Lyssenkisme

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Le lyssenkisme, du nom de l'agronome Trofim Lyssenko, est un courant idéologique qui a dominé en URSS dans l'agronomie et la génétique, à partir de la fin des années 1920.

Depuis, le terme de « lyssenkisme » est régulièrement utilisé métaphoriquement pour dénoncer la manipulation de la méthode scientifique pour soutenir une conclusion idéologique pré-déterminée.

1 Historique

1.1 Recherches en agronomie et vernalisation

En 1928, Lyssenko affirme avoir développé une technique agricole, appelée vernalisation, qui triplerait ou quadruplerait le rendement agricole du blé en exposant les semences de ce dernier à une forte humidité et à une faible température. Dans les années 1930, l'agriculture en URSS est en crise, à la suite notamment des ravages de la collectivisation dite forcée[1] et à la mise en place à la va-vite des kolkhozes et sovkhoses.

La famine qui résulte de l'industrialisation à outrance[2] pousse les Soviétiques à chercher désespérément des solutions.

Selon Valery Soyfer, Lyssenko aurait falsifié ses résultats[3]), ce qui est selon elle suffisant pour en faire une personnalité d'importance de l'agriculture soviétique. Il est présenté comme un génie ayant inventé une technique agricole révolutionnaire. À l'époque, la propagande soviétique est intéressée par les histoires de paysans qui trouvent d'eux-mêmes, par leur seule intelligence et habiletés naturelles, des solutions à des problèmes pratiques. Cependant, même si Lyssenko a du mal à théoriser ses découvertes empiriques, il a obtenu des résultats positifs. Lyssenko s'opposait aussi à l'agriculture intensive (engrais et pesticides).

1.2 Contre la génétique et la « science bourgeoise »

La popularité croissante de Lyssenko lui donne une tribune lui permettant de dénoncer les généticiens néodarwiniens. C'est dans cette période que le régime se lance dans une dénonciation des "sciences bourgeoises", qui seraient fondamentalement opposées à la science prolétarienne. Mais, dans les années 50, Staline désavoue la vision des deux sciences déjà présente chez Alexandre Bogdanov critiqué par Lénine.

Les quelques généticiens russes formés à l'étranger aux lois de l'hérédité de Mendel, sont mal vus par le régime. Il y a à cette époque débats et polémiques entre 3 courants de pensée[4] :

  • Le courant mendelien / néo-darwinien : Vavilov, Poliakov, Muller, Filiptchenko, Schmalhausen,
  • le courant rousseauiste / néo-lamarckien : Lyssenko
  • le courant dialectique / "darwinien conséquent" : Zavadovski.

La « loi des petits pois » de Mendel comme la nommait Ivan Mitchourine se voulait une loi générale et absolue pour les néodarwiniens. Or, cette conception a priori de Mendel (mendelisme) diffusée par les néodarwiniens était utilisée pour justifier la nécessité de l'eugénisme (notamment fasciste) ou du laissez-faire spencerien des sociétés impérialistes. Dans ce cadre idéologique, les néodarwiniens sont mis à mal. Ainsi, Nicolaï Vavilov est mort à la prison de Saratov en janvier 1943.

A l'inverse, Lyssenko défend une conception néo-lamarckienne, selon laquelle les caractères acquis sont transmis. Cette vision semble mieux étayer l'idée d'une amélioration continue du vivant comme des hommes par l'éducation. Ce point de vue lamarckien sera défendu après la seconde guerre par les pédagogues comme Henri Wallon et Célestin Freinet.

1.3 Ascension et conséquentes absurdes

Utile à la bureaucratie au pouvoir, Lyssenko grimpe rapidement les échelons du Parti communiste de l'Union soviétique et est chargé des affaires agricoles. Bénéficiant du soutien de Joseph Staline, il gagne encore en influence et élimine tranquillement le reste de ses adversaires.

En 1934, Lyssenko est admis à l'Académie des sciences d'Ukraine. La même année, il devient directeur scientifique de l'institut de sélection et de génétique d'Odessa. Appuyé par le Parti, il fonde un magazine et attaque les biologistes « mendéliens ». En 1935, il est nommé membre actif de l'Académie Lénine des sciences agronomiques (VASKhNIL), et est fait membre du Soviet suprême de l'Union soviétique. En 1936, Lyssenko est nommé directeur de l'Institut de Génétique et de Reproduction des végétaux d'Odessa après l'arrestation de A.A. Sagepin. Il entre également à l'académie des Sciences de l'URSS. En 1937, il se livre à des attaques contre les biologistes qui refusent ses idées; plusieurs finiront en prison lors des Grandes Purges, ce qui conduit à l'annulation du Congrès international de génétique de Moscou prévu cette année-là.

