Rapprochement entre le SWP et le MAB

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Le Socialist Workers Party (SWP) qui est un parti relativement important de l'extrême-gauche britannique, a jugé opportun pour la lutte anti-impérialiste de se rapprocher de la Muslim Association of Britain (MAB), qui est un groupement proche d'intégristes islamistes.[1]

Ce rapprochement est très controversé. Passons sur les réactions épidermiques des réactionnaires et intéressons-nous aux critiques qui ont été adressées entre camarades.

1 Les faits

L'objectif affiché intitialement était celui d'un front unique dans le mouvement contre les guerres (Afghanistan, Iraq... menées conjointement par les Etats-Unis et le Royaume-Uni), pour les droits des palestiniens, contre le racisme et l'islamophobie...

Le rapprochement s'est ensuite approfondi jusqu'à déboucher sur une coalition électorale Respect en 2004, suite à l'indignation faisant suscitée par l'invasion de l'Iraq. La MAB n’a pas adhéré en tant que telle à Respect, mais l’alliance s’est traduite, par exemple, par la candidature sur les listes de Respect d’un dirigeant en vue de la MAB, l’ex-président et porte-parole de l’association.

L’objectif, en soi, est légitime, s’il se traduit par le souci de recruter parmi les travailleurs et travailleuses d’origine immigrée, par une attention particulière prêtée à l’oppression spécifique qu’ils/elles subissent, et par la mise en avant, à cette fin, de militant/es de gauche appartenant à ces communautés, notamment en les plaçant en bonne position sur les listes électorales.

2 Critique de ce rapprochement

2.1 Confusion et ambigüité entretenues

Rien de répréhensible, en principe, à une telle alliance pour des objectifs bien délimités, à condition de respecter strictement les principes qui permettent de garder une clarté politique.[2]

Ce que ne fait pas le SWP en :

  • mélangeant les bannières et les pancartes, au propre comme au figuré
  • minimisant l’importance des différences politiques avec les alliés intégristes du jour
  • traitant ces alliés de circonstance comme s’il s’agissait d’alliés stratégiques, en rebaptisant «anti-impérialistes» ceux dont la vision du monde correspond beaucoup plus au choc des civilisations qu’à la lutte des classes

2.2 Une alliance électorale trompeuse

Cette tendance s’est aggravée avec le passage d’une alliance dans le contexte d’une mobilisation antiguerre à une alliance électorale, type d’alliance qui suppose une conception commune du changement politique et social - avec ce genre de partenaires. Ce type d'alliance peut donner l’impression trompeuse que "l'allié" intégriste s’est converti au progressisme social et à la cause de l’émancipation des travailleurs... et des travailleuses !

Ce n'est alors plus la situation de front unique "sans engagement politique réciproque". Au contraire, face aux critiques inévitables, les militants trotskystes se retrouvent à minimiser, sinon cacher, les divergences profondes qui les opposent à eux. Ils en deviennent les avocat/es, voire les parrains et marraines auprès du mouvement social progressiste.

C’est ainsi que Lindsay German, dirigeante centrale du Socialist Workers Party britannique et de la coalition Respect, a signé dans The Guardian du 13 juillet 2004, un article qualifié de «wonderful» sur le site web de la MAB. Sous le titre «Un insigne d’honneur» («A badge of honour»), l’auteure défend énergiquement l’alliance électorale avec la MAB, en expliquant que c’est un honneur pour elle et ses camarades de voir les victimes de l’islamophobie se tourner vers eux, avec une justification surprenante de l’alliance avec la MAB. Résumons-en l’argumentaire: les intégristes musulmans ne sont pas les seuls à être anti-femmes et homophobes, les intégristes chrétiens le sont également. D’ailleurs, de plus en plus de femmes parlent pour la MAB dans les réunions antiguerres (comme dans les meetings organisés par les mollahs en Iran, pourrait-on ajouter). Les fascistes du BNP (British National Party) sont bien pires que la MAB.

«Certes, poursuit Lindsay German, certains musulmans - et non musulmans - ont, sur certaines questions sociales, des vues qui sont plus conservatrices que celles de la gauche socialiste et libérale. Mais cela ne devrait pas empêcher de collaborer sur des questions d’intérêt commun. Insisterait-on dans une campagne pour les droits des gays, par exemple, pour que toutes les personnes qui y participent partagent le même point de vue sur la guerre en Irak?»

L’argument est tout à fait recevable s’il ne concerne que la campagne antiguerre. Mais s’il est utilisé pour justifier une alliance électorale comme Respect, au programme beaucoup plus global qu’une campagne pour les droits des gays et des lesbiennes, il devient tout à fait spécieux.

2.3 Un mauvais calcul

L’électoralisme est une politique à bien courte vue. En vue de réaliser une percée électorale, les camarades britanniques jouent, en l’occurrence, un jeu qui dessert la construction d’un parti révolutionnaire de masse dans leur pays. Ce qui les a déterminés, c’est d’abord et avant tout, un calcul électoral: tenter de capter les votes des masses considérables de personnes issues de l’immigration qui rejettent les guerres en cours menées par Londres et Washington (notons, en passant, que l’alliance avec la MAB s’est faite autour des guerres d’Afghanistan et d’Irak, et non autour de celle du Kosovo - et pour cause!). 

En face, il n'apparaît pas que le progressisme ait fait du chemin par cette méthode. Voici comment appelle à voter le cheikh Haitham Al-Haddad[3] : «Voter pour un candidat ou un parti qui gouverne selon la loi des hommes n’implique pas d’approuver ou d’accepter sa méthode». Il s’ensuit que «nous devons participer au vote, avec la conviction que nous tentons ainsi de minimiser le mal, tout en soutenant l’idée que le meilleur système est la Charia, qui est la loi d’Allah».

Il est des soutiens, comme celui du cheikh Al-Haddad, qui sont des cadeaux empoisonnés. Il faut savoir désavouer ceux dont ils émanent: la bataille pour l’influence idéologique au sein des populations issues de l’immigration est d’une importance beaucoup plus fondamentale qu’un résultat électoral. Faute de quoi, l’emprise des intégristes sur les populations musulmanes risque d’atteindre un niveau dont il sera fort difficile de la faire reculer. Le fossé entre ces populations et le reste des travailleuses et des travailleurs en Europe s’en trouverait élargi, alors que la tâche de le combler est l’une des conditions indispensables pour substituer le combat commun contre le capitalisme au choc des barbaries.

3 Notes et sources

Cet article se base sur l'article de Gilbert Achcar : Marxistes et religion, hier et aujourd'hui

  1. La MAB est proche du courant international des Frères Musulmans, que l'on peut considérer comme l'aile modérée de l'intégrisme islamique. Il est important de noter que la MAB est loin de représenter la majorité des musulmans de Grande-Bretagne.
  2. Tels qu'énoncés par Parvus et répétés maintes fois par Lénine et Trotski :fckLR1) Ne pas mélanger les organisations. Marcher séparément, mais frapper ensemble. fckLR2) Ne pas renoncer à ses propres revendications politiques. fckLR3) Ne pas cacher les divergences d’intérêt. 4) Suivre son allié comme on file un ennemi. 5) Se soucier plus d’utiliser la situation créée par la lutte que de préserver un allié.
  3. Fatwa datée du 5 juin 2004 et publiée sur le site de la MAB.