Révolution française

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Le Serment du Jeu de paume

La Révolution française de 1789 est aujourd'hui recouverte de bien des mystifications. Les mythes de la République d'abord, "liberté, égalité, fraternité". Mais tout le monde n'est pas leurré par ces grands principes affichés aux frontons de toutes les institutions. "Révolution bourgeoise" alors ? Sans aucun doute, mais encore faut-il comprendre dans quel sens on peut dire cela, et pourquoi c'était surtout un formidable mouvement populaire qui préfigure une prochaine révolution socialiste.

1 L'enchaînement des événements

1.1 La crise de l'Ancien régime

Louis XVI, qui appartenait à la dynastie des Capétiens, régnait sur 25 millions de Français à la veille de la Révolution. La société était d’essence aristocratique, fondée sur une série de privilèges de naissance et sur la propriété terrienne. Cette noblesse, représentant moins de 2% de la population du pays, était exempte d’impôts et détenait le cinquième des terres. Le clergé, reposant sur la perception de la dîme et sur la propriété foncière, comptait environ 120 000 membres. Le Tiers Etat, lui, représentait l’immense majorité de la nation, plus de 24 millions d’habitants. Dans sa célèbre brochure de 1789, Siéyès répond à la question « Qu’est-ce le Tiers Etat? » : « Tout, mais un tout entravé et opprimé. (...) Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. »

Mais ce Tiers, regroupant tous les roturiers, ne formait pas une classe. Il se composait d’une bourgeoisie, portée par la croissance de l’industrie (de 60% sur 80 ans) et du commerce (qui a quadruplé), d’une paysannerie, d’une petite-bourgeoisie et des classes populaires des villes (petits boutiquiers, artisans, compagnons, ouvriers des manufactures). Le souci essentiel du "petit peuple" était le pouvoir d’achat. Le pain manquait. L’agriculture, freinée par les rapports de propriété féodaux, était incapable de suivre l’explosion démographique. A la veille de 1789, la part du pain dans le budget populaire constituait 58% ; elle fut portée à 88% en 1789, ne laissant que 12% du revenu pour les autres dépenses. L’Etat s’endettait de plus en plus, suite à la crise économique de la fin des années 1770 et à la participation de la France à la guerre d’Indépendance des Etats-Unis. Dans un pays prospère, l’Etat était au bord de la faillite, les privilégiés refusant de consentir à l’égalité devant l’impôt. La noblesse, détenant le monopole du pouvoir politique, pouvait bloquer toutes les mesures qui allaient à l’encontre des ses privilèges.

1.2 La révolte des sans-culottes

Le prix du pain en juillet 1789 était remonté à son niveau le plus élevé depuis 1707. En avril 1789, les ouvriers de la fabrique de Réveillon, manufacture de papiers peints, s’étaient mis en grève. L’intervention de la troupe dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine à Paris a fait plus de 300 morts. Des 71 victimes arrêtées ou mortes, 58 étaient salariés. La lutte des classes moderne s’annonçait déjà. La composante prolétarienne des sans-culotte parisiens deviendra l’une des principales forces motrices de l’avant-garde de la Révolution contre l’Ancien régime. Les 11 et 12 juillet, 40 des 45 barrières douanières de l’enceinte des fermiers généraux furent saccagées. Les masses non possédantes sont descendues dans l’arène pour détruire les derniers vestiges du féodalisme.

Le 14 juillet, les sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine ont pris la Bastille, forteresse dont le rôle était de dominer l’Est parisien, plébéien. Les masses voulaient des armes. Elles voulaient aussi détruire cette prison pour dettes, hautement symbolique. La prise de la Bastille, qui n’était aucunement commandée par la bourgeoisie, marque l’entrée des masses parisiennes sur la scène de la Révolution comme force indépendante. En même temps, une série d’insurrections urbaines eut lieu également à Rennes, à Caen, au Havre, à Strasbourg et à Bordeaux. Ce sont les masses urbaines qui, par leurs interventions décisives, ont contré à la fois la réaction monarchiste et les hésitations des bourgeois. En octobre 1789, les femmes de Paris ont marché sur Versailles et sont rentrées à Paris avec le roi fait prisonnier.

