Intervention alliée pendant la guerre civile russe

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Le nom d'intervention alliée pendant la guerre civile russe est donné à une expédition multi-nationale menée en 1918 sur la fin et à la suite de la Première Guerre mondiale et de la défaite des empires centraux qui a pour but de porter un soutien aux Russes blancs.

1 Contexte

1.1 Traité de Brest-Litovsk

Les alliés ont en effet été écœurés par le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 signé par les Rouges, qui a permis au Kaiser de transférer ses divisions d'Est en Ouest et ainsi de renforcer la combativité de ses troupes sur le front occidental, faisant de Lénine, pour beaucoup de dirigeants occidentaux, un agent des « Boches ». L'intervention est alors conçue au départ comme un prolongement de la lutte contre l'Allemagne.

Du côté des Alliés, on considère non seulement que la Russie a trahi son camp, mais aussi qu'elle est dans un tel chaos que le moment est propice pour la dépecer. Ainsi le 23 décembre 1917, lendemain du début de la Conférence de Brest Litovsk, des représentants de la France et de la Grande-Bretagne se réunissent à Paris et con­cluent un accord secret pour le démembrement de la Russie :

  • l’Angleterre se réserve les provinces baltes et le Caucase (surtout son pétrole)
  • la France choisit l’Ukraine de la Biélorussie à la Bessarabie et au Donetz (fer, charbon, bassin sidérurgique...) ainsi que les rives de la Mer Noire dont Odessa et la Crimée.

1.2 La peur de la contagion révolutionnaire

Puis rapidement, l'intervention impérialiste devient motivée par le désir de tuer dans l'oeuf ce nouveau régime révolutionnaire et du risque de contagion qu'il représente, surtout pour l'Europe et plus particulièrement pour l'Allemagne, alors secouée par des troubles internes.

Comme le déclara Winston Churchill, « plutôt les Huns que le bolchévisme » (ce qui montre comment il voyait les Blancs) ou encore : « le bolchevisme doit être étranglé dans son berceau ». Cependant, son premier ministre Lloyd George expose le 22 juillet 1918 que « le type de gouvernement mis en place par les Russes ne regarde pas la Grande-Bretagne : république, État bolchevik ou monarchie ». Le président américain Woodrow Wilson pense de même, et refuse de s'engager trop loin dans l'intervention.

2 Historique des opérations

2.1 Avril-Novembre 1918 : Premières interventions

À partir d'avril 1918, les Alliés - Français et Britanniques - interviennent dans le nord et dans le sud du pays, mais d'abord pour contrer l'occupation allemande. Les bolcheviks ne sont pas initialement hostiles à leur arrivée - Trotski conseille même au soviet de Mourmansk d'accepter leur aide contre toute menace allemande, et laisse d'abord dans l'imprécision l'ennemi que la toute récente Armée rouge aura à affronter : Allemands ou Alliés ?

La menace impérialiste principale vient encore à ce moment-là du camp d'en face. L'Ukraine reste occupée par les troupes allemandes, qui renversent le gouvernement et privent la Russie d'approvisionnement en blé. Les troupes autrichiennes occupent Odessa. Les Allemands fournissent des armes à la division cosaque du général blanc Krasnov. Par ailleurs les Japonais débarquent à Vladivostok et les Turcs pénètrent dans le Caucase.

À partir de l'été 1918, Anglais, Français, Américains, Grecs, Polonais et Roumains interviennent. Ce n'est qu'après leur victoire de novembre 1918 (armistice de Rethondes) que les Alliés prennent ouvertement position contre les Rouges et aux côtés des Blancs.

Les Alliés envoyaient aussi des espions en Russie pour comploter, et les bolchéviks n'hésitaient pas à dénoncer dans leur contre propagande des complots encore plus impressionnants, comme par exemple avec l'affaire de l'espion anglais Bruce Lockhart[1].

2.2 Novembre 1918 : Les Alliés soutiennent les armées blanches

Les opérations impliquèrent les forces de 14 nations en vue de soutenir les Armées blanches dans leur lutte contre les bolchéviques. Toutefois, les efforts des Alliés seront marqués par la lassitude de leurs troupes, le manque de coordination et de soutien de l'opinion publique dans les pays occidentaux.

