Iossif Solomonovitch Bleikhman

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Iosif Solomonovich Bleikhman (1868-1921) était un anarchiste russe, dirigeant de la Fédération anarcho-communiste de Petrograd.

1 Éléments de biographie politique

Émigrant aux Etats-Unis, il devient anarchiste en 1904. Revenant en Russie, il est arrêté par le régime tsariste et envoyé en Sibérie.

Libéré par la révolution de février 1917, devenu un des principaux membres de la fédération anarchiste de Petrograd, il est très populaire parmi les ouvriers de Petrograd et les marins de Kronstadt : « [...] et Bleikhman, qui dénonce avec mépris cette « assemblée de bavards » et prône inlassablement l’insurrection prochaine par l’action directe, fait son apparition. » (JJ Marie, page 39)

Car, « ... les léninistes ne se trouvaient pas à l’extrême gauche des mouvements à cette époque. On voyait s’agiter parmi les masses ouvrières, et non sans un certain succès, les anarchistes et leur variété spécifiquement russe : les maximalistes. Ces éléments mal organisés, sans mot d’ordre original, sans journal, ne jouissaient pas d’une grande popularité mais ils manifestaient leur existence dans les bas-fonds de Saint-Pétersbourg et parmi les marins de la Baltique. Ils avaient même des représentants au Soviet. Presque à chaque séance, un certain Bleichman prenait la parole au nom des communistes-anarchistes, et sa démagogie naïve était accueillie avec une sympathie à demi ironique par une partie de l’auditoire. » (Soukhanov, page 192)

Il fait des discours et écrit beaucoup d’articles dans les pages de Kommuna et de Burevestnik (Pétrel orageux), publications anarchistes.

Elu au Soviet de Petrograd en juillet, ses activités lui valent d’être traqué par le gouvernement de Kerenski. Le mécontentement grandissant qui va s’exprimer lors des « journées de juillet » va alors mettre en évidence deux manières d’envisager le rapport de forces : la façon bolchevique et celle anarchiste. Trotsky raconte par exemple :

« Le 3 juillet, dès le matin, plusieurs milliers de mitrailleurs [...] élirent un président des leurs et exigèrent que l’on discutât immédiatement d’une manifestation armée. [...] A la réunion surgit l’anarchiste Bleikhman, petit personnage, mais haut en couleur sur le fond de 1917. Possédant un très modeste bagage d’idées, mais un flair certain devant la masse, sincère en son esprit borné, mais toujours enflammé, la blouse déboutonnée sur la poitrine, la chevelure bouclée et hirsute, Bleikhman rencontrait dans les meetings un bon nombre de sympathies à demi ironiques. Les ouvriers le considéraient, à vrai dire, avec réserve, avec une certaine impatience - surtout les métallurgistes. Mais les soldats souriaient gaiement à ses discours, échangeant entre eux des coups de coude et émoustillant l’orateur par des mots épicés : ils étaient évidemment prédisposés en sa faveur par son apparence excentrique, par son ton résolu d’homme qui raisonne peu, par son accent judéo-américain, mordant comme du vinaigre. A la fin de juin, Bleikhman nageait dans toutes sortes de meeting improvisés comme un poisson dans l’eau. Il avait toujours la même décision sur lui : sortir, les armes à la main. L’organisation ? « C’est la rue qui nous organisera. » La tâche ? « Renverser le gouvernement provisoire comme on a renversé le tsar », bien qu’alors pas un seul parti n’ait fait appel dans ce sens. Des harangues de ce genre correspondaient au mieux, pour le moment, aux dispositions des mitrailleurs et pas seulement de ces derniers. Nombreux étaient les bolcheviks qui ne cachaient pas leur satisfaction de voir la base passer outre à leurs remontrances officielles. Les ouvriers d’avant-garde se rappelaient qu’en février les dirigeants s’étaient préparés à donner le signal de la retraite juste la veille de la victoire ; qu’en mars, la journée de huit heures avait été conquise sur l’initiative de la base ; qu’en avril, Milioukov avait été renversé par des régiments spontanément sortis dans la rue. »[1]

On peut confronter cette version avec une plus courte écrite dans son autobiographie :

« J’étais en séance, au Palais de Tauride, le 3 juillet, lorsque j’appris la manifestation du régiment des mitrailleurs et lancé par lui aux autres troupes et aux usines. Cette nouvelle était pour moi inattendue. La démonstration était spontanée, elle venait de la base, sur une initiative anonyme. Le lendemain, elle prit plus d’ampleur, et notre parti y était déjà. Le Palais de Tauride fut envahi par le peuple. Il n’y avait qu’un mot d’ordre : « Le pouvoir aux soviets ! » Devant le palais, un petit groupe d’individus suspects qui se tenait à l’écart de la foule arrêta le ministre de l’agriculture, Tchernov, et l’obligea à monter dans une automobile. [...] Je résolus de prendre place dans l’automobile où était Tchernov, de tenter de le sortir ainsi de la foule, pour lui rendre ensuite la liberté ... »[2]

Et, pour terminer, une version plus théorique où Trotsky compare le « janvier 1919 » en Allemagne avec le « juillet » russe, et précise le rôle vital du parti :

