Parti ouvrier d'unification marxiste

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche

La Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM) fut un parti politique d'extrême-gauche qui joua un rôle important dans la révolution espagnole. Il était influencé par les idées de Trotsky, mais celui-ci a fortement critiqué sa stratégie, qu'il jugeait "centriste", non révolutionnaire.

poum2.jpg

1 Histoire du POUM

1.1 Naissance

Le POUM naît en septembre 1935, de la fusion de deux organisations pré-existantes :

Ces deux organisations avaient rompu avec le communisme officiel au début des années 30. Elles se réclamaient de l'esprit démocratique, révolutionnaire et internationaliste de la révolution russe de 1917, et s'opposaient à la dégénérescence stalinienne. Le BOC était un parti catalan, qui prônait l'alliance entre les paysans, les mouvements de libération nationale et la classe ouvrière. L'ICE était un groupe trotskyste, membre de l'Opposition de gauche. Plus faible numériquement que le BOC, l'ICE comptait cependant des noyaux très actifs dans plusieurs régions du pays. Joaquin Maurin, dirigeant du BOC, et Andreu Nin, dirigeant de l'ICE, comptaient parmi les plus importants théoriciens marxistes de l'époque.

Au moment de sa fondation, le POUM compte 6 000 membres, essentiellement en Catalogne, où sa fédération syndicale, la FOUS, compte 50 000 adhérents.

1.2 Février 1936 : le Front populaire

Aux élections de février 1936, le POUM soutient le Front populaire contre la droite, et obtient un député en la personne de Maurin. La stratégie électorale du POUM provoque une rupture entre Trotsky et ses partisans espagnols, accusés d'avoir trahi la classe ouvrière en cautionnant une alliance subordonnée au républicanisme petit-bourgeois. En réalité, malgré son soutien tactique, le POUM critiquait durement le Front populaire en tant que frein au développement d'un mouvement ouvrier indépendant.

1.3 Juillet 1936 : la guerre éclate

La révolution éclate en réponse au soulèvement militaro-fasciste de juillet 1936. Le POUM, comme toutes les organisations ouvrières, voit ses effectifs croître considérablement. A un moment, le POUM a édité simultanément six quotidiens, et a organisé une milice armée de 8000 recrues. Ses effectifs ont atteint le chiffre de 30 000 adhérents.

Dès le début, et contrairement aux staliniens, qui ne veulent pas entendre parler de révolution, mais comme la CNT, le POUM affirme la nécessité de mener de front le combat antifasciste et le combat pour la révolution socialiste. Le POUM et la CNT défendent l'idée que guerre et révolution ne font qu'un. Les masses luttent pour aller bien au-delà du simple rétablissement de la démocratie bourgeoise. Reconstruire l'Etat bourgeois revenait à miner l'enthousiasme populaire qui était l'arme principale de la gauche contre le franquisme, et qui avait permis la collectivisation des terres et de l'industrie, la formation de milices populaires, et l'établissement d'un contrôle populaire sur de nombreux aspects de la vie sociale.

Mais la CNT, organisation ouvrière la plus puissante en Espagne, contredit ses principes anarchistes et refuse de lutter pour la constitution d'un pouvoir révolutionnaire. La CNT laisse l'Etat réorganiser le commerce, les communications, et surtout l'armée.

1.4 Septembre 1936 : le POUM au gouvernement catalan

En septembre 1936, la CNT entre au gouvernement de la Generalitat en Catalogne, qui est un gouvernement bourgeois. Contrairement aux positions théoriques que le POUM lui-même avait prises à la veille, Andreu Nin décide de faire de même.

Il y a une série de raisons à cela, qui découlent du fait qu'il manquait une direction révolutionnaire au POUM. Le principal facteur est le suivisme du POUM, qui ne voulait pas se retrouver la seule opposition de gauche au gouvernement. Après l'emprisonnement de Joaquin Maurin en septembre 1936, Nin le remplace comme secrétaire politique et sa légitimité politique est affaiblie, ce qui joue un rôle dans ses hésitations.

Alors Nin prétend entrer au gouvernement "pour légaliser ce que les masses ont conquis dans la rue". Pourtant, la Generalitat avait précisément pour priorité d'étouffer la démocratie ouvrière et rétablie l'hégémonie des institutions bourgeoises.

