Matérialisme mécaniste

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Un mécanisme est un assemblage de pièces mécaniques dont certaines peuvent se déplacer par rapport aux autres. Par exemple, le mécanisme d'une montre désigne l'ensemble des ressorts, balancier ou engrenages utilisés pour faire tourner les aiguilles.

Le mécanisme, ou matérialisme mécaniste est aussi un courant de pensée matérialiste qui s'est développé en généralisant les analogies avec les mécanismes dans son explication du monde. Historiquement il a été porté par la bourgeoisie ascendante, principalement en France. Les marxistes, défenseurs d'un matérialisme dialectique, ont hérité de ce courant, mais critiqué ses limites, en lui reprochant d'être simpliste et de rester en partie "métaphysique".

1 Histoire

1.1 Genèse

Certains considèrent que le matérialisme antique est la première forme de matérialisme mécaniste.

1.2 Percée au 17e siècle

Au 17e siècle a lieu une "révolution scientifique" (révolution copernicienne) : de nombreuses découvertes dans la médecine, l'astronomie, ou la physique donnent du crédit au rationalisme et font naître le matérialisme mécaniste. S'inspirant de la puissance de la logique mathématique et de la technique, un certain nombre de penseurs rejettent « l'obscurantisme » du Moyen-Âge et sa scholastique (en grande partie basée sur Aristote).

Ces penseurs sont souvent à la fois des philosophes et des scientifiques, la séparation n'étant pas faite à l'époque. C'est surtout la montée en puissance de l'expérimentation dans leur pratique qui les caractérise. Peu d'entre eux ont revendiqué l'appellation de « mécanistes ».

Descartes est sans doute le symbole de ce mouvement. Il réalisait beaucoup d'expériences, en optique (co-découvrant les lois de Descartes), en biologie (en disséquant des animaux, y compris des humains...). Cela le conduira à défendre l'idée d'un « animal-machine » : plutôt que de voir dans les animaux un quelconque souffle de vie surnaturel, il soutient que leurs mouvements et leurs instincts sont pareils à des machines. En revanche il maintenait une vision idéaliste de l'homme, qui aurait une âme non-matérielle connectée au corps matériel (dualisme). Avec son Discours de la méthode, Descartes mettait aussi en avant la démarche scientifique.

Le père Marin Mersenne, qui était au centre d'un réseau de correspondance avec Descartes et d'autres penseurs de cette époque, soutenait ce type d'explication.

Parmi ce courant on peut aussi citer Spinoza (qui travaillait des lentilles optiques), qui s'attachait à identifier Dieu à la Nature, et à décrire celle-ci en termes de fonctionnement objectif.

Le matérialisme mécaniste impliquait une vision déterministe du monde et rejetait de fait la téléologie (l'idée que toute chose a forcément un but) fortement présente dans l'explication religieuse du monde. Mais la plupart conciliaient leur démarche d'explication du monde physique avec leur foi chrétienne. Par exemple Marin Mersenne était un religieux particulièrement intolérant : il approuva ouvertement le supplice de « l'hérétique » Vanini, dressant même une liste des écrivains coupables à ses yeux d'athéisme (Giordano Bruno, Vanini, Charron, Cardan, Machiavel, Gorlœus, Charpentier, Basso, Hill, Campanella…) et appelant à ce qu'ils soient envoyés au bûcher... Paradoxalement, Martin Mersenne utilisait d'ailleurs une critique de l'idéalisme dans son combat contre la Kabbale chrétienne (un courant oecuménique cherchant à s'inspirer de la Kabbale juive).

1.3 18e siècle : Les Lumières

Avec les Lumières, et notamment au 18e siècle en France, ces idées se popularisent. Dans les salons de la noblesse éclairée et de la bourgeoisie, il y a une mode des automates animaux et des automates anthropomorphes, comme l'automate de Vaucanson.

Globalement, les penseurs de cette époque radicalisent aussi ces idées. Par exemple, le médecin Julien Offray de La Mettrie étend à l'homme le principe de Descartes, en faisant un « homme-machine », et défend ouvertement le matérialisme. En terme de méthode, il pousse la valorisation de l'expérimentation jusqu'à l'empirisme. Et dans sa philosophie de vie, il prône le libertinage.

Une vraie bataille idéologique est menée contre la théologie, et à travers elle contre l'arbitraire du haut clergé et de l'absolutisme.

« Ce ne fut pas seulement une lutte contre les institutions politiques existantes, ainsi que contre la religion et la théologie, mais... contre toute métaphysique » [prise dans le sens de « spéculation enivrée » par opposition à la « philosophie raisonnable »] Karl Marx, La Sainte Famille, dans le Literarischer Nachlaß.

L'athéisme restait cependant minoritaire. Mais dans la vision mécaniste de Voltaire, Dieu est réduit au rôle de «  Grand horloger », ayant créé le monde mais n'intervenant pas dedans (position déiste). Cela combat frontalement l'idée que le clergé aurait le pouvoir de distribuer les bonnes grâces de Dieu ou au contraire de décréter ce qui est une hérésie.

