Première révolution anglaise

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La Première Révolution Anglaise (English Civil War pour les historiens anglais) est une puissante déflagration révolutionnaire qui a frappé l'Angleterre de 1641 à 1649. Malgré la restauration formelle de la monarchie, cette révolution qui instaura pour un temps une République (Commonwealth) fut une victoire historique de la bourgeoisie, et accéléra la naissance du capitalisme

1 L’Angleterre au début du XVIIe siècle

A la veille de la révolution, l’Angleterre est un royaume plutôt petit d’environ 6,5 millions d’habitants, dont la très grande majorité sont paysans. Le XVIe siècle a été en Europe une période d’intense expansion économique stimulée par l’arrivée massive de l’argent extrait dans l’Amérique espagnole et par le perfectionne ment des techniques, dans l’esprit scientifique de la Renaissance, principalement les arts des ingénieurs civ ils, navals et miniers. L’Angleterre appartient à ce nou veau pôle de développement économique d’Europe du Nord, centré sur les Pays-Bas, qui supplante l’Italie. Principaux exportateurs européens de draps et d’équipements navals, les marchands hollandais et anglais enlèvent aux Espagnols une part croissante du commerce avec l’Amérique espagnole.

Depuis le Moyen-Age, le principal produit d’exportation anglais est le drap de laine, principale ment mais non exclusivement vers les Pays-Bas. Cette industrie d’exportation étend dans les campagnes l’élevage des moutons. Filage et tissage sont des indus tries qui s’accroissent, avec le développement, au-delà de l’artisanat traditionnel des villes, du travail à domi cile à la campagne (ouvriers-paysans) et des manufac tures. Parallèlement, d’autres exploitations agricoles se spécialisent dans la production commerciale de céréales, de produits laitiers ou de viande pour approvisionner la partie de la population désormais vouée à la production et à la transformation de la laine. Une première division du travail s’établit, entraînant l’apparition d’un marché intérieur assez important.

Les années 1620 voient le développement des “nou velles draperies” (new draperies), tissus plus légers qui connaissent, malgré la récession européenne des années 1620-1630, un succès à l’exportation en Méditerranée, L’expansion de l’industrie drapière est la plus forte dans des régions de campagne qui échappent aux strictes ré gulations corporatives des villes. Ainsi, l’Est (East Anglia) et le Nord (Lancashire et Yorkshire). Mais cela se fait sous le contrôle des grands marchands drapiers de Londres qui prêtent les capitaux et fixent les prix par leur quasi monopole d’achat. Le même phénomène se produit avec l’expansion de la métallurgie autour de Birmingham, ville où les corporations sont sans force. Londres, principal port du royaume, est une gigan tesque capitale d’un petit pays, 450.000 habitants envi ron vers 1640, soit un douzième de la population du royaume, alors qu’aucune autre ville anglaise n’a plus de 25.000 habitants. Londres traite les 7/8 du com merce anglais. Le principal combustible dès la fin du XVIe siècle y est déjà le charbon transporté par bateau depuis Newcastle, où son extraction, qui de surface devient souterraine, exige de grands capitaux. Et le char bon alimente des industries elles aussi très onéreuses: briqueteries, brasseries, verreries, tanneries, savonneries.

En rompant avec Rome, le roi Henri VIII (1509- 1547) a confisqué, puis vendu, les immenses terres de l’Eglise et des couvents. Mors que la noblesse féodale anglaise avait été décimée par la guerre civile dite “des deux Roses” (1455-1485), elle est bouleversée ainsi par un influx massif de nouveaux propriétaires fonciers d’origine bourgeoise dont une large proportion est géné reusement anoblie par les rois, contre finances. Avec l’industrie de la laine et l’approvisionnement en denrées de l’énorme capitale, toutes ces raisons réunies ont entraîné, au moins dans tout le sud-est du pays, une profonde commercialisation de l’agriculture anglaise.

Comparé au schéma féodal dominant sur le conti nent européen, et dans le Nord et l’Ouest de l’Angleterre, la structure sociale du village anglais est en train de se transformer. A côté des paysans libres, c’est-à-dire propriétaires de leur terre (freeholders), la majorité des paysans étaient les descendants des serfs affranchis au Moyen-Age. On les appelle sur le conti nent paysans “censiers” parce qu’ils paient un “cens” annuel à leur seigneur ou “emphytéotes” parce que leur droit à leur terre est éternel et héréditaire mais relatif, chargé de “servitudes” ou de “droits féodaux” que sont les paiements au seigneur du “cens” et des droits de mariage, d’héritage, etc.,, En Angleterre on les appelle copyholders parce qu’ils sont censés détenir une copie du contrat originel qui liait leur ancêtre et ses descen dants à leur seigneur.
En Angleterre, dans une mesure plus grande que sur le continent, des nobles gèrent eux-mêmes leurs terres dans un esprit commercial et cherchent à remplacer leurs paysans censiers par des fermiers avec un bail à ferme court de 6 ou 9 ans, en expulsant leurs censiers.

1.1 L'absotutisme déficient

Au Moyen-Age, l’Etat royal anglais avait été le plus centralisé d’Europe. Au XVIe et XVIIe siècles, quand les royaumes européens, France et Espagne en tête, constituèrent leurs appareils d’Etat absolutistes, la mon archie anglaise ne put produire qu’un absolutisme incomplet. Au XJIIe siècle, quand furent institués dans tous les royaumes les Etats généraux, la noblesse anglaise put obtenir pour le Parlement des compétences particulièrement étendues, à la différence de la plupart des autres royaumes: non seulement le droit de voter les impôts, mais aussi celui de voter les lois et celui de démettre et juger les fonctionnaires royaux. La centrali sation précoce de l’Etat dans un petit pays avait engen dré un constitutionnalisme particulièrement actif chez une noblesse qui n’avait pas la possibilité, comme sur le continent, d’exprimer son insubordination par le séparatisme dans ses principautés.

Dès la fin du XVe siècle, et jusqu’à la révolution, il y eut un vrai absolutisme anglais dont l’apogée furent les règnes de Henri VIII (1509-1547) et surtout de sa fille Elizabeth 1ère (1558-1603). Comme ailleurs, cet absolutisme reposa sur une mise à l’écart des Etats généraux (soumission par une politique royale de cor ruption et d’intimidation, espacement des réunions, absence de réunions pendant des décennies). Mais dans les trois instruments étatiques qui définissent l’absolutisme, la bureaucratie, les impôts permanents et l’armée permanente, l’absolutisme anglais présenta de sérieuses déficiences: - la bureaucratie est très peu nombreuse; depuis le Moyen-Age les fonctions locales de justice et de gou vernement sont assumées par les nobles locaux, en “amateurs”; - à la différence des autres monarchies d’Europe, les rois d’Angleterre n’ont jamais obtenu du Parlement la création d’impôts non soumis à des votes de renouvelle ment par le Parlement, quoique Elizabeth 1ère ait exercé de facto le droit de prélever les droits de douane sans vote du Parlement. Au début du XVIIe siècle, la charge fiscale anglaise était inférieure à la moitié de la charge fiscale française, ce qui a stimulé d’autant plus l'accumulation du capital; - les impôts étaient faibles, non seulement parce que le Parlement émit fort, mais également parce que rabsence de menace militaire terrestre sérieuse dans une 11e n’avait jamais imposé la création d’une armée perma nente. La force militaire de l’Angleterre depuis Henri VIII était dans sa marine. Mais une marine ne remplace pas une armée permanente. Elle ne peut pas servir de force de répression et elle est largement soumise à l’influence des intérêts commerciaux, des armateurs et marchands des ports.

1.2 Une Eglise d’Etat instable

Le constructeur de l’absolutisme anglais, Henri VIII avait en 1534 détaché l’Eglise anglicane de Rome tout en voulant conserver le dogme ainsi que les institutions catholiques. Ce n’était pas là une décision exception nelle. Tous les absolutismes se sont assuré le contrôle de l’Eglise. Mais si les absolutismes espagnols et français ont pu se soumettre directement l’Eglise catho lique, l’Espagne, dans une certaine mesure, s’étant, au XVIe siècle, soumis la papauté elle-même, les absolu tismes les plus faibles et tardifs, d’Angleterre, du Dane mark, de Suède, de Saxe et de Brandebourg (la future Prusse) n’ont pu concrétiser la même soumission qu’en profitant de la Réforme protestante pour rompre avec Rome et compenser leur terrible manque d’argent en expropriant l’Eglise. Malgré tout son conservatisme religieux, Henri VIII avait été logiquement entraîné à réaliser le programme catholique réformiste dont plu sieurs souverains européens avaient en vain rêvé: messe et Bible en langue vernaculaire, communion sous les deux espèces, abolition des couvents. Dans un pays où subsistaient vivaces dans la clandestinité ces précurseurs du protestantisme, les Lollards apparus au XIVe siècle, et à une époque où les intellectuels se tournaient en masse vers la Réforme, le schisme anglais ne pouvait qu’ouvrir la porte au luthéranisme et, surtout, au calvinisme, le plus populaire dans les couches cultivées européennes. Face à cette popularité, l’Eglise anglicane se révélait une construction hybride et fragile, sans cesse exposée de toutes parts au reproche d’inconséquence. Elizabeth 1ère avait réussi à stabiliser ltglise anglicane, protestante dans le dogme, catholique dans certaines formes. Mais aux deux extrêmes de la société, elle se heurtait à des dissidences irréductibles : les tribus et les seigneurs irlandais restaient ouvertement catholiques, une minorité non- négligeable de seigneur féodaux anglais “à l’ancienne”, avec leurs paysans, le restaient plus ou moins en cach ette, surtout dans le Nord et l’Ouest du royaume; dans les villes, une forte minorité des couches cultivées, bourgeoises, petites-bourgeoises, de petite noblesse, quelques grands seigneurs intellectuels, étaient calvi nistes, les “puritains”. Tous ces dissidents, catholiques ou puritains, émient officiellement persécutés mais trouvaient par moments des appuis jusqu’aux sommets de la hiérarchie anglicane, qui ne put jamais être homogène autour de principes définitifs.

1.3 La périphérie tribale indocile

A la mort d’Elizabeth 1ère en 1603, sans héritiers directs, son lointain cousin le roi dEcosse Sacques Stuart devient mi dAngleterre sous le nom de Sacques 1er. Ainsi étaient unis par la même personne deux royaumes très différents. L’Ecosse était très pauvre, très peu peuplée (moins d’un million d’habitants), mais possédait quelques villes non-négligeables. Sa vie politique était dominée par de grands magnats, à la fois chefs tribaux et seigneurs féodaux, qui gouvernaient, à la tête d’armées privées considérables, d’immenses principautés quasi indépendantes. C’était là une sorte de nobles éteinte en Angleterre depuis un siècle et demi au moins. En 1560, le calvinisme ou presbytérianisme, était devenu la religion officielle de lEcosse, par déci sion du Parlement écossais, révolté contre la mère de Jacques, Marie Stuart.
Depuis des siècles, les rois d’Angleterre se préten daient rois d’Irlande, terre de tribalisme encore plus arriérée que l’Ecosse. Mais surtout l’Irlande était une terre de colonisation anglaise. Au Moyen-Age, les colons féodaux anglais s’émient mêlés à la chefferie irlandaise pour former une noblesse particulariste qui restait farouchement catholique. Dès le XVIe siècle, les colons furent des entrepreneurs puritains anglais de rang modeste, dont l’implantation est favorisée par Londres de façon accrue après chaque révolte des Irlandais.

1.4 La petite noblesse anglaise dite “gentry”

Plusieurs particularités de l’Angleterre se résumaient dans une classe sociale typique: la petite noblesse, dite gentry par opposition à la haute noblesse dite nobility. Juridiquement, c’était simplement une petite noblesse comme ailleurs en Europe, vivant sur ses terres, n’était le fait que ses représentants au Parlement, au lieu de siéger avec la haute noblesse dans une chambre du 2ème Etat, siégeaient avec les représentants des villes, le 3ème Etat (Tiers-Etat) dans la Chambre des Com munes. (La Chambre des Lords se compose de 26 évêques et d’une centaine de grands seigneurs, les “pairs”; la Chambre des Communes de 90 députés des comtés, 400 des villes et 4 des universités). Dans les faits, l’anoblissement souvent récent de familles d’origine bourgeoisie, le caractère commercial de ses activités sur ses terres, l’absence d’emplois dans l’armée et la bureaucratie, avaient embourgeoisé dans une cer taine mesure la petite noblesse anglaise. Elle défend ses privilèges juridiques, mais envoie ses fils cadets en apprentissage chez des marchands, et un grand nombre de ses membres (pas uniquement les cadets de familles) sont avocats, prêtres, médecins, professeurs, toutes choses inhabituelles, voire franchement impensables sur le continent. La gentry anglaise émit devenue par certains aspects et dans certaines de ses couches, une espèce de bourgeoisie terrienne. Dans la révolution anglaise, il sera quasiment impossible de distinguer son rôle de celui de la bourgeoisie proprement dite, à laquelle elle est d’ailleurs liée par mille liens, tant d’affaires que de famille. Son poids dans l’Etat est con sidérable. Les plus entreprenants de ses membres ont été enrichis par la hausse des prix agricoles dès le XVIe siècle (de 1540 à 1640, le prix du blé en Angleterre a sextuplé). Comme les villes ont pris l’habitude de choi sir parmi eux leurs députés à la Chambre des Com munes, à cause de leur poids économique et de leurs relations d’influence politique, des membres de la gen try ne représentent pas seulement les comtés, mais également les villes. Bien qu’il y ait à la Chambre des Communes plus de sièges attribués aux villes qu’aux comtés, des membres de la gentry constituent donc la quasi-totalité des députés à la Chambre, à côté de quelques bourgeois, avocats et riches marchands. Mais plus de la moitié des députés aux Communes sont actionnaires de sociétés commerciales.

2 La tentative de durcissement de l’absolutisme (1603-1640)

Sacques 1er (1603-1625), puis son fils Charles 1er, s’appliquèrent méthodiquement à renforcer l’absolu tisme. Malgré des chocs constants avec la majorité puri taine de la Chambre des Communes, ils parurent y réus sir. Les Parlements ne leur votant pas d’impôts, ils lèvent de l’argent par des moyens para-légaux: en exploitant des vieux droits de la Côuronne, comme le droit de gérer les terres d’un héritier noble pas encore majeur (Cour des tutelles), en obligeant des nobles à acheter des titres de noblesse, ou encore en vendant des titres de noblesse à des bourgeois, pour citer trois exemples de pratiques haïes par la gentry; en vendant à des groupes de marchands divers droits de monopoles économiques, pour citer un exem ple de pratiques haïes par la masse de la bourgeoisie; en vendant à des gros entrepreneurs agricoles, nobles ou bourgeois, le droit de drainer des marais royaux pour les clôturer et les mettre en culture, pour citer un exemple de pratique haïe par les paysans.
Et tandis qu’ils renforcent les pouvoirs disciplinaires des évêques, chassent les curés calvinistes, et interdisent les écrits puritains, ils refusent d’engager l’Angleterre dans la guerre de Trente Ans (1618-1648) aux côtés des protestants ailemands contre l’Espagne. Au contraire, ils flirtent avec la monarchie espagnole. Qui plus est, par désintérêt fondamental et manque dargent, Jacques 1er et Charles 1er ne soutiennent pas la colonisation de l’Amérique du Nord, ni la Compagnie des Indes orien tales dont les profits déclinent dans les années 1630, et refusent d’envoyer la flotte de guerre en Médliterranée pour protéger les marchands anglais qui y sont de plus en plus nombreux. Charles 1er conseille aux milieux marchands de se retirer de la Méditerranée.

La contestation de l’alliance espagnole dès les débuts du règne d’Elizabeth 1ère au siècle passé, avait marqué l’irruption des intérêts commerciaux dans la définition de la politique étrangère anglaise. Par réaction, et vu que l’absolutisme espagnol était à la fois modèle, gen darme européen et potentiel pourvoyeur de fonds de l’absolutisme, toute politique absolutiste anglaise inclinait vers l’alliance espagnole.

Jacques 1er se disputa durant tout son règne avec ses Parlements. Il avait dû dissoudre celui de 1622 sans aucun impôt voté, car les Communes exigeaient une déclaration de guerre à l’Espagne.

2.1 L ‘absolutisme semble triompher 1628-1640

Le premier Parlement de Charles 1er en 1626 est dis sout par le roi sans avoir voté les droits de douane. Charles les collecte quand même avec succès, et prélève un emprunt forcé. L’année suivante, il emprisonne cinq membres de la gentry qui ont refusé de payer l’emprunt forcé, et réussit à les faire condamner par les tribunaux, marquant ainsi la soumission au gouvernement royal non seulement des tribunaux de prérogative royale, la Cour de la Chambre étoilée (Court of Star Chaniber) et la Cour de Haute Commission (Court of High Com mission, spécialisée dans les affaires religieuses), mais également des tribunaux ordinaires, de “droit commun” (Common Law), King’s Bench et Court of Common Pleas, censés aux yeux du Parlement appliquer non la volonté du roi mais les lois du royaume, selon les quelles un emprunt forcé n’est qu’un impôt déguisé, illégal si le Parlement ne ra pas voté. Les tribunaux de droit commun avaient résisté au roi dans les années 1620. Des purges successives de juges les ont soumis dans les années 1630.
Le deuxième Parlement contre-attaque en 1628. La Chambre des Communes présente au roi la “Pétition des droits” qui condamne les arrestations arbitraires et les taxes non votées par le Parlement. Le mi accepte la pétition et négocie un compromis qui lui assurerait un vote d’impôts. Le compromis échoue. La Chambre des Communes critique également les innovations reli gieuses favorisées par le pouvoir. Le roi dissout ce Parlement à son tour. A l’annonce de la dissolution, les leaders de l’opposition des Communes, les députés Sir John Eliot, Denzil Holles et John Vaientine maintien nenL de force le Speaker (président de la Chambre) sur sa chaise afin de faire voter par la Chambre une protes tation (2 mars 1629). Ils seront arrêtés. 8fr John Eliot mourra à la Tour de Londres en 1632 et Valentine ne sera libéré que par le Parlement victorieux de 1640.

