Grande dépression (1929-1939)

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Soupe populaire organisée par Al Capone à Chicago en 1931

La Grande dépression des années 1930 est le nom donné au grand ralentissement économique survenu au cœur des économies capitalistes occidentales, à la suite de la crise de 1929.

Les années 1930 aux États-Unis ont été appelées "Red thirties" (les "rouges années 30") en raison des importantes contestations sociales qui secouaient alors la classe dirigeante et menaçaient directement le plus puissant capitalisme du monde.

1 Origine de la crise

Les crises économiques font partie inhérente du mode de production bourgeois. Le ralentissement économique traduit le fait que l'investissement des capitalistes était faible, en raison de leur incapacité à dégager un taux de profit suffisant. Cette faiblesse du taux de profit a son origine profonde dans la suraccumulation de capital de la période antérieure, bien qu'elle se soit surtout manifestée après le détonateur que fut la crise financière de 1929.

2 Chronologie

2.1 Déclencheur aux États-Unis

La chute du PIB aux États-Unis

Nous pouvons distinguer trois phases. La première est proprement américaine. Le sommet de l'activité est situé en août 1929. Le recul de la production industrielle s'accélère nettement à partir du krach d'octobre. Le surendettement des ménages vient ajouter ses effets. Le crédit à la consommation (une innovation récente) a joué ici un rôle important (achats d’automobiles). Une première vague de suspensions bancaires débute en octobre 1930.

2.2 La pourriture dévoilée partout

Un processus de redressement se dessine au début de 1931. Il est interrompu par la deuxième vague de suspensions bancaires américaines, qui débute en juin 1931. Nous entrons dans la seconde phase de la crise, située sous l'influence des événements européens. C'est le 11 mai 1931 que sont rendues publiques les pertes de la Creditanstalt, début de la crise bancaire autrichienne. La vague de défiance frappe ensuite l'Allemagne. Malgré un prêt accordé à la Reichsbank par les autres banques centrales, malgré la proposition, le 20 juin 1931, par le Président américain Hoover de la suspension, pour un an, de tous les paiements sur les dettes intergouvernementales (dettes de guerre et réparations), la ruée des déposants se poursuit et l’une des plus importantes banques allemandes, la Danat, ne peut être sauvée. Le 14 juillet, toutes les institutions financières allemandes sont fermées et le contrôle des changes instauré. En volume, le produit national net allemand recule de 3, 5 % en 1930, mais de 10, 8 % en 1931.

Après la monnaie allemande (le reichsmark) vient le tour de la livre sterling, dont la convertibilité-or est suspendue le 21 septembre 1931. D’août à décembre 1931, la monnaie anglaise se déprécie de plus de 30 % par rapport au dollar, resté sur l’or. Le coup est terrible. Les pressions déflationnistes (à la baisse des prix) s’accentuent un peu partout dans le monde : les prix anglais à l’exportation diminuent à proportion de la dépréciation de la livre et les producteurs étrangers sont contraints, pour résister à la concurrence, de suivre le mouvement. Le dollar américain (lié à l'or) est très rapidement attaqué. Pour défendre sa parité, la banque centrale américaine (la Fed) augmente fortement son taux d'intérêt, ce qui attire les capitaux, sauve (temporairement) le dollar mais aggrave la situation économique. Les volumes de la consommation des ménages et de l’investissement privé enregistrent, en 1932, les chutes annuelles les plus sévères de toutes celles relevées au cours de la grande dépression américaine.

Les États-Unis subissent la troisième et dernière phase de leur crise avec une nouvelle vague de suspensions bancaires, qui débute au cours du dernier trimestre de 1932 et se conclut le 6 mars 1933 par la fermeture générale des banques. Cette vague est étroitement liée au choix de plus en plus évident du Président nouvellement élu, Roosevelt, de pousser le dollar hors de sa base or, ce qui entretient la crainte d'une future dépréciation du dollar et amène la Fed à augmenter son taux d'intérêt, toutes choses qui redoublent les coups portés à une activité défaillante.