De ce mouvement sans-culotte va naître une tentative de gouvernement poulaire, la Commune de Paris, avec ses sections locales, sa démocratie directe et agitée, et ses revendications socialisantes...

1.3 Les Girondins

De son côté la bourgeoisie se réunit et débat vivement dans le tout jeune Club des Jacobins. Elle est coincée entre la réaction monarchiste et les revendications des masses populaires. Différentes fractions politiques s'opposent et n’arrive pas à trouver un consensus quant à la forme de gouvernement « qu’il faut à la Nation » (à la bourgeoisie).

Mais des secteurs de plus en plus importants de la bourgeoisie savaient dès l’été de 1791, lors de la fuite du roi à Varennes, dans un contexte de coopération croissante entre les Monarchies européennes, que tout projet de réforme interne ou de coexistence pacifique avec l’étranger était impossible. Un groupe de députés de la région de Bordeaux à l’assemblée nationale - les Girondins - ont trouvé la solution : la guerre. Ces députés espéraient qu’une guerre internationale unirait la nation, du monarque au sans-culotte. Ils avaient également une motivation économique, puisqu’ils appartenaient au secteur de la bourgeoisie le plus concerné par le commerce international, qui avait donc tout à gagner d’une victoire sur la Grande-Bretagne. Le projet a fait faillite, comme les Girondins eux-mêmes. Ils avaient espéré maintenir une monarchie constitutionnelle à travers des victoires militaires. Au contraire, ils ont perdu la guerre et le roi. La défaite militaire a exacerbé la crise économique et a renforcé le républicanisme des sans-culottes. En juillet 1792, les Girondins sont obligés de suspendre la monarchie; en septembre 1792, ils doivent l’abolir; en janvier 1793, contre leur volonté, ils doivent exécuter Louis.

1.4 Les Montagnards

Fin 1792, les Montagnards avaient étendu leur influence dans toutes les principales villes, et leur nom devint synonyme de Jacobins quand les Girondins furent rayés du Club des Jacobins ou en partirent. Ces Jacobins avaient compris qu’il fallait rendre prioritaire la lutte contre l’ennemi à l’intérieur même du pays. Aile radicale de la bourgeoisie, les Montagnards étaient prêts à faire des concessions aux masses populaires afin de mieux s’en servir. Cependant, la rupture avec les sans-culottes était inévitable, étant donné les différences de classe entre ces deux forces politiques.

Après la faillite du projet militaire des Girondins et les révoltes de la Vendée et à Lyon en mars 1793, les députés de la Convention ne pouvaient que soutenir la Montagne. La majorité des députés - le "marais" - ne s’alignaient pas directement sur les principales fractions. Ils changeaient souvent de camp, en fonction de la crise et du soutien populaire dont bénéficiaient les différents programmes des fractions en lutte. En 1793, ils ont tranché en faveur des Jacobins, à la faveur d'une nouvelle mobilisation des masses sans-culottes. Il y eut de nouvelles émeutes de la faim en février 1793. En avril, la Commune de Paris créa son propre comité de correspondance pour entrer en contact avec les autres municipalités. En mai, les sections ont élu leur nouveau comité central révolutionnaire. Le jacobinisme a dû temporairement céder devant cette mobilisation, mais il cherchait à la freiner et à la contrôler. En août, le Comité de salut public, où siégeaient maintenant Robespierre et Carnot, commanda la levée en masse. La guerre à outrance contre les monarchies européennes, contre la Vendée et Lyon insurgé correspondait à la mentalité révolutionnaire des sans-culottes. Malgré quelques réformes en guise de concessions aux masses, la tendance globale de la politique jacobine fut, dans les faits, de réduire l’organisation des sans-culottes. Ce faisant, les jacobins signaient leur propre arrêt de mort.

