Parlementarisme

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Le parlementarisme désigne souvent le régime parlementaire, dans lequel les parlements ont un certain poids sur le gouvernement.

Historiquement, le terme a aussi été employé par le mouvement socialiste pour désigner la politique de participation aux élections aux parlements. Cette page traite de cette question-là.

1 Nature des parlements

Les parlements sont nés de la pression de la bourgeoisie pour se faire admettre à la gestion des affaires de l'Etat féodal. Dans ses premières formes historiques, sa nature de classe était assez claire (Etats généraux, participation censitaire...). La montée en puissance du prolétariat et du mouvement ouvrier a donné une certaine ambigüité a ces insitutions. Ils représentaient un acquis démocratique réel et le mythe véhiculé par la frange progressiste de la bourgeoisie d'une démocratie permettant la réalisation de l'intérêt général laissait espérer une irruption des masses dans la politique et une évolution "sociale et démocratique" de la société moderne. Cette illusion se reflète d'ailleurs de façon très tangible dans la peur qu'avaient les classes dominantes de voir les parlements envahis par des ouvriers et leur arrachant leur pouvoir.

C'est donc la pression de la lutte qui a permis à certains leaders socialistes, y compris quelques ouvriers, de devenir députés. Mais parallèlement cela a permis aussi d'apporter la preuve historique que l'Etat moderne est indissolublement lié au capitalisme et que l'accès au parlement sera toujours inusuffisant pour avancer vers le socialisme.

« Les parlements bourgeois qui constituent un des principaux rouages de la machine d'État de la bourgeoisie ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l'État bourgeois en général » Boukharine - Lénine sur le parlementarisme de 1920 - Thèse 4

C'est un acquis pour le socialisme scientifique que le parlement est une institution bourgeoise, dans laquelle le rapport de force (par l'idéologique, la corruption...) sera toujours en défaveur du prolétariat. C'est un acquis aussi qu'avant qu'une situation de crise n'aie permis à des partis ouvriers de conquérir l'hégémonie politique, la bourgeoisie aura toujours préféré la destabilisation, le bonapartisme ou le fascisme.

2 Les socialistes et le parlement

Les communistes sont biens conscients que les parlements et l'ensemble de la démocratie bourgeoise représentative sont des formes archaïques de démocratie, qui doivent être supplantées par un gouvernement des travailleurs pour établir une société sans classes. Néanmoins cette conscience n'est pas celle des larges masses prolétaires. Ne pas prendre en compte cette réalité est indéniablement du "gauchisme".

« Le parlementarisme a fait son temps historiquement. Cela est vrai au point de vue de la propagande. Mais nul n'ignore que de là à la réalisation pratique, il y a encore loin. […]  » Lénine[1]

2.1 Une tribune pour l'agitation et pour des réformes

La participation aux parlements possède à la fois un intérêt politique (pour la propagande essentiellement) et des dangers (l'opportunisme et donner l'illusion réformiste aux travailleurs). Devant l'Association Internationale des Travailleurs, Marx insistait sur l'importance d'avoir des travailleurs dans les parlements, essentiellement pour l'impact que peut avoir leur opposition ouverte et médiatisée aux intérêts dominants. En revanche il prévenait déjà qu'il fallait des députés capables de tenir face aux pressions.

« Il ne faut pas croire que ce soit d'une mince importance d'avoir des ouvriers dans les parlements. Si l'on étouffe leur voix comme à De Potter et Castiau, si on les expulse comme Manuel - l'effet de ces rigueurs et de cette intolérance est profond sur le peuple. Si au contraire comme Bebel et Liebknecht ils peuvent parler, de cette tribune, c'est le monde entier qui les entend - d'une manière comme d'une autre, c'est une grande publicité pour nos principes. (...) Les gouvernements nous sont hostiles, il faut leur répondre par tous les moyens possibles que nous avons à notre disposition, mettre des ouvriers dans les parlements, c'est autant de gagné sur eux, mais il faut choisir des hommes et ne pas prendre des Tolain. »[2] (Henri Tolain a trahi l'Internationale une fois député)

La présence de députés socialistes au parlement à la fin du 19e siècle a permis d'arracher des réformes favorables au prolétariat, souvent en minorité et en votant avec des libéraux.

