Syndicalisme

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Le syndicalisme est l'action militante des travailleurs qui se regroupent en vue de défendre leurs intérêts face au patron, voire au patronat. Dans ce premier sens c'est une des premières forces au service du progrès social. Hélas l'expérience a montré que les organisations syndicales peuvent être plus ou moins bureaucratiques et liées au pouvoir ou au patronat, et se mettent parfois de façon hostile en travers du mouvement des travailleurs.

1 Intérêt du syndicalisme

Le syndicalisme est un outil pour modifier le rapport de force en faveur des travailleurs dans une entreprise, et de la classe ouvrière face à la bourgeoisie.

1.1 Défense immédiate des travailleurs

Les premiers travailleurs qui se sont unis plus ou moins formellement dans la lutte, pour des conditions d'exploitation un peu moins misérables, ne se sont pas posés abstraitement la question de l'intérêt du syndicalisme, c'était assez évident. Le syndicalisme permet de défendre les droits des travailleurs au quotidien, en premier lieu par un travail d'information sur les plans des directions, puis par la mobilisation de la force ouvrière. Aucun révolutionnaire ne s'oppose à la lutte pour l'amélioration concrète du quotidien, bien que pour nous il n'y ait pas de "temps normal" sous le capitalisme.

1.2 Améliorer les conditions de la lutte

Le rapport de force dans une entreprise donnée n'est jamais acquis, et le syndicalisme représente le premier stade de la conscience de classe ouvrière. Stratégiquement, une victoire des travailleurs est toujours un bon point de départ pour une prochaine lutte. De plus, la lutte immédiate et la perspective révolutionnaire sont dialectiquement liées et non pas juxtaposées : une montée des victoires ouvrières (conventions collectives, augmentations...) permet l'affermissement de la confiance des travailleurs en leur pouvoir. Les avancées comme la diminution du temps de travail, l'octroi de temps de pause, de congés payés, etc... constituent une dés-aliénation, favorisant en retour la conscience. En revanche, défaites sur défaites entraînent démoralisation et renoncement à la lutte collective, avec repli individualiste et avancées réactionnaires (divisions racistes, sexistes...). De même les droits syndicaux acquis (droit syndical -contre la répression...- , journées d’information syndicales...) renforcent les syndicats.

Tout cela n’a pas été accordé par la bourgeoisie pour nous faire plaisir, mais arraché par des luttes syndicales et politiques des travailleurs. Des « embryons de démocratie prolétarienne au sein du capitalisme » (Trotski)

2 Nature des syndicats

2.1 Les syndicats sont réformistes par nature

Les syndicats sont réformistes par nature car, s’ils veulent unifier largement les travailleurs, ils ne peuvent pas être révolutionnaires. De plus, l’aspect quotidien de leur lutte, la revendication immédiate, réduit, qu’on le veuille ou non, leur possibilité de mettre en place une théorie révolutionnaire partagée par la majorité des militants et adhérents. Enfin, la condition même de leur efficacement est qu'ils parviennent à atteindre un minimum d'intégration dans des instances bourgeoises ( conseils d’entreprises ou d’université, diverses commissions paritaires…), des permanents (ne serait-ce que pour protéger ses militants de la répression), de l’argent qui vient de l’Etat... L’intégration des syndicats à l’appareil d’Etat est plus moins profonde selon les organisations et les périodes, mais elle est inévitable pour tout syndicat un minimum représentatif. Ce lien à l’appareil d’Etat implique forcément le développement de conceptions réformistes et de fonctionnements bureaucratiques (voir Rosa Luxembourg, Grève de masse, parti et syndicat et Réforme sociale ou révolution).

2.2 Syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme

Les anarchistes et les syndicalistes révolutionnaires ne se donnent pas les moyens de résoudre ce problème. Pour eux, le syndicat est à la fois la forme d’organisation des travailleurs en dehors des périodes révolutionnaires et la forme du pouvoir des travailleurs lors de et après la révolution. Cela les conduit à ne pas résoudre la question de la prise du pouvoir, comme l’expérience de l’Espagne en 1936 le démontre. De plus, pour la période post-révolutionnaire, leur conception ne permet pas de séparer syndicats et Etat ouvrier. Celle-ci est pourtant nécessaire à la fois pour qu’un Etat ouvrier existe et puisse organiser la transition vers le communisme et pour que les travailleurs puisse se protéger, syndicalement, contre les dérives de tout Etat (voir la discussion entre Lénine et Trotski sur la « militarisation des syndicats »).

