Jules Guesde

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Jules Bazile dit Jules Guesde, né à Paris le 11 novembre 1845 et mort à Saint-Mandé (Seine) le 28 juillet 1922, est un socialiste français.

1 Premiers pas dans le journalisme militant

Fils d’un professeur d’institution privée, Jules Bazile, après avoir suivi des études classiques et obtenu son bac en 1863, entre à la préfecture de Paris comme expéditionnaire-traducteur à la direction de la presse. Il collabore très tôt à des journaux républicains, se signalant par son audace contre le régime impérial, choisissant alors comme nom de plume le patronyme de sa mère, Eléonor Guesde.

Ces années sont celles d’une formation politique de plus en plus marquée à gauche. À un journaliste du Matin venu l'interviewer sur son itinéraire politique en 1893, il répond qu'il est devenu républicain sous l'Empire en lisant en cachette les « Châtiments » de Victor Hugo, athée en lisant la Critique de la raison pure de Kant et enfin socialiste « par la Commune ».

De fait, c'est de Toulouse puis Montpellier, et non à Paris, que le jeune Guesde critique l’entrée en guerre de la France en 1870. Il défend l’opinion républicaine dans « le Progrès libéral » de Toulouse en 1868, puis, l’année suivante, jusqu’en 1871, dans « la Liberté » de Montpellier puis dans « les Droits de l’Homme » où il est alors secrétaire de rédaction. Après le 4 septembre, il soutient la nouvelle République et surtout, à partir de mars 1871, l'insurrection de la Commune. Ses articles virulents lui valent diverses condamnations à l’emprisonnement qui le poussent, pour y échapper, à l'exil au mois de juin.

Réfugié en Suisse puis en Italie, à Milan, où il survit en donnant des leçons de littérature, il entre alors en contact avec des militants de l'Association internationale des travailleurs (Première Internationale), mouvement fondé entre autres par Karl Marx en 1864. D’abord hostile au philosophe, Guesde se rapproche peu à peu de ce dernier. Sans pour autant adopter toutes les idées de Marx, il en défend vigoureusement le concept de prise de pouvoir par le prolétariat.

2 Le chef du parti « collectiviste »

De retour en France en 1876, Guesde vise deux objectifs. D'abord reconstituer le mouvement ouvrier décapité par la répression de la Commune de Paris, et ensuite convaincre l’élite de la classe ouvrière française du bien-fondé des doctrines du socialisme scientifique.

À cette fin, il lance avec Paul Lafargue le journal L'Égalité (qui parait avec quelques interruptions de 1877 à 1883), qui diffuse en France des idées se voulant marxistes mais à l'évidence traversées par diverses influences françaises, de Blanqui à Rousseau. En effet, Engels rapporte sans négation que « Ce que l'on appelle « marxisme » en France est certes un article tout spécial, au point que Marx a dit à Lafargue : « Ce qu'il y a de certain, c'est que moi je ne suis pas marxiste  ». »[1]

Le groupe « collectiviste » dirigé par Guesde réussit à obtenir la majorité au congrès ouvrier de Marseille de 1879, prélude à la fondation en 1882 du Parti Ouvrier. Le PO est ensuite dénommé Parti ouvrier français en 1893 pour éviter les calomnies de la propagande nationaliste et revancharde. Le POF reste et restera jusqu'au bout dans la vision internationaliste.

Très vite, apparaissent des divergences entre les dirigeants concernant les conditions de la prise du pouvoir et les relations du parti avec la jeune République. Pour les « possibilistes » menés par Brousse et Allemane, il convient de faire, au plus tôt, les « réformes possibles » plutôt que d'attendre une révolution dont la réalisation, liée à une hypothétique grève générale, apparaît alors moins que probable.

À cette époque, Guesde incarne la ligne dure du militantisme ouvrier, opposée à tout compromis avec les « forces bourgeoises ». Tout au long de cette genèse de la Gauche française, il incarne un archétype, celui du militant pauvre, incorruptible, qui voyage sans répit pour faire connaître dans toute la France le socialisme révolutionnaire. Guesde, outre son activité inlassable – il publie beaucoup de livres, brochures, articles et anime au premier rang en dépit de sa santé incertaine les nombreux meetings socialistes – se révèle bon organisateur. Il structure rigoureusement son parti selon une logique pyramidale d’une grande efficacité, chaque niveau étant animé par des militants, souvent d’origine ouvrière, totalement dévoués, sinon soumis, à la célèbre « discipline guesdiste », qui étonne par sa rigidité partisans et adversaires. Par ailleurs, le Parti ouvrier est internationaliste, ses liens sont étroits avec les partis étrangers, notamment la social-démocratie allemande qui est à l'époque le principal parti socialiste dans le monde.

