Permanent

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Léon Jouhaux à son bureau

Les permanents sont des militants qui sont déchargés de tout ou partie de leur travail ordinaire, et financés par une organisation pour laquelle ils effectuent des tâches. On parle de permanent syndical, de permanent d'un parti politique... La fonction s'appelle le permanentat.

1 Généralités

1.1 La nécessité du permanentat

Les organisations, même issues de l'auto-organisation, ont une tendance à déléguer des tâches à certains de leurs membres. La question du temps est centrale. Dans une organisation en grande partie spontanée, comme un comité de grève, le temps est récupéré sur le temps de travail par la grève. Mais lorsque les travailleurs forment des syndicats pour renforcer leur unité et la consolider entre deux mouvements de grève, des difficultés émergent pour concilier temps de travail et temps passé à des tâches syndicales (faire des discours dans les entreprises, préparer du matériel militant, diffuser de la presse, recueillir des cotisations...). Beaucoup d'organisations ont alors recours au permanentat. Le même phénomène a lieu dans les partis.

Dans les partis, on distingue souvent les « permanents techniques » (chargés de questions a priori techniques, comme réaliser le maquettage d'un journal, etc) et les « permanents politiques », qui se consacrent à des questions politiques (rencontrer d'autres partis, définir le contenu d'un communiqué à rédiger dans l'urgence...). Cependant la frontière est rarement nette : un permanent chargé du maquettage peut avoir une forte marge de manoeuvre selon la façon dont il peut par exemple composer la Une du journal et mettre ainsi l'accent sur tel message politique au détriment de tel autre.

1.2 Les risques et effets négatifs

Le permanentat a cependant des effets négatifs dans le mouvement ouvrier. Il tend à creuser l'écart (en termes de capacité technique, capacité à comprendre les enjeux des débats...) entre les permanents et les autres. La direction des grandes organisations est très souvent de fait entre les mains des principaux permanents.

Dans les syndicats ou partis ouvriers, les travailleurs les plus exploités ont tendance à être moins représentés dans les instances de direction, ayant moins de facilités à militer dans la durée, moins de temps ou moins de bagage théorique pour se former et débattre... Si les permanents sont choisis uniquement parmi la couche bourgeoise ou petite-bourgeoise qui en général domine les organisations, cela ne fait qu'accentuer la coupure sociologique.

Cependant le fait même de rendre un ouvrier permanent entraîne à la longue une coupure avec ses collègues et son milieu. Un ouvrier syndicaliste qui passe plus de temps à discuter avec des patrons et l'Etat (ce qui est favorisé par le développement du « dialogue social ») qu'avec ses collègues a tendance à se modérer, à comprendre les « contraintes » (capitalistes) des puissants, etc. Pour limiter cela, des organisations cherchent parfois à appliquer une rotation des mandats, ou à limiter le permanentat à du temps partiel. Cependant cela se heurte à plusieurs difficultés structurelles : un ouvrier a souvent des difficultés à obtenir un temps partiel auprès de son employeur, un ouvrier permanent connu pour son syndicalisme aura du mal à être réembauché par un patron...

Par ailleurs dans les partis, les permanents sont en général choisis par la direction. Même si parfois leur validation doit être soumise au vote des instances du parti (congrès ou direction élargie...), leur proposition vient souvent d'une direction en place, et donc ils sont dans les faits cooptés. Ce phénomène peut renforcer exagérément le pouvoir de la majorité dans un parti, au détriment des tendances minoritaires. Dans les partis à tradition pluraliste, le temps de permanentat est parfois réparti à la proportionnelle des résultats des différentes plateformes.

2 Exemples

Dans les conditions particulières du tsarisme, qui imposait aux militants la clandestinité, les bolchéviks ont développé une conception du « révolutionnaire professionnel » très organisé et hiérarchisée. Lénine disait par exemple :

« Un véritable agitateur, qui montre quelque talent, ou du moins promet d'en avoir, ne doit pas travailler à l'usine, nous devons considérer qu'il doit vivre du soutien du Parti et passer dans la clandestinité. »[1]

Les communistes qui ont rompu après 1914 avec l'Internationale socialiste ont beaucoup critiqué l'embourgeoisement et la bureaucratisation des directions socialistes. Ils mettaient en avant la nécessité de former des communistes parmi les ouvriers du rang et d'en faire des dirigeants, y compris des permanents.

Au cours de la révolution russe en 1917, non seulement les partis et les syndicats mais les instances issues plus directement de l'auto-organisation se dotent de permanents. L'historien Marc Ferro nomme ce phénomène la « bureaucratisation par en bas ». Il décrit par exemple au sujet des comités de quartier :

« À l’origine, les membres des comités de quartier n’étaient pas des militants professionnels, hormis quelques syndicalistes. Ce sont des habitants du quartier, qui, en assurant une permanence au local du comité, abandonnent peu à peu leur emploi. Comme ils ne touchent plus leur salaire, l’assemblée du comité de quartier décide de leur allouer une petite indemnité avec l’argent des cotisations du quartier. Le chiffre de 250 roubles est attesté ; il correspond au salaire d’un petit employé. »[2]

Marc Ferro note par ailleurs que le parti communiste russe a instauré la pratique de toujours comptabiliser les permanents selon leur profession et appartenance de classe d'origine, même longtemps après qu'ils soient devenus des fonctionnaires de fait du parti. Il ajoute : « On retrouve ce trait hors de Russie, au moins pour les permanents des partis politiques, qui indiquent toute leur vie leur profession d’origine même s’ils l’ont à peine exercée (cf. en France, J. Duclos, pâtissier ; M. Thorez, mineur, etc.). »

3 Notes et sources

  1. Lénine, Sochineniya, IV, 441.
  2. Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, 1980