Guerre civile russe

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Trotsky et l'Armée Rouge.jpg

La guerre civile russe, successive à la Révolution d’Octobre a duré exactement cinq ans, du 29 octobre 1917 au 25 octobre 1922. Causant entre 8 et 20 millions, elle s'est conclue par la victoire de l'Armée rouge, sur les armées blanches et les armées vertes, mais au prix d'une bureaucratisation très forte du régime.

1 Contexte

Sur une population d'environ 160 millions, la guerre mondiale avait tué plus de 3 millions de Russes. Les souffrances des soldats et les horeurs vécues ont engendré une brutalisation de la société qui a élevé le niveau de violence.

La guerre avait aussi ruiné ce pays déjà peu développé économiquement, et qui avait dû s'endetter fortement pour l'effort de guerre.

La haine du régime tyrannique des tsars dans les classes populaires russes était également très forte. Elle avait déjà conduit à la révolution de février 1917. Mais le gouvernement provisoire bourgeois ne prenait aucune mesure radicale, ne répondait pas aux besoins sociaux, et surtout, prolongeait la guerre. Dans cette situation d'entre-deux, le camp des révolutionnaires (bolchéviks) se renforçait, en parallèle du renforcement de la contre-révolution.

L'insurrection d'Octobre basée sur la majorité obtenue par les bolchéviks dans les soviets a été la prise d'initiative révolutionnaire qui a lancé toutes les forces réactionnaires dans un assaut enragé contre le nouveau pouvoir.

2 Les débuts de la guerre civile

2.1 Une guerre de classe

En novembre 1917, l’aspiration des ouvriers, paysans et soldats à la paix, au pain et à la liberté emporte les autocratiques institutions russes. Cependant des régions entières restent indépendantes vis à vis de Moscou. C’est particulièrement le cas dans le Sud où le général Kalédine, ataman des cosaques du Don se fait proclamer « commandant en chef des cosaques ». Il recrute une armée blanche contre-révolutionnaire parmi les cosaques de la Russie méridionale, proclame « l’indépendance du Don » et se prépare à marcher sur Moscou avec environ 200 000 hommes pour renverser le Gouvernement des So­viets. Il dispose de relais nombreux parmi les anciens officiers tsaristes, y compris sur Moscou et Saint Petersbourg.

De décembre 1917 à novembre 1918, les banques sont nationalisées ainsi que les chemins de fer, les moyens_de_transport et les industries de plus de 500 000 roubles de capital ; la propriété foncière est abolie, sans indemnités. Ces mesures expliquent à elles seules la mobilisation des grandes sociétés industrielles et bancaires pour combattre l’URSS. Elles avaient investi avant-guerre des capitaux considérables en Russie et comptent bien en tirer un retour sur investissement. D’ailleurs, dans un premier temps, elles prennent la révolution comme une aubaine qui va leur permettre de démanteler le pays à leur profit.

2.2 Interventions impérialistes

Etant donné qu'une grande partie du capital investi en Russie était aux mains de capitalistes étrangers, ces derniers ont fait bloc sans hésitation avec la réaction russe. Cette guerre de classe s'est donc combinée à des interventions impérialistes.

Plusieurs gouvernements (anglais, français, américain, canadien, japonais, roumain, polonais, grec, tchécoslovaque, italien...) engagent des moyens considérables pour renverser le régime issu de la Révolution d’Octobre, démanteler l’URSS et profiter de ses richesses.

Ce sont des Américains qui prennent en Russie les premiers contacts avec les groupes opposés à la Révolution, en particulier par Maddin Summers, leur consul général à Moscou, qui a épousé la fille d’un grand seigneur. Leur activité consiste particulièrement à obtenir des subsides pour les armées blanches.

Le 23 décembre 1917, lendemain du début de la Conférence de Brest Litovsk, des représentants de la France et de la Grande-Bretagne se réunissent à Paris et con­cluent un accord secret pour le démembrement de la Russie :

  • l’Angleterre se réserve les provinces baltes et le Caucase (surtout son pétrole)
  • la France choisit l’Ukraine de la Biélorussie à la Bessarabie et au Donetz (fer, charbon, bassin sidérurgique...) ainsi que les rives de la Mer Noire dont Odessa et la Crimée.

3 L'enthousiasme révolutionnaire

L’Armée rouge a gagné cette guerre grâce à la profondeur du soulèvement populaire révolutionnaire commencé en 1917. Elle comptait des centaines de milliers de militants politiques, d’ouvriers, de petits paysans, de jeunes absolument déterminés à chasser le tsarisme, à instaurer une société meilleure. Beaucoup sont morts "par le froid et la famine", "par les neiges et les tempêtes", sur des terres gelées, blessés sans médecins pour les soigner parce qu’ils pensaient instaurer pour toujours la paix, la liberté, la justice sociale...

Il suffit de lire le compte rendu de quelques batailles décisives pour se convaincre de l’importance de la conviction politique dans ces victoires remportées par l’Armée rouge.

