Guerre soviéto-polonaise

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Affiche soviétique : « Voilà comment mettre fin aux idées des maîtres. Longue vie à la Pologne soviétique ! ».

La guerre soviéto-polonaise, ou guerre russo-polonaise (février 1919 - mars 1921) est l'une des conséquences de la Première Guerre mondiale. Les frontières entre les deux États naissants, la Russie soviétique et la Deuxième République de Pologne n'avaient pas été clairement définies par le traité de Versailles. L'espoir que la révolution d'Octobre 1917 avait suscité parmi les ouvriers, les paysans et les soldats du monde entier avait entraîné une vague de soulèvements et de grèves dans de nombreux pays. Elle s'était traduite en particulier en Europe Centrale par une victoire temporaire de la révolution en 1919 en Hongrie et, dans les autres États, par une agitation populaire croissante, comme en Pologne depuis la reconstitution de l'État polonais fin 1918.

1 Prélude

1.1 Une ancienne puissance humiliée

Aux 16e-17e siècles, la République des deux nations (Pologne-Lithuanie), en réalité monarchie constitutionnelle dominée par la Pologne, s'étendait sur un vaste territoire englobant une grande partie des actuelles Biélorussie et Ukraine. Au 18e siècle, elle a subi plusieurs partages entre les puissantes montantes voisines. Au début du 19e siècle, la Pologne était partagée entre la Russie, la Prusse et l'Autriche. Des insurrections dirigées par une partie de la noblesse polonaise éclatèrent, en 1830-1831, puis en 1846, 1848, 1863-1864... Elles furent durement réprimées, notamment par le tsarisme (et causèrent ce qui fut appelée la Grande émigration). A cette époque Marx et Engels considéraient comme un devoir absolu pour toute la démocratie d’Europe occidentale (et à plus forte raison pour la social-démocratie), de soutenir activement la revendication de l’indépendance de la Pologne[1].

Lénine écrira plus tard que ce point de vue qui était parfaitement juste avait cessé de l'être au 20e siècle (mais il continuer à défendre le droit de la Pologne à l'indépendance, face à Rosa Luxemburg par exemple).

« Alors que les masses populaires de Russie et de la plupart des pays slaves dormaient encore d’un sommeil profond ; alors que dans ces pays il n’existait pas de mouvements démocratiques de masse, indépendants, le mouvement libérateur seigneurial en Pologne acquérait une importance gigantesque, de premier plan, du point de vue de la démocratie non seulement de la Russie entière, non seulement de tous les pays slaves, mais encore de toute l’Europe. Mais si ce point de vue de Marx était entièrement juste pour le deuxième tiers ou le troisième quart du XIXe siècle, il a cessé de l’être au XXe Des mouvements démocratiques indépendants, voire un mouvement prolétarien indépendant a pris naissance dans la plupart des pays slaves, et même dans un des pays slaves les plus arriérés, la Russie La Pologne seigneuriale a disparu pour faire place à une Pologne capitaliste. »[2]

Le socialisme polonais s'est divisé entre le PPS (dont le leader Piłsudski évolua vers le nationalisme de droite), et le SDKPiL (qui sous l'influence de Luxemburg refusait les revendications nationales).

1.2 La guerre mondiale et la révolution russe

Pendant la guerre de 1914-1918, la Russie perd le territoire du cœur de la Pologne au profit de l'Allemagne. Quand l'Allemagne, en pleine révolution, se retire en novembre 1918, différentes bandes nationalistes polonaises, qui avaient constitué en toute hâte chacune leur propre armée, issues des différents fronts parfois ennemis de la Première Guerre mondiale, se précipitaient sur ces territoires vides d'Etat et d'administration qu'étaient l'ancien morceau allemand de la Pologne, l'ancien morceau austro-hongrois, l'ancien morceau russe. Leurs rivalités et leurs affrontements faisaient et défaisaient, sans cesse et de façon chaotique, leurs alliances et les gouvernements polonais.

Une partie de la population polonaise regardait avec d'espoir du côté de la révolution russe, d'autant plus que pour le mouvement ouvrier, tout le passé récent était fait de liens humains et militants avec le mouvement ouvrier révolutionnaire russe comme avec le mouvement allemand.