Charles 1er ne convoquera plus de Parlement pendant onze ans. Onze années pendant lesquelles l’absolutisme de Charles 1er paraît triomphant. Partisans du roi et opposants puritains, comme les observateurs étrangers, sont convaincus que le Parlement anglais ne sera plus jamais réuni, qu’il va tomber en totale désuétude, à l’image des Etats généraux du Royaume de France, réu nis pour la dernière fois en 1614 (la comparaison est faite couramment à l’époque, et les Etats généraux français ne seront plus jamais réunis jusqu’en 17891) En 1634, Charles 1er crée l’impôt “Ship Money”, prélevé sur les villes côtières, prétendument pour financer la flotte. En 1635, il Pétend sur les villes de l’intérieur. Le “Ship Money” est collecté année après année avec succès, dans la soumission générale. En 1628, Charles 1er s’est assuré les services d’un des leaders du centre des Communes de 1626, 5fr Thomas Wentworth, d’abord comme président du Conseil du Nord à York puis “Lord Deputy”, c’est-à-dire Vice-roi, d’Irlande, où il écrase une enième révolte. Fait comte de Strafford, il est vu par ses contemporains comme un possible Richelieu de l’absolutisme anglais.

En 1633, à la mort de l’archevêque Abbot, calviniste notoire, Charles Ter nomme William Laud (1573-1645) archevêque de Canterbury et primat d’Angleterre. D’origine sociale petite-bourgeoise, Laud est le maître à penser d’un groupe de jeunes théologiens anti- calvinistes qui inclinent vers certains aspects du catholi cisme, en particulier un nouveau cérémonialisme. L’archevêque Laud accentue la purge des curés calvi nistes et renforce la censure des écrits, fait enseigner en chaire le droit divin des rois, réintroduit calices, chande liers d’or et vêtements somptueux dans l’office religieux et fait séparer l’autel des fidèles par une barrière. Dans le gouvernement de Charles 1er, Strafford et Laud constitu ent le parti du ffiorough (à fond, jusqu’au bout); l’expression est de Strafford.

2.2 L’opposition puritaine

Les critiques sont durement frappés. En 1637, l’avocat William Prynne, le révérend Henry Burton et le Dr. John Bastwick qui ont publié des dénonciations de la politique religieuse laudienne sont jugés par la Cour de la Chambre étoilée, mutilés (nez et oreilles) et empri sonnés à vie. Par contre, les nobles catholiques reçoivent des faveurs de Charles 1er dont réponse Henriette-Marie est catholique, puisqu’elle est la soeur du roi de France. A tel point qu’en 1MO, un membre sur cinq de la Cham bre des Lords est catholique.
Succédant à l’intense expansion économique du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, les années 1620-1630 sont en Europe une période de dépression économique, aggravée par les ravages de la guerre de Trente Ans, tandis que le climat se refroidit dans ce qui va être le “Petit Age glaciaire”, multipliant les mau vaises récoltes.
Découragés, de nombreux puritains émigrent. En Irlande, et surtout eri Hollande et en Nouvelle Angleterre. On est au début de la colonisation anglaise de l’Amérique du Nord: la colonie de Virginie est fon dée en 1624, et celle du Massachussetts en 1629. Plu sieurs leaders puritains s’y réfugient. Loin de Londres, les puritains font du Massachussetts une espèce de petite république conforme à leurs idéaux. C’est d’ailleurs une compagnie réunissant des marchands et entrepreneurs puritains de Londres pour la colonisation de l’Amérique, la Providence Island Company, qui organise secrètement une résistance en Angleterre. C’est la Providence Island Company, dont le trésorier est John Pym (1583-1643) qui avait été membre du Parle ment de 1625, qui organise le refus d’un de ses riches membres, John Hampden, de payer le “Ship Money”. Au terme d’un procès retentissant, Hampden est con damné en 1637, au grand scandale de tous les possé dants. La Providence Island Company par ailleurs est la plus active et généreuse parmi ces sociétés commer ciales de Londres principalement, qui créent des fonda tions pour payer des prédicateurs calvinistes (souvent des curés purgés par la hiérarchie) qu’elles installent à côté du curé laudien dans leurs paroisses ou dans des paroisses lointaines. Envers et contre les interdictions et les poursuites de l’archevêque Laud, c’est un réseau qui est ainsi créé. Ainsi, la corporation des merciers de Londres finance un prédicateur pour Huntingdon, petite ville à 20 miles de Cambridge, où un certain Olivier Cromwell est en train de lutter contre la nouvelle charte royale de la ville, plus oligarchique et soutient les pay sans du voisinage contre le drainage des marais, où ils font paître leurs bêtes, par des entrepreneurs qui en ont acheté le privilège au roi.

3 L’absolutisme s’écroule 1640-1642

Charles Ier va trébucher sur I’Ecosse. Il a tenté d’y introduire une réforme religieuse qui renforce les faibles pouvoirs des évêques écossais, et surtout une nouvelle liturgie inspirée de la liturgie anglicane. Le royaume d’Ecosse se soulève. En février 1638, nobles et bour geois réunis prêtent serment par une déclaration solen nelle, le “Convenant national”, d’exiger un rétablis sement intégral du presbytérianisme dans sa forme origi nelle en abolissant l’épiscopat. Le mouvement est entièrement dominé par les grands féodaux écossais.

Charles Ier lève une armée pour aller réprimer l’Ecosse. Cette armée se fait battre et le roi doit signer le traité de Berwick (juin 1639). Mais les négociations sont rapidement rompues et la guerre à la frontière re prend. Pressé par le manque d’argent pour faire face à des dépenses de guerre, Charles 1er convoque le Parle ment anglais, en avril 1MO. Le Parlement n’accepte aucune exigence royale, entreprend d’enquêter sur la légalité des actes du roi durant les onze années précé dentes et négocie secrètement avec les Ecossais. Il est dissout après trois semaines et les leaders de l’opposition parlementaire sont mis en prison, dont John Pym. L’armée écossaise occupe Newcastle et Dur ham et semble pouvoir avancer plus profondément en Angleterre. L’armée royale, mal payée, menace de se mutiner. La ville de Londres refuse un prêt au roi. Seule l’Eglise lui offre un subside. Des pétitions afflu ent de tout le pays demandant une nouvelle convocation du Parlement. Parmi elles, il en est une qui fait sensa tion, elle est signée par douze pairs (28 août 1640). Charles 1er tente de biaiser en convoquant la Chambre des Lords seulement, sous le nom de “Grand Conseil du Royaume”, et loin de Londres, à York, Mais les Lords lui conseillent de réunir le Parlement dans les formes. Le roi est à bout d’expédients. Il cède et signe un nou vel accord avec les Ecossais qui l’obligent à payer leur armée d’occupation dans le Nord. Le Parlement se réu nira le 7 novembre 1640.

3.1 L’ouverture de la crise révolutionnaire

Les élections à la Chambre des Communes se déroulèrent cette fois-là dans les conditions inhabi tuelles d’une extraordinaire effervescence populaire. Seule une minorité avait le droit de vote, mais cette minorité s’était considérablement accrue. Des décennies d’expansion économique et d’inflation avaient sérieuse ment démocratisé le seuil légal des 40 shillings en vigueur dans les comtés; dans plusieurs villes tous les membres des corporations avaient le droit de vote, voire tous les habitants mâles adultes. En outre, en plusieurs endroits, des foules sans droit de vote firent irruption dans les assemblées électorales ou firent pression de l’extérieur. Pour la première fois, l’élection fut contes tée, c’est-à-dire qu’il y avait plus qu’un candidat par siège, dans 70 des 259 circonscriptions. Partout où le peuple était actif, c’est-à-dire tout autour de Londres, des candidats oppositionnels furent élus aux dépens des candidats de la Cour.

Dès que le Parlement fut en session, l’opposition parlementaire emmenée à la Chambre des Communes par John Pym, John Hampden, Denzil Holles (1598- 1680) et Edward Hyde (1609-1674), et à la Chambre des Lords par les comtes de Manchester, Essex et Warwick, prit sa revanche sur onze années de gouvemement per sonnel. On entreprit de démanteler l’édifice de l’absolutisme: Prynne, Valentine, Burton, Bastwick et Lilburne furent remis en liberté, le comte de Strafford et l’archevêque Laud mis en accusation et arrêtés. Strafford était particulièrement craint. On savait qu’il conseillait au roi une politique de force et on redoutait l’armée qu’il avait constituée en Irlande, Des projets de loi sont dépo sés, prévoyant la convocation du Parlement tous les trois ans (voté le 15 février 1641 à la quasi-unanimité), interdisant sa dissolution sans son accord (voté le 10 mai 1641), abolissant les cours de Chambre étoilée et de Haute Commission (voté le 5juillet 1641), déclarant illégal le “Ship Money” (voté le 7 août 1641). Tous les monopoles économiques sont abolis, sauf celui des plus importantes compagnies commerciales comme les Merchant Adventurers (drapiers exportateurs) et la Com pagnie des Indes; est abolie aussi la ferme des impôts universellement détestée; les monopolistes et fermiers d’impôts sont expulsés du Parlement (douze sur les vingt-deux plus riches marchands et financiers qui sont les députés de Londres). Ces décisions sont votées à de très grandes majorités et le roi est contraint de signer ces lois.

Mais le Parlement délibère sous la pression de la me. Dès novembre 1640, une pétition circule parmi les bourgeois de Londres, réclamant la suppression “racines et branches” (Root and Branch Petition) de l’épiscopat et de toutes les innovations religieuses laudiennes, qua lifiées de “papistes”. Elle recueille 15.000 signatures. Mille cinq cent personnes (surtout de respectables bour geois) viennent en cortège la déposer à la Chambre des Communes, conduits par l’échevin Isaac Pcnnington (1587-1661), député de Londres et riche marchand- drapier puritain. Le 23 décembre, une pétition au con tenu analogue, mais formulée en termes plus virulents, est déposée, accompagnée d’un cortège de plusieurs mil liers d’artisans et apprentis. Elle a recueilli 30.000 si gnatures et a été lancée par des milieux plus plébéiens que la précédente. La Chambre des Lords, le roi et le Municipalité ont essayé d’en empêcher la récolte et le dépôt. Le 21 avril 1641, ce sont 20.000 à 30.000 si gnatures exigeant la mise en jugement de Strafford, “Black Tom Tyrant” (Thomas le Noir Tyran). Les Communes exigent sa condamnation à mort, mais ce sont les Lords qui ont la compétence de le juger. La Chambre des Lords refuse d’abord énergiquement. Jour après jour, les Lords font leur entrée entre une haie de milliers de manifestants criant “Justice contre Strafford et tous les traîtres”. Les Lords finissent par céder et ils votent la mort le 10 mai. Les conseillers du roi lui con seillent alors de signer ce jugement dans l’espoir par là de tout apaiser. Le roi finit par signer et Strafford est décapité sur la prairie derrière la Tour de Londres, devant une assistance de dizaines de milliers de spectateurs.

Les Communes réclament l’exclusion des évêques de la Chambre des Lords, ce que la Chambre des Lords refuse le 8 juin, et elles entreprennent de discuter en juillet 1641 une loi sur la réforme de l’Eglise et en sep tembre une résolution sur les “innovation ecclésias tiques”. Durant l’été 1641, il y a la peste à Londres. Les riches quittent la ville et les pauvres meurent. La ten sion sociale s’accroît. L’automne voit à Londres et dans plusieurs villes une vague d’émeutes iconoclastes : des bandes de plébéiens radicalisés détruisent les ornements dans les églises, chandeliers, vitraux, cassent les barrières séparant le choeur de l’assistance, et arrachent aux prêtres leurs scapulaires et surplis “papistes”, tandis que des prédicateurs haranguent les paroissiens.

3.2 La scission du Parlement

Un Edward Hyde et bien d’autres députés sont de plus en plus scandalisés que la majorité des Communes n’entreprenne rien pour réprimer les mouvements popu laires, et au contraire les utilise comme levier. Alors que toutes les mesures anti-absolutistes du début de l’année 1641 ont été votées à de très grandes majorités de la Chambre des Communes, les débats sur les ques tions ecclésiastiques de l’automne voient la formation d’un parti de Pordre formé de près de la moitié des Com munes et de la majorité des Lords. Le roi, jusque-là presque totalement isolé, acquiert enfin un parti. Edward Hyde, qui change de côté en même temps que bien d’autres, en devient le leader le plus habile.
Alors que 59 députés aux Communes seulement ont voté contre la condamnation de Strafford, 149 vont voter contre la “Grande Remontrance” le 1er décembre 1641, et 236 finalement auront rejoint le roi quand la guerre civile aura éclaté Pannée suivante.

En novembre arrive la nouvelle de la révolte de rulster en Irlande, et de massacres de colons protestants par les Irlandais. La nouvelle suscite une grande panique dans les milieux puritains anglais. Car on craint que l’armée royale en Irlande, officiellement dissoute mais en réalité toujours existante, plutôt que de réprimer les révoltés de l’Ulster, s’allie à eux et se transporte en Angleterre pour permettre au mi de reprendre le dessus.

On discute de l’armée que le roi est censé lever pour aller rétablir l’ordre en friande. Le Parlement exige alors que les nominations civiles et militaires lui soient soumises. C’est évidemment inacceptable pour le roi qu’on cherche à lui enlever même ses compétences exé cutives. Fort maintenant d’un parti, il durcit sa posi tion. Les événements vont se précipiter. Le 22 novembre, les Communes votent “la Grande Remon trance” par 159 contre 148, manifeste qui explique en 204 articles les griefs contre quinze ans de “tyrannie.” Pire, le 15 décembre, elles votent l’impression de ce texte. Edward Hyde dénonce cet “appel au peuple”. Le 21 décembre, les élections au “Common Council” de Londres, donnent une majorité à ropposition puritaine. La Municipalité patricienne est renversée et un nouveau Lord-maire est élu, Jsaac Pennington. Le roi refuse de confirmer son élection. Le 23 décembre, le roi nomme un nouveau commandant militaire de la Tour de Lon dres, le colonel Thomas Lunsford. La personnalité de ce militaire professionnel fait de cette nomination une véritable provocation. Les Lords ratifient la nomina tion, les Communes soutenues par pétitions et mani festations la refusent. Le roi accepte de le remplacer par un officier moins odieux et offre à Pym de devenir Chancelier de l’Echiquier, c’est-à-dire ministre des finances. Pym refuse.

Le 27, une manifestation de masse devant le Parle ment exige l’expulsion des évêques et des Lords catho liques de la Chambre des Lords. Le colonel Lunsford, pourtant congédié, et ses officiers attaquent les mani festants Pépée à la main. Une centaine riposte avec des cailloux sous la conduite de John Lilburne. Les offi ciers ont de belles boucles frisées alors que les plébé iens ont les cheveux courts. On s’insulte. Les plébéiens se font traiter de “têtes rondes” et traitent les officiers de “cavaliers”, qualificatif péjoratif qui évoque le jeune noble aventurier arrogant et brutal. Les deux partis en présence ont un nom. Le 28 et le 29 décembre, de nou velles manifestations sous la conduite de John Lilburne empêchent physiquement les évêques de prendre leurs places dans la Chambre des Lords.

Le 4 janvier 1642, le roi tente un coup d’Etat. A la tête d’un détachement militaire, il vient personnelle ment à la Chambre des Communes pour arrêter cinq “meneurs” qu’il accuse de haute trahison: John Pym, John Hampden, Denzil Holles, William Strode, 5k Arthur Haselrig; de même à la Chambre des Lords le comte de Manchester.
Les députés visés se sont cachés et la Chambre des Communes décide de se transporter de Westminster à l’Hôtel de Ville de Londres (Guildhall). Le coup d’Etat royal est déjoué par la mobilisation des Londoniens et l’intervention de la milice bourgeoise. Le roi quitte Londres pour se réfugier à Windsor. La majorité des Lords et la minorité des Communes commencent à déserter progressivement le Parlement et à quitter Lon dres aussi.

Dès la fin de l’hiver, Charles Ier entreprend un voyage vers le Nord pour rallier ses partisans. Privé de res sources financières, ses dépenses sont prises en charge par les richissimes comtes de Newcastle, Southampton et Worcester, ce dernier le plus puissant des Lords catholiques. LeS février la Chambre des Lords finit par accepter l’exclusion des évêques. Le 13 février, le roi accepte même de signer la loi (Clerical Disabilities Act) qui èxclut tout ecclésiastique de toute fonction temporelle, membre du Parlement, membre du gou vernement, juge de paix, etc. Ce sera la dernière déci sion du Parlement qu’il acceptera. Il refuse absolument la loi sur la milice qui confère au Parlement tout pou voir sur l’organisation et les nominations militaires. Le Parlement est ainsi acculé à un acte révolutionnaire, malgré de vaines recherches d’un précédent dans les archives. Le S mars il donne force exécutive à sa loi, malgré l’absence de la signature du roi, en l’édictant comme “ordonnance” (The Militia Ordinance). Le 1er juin, le Parlement adresse encore au roi dix- neuf propositions : en substance le Parlement promet de voter au roi d’abondants impôts aux conditions suivantes:

- tous les ministres du roi, tous les officiers civils et militaires, tous les juges sont nommés par le Parle ment, ainsi que les précepteurs de ses enfants; - les nominations de pairs doivent être ratifiées par le Parlement - Le roi d’Angleterre serait ainsi réduit à une fonction symbolique, soumis à une suprématie parlementaire totale.

4 La guerre civile 1642-1645

Le 12 juin 1642 le roi signe à York des ordres de mobilisation (Commissions of Array) qu’il adresse dans tout le royaume. Le 12 juillet le Parlement vote la levée d’une armée et nomme le comte d’Essex général et le comte de Warwick amiral de la flotte. Le 22 août le roi Charles 1er lève son étendard à Nottingham. La guerre civile anglaise a commencé.

