Salaire socialisé

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Le salaire socialisé est une partie du salaire qui n'est pas versée directement au salarié, mais prélevée sur son salaire brut sous forme de cotisations sociales, et redistribuée à lui ou d'autres travailleurs sous formes de prestations (assurance chômage, sécurité sociale, pensions de retraites).

1 Principe et fonctionnement

Le salaire socialisé est un salaire qui revient à l'ensemble des travailleurs qui en ont besoin, et pas uniquement au salarié "pour qui" il a été versé. Le principe est de financer un pot commun, la sécurité sociale, répondant aux besoins de chacun.

1.1 Super brut, net...

Le fonctionnement du salaire socialisé est assez commun à l'ensemble des pays capitalistes, et artificiellement compliqué.

Sur l'ensemble de la valeur créée par le travailleur, la distinction fondamentale en termes de classes est celle entre "salaire total" et plus-value que le patron empoche.

Ce salaire total n'apparaît pas clairement a priori, pourtant les patrons eux ne s'y trompent pas, car c'est lui qu'ils concèdent effectivement à la classe travailleuse. Ils l'appellent "coût du travail". Certains l'appellent salaire super brut.

Parmi ce salaire total, il y a :

  • le salaire net, que touche directement le salarié
  • le salaire socialisé, qui alimente la sécurité sociale

1.2
SalaireNetSuperBrutPlusValue.png
Cotisations salariales, cotisations patronales, salaire brut...

Le salaire socialisé est séparé entre cotisations salariales et cotisations patronales. C'est une séparation arbitraire et artificielle :

  • les deux sont tirées de la même valeur (créée par le travailleur, appropriée par le capitaliste et concédée par celui-ci)
  • les deux sont versées à la sécurité sociale
  • les patrons calculent eux le total de ce qu'ils concèdent aux salariés (salaire super brut ou "coût du travail")
  • cette distinction n'a aucun effet macroéconomique[1]

La seule différence arbitraire est que les cotisations salariales apparaissent sur la fiche de paie, parce qu'officiellement elles sont "versées par le salarié" alors que les cotisations patronales sont "versées par l'employeur"...Une autre différence arbitraire, l'affectation des deux cotisations. Les cotisations patronales financent principalement l’assurance chômage, l’apprentissage et la formation professionnelle et les assurances sociales (maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail, invalidité et allocations familiales). Les cotisations salariales financent aussi l’assurance chômage mais également la retraite complémentaire du régime général, la sécurité sociale (maladie, veuvage, vieillesse).

Le salaire brut est la somme du salaire net et des cotisations salariales. Il est arbitraire et artificiel lui aussi, puisqu'il n'englobe pas les cotisations patronales.

1.3 Salaire indirect, salaire différé, salaire mutualisé ?

Le salaire socialisé est parfois appelé salaire indirect, ou salaire différé.

Le terme "différé" est incorrect car il laisse entendre que cette part du salaire reviendra plus tard au travailleur, comme si entre temps elle dormait dans une caisse personnelle.

Le terme "indirect" est un peu plus juste mais il sous-entend également que cette part revient quand même précisément au travailleur qui l'a perçue.

En réalité, ces cotisations alimentent un "pot commun" qui sert à payer ceux qui sont aujourd'hui à la retraite, au chômage, ou malades. Si un salarié qui cotise actuellement est à la retraite ou au chômage des années après, ce sera plus du tout avec l'argent qu'il aura versé qu'il sera payé, mais avec les cotisations des salariés d'alors. En revanche, si un salarié tombe malade et est remboursé par la sécurité sociale, il peut considérer qu'une "proportion" de l'argent qu'il reçoit est due à ses cotisations actuelles... Quoi qu'il en soit, c'est bien le terme socialisé, ou salaire mutualisé, qui reflète le mieux ce système de solidarité entre travailleurs.

2 Salaire socialisé ou fiscalité ?

Il peut aussi y avoir une sécurité sociale qui ne repose pas sur les cotisations mais sur l'impôt. Mais dans ce cas, son financement est plus précaire (un impôt peut être facilement réaffecté par l'Etat) et plus injuste, car la fiscalité est en général régressive (elle pèse plus sur les plus pauvres). En pratique actuellement, la sécurité sociale reçoit souvent à la fois une part de salaire socialisé et une part d'impôts. En France par exemple, la "TVA sociale" est une façon de fiscaliser la sécurité sociale (la faire reposer sur l'impôt).

