impérialisme ». Lénine en conclut que « le monopole qui surgit du capitalisme, c'est déjà l'agonie du capitalisme, le début de sa transition vers le socialisme. »

Les communistes rejetaient donc comme une chimère et un « idéal réactionnaire » l’idée de revenir à de la libre-concurrence entre petits patrons. Pour autant, ils n’allaient pas jusqu’à soutenir la monopolisation capitaliste et les projets bourgeois de centralisation politique. Au contraire, Boukharine pouvait écrire que « La social-démocratie doit voter contre l'introduction de tout monopole, de toute union douanière, etc. » Il reconnaissait qu’une centralisation supplémentaire apporterait un « progrès » (économique) supplémentaire, mais :

« Le véritable point est que ce progrès n'est rien de plus qu'un renforcement et un soutien du militarisme et de l'impérialisme. […] De nos jours la tâche historique n'est pas de s'inquiéter pour les nouveaux développements des forces productives (elles sont parfaitement adéquates pour la réalisation du socialisme), mais de préparer une attaque universelle contre les gangsters du gouvernement.»[7]

C’est en particulier pour cette raison que Lénine s’est opposé au mot d’ordre d’Etats-Unis d’Europe : ce ne serait (sous le capitalisme) qu’un impérialisme plus puissant. Certains socialistes refusaient de soutenir le droit au séparatisme des peuples opprimés au nom de la « régression économique » qu’engendre le morcellement des États. Lénine dénonçait ces positions comme de « l’économisme impérialiste ».[8]

Ces monopoles sont de grandes industries, mais aussi de géantes banques, qui ont alors quitté leur rôle de simple intermédiaire pour prendre une large part dans le contrôle des trusts. C’est pourquoi Lénine et Boukharine ont défini leur notion de capital financier comme « fusion ou interpénétration du capital bancaire et du capital industriel ». Lénine écrit que « la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général », et qu’une « oligarchie financière » se forme au sein de la bourgeoisie, « frappant la société tout entière d'un tribut au profit des monopolistes. » Il trouve symptomatique que « dans tous les pays capitalistes » apparaît une littérature de « critique petite-bourgeoise de l’oligarchie financière ».

Il est important de préciser que le « capital financier » de Lénine est a priori différent de ce qu’on appelle aujourd’hui « secteur financier » (banques, marchés financiers, rentiers…) qui ne manie que du capital-argent. Mais Lénine dénonce aussi « la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers […] qui sont tout à fait à l'écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l'oisiveté. » Il fait l’observation suivante :

« C'est avec un relief sans cesse accru que se manifeste l'une des tendances de l'impérialisme : la création d'un 'État-rentier', d'un État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus de l'exportation de ses capitaux et de la 'tonte des coupons'. [c’est-à-dire de l’encaissement des dividendes] »

Ailleurs il est plus affirmatif : « La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l'hégémonie du rentier et de l'oligarchie financière. »

Son livre L’impérialisme fait une large place à la dénonciation des spéculateurs et de leurs « tripotages », leur corruption, l’opacité des comptes, les méthodes amorales pour ruiner les concurrents... L’Internationale communiste dénonce aussi « messieurs les bourgeois qui ont pris l'habitude de doubler, de décupler leurs dividendes dans l'espace de quelques jours, au moyen de spéculations savantes »[9]

3 Autour de la conception classique

3.1 Débats dans la social-démocratie

3.2 La conception de Kautsky et son évolution

Karl Kautsky commence à employer le terme d'impérialisme au moins à partir de l'année 1900.[10]

3.3 La conception de Boukharine

Boukharine pense que l'impérialisme n'est que la reproduction à une large échelle de la concurrence capitaliste :

  • les économies nationales tendent vers des trusts d'Etat nationaux, en concurrence les uns avec les autres
  • fortement liés aux Etats, ces trusts nationaux imposent une course au protectionnisme douanier offensif (dumping),
  • la course aux armements et finalement la guerre impérialiste n'est qu'un prolongement de cette guerre économique
  • à la concentration verticale des trusts correspond l'annexion de pays agraires par des pays impérialistes industriels (il prend l'exemple de l'annexion de l'Egypte par le Royaume-Uni)
  • à la concentration horizontale des trusts correspond l'annexion de pays impérialistes entre eux (il prend l'exemple de l'invasion de la Belgique par l'Allemagne)

Boukharine remarque bien une internationalisation du capital[11], mais souligne qu'elle n'apporte pas automatiquement une internationalisation des intérêts des capitalistes, mais qu'au contraire elle accentue le plus souvent la compétition. Il décrit comme une « internationale dorée » les capitalistes qui possèdent en commun des intérêts dans des participations conjointes dans telle ou telle entreprise. Mais, pour montrer « la faiblesse relative du processus d'internationalisation des intérêts capitalistes », il citait un économiste allemand, August Sartorius von Waltershausen :

« L'internationale dorée ne peut en aucun cas être un idéal pour un homme qui a une patrie, et qui croit que les racines de son existence appartiennent à cette patrie. »

Poour Boukharine, les colonies sont très rentables pour les capitalistes, en tant que :

  • marchés
  • sources de matières premières
  • sphères d'influence pour le capital financier

Selon lui, par ces moyens, les colonies permettent de contrecarrer la baisse du taux de profit, et d'accorder des salaires plus élevés, servant de « soupape » aux États impérialistes.

« l'exploitation des "tiers" (producteurs pré-capitalistes) et de la main-d'œuvre coloniale a conduit à une hausse des salaires des travailleurs européens et américains. »[12]

Il accuse Kautsky de vouloir prouver que la colonisation est inefficace pour le capitalisme pour estomper les contradictions.

4 Débats ultérieurs

5 Notes et sources

Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916

  1. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category, 1915
  2. Lénine, Préface du 26 avril 1917 à L’impérialisme
  3. 3,0 et 3,1 Lénine et Zinoviev, Le socialisme et la guerre, 1915 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « SocGuerre » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  4. Lénine, Préface aux éditions françaises et allemande de L’impérialisme, juillet 1920
  5. Lénine, L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916
  6. Lénine, Rapport sur le programme du parti bolchévik, 1919
  7. Boukharine, Contribution à une théorie de l'Etat impérialiste, 1916
  8. Lénine, Une caricature du marxisme et à propos de l’ « économisme impérialiste », 1916
  9. Manifeste du 2e congrès de l’Internationale communiste, 1920
  10. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, The Social Democrat, août 1900
  11. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 3: Organisation Forms of World Economy, 1915
  12. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 14: World Economy and Proletarian Socialism, 1915