Révolution des Pays-Bas (1578-1590)

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Dans la Révolution des Pays-Bas la période 1578-1590 est celle d'un reflux relatif, avec la mise au pas du radicalisme démocratique plébéien, mais aussi la consolidation des acquis bourgeois de ce qui va devenir les Provinces-Unies des Pays-Bas.

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1 1578-1579 : Réaction nobiliaire et catholique

1.1 Menace du duc d'Anjou, négociations du prince d'Orange

Nous sommes au point de rupture de la révolution des Pays-Bas. La noblesse wallone, entre le radicalisme plébéien et le roi, va choisir le roi. Elle a avec elle non seulement le clergé mais les patriciats de nombreuses villes, en particulier celui de la plus grande ville au sud de la Flandre, Lille, où jamais aucun mouvement plébéien ou patriote n’arrive à prendre pied. Lille a la particularité d’être une grande ville drapière, mais d’une organisation corporative traditionnelle et rigide qui a réussi à interdire toute draperie dans la campagne environnante; en même temps Lille est le siège de la Cour des comptes des Pays-Bas, c’est-à-dire le siège d’une nombreuse bureaucratie royale qui se confond avec le patriciat municipal.

Dès juillet 1578 les Etats provinciaux d’Artois, de Hainaut et de Flandre wallone déclarent leur refus du protestantisme et font appel au frère cadet du roi de France, François, duc d’Anjou qui, à la tête d’une petite armée française, entre le 12 juillet à Mons, en Hainaut.

Guillaume d'Orange cherche un compromis. En juin, lui et ses amis proposent aux Etats généraux un projet de “Paix de religion” : dans toutes les provinces, sauf la Hollande et la Zélande qui ont depuis longtemps interdit le culte catholique public, le culte respectivement minoritaire, ici catholique, là protestant, aura droit en chaque endroit au culte public dans une église qui lui sera mise à disposition si cent familles en font la demande. Tous les biens d’Eglise confisqués seront rendus. Le texte final est voté par les Etats généraux le 12 juillet 1578. L’article 27 prévoit la dissolution de tous les comités des Dix-huit, et autres Quinze, qui surveillent les municipalités. Mais la Paix de religion est refusée par tous les Etats provinciaux sauf un. Par ceux de Hollande, de Zélande et de Flandre, qui ont interdit le catholicisme d’ores et déjà. Par ceux des autres provinces au nom de la défense du catholicisme, par la noblesse et le clergé partout, parfois par le Tiers-Etat aussi. Orange insiste, et pour faire une concession aux nobles wallons leur reprend l’idée de la candidature du duc d’Anjou au poste de “Protecteur et défenseur de la liberté belgicque contre la tirannie espaignolle”. Orange assiège les Gantois de lettres, et leur envoie son fidèle Marnix pour les convaincre de se modérer, d’accepter la Paix de religion et Anjou.

1.2 L’Artois, le Hainaut et la Flandre wallonne se rallient au roi

C’est encourager les nobles wallons à agir eux-mêmes contre Gand. Le 1er octobre 1578, Montigny, à la tête des régiments que lui ont confié les Etats généraux, entreprend sans avoir reçu d’ordres, de marcher sur Gand. Il occupe Menin, coupant la route qui relie Arras et Gand et adresse un ultimatum aux Etats généraux: il se retirera si les Gantois sont ramenés à l’obéissance. Les troupes du duc d’Anjou l’y rejoignent et se mettent à piller les campagnes flamandes. Un groupe de prélats, nobles et patriciens de Flandre lui écrit pour lui demander “d’être un vrai Gédéon qui les rétablisse dans leurs biens et libertés”. C’est le mouvement des Malcontents qui exploite le mécontentement des troupes impayées. Le 17 octobre, les Quinze d’Arras prennent le pouvoir; mais le 21 déjà, les troupes des Malcontents écrasent la commune d’Arras et pendent Crugeol, Gosson et leurs amis.

Don Juan, malade, est mort le 29 septembre 1578. Sur son lit de mort, il a lui-même nommé pour successeur son lieutenant et neveu, Alexandre Farnèse, le fils de Marguerite de Parme et du duc de Parme, et bientôt duc de Parme lui-même. Philippe II accepte ce choix. Alexandre Farnèse (1543-1592) va savoir saisir l’occasion et récupérer habilement la réaction catholique et nobiliaire du sud qui est en train de se détacher des Etats généraux. Combinant habilement concessions politiques et effort militaire, il va reconquérir lentement pour le roi les Pays-Bas; jusqu’à sa mort quatorze ans plus lard.

