Pantouflage

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Le terme « pantouflage » désigne de manière familière le fait pour un haut fonctionnaire d'aller travailler dans une entreprise privée.

1 Imbrication des sphères politique et patronale

Dans le discours officiel, la sphère de la politique est présentée comme celle d'hommes et de femmes qui débattent de la meilleure façon de défendre l'intérêt général, tandis que le privé est le monde des entrepreneurs qui cherchent à faire du Profit. Les premiers sont censés être indépendants des seconds, puisqu'au niveau de l'État ils définissent les règles qui encadrent les entreprises (code de la concurrence, du travail, de l'environnement...).

Tout ceci est la théorie. En réalité, les grands groupes réalisent un Lobbying permanent pour que les lois et règles soient le plus plus "souples" possibles avec eux. En termes d'individus, les passerelles sont très nombreuses entre les "deux mondes". Le pantouflage est le nom que l'on donne aux cas typiques de passage d'un haut fonctionnaire (qui sont en même temps des politiciens) vers un poste clé dans telle ou telle entreprise. Mais comme pour le lobbying, parler de pantouflage permet au fond de décrire cela comme une "anomalie" dans un système globalement juste. En réalité, du point de vue "social", les politiciens et le grand patronat forment la même classe sociale, la Bourgeoisie. Même en dehors de tout conflit d'intérêt, le pantouflage créé un réseau de connaissances et de complicité qui participe de l'interpénétration de ces deux mondes qui n'en font qu'un.

Les cas les plus particulièrement scandaleux sont ceux où un "conflit d'intérêt" est flagrant. Par exemple, il arrive qu'un haut fonctionnaire chargé du contrôle de l'industrie agroalimentaire se retrouve propulsé à un poste dirigeant dans... une entreprise agroalimentaire. S'il s'est fait beaucoup d'amis dans l'entreprise en question grâce une bonne dose de complaisance, il peut facilement se faire embaucher avec un salaire confortable en guise de récompense (par exemple à l'occasion d'un remaniement ministériel, d'une défaite électorale...). Même sans avoir pratiqué ces vices, une entreprise peut avoir envie de payer cher pour attirer des hauts fonctionnaires sortant tout droit des arcanes du pouvoir, afin de profiter de leurs relations à l'avenir.

Certains sociologues parlent aussi de rétro-pantouflage dans le cas de hauts fonctionnaires ayant fait leurs armes dans les cabinets ministériels, étant ensuite parti « pantoufler » dans le privé avant de revenir servir l'État duquel ils pourraient éventuellement espérer, en échange de ce retour qui peut être pour eux un « sacrifice » financier, un poste important.

2 Le pantouflage en France

Le terme de « pantouflage » est utilisé en France pour dénoncer ceux qui le pratiquent, et qui transgressent ainsi les "vertus" de façade de la démocratie bourgeoise.

Entre 1985 et 1990, le Conseil d'État a compté une moyenne de quatre départs par an. En 1993, le corps diplomatique perd une vingtaine de ses membres. L'annuaire du corps préfectoral de 1992 recense une centaine de membres dans le secteur privé ou semi-public. En mai 1990, la revue ENA-mensuel estime que sur 4 400 anciens élèves de l'ENA, 737 travaillent dans le privé. Parmi ceux-ci, 6,1 % appartiennent au Conseil, 8,3 % à la Cour des comptes et 18,8 % à l'Inspection des Finances. La même année, le Corps des Mines enregistre 16,8 % de pantouflage et le Corps des Ponts et Chaussées, 14,7 %.

Pour préserver l'image de l'État neutre, certaines mesures pour limiter les cas les plus flagrants ont été prises :

  • L'article 432-13 du code pénal définit un délit de prise illégale d'intérêt.[1]
  • Une "Commission de déontologie de la fonction publique" est chargée de vérifier qu'un agent de la fonction publique qui postule à un emploi dans le secteur privé l'est de façon légitime.

Il est intéressant de constater que depuis leur défaite en 2012, les politiciens de l'ancienne majorité ne sont pas au chômage[2] :

  • Franck Louvrier, ancien conseiller en communication à l'Elysée a été nommé en juillet 2012 président de Publicis Events, tout en conservant son siège d’élu UMP au conseil régional des Pays de la Loire.
  • Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, devient chroniqueuse sur une émission de Direct 8, tout en participant à la "commission sur la rénovation de la vie publique" aux côtés de Lionel Jospin.
  • Frédéric Mitterrand, l’ancien ministre de la Culture, pourrait lui aussi faire partie des nouvelles recrues de Direct 8
  • Claude Guéant aurait entrepris les démarches pour devenir avocat.
  • Xavier Musca, qui avait succédé à Claude Guéant comme secrétaire général de l'Elysée sous le mandat de Nicolas Sarkozy, a rejoint depuis le Crédit agricole au poste de directeur général délégué chargé de la banque de proximité à l'international.

Fin 2015, François Villeroy-de-Galhau est nommé gouverneur de la Banque de France. Cet homme était PDG de CETELEM (2003 à 2008) puis de BNP-Paribas (2008 à 2015).

