Otzovistes

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Bogdanov, leader des otzovistes

Les « otzovistes » était des bolchéviks gauchistes par rapport à la ligne de Lénine en 1908-1911. Ils étaient principalement inspirés par Alexandre Bogdanov et ont tenu un journal nommé Vperiod.

Un autre groupe dit « ultimatiste » était sur des positions proches.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origine[modifier | modifier le wikicode]

Montée très haut en 1905, tombée en 1906, la vague révolutionnaire en Russie recommença de monter en 1912, après le massacre de la Léna. De 1906 à 1911, la Russie connut une période de répressions, de désagrégations du mouvement ouvrier, de développement du menchevisme (alors tendance à la « liquidation » de la révolution), de défaites partielles.

Aux élections à la 3e Douma (janvier 1907), un groupe de bolcheviks autour de Bogdanov prône le boycott et dénonce tout essai de parlementarisme révolutionnaire en Russie comme une trahison. Il prônait à la place des tentatives d'insurrections.

La majorité autour de Lénine et Zinoviev estimait au contraire que les masses n'étaient pas prêtes à se lancer dans des insurrections à l'appel des bolchéviks, qui était alors très faibles. D'autant plus que le gouvernement de Stolypine cherchait à couper les bolchéviks des masses en les réprimant et en les opposant à la « bonne » opposition, celle des KD, des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires. Ainsi la ligne otzoviste était substitutiste.

Suite à l'entrée de députés bolchéviks à la Douma, ce groupe accusa la direction bolchévique d'avoir une ligne opportuniste et revendiquait le rappel des députés social-démocrates, ce qui lui donna son nom (« rappel » se dit en russe « otzyv »).

Des militants de premier plan ont été gagnés par l'otzovisme. Bogdanov fut le numéro 2 des bolcheviks pendant un certain nombre d’années. Krassine était le principal organisateur bolchevik. Ainsi que les rares intellectuels que comptaient la fraction bolchévique : Volski, Pokrovsky, Lounatcharsky, Gorki, Bazarov, Boubnov.[1]

Outre la question de la douma, ils se prononcent aussi contre toute participation à des activités légales, y compris celle des syndicats, étroitement tenus par la police (zoubatovisme).

Ils accusaient Lénine d’adopter « le point de vue menchevik du parlementarisme à tout prix ».[2] A la 5e conférence du parti (décembre 1908), le menchevik Dan déclara : « Qui ne sait que les bolcheviks accusent maintenant Lénine de trahir le bolchevisme ? »[3]

1.2 Les ultimatistes[modifier | modifier le wikicode]

Ensuite, le comité de Saint-Pétersbourg autour d'Alexinski (le leader du groupe bolchevik à la Douma) se positionne également sur une ligne similaire, bien que moins extrême. Ses partisans demandaient que la délégation social-démocrate de la Douma reçoive un ultimatum exigeant d’elle une conduite radicale sans compromis. Ce groupe sera appelé « ultimatiste ».

Les ultimatistes gardèrent le contrôle de l’organisation bolchevique de Saint-Pétersbourg jusqu’en septembre 1909.[2]

1.3 Conflit de légitimité[modifier | modifier le wikicode]

En juillet 1907, Lénine est mis temporairement en minorité par les otzovistes, au sein de la fraction bolchévique.

Dans ce conflit, les otzovistes se présentent comme les vrais intransigeants, et donc les fidèles au bolchévisme face à Lénine accusé d'opportunisme. Au contraire Lénine va répondre : « L'otzovisme n'est pas le bolchévisme, il n'en est que la pire caricature politique ».

Il va utiliser sa légitimité historique et son ancienneté, en revendiquant les « traditions glorieuses du vieux bolchévisme ». Au contraire, pour disqualifier les otzovistes, Lénine les appelle « liquidateurs de gauche », par symétrie avec ceux qui sont alors appelés les « liquidateurs » (les menchéviks qui voulaient se contenter d'organisations légales tolérées par le régime).