Comme l'expliquait Karl Radek,

« la démocratie bourgeoise et le parlementarisme furent un moyen d'éveiller, de rassembler et d'organiser les masses, d'obtenir des réformes qui améliorent la situation des masses et leur permettent de ne pas penser seulement à leur petit morceau de pain. » Certes, les socialistes savaient « très bien que le parlementarisme corrompait les parlementaires et éveillait dans les masses l'espérance que les « élus » lutteraient pour elles. » mais ils combattaient  ces résultats du parlementarisme par une propagande et une agitation claires et révolutionnaires ».

2.2 Composition sociale des députés

Alors qu'ils sont nettement plus nombreux qu'eux, les ouvriers et employés sont en nette sous-représentation par rapport aux bourgeois dans les parlements. En fait, il n'y a que lorsqu'il y a des partis ouvriers massifs et ayant la volonté de mettre en avant des prolétaires qu'un petit pourcentage apparaît. Ce choix ne va pas de soi, et est étroitement lié à l'orientation politique, réformiste ou révolutionnaire, des partis ouvriers.

Un parti réformiste est souvent dans l'optique de discuter sereinement avec des "partenaires" bourgeois, recherchant au maximum des alliances, entretenant des illusions dans les secteurs dits "progressistes" de la bourgeoisie, etc. La dynamique du réformisme tend même à faire abandonner à ces partis leur nature de partis ouvriers.

Par exemple, Bernstein soutenait dès 1879 que le parti social-démocrate allemand devait éviter de faire peur aux bourgeois, chercher à s'afficher simplement comme parti humaniste, et que pour cela il fallait notamment envoyer des gens "éduqués" comme députés dans les parlements. Marx et Engels répondirent sèchement que l'émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, et que ceux qui veulent faire perdre son caractère prolétarien au parti devraient le quitter, tout en se demandant si certains n'auraient pas « été infectés par la maladie parlementaire ».[3]

A l'inverse, parmi les éléments de base du "parlementarisme révolutionnaire" défini par l'Internationale communiste, il y avait :

« Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers »

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2.3 Parlements réactionnaires et parlementarisme révolutionnaire

Après la Révolution russe, l'Internationale Communiste dresse un bilan de la dérive opportuniste de la social-démocratie, qui est venue s'intégrer au jeu parlementaire stabilisé et routinisé, rejetant aux calendes grecques le "programme maximum". Elle fait le constat que la conception traditionnelle de la lutte pour des réformes n'est plus valable dans la période impérialiste.

« L'attitude de la III° Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. A l'époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l'impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d'actes de brigandage, œuvres de l'impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d'esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d'ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses. »[4]

L'I.C. s'oriente alors vers une stratégie de parlementarisme révolutionnaire. La priorité des éventuels députés communistes doit donc être l'utilisation de cette position "d'éclaireur" pour l'élévation de la conscience de classe, par la révélation de la corruption et des intentions réactionnaires des politiciens bourgeois ou opportunistes.

Boukharine avait déjà développé cette thèse pendant la guerre, en 1915 :

« A l'époque précédente, le Parlement a servi d'arène pour la lutte entre différentes fractions des groupes dirigeants (bourgeoisie et propriétaires fonciers, différentes couches de la bourgeoisie, etc.). Le capital financier a consolidé la quasi-totalité de leurs variétés dans une "masse réactionnaire solide" unie dans de nombreuses organisations centralisées. Dans l'impérialisme moderne, les sentiments "démocratiques" et  "libéraux" sont remplacés par les tendances monarchistes ouvertes, qui ont toujours besoin d'une dictature de l'Etat. Le Parlement à l'heure actuelle sert davantage d'institution décorative; il prend les décisions préparées à l'avance dans les organisations patronales et ne donne qu'une sanction formelle de la volonté collective de la bourgeoisie. »[5]

2.4 Une corruption fatale, une allégeance ?

L'ensemble des institutions de l'Etat bourgeois engendrent un risque de corruption du mouvement ouvrier et d'émergence d'opportunisme en son sein, qui a été critiquée à de multiples reprises dans le mouvement socialiste.[6]

La plupart des anarchistes considèrent que c'est la participation en soi au parlement qui conduit fatalement à cette corruption. Pour la plupart des communistes, il s'agit d'une mauvaise analyse. Ainsi le bolchévik Karl Radek expliquait en 1919 :