Le gouvernement n'était pas encore constitué, mais le POUM a continué à soutenir le gouvernement après sa formation le 26 septembre, alors qu'il devenait évident que son but réel était de supprimer de Comité central des milices antifascistes et tous les comités, pour créer à la place des conseils municipaux dépendant de la Generalitat. Le 30 septembre, Nin aide même personnellement Tarradellas, chef du gouvernement, à désarmer le comité de Lleida, pourtant considéré par le POUM comme une "conquête des masses".

Nin expliqua lors d'une réunion du Comité central à la mi-décembre qu'il avait protesté au gouvernement contre la dissolution des comités, mais qu'après le refus, il s'était rabattu sur une tactique de résistance voilée.

« dans l'assemblée du parti, nous avions convenu que nous saboterions le décret et que nous ferions jouer la force du POUM dans les différentes localités »[1].

L'entrée du POUM au gouvernement ne rencontra qu'une faible opposition au sein du parti, essentiellement exprimée par des secteurs des Jeunesses communistes ibériques (la branche jeune du POUM) et par les comités de Lleida et Barcelone.

1.5 Décembre 1936 : expulsion du gouvernement

En décembre, le POUM est expulsé du gouvernement. Quelques jours après, le parti publie une résolution appelant à une assemblée constituante formée par les délégués des comités d'usine et d'atelier. Ce mot d'ordre aurait été juste en septembre ; mais en décembre, après la quasi disparition des comités, il ne s'agissait plus que de pure propagande, d'un écran de fumée.

1.6 1937 : Persécutions et interdiction

Les staliniens veulent en finir avec la révolution. Le POUM fait l’objet d’une campagne de calomnie de la part du PSUC, qui l’accuse d’être un agent du fascisme. En mai 1937, la police, dirigée par des membres du PSUC, reprennent les rues de Barcelone aux ouvriers. La CNT sonne la retraite et abandonne le combat, malgré la position de force de la classe ouvrière. Le POUM, se sentant trop faible pour agir contre la CNT, l’imite.

La formation, en février 1937, du Front de la Jeunesse révolutionnaire, constitué par les jeunes poumistes et les jeunes libertaires, aurait pu être un pas important vers une plus grande collaboration entre les deux organisations, mais il fut saboté par la direction de la CNT.

En juin 1937, un gouvernement central (sans la CNT) interdit le POUM. Sa milice est dissoute, ses journaux interdits, et de nombreux dirigeants sont arrêtés. Nin est kidnappé, torturé et exécuté par des agents staliniens.

Jusqu’à la fin de la guerre, le POUM continue à agir dans la clandestinité, avec des centaines de militants dans les prisons républicaines. Une campagne internationale de solidarité parvient à éviter l’exécution des autres dirigeants du POUM. Mais avant la fin de la guerre, le POUM devient, de victime de la répression républicaine, victime de la répression fasciste, tant en Espagne qu’en exil.

1.7 Après la guerre civile

Le POUM maintient une existence en exil (notamment en France) et dans la clandestinité (surtout en Catalogne) pendant toute la durée de la dictature franquiste, mais les rapports entre la branche en exil et la branche en Espagne sont marqués par des divergences et des tensions croissantes. Après le rétablissement de la démocratie, le POUM est refondé en Espagne, essentiellement par des militants issus de l’exil. Mais il ne dépasse jamais un stade groupusculaire et cesse toute activité et disparaît au début des années 80.

2 Critiques théoriques

2.1 Peur de l'isolement et suivisme de la CNT

Le POUM était un parti petit relativement aux autres, et notamment par rapport à la CNT qui était hégémonique dans le mouvement révolutionnaire, et particulièrement en Catalogne. Il est donc normal que le POUM veuille avoir une politique particulière à l'égard de la CNT. Mais à partir de la formation du Front populaire, le POUM s'est contenté d'accompagner la CNT et a évité tout conflit important avec sa direction.

Certes la culture politique de la CNT, son hostilité à la "politique" et aux partis désignés comme "marxistes autoritaires", rendait difficile de gagner des militants de la CNT au POUM. L'expérience et le travail commun sont le seuil moyen de démontrer à une échelle large ce qu'est un marxisme révolutionnaire, à l'opposé du stalinisme. Il aurait fallu combiner une critique de la direction de la CNT avec un travail d'implantation dans la CNT. Or le POUM n'a fait ni l'un ni l'autre, par peur de se mettre à dos les chefs anarchistes.