En février 1938, un décret du Conseil des commissaires du peuple de l'URSS nomme Lyssenko à la tête de la VASKhNIL, après l'arrestation, le 11 août 1937, de G. K. Meister qui présidait jusqu'alors cette académie. Élu membre actif de l'académie des sciences soviétiques en 1939, il est nommé membre du praesidium de l'académie, et accède au poste de directeur de l'institut de génétique de l'académie des sciences en 1940, après l'arrestation de Nicolas Vavilov, le premier directeur...

En 1945, l'ascension de Lyssenko semble infinie. Il a été récompensé 8 fois de l'ordre de Lénine, est conseiller auprès du Soviet suprême, directeur de l'institut génétique de l'Académie des sciences d'URSS, et enfin a été distingué comme héros du travail socialiste en juin 1945.

Lyssenko souleva un grand enthousiasme dans les partis communistes du monde entier. La majorité des généticiens, qui désapprouvaient les conceptions transformistes de Lyssenko, ont quitté leur Parti Communiste. L'anglais J.B.S Haldane restera cependant marxiste et communiste, tentant d'élaborer une vision dialectique matérialiste de sa pratique scientifique.

1.4 L'Affaire Lyssenko

Alors que les idées de Lyssenko sont discutées et contestées dès les années 1930, ce qui sera connu dans le monde comme « l’affaire Lyssenko » advient en 1948 dans le sillage de la session de la VASKhNIL du 28 juillet au 7 août 1948. Le lyssenkisme y est institutionnalisé avec le soutien de Staline. Cette conception soviétique de la biologie provoquera une controverse interne au monde communiste, particulièrement en France.[5]

La session VASKhNIL se tient juste après le 8e Congrès International de Génétique qui a eu lieu à Stockholm du 7 au 14 juillet 1948 et où les chercheurs soviétiques, officiellement accaparés par leurs travaux, ne se sont pas rendus.[6]

Les déclarations de Lyssenko n’étaient pas une surprise : il les défendait depuis 15 ans. Mais ce qui surprit, c’est la décision officielle du régime d'adopter sa doctrine. Trois jours plus tard, la Pravda publie l’intégralité du rapport de Lysenko, et ajoute qu'il a été examiné et approuvé par le Comité central du Parti. La conférence VASKhNIL fut suivie d’une campagne de promotion intense et exclusive de la biologie mitchurinienne. Les journaux rapportaient quotidiennement les propos des tenants de la doctrine de Lysenko. Outre la publication dans la Pravda, le rapport Lysenko fut immédiatement publié à plus de 300 000 exemplaires.[7]

Fin août et début septembre 1948, la conférence VASKhNIL est relayée par des réunions de l’académie des sciences, de l’académie des sciences pédagogiques et l’académie des sciences médicales. Elles furent suivies et accompagnées par de multiples réunions des organismes académiques , ministériels ou administratifs et ce , à différents niveaux. Dans la foulée de cette campagne, plusieurs laboratoires de génétique furent fermés, beaucoup de biologistes furent licenciés, les cours de génétiques interdits des écoles d’agriculture et des universités, de nouveaux manuels exposant exclusivement la « nouvelle biologie » publiés. Fin 1948, la génétique mendélienne était officiellement bannie d'URSS. La campagne de promotion de la biologie michurinienne gagna très rapidement le reste du monde ; les comptes-rendus de VASKhNIL furent rapidement publiés non seulement dans les toutes récentes démocraties populaires, mais aussi en Afghanistan, en Argentine, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Chine, en France, en Allemagne, en Iran, en Irak, au Japon, au Liban, en Turquie, aux États-Unis et ailleurs. Le film Mitchurin, remanié, vient en soutien de cette campagne. En occident, on répond à cette campagne de propagande par une contre-campagne.[7]

Khrouchtchev qui a pris Lyssenko sous son aile jusqu'à sa chute, a dirigé une politique inepte de culture de maïs (Institut du maïs en Ukraine). Les semences sont issus de son ami "american farmer" (Roswell Garst). Ainsi, il voulait planter du maïs sur tout le territoire soviétique même dans les zones les plus hostiles d'un point de vue climatique comme la Sibérie. Khrouchtchev en reconnaitra cependant son erreur suite à une trop grande passion pour ce céréale.