« Les anarchistes [...] considèrent la faillite de la 2e Internationale comme une conséquence de la corruption parlementaire. Ce n'est pas exact, les faits le prouvent déjà ; les syndicalistes et anarchistes comme Jouhaux, Cornelissen, Kropotkine ont trahi aussi bien que Scheidemann et Legien. L'Internationale ne s'est pas divisée parce que le crétinisme parlementaire domina en elle ; il ne domina en elle que pour les raisons qui provoquèrent sa faillite : parce que, dans l'époque paisible qui suivit 1890, la masse ouvrière n'était pas révolutionnaire »

Enfin certains, dans un raisonnement idéaliste, s'offusquent que la participation aux élections, ce serait "reconnaître l'Assemblée nationale". Radek ironisait :

« Grand Dieu, je reconnais tout ce qui existe, parce que j'ai des yeux. Ce qui importe, c'est de savoir comment je le reconnais et comment je l'emploie. »

Le courant de ceux qui allaient devenir la gauche communiste a aussi insisté sur le risque de corruption des parlementaires pour s'en tenir à l'écart. Bordiga notamment a débattu avec Lénine lors du deuxième congrès de l'Internationale communiste (1920). Lénine soulignait qu'il fallait savoir utiliser de façon révolutionnaire les parlements, et Bordiga répondait que soutenait que toute parlementarisme conduirait au crétinisme parlementaire des partis socialistes d'avant-guerre, quelle que soit la volonté initiale. Lénine répondait que si les communistes n'étaient pas capables de forger un parti capable de tenir le cap dans un parlement bourgeois, ils n'auraient aucune crédibilité pour prétendre diriger une dictature du prolétariat.

2.5 Une importance secondaire

Dans le mouvement communiste, qui s'est séparé de l'opportunisme "socialiste" au début du 20e siècle, la question du parlementarisme était un facteur de grande division, notamment entre les bolchéviks et le tendance gauchiste. Malgré le combat mené contre "l'antiparlementarisme par principe", le deuxième congrès de l'Internationale Communiste déclare :

« Il est indispensable d'avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extraparlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l'utilisation du parlementarisme. »[4]

2.6 Boycott

Pour toutes les raisons développées ici, les marxistes révolutionnaires considèrent qu'il est important de participer aux élections parlementaires en situation ordinaire. Trotsky écrivait : « Un parti révolutionnaire n'a le droit de tourner le dos au parlement que s'il se donne pour but immédiat de renverser le régime existant ».[7]

En Russie, au lendemain du mouvement révolutionnaire de 1905, le tsar organise pour la première fois des élections parlementaires. L'ensemble des social-démocrates russes décident de les boycotter. En revanche dans les années qui suivent, le mouvement étant retombé, ils décident d'y participer. Plus tard, en 1917, lorsque les bolchéviks obtiennent la majorité dans les soviets, ils tendent (avec des désaccords internes) à se détourner des vieilles institutions. Lors de la Conférence démocratique (14-22 septembre), Lénine est pour que des bolchéviks y aillent, mais sans y concentrer leurs orateurs inutilement, et insiste sur la priorité à donner à l'utilisation, vers l'extérieur, des leçons à tirer de cette comédie :

« Utiliser le parlementarisme - surtout en période révolutionnaire - ne consiste pas du tout à perdre un temps précieux avec les représentants de la pourriture, mais à instruire les masses en leur montrant un exemple de pourriture.  »[8]

A l'issue de la Conférence est créé un nouveau pré-parlement. Les bolchéviks décident de boycotter, et ils mènent à bien l'insurrection d'Octobre.

3 Notes et sources

Lénine, Faut-il participer aux parlements bourgeois ? in La maladie infantile du communisme, 1920
Karl Radek, Parlementarisme et révolution, 1919

  1. Lénine, Discours prononcé au XVIIIème Congrès de la S.F.I.O. à Tours, décembre 1920
  2. Karl Marx, Discours à la conférence de l'AIT, 1871
  3. K. Marx, F. Engels, Circular Letter to August Bebel, Wilhelm Liebknecht, Wilhelm Bracke and Others, September 1879
  4. 4,0 et 4,1 II° congrès de l'I.C., 1920
  5. Boukharine, Imperialism and World Economy, 1915
  6. Madeleine Pelletier, Les dangers du parlementarisme, La Guerre Sociale, 16 septembre 1908
  7. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe - 38. La dernière coalition, 1930
  8. Lénine, Les champions de la fraude et les erreurs des bolchéviks, 1917