Luttes des classes en Chine

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Bien que la société précapitaliste en Chine ait l'apparence d'une grande stabilité, elle a été secoué régulièrement par des luttes de classes explosives.

1 Généralités

Une riche tradition égalitaire et utopique s'est perpétuée tout au cours de l'histoire classique chinoise et jusqu'en plein 19e siècle à travers deux tendances bien distinctes : la protestation des lettrés réformateurs et celles des mouvements paysans égalitaristes.

De nombreuses révoltes paysannes ont fait tomber des dynasties... et porté au pouvoir de nouvelles dynasties. Si des réformes étaient parfois mises en place, les rapports de production n'étaient pas transformés. Les révolutions politiques de ce type ne pouvaient pas être des révolutions sociales. Il est à noter que les dynasties se légitimaient avec le concept de « mandat du ciel » : concept proche de celui de monarchie de droit divin, mais le mandat pouvait être retiré. Ainsi les révoltes ou les catastrophes naturelles étaient vues (sauf bien sûr si l'empereur reprend la main) comme le signe que le mandat du ciel était perdu.

En Chine (comme au Japon), il n'y a pas eu de domination exclusive d'un clergé comme cela a pu être le cas avec l’Église catholique en occident. Dans les élites aussi bien que dans les milieux populaires, les différentes formes de cultes des ancêtres, de confucianisme, de taoïsme et de bouddhisme ont eu tendance à cohabiter beaucoup plus librement, et, de façon liée, les liens entre l'État et les courants religieux n'ont pas été aussi étroits qu'entre noblesse et clergé en Europe.

Le confucianisme a plutôt été une idéologie conservatrice des mandarins, bien que certaines notions comme le datong (« Grande unité ») aient pu nourrir des idées réformatrices. Le taoïsme et dans une moindre mesure le bouddhisme ont été davantage utilisés par des courants contestataires.

Il y a peu de traces écrites de contacts directs entre des intellectuels contestataires et des mouvements paysans. Une exception est celle d'un certain Li Yan, homme instruit qui rédigeait les proclamations égalitaires des paysans révoltés contre les Ming au milieu du 17e siècle. Mais il faut se rappeler que les documents historiques chinois sont tous d'origine mandarinale, et qu'ils étaient donc tout naturellement portés à faire le silence sur ceux des lettrés qui se dressaient contre l'ordre établi et soutenaient les mouvements rebelles.

Les rapports de production en Chine étaient comme dans toute société précapitaliste des rapports d'exploitation entre une noblesse et la paysannerie, mais avec des formes particulières. L'État y avait une importance particulièrement grande, comparé à l'occident. Il était en charge de la gestion de systèmes d'irrigation (particulièrement importants pour la riziculture), des digues et des canaux, mais aussi du monopole sur le fer et le sel (depuis la dynastie Han). Ces particularités ont fait que Marx et beaucoup d'auteurs marxistes ont débattu sur la pertinence ou non de parler d'un « mode de production asiatique » spécifique.

« Dans l'ancienne Chine des révolutionnaires portèrent la paysannerie au pouvoir, ou, pour être plus précis, octroyèrent le pouvoir aux chefs militaires des soulèvements paysans. Ceci conduisit chaque fois à un nouveau partage de la terre et à l'instauration d'une nouvelle dynastie "paysanne"; à ce point, l'histoire recommençait par le commencement. La nouvelle concentration de la terre, la nouvelle aristocratie, le nouveau système d'usure provoquaient un nouveau soulèvement. Aussi longtemps que la révolution conserve son caractère purement paysan, la société est incapable de sortir de ce cercle vicieux et sans issue.

C'est là la base de l'histoire ancienne de l'Asie, y compris l'histoire ancienne russe. En Europe, dès le début du déclin du Moyen Age, chaque soulèvement paysan victorieux portait au pouvoir, non pas un gouvernement paysan, mais un parti urbain de gauche. Un soulèvement paysan était victorieux exactement dans la mesure où il réussissait à renforcer la position de la section révolutionnaire de la population urbaine. »[1]

2 Origines (770 à 221 av. J.-C.)

Les périodes des Printemps et Automnes et des royaumes combattants sont des périodes de violence et d'instabilité politique, avant que la Chine soit unifiée dans un Empire. Mais cette époque est aussi celle d'une effervescence intellectuelle, considérée comme fondatrice pour la philosophie classique chinoise. On parle des Cent écoles de pensée.