La classe ouvrière polonaise participa à la montée révolutionnaire d'Europe centrale. De la fin 1918 à juin 1919, la Pologne se couvrit donc de Conseils ouvriers. Dans le bassin minier de la Dombrowa, en Silésie, une grande grève éclata en mars 1919, et une Garde rouge y fut créée, immédiatement combattue par les troupes de l'État polonais. Mais le jeune Parti Communiste polonais, né en décembre 1918, devait dans les Conseils partager son influence avec celle du PPS, qui faisait tout pour les éliminer. Le mouvement des Conseils s'affaiblit, et ceux-ci s'éteignirent au début de l'été 1919, avec cependant des mobilisations qui persistèrent, comme la grève des ouvriers agricoles lors de la récolte des pommes de terre à l'automne 1919. Au printemps 1920, le mouvement se ranima. La reprise économique favorisait la réouverture des entreprises, et des luttes ouvrières éclataient partout, dirigées par les syndicats souvent animés par des militants communistes.

Néanmoins, Piłsudski était devenu très populaire dans la résistance armée, vu comme le plus apte à assurer l'indépendance du pays. La République qu'il dirige de façon autoritaire à partir de novembre 1918 se renforce progressivement. Piłsudski porte un nationalisme expansionniste[3] vers l'Est, par nostalgie de la « grande Pologne », et ambitionne de conquérir la Lituanie, l'Ukraine, la Biélorussie... Cela engendre rapidement des conflits avec la jeune Russie soviétique, qui elle avance vers l'Ouest, dans l'espoir d'étendre la révolution. Les bolchéviks, déjà affaiblis par la guerre civile, tentent cependant d'être prudents pour ne pas apparaître comme des envahisseurs russes aux yeux des différents peuples qui commencent à revendiquer leur autonomie / indépendance.

2 La guerre soviéto-polonaise

2.1 Premiers conflits

Début 1919, des conflits éclatent pour le contrôle de Vilnius (Lituanie) entre les bolchéviks locaux et la milice urbaine polonaise, sans que cela soit ordonné par les gouvernements. Vilnius, qui changera plusieurs fois de mains, est à majorité polonaise, mais est aussi le cœur de la Lituanie qui repousse l’annexionnisme polonais. Une ligne de front se forme progressivement de la Lituanie jusqu'à l'Ukraine, là où se rencontrent et s'arrêtent les polonais et les bolchéviks. Le premier affrontement sérieux a lieu le 14 février 1919 en Biélorussie.

Pilsudski est soutenu par l’impérialisme français, qui envoie de nombreux soutiens militaires (dont Pétain, et De Gaulle qui débutait sa carrière d'officier supérieur), et qui pousse les Polonais à soutenir l'armée blanche de Dénikine contre les Rouges. Mais dans un premier temps les conflits restent sporadiques. Piłsudski considère les Blancs comme plus dangereux que les Rouges, car ils tiennent absolument à replacer la Pologne sous domination russe, tandis que les bolchéviks proclament le droit à l'auto-détermination des peuples.

Le régime de Pilsudski et ses alliés occidentaux menaient une propagande faisant planer une menace d'agression soviétique. Or, témoigne Trotski, alors chef de l'Armée rouge : « Nous tâchions par tous les moyens d'arriver à la paix, même au prix de très sérieuses concessions. Peut-être étais-je, de tous, celui qui voulait le moins cette guerre, car je voyais trop clairement combien il nous serait difficile de la mener après trois années d'incessante guerre civile. »[4]

Des négociations de paix sont menées en parallèle, mais les tensions territoriales finissent par déboucher sur une guerre ouverte.

2.2 La guerre

En Ukraine, l'homologue « socialiste-nationaliste » de Piłsudski, Simon Petlioura, était devenu impopulaire et avait fini par être chassé par les rouges. Alors que les deux nationalismes se battaient pour le contrôle de la Galicie, ils parviennent à un accord, aidé par leur anti-communisme commun. S'étant réfugié en Pologne, Petlioura accepte l'aide de Piłsudski pour reprendre l'Ukraine, et Piłsudski promet de renoncer à annexer l'Ukraine. Petlioura n'avait pas une grande confiance en la Pologne, mais n'avait pas d'autre espoir pour revenir au pouvoir.

Les troupes polonaises aidées de troupes de Petlioura prennent donc Kiev le 24 avril 1920. L'Armée rouge, dépassée, parvient à se retirer sans trop de pertes.