2.3 Un syndicat regroupe une population « avancée »

Les syndiqués regroupent (plus ou moins) les « travailleurs avancés », ceux qui ont déjà conscience de la nécessité de s’organiser. Nous combattons donc la conception réformiste qui consiste à considérer que les syndicats doivent coller au niveau de conscience des masses non organisées. Les syndicats doivent s’approcher au plus proche de ce niveau de conscience, mais leur rôle n’est pas d’être passifs, il doivent jouer un rôle de direction vis-à-vis des masses, en proposant des méthodes pour qu’elles se mettent en mouvement.

2.4 Les syndicats "jaunes"

Les syndicats peuvent parfois être de puissants outils du patronat contre les travailleurs, soit qu'ils aient été plus ou moins corrompus, soit qu'ils aient dès leur création "par en haut" eut un rôle de gestionnaires des mouvements ouvriers (comme les syndicats uniques dans les dictatures, mais pas seulement).

🔍 Voir : Syndicats jaunes.

2.5 Bureaucratisation des syndicats

Même les syndicats qui ont été à l'origine créés par et pour les travailleurs se sont retrouvés à pactiser avec les capitalistes et parfois tout faire pour sauver leur système. C'est avant tout dû au développement d'une couche privilégiée parmi les travailleurs, qui est liée matériellement à la bourgeoisie et préfère défendre ses intérêts immédiats que l'ensemble de la classe. Cette couche - l'aristocratie du travail - est celle qui dirige les syndicats, à la fois parce qu'elle a plus de facilité à gravir les échelons, et parce que la pression corruptrice de la bourgeoisie transforme en général "ceux d'en bas" qui atteignent le sommet. Il se développe alors une vraie séparation entre la tête et la base des syndicats, même si en temps de paix sociale relative, la base fait confiance à la direction. Tout ceci créé les conditions pour une bureaucratisation des syndicats, avec tout ce que cela signifie en terme d'étouffement de la démocratie interne : muselage, répression ou explusion des voix critiques, peur des actions trop "spontanées" de la base...

La principale et la plus grave conséquence, c'est que les directions syndicales ont à d'innombrables reprises freiné des luttes qui avaient des potentiels subversifs très forts, tué dans l'oeuf des possibilités de grèves générales, voire participé plus ou moins ouvertement à des répressions contre-révolutionnaires...

  • La trahison des grèves états-uniennes des années 1930, notamment par la direction conservatrice de l'AFL.
  • La trahison de la grande grève anglaise de 1926 notamment par les bureaucrates du TUC.
  • La trahison de juin 1936 en France, en partie par la direction de la CGT.
  • En 2010 en Chine, des hommes du syndicat unique ont tabassé des grévistes, qui dénoncent ces "prétendus syndicalistes" qui préfèrent recourir à la violence "au lieu de défendre les intérêts collectifs des travailleurs".[1]

3 Partis et syndicats

Les rapports entre partis et syndicats sont variables selon les pays et les époques. En Allemagne, les social-démocrates ont été à l'initiative des syndicats et ont longtemps gardé l'ascendant. A l'inverse, en Angleterre, ce sont les syndicats qui ont créé le Labour party. Cependant, les syndicats de par leur nature ont rapidement eu tendance à devenir beaucoup plus massifs que les partis, ce qui a finit par donner à la bureaucratie syndicale une influence prépondérante.

Aux Etats-Unis les syndicats et partis ouvriers ont toujours connu une relative indépendance. En France, le problème des rapports entre partis et syndicats est particulièrement à vif avant 1914 (autour de la Charte d'Amiens) et après 1968. La CGT nie, contre toute évidence, sa subordination au PCF. À l’inverse, certains syndicats, telle la CFDT, refusent de voir leurs droits définis par les partis.

Dans une lettre à Pierre Monatte de juillet 1921, Trotski préconisait de se fixer, malgré les réticences des militants français, l'objectif de la « fusion totale des syndicalistes révolutionnaires et des communistes en un seul parti ».[2]

4 Les marxistes et le syndicalisme

Il existe une contradiction dans le combat quotidien des révolutionnaires : nous nous battons pour l’unité de notre classe et nous posons la question du pouvoir, alors que cette question (réforme/révolution) divise fatalement. C'est pourquoi dans les syndicats nous sommes en situation de minorité, de "tendance". Il faut l'accepter pour militer syndicalement. Cela ne veut pas dire que l'on devient réformiste pour autant, seulement que l'on saisit les enjeux :

4.1 Enjeux du militantisme syndical

Il s’agit de comprendre à quoi sert le syndicat, outil réformiste indispensable aux travailleurs. Le syndicat est la forme d’organisation première pour les travailleurs entre les mobilisations, celle qui permet aux travailleurs non révolutionnaires de garder un lien entre eux, de continuer à défendre leurs intérêts. Il constitue aussi une médiation entre l’avant-garde révolutionnaire et les larges masses.