Trotsky disait : « Ce n’est pas par la terreur que l’on fait des armées (...). Pour notre armée, le ciment le plus fort, ce furent les idées d’Octobre. ». Ou encore : « Le communisme ne sera instauré que par la persuasion et par l’exemple. » (1919)

Un vieux dissident soviétique, Grigori Pomerants, raconte dans la revue russe Novy Mir d’août 2001 l’épisode suivant, très révélateur. En 1950, il avait comme voisin au Goulag un paysan « devenu antisoviétique », mais, dit-il, « en 1920, après avoir entendu un discours de Trotsky ou de Zinoviev, il était prêt à partir à l’assaut du ciel. Et pas seulement lui, son régiment tout entier (...). Les rouges étaient prêts à donner leur vie pour le monde des soviets, pour un monde sans mendiants et sans infirmes. » Il ajoute « Croyez-en un soldat de la guerre : aucune bataille n’a jamais été gagnée par la terreur. La terreur est un moyen auxiliaire dans le combat ; le facteur décisif, c’est l’enthousiasme. »

Parmi les paysans la haine de la noblesse était également très puissante. Dans les siècles passés, la Russie avait déjà connu des soulèvements populaires immenses (Razine, Pougatchev...) terminés par des exécutions par milliers. Une fois la révolution d’Octobre lancée, la seule solution pour les pauvres consistait à aller jusqu’au bout. Ainsi un monarchiste et industriel disait : « Des profondeurs des masses paysannes montait quelque chose d’effrayant, qui réveillait le souvenir des révoltes populaires vécues par nos aïeux. » De même un banquier: « En Russie éclate un incendie à côté duquel la révolte de Pougatchev, les jacqueries, 1793 apparaîtront comme des troubles insignifiants. »'

4 Terreur blanche

Les armées blanches représentent un type de force qui est à la charnière entre les réactionnaires d'avant 1914 et les fascismes des années 1920 et 1930, par exemple en ce qui concerne l’utilisation idéologique de l’antisémitisme.

Le général Grigorenko, qui fut très critique du comportement de l’armée rouge et qui devint un dissident du régime, témoignait que les habitants de son village qui avaient subi les deux terreurs, blanche et rouge, ont pris le parti de la terreur rouge et condamné la terreur blanche.

L'enthousiasme se rencontrait aussi dans les armées blanches, mais beaucoup moins. Des milliers, peut être des dizaines de milliers de combattants sont morts pour la « Sainte Russie » avec la même force de conviction, mais la plupart étaient seulement enrôlés et obéissant par discipline.

Or la seule discipline n'est pas inébranlable, surtout vis-à-vis d’officiers issus du tsarisme qui conservaient toutes leur attitude de privilégiés, par exemple dans les troupes de Koltchak.

Le 22 octobre 1919, alors que Petrograd est soumise à l’offensive de l’Armée Blanche de Ioudenitch, soutenu par le gouvernement britannique, et risque de tomber, Trotsky publie l’ordre du jour n° 158 exigeant le respect de la vie des prisonniers :

« Camarades soldats de l’Armée rouge ! Épargnez les prisonniers ! Recevez amicalement les transfuges. Dans l’armée blanche, les ennemis vénaux, corrompus, sans honneur, les ennemis du peuple travailleur sont une insignifiante minorité. La majorité écrasante est faite d’hommes dupés ou mobilisés de force. Une part importante même des officiers de la Garde Blanche combat contre la Russie soviétique sous la menace de la trique, ou parce qu’elle a été trompée par les agents des financiers russes et anglo-français et des propriétaires. » Et Trotsky souligne plus loin que son appel « ne s’adresse pas seulement aux simples soldats, mais aussi aux officiers ». 

Les armées envoyées pour combattre la révolution russe n’étaient pas immunisées contre les troubles : à Arkhangelsk, les troupes française, britannique et américaine refusèrent de se battre, et des forces françaises durent être évacuées d’Odessa et d’autres ports de la mer Noire après des mutineries.[1]

5 Terreur rouge

Pour faire face aux difficultés, le gouvernement bolchévik prend de plus en plus de mesures de centralisation du pouvoir, et de restriction des libertés publiques.

Il organise d'abord la fusion des groupes de gardes rouges largement spontanés en une puissante Armée rouge, dirigée par Trotsky.

Le pouvoir prive les réactionnaires de droits politiques et suspend leurs journaux. Les mesures d'interdiction s'étendent de plus en plus à d'autres types d'opposants, comme les menchéviks, les SR et les anarchistes. Il s'agissait, comme l'écrivait Lénine, de mesures « essentiellement russes » : des mesures d'exception, de légitime défense.

En août 1918, Martov publie une brochure à Moscou pour dénoncer l'utilisation de la peine de mort par les bolchéviks, qui l'avaient toujours combattue dans l'opposition.[2]

En 1920, Trotsky justifie la politique bolchévique dans Terrorisme et communisme.[3]

6 Les « armées vertes »

Les Armées vertes, essentiellement rurales, combattaient à la fois contre l’Armée rouge et contre les armées blanches, refusaient les réquisitions et la conscription.

Ces armées vertes comptaient parfois seulement 500 à 1000 hommes mais elles atteignaient parfois aussi des effectifs bien plus importants : 100 000 pour l’"armée populaire de Sibérie", 40 000 pour celle de Tambov, jusqu’à 50 000 en Ukraine avec Makhno...

7 Bilan et conséquences

Les historiens ne s’accordent pas sur le nombre de morts, évalué entre 8 et 20 millions, mais la saignée est énorme, bien supérieure à celle de la guerre mondiale. En 1922, 4 500 000 enfants russes n’ont ni père ni mère ni famille les prenant en charge.

8 Notes et références

Jean-Jacques Marie, La guerre civile russe (1917-1922), 2005

Jacques Serieys, Guerre civile russe. Pourquoi les Rouges ont-ils gagné ?

  1. E. H. CARR, La Révolution bolchevique, 1917-1923, vol. 3, trad. de l’anglais par M. Pouteau, Éditions de Minuit, Paris, 1974, p. 139.
  2. Julius Martov, A bas la peine de mort !, 1918
  3. Léon Trotsky, Terrorisme et communisme, 1920