En dernière analyse, même une "sécurité sociale" fondée sur des impôts repose sur la création de richesse par les travailleurs. Mais idéologiquement, cela créé une grosse différence : les "pensions" ou "allocations" paraissent alors provenir d'une charité publique au lieu du travail.

3 Historique

3.1 Origines

Avant que la sécurité sociale existe, il revennait à chaque travailleur d'épargner pour prendre un jour une retraite, pour le cas où il tomberait malade ou pour le cas où il perdrait son emploi. Il va de soi que beaucoup n'y parvenaient pas, en raison de salaires trop bas et de la concurrence entre travailleurs : si un travailleur exige un salaire suffisant pour pouvoir économiser, même modestement, pour prendre une retraite, il sera écarté par un travailleur (au chômage par exemple) qui lui est prêt à n'importe quel salaire même s'il lui permet à peine de vivre au jour le jour.

La solidarité de classe est néanmoins rapidement apparue au cours du XIXème siècle, et particulièrement vers les dernières décennies où les mutualités ouvrières se sont généralisées.

L'Etat bourgeois en est venu progressivement à assumer une part croissante d'assistance publique, ou d'organisation des caisses de salaire socialisé, parce qu'il voulait intégrer les organisations de travailleurs et gommer autant que possible la lutte des classes. En Allemagne, c'est Bismarck qui développé un système social entièrement nouveau pour l'époque. En France, on peut citer notamment l'instauration des retraites ouvrières et paysannes en 1910, par le Parti radical. Il faut noter qu'à l'origine, la CGT révolutionnaire était opposée à toute cotisation payée de la poche des salariés, elle s'est donc opposée à ces retraites. Ce n'est qu'en 1926 que a CGT a accepté les "assurances sociales".

3.2 Après 1945

Le système moderne de cotisations sociales s'est mis en place et généralisé dans l'Après guerre, dans un contexte de pression du mouvement ouvrier et de croissance économique. Ce système a relativement fonctionné pendant les 30 glorieuses, puis le taux de profit des capitalistes a commencé à chuter, donc l'investissement et la croissance à chuter.

PrélèvementsSalaireBrut.png

Le poids des cotisations sociales a augmenté sous plusieurs effets :

  • augmentation du nombre de retraités avec le vieillissement de la population
  • augmentation du nombre de chômeurs avec le tournant néolibéral
  • augmentation des remboursements médicaux (avec les maladies professionnelles, celles dues à l'environnement dégradé, celles de la population âgée...)

Le graphe ci-contre montre que pour un salarié, la part du salaire net s'est réduite au détriment du salaire socialisé - ce qui tend à éroder la solidarité de classe en créant des tensions entre actifs et chômeurs, ou jeunes et vieux salariés. Cela montre en réalité que ce système de salaire socialisé, géré par l'Etat, le patronat et les bureaucraties syndicales, a fait peser la dégradation du capitalisme... sur les épaules de classe travailleuse.

C'est ce que montre entre autre les 3 courbes suivantes : l'écart entre salaire superbrut et salaire net représente la part payée par les travailleurs du chômage et du vieillisement de la population.

ProductivitéSalaireSuperbrutNetFrance.png

Dans les années 1990, les gouvernements ont mené des politiques d'éxonérations de cotisations patronales, pour favoriser "baisser le coût du travail" et favoriser l'emploi, ce qui est effectivement un des seuls leviers sous le capitalisme. Les résultats n'ont pas été visibles sur l'emploi, mais d'après certaines études[2], le chômage serait bien plus élevé si elles n'avaient pas été réalisées. En revanche, ces "allègements" ont une conséquence directe : l'Etat doit compenser le manque à gagner du salaire socialisé, autrement dit, via les impôts régressifs, le prolétariat paie en grande partie pour ce qui était avant déboursé par le patronat.

CotisationsSocialesFrance.jpg

Il est à noter que ce sont les "cotisations patronales" qui ont été allégées, pour une raison simple : les cotisations salariales entrent dans le salaire brut, qui est fixé par la loi et les conventions collectives, et donc moins facilement modifiables par l'Etat.


4 Notes et sources