Révolution iranienne

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La révolution iranienne de 1979 fut un processus révolutionnaire appuyé sur une vaste mobilisation populaire dont le camp socialiste constituait une part non négligeable. Mais en raison des erreurs et des faiblesses de ce camp socialiste, ce sont les islamistes de Khomeiny, représentant l'aile la plus réactionnaire du nationalisme arabe, qui se hissèrent au pouvoir.

Il est très intéressant d'analyser ce puissant soulèvement populaire qui a terrifié les régimes du Moyen-Orient, les puissances occidentales, et alarmé la bureaucratie stalinienne, alors engagée dans un commerce lucratif avec l’Iran.

1 Contexte

Les analogies entre la révolution iranienne de février 1979 et celle de février 1917 en Russie sont nombreuses, et notamment le régime autoritaire, la dynamique sociologique, la domination impérialiste, ou encore l'oppression des minorités nationales (Kurdes, Arabes, Turcomans...).

1.1 La dictature du Shah

La regime du shah (mot iranien pour "roi") Mohammed Reza Pahlavi est formellement une monarchie, héritière de l'État féodal ancestral de Perse. Comme sous la Russie tsariste, ce sont surtout les anciennes classes dominantes qui parviennent à garder la main sur le développement du pays. Surtout à partir des années 1950, la noblesse tente de se muer en bourgeoisie. De vastes réformes agraires sont menées, aidant les propriétaires terriens à devenir capitalistes ou à concentrer davantage de terres entre leurs mains.

45 familles contrôlent 85% des grandes et moyennes entreprises et les 10% les plus riches de la population détiennent 40% de l’argent du pays, ce fossé se creusant chaque jour davantage. Quand les prix du pétrole ont quadruplé entre 1972 et 1975 suite à la guerre israélo-arabe, le Produit National Brut (PNB) iranien avait augmenté de 34% en une seule année. Des milliards sont alors tombés dans les poches du shah et de sa clique.

La SAVAK, la police secrète du Chah, forte de 65 000 personnes, avait infiltré chaque couche de la société, avec des méthodes empruntées à la sinistre Gestapo nazie. Ces méthodes avaient d’ailleurs été ‘améliorées’ à tel point que le dictateur chilien Augusto Pinochet avait envoyé ses tortionnaires se former à Téhéran. Le pays semble tenue d'une telle main de fer que les experts de la CIA estimaient dans un rapport de septembre 1978 que le régime pouvait rester stable au moins une décennie...

1.2 La domination impérialiste

Depuis le XIXème siècle, l'Iran est au milieu d'une lutte d'influence entre les puissances impérialistes. Ce sont d'abord les Britanniques et les Russes qui se battront (convention anglo-russe de 1907), puis ce seront les Etats-Unis qui se tailleront une part toujours plus importante au XXème siècle, au coude à coude avec les Anglais dans la course au pétrole. L’Iran était le second plus gros exportateur de pétrole en 1978, et le quatrième plus gros producteur. Ainsi en 1953, un complot soutenu par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (opération Ajax) parvient à écarter le premier ministre Mossadegh, qui voulait nationaliser l'industrie pétrolière et avait réussi à écarter le shah.

Dans le contexte de la guerre froide, l'Iran représente aussi un autre enjeu pour le Bloc de l'Ouest : constituer un État tampon face à l'expansionnisme de l'URSS en Asie.

Pour ces raisons, les dirigeants occidentaux ont soutenu le renforcement brutal de l'État du shah, la CIA a aidé à la formation des forces de l'ordre...

1.3 L'opposition nationaliste et cléricale

Aucune révolution bourgeoise n'a pu réussir en Iran. Mais le pays est touché par la modernité, sous l'effet des capitaux étrangers, du développement inégal et combiné, et des concessions face au mouvement démocratique bourgeois (notamment le parlement - majlis). Mais ce dernier reste faible, notamment depuis son échec en 1953. La tête du Front National d’Iran, avec Mehdi Bazargan, demande seulement des assouplissements, et l'aile plus radicale se soumet à cette direction.