Le 6 janvier 1579 les Etats d’Artois, de Hainaut et de Flandre wallonne concluent “l’Union d’Arras” et entrent en négociations avec Famèse. Le Traité d’Arras du 17 mai 1579 scèle leur ralliement au roi. Les classes dominantes du sud ralliées, le radicalisme calviniste et orangiste écrasé dans le sang, Farnèse tire les leçons des événements et respectera minutieusement les libertés traditionnelles des provinces, évitant d’y stationner des troupes étrangères sinon sur les lignes de front et d’approvisionnement. Il permet aux protestants de réaliser leurs biens pour s’exiler, ou tolère même leur discret culte privé. Aux batailles rangées il préfère des étranglements savants à distance des voies d’échanges économiques, pour forcer à se rendre des villes qu’il traite ensuite plutôt doucement.

Dès le 29 juin 1579, il a capturé Maastricht. Pour se protéger, les Gantois font entrer dans leur ville Jean Casimir, comte palatin du Rhin, prince, calviniste d'Allemagne qu’à la demande des Elats généraux, la reine d’Angleterre a accepté de financer, lui et son armée. Jean Casimir s’empresse de conseiller la modération aux Gantois et l'acceptation de la Paix de religion.

1.3 Orange sacrifie les radicaux

Orange est décidé à réprimer les Gantois et à rétablir l’unité des classes dominantes, et donc maintenir l’unité du pays selon lui, en lui donnant un nouveau roi, qu’il pense bien pouvoir manipuler, le duc d’Anjou.

Déjà le 15 novembre 1578, lors d’une séance houleuse de la municipalité de Gand, Ryhove, qui agit à l’instigation d’Orange, tente en s’appuyant sur le patriciat, de faire décréter l’arrestation d’Hembyze. Une manifestation populaire fait échouer la manoeuvre et exige que Ryhove et Hembyze se réconcilient. Le 2 décembre 1578 Orange vient en personne à Gand. Pesant de toute son autorité, il fait voter par la municipalité, le 8 décembre, l’acceptation de la Paix de religion et le paiement des impôts dûs aux Etats généraux, contre l’avis de Hembyze et des Dix-huit. En application de quoi la première messe catholique est dite à nouveau le 1er janvier 1579 à Gand et le 6 mars 1579 à Ypres. De manière analogue l’acceptation de la Paix de religion est imposée à Anvers, puis à Bruxelles. Le 18 juin 1579 les Dix-huit de Gand sont soumis à la réelection pour la première fois... par la municipalité; qui élit des modérés au lieu des amis de Hembyze. Quatre jours après, la milice urbaine se présente à l’Hôtel de ville pour déclarer qu’elle refuse d’obéir aux nouveaux Dix-huit; la milice chasse plusieurs échevins modérés de la ville et rétablit la composition des Dix-huit en faveur d’Hembyze.

Les 4-5 juin 1579 voient se dérouler à Bruxelles une tentative de coup d’Etat par des nobles dirigés par nul autre que Philippe d’Egmont, le fils du martyr, qui est en correspondance avec Farnèse. Le coup est mis en échec par une mobilisation armée des bourgeois; et la foule bruxelloise de rappeler au jeune Egmont le souvenir de son père. L’indignation plébéienne s’exprime aussitôt par une vague d’émeutes iconoclastes. Le 29 juin Maastricht tombe. Les Gantois n’avaient cessé de dénoncer l’absence de secours des Etats généraux à Maastricht assiégée. Hembyze réagit en purgeant la municipalité des orangistes, en augmentant les impôts et en dénonçant publiquement la politique du prince d’Orange. Le 2 juillet il envoie des troupes à Bruges réprimer une tentative de coup d’Etat patricien et catholique. Les bourgeois riches commencent à fuir la ville de Gand. Orange veut frapper. Le 27 juillet il annonce sa venue à Gand dans une lettre à la municipalité. A la réception de la lettre, Hembyze, s’appuyant sur la milice et la foule, fait démettre la municipalité et désigner une nouvelle qui refuse la venue d’Orange. Le prince d’Orange refuse de reconnaître cette nouvelle municipalité. C’est l’épreuve de force. Un moyen parti dirigé par Ryhove se renforce dans la ville, acceptant la Paix de religion mais refusant la restitution à l’Eglise et au clergé des biens confisqués. Orange arrivé à Gand le 18 août, s’appuie sur ce moyen parti et organise de nouvelles élections à la municipalité. Le 26 il s’adresse à la foule hostile des plébéiens : il leur dénie le droit de vote et leur ordonne de rentrer chez eux. Ce qu’ils font. Hembyze et Dathénus sont exilés et se réfugient dans le Palatinat, chez Jean Casimir. Guillaume d’Orange s’est chargé de mater le radicalisme plébéien flamand. Les Etats de Flandre l’élisent stadhouder de la province.