4.1 Le pays divisé

De quoi sont faits les deux camps en présence à l’éclatement de la guerre civile?
Géographiquement les parlementaires tiennent Lon dres, le bassin londonien, l’Est (East Anglia), soit les régions économiquement les plus “modernes”. Les royalistes la Cornouailles, le Pays de Galles et la Haute-Vallée de la Tamise (Oxford), le Nord, les régions dans l’ensemble les plus traditionnelles. Socia lement et politiquement le roi a avec lui la majorité des Lords et à travers le pays indubitablement la majorité de la gentry. Mais beaucoup de nobles se retirent dans la neutralité sur leurs terres. Par contre, plusieurs Lords du Nord et de l’Ouest arrivent encore à amener à rarmée royale leurs paysans mobilisés, comme au Moyen-Age ou en Ecosse. On trouve aussi aux côtés du roi les grands financiers monopolistes et anciens fermiers d’impôts, les deux universités d’Oxford et de Cam bridge, les patriciats des villes, et dans des villes petites et moyennes très traditionnelles, la hiérarchie des cor porations, et parfois dans des régions manufacturières les ouvriers de patrons parlementaires. Le Parlement, lui, est soutenu par la bourgeoisie et les plébéiens de Londres et de sa région; les paysans libres et censiers de tout le Sud-Est; les drapiers de l’Est et du Nord, mar chands-patrons, artisans-dépendants, et salariés, géné ralement tous réunis; les patrons, artisans et ouvriers charbonniers de Newcastle. Tout cela il faut le tempérer par la constatation que la majorité de la population anglaise, toutes classes sociales confondues, est proba blement restée au fond neutre et a subi la guerre civile sans y participer. Militairement le roi a au départ peu de troupes, mais il a les seules unités constituées, issues de l’ancienne armée royale, et la gentry lui amène beaucoup de cavaliers et d’officiers, fi est rejoint par la large majorité des officiers professionnels anglais, qui viennent d’Irlande ou du continent où ils ont servi dans la guerre de Trente Ans comme mercenaires. Le Parlement a avec lui la flotte mais pas grand chose en fait d’année. La milice urbaine de Londres, certes, mais peu de cavaliers, peu d’officiers expérimentés, par contre beaucoup d’argent pour acheter des canons.
Les historiens modernes, férus de statistique, ont cherché en vain des différences sociales entre les deux fractions du Parlement définitivement séparées à l’été 1642. Toutes les deux constituent un même échantillon des classes dominantes anglaise, lords, beaucoup de gentry, quelques bourgeois. Mais de façon fort intéres sante la moyenne d'âge des royalistes est nettement plus jeune que celle des parlementaires.

Ce que le parti parlementaire a et que le parti royaliste n’a pas, c’est le support, certes bien inconfortable, d’une mobilisation populaire.

4.2 L’explosion populaire

L’été 1642 voit se propager à travers le pays une “grande peur” populaire. On a peur de “complots papistes”, de débarquements d’Irlandais, qui s’ap prêteraient à massacrer des puritains. En de nombreux endroits des foules de paysans et de plébéiens attaquent les maisons de membres de la gentry pour les empêcher de rejoindre l’armée royale, chassent des villes et vil lages les commissaires royaux qui amènent l’ordre de mobilisation du roi. De véritables insurrections popu laires éclatent dès août 1642, par exemple à Colchester.

Huit mille apprentis de Londres s’enrôlent volon taires dans l’armée parlementaire. Les tisserands de Manchester obligent en septembre 1642, le comte de Derby de lever le siège de la ville. Coventry et Binn ingham se soulèvent contre leurs Municipalités crain tives pour empêcher l’entrée des royalistes. Birmingham était une ville sans statut de bourg, juridiquement un village, pas de députés au Parlement et pas de fortifica tions. C’était la capitale de la métallurgie la plus mo derne, car sans corporations pour la réglementer. Un comité réunissant des couteliers, des forgerons, des ver riers, des menuisiers, improvise une milice, des fortifi cations de fortune, une garde. On se bat héroïquement contre la cavalerie du prince Rupert du Palatinat, le neveu du roi et enfant chéri de l’armée royale.

L’insurrection est la plus massive dans les régions drapières du Nord (West Riding of Yorkshire). Des unités improvisées de paysans attaquent l’armée du comte de Newcastle. Quasiment seul parmi la gentry de la région, le riche Sir Thomas Fairfax (1612-1671) accepte, après de longues hésitations, de se mettre à la tête du mouvement Il organise une armée, obtient des subsides des Municipalités, force en janvier 1643 le comte de Newcastle à lever le siège de Bradford et libère progressivement tout le Nord. “Faire comme à Brad ford” va devenir le slogan des parlementaires radicaux, comme le proclame une brochure parue à Londres le 12 janvier 1643, Plain English (En simple anglais), qui eut beaucoup de retentissement et qui demande l’armement du peuple.

4.3 Quelle guerre?

A Londres le Parlement tente d’organiser l’effort de guerre. Des comités sont élus pour servir d’exécutif. L’âme et l’homme à tout faire en est John Pym, mais il mourra en décembre 1643. On essaie d’établir la coordi nation avec les comités de comtés qui, en province, réunissant des “notables” parlementaires, mais s’associant de plus en plus des hommes nouveaux, de moins haut rang, tentent de maîtriser “l’anarchie popu laire” et de mobiliser de “vraies troupes”. Une armée est créée mais la guerre coûte très cher. Des impôts directs sont levés, que les comités des comtés sont chargés de collecter. On introduit un impôt indirect, une taxe sur toutes les ventes, sur le modèle des Provinces-Unies. Au total une lourde fiscalité que gèrent sur mandat du Parlement, des comités de marchands et financiers lon doniens qui avancent des fonds au Parlement.
Le roi est basé tout près de Londres, à Oxford, avec le gros de l’armée royale qui essaie à plusieurs reprises de marcher sur la capitale. Après une première bataille confuse à Edgehill (23 octobre 1642), Londres est sau vée en novembre 1642 par la milice urbaine sous le commandement de Philip Skippon, officier sorti du rang, à Tumham Green et de nouveau à Newbury en 1643. Mais on refuse l’armement du peuple. En mai 1643, tandis que dans un effort de fourmis, la popula tion de Londres fortifie la ville en creusant des tran chées et construisant vingt-huit forts de terre et charpente, la Municipalité propose la levée en masse de la ville. Le 19 juillet dans un grand meeting à l’Hôtel des Marchands-Tailleurs, un comité pour un soulèvement général est constitué. Mais le Parlement refuse et renvoie chez eux en novembre des milliers de campagnards venus pour s’enrôler.
Le général, le comte d'Essex, grand seigneur puritain, homme sombre et méditatif, conduit l’armée de façon molle et fataliste. D’ailleurs il ne cache pas qu’il n’a nulle intention de vaincre le roi, mais seulement de le forcer à des concessions. En réalité cette optique est partagée non seulement par les Lords mais par la majorité des Com munes.
Les désertions d’officiers issus de la gentry, rejoignant le roi, se multiplient. C’est l’armée royale qui a l’initiative. Un Denzil Holles est partisan de faire la paix avec le roi.
Comment gagner sans armer le peuple, telle était la question qui tourmentait le Parlement. Une solution intermédiaire serait de constituer une armée de “saints”, c’est-à-dire des bourgeois puritains bon teint, Une péti tion à cet effet circule à Londres dès juin 1643.

Une autre solution intermédiaire plus prudente s’imposa: rechercher l’alliance des Ecossais.

Le 23 septembre 1643, les Parlements d’Angleterre et d’Ecosse concluent “La Ligue et Convenant Solen nels” (Solemn League and Covenant). On fait ainsi d’une pierre plusieurs coups : on reçoit le renfort de l’armée écossaise, forte de 20.000 hommes; on concède aux Ecossais l’imposition en Angleterre du presbytéria nisme à leur exemple; on utilise ce changement radical d’organisation religieuse pour interdire et pourchasser les congrégations populaires, discipliner les plébéiens; et en même temps on place reffort de guerre parlemen taire sous un drapeau religieux qu’il n’avait pas jusque- là, pour fanatiser des masses étroitement contrôlées. Et la majorité “presbytérienne” expulse pour un temps du Parlement Henry Marten, qui s’est trop signalé à l’extrême-gauche des Communes comme partisan d’une guerre à outrance contre le roi.
Après la mort de Pym, on constitue en janvier 1644 un “Comité des Deux Royaumes” pour dirige: l’effort de guerre. Le comité est dominé par les Lords anglais et écossais, et des modérés des Communes, mais il voit l’entrée au gouvernement d’Olivier Cromwell et de deux autres “durs” qui seront bientôt parmi les très rares républicains de principe du Parlement, 5k Henry Vane (1613-1662) et 5k Arthur Haselrig (1610-1661).

Cromwell, député de Cambridge maintenant colonel, a débuté la guerre comme capitaine de cavale rie. Après la semi-défaite de Edgehill, il est rentré chez lui à Cambridge et de concert avec le Comte de Man chester il a levé dans l’East-Anglia une année, la “East ern Association”, dans laquelle il a plus particulièrement constitué un régiment de cavaliers volontaires issus de la paysannerie, des paysans libres ou censiers modestes, mais suffisamment aisés pour payer leur cheval et leur harnachement. Il les a soig neusement entraînés. Ce sont les fameuses Côtes de Fer (Ironsides). Il choque tout le monde, en particulier le comte de Manchester, en nommant officiers des non- nobles.
Faisant leur jonction, l’armée écossaise, l’armée de Fairfax et la Eastem Association battent l’armée royale à Marston Moor en juillet 1644.
Mais la victoire est loin d’être décisive et le comte d’Essex en septembre abandonne lamentablement par bateau son armée encerclée par les royalistes sur la côte de Cornouailles. Pym n’est plus là pour tenir ensemble les fractions du Parlement On n’arrive pas à se décider à instituer le presbytérianisme totalement impopulaire, Essex et Manchester dénoncent les nominations de Cromwell qui dénonce leur incompétence. La majorité du Parlement emmenée par Essex, Manchester et Denzil HoUes, qui est le leader de la majorité “presbytérienne” aux Communes, veulent négocier avec le roi. Le Parle ment écossais aussi. Les négociations ont lieu à Uxbridge en décembre 1644-janvier 1645. Le roi ne fait aucune concession. C’est l’impasse. Le Parlement n’a pas d’autre issue que de poursuivre la guerre. L’heure est venue de ceux parmi les parlementaires qui ne veulent pas seulement poursuivre la guerre, mais la gagner.

4.4 L ‘Armée Nouveau Modèle victorieuse

Ceux-là sont un groupe de parlementaires très minoritaires qu’on appelle les indépendants parce que refusant le monolithisme religieux du presbytérianisme, ils défendent l’indépendance des congrégations, et une certaine latitude doctrinale. Les indépendants sont une tendance hétérogène aux contours imprécis, qui grossit ou rétrécit selon les votes. Sur le plan religieux, ils vont de stricts calvinistes à des “chercheurs” hétérodoxes en passant par des baptistes modérés comme Cromwell, et sur le plan politique, de conservateurs décidés simplement à gagner cette guerre, à des républicains de principe. Leur point de vue religieux forme un tout avec leur point de vue militaire: ils défendent la tolérance religieuse non seulement à cause, comme ils disent, de l’impossibilité de connaître avec certitude la volonté divine, mais parce qu’ils refusent d’exclure les anabaptistes et autres hérétiques plébéiens de l’armée. En fait, ils veulent favoriser des officiers motivés, issus de ce milieu mal vu, aux dépens des inefficaces officiers bien nés. Le 3 avril 1645 ils réussissent à réunir une majorité fragile du Parlement pour voter une ordonnance habile (Self Denying Ordinance) qui interdit à tout membre de la Chambre des Lords ou de la Chambre des Communes d’occuper un poste de commandement dans l’armée. C’est se débarrasser en douce des Manchester et autres Essex. Le Parlement discutait depuis longtemps d’une “Armée Nouveau Modèle”, uniformisée et rationalisée dans sa structure, ses fonctions, ses grades, ses armements. Ce fut la première armée moderne. Elle sera commandée par des hommes neufs, révélés par la guerre civile. 5k Thomas Fairfax est nommé commandant en chef. Indice de son autorité ascendante, Olivier Cromwell non seulement n’est pas contraint de remettre son commandement, mais il est nommé Lieutenant- général. La Chambre des Lords, hostile, n’accepte sa nomination que pour trois mois.
Cela suffira, car l’Armée Nouveau Modèle fait merveille. L’armée royale est écrasée à Naseby le 14 juin 1645. Charles Ter acculé, choisit de se rendre aux Ecossais. L’année 1646 se passe en négociations qui n’apportent aucun élément nouveau. Le 30 janvier 1647 les Ecossais livrent leur prisonnier au Parlement anglais contre paiement d’un demi-million de livres. Le pays était fatigué de la guerre: en 1645 s’était constitué dans plusieurs régions un mouvement armé de paysans excédés par les ravages des deux armées en lutte et exigeant la fin de la guerre et une paix de compromis (mouvement des clubmen).

5 Le radicalisme religieux

5.1 Le calvinisme

Au plus tard dès la fondation en 1559 de l'Académie de Genève par le grand réformateur Jean Calvin (1509- 1564), le calvinisme fut non seulement le courant le plus dynamique de la Réforme protestante, mais il fut le système de pensée le plus prestigieux aux yeux de tous les intellectuels humanistes critiques de l’Europe dans la deuxième moitié du XVIe siècle et le début du XVITe. Aux éléments généraux de la Réforme protestante (le salut par la foi et non par les oeuvres; le rejet de la transsubstantiation du vin en sang et du pain en chair du Christ, et donc de la messe; le rejet du prêtre et de l’Eglise comme médiateurs entre le croyant et Dieu au profit de la prêtrise de tous les croyants et donc du face à face individualiste de chacun avec Dieu; l’autorité absolue de la Bible et donc la valorisation de l’alphabétisation pour que chacun la lise; le rejet de toutes les “superstitions et idolâtries” “papistes” : la croyance au purgatoire, le culte de la vierge et des saints, les images et les ornements; le rejet de l’autorité temporelle de l’Eglise et de sa hiérarchie, le rejet de la vie monastique; le mariage des pasteurs) le calvinisme rajoutait essentiellement trois éléments: 1 une rationalisation doctrinale rigoureuse; 2 une insistance particulière sur le dogme de la prédestination des âmes sauvées et des âmes damnées; c’est-à-dire que c’était douter de la toute-puissance divine que d’imaginer que le croyant, par son mérite et donc sa volonté et ses efforts, puisse assurer son salut; que le nombre et l’identité de ceux qui allaient au paradis ou en enfer étaient fixés par Dieu par avance. Le calvinisme est donc très élitiste puisqu’il envisage une élite de “saints” qui seront sauvés tandis que la masse sera damnée. 3 une organisation ecclésiastique qui soumet la paroisse à l’autorité combinée du pasteur et d’un conseil des “anciens”, coopté, “le presbytère”; donc un groupe de notables laïques issus de la paroisse et non imposés d’en haut par une hiérarchie dEglise ou d’Etat (presbytérianisme).

Le calvinisme fut dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles un protestantisme de gens économiquement plutôt aisés, bien scolarisés et cultivés, voire intellectuels, de rang social intermédiaire, petite noblesse, bourgeois, artisans. Chez les plébéiens, il se heurta à la concurrence (tout en s’y mélangeant) de l’anabaptisme, plus ancien, égalitariste voire communisant, qui insiste sur le baptême, donc la conversion, à l’âge adulte et met en doute tout Au-delà et toute organisation ecclésiastique.
Dans le contexte du mouvement puritain anglais, le calvinisme et l’anabaptisme connurent une évolution qui engendra les radicalismes religieux et intellectuels les plus novateurs et audacieux du protestantisme. Le dogme calviniste de la prédestination était très pessimiste. La menace pour chacun, aussi bien qu’il fasse, d’être en réalité damné d’avance aurait dû susciter angoisse, découragement et passivité. Or il suscita un type d’individu très angoissé mais extrêmement dynamique. Car le protestantisme valorisait l’activité pratique et non la contemplation, la fidélité à la voix de sa propre conscience et la prise de responsabilités et non le conformisme et l’obéissance. Et les calvinistes, peu nombreux au départ, étaient convaincus que leur dynamisme et leur courage était le signe qu’ils étaient bel et bien les “saints” prédestinés, sûrs de leur salut, malgré leurs faiblesses.

Le dogme de la prédestination avait une connotation sociale: les “saints” prédestinés étaient les gens d’une certaine élite, propriétaires, cultivés. La masse pauvre, grossière, envieuse, inculte, était les damnés d’avance.

L’Eglise catholique rejetait le dogme de la prédestination et affirmait la possibilité pour chacun d’assurer son salut. ‘On appelait “arminianisme”, du nom d’un théologien calviniste néerlandais, le courant de doctrine au sein du protestantisme qui rejeta la prédestination au profit de la promesse du salut pour tous. Il y eut un “arminianisme” de droite, celui des anglicans laudiens, inclinant vers le catholicisme. Mais il y eut un “arminianisme” de gauche qui affirmait la possibilité pour les pauvres aussi d’aller au paradis. Dans ce sens, les anabaptistes, et leur variante anglaise, les familistes, avaient toujours été “arminiens”.

