Révolution égyptienne de 2011 (Chute de Moubarak)

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La révolution égyptienne de 2011 est en réalité un processus révolutionnaire ouvert depuis janvier 2011, qui combine à la fois une lutte démocratique contre la dictature militaire et une lutte de classe sous-jascente. La tête de la dictature, le "président" Hosni Moubarak, a dû démissionner le 11 février, mais le régime est toujours en place.

La révolution égyptienne s'inscrit dans la vague de révoltes au Maghreb et au Machrek survenue dans le sillage de la révolution tunisienne.

1 Contexte

1.1 Une dictature pro-USA

L'appareil de l'armée est une véritable composante de la classe dominante en Égypte. Imbriqué à l'État bureaucratique, possédant environ le tiers des capitaux du pays, il vit des rentes de l'économie : tourisme (14 à 19% du PIB), gaz et pétrole (4,5 à 8% du PIB), péages au canal de Suez (3 à 4% du PIB)[1] et "l'aide" états-unienne (via l'agence USAID).

L'armée est le meilleur pion local des impérialistes, et en particulier des États-Unis, qui sont ses fournisseurs en armement. C'est d'ailleurs source de colère pour le peuple egyptien qui est globalement hostile aux Etats-Unis et à son allié Israël. Bien que pendant des années cela n'a pas été très médiatisé, le régime est une véritable dictature, bafouant les droits démocratiques élémentaires et réprimant les mouvements sociaux. Depuis la guerre des Six Jours (1967), le pouvoir maintient l'état d'urgence, notamment pour justifier des pouvoirs arbitraires à la police. La violence et la torture sont courantes. Le cas de Khaled Saïd, battu à mort par la police égyptienne en juin 2010, et officiellement mort d’une "overdose de marijuana" a particulièrement marqué la population du pays. Si la police est détestée, l'armée a conservé une certaine popularité, par son image historique et par ses moyens qui lui permettent d'offir de nombreux postes et des promotions.

Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 29 ans, est peu à peu devenu un objet de haine de la part de la majorité de la population. Vieillissant, il préparait la succession de son fils lors des élections présidentielles de 2011.

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1.2 Une crise économique et sociale

Comme pour le reste du Maghreb, la crise sociale couvait déjà en Égypte. Depuis les années 1990, le gouvernement a appliqué une politique néolibérale (libéralisations, fiscalité pro-riches...) qui a renforcé la domination des capitalistes étrangers et créé une bourgeoisie parasitaire ("les nouveaux pharaons").

Plus de 40 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour[2]. Les petits paysans ont été fortement touchés. Alors qu'ils avaient pu obtenir des terres suite à la réforme agraire de Nasser, le loyer des terres a été augmenté de 1000 % en moyenne entre 1992 et 2007. Des millions d'entre eux ont été contraints d'abandonner leur terre et chercher à se salarier.[3] En plus de cela, des spoliations par la force ont aussi eu lieu, les organisations paysannes ont été interdites et les protestations violemment réprimées (environ 300 tués).

Pour le prolétariat urbain les conditions de vie ne sont pas meilleures. Des émeutes de la faim ont même éclaté en 2008 dans la ville ouvrière de Mahalla, faisant une quinzaine de morts. Les jeunes en particulier voient leur avenir bouché (or 50 % de la population a moins de 25 ans). Il y a de nombreux jeunes diplomés au chômage : 50 % des hommes de 15-29 ans diplomés du supérieur, et 80 % des femmes du même âge. D'autant plus que les services publics sont en décrépitude, et qu'il n’existe aucune allocation chômage. La crise mondiale de 2008 est venu porter un coup d'accélérateur à ces tendances.

1.3 Montée des luttes

Le processus révolutionnaire n'est pas apparu comme un coup d'éclair dans un ciel serein. Le peuple égyptien avait déjà depuis des années commencé à lutter de façon de plus en plus ouverte, faisant reculer la peur de la répression.