Une autre grande mode chez les politiciens, c'est celle de sortir des livres autour de la politique. En profitant de leur capital médiatique, leurs livres n'ont pas vraiment besoin d'être bons pour être vendus. Cela s'apparente donc à une forme de pantouflage (vers le métier d'écrivain creux). Après une défaite électorale, beaucoup aiment se donner une image de "pause introspective", pour mieux "préparer le retour". La réalité est souvent plus prosaïque : le meilleur ingrédient pour vendre est surtout les petites phrases contre d'autres politiciens, qui assurent des reprises par les média people... Suite à la défaite de la droite en 2012, Roselyne Bachelot, Claude Guéant et Patrick Buisson se lancent par exemple dans des livres.

En mai 2016, le directeur général du Trésor Bruno Bézard se recase dans le groupe Cathay capital, ce qui soulève un conflit_d'intérêt.[3][4]

2.1 Origine du terme

À l'origine, le mot « pantoufle » désignait, dans l'argot de l'École polytechnique, le renoncement à toute carrière de l'État à la fin des études. Ceux qui « entraient dans la pantoufle », les « pantouflards », avaient le titre d'« ancien élève de l'École polytechnique » et renonçaient à celui de « diplômé de l'École polytechnique »[5]. Plus tard, le terme a également désigné le montant à rembourser en cas de non-respect de l'engagement décennal (comparable au dédit-formation des entreprises privées). C'est assez souvent l'entreprise recrutant l'élève en fin d'études ou le fonctionnaire qui s'acquittait de la pantoufle[6].

Le terme « pantouflage » s'applique aussi aux hommes politiques qui, suite à un échec électoral ou à la perte d'un portefeuille ministériel, occupent un poste grassement rémunéré dans une entreprise privée, avec des responsabilités limitées, s'arrêtant, en général à du lobbying, en attendant l'occasion de revenir sur la scène politique.

3 Dans d'autres pays

3.1 Dans la bureaucratie européenne

En février 2011, Thomas Lönngren, directeur exécutif de l’Agence Européenne du Médicament, devient conseiller de l’industrie pharmaceutique.

L'association ALTER-EU a réalisé un dossier sur les va et vient entre multinationales européennes et hauts fonctionnaires de l'Union européenne.[7]

PantouflageEuropéen.jpg

3.2 Japon

Le phénomène de pantouflage existe au Japon où il est nommé« amakudari » (>天下り), littéralement « descente du paradis/ciel » en référence à la descente des dieux shintoïstes sur Terre, et concerne des retraités de la fonction publique continuant leur carrière dans le privé[8]. Le 1er avril 2009, le Gouvernement Asō a adopté une ordonnance visant à encadrer cette pratique via une agence spécialisée dans la reconversion des fonctionnaires retraités, afin que ceux-ci ne négocient pas directement leur embauche (mise en vigueur prévue pour janvier 2010)[9][10]. Cependant son remplaçant, le gouvernement Hatoyama, a décidé de revenir sur la création de cette agence, pour tout simplement « interdire immédiatement aux ministères et aux agences de placer [les fonctionnaires dans le privé] afin de répondre aux critiques contre l'amakudari et pour réduire les gaspillages administratifs »[11].

3.3 Québec

Au Québec, une loi sur le lobbying[12] interdit qu'un ancien directeur général ou directeur général adjoint d'une municipalité effectue des activités de représentation auprès de celle-ci. Ils ne peuvent pas non plus utiliser des informations obtenues dans leur ancien poste au profit d'une autre entreprise[13]. Cependant aucune loi n'interdit à des fournisseurs de la municipalité d'employer ces anciens fonctionnaires.

4 Voir aussi

4.1 Articles connexes

4.2 Liens externes

5 Notes et références

  1. Article 432-13 du code pénal, Legifrance.gouv.fr
  2. Ministres, état-major…que sont devenus les anciens de la Sarkozie ?, Direct Matin, 3 sep 2012
  3. https://www.mediapart.fr/journal/economie/250516/direction-du-tresor-le-sulfureux-pantouflage-de-bruno-bezard?onglet=full
  4. http://www.marianne.net/quand-directeur-general-du-tresor-se-recase-finance-100244181.html
  5. Albert-Lévy et G. Pinet L'argot de l'X illustré par les X Préface d'Armand Silvestre, Emile Testard, Paris, 1894, xiii + 327 pp., pp.218-220.
  6. Fabrice Mattatia Dictionnaire d'argot de l'X. Tout sur le langage des polytechniciens, 2eme édition, Lavauzelle 2004. Les droits des pantouflards. Le remboursement de la pantoufle n’est aujourd’hui exigé que dans des cas exceptionnels (C.B. et A.J., « Pantoufle, pantouflage et pantouflards », Le Figaro, 15 octobre 2007).
  7. http://www.formindep.org/Lobbying-Commission-Europeenne.html
  8. Colignon, Richard A. et Chikako Usui « Amakudari: the Hidden Fabric of Japan's Economy », Cornell University Press, 2003, 224 pp. ISBN 0801440831, 9780801440830.
  9. [http://www.aujourdhuilejapon.com/informations-japon-le-japon-va-interdire-aux-fonctionnaires-de-descendre-du-ciel--6312.aspfckLR Le Japon va interdire aux fonctionnaires de
  10. Les «descentes du ciel» seront interdites au Japon lapresseaffaires.cynerpresse.ca, 1er avril 2009
  11. Le gouvernement japonais s'attaque à la reconversion des fonctionnaires dans le privé, 30 septembre 2009
  12. Loi québécoise sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme sur le site du Commissaire au lobbyisme du Québec
  13. Entrevue avec le directeur général de la Ville de Montréal sur Cyberpresse, 29 août 2009