2.1 Le Datong confucéen

Un exemplaire du Li Ji

Dans le Livre des Rites (entre les 8e et 3e siècles av. J.-C.), un des plus anciens textes classiques du confucianisme, il est évoqué une ère de Datong (« Grande unité »).

Selon le récit, la société était alors gouvernée démocratiquement, le peuple élisait des hommes vertueux et capables d'administrer, et valorisait la confiance et l'amitié. Les gens n'aimaient pas seulement leurs propres parents et enfants, mais aussi les autres. Les gens assuraient également la vie des personnes âgées jusqu'à leur fin, laissaient les adultes être utiles à la société et aidaient les jeunes à grandir. Ceux qui étaient veufs, orphelins, sans enfant, handicapés et malades étaient tous pris en charge. « Chaque homme avait son travail et chaque femme son foyer. » Les gens n'aimaient pas voir les ressources gaspillées mais ne cherchaient pas à les posséder ; ils étaient prêts à travailler de toutes leurs forces mais jamais dans leur seul intérêt. Par conséquent, les pensées égoïstes étaient rejetées, les gens ne commettaient de vol, et les portes extérieures restaient ouvertes.

2.2 Les agrariens

Un des courants radicaux de cette époque est celui des « agrariens » (Nongjia). Les agrariens, d'ailleurs proches des taoïstes, appellent de leurs vœux une société où tout le monde travaille aux champs, les sujets comme les dirigeants. Ils attaquaient donc les vues de Confucius, sur la nécessité de faire diriger l'Etat par des sages, dégagés des servitudes du travail manuel. Dans le pays idéal qu'ils décrivent, les dirigeants cultivent la terre avec les simples gens, et préparent eux-mêmes leurs repas matin et soir, s'acquittant en même temps des tâches de l'Etat. Ce courant a été durement critiqué par les autres philosophes, et réprimé sous l'Empire.

2.3 Le Jingtian

Le même idéal d'une société fraternelle où l'intérêt mutuel prend le pas sur l'intérêt privé se trouve dans Mencius (4e siècle avant notre ère), avec l'idée de la primauté du peuple sur le souverain, phrase également très souvent citée. Mencius a également décrit (livre III, chap. Ier) un état de communisme agraire primitif, où les champs sont divisés en neuf parts, les huit lots de la périphérie étant attribués à des familles, le neuvième, au centre, cultivé en commun au profit du prince. C'est le système du « champ en forme de puits » (l'idéogramme chinois qui signifie puits se dessine par deux traits horizontaux et deux traits verticaux, délimitant neuf cases), c'est-à-dire jingtian. « Ceux qui cultiveront le même jing, dit Mencius, seront toujours ensemble, partout où ils iront; ils partageront entre eux le soin de la défense et les veilles. Dans les maladies, ils se porteront un mutuel secours. Ainsi tous les habitants s'aimeront et vivront en bonne intelligence. » Ce mythe utopique du communisme agraire, du Jingtian, sera extrêmement vivace en Chine, jusqu'en plein 20e siècle.

Mozi, un autre maître de la philosophie classique chinoise, a fondé sa philosophie sur l'aide mutuelle et l'amour universel. Dans sa société idéale, les gens aiment ce qui est profitable à tous; tout le monde travaille et les gains sont partagés entre tous.

2.4 Taoïsme

Mais c'est l'école taoïste (5e-4e siècle avant notre ère) qui offre les traditions les plus riches d'utopie sociale et d'égalitarisme. Les taoïstes sont tout imprégnés de nostalgie d'un âge d'or fondé sur la coopération, non sur l'acquisition. Ils condamnent les différenciations de classe et recommandent l'entraide. Ils sont hostiles au pouvoir d’État et à l'intérêt privé. Zhuangzi, un des pères du système taoïste, écrit :

Dans l'Antiquité, la condition humaine était identique. Les hommes tissaient tous leurs propres habits et cultivaient tous la terre pour subsister. C'était la Vertu de la vie menée de la même façon par tous (tongde). Ils étaient unis en un seul groupe social, c'est ce que nous appelons liberté donnée naturellement par le Ciel. En cet âge de vertu parfaite, les hommes vivaient en commun avec les oiseaux et les bêtes sauvages et toute la création ne formait qu'une seule famille. Comment pouvaient-ils connaître la distinction entre prince et sujet? (Zhuangzi, chap. 9).