En septembre 1793, sur la recommandation de Danton, la Convention a limité le nombre de réunions des sections à deux par semaine. C’est la première attaque contre la démocratie des sections. De plus, l’extrême-gauche des sans-culottes, les Enragés, fut décapité : Jacques Roux, trop extrême pour la bourgeoisie, est arrêté. Rentrant de plus en plus en contradiction avec la base sociale qui les avait portés au pouvoir, les 12 membres du Comité de salut public commençaient eux-mêmes à se diviser politiquement sur la voie à suivre. En même temps, ce Comité, suspendu au-dessus de la Convention qui lui avait accordé les pouvoirs révolutionnaires, fut miné par ses propres succès : Lyon fut regagné à la République en octobre 1793 et la Vendée fut écrasée. De même, les armées révolutionnaires de la France avaient vaincu l’Autriche aux Pays-Bas et commencé à envahir l’Espagne. La menace réelle d’invasion et de défaite, qui avait ouvert la voie à la formation du Comité, s’éloignait. La lutte entre Danton et Robespierre au sein du Comité exprimait ce dilemme. Danton voulait assouplir la dictature jacobine sur la Convention et opérer une "ouverture" vers la droite non-jacobine au sein de celle-ci. En avril 1794, la fraction de Robespierre le fait guillotiner avec ses alliés, sous prétexte de corruption. Pour Robespierre, il s’agissait toujours de rester vigilant et donc de garder la dictature centralisée et l’appareil de la Terreur. Mais cette Terreur devait être contrôlée par lui-même et mise au service de la bourgeoisie. Il s’agissait de contrôler les masses plébéiennes en frappant durement leurs dirigeants, tout en portant des coups contre la réaction. La bourgeoisie n’avait pas encore pu consolider son Etat. Jouant le rôle d’un "Bonaparte sans cheval", Robespierre marchait sur une corde raide : il voulait exproprier les masses de leur indépendance politique tout en menant la guerre contre la réaction. Mais frapper contre la gauche, contre le pouvoir des sans-culottes, c’était frapper ceux qui tenaient la corde sur laquelle Robespierre marchait. La Convention de la bourgeoisie avait accepté que sa fraction la plus révolutionnaire prenne le pouvoir pour des raisons tactiques, liées à la conjoncture. Cette décision illustre à la fois la profondeur de la crise révolutionnaire et la montée et la puissance des masses parisiennes. C’est pourquoi la Convention avait accordé les mesures d’exception au Comité du salut public et fait ses dernières concessions à l’égalitarisme de la sans-culotterie, mais seulement « jusqu’à la paix », selon le mot de Saint-Just. Ce faisant, elle avait aussi accepté une dictature sur elle-même, souvent très douloureuse pour elle. En vérité, la bourgeoisie n’avait aucune alternative. Cependant, lorsque les menaces provenant à la fois de la contre-révolution et du peuple disparurent, elle put se débarrasser de sa dictature.

1.5 Thermidor

Le 27 juillet 1794, au mois de Thermidor, la Convention mit fin à la dictature jacobine, exécutant Robespierre le lendemain. La Commune de Paris fut abolie. La Terreur blanche commença, la "jeunesse dorée" s’attaquant aux quartiers plébéiens dans une chasse aux révolutionnaires. Les lois imposant un "maximum" aux fortunes et à la propriété privée furent abolies à la fin de 94. Les salaires, suite à l’inflation, sont tombés à leur niveau le plus bas depuis 89. Les dernières tentatives jacobines de rallier la sans-culotterie étaient donc vouées à l’échec. Les Jacobins devaient eux-mêmes payer le prix de leur travail de démobilisation des masses populaires. Comme l’a noté Saint-Just, "La Révolution est glacée". Ils ont creusé leurs propres tombes en s’aliénant le soutien des sans-culottes. Ils ont ouvert la voie à la réaction et, en fin de compte, à Napoléon Bonaparte.