Comme en Tunisie, il y avait une volonté de changement largement partagée dans la société, jusque dans une grande partie de la petite-bourgeoisie. De nombreuses professions libérales se mettent en grève (80% des pharmaciens en 2009...) et de nombreux jeunes issus des classes moyennes diffusent des revendications démocratiques et des méthodes de luttes souvent inspirées d'ailleurs (réseaux sociaux, flash mob, sit-in...). Le symbole central est le Mouvement de la jeunesse du 6 avril, créé en 2008 pour soutenir les grévistes de Mahalla.

Mais l'épine dorsale de la contestation, c'est la classe laborieuse. Les grèves et manifestations ont connu une vraie dynamique (266 en 2006, 614 en 2007, 630 en 2008 et de 700 à 1000 en 2009). Il y a des centres névralgiques comme la ville ouvrière de Mahalla Al Koubra (500 000 habitants), qui a connu des émeutes de la faim en 2008, qui bat au rythme d'une usine textile de 24 000 salariés (dont 20 000 grévistes en 2006). C'est d'ailleurs en solidarité avec les grévistes de Mahalla que s'est créé le «Mouvement des Jeunes du 6 avril», groupe informel de bloggeurs.

La Fédération des Syndicats Egyptiens (FSE) est inféodée au pouvoir, notamment depuis que la loi 100 a gelé le renouvellement de sa direction ! Son président, Hussein Megawer, est aussi représentant du gouvernement dans le conseil d'administration d'un trust italien, la Compagnie des ciments de Suez... Mais cette situation a stimulé la création de quatre syndicats indépendants (dont un des Taxes foncières, un des Retraités, et un des enseignants).

2 Début 2011, Chute de Moubarak

2.1 L'étincelle tunisienne

L'opinion publique était déjà enflammée par le scandale des élections législatives en novembre-décembre 2010, qui avait rassemblé l'opposition contre le régime. L'attentat d'Alexandrie contre les chrétiens coptes, le 1er janvier 2011, qui a peut-être été décidée au plus haut niveau pour diviser, n'a fait qu'augmenter la colère contre un État policier incapable d'assurer la vraie sécurité. La tension ne fait qu'augmenter au mois de janvier : huit personnes s'immolent par le feu, et le renversement de Ben Ali par la révolution tunisienne est aussitôt salué par un rassemblement de solidarité, le 16 janvier, devant l'ambassade de Tunisie, encerclée par la police. A son tour, la révolution égyptienne devient un puissant vecteur des "révolutions arabes".

Le Mouvement de la Jeunesse du 6 avril et d'autres organisations appellent à manifester le 25 janvier 2011 (jour de fête nationale), via des pages Facebook, pour une journée de revendications baptisée « journée de la colère ». Pour la première fois, les opposants politiques, le mouvement ouvrier et les paysans manifestent le même jour dans l'ensemble de l'Égypte. La manifestation est interdite, et la police quadrille la Place Tahrir au Caire, mais elle est peu à peu débordée par l'afflux de 15 000 manifestants. Le slogan unanime est "pain, liberté, justice sociale". Prenant conscience de leur force, les manifestants y ajoutent à la fin de la journée "le peuple veut la chute du régime". Le lendemain, malgré la répression, le mouvement pend de l'ampleur.

Le 27 janvier, des manifestations ont lieu un peu partout, dont celle d'Alexandrie qui rassemble 100 000 personnes, et où des manifestants attaquent le siège du Parti National-Démocratique (PND, parti de Moubarak). Jusqu'à la chute de Moubarak, la place Tahrir sera occupée. Dans toute l’Égypte, on détruit les portraits du dictateur, on incendie les cabanons de police et les commissariats, on détruit les archives de la police... Comme en Tunisie, les embryons d'auto-organisation apparaissent pour remplacer les fonctions de base de la police, par exemple faire la circulation aux carrefours. Le démocrate Mohamed El Baradei fait son retour en Égypte et se propose pour la "transition démocratique".