5.2 Les humanismes puritains

La nouveauté fut un “arminianisme” de gauche d’un niveau supérieur, élaboré par des grands humanistes puritains issus des classes dominantes et des meilleures universités. C’est un aspect de ce qu’on a appelé la “révolution culturelle baconienne”. Le chancelier Francis Bacon (1561-1626), le grand philosophe humaniste puritain, que les philosophes des Lumières considérèrent comme leur précurseur, rejetait le pessimisme calviniste sur le destin humain. Il envisagea avec optimisme que les progrès des sciences et des techniques, et l’effort collectif, permettraient un jour de recréer l’abondance d’un Eden sur terre grâce au travail.
Milton va non seulement prendre la défense des hérétiques plébéiens, anabaptistes et familistes, mais incorporer dans ses écrits nombre de leurs éléments de doctrine: Milton était non seulement anticlérical et arminien; mais aussi antitrinitaire, c’est-à-dire convaincu de la primauté du Père sur le Fils; mortaliste, c’est-à-dire rejetant rAu-delà et l’immortalité de l’âme, considérant que paradis et enfer ne sont pas des réalités extérieures, mais des états intérieurs de l’âme humaine; antinominien, c’est-à-dire rejetant l’obsession du péché et du respect strict de règles de comportement au profit de la liberté de celui qui a la foi; et millénariste: comme beaucoup d’autres, Milton pensa que les grands bouleversements de la révolution étaient les préludes du retour du Christ pour instaurer son royaume sur terre.
On est bien loin du calvinisme, La disparition de la censure dès 1640, et l’activité politique des plébéiens a mis en branle un bouillonnement d’idées sans précédent, une floraison d’écrits, de doctrines et de polémiques religieuses, philosophiques, artistiques, politiques. En 1645 il paraissait en Angleterre 722 journaux périodiques!
Si pour Milton Dieu désignait l’ordre cosmique, la providence divine quelque chose comme les lois de l’histoire, et le livre de l’Apocalypse permettait d’interpréter les événements de la révolution, pour l’aumônier militaire William Erbery, autre “chercheur” comme Milton, comme plus tard pour les Quakers, c’est le texte de la Bible qui était mis en doute comme parole de Dieu et la fidélité des Apôtres aux intentions du Christ; et pour le théoricien communiste Gérard Winstanley (1609-1676) le royaume du Christ désignait une république démocratique et la Bible était interprétée de façon strictement allégorique comme décrivant les processus de libération intérieure de l’esprit humain et de formation de la conscience.

La venue au pouvoir dans l’Eglise de l’archevêque Laud avait poussé les èalvinistes à se regrouper dans leurs propres communautés (congrégations d’où congrégationalisme) en élisant leurs propres pasteurs, c’est-à-dire à se séparer de lEglise. C’était de la part de gens appartenant plutôt aux classes dominantes en venir à faire ouvertement ce que les sectes plébéiennes faisaient depuis longtemps dans la clandestinité. A l’effondrement des organes de répression en 1640 tout cela se fit au grand jour et s’accéléra. Les problèmes qui étaient ainsi posés n’étaient pas seulement ceux de l’organisation ecclésiastique et de la liberté religieuse, mais celui de la liberté de réunion et d’organisation. Si les “sectes” religieuses plébéiennes faisaient si peur aux possédants, calvinistes compris, c’est que dans les réunions religieuses on ne parle pas que de religion. On parle de ses problèmes dans la vie et on se forme un point de vue et une volonté commune. Du radicalisme religieux au radicalisme politique il n’y avait pas même un pas. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, tolérer la liberté religieuse revenait à tolérér l’auto-organisation des masses plébéiennes, contre tous les ordres établis.

6 La question agraire

Une des composantes des insurrections populaires anti-royalistes de l’été 1642 était un mécontentement paysan dont l’origine était bien plus ancienne. Les progrès de la commercialisation de ragricult~ avaient accentué la différenciation sociale parmi les paysans et mettait en danger la sécurité de la masse des copy holders, et bientôt également des paysans propriétaires. Cette évolution avait été accélérée aux XVIe siècle par l’expansion économique européenne et la hausse des prix, et par les acheteurs des terres d’Eglise, soucieux de rendement pour pouvoir amortir leur mise souvent empruntée. Pour accroître leurs revenus, la dureté mi nutieuse dans l’exigence des cens et autres charges féo dales était la solution la plus immédiate pour les nouveaux gentilhommes comme pour les anciens féo daux pressés par la hausse des prix des produits de con sommation. La sévérité pour les paysans en fut relativement atténuée par l’inflation, entre autres parce que les cens dûs étaient par coutume souvent fixes en valeur nominale, à la différence de la dîme, d’autant plus détestée. La dîme d’ailleurs, qui est dûe souvent non plus à l’Eglise mais au propriétaire foncier qui en a acheté les droits en échange de l’obligation de payer chichement le curé; qu’il a le droit en outre de choisir et qu’il contrôle donc.

6.1 L”amélioration” agricole

Une solution plus complexe pour accroître les reve nus est l’introduction de nouvelles techniques agricoles qui commencent dans l’esprit rationaliste de la Renais sance à être expôsées à un plus large public dans des livres d’un genre littéraire avant-gardiste: des manuels de conseils agronomiques. L’idée est de remplacer le régénération du sol au moyen de la traditionnelle friche triennale, par l’engraissement pù les excréments ani maux. Au lieu de tuer les rares vaches et chevaux en hiver pour les manger faute de fourrage, cultiver à la place de la friche triennale des nouvelles plantes de cul ture, trèfle, luzerne, laitue .... qui à la fois régénèrent le sol et fournissent un fourrage accru pour un bétail plus nombreux et permanent. Plus de bétail égale plus de fumier et plus de force de traction, donc possibilité d’employer des machines, des charrues plus lourdes creusant plus profond, les premiers semoirs, des trans ports par char de plus grand tonnage et à plus grande distance.
C’est l’embryon de ce qui sera la grande révolution technologique de l’agriculture européenne des XVIUe et XIXe siècles. Mais c’est une modernisation qui se heurte à l’organisation communautaire traditionnelle de l’assolement triennal du village et qui exige un niveau de formation et surtout de gros capitaux dont de très rares propriétaires sont pourvus. Le début du XVIIe siècle anglais voit ainsi apparaître dans les campagnes une silhouette nouvelle, celle du propriétaire foncier “améllorateur” (improving landlord), l’ancêtre du gentle man-farmer.

Dans l’assolement triennal traditionnel, le tiers des champs laissés en friche durant l’année en cours, est ouvert à tous les villageois qui peuvent y laisser paître leurs bêtes librement. Les champs ne sont donc pas clôturés. Ce sont les “communs” du village, auxquels s’ajoutent les terres incultes parce que marécageuses, les forêts du seigneur ou du roi, et dans plusieurs régions les vastes étendues de tourbières (fens), toutes surfaces auxquelles les villageois ont certains droits d’accès com muns pour y glaner fruits et champignons, et y faire paître bétail ou cochons. D’un côté la croissance démographique rend l’accès aux communs encore plus indispensable à la majorité la plus pauvre des paysans; de l’autre côté, les progrès de la commercialisation de l’agriculture et de l’achat et vente des terres augmente le nombre des propriétaires fonciers, nobles, de la gentry, ecclésiastiques, bourgeois, voire certains riches villa geois qui cherchent à clôturer leurs terres pour les “améliorer” et à remplacer la tenure emphytéotique de leurs paysans-censiers par des contrats d’affermage courts de neuf, six, parfois trois ans. Un processus d’expulsion du paysan le plus pauvre, qui ne peut payer ses cens, ou son loyer, se met en branle lentement. Le statut du copyholder anglais menace de s’éroder. Cer tains deviennent fermiers, parfois de riches fermiers, beaucoup risquent de grossir les rangs des paysans sans terre, journaliers ou vagabonds.

6.2 Les luttes anti-clôtures

La dépression agricole des années 1620-1630, succé dant à une hausse constante des charges féodales depuis 1570 accroît la tension. Par des démarches en justice, et à l’occasion par des manifestations plus directes, des villageois cherchent à obtenir des garanties de leur te nure emphytéotique et à empêcher les enclôtures.
Pressé par le besoin d’argent, le gouvernement de Charles Ter vend en gros et au détail des autorisations d’enclôtures, bien que la loi les interdise. Mais seul dans le gouvernement, farchevêque Laud défend leur répression et utilise à cet effet les tribunaux ecclésiastiques. Il comprend que c’est indispensable pour ne pas ajouter les paysans à la liste des ennemis de l’absolutisme. (Ce sera la pratique assez constante de l’absolutisme français jusqu’à la deuxièmé moitié du XVIlle siècle de réprimer les enclôtures).
De 1636 à 1638 en Angleterre, six cent “enclo seurs” sont mis à l’amende, surtout de rang modeste, c’est-à-dire de la gentry, des bourgeois, des riches vil lageois. Mais à des oiseaux de plus haut vol, Charles 1er accorde généreusement des exceptions, en particu lier à de grands entrepreneurs qui clôturent des tourbières pour les drainer à grands frais: des grands financiers bien en cour, des grands seigneurs “améliora teurs” ou simplement spéculateurs, et même la reine. La fin des années 1630 voit se multiplier les révoltes villageoises qui arrachent les clôtures, et se battent pour cela contre les gens d’armes. Ce mouvement dirigé contre le parti de la Cour culmine dans les insurrections de l’été 1642 et apporte le soutien de larges secteurs de la paysannerie au Parlement qui, pendant une quinzaine d’années, va édicter des mesures qui freineront les enclôtures. Mais ce mouvement contre les “améliorateurs” liés à la Cour masque pour un temps le conflit d’intérêts entre les paysans et les parlementaires, eux aussi “encloseurs”, pour qui la politique anti-clôtures de Laud a été en réalité un de leurs motifs d’hostilité à l’absolutisme. La vente des “Biens nationaux” A l’éclatement de la guerre civile, et souvent sous la pression populaire, les terres des royalistes et des évêques sont mises sous séquestre et leurs revenus con fisqués par le Parlement pour ses dépenses de guerre. Le séquestre est officialisé par un Acte du Parlement du 27 mars 1643, qui confie la gestion de ces terres et la per ception des cens, fermages, et autres charges féodales aux comités locaux, qui doivent empêcher que les pay sans profitent de la proscription de leurs maîtres pour ne plus payer leurs cens et charges. Les revenus sont rassemblés par le trésorier de guerre du Parlement à Londres à l’Hôtel de ville (Guildhall). Dès 1643, on offre la possibilité aux propriétaires royalistes d’obtenir un arrangement à la condition de payer une amende équivalant à de la moitié aux deux tiers du prix de leur terres, après avoir remboursé d’abord tous leurs créanciers. Ils sont donc contraints ou de s’endetter mas sivement ou de vendre massivement à ceux qui possèdent du capital. Ces amendes d’arrangement (com position fines) sont gérées par un comité de bourgeois qui siège à rHôtel des Orfèvres. La Chambre des Lords s’est opposée à ces amendes d’arrangement. Avec l’appui de la majorité presbytérienne des Communes, elle réussit à bloquer la vente aux enchères des terres séquestrées que réclament l’armée et les radicaux. Mais dès 1646 les nécessités financières de l’effort de guerre et Fascendant des radicaux se conjuguent pour pousser à la vente. Le 9 octobre 1646, le Parlement vote la vente des terres des évêques, le plus facile car ce sont ceux qui ont le moins d’amis; en avril 1649 ce sera le tour des terres des chapitres des cathédrales; en 1651-1652 finalement celui de tous les royalistes non-amnistiés. La vente aux enchères a été précédée par la mise en gage auprès des banquiers principalement londoniens qui prêtent à rEtat. Ils seront finalement les acheteurs. Les paysans ont certes obtenu du Parlement un droit de préemption des terres de leur maître, pendant 30 jours au prix de 8 ans de revenus de la terre, mais comme on ne leur a accordé ni facilités de crédit ni délais de paie ment, ils n’ont aucune chance. En 1647, à la victoire, les soldats qui réclament leur paye reçoivent des titres de parcelles gagés sur les terres séquestrées promises à la vente. L’intention des chefs de l’armée, certains au moins, est de consolider la classe de petits propriétaires paysans aisés, qui est la colonne vertébrale de la nou velle armée et de la victoire. Mais l’obstruction de la majorité possédante du Parlement donne à la tentative exactement le résultat inverse. Les soldats n’ont pas de liquidités qui leur permettraient d’attendre la vente de ces terres. ils sont contraints pour vivre, de vendre pour une bouchée de pain leurs titres à des hommes d’affaires, de la gentry et surtout des bourgeois, mais aussi des officiers supérieurs, à qui le Parlement octroie d’immenses domaines pour services rendus.

6.3 La défaite des paysans anglais

La défaite du mouvement populaire entre 1648 et 1653 voit la défaite du mouvement pour la garantie du statut emphytéotique et pour l’abolition de la dîme. La fin de l’interdiction des enclôtures, déjà violée en pratique de partout, ne saurait plus tarder. Le 19 juin 1657, le Parlement de Cromwell vote une loi qui les autorise en les réglementant. Les terres sont clôturées par partage entre les villageois eux-mêmes. C’est en apparence un compromis. En réalité, c’est favoriser les villageois aisés, les mettre du côté des grands entrepre neurs agricoles, et les lois du marché aidant, qui finis sent toujours par obliger le petit paysan endetté à vendre ses droits à la terre, ouvrir la voie à la destruc tion de l’organisation communautaire du village anglais, et à l’expulsion des petits paysans.

A la Restauration de la monarchie en 1660, les royalistes, exilés ou proscrits, se voient formellement restituer leurs terres. Mais pas celles qu’ils ont vendu. Or ils ont dû vendre en masse, et beaucoup d’entre eux rentrant sans le sou et endettés, vont continuer de ven dre en masse. De plus, malgré leurs droits, ils ont peu de chances devant les tribunaux chargés de trancher les infinies contestations face aux nouveaux propriétaires disposant de plus grandes liquidités. Dans les cam pagnes, le bilan net de la révolution anglaise, malgré son apparent défaite, est donc un nouveau transfert mas sif de terres de la noblesse et de la gentry tradition nelles à de nouveaux riches, qui ont opéré en capitalistes, qu’ils soient à l’origine des bourgeois lon doniens, des officiers de l’armée, des membres de la gentry parlementaire.

Qui plus est, tant le nouveau propriétaire capitaliste que le noble royaiiste de retour vont entreprendre “d’améliorer” à fond l’exploitation de leurs terres, celui- ci parce qu’il rentre fauché et qu’il a compris qu’il a failli disparaître de la terre; celui-là parce qu’il fonc tionne en termes de rendement et de profit. La voie est ouverte pour l’expulsion massive des copyholders et des petits propriétaires des campagnes anglaises, et le développement de la grande exploitation agricole capita liste qui vont caractériser le XVIile siècle anglais.

7 Débordement niveleur et contre-révolution partielle 1647-1649

7.1 Les niveleurs

L’enthousiasme de la victoire et la fin des opérations militaires ont libéré à la gauche des indépendants, une explosion du mouvement radical démocratique: le “Parti des niveleurs” comme l’appellent ses ennemis. Les niveleurs ne sont pas représentés au Parlement. Leurs activistes sont issues d’une aile gauche des corpo rations d’artisans et du Common Council de Londres. Ils sont animés par un groupe de brillants intellectuels, publicistes et tribuns autour de John Lilburne: le marchand de soie Wiliam Waiwyn, l’imprimeur Richard Overton, l’avocat John Wildman. Le “Parti niveleur” va rassembler et formuler, en un programme politique élaboré, les revendications des mouvements plébéiens des villes et des campagnes qu’il rallie derrière lui. Et la radicalisation plébéienne est avivée par la crise écono mique: les années 1640 sont économiquement les pires du siècle, 1648 la pire; les récoltes sont mau vaises, la guerre a fait de gros dégâts, les prix montent tandis que le chômage fait baisser les salaires.
En 1645-1646, on s’est battu pour une démocratisa tion des corporations et de la Municipalité de Londres, en mai 1646 des délégués des paysans du Buckingham shire et du Hertfordshire sont venus à Londres revendi quer la suppression de la dîme. En 1644 après la bataille de Marston Moor, où il s’est battu comme lieu tenant-colonel des dragons, Lilburne a quitté l’armée parce qu’il refuse de jurer le Convenant Pour ses écrits jugés subversifs, les presbytériens et les Lords l’emprisonnent de juillet à octobre 1645, et à nouveau en avril 1646. En 1646 il publie deux pamphlets reten tissants: La découverte des Libertés de Londres enchaînées (London’s Liberty in Chains Discovered) et Défense de la liberté de l’homme libre (The Free -Man’s Freedom Vindicated), dans lequel il écrit que Dieu a créé les hommes “par nature tous égaux et semblables en pouvoir, dignité, autorité et majesté...” Une efferves cence de publications “niveleuses” dénonce rexploitaflon du pauvre par le riche, la misère du pauvre, l’insensibilité, l’arrogance, et l’hypocrisie religieuse des riches parlementaires.

En réalité, de tout le camp parlementaire dans la ré volution anglaise, le “parti des niveleurs” fut le seul groupement d’opinion à présenter un programme poli tique systématisé d’une révolution de la société et de l’Etat:

• suffrage universel mâle;

• assemblée unique, donc dissolution de la Chambre des Lords;

• dissolution du Parlement et nouvelles élections après élargissement du suffrage et attribution à toutes les circonscriptions d’un nombre de députés proportionnel à leur population;

• élection des juges, des magistrats de ville et de comté, des curés de paroisse;

• abolition de la dîme;

• liberté religieuse pour tous, même les catholiques romains;

• abolition des impôts indirects; retour au subside territorial d’avant-guerre ou mieux, à un impôt sur le revenu; • suppression des enclôtures;

• garantie de tenure pour les copyhoiders et conver sion de leur tenure en libre propriété du sol par rachat au prix de vingt années de charges dûes; donc abolition des charges féodales par rachat

• abolition du monopole des compagnies commerciales;

• abolition du droit d’aînesse, donc héritage par par tage égal entre tous les enfants;

• abolition de la prison pour dettes;

• adoucissement et codification, en langue compré hensible, des lois pénales.

La composition et la force de l’Armée Nouveau Modèle en fait le véhicule redoutable du radicalisme plébéien.