Le POUM se persuadait que la CNT avait une politique très proche de celle du POUM, et qu'elle était sur le déclin. Et dans la pratique, il créait ses propres organes de lutte plutôt que chercher à le faire dans les cellules de la CNT. Lorsque les comités sont apparus, ils auraient pu être le lieu de cette convergence, mais cette possibilité a disparu avec la dissolution des comités, facilitée par la participation gouvernementale du POUM.

2.2 L'analyse des organes de pouvoir

La politique du POUM provient aussi d'un grave erreur d'analyse théorique de la question du pouvoir. Dans un article intitulé "El problema de los órganos de poder en la revolución española" ("Le problème des organes de pouvoir dans la révolution espagnole"), Nin revient sur la nature des comités de milice antifascistes, en leur déniant tout caractère prolétarien :

« Ces comités qui, loin d'être des organismes strictement prolétariens étaient des organes du Front populaire, pouvaient-ils jouer le rôle de soviets ? Il ne faut pas perdre de vue que "tous" les partis et les organisations antifascistes faisaient partie de ces comités, d'Action catalane – un parti clairement bourgeois et conservateur – jusqu'à la FAI et le POUM. Le Comité central des milices, formé sur les mêmes bases, ne pouvait pas être l'embryon d'un pouvoir révolutionnaire face au gouvernement de la Généralité, vu que ce n'était pas un organe prolétarien mais "d'unité antifasciste", une sorte de gouvernement élargi de la Généralité. Il n'y avait pas de dualité de pouvoir. Il s'agissait de deux organes analogues quant à leur composition sociale et leur finalité. On aurait pu parler de dualité de pouvoir si le Comité central des milices et le gouvernement de la Généralité avaient eu des compositions sociales différentes. Mais comment pouvaient-ils s'opposer alors que l'un et l'autre étaient, au fond, équivalents[2] ? »

Or, s'il est vrai que le CCMA a parfois été mythifié par les courants révolutionnaires, et qu'il n'était pas l'émanation directe et démocratique des comités, il s'agissait bien d'un organisme dont le pouvoir reposait sur celui des comités et qui prenait des décisions dans tous les domaines de la vie sociale, économique et militaire. Dans les faits, le binôme CCMA-comités constituait bien un pouvoir alternatif à celui de la Generalitat. Il est vrai que certains partis bourgeois faisait partie des deux, comme Esquerra republicana de Catalunya, mais alors que ce parti était à la tête de la Generalitat, il ne jouait presque aucun rôle dans les comités. Le CCMA et la Generalitat étaient deux types de pouvoir incompatibles, qui obéissaient à des logiques politiques différentes : la Generalitat voulait reconstruire l'Etat républicain, alors que le CCMA était en faveur du pouvoir des comités. Il est patent que l'analyse du POUM sur les comités et le CCMA était erronée.

Inversement, Nin et le POUM n'ont pas non plus analysé correctement le rôle de la Generalitat. Le 6 septembre 1936, dans un meeting tenu à Barcelone, Nin affirme que la dictature du prolétariat est réalisée en Catalogne. Il sous-estime grandement le rôle de la Generalitat, même s'il est vrai que dans les premiers mois de la guerre, la Generalitat était si faible que les comités étaient les maîtres effectifs de la Catalogne. Nin oubliait que la Generalitat, bien qu'affaiblie et désarticulée, travaillait activement à la reconstruction de l'Etat.

2.3 L'objectivisme de Nin

Nin défendait certaines caractéristiques de la théorie de la révolution permanente. Notamment, il ne défendait pas l'étapisme des staliniens et affirmait que « la lutte qui s'ouvre n'est pas une lutte entre la démocratie bourgeoise et le fascisme, comme le pensent certains, mais entre le fascisme et le socialisme ». Comme les autres communistes révolutionnaires depuis Lénine, il partageait l'analyse que dans cette période impérialiste régressive, la bourgeoisie tendait à avoir un rôle réactionnaire, et qu'on ne pouvait donc pas avoir d'issue "progressiste" sans pousser à la révolution socialiste.