Néanmoins, si la plupart de ces philosophes appliquent le matérialisme à des objets d'étude concrets, ils continuent à raisonner en idéalistes dans tout ce qui touche à l'esprit humain et aux sociétés (l'histoire en particulier). Marx relevait ainsi que les scientifiques disent généralement des banalités non scientifiques quand ils font des affirmations qui sortent de leur domaine :

« Pour ce qui est du matérialisme abstrait des sciences naturelles, qui ne fait aucun cas du développement historique, ses défauts éclatent dans la manière de voir abstraite et idéologique de ses porte-parole, dès qu'ils se hasardent à faire un pas hors de leur spécialité. »[1]

Ou comme l'écrira plus tard le marxiste Plékhanov :

« Avoir une conception matérialiste de la nature ne signifie pas nécessairement qu'on possède une conception matérialiste de l'histoire. Les matérialistes du [18e siècle] considéraient celle-ci avec des yeux d'idéalistes, et d'idéalistes fort naïfs. » Pour eux « le cours des choses, dans la société, est déterminé par le cours des idées, et celui-ci par on ne sait quoi : les règles de la logique formelle, ou l'accumulation des connaissances, par exemple. »[2]

Il y avait cependant de notables exceptions, comme Jean-Baptiste Vico qui plaçait déjà l'histoire des idées dans une démarche matérialiste : « Le cours des idées est déterminé par le cours des choses. »

2 Entre sciences et idéologies

2.1 Une offensive bourgeoise progressiste

Généralement, la percée du matérialisme après l'épisode médiéval s'est fait sus la forme d'une véritable offensive idéologique. Cette idéologie a été une des principales armes utilisées par la bourgeoisie, alors progressiste et libérale (Voltaire, Diderot, Rousseau ou encore Spinoza sont issus de milieux bourgeois)

Cela n'a cependant rien d'une évolution historique "mécanique". Dans un pays comme l'Angleterre, où une révolution progressiste avait eu lieu bien avant sous des aspects religieux, des penseurs conservateurs ont repris des arguments du matérialisme mécaniste pour justifier la monarchie :

« Le deuxième grand soulèvement de la bourgeoisie trouva dans la calvinisme une doctrine taillée et cousue à sa mesure". Si la religion et non le matérialisme a fourni la doctrine de ce combat révolutionnaire, cela se doit à la nature politiquement réactionnaire de cette philosophie dans l’Angleterre de cette époque : "Avec Hobbes, le matérialisme apparut sur la scène, comme défenseur de l’omnipotence et des prérogatives royales ; il faisait appel à la monarchie absolue pour maintenir sous le joug ce puer robustus sed malitiosus qu’était le peuple. Il en fut de même avec les successeurs de Hobbes, avec Bolingbroke, Shaftesbury, etc ; la nouvelle forme déiste ou matérialiste demeura, comme par le passé, une doctrine aristocratique, ésotérique et par consequent odieuse à la bourgeoisie... Par conséquent, en opposition à ce matérialisme et à ce déisme aristocratiques, les sectes protestantes qui avaient fourni son drapeau et ses combattants à la guerre contre les Stuarts, continuèrent à constituer la force principale de la classe moyenne progressive... »[3]

2.2 Sciences et idéologies

Enfin, même si l'aspect idéologique a toujours été très fort dans les courants philosophiques et même scientifiques, on ne peut en déduire que les thèses des philosophes mécanistes n'ont aucune valeur objective. En mettant en avant la démarche expérimentale et en l'appliquant à de nombreux domaines (tout en maintenant de nombreuses affirmations infondées), ils ont grandement contribué au progrès des connaissances et des techniques. De nombreuses découvertes en optique ou en astronomie datent de cette époque. L'idée d'homme-machine, ou même déjà l'idée de Descartes que seul le corps est une machine, ont permis d'ouvrir la voie à la médecine scientifique.

2.3 Mécanisme, simplisme ?

Le qualificatif de « mécaniste » (en philosophie comme en politique) est devenu synonyme de « simpliste », parce que le progrès de la science a montré que très peu de phénomènes sont assez simples pour être expliqués par analogie avec un mécanisme de type « horloger », celui qui prédominait alors. Et en particulier dans les sciences humaines (comme l'histoire), cette analogie est inopérante, ce qui a conduit notamment Marx à en faire la critique, tout en saluant leur apport général au matérialisme.

Néanmoins, Boukharine écrit en 1921, dans un ouvrage qui servit à la formation des militants communistes :

« Nous considérons comme tout à fait possible de traduire la « langue mystique », comme l'a appelée Marx, de la dialectique de Hegel, dans la langue de la mécanique moderne. Il y a relati­vement peu de temps presque tous les marxistes ont protesté contre les définitions d'ordre mécanique. Ils ont agi ainsi parce que l'ancienne conception des atomes considérait ces derniers comme des parcelles isolées, sans aucune attache avec les autres. À l'heure actuelle, grâce à la théorie des électrons et des atomes, considérés comme des systèmes entiers analogues au système solaire, il n'y a plus de raison de craindre des définitions mécaniques. Le courant le plus avancé de la pensée scientifique pose partout le problème exactement de cette façon. »[4]

3 Notes et sources

Gramsci, La philosophie de la praxis face à la réduction mécaniste du matérialisme historique, 1932-1933