Des épreuves de force eurent lieu entre léninistes et otzovistes pour gagner les organisations locales. Lénine ne conserva le contrôle de l’organisation de Moscou que par une marge très étroite. En mai 1908, lors d’une conférence générale de la ville de Moscou, les otzovistes obtinrent 14 voix, contre 18 pour les partisans de Lénine.[4] Le Bureau régional de la région industrielle centrale était fermement otzoviste.[3]

1.4 Bataille philosophique[modifier | modifier le wikicode]

Materialism-and-Empirio-Criticism.jpg

Dans la même période, sur un plan plus théorique, une bonne partie des intellectuels bolchéviks avaient tendance à être attirées par des conceptions remettant en question le matérialisme. Des penseurs néo-kantiens comme Mach et Avenarius étaient alors en vogue (d'autant plus que l’année 1904 fut le centenaire de la mort de Kant).

Bogdanov, Lounatcharski, Bazarov et d’autres tentaient de combiner le marxisme avec la théorie néo-kantienne du savoir proposée par Mach et Avenarius (empiriocriticisme / empiriomonisme). Lounatcharski alla jusqu’à s’exprimer ouvertement en faveur du fidéisme. Il utilisait des métaphores religieuses, parlant de « quête de Dieu » et de « construction de Dieu » (ou encore de « déisme »[5]). Gorki était influencé par Bogdanov et Lounatcharski, et son roman Une confession, est par exemple très mystique.

Lénine était en désaccord avec Bogdanov depuis le début sur ces questions philosophiques, mais il avait fait le choix de mettre cela de côté. Comme il l'écrira plus tard à Gorki :

En été et en automne 1904, nous nous mîmes définitivement d’accord avec Bogdanov, en tant que bolcheviks, et nous formâmes un bloc tacite – et qui écartait tacitement la philosophie comme étant un domaine neutre.[6]

En 1905, Bogdanov, étant le principal soutien de Lénine, ce sont plutôt des menchéviks qui tentent de discréditer le bolchévisme à travers les positions de Bogdanov. Lénine balayait la question :

Plékhanov nous amène, tirés par les oreilles, Avenarius et Mach. Je n’arrive décidément pas à comprendre le rapport qu’il y a entre ces auteurs, pour lesquels je n’éprouve pas la moindre sympathie, et la révolution sociale. Ils ont traité de l’organisation individuelle et sociale de l’expérience ou de quelque chose de ce genre, mais ils n’ont jamais songé, bien sûr, à la dictature démocratique.[7]

Lénine affirmait par ailleurs qu'il ne fallait pas faire du clivage philosophique une question de fraction :

En réalité, cette discussion philosophique n’est pas fractionnelle, et de l’avis de la rédaction, ne doit pas l’être ; toute tentative pour représenter ces divergences comme fractionnelles est radicalement erronée. Il y a à l’intérieur de l’une et l’autre fraction des partisans des deux courants philosophiques.[8]

Néanmoins, comme les intellectuels étaient relativement moins nombreux chez les bolchéviks, ce courant philosophique s'y trouvait nettement sur-représenté, ce qui ne manquait pas d'être utilisé par les adversaires de Lénine. Ainsi au congrès de 1907, Martynov disait : « Presque tous les leaders théoriques des bolcheviks sont, comme on le sait, des critiques du matérialisme, des empiriomonistes ».

A partir de 1908, quand la polémique entre bolchéviks léninistes et bolchéviks otzovistes est à son apogée, Lénine se plonge dans la question. Il se retire pendant des mois de la politique pratique (qui est alors peu intense) pour se consacrer à la philosophie, afin de pouvoir répondre à toute cette mouvance. Dans ses souvenirs, Pokrovski raconte comment les bolcheviks envoyèrent une délégation, dont lui-même faisait partie, pour demander à Lénine de renoncer à ses études philosophiques et revenir à la politique. Lénine refusa. Le résultats de ces études de Lénine sera son livre Matérialisme et empiriocriticisme, publié en 1909.

A noter toutefois qu'il y eut aussi des menchéviks partisans de la philosophie de Mach : en 1908: N. Valentinov publia Philosophical Constructions of Marxism et P. Iouchkevitch Materialism and Critical Realism.

1.5 Exclusion de Bogdanov et scission[modifier | modifier le wikicode]

Dans une réunion de la rédaction du Proletarii de fin juin 1908, Lénine obtient une majorité contre Bogdanov.