Le taoïste Yang Zhu exaltait le laboureur besogneux, et décrivit le paradoxe sur le bienfait qui se transforme en son contraire, par l'intermédiaire : les bienfaits apportent la « gloire » ; celle-ci mène au « gain » ; l'aspiration au gain entraîne la violation des droits des autres hommes ; le bienfait se transforme en mal...

Un autre classique taoïste, Liezi, a décrit, comme en rêve (livre II, chap. Ier), un royaume mythique où « il n'est point de chefs, et tout se déroule de soi-même; le peuple est sans désirs, tout se déroule naturellement ». Toute cette tradition taoïste est imprégnée d'un égalitarisme utopique.[2][3]. C'est à ce fonds taoïste qu'appartiennent des notions comme taiping (grande harmonie), pingjun (égalisation), juntian (champs égaux).

3 Chine impériale (-221 à 1911)

3.1 Des Qin aux Han

La dynastie Qin (-221 à -206) est renversée à la suite de plusieurs soulèvements de soldats et de paysans (Chen Sheng, Wu Guang, Liu Bang). Liu Bang, qui devient le premier empereur de la dynastie Han (-206 à 220), était d'origine paysanne.

3.2 Réformes de Wang Mang (9 à 23)

L'empereur Wang Mang, connu pour ses éphémères tentatives de réformes radicales

L'empereur « usurpateur » Wang Mang (qui régna de 9 à 23) avait tenté une redistribution générale des terres, conformément au système du jingtian. Il y avait ajouté toute une série de réformes archaïsantes, légitimées par les livres canoniques utopiques de l'Antiquité, en particulier le Livre des Rites : ainsi, le système des « six monopoles » (sel, métaux, mines, etc.) et les « cinq zones d'égalisation » (dans lesquelles des bureaux d’État fixaient les prix, achetaient les surplus, revendaient en période de hausse). Ses réformes ne survécurent pas à sa chute.

3.3 Renouveau taoïste (1er-2e siècles)

Sous la dynastie des Han postérieurs (deux premiers siècles de notre ère) s'est constituée une véritable école de critique sociale taoïsante, pleine de vitalité. Wang Fu (90-165) exprime sa nostalgie d'une ère de taiping, de grande harmonie, et condamne la concentration des richesses; il avait préféré aux honneurs la vie recluse d'un ermite. Tong Zhongchang (né en 180) préconise aussi un retour à l'état de taiping, en remettant en vigueur l'antique système de culture communautaire des champs « en forme de puits » (jingtian) ; les maux de la société, selon lui, viennent de ce que « les champs sont distribués sans restriction entre les personnes privées ». Bao Jingyan (3e siècle), disciple de Zhuangzi, est « le premier anarchiste politique de la Chine, et un penseur audacieux qui a largement dépassé l'utopisme confus du taoïsme populaire» (Balazs[3]). Au régime d'oppression que connaît la Chine de son temps, il oppose l'âge d'or où « il n'y avait ni seigneur ni sujet ».

Le même rêve de l'âge d'or s'exprime dans la célèbre utopie de Tao Yuanming (365-427) intitulée La source du jardin des pêchers. Dans ce récit de voyage imaginaire, l'auteur décrit un pays situé en dehors du monde et du temps, et dont les habitants conservent les mœurs primitives de la Chine archaïque; la vie quotidienne, le travail, les loisirs se déroulent dans une atmosphère communautaire; il n'y a ni gouvernement, ni fonctionnaires, ni impôts, ni corvées publiques, ni guerres.

3.4 Révolte des Turbans jaunes (184-205)

La révolte des Turbans jaunes (184-205) et celle de l'École des cinq boisseaux de riz provoquèrent la chute de la dynastie des Han postérieurs. Ces mouvements se réclamaient d'un âge d'or dans lequel il n'y aurait pas deux prix différents sur les marchés, pas de voleurs sur les routes. Ils tentèrent de créer « une organisation communautaire doublée d'une hiérarchie basée sur les mérites et une volonté de réaliser un état parfait » (R. Stein[4]). Les révoltés avaient instauré dans la province du Sichuan, qu'ils tinrent pendant plusieurs années, le système des « auberges d'équité » (yishi), où l'on suspendait la viande et le vin, mis librement à la disposition des voyageurs, à condition que ceux-ci ne consomment que ce qui leur était strictement nécessaire. Sinon, ils étaient en état de péché, et devaient l'expier en travaillant à la réfection des routes.