1) Pour celle-ci, le syndicat permet de se lier au niveau de conscience des larges masses : il permet, par des discussions et des luttes quotidiennes, de connaître les préoccupations concrètes des masses, leurs possibilités d’action (en terme de confiance, de capacités financières pour une grève, de combativité…), leurs convictions politiques (concernant des batailles concrètes comme les grands choix de société, les différentes questions politiques).

2) Le syndicat constitue une première étape pour entraîner l’ensemble de notre camp social : Dans les luttes comme avant les luttes, nous pouvons tester nos arguments dans le syndicat avant de les tester à une échelle plus large. Par exemple, pendant le mouvement contre le CPE, commencer à batailler dans l’UNEF sur la question du blocage ou de l’élargissement des revendications permettait de tester nos arguments et ce que peuvent répondre des étudiants moyennement combatifs. Nous pouvons aussi commencer à entraîner plus largement que les révolutionnaires, en entraînant des militants qui ne sont pas révolutionnaires voire qui sont nettement réformistes, ainsi que leur milieu, ce qui permet d’élargir le champ d’action par rapport au milieu, limité, des seuls révolutionnaires.

3) Enfin, les révolutionnaires ont une responsabilité à contribuer à la structuration quotidienne de la classe ouvrière. Nous devons nous poser le problème de comment organiser largement le prolétariat en dehors des périodes révolutionnaires. Ce dernier élément implique que cela ne peut pas se faire dans une organisation révolutionnaire. Mais nous ne pouvons pas laisser la tâche que le prolétariat s’organise largement aux réformistes, les révolutionnaires doivent être autant capables de structurer la classe que les réformistes. Il n’y a aucune raison de leur laisser ce privilège. On entend beaucoup de choses sur l’indépendance syndicale. Pour nous, il ne s’agit pas que les militants des syndicats n’ont pas le droit de discuter de politique ou de militer politiquement. Il ne s’agit pas d’une position morale. L’indépendance syndicale consiste à respecter les rythmes politiques et les objectifs de chaque structure. Le syndicat a pour rôle d’unifier un camp social pour se battre pour des objectifs communs en défense de ses intérêts. L’organisation politique vise à préciser et défendre un projet stratégique. Nous respectons les décisions des organisations de masse, nous nous battons contre leur subordination à une organisation politique parce que nous pensons qu’il est nécessaire de respecter les rythmes de débat démocratique des structures de masse.

4.2 Quelle orientation concrète ?

4.2.1 L’activité quotidienne

Parce que nous sommes convaincus de la nécessité du cadre syndical pour lui-même, nous participons à l’activité quotidienne de base. De plus, cela permet de gagner une légitimité, il n’y a aucune raison de laisser ce travail et cet espace aux réformistes, nous devons prouver que les révolutionnaires sont capables de résoudre les problèmes quotidiens des travailleurs. Nous participons donc aux permanences, aux tables d’information, aux campagnes électorales, aux campagnes de pétitions, à la résolution des problèmes quotidiens, à la lecture et l’analyse des réformes, ainsi qu’au travail dans les institutions (conseils, rendez-vous avec les administrations…).

4.2.2 Le travail d’avant-garde

Nous essayons d’être un pas en avant et de tirer en avant l’ensemble du syndicat. Cela passe par deux biais. Le premier est la conviction : nous essayons de convaincre sur nos positions en discutant, en écrivant des textes, etc. Le deuxième est l’action : nous mettons en place notre orientation en tant qu’individus ou lorsque nous convainquons une structure, afin de faire des preuves par l’exemple. Cela ne se fait pas dans tous les cas : il faut que cette action serve réellement à entraîner plus largement, pas à nous isoler.

4.2.3 Discuter politique

Lorsque nous militons syndicalement, nous restons des militants politiques. Nous ne nous interdisons pas de discuter de nos convictions politiques, même si cela ne doit pas se faire au détriment du travail syndical : pour être crédibles lorsqu’on propose une orientation syndicale, il faut parfois savoir se faire discrets sur l’intervention politique, même s’il est parfois possible, lorsqu’on a acquis une certaine légitimité, de proposer des orientations syndicales même en étant connus comme militants politiques.