2 L’Union d’Utrecht

Un projet nouveau, indépendant du prince d'Orange, prend naissance dès juillet 1578 en provenance d’autres secteurs : le projet d’une “Union plus étroite” des provinces, proposé par le comte Jean de Nassau, frère cadet d’Orange et stadhouder de Gueldre. Jean de Nassau, à la différence de son frère, est un calviniste convaincu. Il est violemment hostile à la candidature du duc d’Anjou et ne croit pas à une réconciliation avec la noblesse wallonne. Le projet de “l’Union plus étroite” qui est discuté pendant tout l’automne 1578, marie plusieurs préoccupations : dépasser la désunion, les querelles entre provinces, la non-coordination de leurs efforts, la vulnérabilité et la paralysie qu’elles causent; organiser un compromis entre la noblesse et le patriciat de Gueldre d'une part, farouchement catholiques mais hostiles à la noblesse wallonne car tournés vers l’Allemagne, et d’autre part la bourgeoisie de Hollande et Zélande où le calvinisme est institutionnalisé; amarrer à ce bloc les calvinistes de Flandre, donc canaliser le radicalisme gantois. Le texte de l’Union plus étroite prévoit par conséquent les principaux points suivants :

  • chaque province reste libre de son organisation religieuse, mais la liberté de conscience est accordée à chaque individu;
  • les provinces s’engagent à se défendre mutuellement contre leurs ennemis, en particulier les soi-disant “représentants du roi”;
  • un impôt indirect général est levé sous forme d’une taxe sur toutes les marchandises;
  • aucune province n’a le droit de conclure un armistice ou traité séparé avec une puissance étrangère;
  • les décisions sont prises par les délégués des provinces à la majorité des provinces (et non à l'unanimité comme auparavant).

Le “Traité de l’Union, alliance éternelle et confédération” est signé à Utrecht le 29 janvier 1579. Contrairement à certaines légendes qui ont la vie dure, l’Union d’Utrecht ne fut pas un pacte révolutionnaire, mais pas non plus une entreprise séparatiste des provinces du nord. Ce fut une solution moyenne conçue dans un esprit de consolidation. Gand y adhéra dès le 4 février 1579. Hembyze et ses partisans y collaborèrent activement et poussèrent à adhérer Bruges et Ypres. La ville de Bruxelles et la chambre du Tiers-Etat des Etats provinciaux de Brabant y adhéraient en juin. L’Union d’Utrecht ne fut pas non plus exclusivement néerlandophone puisque Tournai en fut un fidèle membre jusqu’à sa chute. Par contre, le prince d’Orange refusa pendant quatre mois d’y adhérer, car il ne voulait pas couper les ponts avec la noblesse wallonne. Il n’y adhère que le 3 mai 1579 et qu’à la condition que l’union d’Utrecht accepte le duc d’Anjou. En septembre 1579 le collège de l’Union d’Utrecht établit une répartition du financement destiné à la création d’une armée de 100 000 hommes.

Cette répartition donne une idée de l’évaluation de la richesse de chaque province alors:

Brabant 80 000 livres
Gueldre 33 000 livres
Flandre 150 000 livres
Hollande-Zélande 106 000 livres
Utrecht 12 000 livres
Frise 24 000 livres
Groningue 18 000 livres
Overijssel 16 000 livres
Drenthe 5 000 livres


De mai à novembre 1579 s’est tenue une conférence “internationale” à Cologne, où l’empereur Rodolphe II a convoqué les parties en conflit aux Pays-Bas pour rechercher une paix de compromis. Elle échoue malgré les quelques concessions que Philippe II offrait.

3 1579-1580 : Mouvement des Désespérés

Durant l’hiver 1579-1580, les paysans de Gueldre, Frise, Overijssel, Groningue et Drenthe, restés catholiques, excédés par les ravages des mercenaires allemands des Etats généraux, se soulèvent. Cette insurrection paysanne s’est elle-même appelée le mouvement des “Désespérés”. Elle est réprimée avec peine par des troupes fraîches que les Etats généraux y dépêchent, d’abord sous le commandement de Jean de Nassau, puis de Guillaume d’Orange qui accourt en personne.