Anglais et Français arment le général tsariste Denikine. Dans les dernières semaines de 1918, Clemenceau décide d'une importante intervention en mer Noire pour soutenir les armées blanches dans le sud[2]. Mais les moyens engagés fondent avec la démobilisation de l'armée française, et les troupes ne comprennent pas cette guerre lointaine, qui soulève l'hostilité de la population locale. Les Blancs fortement aidés par les Français prennent brièvement Odessa et répriment durement les Rouges, dont l'institutrice française Jeanne Labourbe.[3] Au printemps 1919, l'échec de l'expédition est consommé alors que la flotte française est secouée par une importante mutinerie.

Le 4 février 1919, le gouvernement bolchévique fait par radio, à tous les gouvernements capitalistes, les propositions suivantes s'ils cessent leur intervention militaire :[4]

  1. Reconnaissance des dettes contractées par les précédents gouvernements de la Russie.
  2. Engagement de nos matières premières comme garantie du paiement des emprunts et des intérêts.
  3. Concessions à leur goût.
  4. Cession de territoire sous forme d´occupation militaire de certains districts par les forces armées de l´Entente ou de ses agents russes.

A ce moment-là les impérialistes estiment pouvoir vaincre totalement et n'acceptent pas.

Début 1919, le président Wilson avait proposé de réunir en Turquie, à Prinkipo (où Trotski sera exilé en 1929), les représentants des gouvernements « de fait » de la Russie et les divers prétendants ; seuls, les bolcheviks avaient accepté la proposition qui, devant l'opposition sournoise de Lloyd George et de Clemenceau, dut être abandonnée.

Les Britanniques emploient des armes chimiques développés pendant la guerre contre l'Allemagne et l'empire Ottoman, 50 000 « M Devices », des bombes contenant de l'adamsite, sont envoyées en Russie. L'aviation britannique les utilise le 27 août 1919 sur le village de Iemtsa dans la région de Arkhangelsk. L'effet de surprise et les morts spectaculaires (vomissements de sang) font fuir l'ennemi. Il y a d'autres bombardements de villages sous contrôle bolchevique. Les bombardements visent d'autres localités sous contrôle rouge tels que Tchounova, Vikhtova, Pocha, Tchorga, Tavoïgor et Zapolki.[5]

2.3 Reflux de l'intervention

En mars 1920, les Alliés se retirent de la plupart des fronts de Russie.

Deux fronts furent principalement ouverts par les Alliés : celui de Sibérie (août 1918-juillet 1920) et celui de Russie septentrionale (juin 1918-mars 1920).

La Royal Navy, dans le cadre de la guerre d'indépendance de l'Estonie, mena par ailleurs une brève campagne contre la Flotte de la Baltique (basée à Kronstadt) dans la Baltique sans parvenir à assurer le contrôle de Petrograd par les Russes anti-bolchéviques, qui était l'un des principaux objectifs de cette campagne[6]. Des attaques risquées sont conduites par les vedettes lance-torpilles côtières (HM Coastal Motor Boat 4) basées à Koivisto Sound, en Finlande, à 50 km, soutenu par des raids de bombardement de la Royal Air Force, contre les navires amarrés dans le port intérieur de Petrograd après avoir passé l'écran de destroyers de la défense bolchevique. Les champs de mines bolcheviques provoquent la majorité des pertes britanniques.

Entre février et mars 1920, lors de l'« incident de Nikolaïevsk », plusieurs centaines d'expatriés et de militaires japonais et la plupart des habitants russes de la ville de Nikolaïevsk-sur-l'Amour dans l'Extrême-Orient russe[7] sont massacrés par une troupe dirigée par Yakov Triapitsyn, qui sera exécuté ensuite.

L'Empire du Japon continua de soutenir les Russes blancs jusqu'en octobre 1922, date du retrait de l'Armée impériale japonaise.

3 Forces alliées déployées en Russie

  • Tchécoslovaquie : 50000 hommes (le long du Transsibérien[8])
  • Royaume-Uni : 40000 hommes (dans les régions d'Arkhangelsk et de Vladivostok[9])
  • Japon : 28000 hommes puis 70000 (dans la région de Vladivostok[9],[10])
  • Grèce : 23351 hommes (partie du 1er corps d'armée, composée des 1re, 2e et 13e divisions, commandée par le général Konstantinos Nider, en Crimée, à Odessa et Kherson)[11]
  • Pologne : 12000 hommes (en Sibérie et à Mourmansk)
  • États-Unis : 13000 hommes (dans les régions d'Arkhangelsk et de Vladivostok)
  • France : 12000 hommes (dans les régions d'Arkhangelsk, d'Odessa, de Sébastopol et en Sibérie)
  • Estonie : 11500 hommes (dans le nord de la Russie[12])
  • Canada : 5300 hommes (dans les régions d'Arkhangelsk, Mourmansk et Vladivostok)
  • Serbie : 4000 hommes (dans la région d'Arkhangelsk)
  • Roumanie : 4000 hommes (dans la région d'Arkhangelsk)
  • Italie : 2500 hommes (dans la région d'Arkhangelsk et en Sibérie[9])
  • Chine : 2300 hommes (dans la région de Vladivostok[13])
  • Australie : 150 hommes (dans la région d'Arkhangelsk)