C'est le clergé intégriste chi'ite qui va capter l'essentiel de la radicalité. Cette institution est forte de 120 000 membres, et transversale à la société : le haut clergé est lié aux classes possédantes, le bas clergé, plonge ses racines dans une petite-bourgeoisie urbaine et rurale largement paupérisée. D'abord, le clergé est épargné par la répression, ce qui permet aux prêches radicaux de toucher un large public dans les mosquées. Les islamistes dénoncent le Grand Satan états-unien, ce qui fournit une idéologie à l'anti-impérialisme latent dans la population. Ils dénoncent la modernisation "à l'occidentale" conduire par le shah, profitant de ce qu'elle ne profite qu'à une infime minorité, et lui opposent un retour à un islam mythique. Bien que socialement réactionnaires, ils gagnent une réelle assise populaire, en exaltant les déshérités (mostazafine) et en menant des actions caritatives paternalistes. Même s'ils ne luttent pas pour la "démocratie" et ne sont pas en phase avec la (faible) bourgeoisie progressiste, l'abnégation et le courage des islamistes suscitent largement l'admiration. La figure de l'Ayatollah Khomeiny, exilé depuis 1964, personnifie ce mouvement politico-religieux.

1.4 Un prolétariat dynamique mais non défendu

Depuis les années 1960-1970, le développement capitaliste s'accélère, notamment dans le secteur pétrolier, la sidérurgie, le textile. En conséquence le prolétariat urbain grossit et s'éveille à la lutte sociale et politique. En parallèle, la paysannerie a beaucoup souffert des réformes agraires : 1,2 millions de paysans ont été prolétarisés. La population urbaine a doublé pour atteindre 50%. Téhéran était passé de trois millions d’habitants à cinq millions entre 1968 et 1977, avec 40 bidonvilles autour de ses banlieues.

Environ un quart des Iraniens étaient dans une situation de pauvreté absolue. Avant la révolution, 66% des travailleurs dans le secteur des tapis de la ville de Mashad étaient âgés de six à dix ans tandis qu’à Hamadam, une journée de travail était de 18 heures. En 1977, la plupart des travailleurs gagnait 40£ par an. Même s’il existait formellement un salaire minimum, 73% des travailleurs gagnaient encore moins que cela… En 1947, il n’y avait que 175 grandes entreprises employant 100 000 travailleurs. 25 ans plus tard, 2,5 millions de travailleurs étaient engagés dans les usines, un million dans l’industrie de la construction et presque le même nombre dans le transport et les autres industries.

En comparaison, le poids de la classe ouvrière était bien plus important que dans la russie de 1917 - environ quatre millions de travailleurs sur une population de 35 millions. En revanche, il manque cruellement une organisation ouvrière indépendante véritablement enracinée et programmatiquement solide. Le Parti communiste iranien (Tudeh), bien que très impliqué dans la résistance clandestine, est discrédité par sa stratégie stalinienne et par les relations "amicales" qu'entretiennent Moscou et Pékin avec Téhéran. Quant aux syndicats, ils sont interdits et sévèrement réprimés.

2 Déroulement

2.1 1975-1978 : crise et agitation

Avec la crise économique de 1975-1976, le mécontentement s'accroît. Le shah declare en 1976 : "Nous n’avons pas encore demandé au peuple de faire des sacrifices. Au contraire, nous les avons comme couvert d’ouate. Les choses vont maintenant changer. Chacun devra travailler plus et être prêt à faire des sacrifices au service du progrès de la Nation." Les conditions de travail et la répression anti-ouvrière provoquent une vague de grèves. Les étudiants étouffent par manque de libertés. Les fastes mégalomaniaques de la cour impériale contrastent cruellement avec une misère croissante.

Entre octobre 1977 et février 1978, des manifestations de masse et des grèves se répandent sur l'Iran. Revendiquant des droits démocratiques et leur part de la richesse du pays, les étudiants, puis la classe ouvrière, bravent les balles et occupent les rues. En janvier 1978, après que des tirs mortels aient touché plusieurs centaines de manifestants à Qom, une grève de deux millions de travailleurs s’étend de Téhéran à Isphahan, Chiraz et Mashad. Les ouvriers créent spontanément des comités de grève. De plus en plus, les soldats fraternisent avec la foule en criant: “Nous sommes avec le peuple !”. Partout, on réclame ouvertement le départ du shah. Les travailleurs des services publics et des banques ont joué un rôle crucial pour exposer au grand jour la corruption du régime. Des employés de banque avaient ainsi ouvert les livres de compte pour révéler que durant les trois derniers mois de 1978 uniquement, un milliard de livres sterlings avaient été détournés du pays pour finir dans les poches de 178 membres de l’élite iranienne. D’autre part, le shah avait sauvé une somme similaire aux USA. La réponse des masses, furieuses, a été de brûler environ 400 banques.