Loin d’avoir été un "dérapage", un saut dans l’irrationnel, le jacobinisme était le produit d’un mélange hautement combustible de lutte des classes internationalisée, d’une bourgeoisie de plus en plus divisée et de l’intervention musclée des masses plébéiennes. Les Jacobins étaient des guerriers de la révolution bourgeoise qui cherchaient à la défendre à tout prix. Ce faisant, ils ont péri, tenaillés entre la démocratie radicale et la dictature terroriste, entre les besoins de la bourgeoisie et les revendications du peuple, seul garant de la victoire de la révolution. La Convention revient sur les régulations sur le grain, et avec la disette de l'hiver 1794-1795, un soulèvement parisien eut lieu, soutenu de façon opportuniste par les Jacobins, mais il est écrasé. Les insurrections du 12 germinal et du 1er prairial an III (avril et mai 1795) sont un échec, et 1 200 jacobins et sans-culottes sont arrêtés.

2 Nature de la Révolution

L'image que l'idéologie dominante voudrait à tout prix véhiculer, notamment dans les manuels d'histoire, est celle du Tiers-Etat se levant comme un seul homme contre l'insupportable arbitraire de la monarchie absolue. Depuis, il n'y aurait plus que des citoyens égaux dans une démocratie représentant l'intérêt général. En réalité il n'y pas de Tiers-Etat homogène, encore moins de "peuple". Celui-ci était, tout comme la société d'aujourd'hui, traversé de contradictions de classe. La vérité c'est qu'en 1789, les petits-bourgeois, les petits-paysans et les sans-culottes se sont soulevés contre la féodalité, mais aussi contre la bourgeoisie elle-même lorsqu’elle hésitait devant sa "propre" révolution.

2.1 Une révolution bourgeoise...

Les rapports de production féodaux freinaient de jour en jour le développement des forces productives. Ces dernières devaient finir par faire sauter l’ancien ordre féodal. Malgré les divisions réelles entre les différents secteurs et catégories de la bourgeoisie, cette classe formait néanmoins un tout : sa richesse fut d’abord acquise dans le commerce, sous la forme du profit. Cette source de richesse devait inéluctablement retourner cette classe bourgeoisie contre la féodalité qui agissait comme frein au capitalisme embryonnaire. Certes les classes sociales ne sont jamais homogènes et le caractère dégénéré du féodalisme à la fin du 18e siècle, sa recherche de nouvelles sources de financement de l’Etat, explique l’intégration de certains grands bourgeois dans l’Ancien régime. Ceux-ci préféraient donc mille fois maintenir le système existant plutôt que de s’engager dans des revendications audacieuses. Les obstacles au libre développement de la production marchande et capitaliste furent détruits d’en bas, par les producteurs eux-mêmes, par les petits-bourgeois ou par ceux qui sont devenus petits-bourgeois grâce à leur engagement en 1789. La propriété industrielle devait dominer et remplacer la possession des terres comme fondement du nouveau système.

Le 4 août 1789, l’assemblée nationale "abolit entièrement le régime féodal". Les droits seigneuriaux, les privilèges des ordres et la vénalité des offices furent abolis. Désormais, tous les Français pouvaient accéder à tous les emplois et payaient les mêmes impôts (à condition qu’ils possèdent des richesses suffisantes !). Le territoire fut unifié, libérant le commerce. La bourgeoisie commença à faire table rase du système féodal. Le 26 août, l’assemblée adopta la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le seul droit de l’homme proclamé "inviolable et sacré" étant la propriété ! En octobre 1789, l’assemblée a légalisé l’offre de prêts accompagnés d’intérêts. En mai 1790 furent prises les premières mesures en vue de la confiscation et de la vente des terres du clergé. Les traites et douanes intérieures furent supprimées (31 octobre 1790). Les prix des grains furent libérés, ainsi que le commerce. Le 14 juin 1791 fut votée, dans un climat de revendications ouvrières, la loi Le Chapelier, interdisant la grève et les syndicats. Il est donc clair qu’en 1791, la révolution avait déjà ouvert la voie au développement capitaliste. La révolution était d’abord celle de la bourgeoisie commerçante qui créa un marché libre.