4 Sentiment national et internationalisme

D'après de nombreux témoignages, le sentiment national était très présent parmi la base de l'Armée rouge, paradoxalement plus que parmi les nationalistes des Armées blanches qui elles avaient peu de soutien populaire et étaient au contraire soutenues par l'étranger.

Néanmoins, les dirigeants bolchéviks s'efforçaient pendant la guerre civile de faire vivre l'internationalisme prolétarien. Ainsi par exemple, l'Ordre du jour à l'armée et à la flotte du 24 octobre 1919 (n°159) proclamait :

«Combattants rouges !

«Sur tous les fronts, vous vous heurtez aux intrigues hostiles de l'Angleterre. Les armées de la contre-révolution tirent sur vous avec des canons anglais. Dans les dépôts de Schenkursk et de l'Onéga, sur les fronts du sud et de l'ouest, vous découvrez des munitions qui proviennent d'Angleterre. Les prisonniers que vous faites portent des uniformes anglais. Des femmes et des enfants, à Arkhangel et à Astrakhan, sont massacrés ou mutilés par des aviateurs anglais avec de la dynamite anglaise. Des vaisseaux anglais bombardent nos côtes...

«Mais même actuellement, alors que nous combattons avec acharnement le mercenaire de l'Angleterre, Ioudénitch, j'exige de vous que vous n'oubliiez jamais qu'il existe deux Angleterres. A côté de l'Angleterre des profits, de la violence, de la corruption, des atrocités, il existe une Angleterre du travail, pleine de puissance spirituelle, dévouée aux grands idéaux de la solidarité internationale. Nous avons contre nous l'Angleterre des boursiers, vile et sans honneur. L'Angleterre laborieuse, le peuple, est pour nous.»

5 Notes et références

  1. https://en.wikipedia.org/wiki/R._H._Bruce_Lockhart
  2. Martine Acerra, Jean Meyer, Histoire de la marine française, éditions Ouest-France, 1994, p.331 à 338.
  3. Mediapart,Octobre 17. Jeanne Labourbe, l’institutrice française tuée à Odessa, 2017
  4. Trotski, La nouvelle politique économique des Soviets et la révolution mondiale, 14 novembre 1922
  5. Giles Milton, « Winston Churchill's shocking use of chemical weapons », The Guardian,‎ 1er septembre 2013 (ISSN 0261-3077)
  6. Robert Jackson, Battle of the Baltic. Barnsley: Pen & Sword Maritime, 2007. (ISBN 978-1-84415-422-7)
  7. The destruction of Nikolayevks-on-Amur: An episode in the Russian civil war in the Far East, book review in the Cambridge University Press.
  8. Robert L. Willett, Russian Sideshow: America's Undeclared War, 1918–1920. Washington D.C: Brassey's, p.23. ISBN 1-57488-429-8.
  9. 9,0 9,1 et 9,2 A History of Russia, 7th Edition, Nichlas V. Riasanovsky & Mark D. Steinberg, Oxford University Press, 2005
  10. Guarding the Railroad, Taming the Cossacks The U.S. Army in Russia, 1918 - 1920, consulté le 2 mai 2012
  11. Commandant Ioannis Gemenetzis, « Expédition en Russie méridionale, 1919 » [« Εκστρατεία στη Μεσημβρινή Ρωσία 1919 »], Revue de l'Armée, État-major général,‎ , p. 122–137 (lire en ligne)
  12. Jaan Maide, Ülevaade Eesti vabadussõjast. Estonian Defence League, Tallinn, 1933
  13. Joana Breidenbach, Pál Nyíri, Joana Breidenbach. ed. China inside out: contemporary Chinese nationalism and transnationalism, Central European University Press. p. 90. (ISBN 963-7326-14-6).

6 Bibliographie

  • Jean-David Avenel, Interventions alliées pendant la guerre civile russe (1918-1920), Économica, 2010, 230 pages.