Les succès du Parti Ouvrier sont rapides. Comptant à peine 2000 membres en 1889, il gagne en audience – 20000 militants en 1902 – et conquiert ensuite plusieurs grandes municipalités, notamment Roubaix qui reste le sanctuaire du guesdisme – la « Rome du Socialisme » – jusqu’en 1914. Le PO atteint son point haut électoral aux législatives de 1893. Très populaire dans le Nord, bastion d’un POF soutenu par les ouvriers du textile et de l’industrie, profitant d'une influence moins forte et moins durable dans le « Midi rouge », Guesde entre à la chambre des députés une première fois en 1893 pour la circonscription de Roubaix en s’affirmant « collectiviste, internationaliste et révolutionnaire ». Battu en 1898 et 1902, il est réélu en 1906. Il conserve son siège jusqu'à sa mort en 1922.

3 L'unification des socialistes en France, l'entrée au gouvernement

3.1 Les deux méthodes

Sous l’impulsion de Guesde, le PO est un des fondateurs en France des journées du 1er_Mai, dites « fêtes du travail », à partir de 1889 qui vise à obtenir pour les ouvriers des avantages précis et immédiats, comme la réduction de la journée de travail. La loi de 1892 limite à 11 heures par jour le temps de travail des femmes et des enfants de 16 à 18 ans. Il faut attendre 1919 pour voir votée la journée de 8 heures.

En 1899, il s'oppose à Jean Jaurès quant à la participation d’Alexandre Millerand au ministère « bourgeois » de Waldeck-Rousseau. Lors d'une conférence contradictoire avec Jaurès, le 26 novembre 1900, il lui répond sur « la vérité, au point de vue historique de leurs divergences », qui sera rapporté sous le titre Les deux méthodes.[2]

En 1902, son parti fusionne avec le Parti socialiste révolutionnaire d'Edouard Vaillant (blanquiste) pour former le Parti socialiste de France. La revendication de Guesde, que cette unité se fasse sur la base de la condamnation de toute tactique « participationniste », est adoptée puis confortée en 1904, lors du Congrès socialiste international d'Amsterdam. Le débat fait rage entre Jaurès et ses adversaires. August Bebel, qui est favorable à Guesde déplore que « les fatales querelles (…) dont la démocratie socialiste française souffre tant, persistent encore ». L’orateur cite alors les paroles de Jaurès six ans plus tôt et qu’il reprend à son compte :

« Le socialisme ne peut accepter une parcelle du pouvoir, il faut qu'il attende le pouvoir tout entier. Nous pouvons collaborer à des réformes partielles et nous y collaborons en effet; mais un parti qui se propose la réforme totale de la société, la substitution d'un principe de propriété et de vie à un autre principe ne peut accepter que l'intégralité du pouvoir. S'il en a seulement une part, il n'a rien : car cette influence partielle est neutralisée par les principes dominants de la société présente. Les grands intérêts ennemis prennent peur sans qu'on puisse les frapper : l'idéal nouveau n'est point réalisé, mais compromis, et il y a une crise capitaliste dont le socialisme ne sort pas. »

3.2 Les problèmes bourgeois aux bourgeois

Guesde a campé jusqu'en 1914 sur son positionnement de non-conciliation avec la bourgeoisie.

Au moment de l’affaire Dreyfus, s'il croit le capitaine Dreyfus innocent et s'affirme publiquement dreyfusard, il refuse de s'associer activement aux campagnes dreyfusardes. Il indique en novembre 1900 : « Voilà comment j'ai été dreyfusard, c'est-à-dire dans la limite de la lutte contre le militarisme débordé, allant jusqu'à menacer, sous le couvert d'un gouvernement complice, d'un véritable coup d'État. ».

Il ajoute ensuite qu'il « ne s'agissait pas surtout d'imposer au prolétariat le salut d'un homme à opérer, lorsque le prolétariat a sa classe à sauver, a l'humanité entière à sauver ! ». Il conclut qu'il « y a une victime particulière qui a droit à une campagne spéciale et à une délivrance isolée ; cette victime-là, c'est un des membres de la classe dirigeante, c'est un capitaine d'état-major — c'est l'homme qui, en pleine jeunesse, fort d'une richesse produit du vol opéré sur les ouvriers exploités par sa famille et libre de devenir un homme utile, libre de faire servir la science qu'il doit à ses millions au bénéfice de l'humanité, a choisi ce qu'il appelle la carrière militaire ».[2]

L'affaire va briser le rapport de confiance entre Jules Guesde et Paul Lafargue, ce dernier voulant effectivement s'impliquer : « Le Parti ouvrier, qui est un parti politique, ne peut se désintéresser des questions politiques qui agitent le pays… »[3].

La même distance sera marquée en 1892-1893 lorsque éclatera l'affaire de Panama.