7.2 L’armée plébéienne contre le Parlement

Le 18 février 1647, la majorité presbytérienne du Parlement qui continue à négocier avec le roi prison nier, dissout l’armée sans paiement, sans indemnités ni pensions pour les veuves et orphelins de soldats, sans immunité judiciaire pour des actes commis en guerre. Après dissolution, les soldats ont la possibilité de se rengager individuellement pour aller combattre la rébellion en friande sous le commandement de Fairfax, à condition que les officiers juient le Convenant C’est une véritable provocation. Les troupes sont indignées. En mars, les régiments de cavalerie, où le soldat a plus d’assurance et de politisation, élisent des délégués de soldats appelés “agitateurs” et dont beau coup sont niveleurs de conviction. En avril, c’est le tour des régiments d’infanterie. Après avoir condamné les initiatives de la troupe, et beaucoup hésité, Fairfax, Cromwell et les généraux se solidarisent avec le mouvement et refusent la dissolution. Généraux et chefs indépendants comprennent qu’effrayée par le débordement niveleur, la majorité presbytérienne va s’empresser de concéder une restauration du roi à bas prix, ce qui entraînerait inévitablement un basculement du balancier au profit des royalistes; que dissoudre l’armée, c’est supprimer le seul contrepoids ou courir le risque d’une insurrection populaire sauvage.

Le 25 mai, le Parlement vote un ultimatum et fixe à chaque régiment un lieu distinct de démobilisation. Au lieu de cela, tous les régiments se réunissent le 2 juin à Newmarket. Là, les troupes résolvent les 4 et 5 juin de refuser leur dissolution tant que leurs exigences ne sont pas satisfaites et de revendiquer la liberté reli gieuse et la vente des terres royalistes.

Le 3 juin, le cornette Joyce, à la tête de 500 hommes, sans commission d’aucune autorité ni officier supérieur, s’empare de la personne du roi. Il semble bien qu’il en a conféré au préalable avec Cromwell. Le 15 juin, le conseil de l’armée nouvellement crée, formé des généraux et colonels et de deux officiers par régi ment, est forcé d’accepter en son sein deux “agitateurs”- soldats par régiment Le Conseil de l’armée accuse onze leaders presbytériens des Communes, dont Denzil Holles, de trahison et complot.

Décidant qu’il faudra dissoudre ce Parlement, on entreprend de marcher sur Londres. Le 17 juillet, le Conseil de l’armée adresse au Parlement un catalogue de propositions constitutionnelles, les Articles de Propo sitions (Heads of Proposais). Devant l’approche de l’armée, les onze députés presbytériens menacés pren nent la fuite, la plupart à l’étranger. La milice urbaine refuse de défendre la ville contre l’armée, mais une ma nifestation d’apprentis presbytériens envahit brièvement les Communes et les force à voter le retour du roi à Londres. Cinquante sept députés indépendants accom pagnés de neuf Lords se réfugient auprès de rarmée qui accélère sa marche et occupe Londres sans coup férir, le 6 août. Le Parlement s’empresse de voter un mois de paye aux soldats et sous-officiers.

7.3 Cromwell face aux niveleurs

Entre l’été 1647 et le printemps 1649 se joue le drame de la révolution anglaise. Les niveleurs semblent avoir le vent en poupe. Si l’armée suit leurs proposi tions, si elle fait sa jonction avec un soulèvement plé béien, si les niveleurs obtiennent l’alliance des parlementaires radicaux, la dissolution du Parlement et l’élection d’une nouvelle assemblée ouvriront la voie à la liquidation de l’ordre féodal et à la construction cohé rente d’une république démocratique de petits proprié mires. Dans la situation de double pouvoir copfuse, en réalité de pouvoirs multiples en équilibre instable, Cromwell et ses amis vont louvoyer entre les niveleurs et le Parlement, entre les plébéiens et les classes domi nantes traditionnelles. Cromwell est un improvisateur qui avoue ignorer ce qu’il veut, mais bien savoir ce qu’il ne veut pas. Il va réussir à chevaucher le déborde ment et le ramener dans un cadre plus limité en jouant sur la discipline militaire.

Les Articles de Propositions rédigés par deux de ses proches, le colonel Ireton, son beau-fils, et le général Lambert, contiennent les exigences principales suivantes: - dissolution du Parlement dans le délai d’une année; - nouvelles élections après une nouvelle répartition des sièges à toutes les circonscriptions en proportion de leur contribution fiscale; - paiement et maintien de l’armée jusqu’à la session de ce nouveau Parlement - suprématie parlementaire sur le roi et retrait au roi de toute autorité sur les forces armées durant dix ans comme dans les dernières propositions du Parlement; - liberté religieuse totale sauf pour les catholiques romains; - exemption des produits de première nécessité de l’impôt indirect; - abolition des monopoles des compagnies commerciales; - ré-examen de l’opportunité de la dîme.

On perçoit les concessions aux niveleurs; en même temps ces propositions sont inacceptables et pour eux et pour la majorité presbytérienne du Parlement.
En octobre, les niveleurs publient un projet de constitution L’Accord du peuple, et le soumettent au Conseil de l’armée. Celui-ci en discute lors du mé morable débat tenu dans l’église de Putney, dans la ban lieue de Londres, les 28-29 octobre et 1er novembre 1647. Le point de vue niveleur est défendu par Wild man, qui est major dans l’armée, “l’agitateur” Sexby, et surtout le colonel Rainsborough.

7.4 La question du suffrage universel

La discussion porte essentiellement sur le suffrage universel. Ireton et Cromwell refusent absolument d’envisager l’octroi du droit de vote à des hommes ne possédant pas une propriété minimale. Les “niveleurs” étaient appelés ainsi par calomnie pour les traiter de communistes. Ireton et Cromwell leur accordent qu’ils veulent certes respecter la propriété privée, mais deman dent ce qui empêchera un parlement élu par la majorité des pauvres de voter des expropriations, le partage des terres, et qui sait, l’abolition de la propriété privée. En outre, l’élection de toutes les autorités locales met en danger la centralisation de l'Etat: pour Cromwell, les niveleurs sont des “anarchistes à la suisse”.
Les niveleurs sont eux-mômes hésitants au sujet du droit de vote des pauvres, et divisés. Eux aussi crai gnent l’insurrection des masses misérables, qui risquent bien de piller et de s’emparer de terres, qui sont préoccu pées de revendications économiques sectorielles et pas politisées, et dont tout le monde s’accorde à penser que si elles avaient le droit de vote, une majorité voterait royaliste par naïveté et habitude de soumission à leurs maîtres.

Pour tenter de résoudre le problème, les niveleurs vont inventer la “Constitution”, au sens moderne d’une loi fondamentale dont la modification n’est pas de la compétence du Parlement comme une loi normale. Ils vont complexifier l’Accord du Peuple, en multipliant les articles, en particulier pour y inscrire des sauve gardes pour la propriété privée. Mors que la première version n’exclut du droit de vote que les mendiants, et les serviteurs et apprentis qui vivent sous le toit de leur maître, c’est-à-dire une toute petite minorité de la popu lation considérée incapable d’une opinion indépendante (on n’avait pas encore inventé le vote secret!), une deuxième version du 15 janvier 1648, dans l’espoir d’être acceptée par les généraux, exclut du droit de vote tous les salariés, compagnons artisans et journaliers agricoles. Dans la troisième et dernière version, de mai 1649, quand ils auront réalisé qu’ils n’ont aucune chance de gagner rappui des g6néraux, mais qu’ils sont en train de perdre celui des pauvres, ils reviennent à leur première définition.

7.5 Cromwell contre les niveleurs

Le 4 novembre 1647, le Conseil de l’armée adopte l’Accord du Peuple, et une résolution demandant l’arrêt de toute négociation avec le roi, contre les voix de Cromwell et Jreton, et décide un rendez-vous générai de l’armée pour le 15 à Cockbush Field où doivent la rejoindre les tisserands de Spitalfield.

Cromwell obtient un ordre de Fairfax expulsant les agitateurs du Conseil de rarmée. Le 11 novembre, donc quatre jours avant le rendez-vous de l’armée, coup de théâtre: le roi s’enfuit (avec quelles complicités?) et se réfugie sur l’île de Wight, dont le gouverneur est un ami de Cromwell.

Prétextant l’urgence de la situation, l’Etat-major annule le rendez-vous, ou plutôt convoque différent ré giments en trois endroits différents. C’est un test d’obéissance militaire; les régiments obéissent, sauf le régiment de cavalerie du colonel Robert Lilburne, le frère de John, et celui d’infanterie du colonel Thomas Harrison. Mutinés, échappant au contrôle de leurs offi ciers, ils marchent sur Cockbush Field, arborant des drapeaux verts, la couleur des niveleurs, et, fixé à leur chapeau, leur exemplaire de l’Accord du peuple sous le slogan “La liberté de l’Angleterre Le droit du soldat”, John Lilburne et Rainsborough s’adressent à eux. Ani vent Fairfax et Cromwell qui les exhortent à l’obéissance au nom de l’unité de l’armée. Le régiment Harrison applaudit. Le régiment de Lilburne conspue et empêche de parler le commandant en chef et son second. Cromwell leur ordonne de retirer ces papiers de leurs chapeaux. Les soldats refusant, il tire l’épée, engage son cheval dans les rangs et arrache les papiers pour les jeter à terre. Subjuguée, la troupe fait silence. Une cour mar tiale est improvisée sur le champ. Trois meneurs sont condamnés à mort. Tirage au sort. Le soldat Richard Arnold est fusillé, les deux autres libérés et chassés de l’armée. Les niveleurs ont perdu la première manche.

Charles 1er ,lui continue de négocier avec tout le monde, avec le Parlement comme avec les généraux. Le 17 novembre, il adresse au Parlement une offre calculée pour semer la discorde entre les presbytériens et les mi litaires, et jeter la confusion. Il offre d’abandonner le contrôle des forces armées pour tout le restant de ses jours à condition qu’il revienne à son successeur, il accepte l’instauration du presbytérianisme pour trois ans jusqu’à un concile national qui tranchera, mais il défend la liberté religieuse; enfin il prend la défense des exi gences de paye de l’année et déclare préférer le nouveau mode d’élection du Parlement défmi par les Articles de Propositions de l’armée. Il aurait même fait contacter les niveleurs pour leur proposer une monarchie popu laire avec suffrage universel.

7.6 Charles 1er perd sa tête

En réalité, il s’est accordé par derrière avec les Ecos sais. L’accord est signé le 26 décembre 1647. Il est tout entier motivé par le spectre du débordement niveleur et “anabaptiste”. Charles 1er signe le Convenant à condi tion qu’une armée écossaise marche sur Londres pour le rétablir dans toutes ses prérogatives. C’est la deuxième guerre civile.

Des révoltes royalistes éclatent dans le Pays de Galles et le Kent. Aux “anciens” royalistes se joignent des presbytériens qui se battent pour tin “traité avec le roi”, et beaucoup de mécontents qui protestent contre la lourde taxation du Parlement.

Le Conseil de l’armée jure de mettre le roi en juge ment et le 17 janvier 1648, les Communes votent par 142 à 92 une résolution présentée par Henry Marten mettant fin à toute négociation avec le roi. Cromwell, les généraux, et les parlementaires indépendants se rap prochent des niveleurs. Tandis que Fairfax, Cromwell et Lambert se partagent les opérations de guerre à travers le pays, scellées le 17 août 1648 par la victoire de Cromwell sur rarmée écossaise à Preston, l’année 1648 voit à Londres les négociations entre indépendants et niveleurs sur la deuxième version de l’Accord du Peuple. De mi-1648 à l’automne 1649, les niveleurs éditent un hebdomadaire influent, The Moderate.
Mais, au Parlement débarassé des plus énergiques des indépendants en guerre à travers le pays, les presby tériens, toujours majoritaires, reprennent le dessus. Denzil biles est de retour et le 24 août, il fait voter une reprise des négociations avec le roi.

C’en est trop pour l’armée victorieuse de retour. Le 20 novembre 1648, le Conseil de l’armée adresse au Parlement une “Humble Remontrance” demandant l’arrêt des négociations et la mise en jugement du roi. Le Parle ment refuse d’entrer en matière. Le 6 décembre, le régi ment du colonel Pride occupe la Chambre des Communes sur ordre de Cromwell, mais à l’insu de Fairfax. Il a une liste d’une centaine de députés à expulser. De la Chambre des Communes, il ne reste plus que le “Croupion” où les indépendants ont enfin la majorité.

Mais ce coup d’Etat est en même temps une défaite des niveleurs qui ne voulaient pas une purge du Parle ment, mais sa dissolution et de’ nouvelles élections. Cromwell, les généraux et les députés indépendants en jugeant le roi et en proclamant la république, réalisent les signes extérieurs du programme des niveleurs et en retirent les gains de popularité auprès d’une partie de leur base. Mais les négociations sur rAccord du Peuple font long feu et les niveleurs réalisant qu’on ne fait que gagner du temps en reportant sans cesse la promesse d’appliquer l’Accord du Peuple, rompent les pourparlers en janvier 1649. John Lilburne refuse l’offre de sièges dans la Haute Cour de Justice qui juge Charles Ter. Le 20 janvier, les Communes ajournent sine die l’examen de l’Accord du Peuple.

Le 6 janvier 1649, la Chambre des Communes, se passant de l’accord des Lords, élit la Haute Cour. Le 29 janvier, Charles 1er est condamné à mort et exécuté le lendemain. Le 13 février, un Conseil d’Etat d’une dizaine de personnes est élu pour gouverner le pays. Olivier Cromwell en est le Président; parmi les mem bres: Skippon, Pennington, Vane, Haselrig, Marten, Ludlow. Le 17 mars, la royauté est proclamée abolie, le 19 mars est abolie la Chambre des Lords, le 19 mai 1649, c’est la proclamation de la République.
Juger et exécuter le roi publiquement était un acte sans précédent dans l’histoire. L’événement eut un retentissement immense en Europe. John Milton justi fie le régicide dans son célèbre ouvrage de 1649, The Tenure of Kings and Magistrates (La Tenure des rois et des magistrats).

Mais Charles 1er, en politique habile, avait joué à son procès un rôle élaboré de martyr royal et s’était posé en victime de l’arbitraire. Cela tombait très oppor tunément pour rehausser le prestige de la monarchie auprès des possédants effrayés par le débordement popu laire, mais aussi auprès de secteurs populaires à ce moment justement choqués par la politique anti- populaire des juges du roi. Le parti royaliste utilisera dans les années suivantes tous ces atouts avec un succès qui croîtra en proportion de la déception popu laire causée par la politique de Cromwell et du Parlement.

7.7 Cromwell défait les niveleurs

Car la nouvelle République est en réalité une dicta ture des généraux. Pris entre la réaction presbytérienne et le radicalisme niveleur, et face aux intrigues du roi, Cromwell et les généraux ont improvisé une voie moyenne en frappant à gauche et à droite.

Les niveleurs dénoncent bruyamment la trahison de leurs espoirs. Le 26 février 1649, Lilburne dépose devant le Parlement une pétition signée par plusieurs milliers de personnes dénonçant la sévérité accrue de la discipline militaire. Elle est intitulée “La découverte des nouvelles chaînes de l’Angleterre” (England’s New Chains Discovered).
Le gouvernement anglais a enfin les mains libres pour réprimer la révolte irlandaise. Le 15 mars 1649, Cromwell est nommé commandant du corps expédi tionnaire qui va partir en Irlande. Les niveleurs dénon cent la priorité donnée à cette expédition militaire et protestent contre l’oppression des Irlandais. L’application de l’Accord du Peuple, ici, et d’abord! En réalité l’expédition d’Irlande est une opération visant à isoler socialement les niveleurs en jouant sur les ambi tions colonialistes de secteurs petits-bourgeois. Troublé par les protestations des niveleurs, le Conseil de l’Armée vote le 25 mars que l’armée ne doit pas expro prier les Irlandais. Le 26 mars, Lilburne, Walwyn et Overton sont arrêtés. Le 25 avril, un régiment en attente de partir pour l’Irlande se mutine, refuse de par tir, revendique l’application de l’Accord du Peuple. La mutinerie est réprimée. Quinze “meneurs” passent en cour martiale. Cinq sont condamnés à mort. Quatre sont graciés par Cromwell, Robert Lockyer est fusillé. Son enterrement à Londres le 29 fut la plus grande manifestation populaire de la révolution anglaise. Le 10 mai, quatre régiments stationnés près de Salisbury refusent de partir en friande et se mutinent au nom de l’Accord du Peuple. Un de ces régiments mutinés, fait mouvement le 12 mai pour rejoindre les autres. Avec deux mille hommes sûrs, Cromwell les poursuit, les poussant de ci et de là tout en négociant avec eux, et les surprend finalement à minuit au bivouac, et les dé fait. C’est la bataille de Burford, qui marque la défaite des niveleurs. Quatre prisonniers sont condamnés à mort et fusillés. Au retour, Cromwèll et Fairfax sont faits docteurs honoris causa par llJniversité d’Oxford et le 7 juin, fêtés par un banquet de la Municipalité de Londres. Ils ont sauvé les riches de la “bête niveleuse”. Certes Lilburne se fait brillamment acquitter par le tri bunal le 26 octobre 1649 sous les applaudissements de la foule et le Conseil dEtat doit relâcher les leaders ni veleurs le 8 novembre. En décembre, Lilburne est même élu au Common Coundil de la ville de Londres, mais le Parlement annule son élection. La réalité est que le mouvement niveleur est à bout, réprimé, dis persé, découragé.

7.8 La division des républicains

Leur défaite de 1649 marque un tournant de la révo lution anglaise. La mobilisation populaire qui les por tait, quoique importante, est restée trop partielle et isolée. Et surtout elle s’est heurtée à l’armée issue de la même mobilisation populaire et qui a continué de jouir de la confiance d’une partie des plébéiens radicalisés pour qui Cromwell est souvent l’idole, ou en tous cas, un moindre mal, une garantie contre le retour à l’Ancien Régime.

L’officier supérieur niveleur le plus élevé en grade et jouissant de la plus grande autorité, le seul qui eût pu faire jouer la discipline militaire en faveur des objectifs niveleurs, le colonel Rainsborough, a été mystérieuse ment assassiné durant la deuxième guerre civile, en octobre 1648.