4 1780-1785 : Recul et encerclement

4.1 La Reconquista de Farnèse

Alexandre Farnèse, qui dispose de moyens gigantesques et dès 1582 de troupes espagnoles nombreuses, progresse lentement dans sa reconquête, son grignotage inquiétant de la Flandre et du Brabant. Dès le printemps 1580 le territoire contrôlé par les Etats généraux s’est restreint à celui de l’Union d’Utrecht et les deux institutions fusionnent de facto. Philippe II a réagi à l’échec de la conférence de Cologne en proclamant la tête de Guillaume d’Orange mise à prix (15 juin 1580). Orange répond en diffusant dans toute l’Europe son Apologie du 15 décembre 1580, texte politique retentissant qui est un réquisitoire contre la politique espagnole non seulement aux Pays-Bas mais dans le monde entier (persécution des maures et des juifs en Espagne, massacre des Indiens d’Amérique...)

Le 2 mars 1580 survient un coup sombre qui ne surprit que les naïfs: le stadhouder de Groningue, un grand seigneur wallon comme par hasard, Georges de Lalaing, comte de Rennenburg, cousin du comte de Lalaing, livre la ville et la province à Famèse auquel il se rallie comme ses cousins. L’avance des armées espagnoles se fait désormais en tenaille, depuis le sudest et depuis le nord; La trahison de Rennenburg, qui avait signé et juré l’Union d’Utrecht, et apparaissait comme un ami du prince d’Orange, déclenche une vague d’émeutes iconoclastes plébéiennes en Frise, Drenthe, Overijssel, à Utrecht et aussi à Bruxelles.

4.2 Rejet du roi d'Espagne

Le 22 juillet 1581, les Etats généraux, réunis à Anvers, votent enfin la déchéance de Philippe II, déclaré tyran par l’Acte d’abjuration. Malgré tous les aspects conservateurs de la politique des Etats généraux des Pays-Bas, c’est un acte révolutionnaire inouï dans l’Europe d’alors. Et la reine Elizabeth d’Angleterre, toute protestante qu’elle soit, et alliée des Etats généraux, de condamner catégoriquement une telle mise en cause de la souveraineté de son ennemi Philippe II !

François duc d’Anjou est proclamé “souverain des Pays-Bas”. Le nouveau souverain, les Etats généraux l’ont enserré de règlements et de comités. Il déclare bientôt qu’on a fait de lui un Matthias. Tous les princes catholiques d’Europe, à commencer par son frère le roi de France, le pressent d’abandonner ce pays rebelle. Le 15 janvier 1583, il tente un coup d’Etat au moyen de ses troupes françaises. Il s’empare de plusieurs villes, mais échoue à rallier les citadins catholiques qui s’unissent aux protestants contre lui. Malgré deux jours de terribles combats, il ne réussit pas à obtenir la maîtrise d’Anvers où siègent les Etats généraux. C’est la “furie française”. Le coup d’Anjou ne lui réussit que dans quelques petites villes de Flandre dont il arrive à s’emparer, dont Dixmude, Dunkerque et Nieuwport. Anjou est définitivement discrédité dans tous les Pays-Bas, et ses Français universellement haïs. Les Etats généraux semblent se rallier à l’idée de se passer de souverain et de proclamer une république “à la suisse”.

4.3 Aveuglement d'Orange

Orange lui, à la surprise générale, conclut que les Etats généraux n’ont pas d’autre choix que de se réconcilier avec le duc d’Anjou, car on ne saurait se passer de l'appui d’une grande puissance étrangère anti-espagnole. Orange fait tant et si bien pour vaincre le dégoût général qu’il obtiendra enfin le 5 avril 1584 que les Etats généraux, contre les voix de Gand et d’Utrecht, acceptent malgré tout de reconnaître à nouveau Anjou comme leur souverain. Cela bien qu’Anjou personnellement ait quitté les Pays-Bas depuis le 28 juin 1583 en quittant Dunkerque et que derrière lui la garnison française ait livré la ville, et Nieuwport aussi, à Farnèse !