Le creux mondial avait été atteint au troisième trimestre de 1932. Mais le 19 avril 1933, l’étalon-or est officiellement abandonné par les États-Unis. Après la livre, c’est le dollar qui se déprécie. A nouveau la pression déflationniste s’accroît pour les pays restés fidèles à l’or, bientôt regroupés en un « bloc-or », au sein duquel se trouve la France. La Conférence de Londres de juin et juillet 1933, convoquée pour remédier à cette situation, se termine sur un échec et la crise française débouche sur le Front populaire.

2.3 Sortie de crise

C'est la Seconde guerre mondiale qui va apporter un second souffle au capitalisme pourrissant. Le premier effet fut la réorientation radicale de la production, le plus souvent sous impulsion étatique comme il est d'usage en temps de guerre. De l'Allemagne nazie aux États-Unis, la production capitaliste fut redirigée massivement vers le militarisme, offrant aux bourgeoisies belligérantes des marchés plus que juteux. Aux États-Unis, la vente de voitures particulières fut même interdite pendant que l'industrie se centrait sur la guerre. D'avril 1942 jusqu'à fin 1944, pendant près de trois ans, pratiquement aucune voiture n'a été construite aux États-Unis.

Les destructions matérielles (surtout en Europe) seront immenses, bien supérieures à ce qui s'était passé avec la guerre de tranchées de 1914-1918. La pression sur les populations, et donc sur les salariés, sera très forte, légitimée par les diverses propagandes nationalistes. Lorsqu'il fallut reconvertir l'économie vers la production civile, le capital (matériel et humain) avait subi une forte dévalorisation, ce qui permit de réamorcer l'accumulation de façon spectaculaire. Immédiatement aux États-Unis, plus tard en Europe, après stabilisation politique contre-révolutionnaire et impulsion états-unienne (plan Marshall...).

3 Impacts mondiaux

Cette photographie nommée "Migrant mother" est devenue un symbole de la Grande Dépression.

3.1 États-Unis

Aux États-Unis l'effet de la crise fut profond et la condition des travailleurs très dégradée. Le chômage de masse, les nombreux fermiers ruinés migrant à travers le pays pour chercher du travail, tout cela a fortement marqué les esprits. Des exemples de la période peuvent se lire à travers des romans comme Les raisins de la colère ou Des souris et des hommes.

L'absurdité du système capitaliste apparaît alors au grand jour. L'administration Roosevelt va jusqu'à acheter et détruire des récoltes afin de faire remonter les prix, alors même que le nombre d'affamés augmente dans le pays.

C'est la toile de fond de toute cette décennie d'agitation ouvrière que la bourgeoisie états-unienne a nommé de façon significative "Red Thirties". Un des événements les plus intenses de la lutte de classe de cette période est la grande grève des camionneurs en 1934 à Minneapolis.

3.2 Allemagne

En Allemagne, la dégradation sociale fut encore plus dramatique qu'ailleurs, en raison des séquelles de la Première guerre mondiale et des conditions imposées par le camp vainqueur (Traité de Versailles). Le parti de Hitler réussit à canaliser la colère de la petite-bourgeoisie, puis du prolétariat, contre divers boucs-émissaires (étrangers, juifs, tziganes, homosexuels...), aidé en cela par la politique suicidaire du KPD stalinien. Ce fascisme particulièrement poussé souda les travailleurs allemands à leurs maîtres, et permit à l'impérialisme allemand de surmonter la crise par la marche à la guerre, qui profita ensuite à l'ensemble des impérialistes...

3.3 France

En France entre 1930 et 1935, la production diminua d’un tiers ; en 1935, selon les chiffres officiels il y en avait 500 000 chômeurs, en réalité sans doute plus du double. Pour se figurer mieux la situation sociale, rappelons également qu'il n’existait aucune des indemnités actuelles, comme les allocations chômage, le RMI etc.

C'est dans ce contexte que l'extrême-droite commença à se renforcer en France comme dans le reste de l'Europe. Mais "grâce" à la traîtrise des organisations du mouvement ouvrier (SFIO, CGT, PCF), la bourgeoisie n'eut pas recours à la "solution fasciste", et en fut quitte avec les miettes de Juin 1936.

