Syndicats jaunes

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Les « syndicats jaunes » sont des syndicats opposés à l'indépendance du mouvement ouvrier, souvent très liés au patronat, voire à des forces réactionnaires (clergé, fascisme...).

On parle de « jaunes » pour désigner les briseurs de grève, et par extensions les « traîtres ».

1 Généralités

Le syndicalisme, au sens d'une action collective des travailleurs contre leurs patrons, a eu une naissance quasi-spontanée. Même le socialisme a des racines dans l'auto-activité des travailleurs. Très tôt, le mouvement ouvrier a été influencé par le socialisme, parce que c'était l'idéologie qui décrivait le vécu quotidien des travailleurs (l'exploitation par le patronat, la répression par l'appareil d'Etat...) et qui organisait la lutte. La théorisation du socialisme doit en général beaucoup à des individus venant de la bourgeoisie (Marx...) ou de la petite-bourgeoisie (Proudhon...), voire de la noblesse (Bakounine, Kropotkine...), mais à de nombreuses reprises, ce mouvement a eu une diffusion massive dans la classe travailleuse. C'est pourquoi on ne peut pas considérer que le syndicalisme aurait été spécialement détourné par une idéologie socialiste étrangère.

C'est pourtant ce qu'essaient de faire croire certains mouvements jaunes, qui fustigent "les rouges". Ils refusent des modes d'action comme la grève et l'affrontement avec les patrons. Il peut arriver que des travailleurs individuels aient des a priori très négatifs contre la grève ou la lutte de classe, mais il serait hypocrite de dire que le mouvement jaune serait plus "spontané". Au contraire, il est minoritaire de fait, et souvent chapeauté par les patrons ou des forces politiques réactionnaires. Certains parlent de « droite prolétarienne[1] », mais c'est de fait un courant profondément aliéné, qui lutte contre ses intérêts de classe.

En général, ceux qui sont traités de jaunes par leurs collègues sont les travailleurs engagés à la place des grévistes pour briser une grève, ou même les travailleurs qui affaiblissent une grève en refusant d'y participer. La qualification de "jaune" est bien sûr relative : elle dépend de l'état d'esprit général des travailleurs, donc de la conscience de classe générale et de l'intensité de la lutte des classes. Lorsqu'une grève est très suivie, que l'immense majorité des travailleurs sont convaincus de sa légitimité, ceux qui s'y opposent se verront quasi-automatiquement traités de jaunes. Quand le taux de participation est assez moyen, cela ne viendrait à l'idée de personne, et les deux côtés se respectent plus en général. A l'opposé, quand les grévistes sont très minoritaires, ils sont en général mal vus, voire traités de fainéants ou de "preneurs d'otages" lorsqu'il s'agit d'un service public.

2 Histoire

2.1 Origine du mot « jaune »

Le premier syndicat jaune est fondé en novembre 1899 à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) par un petit groupe de mineurs qui refusent de participer aux mouvements de grève. Les grévistes s'en prennent alors à leur lieu de réunion (le Café de la mairie), leur jetant des pierres qui brisent les vitres ; les anti-grévistes décident alors de remplacer les vitres brisées par du papier jaune trouvé à la hâte, à partir de là les ouvriers anti-grève sont appelés « jaunes[2] » ; la couleur jaune pourrait venir du fait que le papier avait été huilé, ou encore qu'il était enduit des œufs lancés par les grévistes.

Dès 1900, des anarchistes analysent aussi la volonté d'utiliser le jaune, couleur du drapeau du Vatican, par les Catholiques voulant investir le monde social[3].

2.2 Début du XXème siècle

Dès le début du XXème siècle, un mouvement d'extrême droite, bien que très minoritaire, voit le jour parmi les travailleurs. En décembre 1901, Paul Lanoir créé l'Union fédérative des syndicats et groupements ouvriers professionnels de France et des colonies (aussi appelée Fédération nationale des Jaunes de France). En avril 1902, Paul Lanoir est évincé par Pierre Biétry[2].