4.2.4 Face à la bureaucratie

La bataille contre la bureaucratie n’est pas un débat d’idées entre des militants en désaccord. La bureaucratie est problème de rapport au système, c’est une question sociale. Les bureaucrates ne sont pas mauvais par nature ou par conviction, mais leur place dans une structure intégrée à l’appareil d’Etat les force à des pratiques antidémocratiques et des conceptions réformistes. Nous devons déduire de ce problème social la nécessité pour la révolutionnaire d’un séparation nette entre eux et nous, en terme de pratiques militantes, de formulation d’orientations syndicale. Aucune alliance durable (ce qui n’interdit pas des accords ponctuels) n’est possible sous peine de nous intégrer à notre tour.

4.2.5 Différencier directions et militants

Les militants de base, même dirigés par des bureaucrates et solidaires avec eux, sont des travailleurs normaux. Vis-à-vis d’eux, nous devons faire notre possible pour argumenter sur le fond, de ne pas passer pour des fous ou des gauchistes. Nous devons éviter de donner des prétextes aux bureaucrates pour activer des solidarités sentimentales, sectaires, sans fond contre nous. Il est parfois nécessaire de mettre en place des affrontements forts avec les directions réformistes, voire des affrontements physiques, mais il faut mesurer les conséquences que cela a en terme d’isolement des militants combatifs.

5 Historique

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5.1 Première internationale

Dès 1847, Marx prenait position pour le syndicalisme, à une époque où beaucoup de socialistes anglais et presque tous les socialistes du Continent européen (comme Proudhon) étaient contre.[3]

S’agissant des syndicats, dont l’action est simplement défensive, Marx est opposé au centralisme :

« [L]'organisation centralisée, qui s'applique si bien aux sociétés secrètes et aux sectes, est en contradiction avec la nature même des syndicats. Même si elle était possible – or je la tiens tout bonnement pour impossible –, elle ne serait pas souhaitable, surtout en Allemagne. En effet, les ouvriers y sont dressés dès l'enfance par la bureaucratie à croire en l'autorité et l'instance supérieure, si bien qu'il faut avant tout qu'ils apprennent à se tirer d'affaire tout seuls » [4]

Cette position est clairement à différencier du rôle du parti, puisqu'il dira de l'Internationale qu'elle fut « la première tentative pour doter [l'action internationale des classes ouvrières] d'un organe central ».[5]

A l'inverse, Bakounine qui dans sa polémique avec Marx place au centre l'idée d'une organisation de masse peu centralisée, inaugure une tradition anarcho-syndicaliste.

5.2 Allemagne

En Allemagne, les partis socialistes sont apparus avant que n'apparaissent un mouvement syndical puissant. Mais au début du 20e siècle, les organisations syndicales se développent et se centralisent rapidement. De par leur influence idéologique et le fait qu'ils aient la plupart du temps été les premiers organisateurs du mouvement ouvrier, les cadres du parti social-démocrate (SPD) gardèrent un certain temps un rôle dirigeant. On considérait alors « la social-démocratie allemande » comme un ensemble, constitué de toutes les organisations (associatives, syndicales...) et dirigé politiquement par le SPD, vu comme avant-garde.

Mais les syndicats montèrent en puissance et dépassèrent le parti. En 1895, année de la mort d'Engels, les syndicats social-démocrates n'atteignaient que 300 000 membres et étaient concurrencés par les syndicats dirigés par des libéraux et des catholiques, tandis que le SPD avait un poids électoral de 1 500 000 votes (19,7%). En 1900, ils étaient devenus la première puissance syndicale, avec 600 000 membres, et en 1904 ils dépassaient le million. En 1906, ils comptaient 1 689 709 membres, contre 384 327 pour le SPD. Vers 1906, parmi les électeurs social-démocrates, 50% étaient membres des syndicats, et 9% membres du parti.[6]

Les dirigeants des centrales syndicales se retrouvent à la tête d'une organisation très puissante, de plus en plus bureaucratisée et habituée à la collaboration de classe. En pratique, elle prend de moins en moins d'initiative offensive dans la lutte des classes. En particulier, alors que des grèves générales spontanées commencent à apparaître (1902 en Belgique, 1905 en Russie...), les syndicats les voient d'un mauvais œil. En Allemagne même, la direction syndicale fait tout pour canaliser les nombreuses grèves, notamment la grève des mineurs (qui menaçait l'économie de paralysie) qu'elle incite à reprendre le travail.