L'agression permit une remobilisation et contre-attaque de l'Armée rouge, dans un climat de chauvinisme qui se déchaîne pour la défense de la Russie « une et indivisible », ouvertement encouragé. Les Izvestia publiaient un poème réactionnaire : « Comme jadis le Tsar Ivan Kalita rassemblait les pays russes l’un après l’autre (...) tous les patois et tous les pays, toute la terre multinationale, se réuniront dans une foi nouvelle » afin de « rendre leur puissance et leur richesse au palace du Kremlin ». Les Ukrainiens sont sommés de faire passer au second plan leurs aspirations nationales, qui sont alors vives. Mais le sentiment anti-polonais est aussi très présent.

Finalement, les troupes polonaises plus facilement que prévu, et les Polonais battent en retraite. Mais en les poursuivant, les forces soviétiques violent la frontière polonaise, arrivant en août aux portes de Varsovie. « Une opinion se forma et s'affermit d'après laquelle la guerre qui, au début, avait été purement défensive, devait se transformer en une guerre d'offensive révolutionnaire. » A Moscou, les dirigeants bolchéviks - dont Lénine - pensaient qu'il fallait saisir l'occasion de prendre Varsovie. Mais d'autres, dont Trotski, Rykov, Radek, Staline ou le militant polonais Marchlewski, craignaient fortement que cela soit mal perçu par les ouvriers et paysans polonais. D'autant plus que Piłsudski demandait maintenant la paix.

La décision de tenter de prendre Varsovie fut néanmoins prise. Il ne s’agissait pas, bien entendu, d’un projet d’annexion de la Pologne, mais d’« aider » les communistes polonais à prendre le pouvoir, en établissant une république soviétique polonaise. Il n’empêche qu’il s’est agi bel et bien d’une violation évidente du principe d’autodétermination des peuples : comme l’avait répété Lénine lui-même, on n'impose pas le communisme à d’autres peuples via l'armée.

Mais ce fut la position de l'offensive qui l'emporta. Et effectivement cela permit à Pilsudski de jouer sur les réflexes nationalistes anti-russes, raffermissant son pouvoir, et réprimant les sympathisants bolchéviks en Pologne.

Arrivées aux portes de Varsovie, les principales forces de l'Armée rouge, dirigées par Smilga et Toukhatchevsky, subirent de lourdes pertes face l'armée polonaise qui avait rassemblé toutes ses forces. La débâcle fut aggravée par le fait que le groupe sud de l'Armée rouge (dirigé par Staline), continua à avancer vers l'ouest alors qu'il avait été demandé en renfort. Staline voulait absolument prendre Lvov (ville qui résistait depuis longtemps aux rouges) en même temps que Varsovie serait prise, pour la gloriole.

L'armée polonaise repoussa alors les troupes soviétiques plus de 400 kilomètres à l'est. Pourtant, un certain entêtement persista dans la direction bolchévique. Même Rykov disait à présent : « Du moment qu'on a commencé, il faut finir ». Mais finalement, Trotski parvint à convaincre le bureau politique que la défaite serait encore plus grave si la paix n'était pas signée immédiatement, car l'état des troupes rouges était très mauvais.

Pendant la situation compliquée de la guerre civile russe, de nombreux débats eurent lieu dans le parti bolchévik, et Trotski et Lénine (alors en général très proches) se trouvèrent à plusieurs reprises en désaccord. Selon Trotski, le désaccord sur la Pologne fut « le dernier dissentiment, incontestablement le plus sérieux ».

3 Conclusion

Bien des années après, Trotski écrivait sur ces faits dans Ma vie :

« Les événements d'une guerre et ceux d'un mouvement révolutionnaire de masse ont différentes mesures. Là où les armées en action comptent par journées et semaines, le mouvement populaire se calcule d'ordinaire en mois et années. Si l'on ne tient pas compte exactement de cette différence des vitesses, les roues dentées de la guerre ne peuvent que casser les roues dentées de la révolution, et non pas les mettre en mouvement »

La défaite était lourde de conséquences. Car elle n'était pas fatale que pour le mouvement ouvrier polonais, soumis à la terreur blanche. Elle était aussi lourde de conséquences pour l'avenir, dans la mesure où elle s'inscrivait dans la longue série d'évènements qui allaient priver l'URSS, et, avec elle, tout le mouvement ouvrier révolutionnaire, des possibilités qu'auraient ouverte l'extension de la révolution.

4 Notes et sources