2.2 Répression, reculades, escalade...

La dictature réagit violemment. Des tireurs d’élite des unités anti-terroristes sont placés sur les toits des bâtiments pour tuer (tirs dans la poitrine et à la tête) ; des véhicules de la police roulent sur des manifestants.[4] La police répand du pétrole dans les rues pour l’incendier sur le passage des cortèges, et envoie ses agents s’infiltrer dans les manifestations, armés de couteaux et de bâtons[5]. Le "vendredi de la colère" (28 février) fera une vingtaine de morts, mais les forces de l'ordre bourgeois sont débordées. Parfois, comme à Alexandrie, la police passe du côté des manifestants. Mustapha el-Feki (un cadre du PND) déclare que « nulle part au monde la sécurité n'est capable de mettre fin à la révolution », et appelle Moubarak à « des réformes sans précédent » pour éviter une « révolution ».[6] Le gouvernement annonce un couvre-feu à partir de 18 heures, mais l'armée ne l'applique pas. Lorsque l'armée entre dans les villes, il y a parfois des réactions de colère[7], parfois un bon accueil[8]. A minuit, Moubarak fait un discours télévisé qui ne convainc pas grand monde[9].

Le pouvoir tente aussi la censure. Le réseau de téléphonie mobile est coupé, puis Twitter, et enfin Internet. Près d’une trentaine de journalistes étrangers sont arrêtés par la police égyptienne, de nombreux autres se font agresser, passer à tabac, ou voient leur matériel détruit ou confisqué. Un journaliste égyptien est abattu à son domicile. Le 30 janvier 2011, c'est la chaîne satellitaire Al Jazeera qui est fermée.

Le pouvoir essaie de démobiliser une partie des manifestants par des micro-concessions, pour mieux pouvoir réprimer les autres. Le 29, quelques membres sont changés au gouvernement, mais cela reste des hommes du régime, comme le premier ministre Ahmed Chafik, issu de l'armée de l'air comme Moubarak. Des dirigeants détestés comme Ahmed Ezz sont "démissionnés". Pour effrayer la population, des prisonniers et notamment des islamistes du Hezbollah sont libérés, l'État simulant une évasion. Mais c'est un échec. Essentiellement pour se défendre, la population s'auto-organise en comités de quartier dans tout le pays[10]. Ce ne sont plus seulement des jeunes et des militants qui se mobilisent, mais le prolétariat. Des pillages ont lieux dans les quartiers aisés de la capitale. Les touristes fuient, les places boursières de la région plongent.

2.3 Chute de Moubarak

Tout le monde commence à comprendre que la situation est révolutionnaire. L'opposition bourgeoise espère alors en profiter. El Baradei appelle à manifester jusqu'à la chute du régime, et les Frères musulmans, jusque là dépassés et silencieux, appellent à une transition pacifique[11]. Les impérialistes se disent prudemment en faveur d'un "processus de changement".[12][13]

L'armée commence à perdre sa sympathie, lorsque l'on apprend qu'elle aussi arrête et torture des révolté-e-s.[14] Le 31, nouveau remaniement ministériel, les plus notoirement corrompus sont écartés. Une "marche du million" est programmée pour le 1er février (il s'agit de faire venir plus d'un million de manifestants au Caire). Le pouvoir coupe les trains. C'est un énorme succès : plus de 2 millions au Caire, 1 million à Alexandrie... plus de 8 millions dans toute l'Égypte.[15] Le soir même, Moubarak fait une brève allocution à la télévision, annonçant qu'il ne se représentera pas à la prochaine présidentielle, promettant des réformes démocratiques, et tentant de jouer sur le patriotisme...

Le 2 février, 9ème jour d'affilée de grande mobilisation, le pouvoir monte une contre-manifestation comptant plusieurs centaines de milliers de personnes. Parallèlement, il accroît la répression. Les manifestants de Tahrir sont attaqués par des hommes armés montés sur des chevaux et des dromadaires. On apprendra après que c'était des sbires du régime ("baltaguias"), et même que Hussein Megawer, bureaucrate en chef de la FSE, est impliqué dans l'organisation. Mais les attaquants sont arrêtés par la population et remis à l'armée, en qui ils ont encore confiance.