Parmi les intellectuels indépendants proches de Cromwell, pas des pragmatiques comme lui, mais des hommes de principe, des théoriciens républicains, les plus radicaux se sont rapprochés très près des niveleurs pendant un moment: Edmond Ludlow, John Milton, l’avocat John Cooke, théoricien d’un droit plus social, avocat de Lilburne et procureur dans le procès du roi, Hem)’ Marten qui a aidé à rédiger la première version de l’Accord du Peuple. Socialement issu du même milieu aisé que les chefs niveleurs, ils n’ont osé, eux, ni cou per les ponts avec le milieu des parlementaires, ni s’opposer à Cromwell.

Les leaders radicaux se sont divisés, d’un côté les niveleurs, de l’autre, ceux qui font confiance à Crom well et placent leurs espoirs dans la nouvelle république dont ils vont être les administrateurs.

L’expédition d’Irlande de l’été 1649 broie littérale ment la révolte irlandaise qui traînait depuis 1641. Cromwell massacre tous les habitants de la ville de Drogheda (Il septembre 1649).

Les Irlandais seront massivement expropriés et refoulés dans les provinces du nord-ouest, tandis qu’on installera massivement des colons protestants.

8 L’impossible république des généraux 1649-1660

L’histoire de la période suivante qui va jusqu’à la restauration du roi en 1660 est l’histoire de l’impossible stabilisation d’une république à leur convenance, c’est-à- dire socialement modérée, par les Indépendants dirigés par Cromwell. Ils eurent beau restreindre pièce après pièce leurs projets de réforme, et faire des concessions croissantes au conservatisme social, ils se heurtèrent toujours à l’obstruction des classes possédantes. Ils voulaient une république socialement conservatrice, mais avec un minimum de concessions aux plébéiens pour avoir leur adhésion au régime. Mais si les classes possédantes étaient prêtes à s’accommoder de la répu blique, elles ne voulaient pas les généraux à sa tête, et encore moins des concessions aux plébéiens. Les crom welliens ayant cassé le mouvement populaire et refusé d’étendre le droit de vote aux plébéiens, se retrouvaient donc sans base sociale susceptible de faire pression en leur faveur, Leur pouvoir reposa de plus en plus sur la seule force militaire et policière. Mais loin d’aspirer à la dictature militaire, ils cherchèrent sans relâche à trouver un parlement légitime sur lequel s’appuierait leur poli tique et qui voterait une constitution et des impôts légaux. Mais chaque tentative finit par se heurter à la même majorité parlementaire des possédants “presbyté rienne” qui exigeait la suppression de la tolérance reli gieuse et la dissolution de l’armée. L’armée était trop coûteuse et trop démocratique au goût des possédants. Cromwell et les généraux n’acceptèrent jamais ces deux exigences, ne serait-ce que parce que la dissolution de l’armée aurait entraîné leur propre disparition. Us durent se résigner à dissoudre chaque parlement sans attendre la fin de ses délibérations. En brisant le mouvement popu laire, Cromwell et les généraux avaient mis en branle le mécanisme de leur propre chute.

8.1 Heure de vérité et défaite des républicains

En août 1652 le Conseil des officiers choque beau coup le Parlement croupion en lui présentant une péti tion revendiquant le vote de crédits suffisants pour l’armée, l’abolition de la dîme, la réforme du Droit, et la fixation d’une date de dissolution de ce Parlement afin qu’un nouveau puisse être élu selon la nouvelle loi élec torale qui avait été débattue. Celle-ci, fixant le cens électoral à deux cent livres de capital personnel, rétrécit plutôt l’électorat, mais le redécoupage plus juste des cir conscriptions accorde des sièges à bien des régions qui n’en avaient pas. Globalement l’électorat est élargi.

Le Parlement croupion ne faisant mine de satisfaire aucune revendication, la colère monte dans rarmée. Le 20 avril 1653 Cromwell et le major-général Harrison dissolvent le Croupion. Thomas Harrison, ancien clerc de notaire, fils d’un boucher maire de sa commune, représente un secteur radical dans l’armée. En même temps les républicains Vane, Haselrig, Ludiow, Marten, trop attachés à la suprématie parlementaire, et opposés à la dictature militaire, sont écartés du Conseil d’Etat.

Cromwell et les généraux convoquent alors un Parlement dit “désigné”, formé de personnes qu’ils nom ment (“Barebones Parliament”) (iuiilet-décembre 1653). Ce sera le Parlement le plus progressiste de la révolu tion. Le Parlement désigné institue le mariage civil; vote une loi soulageant les débiteurs et les prisonniers pauvres, veut restreindre la condamnation à mort des voleurs aux récidivistes, et met en chantier un Code pénal, que Cromwell souhaite, et discute rabolition de la dîme, qu’il ne souhaite pas.

Le 12 décembre 1653 la droite de la Chambre, emmenée par deux jeunes nobles, Sir Charles Wolseley et 5fr Anthony Ashley-Cooper (1621-1683), au moyen d’une manoeuvre, s’arrange pour voter la dissolution en l’absence de la majorité. Cromwell ratifie la dissolution et le général Lambert se charge de renvoyer chez eux les députés qui s’obstinent à vouloir siéger.

8.2 Le Protectorat, nouvelle monarchie

Hanison est écarté du Conseil d’Etat, tandis qu’y font leur entrée le général Desborough, Wolseley, Ash ley-Cooper et un autre aristocrate, le colonel Edouard Montagu, neveu du comte de Manchester! Lambert rédige une constitution qui entre en vigueur le 16 décembre 1653 déjà, L’instrument de gouvernement le Commonwealth (en anglais, république se dit alors commonwealth) d’Angleterre, dEcosse et d’Irlande est gouverné par un “Lord-Protecteur”, élu à vie, et un Parlement trisannuel de 460 députés élus selon la nou velle loi électorale des deux cent livres décrite plus haut.

En acceptant le titre de “Lord Protecteur”, qui était le titre traditionnel anglais pour un régent du royaume, Olivier Cromwell ne s’assurait pas seulement la com modité d’un pouvoir dictatorial qui lui faciliterait son rôle d’équilibriste entre les classes dominantes d’une part, l’armée et les plébéiens d’autre part; mais il accep tait d’instituer dans sa ptopre personne la restauration monarchique qu’appelaient de leurs voeux les possé dants. On restaure les solennités d’une monarchie, on flatte les royalistes ralliés, les républicains se retirent chez eux ou font des séjours en prison; commence le règne à la tête de la police de John Thurloe, ex secrétaire personnel de Cromwell, avec son réseau ten taculaire d’informateurs; la censure est rétablie en août 1655 tandis que le fidèle John Milton, secrétaire aux langues étrangères, quitte le service du gouvernement.

Le premier Parlement du Protectorat siège de sep tembre 1654 à janvier 1655, après des élections ouvertes et contestées qui donnent une majorité conser vatrice, c’est-à-dire presbytérienne. Le niveleur Wild man est élu avec quelques amis, mais le Conseil d’Etat lui interdit de siéger. Le Parlement entreprend de réviser L instrument de gouvernement pour diminuer le pou voir du Lord-Protecteur, augmenter celui du Parlement, et pour diminuer la tolérance religieuse; Ashley-Cooper propose que Cromwell devienne roi; mais le Parlement refuse les crédits que demande le gouvernement pour payer l’armée, Devant l’impasse il est dissout.

Le pays est alors divisé en onze régions, gouvernée chacune par un Major-Général. Ce fut la seule fois dans son histoire que l’Angleterre connut un système aussi centralisé avec de véritables préfets. Les possédants enragèrent: on leur enlève la gestion des comtés, pour la confier à des parvenus zélés qui flattent les plébéiens et se mettent à combattre les enclôtures...

Un deuxième Parlement siège de l’automne 1656 à février 1658. La majorité des députés démontre sa rage contre les radicaux en condamnant, pour “blasphème”, le dirigeant quaker James Nayler (1617-1660), ancien quartier-maître de Lambert, à être fouetté et à avoir la langue percée. Cromwell laisse faire, mais adresse ensuite une solennelle remontrance au Parlement en défense de la liberté religieuse.

Reprenant la question constitutionnelle, le Parle ment négocie un compromis avec Cromwell. Par le texte de “l’Humble Pétition et Conseil”, voté dans sa forme finale le 25 mai 1657, les pouvoirs du Parlement sont accrus et la tolérance religieuse restreinte, mais Cromwell peut nommer son successeur et désigner une Chambre Haute qui va rassembler les notabilités du régime, surtout des généraux. Au dernier moment les généraux forcent Cromwell à refuser le titre de roi que lui propose le Parlement. Mais le général Lambert refuse la nouvelle monarchie et démissionne de toutes ses charges.

Quand le Parlement refuse de voter des crédits mili taires et prétend refuser des nominations à “l’Autre Chambre”, il est dissout à son tour, Olivier Cromwell, découragé et malade, meurt en septembre 1658 dans une ambiance générale d’impasse du régime .

9 L’évolution du radicalisme démocratique

La défaite des niveleurs en 1649 a entraîné le désarroi et surtout la fragmentation des radicaux, mais non leur disparition. Un milieu, minoritaire mais large et influent d’activistes plébéiens existe, qui continue d’agiter la plupart des idées “niveleuses”. Dans ce milieu on distingue plusieurs courants politico religieux différents, souvent rivaux:

- Quelques-uns des principaux leaders niveleurs, Wildman, Sexby, Overton, se fixent après 1653 l’objectif d’assassiner Cromwell. Et pour cela entrent en contact avec les royalistes pour obtenir de l’argent et le soutien de leurs réseaux clandestins. Plusieurs tenta tives eurent lieu sans succès; le plus souvent Thurloe, bien informé, arrêta des conjurés qui n’en étaient qu’aux préparatifs. Le plus déterminé, Sexby, est l’auteur pro bable du livre à succès de 1657 Killing No Murder (Tuer n’est pas assassiner) qui justifie la nécessité de tuer Cromwell. Impliqué dans une tentative d’assassinat en janvier 1658, il est arrêté en juillet et meurt en pri son six mois plus tard, fou (torturé?).

- les “divagateurs” (Ranters), forment un milieu identifiable entre 1649 et 1651 à Londres, et dans quelques grandes villes. Ce sont des intellectuels plébé iens qui se réunissent dans des tavernes pour fumer du tabac (une nouveauté à l’époque), une herbe réputée créer des états de conscience supérieurs, discuter des idées les plus audacieuses les unes que les autres, et expérimenter des nouveaux modes de vie: des commu nautés d’habitation, le nudisme, l’amour libre et l’insolence provocatrice à l’égard de toutes les autorités. Les “divagateurs” poussent à l’extrême l’antinomi nianisme: il n’y a pas de péché et pour les purs toutes choses sont pures. Il n’y a pas d’Au-delà et Dieu est une Force qui existe au sein de tous les hommes et dans toute la nature. C’est contre eux que le Parlement vote la Loi contre le blasphème du 9 août 1650: sera puni quiconque se prétend Dieu ou l’égal de Dieu, et nie l’existence du péché. A force de menaces, on les con traint à se rétracter et s’excuser en 1651.

- les Cinquième Monarchistes furent un courant de plus de poids, puisque Cromwell parut s’allier à eux de 1650 à 1653. Le major-général Harrison fut leur mem bre le plus éminent, Ce sont des millénaristes : le retour du Christ est imminent qui renverse toutes les monarchies terrestres pour instituer son royaume sur terre, la Cinquième des Monarchies annoncées dans l’Apocalypse biblique.

Il faut préparer cette arrivée en établissant la dicta ture des saints, l’avant-garde consciente, c’est-à-dire l’Armée Nouveau Modèle, pour réaliser l’égalité et abo 1k toutes les noblesses. La base des Cinquième Monar chistes est parmi les artisans drapiers et dans l’armée. Leurs dirigeants sont un groupe de prédicateurs influ ents. Leur origine se trouve dans une déclaration mil lénariste publiée à Musselburgh le 1er août 1650 par un groupe de sous-officiers et soldats, dont Cromwell dit quelque bien, et dans les “Propagateurs de l’Evangile” que le Parlement envoya au Pays de Galles à la même période pour évangéliser cette province arriérée. Ils revendiquent surtout l’abolition de la dîme, la démocra tisation des corporations et municipalités, la réforme du Droit en faveur des pauvres et des débiteurs, l’élection des juges, l’abolition des impôts indirects. La création du Protectorat est pour eux une trahison, “l’Apostasie”, mais ils refusent de comploter contre le régime et restent le courant républicain radical dans l’armée. Plu sieurs de leurs dirigeants sont emprisonnés sous le’Pro tectorat. En prison, ils se lient à Henry Varie.

En 1657 un petit groupe d’entre eux, surtout des artisans, organise une révolte armée en plein Londres. Ils sont dirigés par Thomas Venner, artisan tonnelier, qui publie le manifeste Un étendard dressé (A Standard Set Up).

9.1 Les quakers

- Si les Cinquième Monarchistes sont un mouve ment essentiellement londonien, c’est de la province que vient le principal mouvement radical des années 1650, plus exactement des régions drapières du nord: la So ciété des Amis, dite les quakers, c’est-à-dire les trem bleurs, Tandis que les congrégationalistes, les “baptistes généraux” (issus des anabaptistes), s’embourgeoisent et se distancient de tout radicalisme après 1649, les quakers héritent de la tradition anabap tiste et famiiste. Les quakers ne croient pas en un Au- delà, rejettent tout sacrement et toute prêtrise, mettent en doute la fidélité des Ecritures à resprit du Christ, re fusent de prêter serment, d’enlever leur chapeau devant un supérieur et tutoient tout le monde. Le christianisme des quakers insiste sur “la Lumière intérieure” de chaque croyant. A la place d’un culte; une communauté de quakers s’assemble et attend en silence que Dieu inspire l’un ou l’autre d’entre eux qui prêchera en transes, avec des tremblements.

La fondation des quakers date de 1651, par deux anciens militaires devenus prédicateurs itinérants James Nayler (1617-1660) et George Fox (1624-1691). Ils regroupent beaucoup d’anciens soldats exclus de l’armée pour radicalisme et devenus artisans itinérants, beaucoup de divagateurs repentis, et beaucoup d’anciens niveleurs. En fait les classes dominantes les considèrent comme la continuation du mouvement niveleur, pure ment et simplement. Avec quelque raison: durant les années 1650 les quakers reprennent dans leurs brochures la plupart des points du programme niveleur, et qui plus est, les mettent en avant dans des lettres ouvertes à Cromwell et des pétitions au parlement. Ils participent activement aux élections au Parlement de 1656, et en 1659 plusieurs personnalités quakers proposent l’application de formules constitutionnelles proches de l’Accord du Peuple. John Lillburne qui, bien que de nouveau acquitté par le tribunal en 1653, a été main tenu en prison, y rallie les quakers en 1655. Ceux-ci lui font d’émouvantes funérailles à sa mort en prison en 1657. Gérard Winstanley également mourra quaker.

10 Un régime éclairé et efficace

Le régime cromwellien a de grandes réalisations à son actif. En particulier parce qu’il est richement doté en argent, grâce à la confiscation et la vente des terres confisquées aux royalistes et à l’Eglise, et grâce aux imp-ôts indirects rationnellement organisés. - Sur le plan intérieur, son administration, faite d’hommes neufs, d’origine sociale inférieure à leurs prédécesseurs royaux, mais formés à la stricte école des principes puritains, fut la plus rationnelle, la plus hon nête et la plus efficace que l’Angleterre ait jamais con nue jusqu’alors et longtemps après également. La plupart des fonctionnaires de l’Etat reçoivent dorénavant des salaires précisément réglés, au lieu des commis sions qui étaient une source de corruption. Thurloe ne fut pas que le chef de la police mais également l’organisateur de la poste des lettres, assumée par l’Etat sur tout le territoire. Les services réguliers de diligences sont généralisés. Les juifs sont réadmis en 1655 en Angleterre dont ils avaient été chassés au Moyen-Age. En Ecosse occupée, la paysannerie fut libérée des droits féodaux. La République imposa sur le paysage anglais une marque, encore visible aujourd’hui, en rasant tous les châteaux forts. L’Université d’Oxford est purgée des théoriciens du droit divin des rois et autres conserva teurs scolastiques, pour y installer une pléiade de savants baconiens d’avant-garde: John Wallis (1616- 1703) le grand mathématicien et cryptographe de la République, Jonathan Goddard, son médecin des armées, 5k William Petty (1623-1687) l’arpenteur, statisticien et économiste. Démentant la réputation de rabats-joie des puritains, c’est sous Cromwell que l’Angleterre voit les premières représentations d’opéra et les premières actrices de théâtre sur scène.

10.1 De l’internationalisme à l’impérialisme

- Sur le plan extérieur, si l’Angleterre absolutiste n’avait été qu’une puissance européenne de second ordre, l’Angleterre de la République et du Protectorat fut une grande puissance, qui se dote de la plus puissante marine «Europe.

Le 9 octobre 1651 le Parlement a voté l’Acte de Navigation, loi protectionniste yisant à favoriser les armateurs anglais: les marchandises ne peuvent entrer et sortir des ports anglais que sur des bateaux anglais, ou du pays producteur ou destinataire, si c’est un pays d’Europe; tous intermédiaires étant par là exclus. C’est contester la suprématie des marchands hollandais. Il en résulte la guerre de 1652 avec les Pays-Bas que l’Angleterre gagne. L’Angleterre succède ainsi aux Pays- Bas comme première puissance économique d’Europe.

Les protestants de tout le continent sont pris sous la protection de rAngleterre. La politique étrangère évo lua comme la politique intérieure; celle de la République fut révolutionnaire: l’amiral Blake (1599- 1657) débarqué à Cadix en 1651 y déclare sur la place publique, en faisant allusion à la vague de crises révo lutionnaires en Europe (Catalogne 1640-1652; Sicile 1647; Naples 1647; France 1648-1653), que le monde en avait assez des rois et que tous les pays allaient devenir des républiques. L’ex-agitateur Sexby est de 1651 à 1653 un agent du gouvernement anglais à Bordeaux où il fait reprendre par les révolutionnaires plébéiens girondins de I’Ormée le texte de l’Accord du Peuple.

