Mir (communauté)

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Les Mir (мир, "commune"), ou Obchtchina (общи́на|p, "société"), ou encore Selskoye obshestvo (Cельское общество, "société rurale", terme officiel aux 19e et 20e s.) étaient des communautés villageoises de paysans. Dans l'Empire russe, ce fonctionnement prédominait, à côté des fermes individuelles (khoutor).

1 Structure

Le Mir était dirigé par une assemblée de l'ensemble des « chefs de famille » de la communauté. Cette assemblée contrôlait la redistribution de la terre (et de la forêt s'il en existait). Les terres arables étaient divisées en sections en fonction de la qualité du sol et de la distance au village. Chaque ménage a le droit de réclamer une ou plusieurs bandes de chaque section en fonction du nombre d'adultes dans le ménage. Les terres étaient périodiquement réaffectées sur la base d'un recensement, afin d'assurer une équité.

L'assemblée du Mir décidait aussi la levée de recrues pour le service militaire et rendait la justice pour les crimes mineurs. Le Mir était collectivement responsable du paiement des impôts de ses membres. Ce type de responsabilité partagée était connu sous le nom de krugovaya poruka, bien que le sens exact de cette expression ait changé avec le temps et maintenant en russe il a une signification négative de dissimulation mutuelle.

La structure du Mir provient d'une recherche de répartition des risques entre les membres de la communauté. Elle a été formée par des alliances familiales (mariages, liens de parentés...), sous l'égide des membres les plus âgés. Ce sont en général ces derniers qui constituaient l'Assemblée du Mir. Il semble que les Mir aient existé principalement du fait de la rareté des terres arables, et que là où celles-ci sont abondantes, l'exploitation est plus individuelle.

Les paysans (c'est-à-dire les trois quarts de la population de la Russie) formaient une classe à part, basée bien plus sur leurs coutumes locales que sur les lois ordinaires. Jusqu'à l'oukaze du 18 octobre 1906, la classe paysanne était même codifiée dans la loi électorale. Aucun paysan, même riche, ne pouvait voter ailleurs que dans un collège électoral de paysans. Et aucun autre qu'un paysan ne pouvait voter dans un Mir.

Les Mir élisent un aîné du village (starosta) et un collecteur d'impôts, qui était responsable de la répartition entre les familles des taxes imposées à la commune. Un certain nombre de Mir sont regroupés en un volost, qui a une assemblée composée de délégués élus des Mirs.

Le Mir était protégé de l'insolvabilité par la règle selon laquelle les familles ne peuvent pas être privées de leurs maisons ou des outils nécessaires à l'agriculture.

2 Historique

La propriété foncière communale du Mir a précédé le servage, et a survécu à son abolition de 1861. Le mir pouvait contenir des serfs qui travaillaient et vivaient à côté des autres paysans, sans grande différenciation en dehors de leur liens moraux et financiers avec leurs propriétaires. Formellement, le Mir relevait de la juridiction des nobles locaux, jusqu'à la réforme d'émancipation des serfs de 1861 qui a reconnu leur auto-administration.

L’obligation du rachat des terres par les moujiks les livre pour longtemps à l’Etat qui leur a permis de dédommager leurs seigneurs. La communauté du mir redevient oppressive, car elle reçoit de l’administration les anciennes attributions seigneuriales, se transforme en instrument fiscal et s’étend dans des territoires nouveaux comme l’Ukraine. Les nobles, dédommagés en bons d’Etat négligent l’équipement agricole et se contentent d’une vie de spéculations et d’oisiveté. La révolution agricole n’intervient pas en Russie et la tension sociale dans les campagnes monte, comme en témoignent les quelque 2000 révoltes qui suivent l’abolition du servage.[1]

En 1905, le système du Mir n'existait pas dans les provinces baltes, mais était utilisé par un quart des paysans de l'ouest et du sud-ouest (c'est-à-dire ukrainiens), les deux tiers des paysans des steppes et 96,9% ailleurs.[2]

L'oukaze d'octobre 1906 a supprimé la responsabilité communale pour le paiement des impôts.

Le Mir a été détruit sous l'effet de la réforme agraire de Stolypine (1906–1911). La principale d'entre elle fut la loi du 9 novembre 1906 qui accordait à une toute petite minorité de paysans, dans n'importe quel Mir, le droit de privatiser un lopin contre la volonté de la majorité. Ces réformes visaient à favoriser l'introduction du capitalisme dans les campagnes pour augmenter la production, et à enrichir une minorité, qui pourrait devenir une base sociale du régime.