Guillaume d’Orange s’aveugle d’une façon suicidaire. Déjà suspect aux yeux des radicaux flamands et brabançons depuis sa mise au pas de Gand, il va désormais être englobé dans la haine qu’ils vouent à Anjou et aux Français. Cela revient à pousser les plébéiens flamands dans les bras d’Alexandre Farnèse ! Et dans l’immédiat à les rapprocher de leurs concitoyens catholiques qui détestent en Anjou l'usurpateur.

4.4 Conflit autour de l'argent sale de Hollande

A cela s’ajoute un conflit de plus en plus violent entre les Flamands et les Hollandais au sujet du fructueux commerce que les marchands hollandais poursuivent non seulement avec la lointaine Espagne, mais aussi avec l’union d’Arras, et Farnèse. La Hollande vend les approvisionnements à l’armée espagnole et les emprunts de Philippe II auprès des banquiers gênois pour payer l’armée de Farnèse, transitent par des banquiers d’Amsterdam. Les Flamands exigent que ce commerce soit interdit. Les Etats de Hollande répliquent que leur importante contribution financière à l’effort de guerre doit bien être gagnée quelque part et que l’argent est décisif pour la survie de tous. L’argument est fort. Le problème c’est que les Flamands vont bientôt répondre que si les Hollandais s’enrichissent en commerçant avec Farnèse, eux-mêmes qui sont en train de crever de la faim et de la peste dans les murs de leurs villes assiégées, ont bien le droit de négocier avec Famèse pour arrêter l’hécatombe. La propagande de Farnèse et de la noblesse wallonne a vite fait d’exploiter le fossé ainsi creusé entre Orange et les villes flamandes. Celles-ci se voient inondées de tracts et brochures royalistes insidieuses qui vont jusqu’à plaindre Hembyze et Dathénus exilés par Orange.

4.5 Chute de Gand, Bruxelles et Anvers

Les Etats de Flandre démettent Orange du stadhoudérat de leur province et pour le remplacer se laissent jeter de la poudre aux yeux par le prince de Chimay, le fils du duc d’Aerschot. Ce jeune ambitieux qui a épousé une princesse protestante joue le pieux calviniste. Dans cette ambiance délétère, les calvinistes radicaux de Gand croient retrouver le droit fil en élisant premier échevin Hembyze le 14 août 1583, le rappelant ainsi de son exil. Mais la situation militaire est de plus en plus désespérée. Il n’y a toujours pas d’armée de 100 000 hommes. Farnèse met le siège devant Ypres en octobre 1583. Dix mois de siège. On mange chevaux, chiens et chats; 14 000 morts de la peste. Après s’être défendue héroïquement, Ypres capitule le 7 avril 1584. Deux semaines avant, le beau prince de Chimay a livré Bruges et il se fait catholique. Une belle carrière l’attend au service du roi d'Espagne.

Hembyze perd la tête. Le 8 janvier 1584 Orange malgré tout infatigable à organiser la résistance, lui a écrit une lettre courtoise où il l’invite à collaborer avec Ryhove pour la défense de Gand maintenant assiégée à son tour. En février Hembyze démet curieusement plusieurs échevins calvinistes et les remplace par des catholiques. Le 23 mars, la municipalité et la population apprennent que leur premier échevin est en tractations avec Famèse depuis le mois de janvier et qu’il lui a promis de l’aider à s’emparer de la ville voisine de Termonde que commande Ryhove. La population de Gand se soulève contre Hembyze qui est jeté en prison. Le 18 mars 1582 le prince d’Orange avait déjà été grièvement blessé par une tentative d’assassinat. Le 10 juillet 1584 il est assassiné dans sa maison à Delft par Balthazar Gérard, un franc-comtois préparé par des jésuites, et qui a obtenu audience sur un prétexte. Des messes solennelles sont dites dans toute l’Europe catholique pour célébrer la mort du diable hérétique. Les Etats généraux des Pays-Bas proclament Guillaume d’Orange “père de la patrie” et lui font des funérailles grandioses. A Bruxelles les gens pleurent dans les rues.

Hembyze est décapité en place publique à Gand le 4 août 1584, mais la ville doit quand même se rendre le 17 septembre. Famèse lui a concédé des conditions très généreuses : la ville doit restituer à l’Eglise tous ses biens et payer 200 000 florins d’indemnités, mais elle reçoit une amnistie et les troupes peuvent rejoindre avec leurs armes les lignes des Etats généraux et les habitants protestants obtiennent deux ans de délai pour quitter la ville. Bruxelles capitule le 10 mars 1585 et Anvers le 17 août de la même année. Leurs gouverneurs, vieux et fidèles lieutenants d’Orange se sont rendus, prématurément selon les Etats généraux: à Bruxelles le colonel van den Tympel, à Anvers Mamix lui-même. Farnèse avait bloqué le port d’Anvers en construisant un pont à travers l’Escaut. Nimègue en Gueldre tombe la même année, livrée par ses bourgeois catholiques.

