Pierre Tkatchev

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Pierre Tkatchev ou Pyotr Nikitich Tkachev (russe: Петр Никитич Ткачёв) (29 juin 1844 - 4 janvier 1886) était un écrivain, critique et théoricien révolutionnaire russe. Il aurait formulé de nombreux principes révolutionnaires qui ont été ensuite développés et mis en œuvre par Lénine. Bien que Tkatchev ait parfois été décrit comme « le premier bolchevik », il ne figure pas en bonne place dans la mythologie de l'Union soviétique.

1 Lettre à Engels (1874)

Cette lettre de Pierre Tkatchev confirme l'aspect communaliste de la Russie théorisée par Alexandre Zinoviev.

« Sachez qu’en Russie nous ne disposons d’aucun des moyens de lutte révolutionnaire qui se trouvent à votre service en Occident en général, et en Allemagne en particulier. Nous n’avons ni prolétariat urbain, ni liberté de la presse, ni assemblée représentative, ni rien qui nous donne l’espoir (dans la situation économique actuelle) de réunir en une association ouvrière organisée et disciplinée … une population travailleuse hébétée et ignorante … Une littérature ouvrière est inconcevable chez nous; même s’il était possible d’en créer une, elle se révélerait stérile, car la majorité de notre peuple ne sait pas lire …

Nous n’avons pas de prolétariat urbain, c’est vrai. En revanche nous n’avons absolument aucune bourgeoisie. Entre le peuple qui souffre et le despotisme d’un État qui l’opprime, il n’existe aucune couche intermédiaire; nos ouvriers n’auront à combattre que la force politique ; celle du capital reste chez nous embryonnaire …

Notre peuple est ignorant, c’est également un fait.

En revanche, dans l’énorme majorité des cas, il est pénétré des principes de la propriété communautaire; si j’ose m’exprimer ainsi, il est communiste d’instinct, par tradition

Il en résulte clairement que notre peuple, malgré son ignorance, est beaucoup plus près du socialisme que les peuples de l’Ouest, pourtant plus instruits que lui …

Notre peuple est accoutumé à la soumission et à l’esclavage, on ne saurait non plus le contester. Mais vous n’en devez pas conclure qu’il est satisfait de sa situation. Il proteste, il proteste sans arrêt. Sous quelque forme que se manifestent ces protestations, que ce soit sous la forme de sectes religieuses, (…) sous la forme du refus de payer l’impôt, ou sous celle de mutineries et de résistance ouverte à l’autorité, notre peuple proteste et, parfois, énergiquement …

(…) Aussi peut-on dire du peuple russe qu’il est révolutionnaire d’instinct, malgré son hébétude apparente, et bien qu’il n’ait pas une claire conscience de ses droits …

Nos intellectuels forment un parti révolutionnaire peu nombreux, c’est également vrai. Mais ce parti n’a d’autre idéal que l’idéal socialiste; ses ennemis sont presque plus impuissants encore que lui; et cette impuissance le favorise. Nos classes supérieures ne représentent aucune force économique (elles sont trop pauvres), ni politique (elles sont trop obtuses et trop habituées à s’en remettre à la sagesse de la police). Notre clergé n’est d’aucun poids … Notre État ne paraît fort que vu de loin. En réalité, sa force n’est qu’apparence et illusion; elle n’a pas de racines dans la vie économique du peuple. L’État n’incarne, chez nous, l’intérêt d’aucune classe. Il les accable toutes également, en butte à la même haine de la part de chacune. Elles le supportent, elles tolèrent son despotisme barbare avec une totale indifférence. Mais cette tolérance, cette indifférence … sont l’effet d’une erreur : la société s’est fabriqué l’illusion d’un Etat fort, et elle s’autosuggestionne de cette illusion … Deux ou trois défaites militaires, une révolution simultanée des paysans dans une série de provinces, une révolution de palais en temps de paix, et l’illusion se dissipera instantanément : le gouvernement découvrira sa solitude, et que tous l’ont abandonné …

A cet égard nous avons donc plus de chances que vous autres (c’est-à-dire l’Occident en général et l’Allemagne en particulier). L’État chez vous n’a rien d’une force imaginaire. Il s’appuie fermement sur le capital; il est l’incarnation d’intérêts économiques bien déterminés; ce n’est pas seulement la soldatesque et la police (comme chez nous) qui le soutiennent, mais tout le système de la société bourgeoise … Chez nous … au contraire, la forme sociale doit son existence à l’État, un État qui ne tient qu’à un cheveu, un État qui n’a rien de commun avec le régime social existant, un État dont les racines plongent dans le passé et non dans le présent … »[1]

2 Références

  1. Pierre Tkatchev in Kostas Papaioannou, « Marx et les Marxistes », Flammarion, Paris, 1972, pp. 264-265
    source originale : https://clio-texte.clionautes.org/action-et-pensee-politique-en-russie-avant-la-revolution.html