En 1964 Andrei Sakharov s'oppose à l'élection d'un allié de Lyssenko à l'Académie des sciences d'URSS ; 126 académiciens sur 150 votent contre sa candidature, malgré le soutien de Khrouchtchev - qui est remplacé par Brejnev en 1964. En 1965 Vladimir Soukatchev accuse Lyssenko de pratique frauduleuse.[8]

La VASKhNIL relève Lyssenko des ses fonctions en 1965. Lorsqu'il est décidé enfin de se séparer de Lyssenko, ce dernier est convoqué devant le comité de l'Académie des sciences soviétique section Biologie, et soumis à une série de questions qui aboutissent au discrédit total de ses thèses.

2 Le lyssenkisme et la question de la science

2.1 « Science prolétarienne » contre « science bourgeoise »

Partisan enthousiaste du régime soviétique, Lyssenko prétend appliquer la dialectique matérialiste aux sciences de la nature, et, inversement, démontrer la validité de la méthode dialectique par les sciences naturelles[9]. Sous l'influence de Lyssenko, le régime déclare fausses les lois de Mendel sur l'hérédité. La génétique naissante est rejetée comme une « science bourgeoise ».

Ce type de propagande repose sur la conception des "deux sciences" :  les chercheurs sous le capitalisme produiraient de la « science bourgeoise », opposée à la « science prolétarienne » produite en URSS. Cette opposition rigide est contradictoire avec le matérialisme. Lénine critiquait ce type de position, par exemple dans Matérialisme et empiriocriticisme. Staline lui-même a critiqué cette opposition dans un opuscule sur la linguistique en 1950.

2.2 Science contre pseudo-science

Le lyssenkisme est devenu synonyme de pseudo-science. Le lyssenkisme est selon le généticien Jacques Monod de loin l'ingérence la plus désastreuse du régime dans le champ scientifique.

Pour les idéologues bourgeois, il s'agit bien sûr au passage d'en profiter pour lancer une accusation contre le communisme. A cause de la prétention "dialectique" de Lyssenko, les scientifiques sont encore très méfiants vis-à-vis de toute recherche s'appuyant sur la dialectique, hormis des exceptions comme Stephen Jay Gould et Richard Lewontin. Aujourd'hui, les scientifiques ont démontrés que les lois de Mendel et de Morgan ne sont pas des lois générales; et découvrent des principes mis en avant par Lyssenko tout en restant dans un cadre darwinien avec ces divers tendances orthodoxes et hétérodoxes.

Mais, si le lyssenkisme est une intrusion idéologique dans les sciences, ce travers existe aussi dans les sociétés capitalistes.


3 Bibliographie

  • Guillaume Suing (2016). 'Evolution : La preuve par Marx - Dépasser la légende noire de Lyssenko'. Delga.
  • Joël Kotek et Dan Kotek, L'Affaire Lyssenko, Éditions Complexe, 1986

4 Article externe

5 Référence

  1. dans Les confessions d'un homme en trop, Alexandre Zinoviev nous fait remarquer que la collectivisation proclamée en 1929 n'a pas eu d'effet dans les campagnes. En effet, les terres étaient depuis des siècles collectivisées. Ce qui fait que la (re)collectivisation proclamée suite à l'échec de la NEP (à cause des spéculations sur le blé) est passée inaperçue parmi les paysans. Par contre, cette collectivisation cache une industrialisation à outrance en lien avec la guerre civile mondialisée.
  2. Ce sont les mêmes phénomènes qui ont généré la famine de 1891-1892 et la famine de 1931-1932 : L'industrialisation qui a conduit à un fort exode rurale, une baisse de la production agricole et une politique d'exportation du blé au profit de l'industrialisation. Celle des années 30 a été exacerbé par un petit période glacière.
  3. Valery Soyfer, The consequences of political dictatorship for Russian science, Nature Reviews, 2001
  4. Guillaume Suing (2016). 'Evolution : La preuve par Marx - Dépasser la légende noire de Lyssenko'. Delga.
  5. Deniz Uztopal, La réception en France du lyssenkisme, les scientifiques communistes français et la conceptualisation de la « science prolétarienne » (1948-1956) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 122,‎ 2014, p. 121-141
  6. Robert C. Cook, Lysenko's Marxist Genetics - Science or Religion ?, The Journal of Heredity, Vol XV,Juillet 1949, N° 7
  7. 7,0 et 7,1 William deJong-Lambert, Nikolai Krementsov, On Labels and Issues: The Lysenko Controversy and the Cold War, Journal of the History of Biology, August 2012, Volume 45, Issue 3, pp 373-388
  8. John Bellamy Foster, Late Soviet Ecology and the Planetary Crisis, Monthly Review, 2015, Volume 67, Issue 02 (June)
  9. Georges Labica et Gérard Bensussan, Dictionnaire critique du marxisme, Presses universitaires de France, 1982, page 536