Après la révolution de Février 1917, la revendication du partage des terres des nobles se renforce rapidement. Elle est souvent portée par les paysans des Mir, et s'accompagne de violences contre les quelques paysans acquéreurs de lots individuels qui refusaient de rentrer dans la commune. Selon Trotski :

« Devant la grande révolution agraire, avant une péréquation générale des terres, la paysannerie veut se présenter comme un seul tout. Des cloisonnements à l'intérieur peuvent créer des empêchements. Le mir doit marcher comme un seul homme. La lutte pour la conquête des terres nobles s'accompagne, par conséquent, de violences sur les fermes, c'est-à-dire sur les cultivateurs individualistes. »[3]

Plus tard, après les collectivisations forcées de Staline, ce qui restait de Mir disparaît.

3 Points de vue sur les Mir

C'est au milieu du 19e siècle que les intellectuels slavophiles "ont découvert" le mir, qui devient un sujet dans la philosophie politique avec par exemple la publication du livre d'August von Haxthausen en 1847.

Ces nationalistes romantiques saluaient le mir comme une communauté purement russe, antique et vénérable, et libre des tares de la mentalité «bourgeoise» d'Europe occidentale. A partir de cette idée, les Mir seront au coeur de plusieurs théories russes sur le communisme, le communalisme, l'histoire, le progrès...[4] Par exemple Aleksey Khomyakov, considérait l'obshchina comme un symbole de l'unité spirituelle et de la coopération interne de la société russe et a élaboré toute une « philosophie de l'Obshchina » qu'il appelait sobornost.

Vers la seconde moitié du 19e siècle, les slavophiles sont contestés par un courant «occidental», notamment Boris Tchitcherine, qui soutient que le mir n'est ni antique ni propre à la Russie. Il aurait surgi à la fin du 17e siècle, sous l'effet de la monarchie (à des fins de perception des impôts) plus que sous l'effet d'une sorte de contrat social ou d'instinct communal. Les deux courants ont convenu que les seigneurs et l'État ont joué un rôle clé dans le développement (sinon l'origine) du mir.

Alexander Herzen saluait cette institution précapitaliste comme un germe de la future société socialiste. Une partie du courant socialiste populiste va reprendre cette perspective.

A la fin du 19e siècle, des marxistes en Russie commencent à défendre l'idée que la dissolution des Mir dans des propriétés privées est historiquement nécessaire. La populiste Vera Zassoulitch écrit à Marx pour avoir son avis. Celui-ci lui répond en 1881 que son Capital n'avait pas abordé cette question, et qu'après avoir étudié le cas russe, il est « convaincu que cette commune est le point d’appui de la régénération sociale en Russie ; mais afin qu’elle puisse fonctionner comme tel, il faudrait d’abord éliminer les influences délétères qui l’assaillent de tous les côtés [révolution prolétarienne]. »[5]

Engels disait déjà cela en 1875 :

«  la propriété communautaire a dépassé de longue date la période de son épanouissement et (…) elle s’achemine selon toute apparence vers sa décomposition. On ne peut nier toutefois qu’il soit possible de  changer cette forme sociale en une forme supérieure, si et seulement si elle se maintient jusqu’à ce que les circonstances propices à cette transformation aient mûri et si elle se révèle capable de se développer de façon à ce que les paysans travaillent la terre en commun et non séparément ; cette transition vers une forme supérieure devra, du reste, s’effectuer sans que les paysans russes passent par le degré intermédiaire de la propriété parcellaire bourgeoise. Cela ne pourra se produire que dans le cas où s’accomplira en Europe occidentale, avant la désintégration définitive de la propriété communautaire, une révolution prolétarienne victorieuse qui offrira au paysan russe les conditions nécessaires à cette transition, notamment les ressources matérielles dont il aura besoin pour opérer le bouleversement imposé de ce fait dans tout son système d’agriculture ».[6]

En 1893, Engels se montre quasi certain que le mir ne pourra constituer un appui en vue du socialisme.

4 Comparaisons

Certains ont fait des rapprochements entre le mir russe et le landsgemeinde suisse.[7]

5 Notes

  1. Jean-Pierre Rioux, La révolution industrielle, Points, 1971
  2. Geroid Robinson, Rural Russia under the old regime, page 120
  3. Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 20. La paysannerie , 1930
  4. Cited in N.L. Brodskii, ed. Rannie Slavianofily (Moscow, 1910) p. LIII
  5. Karl Marx, Réponse à Vera Zassoulitch, 1881
  6. Friedrich Engels, Réflexions sur la commune agricole russe (édité dans le recueil « Sur les sociétés précapitalistes », Editions Sociales, 1978)
  7. L'Empire des Tsars et les Russes, Anatole Leroy-Beaulieu, Éditions l'Âge d'Homme

6 References