Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme

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Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme est un livre-blanc posthume de Friedrich Engels écrit en 1876 et édité après sa mort. Il met en avant le rôle primordial du travail dans la transformation de l'espèce humaine et sa séparation avec le singe. Il s'appuie notamment sur les travaux du grand biologiste Ernst Haeckel.

Il montre que la main est plus déterminante que le cerveau dans le développement de l'humain et des sociétés.

Ce qui va à l'encontre de l'idée reçue selon laquelle dans le développement historique de l'humain c'est le cerveau qui prime sur la main et par extension que c'est l'intellectuel qui prime sur le manuel, ou l'intelligence logique et technique (logos, matheis, techne) sur l'intelligence pratique et social (dont la méthis).

Or, cet article met en avant une dialectique de la nature où c'est la main et le travail qui déterminent le développement du cerveau et non l'inverse.

Cf aussi Intelligence

1 Le rôle du travail dans la formation du singe en homme

=> Texte intégral sur Marxists.org : https://www.marxists.org/francais/marx/76-rotra.htm

« Ainsi, la main n'est pas seulement l'organe du travail, elle est aussi le produit du travail. Ce n'est que grâce à lui, grâce à l'adaptation à des opérations toujours nouvelles, grâce à la transmission héréditaire du développement particulier ainsi acquis des muscles, des tendons et, à intervalles plus longs, des os eux mêmes, grâce enfin à l'application sans cesse répétée de cet affinement héréditaire à des opérations nouvelles, toujours plus compliquées, que la main de l'homme a atteint ce haut degré de perfection où elle peut faire surgir le miracle des tableaux de Raphaël, des statues de Thorvaldsen, de la musique de Paganini. »


2 Commentaire de Stephen Jay Gould sur l'article d'Engels

=> Gould, S.-J. (1997). La posture fait l'homme (p.222-228). in Darwin et les grandes énigmes de la vie. Points (première édition US, 1977).

2.1 La posture fait l'homme

« En fait, nous devons au XIX siècle un exposé brillant, dont l'auteur surprendra sans doute beaucoup de lecteurs puisqu'il s'agit de Friedrich Engels.

Engels à écrit en 1876, un traité intitulé Le Rôle du travail dans le passage du singe à l'hommequi ne fut publié qu'en 1896, après sa mort, et qui n'a malheureusement exercé aucune influence sur la science occidentale.

Engels considère trois caractéristiques essentielles de l'évolution humaine : le langage, la taille du cerveau et la station debout.

Il pense que la première étape a été la descente des arbres et que nos ancêtres installés sur le sol, se sont progressivement redressés.

« Ces singes, vivant sur le sol perdirent l'habitude de se servir de leurs mains et adoptèrent une attitude de plus en plus droite. Ce fut une étape décisive du passage du singe à l'homme. ».


La position debout libérait les mains et permettait l'utilisation d'outils (c'est ce qu'Engels appelle travail). Le développement de l'intelligence et le langage vinrent plus tard.

« Ainsi, poursuis Engels, la main n'est pas seulement un outils de travail, c'est également le produit du travail. Ce n'est que par travail, par l'adaptation à des opérations toujours nouvelles [...], par l'utilisation toujours renouvelé des améliorations léguées par héritage dans des opérations nouvelles, de plus en plus complexes, que la main humain a atteint le degré de perfection qui lui a permis de faire naître les peintres de Raphaël, les statues de Thorvaldsen, la musique de Paganini. »


Engels présente ses conclusions comme si elles se déduisaient naturellement des prémices de sa philosophie matérialistes, mais je suis persuadé qu'il les a chipées à Haeckel. Les deux formulations sont presque identiques, et dans un autre essai écrit en 1874, Engels cite les pages correspondantes de Haeckel. Mais peu importe.

L'importance de l'essai d'Engels ne réside pas dans ses conclusions elles-mêmes, mais dans l'analyse politique pénétrante par laquelle il montre que la science fondait son raisonnement sur une affirmation arbitraire : la primauté du cerveau.

[Comme aujourd'hui depuis les années 90, période de la victoire de la finance sur le social, après la destruction du communisme du XX. Ce fut aussi l'avènement de la neuroscience.]

À mesure que les êtres humains maîtrisaient leur environnement matériel, continue Engels, de nouvelles techniques s'ajoutèrent à la chasse primitive : l'agriculture, le filage, la poterie, la navigation, les arts et les sciences, les lois et la politique puis finalement, « le reflet grotesque des choses humaines dans l'esprit humain : la religion. »

A mesure que la richesse augmentait, des groupes d'homme s'emparèrent du pouvoir et contraignirent les autres à travailler pour eux. Le travail, source de toutes richesses et premier moteur de l'évolution de l'homme, fut assimilé au statut de ceux qui travaillaient pour les dirigeants. Comme les dirigeants gouvernaient par leur volonté (c'est-à-dire par l'action de l'esprit) il apparut que le cerveau était lui-même le moyen du pouvoir.