Les Turbans jaunes se réclamaient d'un âge de prospérité et d'égalité (taiping) dont ils annonçaient la venue imminente.

3.5 Bouddhisme

La diffusion du bouddhisme venu d'Inde à partir du 4e siècle va venir apporter d'autres sources aux mouvement égalitaristes. En effet le bouddhisme est aussi porteur de traditions de charité et de condamnation des richesses. Il apporte aussi une composante messianique, avec l'attente du Bouddha Maitreya (en chinois Milofu) dont l'avènement doit ouvrir un âge de justice, d'abondance et de bien-être.

3.6 Révoltes sous les Tang et les Song

Au 9e siècle, le chef paysan Wang Xianzhi se proclama « grand général mandaté par le Ciel pour rétablir l'équité ». Sa jacquerie, avec celle de Huang Chao, a contribué à la chute des Tang.

Sous les Song (960-1279) un autre paysan, Wang Xiaopo, chef d'une jacquerie du Sichuan, annonce qu' « il est las de l'inégalité qui existe entre les riches et les pauvres; et qu'il veut la niveler au profit du peuple ». Dès le début du mouvement, il confisque tous les surplus des riches et les distribue aux pauvres; « parmi nous, déclare un autre rebelle paysan de la dynastie Song, Yang Keshi, tout ce que nous possédons en fait de vêtements, de nourriture, de troupeaux, de tissus, de grains, nous n'en faisons pas l'objet d'une accumulation privée, nous le répartissons de façon égale pour tous, c'est pourquoi nous formons une vraie communauté » (tongchu).

Sous la dynastie Song, apparaissent deux penseurs de la réforme agraire :

  • Li Kou (1009-1059) proposait d'instaurer un régime d'harmonie sociale (taiping) en remettant en vigueur le système mythique de la dynastie Zhou.
  • Plus connu, Wang Anshi (1021-1086) invoquait lui aussi les traditions communautaires pour promouvoir des mesures agraires tendant à égaliser la taxe foncière en fonction de la productivité de la terre.

3.7 Révolte des Turbans rouges (1351-1368)

Hongwu, premier empereur Ming, était à l'origine un paysan pauvre

En tant que dynastie étrangère (mongole), la dynastie Yuan (1271-1368) était particulièrement combattue par des mouvements de résistance.

La société du Lotus blanc, par exemple, qui était profondément marquée par l'attente millénariste du Messie bouddhique (Milofu). Des groupements comme la société du Ciel et de la Terre ou des Aînés et des Anciens avaient une organisation égalitaire (y compris au bénéfice des femmes), et leur hiérarchie fictive (Grand Dragon, etc.) avait un caractère compensatoire des inégalités de la société réelle. Ces sociétés secrètes ont été étroitement mêlées à l'agitation paysanne égalitaire, qui mena à la révolte des Turbans rouges, qui fera chuter les Yuan.

Celui qui devient le premier empereur Ming était à l'origine un paysan pauvre. Bien qu'il réalise une réforme agraire une fois au pouvoir, la structure de la société ne changea pas.

3.8 Chute des Ming

La dynastie Ming (1368-1644) finissante se trouva simultanément en butte aux rébellions paysannes et aux attaques mandchoues de la dynastie Qing.

3.9 Critiques sous la dynastie Qing

Le 17e siècle est aussi une période de profonde crise politique, intellectuelle et sociale en Chine, avec la chute de la dynastie Ming et l'avènement des Mandchous. Un penseur comme Huang Zongxi (1610-1695), qui participa activement à la résistance contre les envahisseurs du Nord, est l'auteur d'un célèbre Plan pour le prince (Mingyi Tai Fang Lu, propositions pour un âge plus propice) écrit en 1662. Il y critique systématiquement la fonction princière, « le plus grand ennemi de l'humanité ». Il regrette l'Antiquité, époque où il y avait d'autant moins de désordres que les lois étaient plus légères. « S'il n'y avait pas les gouvernants, chaque homme vivrait pour lui-même... » Lui aussi est en faveur du retour au système agraire du jingtian.