Mais Nin sous-estimait le rôle du facteur subjectif, c'est-à-dire du parti révolutionnaire qu'aurait dû être le POUM. Trotsky écrivit en septembre 1937 :

« Le fond [de la pensée de Nin] était approximativement celui-ci : puisque la révolution est une révolution socialiste "par essence", notre entrée au gouvernement ne peut pas faire autre chose que l'aider »
« L'alternative "socialisme ou fascisme" signifie seulement, et c'est important, que la révolution espagnole ne peut être victorieuse que par la dictature du prolétariat. Mais cela ne signifie en aucune manière que la victoire est assurée. Il s'agit aussi, et c'est la tâche politique essentielle, de transformer cette révolution hybride, confuse, moitié aveugle et moitié sourde, en révolution socialiste. »[3]

Ce genre de conception objectivisme justifiait notamment une trahison objective comme l'entrée dans le gouvernement catalan.

2.4 Les hésitations centristes

Pendant toute la révolution espagnole, Trotsky a critiqué la politique velléitaire du POUM, l'accusant de renoncer à mener un véritable travail révolutionnaire par peur de s'isoler de la bourgeoisie (donc du Front populaire) et des chefs anarchistes. Voici ce qu'il écrit en décembre 1937 :

« Certes, [le POUM] a théoriquement tenté de s'appuyer sur la formule de la révolution permanente (c'est pour cela que les staliniens ont traité les poumistes de trotskistes), mais la révolution ne se contente pas de simples reconnaissances théoriques. Au lieu de mobiliser les masses contre les chefs réformistes, y compris les anarchistes, le P.O.U.M. cherchait à convaincre ces messieurs de l'avantage du socialisme sur le capitalisme. C'est sur ce diapason qu'étaient accordés tous les articles et discours des leaders du P.O.U.M. Pour ne pas se détacher des chefs anarchistes, ils n'organisèrent pas leurs propres cellules dans la C.N.T., et en général n'y firent aucun travail. Eludant les conflits aigus, ils ne menèrent aucun travail dans l'armée républicaine. Au lieu de cela, ils édifièrent leurs « propres syndicats » et leurs « propres milices » qui défendaient leurs propres édifices ou s'occupaient de leurs propres secteurs du front. En isolant l'avant-garde révolutionnaire de la classe, le P.O.U.M. affaiblissait l'avant-garde et laissait les masses sans direction. Politiquement, le P.O.U.M. est resté incomparablement plus près du Front populaire, dont il couvrait l'aile gauche, que du bolchévisme. Si le P.O.U.M. est tombé victime d'une répression sanglante et fourbe, c'est que le Front populaire ne pouvait remplir sa mission d'étouffer la révolution socialiste autrement qu'en abattant morceau par morceau son propre flanc gauche. En dépit de ses intentions, le P.O.U.M. s'est trouvé être, en fin de compte, le principal obstacle sur la voie de la construction d'un parti révolutionnaire. (…) L'expérience tragique de l'Espagne est un avertissement menaçant, peut-être le dernier avertissement avant des événements encore plus grandioses, adressé à tous les ouvriers du monde entier. (…) Le problème de la révolution doit être pénétré jusqu'au fond, jusqu'à ses dernières conséquences concrètes. Il faut conformer la politique aux lois fondamentales de la révolution, c'est-à-dire au mouvement des classes en lutte, et non aux craintes et aux préjugés superficiels des groupes petits-bourgeois qui s'intitulent Front populaire et un tas d'autres choses. La ligne de moindre résistance s'avère, dans la révolution, la ligne de la pire faillite. La peur de s'isoler de la bourgeoisie conduit à s'isoler des masses. L'adaptation aux préjugés conservateurs de l'aristocratie ouvrière signifie la trahison des ouvriers et de la révolution. L'excès de prudence est l'imprudence la plus funeste. Telle est la principale leçon de l'effondrement de l'organisation politique la plus honnête de l'Espagne, le P.O.U.M., parti centriste[4]. »

3 Sources

  • Joana Nadal, La naissance du POUM, [1].
  • Miguel Romero, 1936 : Quelle stratégie dans la Révolution espagnole ? L'énigme Nin, [2].
  • Reiner Tosstorff, Nin como líder del POUM, [3].
  • Léon Trotsky, La révolution espagnole, Editions de Minuit.

4 Notes

  1. Reiner Tosstorff,
  2. Andreu Nin,
  3. Trotsky, Les ultra-gauches en général et les incurables en particulier. Quelques considérations théoriques., 29 septembre 1937
  4. Léon Trotsky,

5 Lien