4 Autres théories explicatives

4.1 Sous-consommation

Cette théorie est un grand classique qui revient en force avec la crise actuelle. D'après elle, au cours des années vingt, on aurait constaté une croissance des salaires réels bien plus lente que celle de la productivité du travail ; d’où aurait résulté un partage de plus en plus inégal de la valeur ajoutée (à l’avantage des profits) et une disproportion grandissante entre les rythmes d’expansion de la section II (produisant des biens de consommation) et de la section I (fabricant des biens de production). D’où une crise des débouchés. Mais le décalage entre les taux de croissance des salaires réels et de la productivité du travail, avéré pour l’industrie manufacturière, ne l’est pas au niveau national. D’ailleurs, au cours de ces années vingt, la part des salaires dans le revenu national est stable et celle de la consommation dans le Produit national brut (PNB) est croissante.

Avec de nombreuses nuances, les keynésiens ont toujours une lecture "par la demande" de la Grande Dépression, et donc des "solutions" pour en sortir. Ainsi, Paul Krugman écrit en 2008 :

“The Great Depression in the United States was brought to an end by a massive deficit-financed public works program, known as World War II.” [La Grande Dépression aux Etats-Unis a pris fin grâce à un gigantesque programme de travaux publics, financé par le déficit public, connu sous le nom de Seconde Guerre Mondiale.][1]

4.2 Crise financière

Pour d'autres, c'est la crise financière (le krach boursier de 1929) qui aurait plongé dans le chaos l'économie réelle, saine, elle. Cette explication dénonçant (comme aujourd'hui) une finance particulièrement coupable, a eu une certaine popularité. Outre l'illusion fondamentale consistant à croire que les aspects financiers et industriels sont déconnectés et peuvent être opposés, cette hypothèse ne tient pas la route.

L’activité économique commence à décroître en août 1929, avant le krach, et de nombreuses statistiques particulièrement sensibles à la conjoncture culminent en août ou septembre. Le cours des actions baisse de 19, 2 % en 1930, mais il s’était déjà effondré (toujours aux Etats-Unis) de 22, 7 % en 1877 et de 18, 7 % en 1907, sans provoquer de grande crise.

4.3 Monétarisme

L’hypothèse monétariste est particulièrement prisée aux Etats-Unis. Trois grandes vagues de faillites bancaires auraient provoqué la chute dramatique de plus d’un tiers du stock de monnaie du début à la fin de la dépression américaine (avec des effets désastreux sur l’activité économique) sans provoquer de réaction adéquate de la Fed, la banque centrale américaine, qui n’aurait pas réagi comme elle le faisait jusque-là. En réalité, la première vague de crises bancaires n’a pas eu d’impact sensible sur l’économie réelle. La deuxième vague (qui débute en juin 1931) est le résultat du démarrage de la crise bancaire européenne (avec l’effondrement de la Creditanstalt autrichienne en mai 1931) et de la chute de la livre sterling (qui quitte sa base or en septembre 1931), ce qui déclenche une violente spéculation contre le dollar. La Fed réagit conformément à sa doctrine, élève ses taux pour défendre le lien du dollar à l’or et fait passer le soutien aux banques au second plan. La troisième vague de défaillances bancaires débute au cours du dernier trimestre de 1932 : elle découle de l’élection de Roosevelt et de la conviction du public que le Président nouvellement élu va rompre le lien du dollar à l’or. La spéculation contre le dollar repart de plus belle, et la Fed réagit conformément à sa doctrine traditionnelle, élève ses taux pour défendre le dollar et relativise le soutien aux banques. Au total, les défaillances bancaires, l’affaissement du stock de monnaie et le comportement de la Fed ne sont pas des causes autonomes de la crise, mais des retombées de la crise européenne et de la défense de la parité-or du dollar.

4.4 Surendettement

Cette hypothèse est défendue à l’époque en particulier par Irving Fisher, qui met l’accent sur l’articulation entre surendettement et baisses des prix. L'effort des entrepreneurs pour réduire leurs dettes entraînerait en effet une rapide baisse des prix, laquelle accroîtrait, au total, le poids réel de ces dettes, malgré l'effort fait pour s'en dégager. Le principal secret de la plupart des grandes crises tient, dit Fisher, dans ce paradoxe : plus les débiteurs payent, plus ils doivent. Mais la thèse de Fisher ne paraît pas fondée, car le rapport de la dette des entreprises au PNB en 1929 n’a rien d’extraordinaire, si on le compare aux ratios du passé américain.

5 Notes et sources

  1. Paul Krugman, The Return of Depression Economics and the Crisis of 2008