2.2 ... avec les masses populaires comme bélier

La bourgeoisie avait beaucoup à gagner, mais certains secteurs craignaient aussi pour ce qu'ils avaient déjà. Le souhait moyen était plutôt une réforme raisonnable du régime qu'un saut dans l'inconnu. Elle avait d’abord tenté d’arriver à un compromis avec la monarchie de Louis Capet, l’assemblée du 4 août 1989 le proclamant "restaurateur de la liberté française". Louis ne pouvait accepter cette offre servile et l’audace du "peuple" et la résistance de l’Ancien régime forcèrent de plus en plus la main à la bourgeoisie. Alors, en dernière analyse, si la révolution de 1789 fut bourgeoise dans ses objectifs et ses tâches historiques, elle fut accomplie malgré une bourgeoisie hésitante grâce à l’action des masses plébéiennes révolutionnaires des villes et des campagnes. Sans la force des masses révolutionnaires, la bourgeoisie aurait reculé. Cette force plébéienne fut à maintes reprises et à tous les moments critiques de la Révolution, la vague de fond qui empêcha la bourgeoisie de fuir et l’obligea à combattre le féodalisme jusqu’au bout.

La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 n’aurait pas eu lieu sans l’action des sans-culottes parisiens : la bourgeoisie à l’assemblée n’avait pas donné le signal de la prise violente de la Bastille et aurait fini par succomber face aux troupes royales.

« Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des bras nus affamés et sans leur irruption dans l’enceinte de l’assemblée, la Déclaration des droits de l’homme n’eût pas été sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes, l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789. Sans le puissant mouvement des masses du 10 août 1792, l’expropriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été, enfin, décrétée; La bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suffrage universel. »[1]

Qui étaient donc ces masses révolutionnaires qui ont assuré la victoire de la révolution bourgeoise ? Le retard du capitalisme français avait eu comme conséquence le développement tardif de l’industrie et, donc, de la classe ouvrière. Chez les sans-culottes, il y avait des ouvriers des manufactures, une classe pré-prolétarienne. Encore loin du prolétariat du XIXème siècle, ce prolétariat embryonnaire comprenait des éléments pré-capitalistes, liés à l’artisanat petit-bourgeois. Initialement les plus farouches opposants au régime féodal, ils sont devenus de plus en plus les adversaires acharnés des bourgeois vacillants. Ils ont forcé la main de la bourgeoisie. L’action de ces masses semi-prolétariennes, armées, constituait une menace permanente pour le pouvoir de la bourgeoisie dont elle était très consciente.

« À côté de l’opposition entre noblesse féodale et bourgeoisie existait l’opposition universelle entre exploiteurs et exploités, riches oisifs et pauvres laborieux. (...). Dès sa naissance, la bourgeoisie était grevée de son contraire : les capitalistes ne peuvent pas exister sans salariés et à mesure que le bourgeois des corporations du Moyen âge devenait le bourgeois moderne, dans la même mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenaient le prolétaire. Et même si, dans l’ensemble, la bourgeoisie pouvait prétendre représenter également, dans la lutte contre la noblesse, les intérêts des diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, à chaque grand mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indépendants de la classe qui était la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne. »[2]