Entre le 8 et le 17 (21‑30) juin 1909, Lénine convoqua une conférence du comité de rédaction élargi du Proletarii dans son appartement de Paris. Neuf membres du Centre bolchevique (élu par la fraction bolchevique du 5e congrès du POSDR en 1907) y participaient avec Lénine à leur tête; il y avait aussi des délégués des organisations de Pétersbourg, de la région de Moscou et de l'Oural. A son instigation, la conférence écartait le vieux Centre bolchevik, et assumait le pouvoir de nommer, de renvoyer et de légiférer. [9]

Lénine jouant aux échecs contre Bogdanov

La conférence avait été convoquée pour examiner la position des otzovistes et des ultimatistes; elle se tint sous la direction de Lénine. Il prononça des discours sur toutes les principales questions à l'ordre du jour. L'otzovisme et l'ultimatisme furent défendus à la conférence par A. Bogdanov (Maximov) et V. Schantser (Marat).

La conférence adopta une décision selon laquelle « le bolchevisme, comme tendance du POSDR, n’a rien de commun avec l’otzovisme et l’ultimatisme », caractérisés comme « liquidationnisme de gauche ». Elle condamna également la théorie de la « construction de Dieu » et décida de la combattre énergiquement en démasquant son caractère antimarxiste.

Bogdanov est exclu des rangs des bolcheviks. Bogdanov contesta vainement le droit d’une nouvelle conférence éditoriale d’écarter des gens nommés par la conférence précédente. Lénine combattit avec acharnement son appel à la convocation d’un congrès bolchevik. Il présenta une résolution, qui fut adoptée, selon laquelle, du fait que

… la convocation de conférences et et de congrès bolcheviques séparés entraînerait inévitablement la scission du parti du haut en bas et porterait un dommage irréparable à la fraction qui aurait pris l’initiative d’une scission définitive du POSDR ; la rédaction élargie du Prolétari décide :

de mettre tous ses partisans en garde contre l’agitation en faveur d’un congrès bolchevique séparé, car cette agitation mène objectivement à la scission et risque de porter un coup décisif à la position que la social-démocratie révolutionnaire a déjà conquise dans le parti.[9]


Cette exclusion conduit l'ensemble otzovistes à scissionner avec les bolchéviks[10]. Les otzovistes ont ensuite publié le journal Vperiod. (reprenant le nom de l'ancien journal bolchévik). Bogdanov écrit en juillet 1909 que Lénine a dévié du marxisme révolutionnaire et de la centralité de la classe ouvrière dans la révolution démocratique à venir.[11]

Nombreux étaient, parmi les partisans de Lénine, ceux qui n’appréciaient pas cette exclusion. Même Staline, pourtant d'accord sur le fond avec Lénine, la critiqua dans un éditorial de Bakinsky Proletari daté du 27 août 1909.[12]

1.6 Les universités prolétariennes[modifier | modifier le wikicode]

Bogdanov et Krassine dénoncent le fait que le Proletarii n'ait pas produit un seul pamphlet en 18 mois, et accusent le parti d'avoir abandonné le travail de propagande pour le socialisme.

Le groupe Vperiod organisa une université prolétarienne expérimentale sur l'île de Capri, d'août à décembre 1909, dans la maison de Gorki.

A l’automne les étudiants de l’école de Capri invitèrent Lénine à venir y faire une conférence. Celui-ci refusa catégoriquement, en dénonçant le caractère fractionnel de l’école, et les invita à Paris. Au sein de l’école de Capri, une lutte fractionnelle éclata. Au début de novembre, 5 étudiants (sur 12), parmi lesquels Vilonov, l’organisateur de l’école, se déclarèrent en faveur de Lénine et furent expulsés de l’école. Les étudiants expulsés se rendirent à Paris, et 5 autres étudiants arrivèrent plus tard avec Vilonov.[13]

Une suivante fut organisée à Bologne de novembre 1910 à mars 1911. Lénine accusa les partisans de Bogdanov d'avoir dépensé 80 000 roubles du parti dans l'affaire, et défendit leur exclusion du POSDR.

1.7 Déclin[modifier | modifier le wikicode]

A l'inverse, les bolchéviks font dans cette période un travail pour se lier aux masses, non seulement via la Douma, mais aussi par un travail patient dans les syndicats légaux ou clandestins, dans les coopératives, dans les clubs, dans les sociétés sportives, dans la presse...