Sous le Protectorat la politique étrangère perd toute dimension internationaliste pour n’être plus qu’impérialiste. Dès 1654 la flotte anglaise a la maîtrise de la Méditerranée. Les pirates barbaresques y sont liquidés et des bases navales anglaises imposées aux beys de Tunis et Alger. En 1654 un traité commer cial est conclu avec le Portugal qui vient de se séparer de l’Espagne et se met sous la protection de la flotte anglaise. En alliance avec l’absolutisme français, on fait la guerre à l'Espagne. La Jamaïque est conquise en 1655, la flotte de l’argent espagnole est interceptée et détruite en 1655 et à nouveau en 1657. Cette année là, l’Angleterre de Cromwell fait sensation en entretenant trois flottes simultanément au loin: Blalce en Méditer ranée, Penn aux CaraÏbes, Goodson dans la Baltique!

11 L’effondrement du régime 1658 -1660

La constitution semi-monarchique du Protectorat prévoyait qu’à la mort d’Olivier Cromwell, son fils, Richard, lui succéderait. Richard Cromwell (1626- 1712) était un homme plus compétent qu’on l’a dit, mais il fut rapidement dépassé par les événements. Olivier Cromwell était irremplaçable dans le rôle per sonnel qu’il jouait pour assurer l’équilibre du régime. Lui seul avait joui d’autant d’autorité, réunissant le prestige du chef militaire et celui du leader parlemen taire, lui seul avait su se rapprocher à la fois des possé dants et des dissidents religieux populaires, et mener une politique d’équilibre. Dans le vide laissé par sa dis parition, les ambiguïtés de son régime reprennent la forme d’un face-à-face non résolu de partis conifictuels. Les sommets du régime apparaissent divisés en deux partis: d’une part celui des civils “restaurationnistes”, dont l’ascension a marqué les dernières années du régime personnel de Cromwell, ceux qui lui ont pro posé la couronne et auxquels Richard Cromwell est clairement lié; d’autre part celui des généraux, emmené par les plus politiques d’entre eux, Fleetwood, Desbo rough et Lambert, qui gardent quelque attache avec la tradition de républicanisme plébéien de l’armée. Ceux-ci entendent prendre leur revanche sur ceux-là et à la faveur de la division des sommets, et du relâchement de la censure, on va voir ressurgir le radicalisme démocra tique, dans l’armée d’abord, puis en dehors.

11.1 Résurgence républicaine

Dès octobre 1658, une pétition circule dans l’armée demandant que Fleetwood soit nommé commandant-en- chef, fonction que Olivier Cromwell cumulait avec celle de Protecteur; une autre, moins bien vue des géné raux, demande qu’aucun officier ne puisse être limogé sans cour martiale. En novembre est convoqué un Parlement “comme il est d’usage au début d’un règne”. Elu dans les circonscriptions et selon les règles électo rales en usage sous la royauté, il ne peut que refléter encore une fois les notabilités traditionnelles du pays, avec qui plus est un déplacement à droite supplémentaire.
Dans les nouvelles circonstances les différentes ten dances de républicains vont réussir à resserrer leurs rangs dans une certaine mesure. Mais la passivité rési gnée des masses, et l’engagement dans les sectes reli gieuses des milieux plébéiens les plus actifs, vont totalement priver le républicanisme de base, de force de pression sociale. Ou est-ce cette absence qui a juste ment permis le resserrement des rangs républicains? La seule base sociale du républicanisme reste l’armée, or la place de l’armée reste le principal élément de discorde des républicains.

Immédiatement à droite de la place qu’avaient occu pée les niveleurs, un nouveau regroupement de républi cains apparaît donc, constituant la gauche des républicains parlementaires. Ce nouveau regroupement est réuni autour d’une personnalité nouvelle dont l’autorité est celle d’un théoricien:
Harrington réunit autour de lui un club de discus sion qui sera le foyer des efforts désespérés des républi cains pour transformer la dictature militaire en une république institutionnalisée, afin d’empêcher la restau ration du roi qu’annoncent l’impopularité générale du régime, le reflux du mouvement populaire et la détermi nation des possédants à mettre fin à toutes les formes du radicalisme plébéien.

Ce club qui deviendra célèbre sous le nom de Rota Club réunit la fine fleur de l’intelligentsia républicaine dont le député Henry Neville proche ami politique de Marten, les anciens leaders des niveleurs John Wildman (1621-1693) et Maximilian Petty, et le jeune Samuel Pepys (1633-1703). Milton et Vane s’en tiennent à l’écart mais ils y sont représentés par de très proches amis; pour Milton, Andrew Marvell et Cyriack Skin ner, pour Vane, Henry Stubbe (1632-1676). Par ail leurs, les amis de Milton se retrouvent chez son ami le général Fleetwood, avec Ludlow, lui aussi ami poli tique de Harrington.

Le Parlement de Richard Cromwell se réunit le 27 janvier 1659. Les républicains n’y sont qu’une petite minorité.

11.2 La République rétablie

Bien évidemment cette chambre des Communes refuse à son tour de payer l’armée. En outre, elle refuse pendant des mois de reconnaître “rAutre Chambre”, par une conjonction des refus: à gauche du Protectorat celui des républicains pour qui c’est une chambre de “créatures” du gouvernement; à droite du Protectorat celui de la majorité presbytérienne et semi-royaliste pour qui elle usurpe la place de la vraie chambre des vrais Lords par une chambre de parvenus révolution naires. Le débat se clôt par une victoire de la droite qui reconnaît finalement “l’Autre Chambre”, en précisant qu’elle ne voudrait pas en exclure les anciens Lords (28 mars 1659). Le 18 avril, les Communes, contre tous les républicains pour une fois unis, votent une résolu tion contre l’armée, interdisant toute réunion du conseil des officiers et exigeant de ceux-ci un serment de ne jamais interrompre les débats du Parlement. C’en est trop. C’est que depuis mars des officiers se réunissent pour discuter politique, depuis avril des “agitateurs” se réunissent à nouveau à la taverne de Nag’s Head; le 2 avril, le Conseil de l’armée s’est réuni (ce qu’on n’avait plus vu depuis longtemps) et Fleetwood reçoit une péti tion signée par 680 officiers et sous-officiers. Le 16 février déjà avait reparu une brochure exposant le point de vue niveleur, intitulée The Leveller, à laquelle Har rington a aussitôt répondu par son Art de la législation (Art ofLawgiving). Quand le Lord-protecteur finit par ordonner la dissolution du Conseil de l’armée, Fleet wood et Desborough mis sous pression par leur base, par le coup d’Etat milltaire du 21 avril 1659, le contrai gnent à dissoudre le Parlement.

Mais les généraux, et surtout Lambert qui revient sur le devant de la scène, se méfient des républicains et se refusent à toute “aventure démocratique”. A bout d’expédients, ils reconvoquent le Parlement Croupion, préférable aux utopies harringtoniennes et qui offre Pavantage d’apparaître comme le retour à la belle époque d’avant 1653, d’unité et de pouvoir des partisans de la “Cause”, et par là une certaine concession quand même aux républicains. Le 8 mai, les quarante premiers vété rans du Croupion réunis, dominés par les républicains, votent leur intention de rétablir la République sans Pro tecteur et sans Chambre des Lords et élisent un Comité de Salut Public. Les administrateurs du Protectorat sont démis et Vane, Ludlow et Haselrig reviennent au pou voir. Le 25 mai Richard Cromwell donne sa démission et se retire sur ses terres où l’attend une longue vie paisible.
La République restaurée vase désagréger en quelques mois dans les querelles de ses artisans, tandis que les classes dominantes, alarmées par la résurgence du radi calisme républicain, glissent au royalisme avoué et que les classes populaires, après tant de désillusions et de confusion, en viennent à souhaiter le retour du roi qui signifie pour elles le retour à des formes légales, par dégoût de l’arbitraire des généraux.

11.3 Comment fonder une république durable?

Les généraux intriguent les uns contre les autres, tandis que les républicains polémiquent entre eux dans les brochures par lesquelles ils cherchent désespérément à défendre la validité d’une Réjrnblique. La question sociale et l’armée continuent de les diviser. Les nive leurs qui connaissent un certain regain durant l’été 1659 sont violemment opposés à la dictature des généraux et se battent pour une assemblée unique élue au suffrage universel, limitée seulement par le respect de l’Accord du Peuple. Harrington eL ses amis, opposés à la dicta ture de l’armée et soucieux de son coût fiscal, proposent que l’armée soit dissoute après avoir instauré une Chambre Basse d’un millier de députés élue au suffrage universel dans 50 circonscriptions égales, et d’une Chambre Haute, un sénat de 300 députés élu au suf frage censitaire et renouvelé à intervalles réguliers par rotation (comme le Sénat des USA!) (Pour enclouer le canon, de J. Harrington, 2 mai 1659; Le devoir de l’armée, ou fidèle conseil aux soldats, de Neville, Marten et Wildman, 2 mai 1659; L’Humble pétition de diverses personnes bien disposées, 6juillet 1659). Les amis de Milton et de Vane, plus réalistes eux, se ren dent compte que l’armée est le seul rempart contre la restauration de la monarchie et que toute assemblée élue risque fort d’incliner vers le roi. Aussi proposent-ils une Chambre Haute, réunissant des personnalités sûres, nommées à vie, chargée de préserver les acquis de la révolution (Un correctjf nécessaire ou contre-poids dans le gouvernement populaire, expliqué dans une lettre à M. James Harrington, à l’occasion de son récent traité de H. Vane, mai 1659; Un Essai en défense de la bonne vieille cause de I-1. Stubbe, septembre 1659; Une manière facile et toute prête d’établir une libre Répu blique de J. Milton, octobre 1659). Stubbe, moins réservé à l’égard du suffrage universel que Milton, pro pose une Chambre des Communes élue au suffrage uni versel, plus un “Sénat choisi” à vie, réunissant des personnalités choisies parmi les indépendants (c’est-à dire beaucoup de généraux), mais aussi parmi les ana baptistes, les cinquième monarchistes et même parmi les quakers. Enfin une dernière tendance animée par Haselrig défend le point de vue du farouche républica nisme oligarchique, de la suprématie absolue d’une chambre unique élue par les seuls possédants.

11.4 La désagrégation

Haselrig, brillant manoeuvrier parlementaire ne ces sera de jouer un jeu dangereux d’alliance avec la majo rité des Communes pour attaquer l’armée au nom de la suprématie parlementaire. Le Croupion enfin réuni ne vote bien sûr pas d’argent pour l’armée. Le 19 août 1659, Lambert doit alier écraser une importante rébel lion royaliste dans le Cheshire, qui regroupe des roya listes et des presbytériens sous le slogan : “Un Parlement libre, baisse des impôts”. L’armée victo rieuse adresse une pétition au Croupion que celui-ci ordonne le 23 septembre d’interdire. Et le 10 octobre, le Croupion déclare invalides toutes les lois édictées depuis avril 1653 et vote la mise en arrestation de Lam bert parce qu’il autorise la pétition dans la troupe. La riposte des généraux ne se fait pas attendre.

Deux jours après, le 12 octobre 1659, nouveau coup d’Etat militaire, l’armée boucle le Parlement et l’empêche de se réunir. Un nouveau Comité de Salut Public est constitué, formé de généraux et de républi cains modérés pro-armée.

C’est alors qu’entre en scène le général Monck, le commandant de l’armée d’occupation de l’Ecosse depuis 1650, dont l’ombre se profile de façon menaçante depuis la mort d’Olivier Cromwell. George Monck (1608-1670), ancien officier professionnel de l’armée royale, rallié en 1646, s’était toujours tenu à l’écart de la politique londonienne et avait soigneusement étouffé toute activité politique dans ses régiments. Son armée, régulièrement payée sur les impôts prélevés en Ecosse occupée, est l’instrument idéal pour un coup d’Etat réac tionnaire. Monck n’avait-il pas conseillé à Richard Cromwell de purger l’armée, rétrécir la tolérance reli gieuse, et inclure dans la Chambre Haute quelques per sonnalités bien nées.., qui participeront au soulèvement royaliste de l’été 1659. Voici qu’en octobre 1659, Monck proteste contre la suspension du Croupion et annonce qu’il va intervenir pour restaurer l’autorité civile contre le factieux Lambert. Cherchant désespérément des appuis, le Comité de Salut Public finit par s’approcher des quakers, leur pro pose leur réintégration dans l’armée, des commande ments, un brevet de lieutenant-colonel pour Fox. En effet, depuis la chute de Richard Cromwell, on a nommé des quakers à des postes de responsabilité, en particulier comme juges de paix dans les comtés. Mais c’est trop tard. Les quakers refusent. Ils ne font pas con fiance aux généraux. Fox publie certes encore des bro chures antimonarchiques, mais s’apprête à donner aux quakers une structure organisationnelle plus stricte, à restaurer la foi en un Au-delà, à proclamer en janvier 1660 le principe de non-violence, bref à faire des quakers une secte organisée capable de survivre à la Restauration.

11.5 La restauration du roi

Monck, qui a reçu des assurances des classes domi nantes écossaises, marche lentement sur Londres, sou levant partout la liesse des possédants qui voient en lui l’instrument de leur revanche. Le sol glisse à toute vitesse sous les pieds des républicains de toutes les couleurs. Début décembre, Ashley-Cooper retourne la garnison de Portsmouth contre le Comité de Salut Public; Fairfax soulève la gentry du Yorkshire, se rallie à Monck et s’empare de la ville de York; les amiraux se rallient à Monck et pénètrent avec la flotte dans la Tamise. Des élections changent la majorité du Com mon Council de Londres et en purgent les acheteurs de terres confisquées; la nouvelle municipalité refuse tout crédit au gouvernement: la bourgeoisie de Londres lâche le régime. Les généraux perdent la tête dans une lamentable conftfsion. Le 24 décembre Fleetwood autorise la réunion du Croupion, démissionne de tous ses commandements et se retire chez lui. Le Croupion exclut de ses rangs Lambert et Vane. Monck entre à Londres le 3 février 1660 sans tirer un seul coup de feu. Il met en prison généraux, républi cains, niveleurs, purge l’armée, fait réadmettre aux Communes les députés purgés en 1648. Denzil Holles revient. Prudemment, sans jamais expliquer ses inten tions, Monck organise la Restauration. Il fait voter aux Communes leur dissolution le 16 mars, et l’élection d’un Parlement-convention qui se réunira le 25 avril. Depuis l’entrée de Monck à Londres, un Edward Hyde a compris qu’il suffit que Charles II de son exil propose une raisonnable amnistie, une raisonnable liberté de conscience en matière religieuse, et surtout un minimum de sécurité à tous les acquéreurs de terres expropriées, et le respecL de la législation antiabsolutiste de 1641 signée par son père, pour que les classes possédantes puissent se réunifier autour de sa restauration sur le trône. C’est ce qu’il fait par sa Dé claration de Breda du 4 avril, rédigée par Hyde. Le 8 mai, le Parlement, avec Chambre des Lords comme jadis, proclame Charles Stuart roi. Charles H entre à Londres le 29 mai 1660 aux acclamations de la foule. A part quatre régiments de Monck, l’armée est dis soute, après avoir été scrupuleusement payée cette fois (un million de livres voté pour cela!). Fleetwood a le mot de la fin pour un puritain “Dieu nous a craché à la figure!”

12 De la Restauration à l’Angleterre moderne

12.1 La revanche

Les royalistes rentrés au pays ou sortis de leur exil intérieur prirent leur revanche. Onze hommes d’Etat régicides et républicains, dont le major-général Harrison et Sir Henry Vane, sont décapités, après avoir fièrement justifié leurs actions et leurs idées. Quelques dizaines d’autres sont emprisonnés à vie, comme le vieil échevin Isaac Pennington qui meurt en prison en décembre 1660 ou comme le général Lambert à qui rannée 1660 a brisé l’âme et qui croupit jusqu’à sa mort en 1683 dans la forteresse de Guemesey. Plusieurs ne durent leur salut qu’à l’exil, sur le continent ou en Amérique, comme Edmond Ludlow (1617- 1692) qui se réfugie en Suisse à Vevey, où il vit jusqu’en 1692, écrivant ses mémoires, fidèle à ses convictions.

Le corps de Cromwell et de quelques autres, dont l’amiral Blake, sont déterrés pour être publiquement pendus. Edouard Hyde, fait comte de Clarendon, devient Lord Chancelier et prend la tête du gouvernement. Mais l’essentiel du personnel administratif, et une bonne par tie du personnel gouvernemental, du Protectorat reste en place et les royalistes sont bien déçus de ne pas pouvoir les remplacer. Le roi était restauré au sommet d’un appareil d’Etat qui reste celui du Protectorat. George Monck est fait Duc d’Albermarle, !e comte de Manchester nommé Grand Chambellan, Edouard Montagu comte de Sandwich, Anthony Ashley-Cooper baron puis comte de Shaftesbury, Denzil Holles fait baron est dorénavant Lord Holles. Sur les trente membres du Conseil privé du roi en 1661, douze ont fait la guerreS civile du côté parlementaire. C’est la revanche des presbytériens. Mais les royalistes veulent leur revanche à eux. La répression s’accentue en un deuxième temps. L’occasion se présente en 1661 après le deuxième soulèvement des cinquième monarchistes de Thomas Venner cette annéelà. Pendant plusieurs jours des groupes d’artisans se bat tent à Londres contre les forces de l’ordre. Venner a publié un manifeste Une Porte d’espoir (A Door of Hope). Le soulèvement est noyé dans le sang, Venner exécuté cette fois.

La Restauration se durcit donc: James Harrington est arrêté le 28 décembre 1661; il reste en prison jusque vers 1665, d’abord à la Tour de Londres puis à Ply mouth, puis est libéré de façon anticipée parce qu’il est mentalement dérangé. Wildman passe aussi six années en prison.
Le clergé presbytérien qui croyait pourtant avoir démontré son conservatisme, va être victime à son tour de Pacharnement restaurateur. Le nouveau Parlement est rempli de royalistes bigots qui, faute de sérieusement pouvoir récupérer leurs terres, se consacrent à restaurer lEglise anglicane dans toutes ses pompes laudiennes et à voter une législation draconienne contre toutes espèces de dissidents religieux. Par conséquent en 1662, 1760 curés presbytériens, que les anabaptistes et qua kers considéraient comme leurs persécuteurs, sont tout surpris de se retrouver dans le rôle des persécutés et d’être chassés de leurs paroisses et donc privés de leurs revenus.