Ce sont ces masses non possédantes qui ont conduit à la victoire la Révolution bourgeoise contre la bourgeoisie elle-même. A la campagne aussi se sont les masses non possédantes qui ont pris l’initiative en prenant possession de la terre pendant l’été 1989. L’abolition formelle de la féodalité par l’assemblée ne fit qu’avaliser ce qui était déjà devenu réalité dans de nombreuses régions. En général, la paysannerie cherchait à abolir les droits féodaux, à confisquer systématiquement les terres et à les redistribuer dans un esprit d’égalitarisme petit-bourgeois. Elle ne voulait pas supprimer le marché mais elle voulait que la propriété privée soit limitée et que tous aient les mêmes avantages sur le marché. Consciente de la nécessité d’empêcher les petits-paysans de régler la question agraire à leur guise, la bourgeoisie a fait décréter par la Convention en mars 1793 la peine de mort pour tous ceux qui "proposeraient la loi agraire". C’est donc d’en bas que la paysannerie a détruit le féodalisme, ouvrant ainsi la voie à l’introduction du capitalisme dans l’agriculture. En même temps, les masses plébéiennes de Paris ont détruit les derniers vestiges politiques du système féodal.

Pour parvenir à ses buts, la bourgeoisie devait mobiliser l'ensemble du Tiers Etat contre l’aristocratie. Mais dans le même temps les revendications populaires étaient sans cesse une menace pour sa propre richess, aussi elle souhaitait mettre fin au mouvement dès que la réaction semblait matée. Le développement insuffisant du capitalisme et le petit embryon de prolétariat qui existait en 1789 ne permettaient pas aux sans-culottes de franchir les limites objectives de la révolution bourgeoise : leur implantation n'était pas assez massive, et aucun leader n'entrevoyait de possibilités assez concrètes de mode de production alternatif.

3 Jacques Roux et "Les Enragés"

Tout à fait conscient de la lutte des classes dans laquelle il s’était engagé, Jacques Roux pousse la Révolution jusqu’au bout.

« A quoi vous servira-t-il d’avoir coupé la tête au tyran et renversé la tyrannie, si vous êtes tous les jours dévorés lentement par les agioteurs, par les monopoleurs ? Ils accumulent dans leurs vastes magasins les denrées et les matières premières qu’ils revendent ensuite à des prix usuraires au peuple qui a faim, aux artisans qui ont besoin pour leur industrie, de laine, de cuir, de savon, de fer. Contre eux aussi il faut se soulever. »

Conscient également du caractère de classe des lois, il explique que « les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches ». On peut donc comprendre que la scission entre les sans-culottes révolutionnaires et les bourgeois hésitants ait été si nette. La bourgeoisie toute entière tremblait devant les paroles et les actes de ces révolutionnaires qui ont osé présenter le Manifeste des Enragés devant la Convention, le 25 juin 1793. Ce Manifeste constate que « les riches seuls, depuis quatre ans, ont profité des avantages de la Révolution » et que les législateurs n’ont pas « prononcé la peine de mort contre les agioteurs et les accapareurs ». Pour Jacques Roux, inspirateur de Babeuf et du communisme moderne, « la classe laborieuse » devait agir contre les profiteurs. Il savait que:

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie ou de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. »

4 Les femmes dans la Révolution française

La Révolution française, malgré les grands principes émancipateurs qu'elle encensait, a maintenu l'oppression séculaire de la femme. Néanmoins, comme dans toute période révolutionnaire, on a assisté à une mobilisation spectaculaire des femmes et à des prises de position courageuses (Condorcet, Olympe de Gouges...).

Dans le sillage du début de la Révolution, des clubs féminins, plutôt bourgeois, s'organisent dans plusieurs villes de France. Rapidement, le mouvement se radicalise, touche les femmes des classes laborieuses, et adopte des modes d'action plus collectifs. La célèbre marche sur Versailles en octobre 1789 en sera l'ouverture. Au paroxysme, le Club des citoyennes républicaines révolutionnaires se rapprochera même de l'aile "socialiste" de la Révolution, les Enragés

Mais toute cette libération nourrissait des rancoeurs masculines, et au moment du repli du mouvement révolutionnaire, la réaction masculine se conjugua parfaitement avec la réaction sociale. Ainsi, assez symboliquement la première mesure réactionnaire de la Convention fut le renvoi des femmes dans la sphère familiale. Après ce recul, le combat féministe ne put se revitaliser que bien plus tard.