Le 3 février, Internet est rétabli : les informations parvenaient quand même à circuler, et les pertes économiques étaient trop lourdes.[16] Le 5, l'armée tente en vain d'évacuer la place Tahrir. Le 6, Moubarak rencontre l'opposition, et renouvèle les membres de la direction du PND. Le 7, la libération et le récit du cyber-activiste Wael Ghonim ébranle tout le pays.

Le 8 février ont lieu les plus grandes mobilisations depuis le début de la révolution, et elles prennent un net caractère de lutte de classe. Des grèves démarrent dans tout le pays : dans l’industrie gazière et textile, les services privés de sécurité de l'aéroport du Caire, la région du canal de Suez, les administrations et les chemins de fer se mettent aussi en grève (malgré les 15 % d'augmentation accordés aux fonctionnaires). Environ 8000 paysans bloquent des routes et des voies ferrées dans le sud du pays. Dans le même temps la petite bourgeoisie appelle à un retour au calme.

Le 9, le Parlement est encerclé par 2000 personnes, contraignant le conseil des ministres à se réunir en un autre lieu, le siège du gouverneur de Port-Saïd est incendié. Les ouvriers de l’usine de Mahallah et les 3000 employés de l’hôpital Qasr al-Aini au Caire votent la grève illimitée en solidarité à Tahrir. Les journalistes des médias publics, qui ont démissionné par dizaines depuis le 25 janvier, ne sont plus soumis à la censure à partir du 9 février et commencent à relayer voire à partager les revendications des manifestants. Le gouvernement menace de coup d’État et mise sur le pourrissement de la situation.

Le 10, l'armée renforce ses troupes autour de la place Tahrir, tout en déclarant qu'elle estime les demandes du peuple légitimes. El Baradei appelle l'armée à prendre le pouvoir pour "éviter le chaos". Le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) se réunit, alors qu'il est normalement convoqué par le président, et fait pression sur Moubarak pour qu'il démissionne. Le soir, celui-ci annonce qu'il cède ses pouvoirs à son vice-président, ce qui accentue la colère populaire.

Moubarak démissionne le 11 février 2011, après 1000 à 2000 morts. Le CSFA dissout le parlement le 13 février et prend le pouvoir, tout en annonçant une période transitoire de à six mois. Le 22 février des hommes des Frères musulmans et du Wafd sont admis au gouvernement provisoire. Pendant quelques jours, des comités populaires dans tout le pays se forment pour assurer l'auto-défense et la sécurité.

3 Notes et sources

  1. Emna Gana-Oueslati, Jean-Yves Moisseron, « La crise ou la fin du mythe de l’émergence en Égypte », Maghreb-Machrek no 206, hiver 2010-2011
  2. Égypte. Un souffle contestataire embrase tout le pays, L'Humanité
  3. Le Monde diplomatique, La lutte toujours recommencée des paysans égyptiens, et François Ireton, La petite paysannerie dans la tourmente néolibérale
  4. L’enquête accablante, Al-Ahram hebdo, no 868, 27 avril 2011
  5. Jura libertaire, La bataille de Suez - 27 janvier
  6. Le Parisien, «Vendredi de la colère» meurtrier en Egypte : Moubarak limoge le gouvernement, 28 janvier 2011
  7. Le Monde, Le jour où Le Caire a brûlé de colère, 28-29/01/2011
  8. L'Express, "Vendredi de colère" en Egypte, 28-29/01/2011
  9. http://www.youtube.com/watch?v=UfGKZM-Gn3g&feature=player_embedded
  10. El Watan, Moubarak s’appuie sur l’armée, 30/01/2011
  11. Le Monde, Les Frères musulmans font profil bas,30/01/2011
  12. Jailan Zayan, Les Égyptiens bravent le couvre-feu au cinquième jour de leur sanglante révolte, 30/01/2011
  13. La Tribune d'Alger, La rue égyptienne exige le départ de Moubarak, 30/01/2011
  14. Jura libertaire, Luttes de classes en Egypte
  15. Egypte : 8 millions de manifestants selon Al-jazira
  16. Les blogs du Diplo, La révolution arabe, fille de l'Internet ?