Le mouvement est très chauvin, relaie les thèses antisémites, et défend l'unité des patrons et des ouvriers (corporatisme). Dès mars 1902, Paul Lanoir invente le slogan : « Travail, Famille, Patrie », qui sera repris plus tard par Pétain et le régime de Vichy[4]. Selon Biétry lui-même, dans son ouvrage Le Socialisme et les jaunes, son but est de « réaliser la renaissance nationale en créant la réconciliation des classes sur un programme de justice sociale. »

Dans les faits, ce mouvement s'oppose vigoureusement au mouvement socialiste et il cesse d'y faire référence en 1904. Il est alors soutenu par les nationalistes jusqu'à certains organes radicaux qui pensent tenir là une force nouvelle capable de faire face à la gauche marxiste. Financièrement, il est soutenu par de grands industriels, le duc d'Orléans ou la duchesse d'Uzès. Présent vers l'Est, le Nord de la France ou à Paris, on estime que le mouvement a atteint les 100 000 adhérents.

En mai 1908, Biétry scinde son mouvement en un parti politique, le Parti propriétiste, et un syndicat, la Fédération syndicaliste des Jaunes de France. Aux socialistes, Biétry oppose la participation des ouvriers à la propriété des moyens de production (le « propriétisme »). À la lutte des classes, les jaunes opposent la collaboration des classes au sein de « la grande famille du travail », unie dans une « inséparable communauté d'intérêts[5] ». Extrêmement violent, le mouvement jaune rêvait, en 1909, de « clouer la charogne de Jaurès vivante contre une porte[2]. »

2.3 Les jaunes après 1945

Les syndicats héritiers des Jaunes sont dispersés et changent souvent de nom : Confédération générale des syndicats indépendants (CGSI), Confédération française du travail, Confédération des syndicats libres, Union française du travail, etc. D'une manière générale, les « jaunes » ont rejeté toute référence au fascisme, mais continuent à montrer une opposition frontale à la gauche et à la CGT.

Au nom de la productivité, la CGSI s'oppose aux nationalisations. Cette logique l'a poussée à dénoncer les fonctionnaires assimilés parfois à « une bureaucratie fainéante et gaspilleuse » (Travail et liberté, 29 octobre 1949) et à proclamer la nécessité de l'économie de marché et du libéralisme.

En décembre 1974, la CFT préconise « la concertation permanente à tous les niveaux en instituant une décentralisation et une large délégation des pouvoirs. »

3 Aujourd'hui

3.1 France

Aujourd'hui, le clivage s'est beaucoup émoussé, parce que les pratiques ont beaucoup convergé : toutes les centrales syndicales pratiquent couramment la collaboration de classe, et les syndicats "jaunes" se retrouvent à cogérer des comités d'entreprise avec la CFTC, la CFE-CGC ou la CFDT.

Pour ceux qui gardent encore une conscience de classe (souvent plus ou moins déformée par le stalinisme) l'expression « syndicat jaune » s'entend encore et désigne les syndicats opposés aux conflits de classe et conciliants avec le patronat. Ces accusations sont formulées, par exemple, lors d'un appel à ne pas faire grève lorsque la plupart des autres syndicats y appellent, ou lors de la signature d'accords de branche auquel la plupart des syndicats sont opposés.

Il reste des bastions d'anciens syndicats jaunes, comme le Syndicat de l'Industrie Automobile (SIA) à PSA.[6]

4 Notes et références

  1. Sternhell, 1978
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Rioux, 1978
  3. Brochure de l'union des anarchistes européens , « programme de 1900 » (écrit entre 1894 et 1899) : chapitre sur « nos couleurs »
  4. Maurice Tournier,« Les mots fascistes, du populisme à la denazification », Mots, juin 1998, n° 55, pp. 157-158.
  5. Paul Lanoir, « Discours au premier banquet des Jaunes », L'Union ouvrière, 1902.
  6. SIA-Aulnay : le syndicat jaune a pris des couleurs, septembre 2012
  • Jean-Pierre Rioux, Prolétaires de droite : les syndicats jaunes, L'Histoire, 4 septembre 1978
  • Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire (1885-1914), les origines françaises du fascisme, 1978

5 Voir aussi

5.1 Organisations

5.2 Liens externes