L’armée espagnole approche d’Utrecht. Orange est mort. Les Etats généraux siègent depuis deux ans réfugiés dans l’île de Walcheren. La reconquête par les armées royales a réduit le territoire qu’ils contrôlent encore, à peu près à la zone “libérée” de 1572.

5 1585-1588 : L’Angleterre entraînée dans la guerre 

Après la mort du duc d’Anjou le 10 juin 1584, Orange avait fait proclamer le roi de France Henri III souverain et donc les Pays-Bas incorporés au royaume de France. Mais Henri III a refusé finalement, au printemps 1585.

Mais l’élan même de la reconquête espagnole des Pays-Bas, qui s’ajoute à l’escalade de tous les conflits par ailleurs entre l'Espagne et l’Angleterre, accule cette dernière à entrer en guerre. L’économie anglaise est traditionnellement liée à celle des Pays-Bas. Les marchands anglais empiètent de plus en plus sur le monopole commercial espagnol de l'Amérique du Sud et piratent les Caraïbes. L’absolutisme espagnol tire des ressources financières nouvelles des mines d’argent d’Amérique. II conquiert les Philippines, annexe le Portugal et son empire colonial. L’Espagne est la première puissance européenne et le gendarme reconquérant de la Contre-Réforme. Elle parraine la papauté et le Saint Empire Romain Germanique, intervient dans la guerre civile française aux côtés de la Sainte Ligue contre les Huguenots, aide les révoltés irlandais ainsi que les comploteurs catholiques anglais qui cherchent à assassiner la reine Elisabeth. A la chute d’Anvers, elle parait en vue de la domination totale sur l’Europe. La reine Elisabeth refuse la souveraineté des Pays-Bas que lui proposent les Etats généraux, mais accepte le 20 août 1585 d’envoyer un corps expéditionnaire, en échange du gage pour trente ans des deux ports de La Brielle et Flessingue !

Le commandant du corps expéditionnaire anglais est le comte de Leicester que les Etats généraux élisent le 10 janvier 1586 gouverneur et capitaine-général des Pays-Bas. Leicester cherche à organiser un exécutif fort en s’appuyant sur les exilés flamands et brabançons. Il interdit le commerce avec l’ennemi. C’est l’épreuve de force avec les patriciens de Hollande. Ceux-ci dirigés par Jan van Oldenbamevelt (1547-1619), pensionnaire, c’est-à-dire secrétaire général des Etats de Hollande, ont le dessus. Après une tentative de coup d’Etat en septembre 1587, Leicester démissionne le 1er avril 1588. Le parti des régents hollandais est dorénavant le maître dans la Confédération.

La Royal Navy lance une série de raids sur les ports espagnols et caraibes. Madrid répond par la préparation à Lisbonne et dans les ports atlantiques de l'Espagne, de la grande Armada. Celle-ci est chargée de rien moins que pénétrer dans la Manche, opérer sa jonction avec l’armée d'Alexandre Farnèse, et la faire débarquer dans le Kent. Mais au moment décisif (août 1588), les corsaires hollandais empêchent les barges de Farnèse de sortir de Dunkerque et Nieuwport, et le harcèlement de la Royal Navy, et la tempête, vont disperser la grande Armada dans sa fameuse fuite autour de l’Ecosse et de l’Irlande.

C’est un nouveau tournant. Avec Alexandre Famèse enlisé dans la guerre civile française, les Pays-Bas rebellés peuvent desserrer l’étau. Maurice (1567-1625), fils de Guillaume d’Orange, jeune officier brillament éduqué, est élu capitaine-général et stadhouder en 1588. Réformateur militaire méthodique, il sera le stratège le plus fameux de son temps. L’armée des Etats généraux reconquiert vers le sud Breda, en Brabant, en 1590, vers l’Est Nimègue, en Gueldre, en 1591, vers le nord Groningue en 1594. En 1590, les Etats généraux des Pays-Bas renonçant définitivement à la recherche d’un souverain, proclament enfin la “République des Provinces-Unies des Pays-Bas”.

6 Notes et sources

Les révolutions bourgeoises IIRF, 1989