3.3 La SFIO

Cependant, en dépit de ces succès partisans, le courant réformiste de Jean Jaurès, « socialiste indépendant », gagne inexorablement du terrain en France. En 1905, le Parti socialiste de France et le Parti socialiste français fusionnent pour fonder la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO).

La fusion du POF dans la SFIO était liée au refus, validé par la nouvelle organisation, du « participationnisme ». Pourtant, en dépit de ce succès tactique, le déclin du courant représenté par Guesde devient rapidement une évidence. Si les « guesdistes » apportent à la SFIO leur capacité militante, leurs publications et leur appareil doctrinal, ils connaissent un déclin inexorable sans doute accentué par l'état de santé de Guesde, de plus en plus précaire, qui l'empêche de jouer un rôle décisif.

Son courant est isolé - les amis d'Edouard Vaillant ne le soutiennent plus - notamment sur les questions internationales mais plus encore sur la direction des syndicats. L'adoption en 1906 de la Charte d'Amiens, qui défend le principe de l'indépendance vis-à-vis des organisations politiques, fruit de la mise en minorité des guesdistes au congrès, à la fois par les révolutionnaires et les réformistes, consacre la rupture définitive de la CGT avec la Fédération syndicale internationale.

Quelques coups d'éclats sont encore toutefois à l'initiative de Guesde. Ainsi en mars 1910, en accord ponctuel avec la CGT, il est le seul député SFIO à voter contre la loi des retraites ouvrières et paysannes, qualifiée par lui, à cause du prélèvement opéré sur les salaires pour les financer, de « vol législatif » ajouté « au vol patronal ». Il dénonce « cet article 2 qui, en instituant un prélèvement sur les salaires ouvriers, aggrave la misère ouvrière, rend plus pénible aux travailleurs le poids du jour et réduit les ressources familiales déjà insuffisantes. », comme l'avait fait Paul Lafargue au congrès de la SFIO de 1910[4].

Par ailleurs, Guesde est opposé à la franc-maçonnerie, qu'il considère comme « alliée à la bourgeoisie » et « nuisible de la classe ouvrière », comme il le rappela lors du Congrès socialiste de Limoges en 1906. Pour autant, de nombreux francs-maçons étaient adhérents du POF au point d'apparaître constituer un courant au sein du mouvement.

3.4 La guerre pour la Révolution

Trois jours après la mort de Jaurès, il se rallie à « l’Union Sacrée » de tous les partis dans la guerre de 1914. Selon lui, il agit en accord avec le manifeste du POF de 1893[5], où il affirmait son combat pour la paix, mais pas à n'importe quel prix[6]: « l'internationaliste n'est ni l'abaissement ni le sacrifice de la patrie », et « La France n'aura pas de plus ardents défenseurs que les socialistes du mouvement ouvrier. ». Pourtant ce type d'argument de « défense de la patrie », qui pouvait être défendu y compris par Marx et Engels, ne valait pas dans le cas d'un conflit entre impérialistes comme la Première guerre mondiale...

Lors du Congrès de Stuttgart (1907) de la 2e internationale, Guesde disait s'opposer à une guerre entre puissance européenne (dont tout le monde voyait le risque), comme l'ensemble des socialistes. Mais alors que les délégués français étaient en faveur d'appels à la grève générale pour s'y opposer, Guesde était parmi les seuls à s'y opposer, avec une argumentation d'apparence orthodoxe : il avançait que la grève générale serait plus efficace dans les pays les plus développés où le mouvement ouvrier était plus organisé, et que donc elle affaiblirait plus ces pays par rapport aux pays plus arriérés...

Guesde devient ministre d'État de 1914 à 1916 (cabinets Viviani et Briand). Il adopte des positions patriotiques comme le firent les Jacobins à leur époque : « Je n'ai pas la même crainte de l'avenir. La guerre est mère de révolution »[7] (1914).

Jules Guesde pensait en effet que la guerre accoucherait d'une révolution sociale en France comme sous la Révolution française et serait ainsi le point le départ d'une révolution internationale ; « Pour cette renaissance sociale, il faut vaincre, si lente qu'elle puisse être à venir et quelque sang qu'elle doive couler »[7] (novembre 1915). À ce prix, il y eut effectivement des révolutions, notamment en Russie (Révolutions de février et d'octobre 1917) et en Allemagne (Révolution Spartakiste en 1919).

Guesde et Sembat vont également s'opposer en conseils des ministres à l'arrestation des « défaitistes » que demandent les autorités civiles ou militaires[7].