12.2 Survie et acquis

John Milton a été arrêté à la Restauration et a échappé de peu à une condamnation; ses livres sont brûlés; libéré il doit se cacher chez lui, se faire oublier, vivre de leçons particulières. Il travaille à ses trois chefs-d’oeuvre, trois grands poèmes bibliques épiques: Le Paradis perdu, qui paraît en 1667, est une épopée de la Chute dans laquelle le poète accablé pense la malice de l’histoire en termes de malice du Dieu de l’Ancien Testament; Le Paradis retrouvé, l’épopée du Christ, paraît en 1671, en même temps que Samson Agonistes qui est l’épopée de l’espoir retrouvé et de la seconde chance du leader du peuple hébreu. Milton devait ruser avec la censure et ses lecteurs de l’époque décodaient entre les lignes les allusions qui maintenaient leur fidé lité aux idéaux républicains. Milton sera le poète des Whigs.
Henry Stubbe lui va vivre comme médecin, et rédi ger l’oeuvre probablement la plus époustouflante de l’esprit critique puritain: son Récit de l’ascension et du progrès de l’islam, avec une vie de Mahomet (Account of the Rise and Progress o! Mahometanism, wirh the Life of Mahomet). C’est en fait une histoire des débuts du christianisme dans l’effort de retrouver, à l’origine de l’Islam, le christianisme primitif. Le Coran a paru en traduction à Londres en 1649 et rlslam avec sa simpli cité doctrinale, et son monothéisme rigoureux, a fasciné les puritains. Le livre de Stubbe ne sera jamais publié mais circulera parmi les intellectuels.

Les savants baconiens ont été chassés à la Restaura tion de l’Université d’Oxford. John Ray (1627-1705) le botaniste et paléontologue, et probablement le plus brillant biologiste de son temps, préfère lui démission ner de sa chaire de Cambridge plutôt que de servir “sous le joug de l’esclavage”. Mais si Oxford et Cambridge peuvent bien retourner en arrière, les savants baconiens sont trop prestigieux pour rester des proscrits.

Emmenés par Wallis et Robert Hooke (1653-1703) le grand physicien et anatomiste, ils, obtiennent l’appui du roi Charles II lui-même, pour fonder une société pri vée, mais qui va servir de modèle aux académies des sciences de toute l’Europe: la Royal Society. Sous son égide, la science anglaise va littéralement exploser et acquérir le leadership de YEurope savante: le physi cien et chimiste Robert Boyle (1627-1691), l’astronome John Flamsteed (1646-1719) qui fonde l’observatoire de Greenwich, son successeur Edmond Halley (1656-1742) qui prédit que la comète de 1681-1682 reviendra en 1758, et surtout le grand Isaac Newton (1642-1727) qui avec sa théorie de la gravitation universelle (en plus de son cal cul différentiel et de sa théorie des couleurs) met les astres sous l’empire des mathématiques et fonde la possi bilité d’élucider le mécanisme de l’univers tout entier. Le Dieu horloger de Newton succède à la Providence in ter ventionniste de Milton.

Il n’est pas facile de définir la nature de classe du régime issu de la Restauration de 1660. En surface, le roi, la cour, les lord et les évêques rétablissent toutes les solennités d’une monarchie absolutiste de l’époque. Mais en dessous, la’ suprématie de la Chambre des Communes, désormais fréquemment réunie, est solide ment établie. La législation anti-absolutiste de 1641 ne fut pas abolie, l’Acte de Navigation fut confirmé. L’absolutisme anglais avait disparu pour toujours, comme le féodalisme. Les soldats licenciés eurent le droit de s’établir artisans sans être certifiés par les cor porations de métiers. En 1689 sur deux cent villes anglaises, seul un quart d’entre elles avaient encore des corporations.

12.3 La monarchie parlementaire des whigs

En février 1660, Harrington avait prédit à son ami Aubrey que le Parlement qui venait d’être élu, dominé par les royalistes, étant un parlement de propriétaires, tournerait républicain au bout de sept ans. Il ne devait pas tourner républicain au sens strict du terme, mais bien au sens que lui donnait Harrington: en 1667 en effet, ces mêmes députés renversaient le comte de Cla rendon et soumettaient les comptes de l’Etat à une com mission parlementaire, comme aux beaux jours de la République, chose inouïe dans l’Europe absolutiste. De 1667 à 1673 l’homme fort du gouvernement fut le comte de Shaftesbury, c’est-à-dire Ashley-Cooper, l’ancien ministre de Cromwell! Shaftesbury (1621- 1683) après sa chute en 1673, va fonder le parti whig, l’ancêtre du parti libérai, qui gouvernera l’Angleterre pendant une grande partie du XVII le siècle et du XIXe.
Le roi Charles II était un homme malin mais par faitement désabusé. Durant son long règne (1660-1685) il va systématiquement mais prudemment renforcer son pouvoir. Son héritier, son frère cadet Sacques (duc d’York) lui, affichait sans retenue un farouche pro gramme absolutiste. Contre lui et contre le renforce ment du parti de la Cour et de l’Eglise, Shaftesbury rassemble les presbytériens avec le vieux Denzil Holles, les marchands et financiers londoniens, s’allie les dissidents protestants et fonde en 1675 le Club du Ruban vert (Green Ribbon Club). Verte avait été la bannière des niveleurs... Le nouveau parti whig mène campagne, en vain, en 1679 pour faire voter par le Parlement l’exclusion du duc d’York de la succession.

Les adversaires des whigs, les tories, ancêtres des actuels conservateurs, sont les partisans d’un pouvoir royal fort et de la persécution des dissidents religieux. Ils s’appuient sur la petite noblesse campagnarde. Ils ne se situent pas moins dans le cadre de la suprématie par lementaire définie par la législation de 1641. Et si Charles II et Sacques II se firent catholiques, et s’entouraient de ministres et d’officiers catholiques, c’est parce qu’eux seuls étaient prêts à soutenir un pro gramme franchement absolutiste.
Quand Sacques II, après trois ans de règne, eut non seulement grignoté un trop grand rétablissement des prérogatives royales mais qu’il eut raudace de chercher à s’allier par-dessus la tête des classes dominantes, aux dissidents religieux plébéiens, tories et whigs ensemble se dressèrent contre lui (1688). Ils firent appel à son beau-fils, le prince d’Orange, stadhouder de la très bour geoise République des Pays-Bas. Guillaume III d’orange débarqua à la tête d’une puissante armée et entra très pacifiquement à Londres, tandis que Sacques II repartait en exil pour le restant de ses jours.

Guillaume et sa femme Marie furent proclamés souverains par le Parlement après qu’ils eurent signé une “Déclaration des droits” (But of Rights) limitant drastiquement les prérogatives royales. Mais le vieux républicain Ludlow qui croit l’heure venue de rentrer d’exil est fermement refoulé sur le continent. Les whigs vont discuter pendant 150 ans de l’élargissement du droit de vote, mais au gouvernement pendant la plus grande partie de ce temps, ils n’en feront rien. L’ère des whigs voit la création de la Banque d’Angleterre (1694), l’invention du budget public voté, du cabinet ministé riel responsable devant le Parlement et non plus devant le roi, l’instauration en 1695 de la liberté de la presse, de l’Union des royaumes d’Angleterre et d’Ecosse (1707), de la révolution industrielle, de la conquête des Indes. Un Etat bourgeois est né, sous la forme d’une monarchie parlementaire, étroitement censitaire et so cialement conservatrice. Le deuxième Etat bourgeois en Europe après les Pays-Bas, et comme eux le refuge et le modèle des philosophes des Lumières. Le publiciste whig de gauche Toland édite les mémoires de Ludlow en 1698, les oeuvres complètes de Harrington en 1700.

12.4 Des whigs aux Lumières

L’idéologue des whigs est John Locke (1632-1704). Le protégé de Shaftesbury, il sera le maître à penser philosophique et politique de Voltaire et des Lumières. Il glorifie le coup d’Etat distingué de 1688 qui sup prime selon lui la nécessité de toute révolution future. Par son Traité du gouvernement civil (First Treatise of Civil Government) de 1690 il est le théoricien de la monarchie constitutionnelle. C’est par lui que les Lumières, et donc les révolutionnaires français de 1789 héritent quelque chose de la révolution anglaise: le constitutionnalisme modéré des whigs, héritiers des presbytériens de 1640-1660. Dans cette transmission, le républicanisme indépendant, Cromwell, le radica lisme démocratique, les idées des niveleurs, sont occul tés et tabou. Tandis que les républicains encore vivants à la fin du XVIIe siècle vomissent le régime des whigs qui n’est pour eux que trahison des idéaux de la révolu tion, leur langage à eux est devenu incompréhensible aux progressistes et aux radicaux du XVIIIe siècle. Le contenu politique démocratique du programme des nive leurs et celui des démocrates de la fin du XVIIJe siècle est exactement le même, mais un fossé culturel les sépare. Les jacobins ne reconnaissent pas les niveleurs et les républicains anglais comme leurs ancêtres, car ils ne les connaissent pas. Ils dorment enfouis dans des archives obscurcies par leur complexe langage biblique. Locke lui par contre écrit dans le langage clair, rationa liste, laïque surtout, mais à vrai dire simplifié, des Lumières.
Les presbytériens anglais deviennent les “latitudi naires”: le calvinisme a perdu son tranchant et il est devenu un tolérant déisme rationaliste. L’univers mental de la révolution anglaise a défmitivement disparu.

Locke et les whigs transmettent donc aux Lumières une interprétation ultra-modérée de l’héritage de la révo lution anglaise. Il faut y rattacher cette institution si particulière des Lumières et du libéralisme venue d’Angleterre : la franc-maçonnerie. Cette société de pen sée semi-secrète est fondée en 1717 à Londres. Elle prend pied en France en 1725, Sa première condamna tion par le Vatican date de 1738. La franc-maçonnerie combine des rites ésotériques avec une idéologie de libéralisme, de tolérance, de philanthropie, de rationa lisme, mais aussi de réformisme ultra-modérantiste, de méfiance du peuple et de la démocratie, si typique des Lumières. Elle va être un lieu de rencontre entre les philosophes des Lumières, des bourgeois progressistes, et des aristocrates éclairés, voire des rois réformistes. En effet, la confiance placée dans les réformes par en- haut des “despotes éclairés” fut très typique des Lumières. Mais la franc-maçonnerie fut aussi le lieu de regroupements préparatoires de nombreux révolution naires de la fin du XVille siècle et du XIXe: de nom breux acteurs des révolutions nord-américaine, française, latino-américaines étaient franc-maçons; pour n’en citer que quelques uns: Condorcet, La Fayette, Danton, Marat, Couthon, Babeuf, et aussi Mozart...

Les quakers, eux, après avoir été cruellement pour chassés dans les années 1660-1670 sont finalement lais sés en paix. Exclus de tous les emplois publics, et des universités, ils sont une secte plébéienne renommée pour ses principes moraux et non-violents, et pour sa généreuse bonté. Avec leurs propres écoles et leur refus de se plier aux petits rituels de la déférence sociale, ils sont une école de la dignité plébéienne. Mais ils for ment également un réseau de solidarités et se spéciali sant dans le commerce et les prêts durant le XVIIJe siècle de l’expansion capitaliste anglaise, ils donneront naissance à de grandes entreprises capitalistes : les Lloyds et les Barclays!

12.5 Le renouveau démocratique anglais

Le XVIIIe siècle anglais c’est la révolution indus trielle, presque un siècle avant le continent: Adam Smith (1723-1790) publie La Richesse des nations en 1776, l’entrepreneur John Wilkinson construit le pre mier pont en fonte en 1779, James Watt (1736-1819) met au point sa machine à vapeur rotative en 1784.

C’est la liquidation du paysan et de l’artisan anglais, Pexode rural, la formation de la classe ouvrière anglaise, la misère la plus noire pour le peuple mais aussi le décollage industriel, les premiers signes (précurseurs) d’une élévation du niveau de vie du salarié industriel anglais.

Le radicalisme démocratique anglais renaît autour de 1768 pour la défense d’un bouillant distilleur et éditeur de journal, député aux Communes situé à la gauche des whigs: John Wilkes (1727-1797). Wilkes dépose devant les Communes en 1776, l’année de la Déclara tion d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, la pro position du suffrage universel mâle, en vain bien sûr. Elu sous la pression du mouvement plébéien, échevin puis Lord-Maire de Londres, Wilkes et d’autres whigs de gauche soutiennent les insurgés d’Amérique. En 1776 à Philadelphie, un quaker fraîchement débarqué d’Angleterre, Thomas Paine (1737-1809), artisan corset tier de son état et lecteur passionné de Milton, publie un manifeste républicain et indépendantiste qui va devenir un bestseller, Common Sense (Le bon sens). Paine qui est le leader du mouvement démocratique plé béien dans la révolution américaine, va rentrer en Angleterre où il anime de 1789 à 1792, aux côtés, ou plutôt en concurrence avec des whigs de gauche, le mouvement de solidarité avec la révolution française. Autour de Paine, s’y illustrent la féministe Mary Woll stonecraft (1759-1797) et son mari l’écrivain radical Wiliiam Godwin (1756-1836). Paine doit se réfugier en France en 1792 et siègera à la Convention parmi les girondins. Il incarne un internationalisme républicain démocratique des révolutions de la fin du XVIIJe siècle. Mais dans l’Angleterre de la révolution industrielle, le “jacobinisme” est un mouvement politique de la classe ouvrière et non plus seulement d’artisans! Les whigs s’en détournent comme ils se détournent de la révolu tion française. C’est contre le virage à droite de l’un d’eux, Edmond Burke (1729-1797), exprimé dans sa brochure de 1790, Réflexions sur. la révolution en France, devenue le livre de chevet de la contre- révolution libérale, que Paine écrit Les Droits de l’Homme en 1791. Et le “jacobinisme” anglais est cruellement pourchassé.

C’est le mouvement ouvrier qui fait pression dès les campagnes de pétition massives des Chartistes de 1829 à 1839-1842, pour le suffrage universel. Par le Reform Act de 1832, les classes dominantes anglaises ne concèdent qu’un léger élargissement du suffrage censi taire et un peu plus de justice dans l’attribution des sièges au circonscriptions : c’est rétablir enfin la réforme électorale de 1654! Manchester, Leeds et Bir mingham récupèrent enfin leurs sièges obtenus en 1654 et perdus à nouveau en 1658! Le nombre d’électeurs passe de 500 000 à 800 000 dans un pays de 24 mil lions d’habitants.

Et pourtant la révolution de 1640-1660 doit avoir définitivement renversé des obstacles décisifs puisque le régime fondé en 1660-1688 se révéla effectivement capable de se transformer par degrés, au XIXe et XXe siècles, en une démocratie parlementaire comme celle des autres pays capitalistes industrialisés, et comme les autres, capable d’intégrer même le mouvement ou vrier: élargissements successifs du droit de vote en 1867 et en 1884-85. En 1885 le nombre des électeurs passe de 900 000 à 2,5 millions. La restriction des pouvoirs de la Chambre des Lords date de 1911. Le suf frage universel mâle est enfin accordé en 1918, en même temps que le droit de vote aux femmes de 30 ans et plus; le suffrage universel des femmes en 1928.

Toutes ces réformes ne se firent que sous la pres sion du mouvement ouvrier, non sans chaque fois de longues et dures batailles, mais pourtant sans véritables crises gouvernementales.

12.6 La révolution reniée

La révolution de 1640-1660 n’est pas célébrée par l’officialité britannique. Bien au contraire! Aujourd’hui comme durant tout le XIXe et le XXe siècles, c’est le mouvement ouvrier qui doit paradoxalement sans cesse à nouveau défendre la mémoire de la révolution, non seulement des niveleurs, mais de Cromwell, contre les diffamations de la bourgeoisie.
En restaurant la royauté en 1660 et en acceptant que les cadavres de Cromwell et d’autres révolutionnaires soient déterrés et pendus, les leaders des classes domi nantes anglaises ont accepté de jeter un voile d’infamie sur les vingt ans de révolution. La révolution de 1640- 1660 est diffamée, aujourd’hui encore, au mieux comme une guerre civile de hasard, fratricide, au pire comme une odieuse rébellion de fanatiques, alors que le coup d’Etat distingué de 1688 est appelé la “Glorieuse révolution”.

Le compromis de 1660, en habillant l’Etat bour geois anglais des falbalas de la monarchie féodale, va créer le système de justification de l’Etat britannique encore en vigueur aujourd’hui (et accessoirement encombrer l’Etat d’une grande puissance impérialiste du XXe siècle de survivances moyenâgeuses).

Ce système de justification, inventé par les whigs, insiste sur les aspects de continuité entre l’avant 1640 et l’après 1660 et non sur les aspects de rupture. Il a inventé le mythe d’une monarchie parlementaire idéale à l’époque de la bonne reine Elizabeth (1558-1603), détruite par les méchants rois Stuart et rétablie par la bonne législation anti-absolutiste de 1641; l’exécution de Charles Ier ensuite étant un dérapage aberrant et regrettable.

Aux XIXe et XXe siècles, il s’agira de prêcher un gradualisme respectueux de la tradition face aux luttes de la classe ouvrière et aux dangers de révolution prolét arienne. On fera donc de l’assemblage d’institutions féo dales et capitalistes, bricolé par nécessité entre 1660 et le XVIIIe siècle, une vertu, le signe d’un prétendu génie britannique pour les changements graduels paisibles. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les succès de rindustrialisation et de la conquête de l’empire sanctifie ront le bricolage du prestige de la réussite aux yeux de millions de travailleurs. Leur fascination par la monarchie britannique dure à ce jour.

13 Notes et sources

Les révolutions bourgeoises, IIRF