Les philosophes se mirent sous la protection de l'Église ou de l'État. Même si Platon n'avait pas consciemment l'intention de soutenir les privilèges des dirigeants à l'aide d'une philosophie prétendument abstraite, sa propre position sociale l'encourageait à insister sur la primauté, la domination de la pensée, considérée comme plus noble et plus importante que le travail qu'elle supervise.

La tradition idéaliste a dominé la philosophie jusqu'à l'époque de Darwin. Son influence était si subtile et si pénétrante que même des matérialistes scientifiques, mais apolitiques, tels que Darwin n'y échappèrent pas. [Du moins jusqu'à la Descendance de l'homme en 1881. Et, les mises à jour de l'Origine des espèces tendent à s'en écarter.].


Il faut connaître un préjugé avant de le combattre.


La primauté du cerveau semble si évidente et si naturelle qu'on la tenait pour acquise, sans se douter qu'elle reflétait un préjugé social profondément ancré, lié à la position des penseurs professionnels et de leurs protecteurs dans la communauté.

Et Engels conclut :

« On a attribué tout le mérite des progrès rapide de la civilisation à l'esprit, au développement de l'activité de cerveau [aujourd'hui à sa forme numérisée : l'AI]. Les hommes s'accoutumèrent à expliquer leurs actes par leurs pensées et non par leur besoins [nécessité utile]. Ainsi à mesure que le temps passait, une vision idéaliste du monde, en particulier depuis la disparition de l'ancien monde, s'est installé dans l'esprit des hommes. Elle s'exerce aujourd'hui encore à un degré tel que même les plus matérialistes des hommes de science, comme ceux de l'école de Darwin, sont incapables d'avoir une idée claire de l'origine de l'homme, parce que, soumis à cette idéologie, ils ne peuvent reconnaître le rôle joué par le travail. »


L'importance de l'essai d'Engels ne réside pas dans le fait que l'australopithèque a confirmé la théorie qu'il propose (via Haeckel)Note 1, mais plutôt dans l'analyse pénétrante du rôle de la science et des pressions sociales qui influences la pensée. »  (p225-228)

2.2 Remarque sur la Note 1 de l'Éditeur (1997) à la lumière de 2018

Note 1 : Depuis que S.J. Gould a écrit cet article, les recherches paléo-anthropologique effectuées en Afrique de l'Est ont incité les spécialistes à reconsidérer cette question. En particulier, il semblerait [donc pas sûre ?] que la station debut ait précédé la fabrication d'outils de plus d'un millions d'années chez les ancêtres de l'homme (cf. 'La Recherche', février 1983). Ceci contredit l'hypothèse d'Engels. (N.d.E.).

Dans les années 90, le tout-gêne pèse encore dans les médias et dans l'apprentissage scolaire. On fait du gène le centre de l'Être.  Cette vision fait aussi du gène un programme informatique qui encode les comportements et l'intelligence.

Cette vision a été mise à mal notamment par Richard Lewontin, Stephen Jay Gould, Jean-Jacques Kupiec en génétique dans le cadre de l'évolution, et aujourd'hui par l'épigénétique qui est de plus en plus reconnue par les chercheurs.

Cependant, les laboratoires (OGM, thérapigénie) restent encore en 2018 enfermés dans ce dogme du programmisme. 

À la fin des années 90, si les dogmes issus de la théorie de l'information s'effondrent en génétique, ce sont les neurosciences et le cognitivisme qui ont pris le relai.

En 1997, les neurosciences sont en plein boum générant parfois ce que les pseudo-sceptiques nomment les neuro-mythes. Les premières images du cerveau en fonctionnement ont été réalisées en 1992.

D'un point de vue de l'idée, le cerveau s'est vu être le centre de tout comme il a été fait avec le gène; ou alors, de la même manière on a fait du cerveau un disque dur d'ordinateur.

Ainsi comme au temps d'Engels, il a été enseigné la primauté du cerveau sur la main.

D'où la Note 1 de l'éditeur qui cherche à contredire Engels. Dans ce contexte dogmatique, l'éditeur à la lumière des interprétations des faits empiriques des années 90 sous-entend que la posture débout a une corrélation avec la taille du cerveau et donc avec l'intelligence. De ce fait le raisonnement selon la religion technoscientiste précède le maniement et donc l'action et la posture debout. Ainsi, elle « pense avec ses pieds ».

Mais, on sait depuis 1930 avec Henri Wallon qu' « on ne saurait distinguer l'intelligence de ses opérations » selon la formule d'Émile Jalley résumant Principes de Psychologie Appliquée (Henri Wallon - Œuvre 1, L'Harmattan, 2015). 

Cependant, les recherches transdisciplinaires actuelles réaffirment la conception dialectique d'Engels sur la transformation du cerveau par le travail même si les cybernéticiens, les neuro-cognitivistes et les pseudo-sceptiques la nient ou ont des difficultés à la reconnaître.

On parle aussi de la malléabilité du cerveau.