3.5 La vieille maison

Après l'armistice, le Congrès de Tours le voit choisir la « vieille maison » SFIO à la suite de Léon Blum et Jean Longuet, contre la majorité qui crée la Section française de l'Internationale communiste. Pourtant, ses dernières réflexions politiques s'adressent à la révolution bolchevique alors encore incertaine en Russie, même s'il est en désaccord avec la révolution d'octobre contrairement à celle de février. Il dira : « Veillez sur la révolution russe. »

Malade, Guesde meurt à Saint-Mandé le 28 juillet 1922. Ses cendres reposent au cimetière du Père-Lachaise, (case 6323 du columbarium).

Plusieurs rues Jules-Guesde dans différentes villes de France lui sont dédiées.

4 Guesde et le marxisme

Enfin, sur le plan théorique, quoique « marxiste », le mouvement guesdiste n'a jamais défini sa politique sur une base théorique ou philosophique, mais sur des critères concrets.

« Le collectivisme ne se distingue pas du communisme scientifique, tel qui est sorti de la critique maîtresse de Karl Marx. Si cette appellation a prévalu en France, c’est que, pour les besoins de notre propagande, il y avait lieu de nous distinguer des divers systèmes communistes qui, forgés de toutes pièces par des hommes de plus ou moins de bonne volonté ou de génie, versaient tous dans l’utopie. »[8]

Les discours de Guesde, comme la plupart de ses articles, restent très peu influencés par les théories de Marx, sinon dans quelques mots d'ordre qui paraissent relever de slogans plutôt que d'une réflexion profonde. Jules Guesde se veut pédagogue d'abord pour la masse prolétarienne, puis depuis la chambre des députés pour l'opposition et le peuple en général.

Des intellectuels socialistes de premier plan, dont Lucien Herr ou Charles Andler, ont pu être rebutés par des simplifications incapables d'aboutir à des apports théoriques majeurs, hors cette espérance quasi messianique, entretenue et incarnée par le chef du POF, de la sortie prochaine des prolétaires du « bagne capitaliste ».

N. McInnes déclare que Guesde n'avait pas compris le marxisme, et que sa « mixture » avec le blanquisme « favorisait l'incompréhension » du marxisme. Il note d'ailleurs que « Guesde ne s'est jamais fait passer pour un théoricien marxiste »[9].

5 Famille

Sa fille Louise Bazile sera la mère de Lilian Louise Hélène Volpert, artiste (1902-1982), qui épousera le riche industriel Charles Schneider (1898-1960).

Jean-Marie Benoist (1942-1990), écrivain, philosophe et universitaire, figure également au nombre de ses descendants.

6 Ecrits de Jules Guesdes

7 Bibliographie

7.1 Biographies

  • I. D. Belkanine Jules Guesde et la lutte pour un parti ouvrier en France, Moscou, 1952
  • Andrée Collot, Jules Guesde, éducateur et organisateur du prolétariat, éd inclinaisons, 2010
  • Compère-Morel, Jules Guesde : le socialisme fait homme, 1845-1922, Librairie Aristide Quillet, Paris, 1937, VIII-505 p., (Notice Bnf n° FRBNF37362018n).
  • Claude Willard, Jules Guesde, l'apôtre et la Loi, Les Éditions ouvrières - La part des hommes, 1991
  • Zévaès, Jules Guesde, 1929

Autres Sources

  • Encyclopédie Universalis, édition de 1977. Notices biographiques.
  • La Commune de 1871, Éditions Sociales, 1970.
  • Claude Willard, Jules Guesde - Textes Choisis (1867-1882), éd Sociales, coll Les classiques du peuple, p. 7 à 38, 1959.
  • Léo Figuères, Quelques aspects et quelques enseignements de l'activité de Jules Guesde et du Guesdisme, Cahiers du Communisme, octobre et novembre 1955
  • Bracke, La formation de Jules Guesde, Revue Socialiste, 1948, t. I, p. 371-377

7.2 Liens externes

8 Notes

  1. Friedrich Engels, Lettre à E. Bernstein, 2 novembre 1882
  2. 2,0 et 2,1 Guesde-Jaurès, Les deux méthodes, 1900
  3. in Jacques Macé, Paul et Laura Lafargue. Du droit à la paresse au droit de choisir sa mort., éd. L'Harmattan, 220 p., p. 152-3, 2001.
  4. Paul Lafargue Intervention contre la loi des retraites
  5. Jules Guesde et Paul Lafargue, Socialisme et patriotisme, 23 janvier 1893.
  6. E.Melmoux, T. Mitzinmacker, 100 personnages qui ont fait l'histoire de Franceéd Bréal, p. 189 (lire en ligne).
  7. 7,0 7,1 et 7,2 Claude Willard, Jules Guesde, l'apôtre et la loi, Les éditions ouvrières, coll. la part des hommes, 1991, p. 103-113.
  8. Jules Guesde, Le collectivisme, 7 mars 1894
  9. N. McInnes, Les débuts du marxisme théorique en France et en Italie (1880-1897), Études de Marxologie n°3, juin 1960.