Fusillade de la rue Damrémont

De Wikirouge
Révision datée du 13 mai 2021 à 00:38 par Wikirouge (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche
FusilladeRueDamremond.jpg

La fusillade de la rue Damrémont, du 23 avril 1925, est un violent conflit entre le jeune parti communiste français et des militants de droite.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

La fusillade s’inscrit dans un cycle de tensions marquée, un an auparavant, par d’autres échauffourées contre des anarchistes lors d’un meeting à la Grange-aux-Belles, le 11 janvier 1924. Le jeune Parti communiste veut à la fois montrer sa détermination « antifasciste » et faire sa place, par la force, au sein de l’extrême-gauche.

Pendant les mois qui précèdent la fusillade, le PC dénonce la « menace fasciste » de groupes comme les Jeunesses patriotes, et appelle à les combattre par la force à travers la création de groupes de combat. Il faut rappeler l'expérience toute récente de la défaite du mouvement ouvrier italien vaincu par les fascistes.

La ligne sectaire du parti impulsée par le nouveau secrétaire du parti Albert Treint à la fin de 1924, et le climat intérieur du parti, favorise l’expression de la violence contre l’extérieur.

Certains ont aussi parlé d'un effet de « brutalisation des sociétés » par la guerre de 1914-1918 (dans laquelle l’ensemble de la société française est mobilisée pendant 4 ans).

2 Les faits[modifier | modifier le wikicode]

Le 23 avril 1925, Raoul Sabatier, candidat de droite aux élections municipales dans le 18e arrondissement de Paris, tient une réunion électorale au 113 de la rue Championnet. La salle est pleine à craquer, plus de 300 personnes se massent à l’extérieur.

Pour les communistes, ce meeting au cœur d’un quartier ouvrier est une provocation, et ils entendent s'y rendre au moins pour porter la contradiction, pratique politique courante à l'époque. La police est informée que les communistes se mobilisent, notamment avec leurs « groupes de combat de la région de Boulogne ». 70 gendarmes, en uniforme et en civil, sont mobilisés par le commissaire d’arrondissement.

Dans le même temps, se tient au Cirque d’Hiver un meeting des Jeunesses patriotes (JP). Leur dirigeant, Pierre Taittinger, est un ami de Raoul Sabatier et mobilise son service d'ordre pour assurer la sécurité de son meeting. Une quarantaine de Jeunes patriotes se mettent en colonne pour rejoindre la réunion rue Championnet où les policiers leur demandent de s’éloigner. La colonne s’engage rue Damrémont, suivie par une vingtaine de communistes.

C’est alors que des coups de feu éclatent, trois militants des JP sont tués et plusieurs blessés. Selon le rapport de police, les communistes auraient déclenché un « feu de salve ». Un groupe de militants autour de Pierre Taittinger, qui se dirige à la fin du meeting vers la station Simplon, est également pris à partie et des bagarres éclatent autour de la station. La soirée se solde par un lourd bilan : quatre tués et de nombreux blessés. Tout s’est passé très vite, entre 23h30 et minuit. Deux hommes sont arrêtés sur les lieux. L’absence de blessés communistes désigne le parti comme responsable.

3 Conséquences[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Renforcement de l'anticommunisme[modifier | modifier le wikicode]

La fusillade fait la une de tous les journaux du lendemain. La presse accuse les communistes d’avoir organisé une véritable embuscade. De La Liberté (24 avril) au journal de la gauche bourgeoise Le Radical (25 avril), on évoque même un « attentat terroriste ». On peut aussi lire dans différents journaux ce témoignage qui accable les communistes : « les commandements entendus étaient les suivants : “première centurie : Feu !” ; “deuxième centurie : Feu” », qui est à nouveau repris en 1926 lors du procès (article de Roland Tapie dans L’Express du Midi, 13 avril 1926).

L’affaire accentue l’anticommunisme fort depuis la révolution d’octobre 1917 et la fin de la Grande guerre. Le dessin publié en Une du Petit Journal le 10 mai 1925 reprend tous les stéréotypes de la violence communiste et populaire : « des salopards en casquette » qui ont sorti leurs couteaux, un ouvrier immigré d’Afrique du Nord reconnaissable avec sa chechia qui fait feu, voire des têtes patibulaires avec des lunettes noires en pleine nuit, rappelant les figures qui hantent la société, celle de l’imaginaire des bas-fonds selon l’expression de l’historien Dominique Khalifa. La presse reprend le discours même de Taittinger qui évoque des « silhouettes grimaçantes, vomissant les pires insultes et les pires menaces »[1]. Face à eux, les JP se dressent comme les défenseurs de l’ordre et de la société respectable.