« La semaine spartakiste, en janvier 1919, à Berlin, appartient au type des demi-révolutions intermédiaires à l’instar des Journées de Juillet à Petrograd. Par suite de la situation prédominante du prolétariat dans la composition de la nation allemande, principalement dans son économie, l’insurrection de novembre livra automatiquement à un Conseil d’ouvriers et de soldats la souveraineté d’Etat. [...] Chaque journée, après le 9 novembre, éveillait chez les ouvriers allemands la vive sensation de quelque chose s’échappant de leurs mains, se dérobant, fuyant entre leurs doigts. L’effort pour garder les positions conquises, s’y fortifier, opposer de la résistance, s’accroissait de jour en jour. Cette tendance à la défensive était à la base des combats de janvier 1919. La semaine spartakiste commença non point d’après un calcul stratégique du parti, mais sous la pression de la base révoltée. [...] Les deux organisations qui participaient à la direction, les spartakistes et les indépendants de gauche, furent prises à l’improviste, allèrent plus loin qu’elles ne voulaient et, cependant, n’allèrent pas jusqu’au bout. [...] La défaite de janvier, quand au nombre des victimes, est loin d’atteindre les chiffres formidables des « Journées de Juillet » en France. Cependant, la signification politique d’une défaite ne se mesure pas seulement par la statistique des hommes tués et fusillés. Il suffit de voir que le jeune parti communiste se trouva physiquement décapité, et que le parti indépendant se montra, par la nature même de ses méthodes, incapable de mener le prolétariat à la victoire. [...] Bien que le gros des forces bolchevistes russes sentit en juillet 1917 qu’il était encore impossible d’aller au-delà d’un certain point, l’état des esprits n’était cependant pas homogène. Bien des ouvriers et des soldats étaient enclins à apprécier les actes en cours de développement comme un dénouement décisif. Si le parti bolchevik, s’entêtant à juger en doctrinaire le mouvement de Juillet « inopportun », avait tourné le dos aux masses, la demi-insurrection serait inévitablement tombée sous la direction dispersée et non concertée des anarchistes, des aventuriers, d’interprètes occasionnels de l’indignation des masses, et aurait épanché tout son sang dans de stériles convulsions. Mais aussi, par contre, si le parti, s’étant placé à la tête des mitrailleurs et des ouvriers de Poutilov, avait renoncé à son jugement sur la situation dans l’ensemble et avait glissé dans la voie des combats décisifs, l’insurrection aurait indubitablement pris une audacieuse ampleur, les ouvriers et les soldats, sous la direction des bolcheviks, se seraient emparés du pouvoir, toutefois et seulement pour préparer l’effondrement de la révolution. [...] La province n’eut pas suivi de près la capitale. Le front n’eût pas compris et n’aurait pas accepté le changement de régime. [...] Petrograd eût été bloqué. Dans ses murs aurait commencé une désagrégation. [...] En juillet, à la bifurcation des voies historiques, c’est simplement l’intervention du parti des bolcheviks qui élimina les deux variantes d’un danger fatal : soit dans le genre des Journées de Juin 1848, soit dans le genre de la Commune de Paris de 1871. [...] Le coup porté en juillet aux masses et au parti fut très grave. Mais ce n’était pas un coup décisif. On compta les victimes par dizaines, mais non point par dizaines de milliers. La classe ouvrière sortit de l’épreuve non décapitée et non exsangue. [...] L’importance d’une avant-garde aux rangs serrés apparaît pour la première fois dans toute sa force aux cours des Journées de Juillet, lorsque le parti - le payant cher - préserve le prolétariat d’un écrasement, assure l’avenir de la révolution et le sien propre. »[3]

Bleikhman sera élu au présidium lors de la première conférence de l’Armée rouge, en mars 1918.

Mais la répression qui s’abat sur les anarchistes en avril. Dans la nuit du 12 au 13 avril, les vingt-six maisons de Moscou occupées par la Garde noire et des groupes anarchistes sont assaillies par des troupes de la Tcheka. Il y a officiellement 30 tués et un nombre inconnu de blessés chez les anarchistes ainsi que 600 militants arrêtés dont la plupart vont être rapidement relâchés « devant l’émotion provoquée dans tout le pays ». Les jours suivants, des interventions similaires ont lieu à Petrograd, Smolensk...

Bleikhman sera envoyé en camp de travail. De santé fragile en raison de son précédent passage dans les geôles du tsar, il meurt en 1921.

2 Bibliographie

— MARIE Jean-Jacques, Cronstadt, Fayard, 2005 ; cf. page 39 ;

— SERGE Victor, Mémoires d’un révolutionnaire, Points Seuil, 1978 ; cf. page 83 sur les Gardes noires anarchistes ;

— SKIRDA Alexandre, Les anarchistes russes, Les Editions de Paris-Max Chaleil, 2000 ; voir pages 65/ 105 et notamment sur Bleikhman les pages 24-25 et 68-69 ;

— SOUKHANOV Nicolas N., La Révolution russe, Editions Stock, 1965 ; cf. 192 et 252-253 sur la « villa Dournovo, le nid mystérieux des anarchistes » ;

— TROTSKY Léon, Histoire de la Révolution russe, Seuil, 1995 ;[cf. pages 23-73 ;

3 Notes

http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=823#nh6