De son exil, Khomeiny prend dès 1978 la tête du clergé et du mouvement révolutionnaire en s'appuyant sur un bloc hétérogène composé du bas clergé, de la bourgeoisie marchande, de la petite-bourgeoisie, des étudiants, des travailleurs et du lumpenprolétariat (les mostazafine). Son objectif clair de renverser le shah, quand les autres forces bourgeoises tergiversent, le rendent populaire et masquent son programme réactionnaire. D'un contenu purement "démocratique", le discours du Front National de Mehdi Bazargan évolue largement vers la gauche. L'islam est omniprésent, mais les insurgés le voient comme un véhicule de l'anti-impérialisme, et même d'un certain socialisme indéfini. Les pancartes tenues par les manifestants et les grévistes clamaient: «Vengeance contre le shah et ses amis impérialistes américains», d’autres revendiquaient «Une république socialiste basée sur l'Islam». C'est pourquoi ces puissantes luttes ouvrière sont restés dans le giron des bourgeois.  Les manifestations de rue notamment restent fermement sous le contrôle du clergé et de ses alliés bourgeois.

2.2 1979 : révolution et double pouvoir

Début 1979, une grève générale et des manifestations de masse sans précédent provoquent la fuite du shah le 16 janvier. Mais la mobilisation et la conscience politique est alors telle que cela ne peut suffire. Le régime absolutiste ne peut rester tel quel. Le 1er février, Khomeiny fait une entrée triomphale à Téhéran. Les 10 et 11 février 1979, une insurrection populaire renverse l'ancien État.

Mais malgré l'ampleur et l'importance de la grève, malgré l'apparition des shoras - sorte de conseils issus des comités de grève - la classe ouvrière ne prend toujours pas la tête de la révolution. C'est au contraire un Conseil de la révolution islamiste, dominé par le clergé et ses alliés bourgeois, qui organise le nouvel État.

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Le PC iranien, et les autres organisations comme les Fedayin du Peuple (‘marxiste’) et l’Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien (islamistes de gauche), bien qu'influents et armés, décident comme le Front National de se mettre à la remorque de Khomeiny et soutiennent la "République islamique". Même si les progressistes entendent par là une république démocratique, ils laissent de fait les mains libres à la réaction.

Le processus révolutionnaire s'intensifie néanmoins, ce qui créé virtuellement une situation de double pouvoir, bien que le pouvoir ouvrier et paysan n'ait pas eu d'ambition proprement politique. Les travailleurs, tout au long de l'année 1979, mènent des grèves importantes pour obtenir les 40 heures, des augmentations de salaires, l'élection des responsables des entreprises nationalisées, etc. Les paysans pauvres occupent des terres. Les universités sont en ébullition. Les minorités nationales revendiquent l'autonomie. Face à une telle agitation, le clergé et la bourgeoisie s'efforcent par tous les moyens de maintenir l'État bourgeois en vie, de le renforcer en doublant ses institutions traditionnelles (armée, justice, police) par des institutions islamiques. L'objectif prioritaire est, pour eux, la normalisation d'un processus révolutionnaire qui pourrait les déborder, et aussi la relance de l'économie capitaliste.

A cette fin, Khomeiny, devenu "Guide" religieux du pays et détenteur du vrai pouvoir, combine dans les mouvements de masse qu'il peut contrôler répression sélective, concessions économiques et sociales, encadrement par des organes islamistes (il crée ainsi des shoras islamistes pour vider de leur substance les shoras originelles). Face aux minorités nationales, il use de la répression de masse menée par l'armée traditionnelle et les Pasdarans, les gardiens de la révolution islamiste. En novembre 1979, Bazargan démissionne, et à travers lui, c'est le courant démocrate de la bourgeoisie qui est écarté.