Les syndicats allemands tiennent leur congrès à Cologne en mai 1905, et condamnent l'usage de la grève générale (que Carl Legien appelait « l'obscurité générale ») et même le fait de faire de la propagande pour. Ils soutenaient qu'ils n'avaient pas les moyens pour soutenir une grève générale et qu’ils avaient besoin de la paix sociale pour continuer leur progression numérique. Quelques mois plus tard, au congrès du parti, Bebel marque son hostilité aux révisionnistes qui rejettent la grève générale, affirmant que « la grève des masses doit être retenue comme une mesure défensive ».

Il reçoit le soutien de Rosa Luxemburg, qui rentre de Russie et publie Grève de masse, Parti et syndicat, où elle réfute les positions des syndicalistes : elle dénonce leur caractère mécanique (attendre que toute la classe ouvrière soit organisée), leur attitude de comptable (les caisses des syndicats ne permettent pas de soutenir une grève générale) et met en avant que c’est dans la lutte que les travailleurs réalisent les plus grands progrès dans leur organisation et donc dans leur auto-émancipation.


Mais l’agitation sociale en Allemagne gagne en ampleur. Les chefs des syndicats traitent Luxemburg d’anarchiste, et la direction du parti est prise de vertige face à la puissance de la protestation ouvrière. La bureaucratie syndicale est assez forte, et la bureaucratisation dans le parti est elle-même assez forte, pour que le centre social-démocrate vacille.

Au congrès du SPD en 1906, la direction et les syndicats décident de mettre sur un pied d’égalité les deux organisations (« parité »). Dorénavant, les décisions essentielles devront être prises en commun. Kautsky se contente d'amender la résolution (de Bebel) pour qu'elle souligne « la nécessité absolue [que les syndicats soient] gouvernés par l'esprit de la social-démocratie ». Luxemburg ironise sur cette parité en la comparant à un paysan (le syndicat) qui dirait à sa femme (le parti) : « Quand nous sommes d'accord c'est toi qui décide, sinon c'est moi. »[6]

Début 1910 à nouveau, des grèves massives apparaissent spontanément, à la fois économiques (contre les patrons) et politiques (pour réclamer le suffrage universel). Rosa Luxemburg se met alors à critiquer durement la passivité de la social-démocratie, qui ne cherche pas à pousser le mouvement en avant.[7] Kautsky lui fait alors une réponse qui cautionne la politique majoritaire.[8] En privé, Kautsky s'irrite contre Luxemburg, qui ferait peur aux syndicalistes avec son gauchisme, et qui nuirait à « son influence » sur les syndicats, celle « des marxistes ».[9] Les idées de Luxemburg et de Liebknecht, celles de l'aile gauche de la social-démocratie, ont pourtant de l'écho à ce moment-là car il apparaît que les méthodes purement parlementaires et de négociation syndicale sans rapport de force ne permettent de rien obtenir : pas d'avancée sur le droit de vote, de nombreux ouvriers soumis à la répression patronale et judiciaire, impuissance face au militarisme lors notamment de la crise d'Agadir...

5.3 Russie

🔍 Voir : Syndicats en Russie.

Dans Que Faire ? (1902), Lénine soutient que les syndicats (ceux-ci sont encore inexistants en Russie) doivent regrouper plus largement que les seuls travailleur·es social-démocrates. A partir de la révolution de 1905, Lénine devra batailler contre les cadres bolchéviks ayant une attitude sectaire envers les syndicats, étant habitués à la clandestinité et non aux organisations larges. A l'inverse, les menchéviks liquidateurs avaient tendance à se limiter aux syndicats et à abandonner le parti (encore illégal).

6 Voir aussi

7 Notes et sources

  1. http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/06/05/le-combat-des-salaries-d-honda-pour-toute-la-chine_1368294_3234.html
  2. Léon Trotski, Lettre à P. Monatte, 13 juillet 1921
  3. Karl Marx et les syndicats, Bulletin communiste du 17 mai 1923
  4. Lettre de Marx à Schweitzer du 13 octobre 1868
  5. Karl Marx, Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand, 1875
  6. 6,0 et 6,1 Carl Emil Schorske, German Social Democracy, 1905–1917: the development of the great schism (1955, Harvard University Press)
  7. Rosa Luxemburg, The Next Step, Dortmunder Arbeiterzeitung, Mars 1910
  8. KarI Kautsky, Was nun? (Et maintenant?), Neue Zeit, 8 avril 1910
  9. Karl Kautsky, Lettre à David Riazanov, 16 juin 1910