Au 18e siècle, cette tradition utopisante est représentée par Li Ruzhen (~1763-1830), auteur du célèbre roman Fleurs dans un miroir. Ce roman se passe au 7e siècle, sous la dynastie Tang, et décrit les aventures de cent femmes de talent dans des royaumes imaginaires dont la description est l'occasion d'une critique acide de la Chine de la dynastie mandchoue. Dans ces royaumes, les femmes ont le droit de se présenter aux examens publics, elles étudient, elles se marient librement, elles échappent aux servitudes des pieds bandés et du concubinage. Cette utopie féministe est restée très célèbre en Chine.

4 Époque contemporaine

4.1 Semi-colonisation occidentale et japonaise

La Chine, qui avant le 18e siècle est très longtemps resté la première puissance mondiale, se retrouve ensuite très vite distancée par puissances occidentale, qui se lancent dans la domination impérialiste du monde. Si elle n'a pas été directement colonisée, elle est tombée au 19e siècle dans un rapport de domination assez net vis-à-vis de différentes puissances (Royaume-Uni, France, États-Unis, Allemagne, Portugal...) qui se découpaient des concessions dans les grandes villes, imposaient des "traités inégaux" (notamment après les humiliantes guerres de l'opium.

Dans ce contextes, de puissants mouvements populaires éclatent, comme la Révolte des Taiping dans les années 1850, ou la Révolte des boxers (1898-1901). Ces révoltes paysannes ou plébéiennes sont dirigées à la fois contre la dynastie Qing vue comme décadente, et contre les occidentaux qui la soutiennent, et qui participent directement à la répression.

Le Japon voisin, qui a rapidement pris le chemin du capitalisme à partir de 1868, s'est aussi joint au concert des puissances impérialistes se partageant économiquement la Chine.

Malgré le retard pris, le capitalisme se développe progressivement, en accélérant à partir du 20e siècle. La bourgeoisie reste faible, et une grande partie est trop liée aux intérêts impérialistes pour prendre la tête de mouvements radicaux (bourgeoisie compradore).

4.2 Révolution de 1911, guerre de libération et guerre civile

En 1911, l'Empire chinois, affaibli et discrédité, s'effondre, laissant place à un mouvement révolutionnaire d'abord peu dirigé.

La petite-bourgeoisie intellectuelle est alors en effervescence politique et culturelle, s'emparant des idées de démocratie et d'égalité, d'indépendance nationale et de socialisme, tout en les réinterprétant au prisme de la culture chinoise.

Ainsi le concept de Datong est de plus en plus utilisé par des réformateurs (comme Kang Youwei), puis des socialistes. Sun Yat-sen, leader républicain socialisant, écrivait :

Quand le peuple aura tout mis en commun au sujet de l’État, on aura vraiment réalisé l'objectif du « bien-être du peuple » ; on aura réalisé ce monde de datong souhaité par Confucius. (Trois principes du peuple, quatorzième leçon.) La nouvelle culture européenne, l'anarchisme et le communisme, dont on parle tant aujourd'hui, ce sont dans notre Chine de vieilles théories qui datent de plusieurs millénaires; ainsi, les théories de Huangdi et de Laozi (deux « Pères » taoïstes) sont de l'anarchisme, et le royaume de Huaxushi, duquel Liezi dit que ses habitants n'ont ni chef ni loi, c'est l'état de nature pur, n'est-ce pas de l'anarchisme? (Ibid., quatrième leçon.)

Sun Yat-sen mentionne également le Datong dans ses paroles de l'hymne national républicain (toujours officiel à Taiwan). Les premiers intellectuels socialistes du début du 20e siècle, revisitant l'histoire chinoise, considèrent Wang Mang et Wang Anshi furent considéré comme les pères du socialisme chinois.

C'est à cette époque que sont fondés le parti nationaliste (Kuomintang), puis le Parti communiste chinois (PCC). A l'origine, ces deux partis collaborent dans la lutte contre l'impérialisme (qui prend un caractère d'autant plus concret que le Japon envahit la Chine en 1931) et pour un régime républicain.