5 Autres transformations sociales

Les cahiers de doléances de nombreuses villes réclament l'uniformisation des poids et mesures, chaque province et parfois chaque ville ayant son propre système d'unités. Un premier projet porté par L.F.A. Arbogast est adopté en 1790. La tendance est à l'adoption de points de références de plus en plus objectifs, donc pris dans le monde physique (contrairement aux pouces, pieds...). En 1791, le mètre est défini comme la dix millionième partie du quart du méridien terrestre. En 1793 est adoptée la division décimale, et en 1795 le mètre étalon et le kilogramme.

6 Utilisations politiques

6.1 Les commémorations officielles

En 1989, le gouvernement et les médias ont fait grand bruit autour des diverses manifestations organisées pour commémorer le "bicentenaire". En effet, en grande pompe et à grands coups de publicité, on a fêté plutôt le bicentenaire que la révolution... Car la bourgeoisie française n’a aucun intérêt à fêter la révolution elle-même, première des révolutions modernes qui ait soulevé et mis en mouvement les grandes masses populaires contre toute forme d’oppression. Après tout, il ne fait pas bon évoquer les vieux démons, comme l’action du peuple.

Alors, oui, on a raison de fêter la Révolution de 89, mais en référence à nos propres critères de classe. Fêtons la Révolution que nos ancêtres du prolétariat embryonnaire ont faite. Fêtons les traditions de démocratie directe des sections de la sans-culotterie, d’égalitarisme et de lutte pour le droit au travail des masses plébéiennes. Fêtons l’action des femmes travailleuses, sans laquelle la Révolution n’aurait pas eu lieu. Fêtons l’éclosion du communisme, en se souvenant du programme social de l’extrême-gauche de la sans-culotterie.

6.2 Débats entre socialistes

Les socialistes, et Marx le premier, se sont beaucoup intéressés à la révolution française, souvent nommée la « Grande révolution ». Marx analysait de façon nuancée pourquoi objectivement 1789 a débouché sur une domination de la bourgeoisie en France, tout en soulignant que les sommets de la bourgeoisie ont été conservateurs voire contre-révolutionnaires dans les moments les plus forts de la révolution, et que la force principale a alors été la plèbe parisienne et la paysannerie. Il résumait en disant que « toute la Terreur en France ne fut rien d'autre qu'une méthode plébéienne d'en finir avec les ennemis de la bourgeoisie »[3].

Certains socialistes réformistes comme Jaurès ont souligné le contenu « socialisant » de la révolution française pour mieux défendre l'idée que les républicains devaient naturellement être socialistes.

D'autres réformistes ont minimisé l'aspect populaire, se contentant du schéma selon lequel c'est la bourgeoisie qui dirige la révolution bourgeoise, pour mieux justifier un suivisme de la bourgeoisie dans leur politique immédiate. Ce fut le cas de Plékhanov, vieux marxiste devenu réactionnaire, qui accusait les bolchéviks de vouloir « une révolution bourgeoise sans bourgeoisie ». Lénine[4] et Trotsky[5] insistaient au contraire sur le fait que justement, la bourgeoisie n'était pas révolutionnaire, même pour les tâches démocratiques.

7 Bibliographie

7.1 Articles

7.2 Livres

  • P. Kropotkine, La grande révolution
  • D. Guérin, La lutte de classes sous la première république
  • A. Soboul, Civilisation et révolution Française

8 Notes

  1. D. Guérin, La révolution française et nous, p.15
  2. Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1880
  3. K. Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution, La Nouvelle Gazette Rhénane n° 165, 10 décembre 1848
  4. Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905
  5. Trotsky, Le caractère de la révolution russe, 22 août 1917