3.2 Risque d'interdiction du parti communiste[modifier | modifier le wikicode]

Des voix s’élèvent pour demander l’interdiction du parti communiste. À la Chambre des députés, Charles Reibel, Pierre Taittinger et Jean Ybarnégaray exigent des réactions sévères de la part du Cartel des gauches, alors que Marcel Cachin dénie toute préméditation. Aux obsèques des victimes, Alexandre Millerand, Taittinger et le général de Castelnau prennent la parole.

Le procès débute devant la cour d’assises de la Seine le 18 avril 1926. L’événement est bien documenté dans les archives[2]. Le député Paul Vaillant-Couturier, éditorialiste à L’Humanité intervient comme témoin. Le 20 février 1926, L’Humanité titre « L’affaire de la rue Damrémont : la justice est-elle aux ordres du fascisme ? » Puis, le quotidien communiste suit le procès tout au long de ses travaux d’avril à mai 1926. La conclusion est que les communistes sont bien responsables de l'offensive, mais qu'il n'y a pas eu de préméditation du parti.

Sur les deux militants communistes jugés lors de ce procès, Bernardon est acquitté et Clerc est condamné à trois ans de prison, ce qui souligne, comme l’enquête l’avait montré, qu’il n’y avait pas eu de complot, d’action préméditée, mais un débordement incontrôlé dans une période tendue. Sans complot, la dissolution du parti communiste n’est donc plus à l’ordre du jour.

4 Réaction du parti et dans le parti[modifier | modifier le wikicode]

Le parti ne réagit que le 25 avril 1925 dans L’Humanité, où il présente la fusillade comme une réaction de défense des ouvriers contre les attaques des JP. Mais dans la direction du parti on est bien conscient de la responsabilité des communistes, puisque le bureau politique ouvre rapidement une enquête pour chercher qui a donné aux militants l'ordre de tirer.

Le tout récent secrétaire du parti, Albert Treint, reconnaît implicitement cette responsabilité, en déclarant que le service d'ordre a mal interprété les mots d'ordre contre le fascisme.

L’événement alimente de plus les critiques de l’opposition interne au parti, qui dénonce dans une lettre au Comité exécutif de l’Internationale communiste une « faute politique lourde » et « le petit jeu de la guerre civile et de l’illégalité » de la direction.

En l’absence de preuves concrètes de consignes de provocation, on peut penser que le parti a été débordé par ses activistes. C’est ce que conclut André Marty qui reconnaît dans une lettre à Zinoviev, président de l’Internationale communiste, l’erreur d’avoir envoyé sur place de « jeunes exaltés » au lieu de militants « maîtres d’eux ». La ligne politique très agressive du parti vis-à-vis du « fascisme » a provoqué l’effervescence chez certains qui blâment la modération de la direction et insistent sur la nécessité de combattre par la violence les groupes de droite. La direction a donné par prudence pour consigne de ne pas utiliser des armes à feu contre les JP, mais d’organiser uniquement des manifestations antifascistes. Il semble néanmoins que l’intention de la direction était d’infliger une correction aux Jeunesses patriotes, mais non de tuer. Mais, alors qu’elle avait dans un premier temps demandé à ses militants de ne pas être armés, elle a, selon la police, fait marche arrière. Ce revirement n’a pu que conforter les militants activistes dans leur volonté d’en découdre et apparaître comme une autorisation de passer à l’attaque.

Les événements du 23 avril provoquent l’inquiétude au sein du parti, qui craint à la fois les répercussions de l’affaire aux élections municipales de mai et une répression gouvernementale à grande échelle. Une série de perquisitions permet en effet à la police de saisir d’importants documents, en particulier financiers, au domicile de Suzanne Girault, militante de premier plan de la région de la Seine. La Pravda dénonce, certes, la « terreur blanche » en France, mais les Soviétiques désapprouvent une initiative embarrassante sur le plan politique et diplomatique.

Ces violences se reproduiront en 1929-1930, lors de la ligne « classe contre classe » (Troisième periode).

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Discours qu’il utilise à nouveau en 1936 lorsqu’il évoque les événements de la rue Damrémont contre le Front populaire dans Le National, 22 août 1936 (voir également sa déposition lors du procès en avril 1926).
  2. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9025351r.r=Assassinat+de+la+rue+Damr%C3%A9mont.langFR