Le groupe se scinde en deux principales branches :

  • celle de Bogdanov et de Lounatcharski s'éloigne de la politique, et se centre sur « la culture et la science prolétarienne »,
  • celle d'Alexinski, Pokrovski et Menjinski, met l'accent sur la tradition de militantisme illégal du bolchévisme, et parvient momentanément à gagner une majorité au sein du Proletarii.

Le groupe Vperiod s'essoufle et disparaît en 1912. A l'inverse, après la remontée des luttes à partir de 1912, les bolchéviks apparaissent renforcés par leurs forces accumulées. Par la force des choses, les otzovistes se retrouvent poussés à se coordonner avec les bolchéviks, notamment face aux menchéviks. Un certain nombre d'otzovistes comme Lounatcharsky reviennent alors vers les bolchéviks et reconnaissent leurs erreurs.

Le 26 mai 1913, la Pravda publia une déclaration de Bogdanov, dans laquelle il tentait de clarifier l’attitude de son groupe envers la fraction de la Douma. Lorsque Lénine reçut un exemplaire de la Pravda, furieux, il écrivit à la rédaction :

Le procédé employé par la rédaction à propos de la falsification de l’histoire du parti qu’a faite M. Bogdanov est tellement révoltant qu’on ne sait vraiment plus si l’on peut après cela continuer à collaborer au journal…

J’exige instamment que mon billet ci-joint soit inséré dans son intégralité. J’ai toujours laissé à la rédaction le droit d’apporter des modifications dans un esprit de camaraderie, mais pour cet article, après la lettre de M. Bogdanov, je refuse le droit de le modifier, etc.

J’insiste pour obtenir une réponse immédiate. Je ne suis pas en état d’écrire de nouveaux articles si je rencontre l’infâme mensonge de M. Bogdanov.

Ils lui renvoyèrent son article, le trouvant trop fort, mais il accepta de faire un seul changement – omettre le mot « Mr. » (gospodine) devant le nom de Bogdanov. La rédaction refusa la publication – et l’article resta inédit jusqu’en 1939.[14]

Zinoviev dira plus tard :

« A cette époque, il y eut parmi les « otzovistes » nombre d'excellents et dévoués camarades. Beaucoup d'entre eux nous sont revenus par la suite. Il n'en est pas moins vrai qu'en ces années de transition où se décidait le sort du bolchevique, les « otzovistes » d'extrême gauche nous ont fait le plus grand tort et ont rendu au menchevisme de signalés services. »

2 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Tony Cliff, Lénine : 1893-1914. Construire le parti – chapitre 16 – Lénine exclut les gauchistes, 1975
  2. 2,0 et 2,1 Lénine, « Беседа с петербургскими Большевиками », Полное собрание сочинений, vol. 19
  3. 3,0 et 3,1 Lénine, La fraction des partisans de l’otzovisme et de la construction de Dieu, Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909.
  4. Lenin, The Liquidation of Liquidationism, Proletary, No. 46, July 11 (24), 1909
  5. Grigori Zinoviev, Histoire du Parti Bolchevik, 31 mars 1924
  6. Lenin, A Letter to A. M. Gorky, November, 1908
  7. Lenin, The Third Congress of the R.S.D.L.P., April 18 (May 1), 1905
  8. Lenin, Statement of the Editors of Proletary, Proletary, No, 21, February 26(13), 1908
  9. 9,0 et 9,1 Lenin, Conference of the Extended Editorial Board of Proletary, June 8–17 (21–80), 1909
  10. J. E, Marot, The October Revolution in Prospect and Retrospect: Interventions in Russian and Soviet History, BRILL, 2012 ISBN 9004229876, 9789004229877.
  11. M. Waller, Democratic Centralism: An Historical Commentary, Manchester University Press, 1981 p28 ISBN 0719008026, 9780719008023.
  12. Staline, « Из партии », Cочинения, vol. 2.
  13. Krupskaya, Reminiscences of Lenin, 1933
  14. Lénine, « A propos de M. Bogdanov et du groupe « Vpériod » », Œuvres, vol.19, pp. 177-179