Mais le PCC, en organisant de plus en plus les masses ouvrières et paysannes, effraie les nationalistes, qui sont de plus en plus liés aux intérêts bourgeois. Cela éclatera en une sanglante période de guerre civile, entremêlée avec la lutte contre les Japonais. Au cours de cette guerre civile, suite à l'échec cuisant de la ligne stalinienne, le PCC perd toute sa base ouvrière, et se retranche dans les campagnes, contrôlant des territoires par des manœuvres militaires comme d'autres seigneurs de guerres.

4.3 Révolution de 1949 et régime maoïste

Finalement, c'est le Parti communiste qui parviendra à prendre le dessus militairement sur le Kuomintang, grâce à un ancrage paysan considérable. Il prend le pouvoir en 1949, à la tête d'une armée essentiellement paysanne, et en l'absence de toute auto-organisation ouvrière.

Mao Zedong parle du datong dans un discours de 1949.

5 Une culture chinoise « socialiste » ?

Beaucoup de sinologues ont développé l'idée que la Chine était moins marquée par l'individualisme que l'Occident : J. Gernet, L. Vandermeersch, P. Fitzgerald, et surtout J. Needham, qui a affirmé que la Chine communiste n'est que « l'accomplissement de toute une série de traditions communautaires qui remontent à la Chine classique ».

Ce qui est un fait, c'est que le fonctionnement (importance de l'État dans l'économie) et le cadre idéologique de la société chinoise classique tendait à freiner le développement du commerce et de la bourgeoisie. L'individu est beaucoup plus fondé dans le collectif : l'homme fait partie de sa famille, de sa guilde, de son clan, de son village. Au mot gong (collectif), s'oppose ce qui est « privé» (si) au sens économique du terme. Mais le mot si, fait significatif, a en même temps une connotation morale péjorative : il désigne une appropriation « privée », c'est-à-dire furtive et en vue du profit, et plus généralement ce qui est secret, malhonnête, clandestin, par opposition à ce qui se fait de façon collective et publique, c'est-à-dire au grand jour et dans l'intérêt général (gong).

Ce fait s'exprime aussi dans la hiérarchie des valeurs sociales, dans l'ordre de préséance des « états » tel que le définissait la morale politique du confucianisme : d'abord les lettrés (shi), détenteurs à la fois du savoir et du pouvoir, puis les paysans (nong) dont le travail forme la base de toute la société, puis les artisans (gong), et tout en bas de l'échelle sociale les « perfides marchands» (shang).

Par ailleurs la propriété privée de la terre, même si elle existe, n'a jamais le caractère absolu et illimité que connaît le droit romain. Elle est tempérée, a montré F. Schurmann, par des coutumes comme les droits conjoints des autres membres de la famille, les droits de préemption, les droits de tenure.[5]

Nguyễn Khắc Viện a affirmé que le marxisme ne déroutait nullement les intellectuels confucéens car il centrait comme le confucianisme les réflexions de l'homme sur les problèmes politiques et sociaux et non sur l'individu. Le confucianiste n'aurait qu'un changement de doctrine léger à accomplir pour passer de la société traditionnelle à la société socialiste.

Toutefois ces visions tendent à minimiser le caractère démocratique du socialisme, à le réduire à une discipline appliquée par en haut, et à redorer les institutions de l'Empire chinois contre lesquelles d'innombrables mouvements populaires ont eu à se battre. Car bien que la noblesse chinoise ait eu une idéologie incompatible avec celle des marchands, elle n'en était pas moins la classe dominante, vivant de l'exploitation de la paysannerie.

6 Notes et sources

  1. Léon Trotski, Trois conceptions de la révolution russe, 1940
  2. Joseph Needham, Science and Civilisation in China, Vol. 2 : History of scientific thought, 1956
  3. 3,0 et 3,1 Etienne Balazs, Chinese Civilisation and Bureaucracy, Yale, 1964.
  4. Rolf Stein, Remarques sur les mouvements du taoïsme politico-religieux au 11e siecle aprés Jésus-Christ, T'oung Pao, vol. L, 1963, p. 1-81.
  5. H. F. Schurmann, Traditional property concepts in China, Far Eastern Quarterly, août 1956.