2.3 1980 : canalisation réactionnaire et guerrière

L'ampleur du mouvement de masse est tel que Khomeiny doit trouver un puissant substitut démagogique pour le canaliser durablement: l'occupation de l'ambassade des États-Unis et la prise en otage de ses membres. Les profonds sentiments anti-impérialistes de la population sont ainsi "défoulés" dans un geste de défi aux États-Unis, certes, mais pas à l'impérialisme en tant que tel : les liens économiques sont laissés intacts. De fait, dans la propagande du nouveau régime, on parle plutôt de "Grand Satan" américain. Sous couvert d'anti-impérialisme, on diabolise tout l'Occident, ses "valeurs", les conquêtes démocratiques, le marxisme, etc.

La menace d'invasion des États-Unis, puis, à partir de septembre 1980, la guerre avec l'Irak fournissent le prétexte idéal pour "souder" la nation autour du Guide suprême et écraser toute opposition, aussi bien petite-bourgeoise démocratique, que paysanne, étudiante et ouvrière. Au nom de la défense de la révolution, les masses sont acquises au régime et se lancent avec toute leur ardeur, du moins au début, dans une guerre atroce.

Pour longtemps, un régime autocratique s'installe, avec un parti unique : le Parti de la révolution islamique qui, ensemble et en fusion avec l'État et le clergé, encadre toute la population. Des lois rétrogrades abolissent les conquêtes démocratiques de 1979 et s'attaquent durement aux femmes - alors que ces dernières ont joué un rôle de premier plan dans la révolution. Le Guide suprême domine le tout ; un culte de la personnalité lui est consacré. Même alliés du nouveau régime, les partis et personnalités bourgeoises sont peu à peu écartés du pouvoir.

3 Evolutions ultérieures

Si le régime s'est maintenu aussi longtemps, c'est donc pour une part parce qu'il a su incarner une certaine continuité avec la révolution dont il est issu et à laquelle reste attachée la population. Mais la répression brutale, l'endoctrinement, la manipulation psychologique, une guerre de 7 ans dont l'hécatombe a pu résorber un chômage endémique, une certaine politique sociale (financée comme la guerre par la rente pétrolière) sont les autres raisons du maintien de l'un des régimes les plus réactionnaires de l'histoire. Après la fin de la guerre avec l'Irak en 1988 et avec la mort de l'Ayatollah Khomeiny en 1989, les choses ont peu à peu commencé à changer. Signe de ce changement, les pouvoirs du chef religieux ont été restreint en faveur du président de la République. Pour survivre économiquement à l'heure de la mondialisation capitaliste, le pays a dû, en outre, s'ouvrir davantage et se moderniser. Vingt ans après la révolution, l'Iran est ainsi devenue une nation moderne, et aussi une puissance régionale incontournable. Mais si aujourd'hui beaucoup regrettent toujours le Guide suprême, bien peu sont prêts à revenir en arrière.

L'usure de l'idéologie chi'ite intégriste est patente. Les manifestations contre le Grand Satan ne rassemblent plus que quelques centaines de fanatiques et des publicités Coca-Cola ornent les murs des gratte-ciel de Téhéran. Les femmes reconquièrent des espaces de liberté. La jeunesse aspire à plus de droits. Le chômage touche particulièrement des jeunes, lassés par les restrictions, la corruption et les entraves économiques au mariage (la dot). Et la chute du prix du pétrole n'arrange évidemment rien pour le pouvoir. La situation sociale menace de devenir explosive : la contestation étudiante de 1999 furent les premiers signes, les manifestations massives du "printemps arabe" le confirment.

4 Nature de la révolution de 1979

Le contraste avec les espoirs suscités en 1979 est frappant, mais la réalité est plus complexe. Il n'y a pas eu de "contre révolution" ni d'usurpation de la révolution par Khomeiny. Si son régime a duré, c'est aussi parce qu'il est en continuité avec un processus révolutionnaire qui, bien qu'ayant démarré sur des bases démocratiques et nationales, fut dès le début imprégné et orienté par le clergé islamiste.

Comme l'a noté Salah Jaber,

"la révolution iranienne est en quelque sorte une révolution permanente inversée. Commencée sur le terrain de la révolution nationale démocratique, elle aurait pu, sous une direction prolétarienne, prendre le chemin de la "transcroissance" socialiste. Sa direction intégriste petite bourgeoise l'en a empêché, la poussant au contraire dans le sens d'une rétrogradation réactionnaire"[1]

5 Notes et sources

  1. Quatrième Internationale, novembre-décembre 1981